Retour de flamme - La Comedie de Clermont Ferrand
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Retour de flamme - La Comedie de Clermont Ferrand
Retour de flamme M le magazine du Monde | 06.06.2014 à 08h22 • Mis à jour le 06.06.2014 à 14h55 | Par Rosita Boisseau Focus. Une nouvelle génération de danseuses andalouses s'approprie les codes du flamenco masculin, maîtrisant volutes et claquements de talons. Attention : offensive massive des danseuses flamencas en France. A l'affiche du Festival de Marseille (12 juillet), d'Arte Flamenco à Mont-de-Marsan (30 juin), et de La Villette (du 12 au 14 juin), à Paris, les Andalouses font parler d'elles. Leurs noms : Rocío Molina, Belén Maya, Rafaela Carrasco, Isabel Bayón, Concha Vargas… Longtemps dans l'ombre de leurs collègues masculins, elles prennent du galon. Il était temps. Plus nombreuses, curieusement moins célèbres, elles ont hérité d'un milieu culturel et sociétal qui met les hommes en avant. « Il faut savoir que ce sont les femmes qui constituent statistiquement la majorité du public des spectacles en Espagne, affirme Salvador García, responsable du Ballet flamenco de Andalucía, à Séville. Cela explique en partie le fait qu'elles imposent leur goût en élisant des hommes. » Quant à la mentalité espagnole, elle pèse encore sur la hiérarchie des sexes. Sauf que ces danseuses-là ont la peau dure, l'instinct de survie et l'appétit du boulot. Ce qui finit par payer. « Ce sont elles qui sont actuellement la relève du flamenco, affirme Daniela Lazary, agent et diffuseur de la plupart des grands noms flamencos. Même si le public a encore besoin de volants et de robes à pois, elles réussissent à s'imposer. Elles ont toutes une personnalité forte, un style bien à elles. » UN OUTILLAGE TECHNIQUE DE PREMIER PLAN A Séville, au Ballet flamenco de Andalucía, situé au cœur du quartier popu-arty de l'Alameda, Rafaela Carrasco, 41 ans, nouvelle directrice artistique de cette compagnie historique, répète En la memoria del cante 1922, pièce pour onze danseurs qui ouvrira Arte Flamenco, à Mont-de-Marsan. Jeans boy friend tombant sur les hanches, pieds nus dans des mules à talon, elle a une allure folle. Lorsqu'elle commence à claquer des pieds, son intense décontraction – comme si elle parlait à toute allure en percutant le sol – est magique. A quelques centaines de mètres, Belén Maya, 48 ans, jupon rouge, tee-shirt violet, donne un cours. Nerveuse, concentrée. Vedette du film Flamenco (1995), de Carlos Saura, elle a impulsé une nouvelle écriture flamenca contemporaine au tournant des années 1990 et dégagé la place à nombre d'interprètes. « Sans elle, la danse féminine ne serait pas la même aujourd'hui, appuie Jean-François Carcelen, universitaire et spécialiste. Elle a été une pionnière. » Concrètement, ces femmes flamencas possèdent un outillage technique de premier plan. Souvent passées par des apprentissages tous azimuts, du ballet classique à la danse traditionnelle, elles se sont aussi approprié les codes du flamenco masculin. Et d'abord, le fameux zapateado, ce martèlement des pieds véloce qui passe à la seconde du crissement de pas sur la neige aux rafales de mitraillette. Il faut voir Rocío Molina, 29 ans, faire crépiter ses chaussures. Visage en cœur, petit chignon haut perché, silhouette de fille en vacances, elle possède un tempérament sidérant. Invitée du Festival de Marseille, la star flamenca, professionnelle depuis l'âge de 7 ans assène un geste artistique puissant. « Elle n'a peur de rien », glisse Belén Maya. « UN LANGAGE CORPOREL GLOBAL » Historiquement, le flamenco sépare les genres et coupe le corps. Aux danseurs, la verticalité, le travail des jambes, les claquements de talons, les rythmes secs. Aux femmes, les braceos (mouvements de bras), les volutes, les ronds de hanches souples. Sauf que, depuis quinze ans, tout se mélange et les femmes en profitent. « Cela fait grandir le flamenco en développant un langage corporel global beaucoup plus puissant », glisse Rocío Molina. « Nous claquons des pieds parfois même plus vite que les hommes », blague Rafaela Carrasco. Cette écriture complexe sert des scénarios neufs sur les thèmes increvables de l'amour et de la douleur de vivre chers au flamenco. « Il n'y a plus de tabou aujourd'hui, insiste Belén Maya. Nous pouvons raconter nos histoires intimes, mettre en scène nos sentiments, parler d'homosexualité ou d'alcoolisme. Tout est possible. » Dans sa nouvelle pièce, Invitados, Belén Maya évoque le deuil lent et difficile de sa mère, la danseuse Carmen Mora, morte lorsqu'elle avait 14 ans. Après avoir dansé avec une bouteille de vin au pied, Rocío Molina s'attaque aux thèmes de la chasse et de la guerre dans Bosque Ardora. Libres avant tout, les filles jonglent aussi avec leur garde-robe. Voilà Rocío Molina en nuisette, chaussée d'énormes bottes de cavalière ou de pantoufles en éponge. Elle ose aussi faire porter des jupons aux hommes « à condition qu'ils conservent leur masculinité et ne soient pas travestis ». Mais les danseuses jouent aussi avec l'imagerie traditionnelle, ressortant l'éventail, le châle et surtout la fameuse bata de cola, cette immense traîne à volants, qui métamorphose l'interprète en reine des abeilles. « C'est une prolongation de mon corps et une arme pour la femme, souligne Rocío Molina. Elle donne du pouvoir tout en étant belle et poétique. » Un alliage très flamenco.