Compte rendu formation Princesse Mononoke
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Compte rendu formation Princesse Mononoke
Compte-rendu de la formation sur Princesse Mononoké, Hayao Miyazaki, 1997 Intervention de Pascal Alex Vincent, scénariste et réalisateur, Chargé d’enseignement Paris III. Au Cinéma Le Bretagne à Quimper, le 1er février 2012 Introduction Princesse Mononoké, sorti en 1997, et tourné au sein des studios Ghibli, a nécessité deux ans de tournage. Si le film mêle l’animation traditionnelle et l’infographie (notamment pour les scènes qui montrent le sanglier traversé de vers dont les mouvements sont assistés par ordinateur), l’ensemble du travail relève d’une dimension artisanale : il s’agit d’une animation à l’ancienne en 2D (comme le fut Blanche-Neige en 1937) qui a demandé environ 150 000 cellulos* peints et dessinés à la main. * cellulo : feuille plastique transparente d'acétate de cellulose sur laquelle on peint à la main les différents éléments d'un dessin animé. 1. Hayao Miyazaki : éléments biographiques et leurs incidences sur son œuvre. L’inspiration américaine Très célèbre au Japon, Miyazaki est l’objet d’un véritable culte dans son pays et à l’étranger. Né en 1941, Miyazaki connaît le Japon dévasté de l’après-guerre et son redressement spectaculaire dans les années 50. Occupé par les Américains (de 1945 à 1952), le Japon s’inspire des œuvres cinématographiques qu’on lui montre à l’époque et notamment des films d’animation de Disney : Dumbo, Blanche-Neige, Pinocchio et Fantasia. Les studios japonais s’organisent alors de la même manière que les grands studios hollywoodiens, et produisent entre 300 et 400 longs-métrages par an. Parmi eux, le studio Toei (auteur du Prince Saphir, Candy, Albator) développe l’animation : Miyazaki est employé au studio Toei comme intervalliste*. * intervalliste : Le travail de l'intervalliste consiste à dessiner les dessins manquants (majoritaires) pour assurer un mouvement fluide lors de l'animation. Le rapport à la nature A la fin des années 50, le Japon s’est reconstruit et est redevenu la première puissance asiatique. Mais cette renaissance économique et physique a un prix car elle se fait aux dépens de l’environnement. La priorité étant donnée à la reconstruction des industries, le Japon ne pense pas à son environnement. Le scandale Minamata : Ville portuaire du Sud-Ouest du Japon, où s’est établie une usine pétrochimique. Perçue comme un modèle de réussite économique, l’usine est pourtant au cœur d’un scandale. Au début des années 60, on assiste à une attitude étrange chez les animaux : ceux-ci perdent l’orientation, se jettent dans l’eau. Des personnes âgées perdent l’équilibre, deviennent aveugles. On découvre alors au milieu des années 60 que l’usine déverse dans l’océan des résidus de mercure qui contamine les poissons, base de l’alimentation des habitants. Miyazaki, contemporain de cette catastrophe, fait référence à la maladie Minamata dans Princesse Mononoké (le jeune Ashitaka est victime d’une malédiction qui lui gangrène le bras). De manière plus générale, Miyazaki parle d’un Japon où l’environnement est malmené et du rapport particulier qu’entretiennent les Japonais avec la nature. Le rapport avec Disney Insatisfait des films qu’il fait à la Toei, Miyazaki fonde dans les années 80 le studio Ghibli avec son compère Isao Takahata, auteur du Tombeau des Lucioles. Princesse Mononoké, septième long-métrage de Miyazaki connaît un grand succès au Japon et dans le monde entier. Considéré comme le successeur de Disney, Miyazaki n’en propose pas moins une vision du monde différente. Les points de vue de Disney et Miyazaki divergent. - Disney s’inspire du patrimoine littéraire européen, conçoit et écrit ses films selon le même modèle narratif : le héros, accompagné d’adjuvants et d’opposants, doit surmonter des obstacles et des conflits. La fin de ses épreuves est marquée par un changement chez ce héros qui a appris et grandi. Disney raconte la lutte entre le bien et le mal. Les personnages sont dessinés d’un seul trait en termes de psychologie. Les gestuelles, les voix et les dessins permettent de catégoriser les personnages. - Le monde de Miyazaki est plus complexe. Les personnages sont écrits différemment et la démarcation entre le bien et le mal n’est pas aussi évidente. Les personnages ne sont ni gentils ni méchants mais obéissent à leurs propres intérêts car tous luttent pour leur survie. Princesse Mononoké organise ainsi des oppositions de vision. Les personnages féminins par exemple sont des guerrières, des sages, et luttent pour survivre. Elles incarnent le pouvoir et ne sont inscrites ni dans le camp du bien ni dans celui du mal. Outre la vision moderne que Miyazaki leur donne (le Japon est une société patriarcale), il les différencie également de l’image qu’elles ont chez Disney qui en faisait des vierges effarouchées ou des sorcières. Quant à la trame narrative, elle est plus complexe que chez Disney : le scénario contient beaucoup d’intrigues, ce qui est déroutant pour le spectateur qui doit déployer un maximum de concentration. 2. Pour aborder le film A. Quels sont les personnages principaux de ce film ? S’il est vrai que Princesse Mononoké constitue le personnage éponyme du film, il est pour autant impossible d’en faire le personnage principal. Le film propose autant de visions que de personnages : il raconte le conflit de deux personnages féminins (San et Dame Eboshi) et le lien que Ashitaka, le jeune guerrier, fait entre les deux. Les personnages féminins ni bons ni mauvais, luttent pour leur survie (cf ci-dessus) tandis que Ashitaka, valeureux guerrier, a aussi des accès de haine et peut se montrer injuste. Convoité par les femmes, il est également montré avec une charge érotique. C’est un archer : représentant la lucidité et la justice, il doit viser juste. Le début du film nous le montre blessé, souillé, maudit : la figure du jeune prince, à priori pur, est donc mise à mal mais c’est pourtant cette blessure qui le motive et fait de lui un héros. Ashitaka est un personnage ambivalent. Il est donc difficile de répondre : aucun des trois personnages ne se distingue par rapport aux autres. B. A quel genre appartient le film ? Film de guerre, film d’amour, film épique, film merveilleux : Princesse Mononoké n’appartient pas à un genre : c’est un film protéiforme. Pour les Japonais, le film appartient au genre le plus connu du cinéma japonais : le Jidai Geki, c’est-à-dire le film d’époque en costumes (à l’instar des 7 samouraïs). Princesse Mononoké est une fresque d’époque, extrêmement documenté : la période présentée est l’ère Muromachi, époque fondamentale qui va installer le Japon moderne. Le film est un excellent témoignage du Japon des 14 et 15èmes siècles. A l’époque, le pays est fermé sur lui-même, en proie à des guerres intestines, entre provinces. Celles-ci étaient dirigées par des Shogun qui avaient de moins en moins d’autorité sur les généraux de provinces qui s’émancipent et terrorisent les régions. Cette période de chaos et de conflits a également vu apparaître la riziculture : la nature est organisée et la métallurgie (armes à feu) se développe. Quant aux artisans, auparavant asservis à un temple ou à un Shogun, ils demandent au cours de cette ère Muromachi leur indépendance, ce qui génère des conflits. Princesse Mononoké montre ainsi des artisans qui s’émancipent des armées locales, les conflits qui en découlent. La cité des forges est une entité indépendante des autorités locales. C. Quels sont les deux décors principaux du film ? On distingue deux décors qui s’opposent et se font la guerre : la forêt et la cité des forges. La forêt a principalement été inspirée d’un lieu réel : les forêts de Yakushima. Marquant sa préférence pour cet espace naturel protégé, Miyazaki s’est rendu sur place avec son équipe et en a fait des dessins pour son film. Les forêts de Yakushima sont le strict équivalent de la forêt de Brocéliande, peuplées de mythique et de créatures fantastiques. Le rapport de l’homme à la nature : Parmi les civilisations primitives qui ont investi le Japon, on distingue : - Les Ainu : peuple pour qui la notion de guerre est étrangère. Selon lui, l’humain fait partie de la nature mais ne doit en aucun cas la cultiver. - Au 8ème siècle, le Japon est investi par les Wa : ceux-ci ont chassé les Ainu et ont développé la riziculture et la métallurgie. - Au 9ème siècle, le Japon est visité par les moines bouddhistes qui avaient pour mission d’éduquer la population. Pour eux, la nature devait être respectée mais domestiquée. Ces trois façons de se positionner par rapport à la nature ont donné plus tard le Japon féodal. Or, que disent les films de Miyazaki ? Ils racontent tous le rapport de l’homme avec la nature régi par la violence. La vision du monde de Miyazaki est celle-ci : nous devons vivre avec la nature et cela se fait dans la violence. Comment alors nous accorder avec elle ? Le rapport de l’homme avec la nature est une lutte qui existe depuis toujours et l’homme en est sorti vainqueur. Il s’agit en fait de luttes de pouvoir. Dans Princesse Mononoké : deux femmes ont une vision du monde : - San, à la fois humaine, animale et divine, représente la nature sauvage et indomptée. - Dame Eboshi soumet la nature et représente la civilisation, la domestication. Princesse Mononoké dit que plus l’être humain se civilise et s’émancipe de la nature, plus le pouvoir de la nature décroît : Dame Eboshi organise une cité au détriment de la nature mais elle n’est pas montrée comme méchante, exactement comme San. Quant à Ashitaka, il fait le lien entre les deux univers et permet au monde de se rééquilibrer : Ashitaka est l’artisan de cette réorganisation en établissant un nouveau dialogue entre la nature et la civilisation. Ainsi, si la violence régit le monde et les relations entre les hommes, la fin du film verse plus dans l’optimisme en montrant un début de dialogue et d’accord avec la nature et soulignant l’une des principales problématiques du film : comment nous accorder à la nature et entre nous ? La romance entre San et Ashitaka symbolise l’alliance possible entre l’homme et la nature. Pourtant, les deux personnages se séparent. Miyazaki semble dire que s’il n’y a pas fusion, il y a pourtant un dialogue possible, une réconciliation. Ce qu’il y a de plus important est en définitive ce rapprochement, cette forme d’accord et de compréhension mutuelle entre l’homme et la nature. L’aventure intime d’Ashitaka et de San renvoie ainsi à des destins collectifs et a une incidence sur le monde parce qu’elle le réorganise et le rééquilibre. D. Quelles sont les religions évoquées dans le film ? Au Japon, on distingue deux courants religieux : - Le bouddhisme : pensée qui encourage à croire en Bouddha et en la réincarnation. - Le shintoïsme : religion originelle, polythéiste, empreinte d’animisme (animus = esprit, âme). Les Japonais croient en une force vitale qui animent les éléments naturels : le vent, les rochers… pensent, agissent. Tout a une vie et a une action sur la vie de chacun. Miyazaki est un grand défenseur de l’animisme. Les divinités qui habitent les éléments s’appellent des Kami : le mot est souvent utilisé dans Princesse Mononoké ainsi que celui du Kami suprême : le Shishi Kami : le Dieu Cerf. Celuici est au centre du film. Dieu de la forêt, protéiforme, il est au-dessus de tout. Il n’agit ni en bien ni en mal et il faut le vénérer plus que les autres. La louve Moro qui a élevé San est un autre Kami. Pour faire la voix de Moro, Miyazaki s’est tourné vers Miwa*, une diva qui est un homme en réalité, un travesti. Il fallait pour incarner la divinité, quelqu’un qui transcende le genre humain. * En 2010, Pascal-Alex Vincent a consacré à Miwa un documentaire intitulé Miwa : à la recherche du Lézard Noir. Conclusion En 1998, Disney sort son dernier film d’animation en 2D : Frère des Ours. A cause du succès de Princesse Mononoké, la 2D devient le terrain privilégié des studios Ghibli. Il serait cependant simpliste de confronter le travail de Disney et celui de Miyazaki. En réalité, l’esthétique Disney a fortement influencé Miyazaki.