Télédétection et logique floue : diagnostic et prospections
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Télédétection et logique floue : diagnostic et prospections
Télédétection et logique floue : diagnostic et prospections temporelles de la déforestation sur un front pionnier tropical Gilles Selleron* Tania Mezzadri-Centeno** * GEODE, Géographie de l’environnement ; CNRS - UMR 5602 ;5, allées A. Machado 31058 Toulouse cedex1 – France [email protected] ** CPGEI / DAINF -CEFET-PR, Av. 7 de setembro 3165, CEP : 80230-901 - Curitiba-PR-Brésil [email protected] Résumé Les évolutions spatiales des écosystèmes anthropisés et leurs transformations au cours du temps suscitent de plus en plus d’intérêts pour les recherches sur l’environnement. Elles soulèvent un problème considérable en terme d’analyse prospective de l’espace. Une méthode originale est proposée : elle lie les procédures de « logique floue » au traitement d’images satellitales multidates. L’objectif est de permettre l’obtention de cartes extrapolées sur des pas de temps variables à partir d’une séquence multidate de cartographies représentant l’occupation du sol à des années distinctes. Le site test est localisé dans une région tropicale humide à saison alternée : le piémont oriental des Andes vénézuéliennes. Cet espace, observé sur plusieurs images du satellite Spot, est représentatif de la déforestation actuelle des fronts pionniers tropicaux. Le test expérimental fournit des résultats quantitatifs et cartographiques sur plusieurs projections temporelles dont la première, à cinq ans, a pu être validée avec un écart inférieur à deux pour cent grâce au traitement d’une image satellitale de la même date. Mots-Clés : Logique floue, prédiction, télédétection, front pionner, déforestation, cartographie, Venezuela Abstract Spatial evolutions of anthropized ecosystems and their transformations in the course of time are a special interest issue in researches about environment. This evolution raises a considerable problem in terms of space prospective analysis. We present a new method linking "fuzzy logic" procedures to the treating of multidate satellite pictures. The aim is to allow the obtaining of a prediction of terrain landscape for an established date from a sequence of n maps representing the terrain conditions for distinct years. The test-site is located in a tropical rain country of alternate seasons : the oriental piedmont of Andes Mountain in Venezuela. This large area - observed from several Spot satellite images - is typical of current deforestation in a pioneer tropical front. The experimental test shows cartographic and quantitative results on several temporal projections, the first of which, at five years, was validated with less than two per cent difference thanks to a satellite image from a similar date. Key-words : Fuzzy logic, prediction, remote sensing, pionner front, deforestation, map, Venezuela Introduction Les recherches sur l’environnement portent de plus en plus sur les évolutions spatiales des écosystèmes anthropisés et leurs transformations au cours du temps Ce constat est d’autant plus vrai lorsqu’on s’attache aux cas des fronts pionniers dont les mutations spatio-temporelles sont particulièrement saisissantes (DUV 94). En effet, de manière générale, ces fronts se caractérisent par « une dégradation forestière (qui) se manifeste par une régression des espaces boisés, un enfrichement complet de toutes les formations arborées, denses ou ouvertes, et leur remplacement par une autre utilisation des terres, pastorales ou agricoles » (POM 98). On peut aisément comparer les fronts pionniers aux essartages pratiqués régulièrement dans la vieille Europe autour des domaines royaux et monastiques. Mais si cette dernière pratique s’est étalée dans le temps, tout au long du Moyen Âge, il en est différemment de nos jours. D’un côté, une soif irrépressible de nouvelles terres à cultiver pour satisfaire les besoins d’une population agraire dont la pression démographique s’accroît fortement et, de l’autre, des moyens matériels modernes et considérables, se conjuguent pour créer un bouleversement de domaines forestiers tropicaux jusqu’alors peu ou mal exploités, et ce, sur une très courte durée, de l’ordre de trente ans. A cette échelle de temps, globalement, le résultat ne peut apparaître à la fois que brutal et inexorable. Même si la prudence semble de mise vis-à-vis des estimations chiffrées, mondialement, la destruction annuelle des forêts tropicales avoisine 200 000 Km2 (COL 96). Elle affecte en particulier l’Amérique Latine qui est l’un des continents où elle est la plus active. Au Venezuela, elle est estimée à 2 400 Km2 par an (ALB 96) dans un contexte national pourtant déjà fortement urbanisé. Mais, « La richesse évidente des terres encore non occupées provoque une active compétition où chacun tente de s’approprier le plus de terres possible » (TUL 94). Là, sur le site de Ticoporo, des pâturages extensifs aux qualités herbagères très diversifiées se substituent graduellement à la forêt et engendrent, à terme, une métamorphose majeure des conditions d’environnement de la région ainsi que l’émergence de nouveaux latifundiaires. Un phénomène spatio-temporel irrégulier Dans le cas présent étudié, si la déforestation affecte déjà plus du tiers de la région sur une période de 19 années, le phénomène n’en est pas pour autant continu, ni dans l’espace ni dans le temps. Il est temporellement irrégulier, constitué de paliers, de ruptures, d’accélérations, de régressions, voire de quasi- stagnation, du fait que ce sont des hommes -des paysans sans terres- qui constituent les agents principaux de la déforestation. Mais ici, en plus, cette dernière se double d’une pratique en l’occurrence totalement illégale puisque la déforestation est effectuée au sein d’une « réserve forestière » ! Ainsi, la répression militaire opérée contre ces « envahisseurs » illégaux se rajoute aux nombreux facteurs humains aléatoires (leur nombre, leurs outillages...) Mais ces facteurs nous sont précisément inconnus et non maîtrisables. Quant à sa dimension spatiale, là aussi, les surfaces déforestées prennent des formes variées caractérisées schématiquement comme du ponctuel grossissant (à partir de petites surfaces brûlées ou d’arbres tronçonnés au cœur d’un massif) et du linéaire s’élargissant (soit par prolongation des premiers axes de pénétration antérieurs, soient perpendiculairement à ceux-ci ; figure 2). Il en résulte ainsi au fil du temps un façonnage de nouvelles « parcelles » - des îlots forestiers discontinus et de dimensions très variables- entrecoupées d’un mitage de nouveaux pâturages également de formes diversifiées. Mais cet espace est toujours instable et sans cesse remis en cause tant que la forêt n’est pas entièrement coupée. Ce site semble représentatif de ce qui apparaît dans toute l’Amérique centrale et en Amazonie puisque « la disparition des forêts tropicales va de pair avec les multiples déchirements qui se produisent dans le rideau forestier. Ces forêts sont alors frappées d’un véritable processus d’insularisation…et, lorsque la forêt a été morcelée par les attaques anthropiques en « îlots forestiers », sa disparition s’accélère rapidement » (POM 98). Compte tenu de cette dynamique, si aucune intervention de décideurs ne s’affirme pour contrecarrer volontairement ce processus social aux impacts décisifs sur le milieu naturel, ces espaces forestiers tropicaux courent à leur disparition. Aujourd’hui, à ce rythme, les perspectives d’avenir sont même particulièrement inquiétantes. Que sera la forêt dans les prochaines années ? Telle est la question qui nous est soumise et que nous formulons aux décideurs (ministères, gestionnaires forestiers, maires...) par les résultats produits. La réponse nous conduit à développer un système capable de prédire des dynamiques spatio-temporelles sur des pas de temps variables permettant d’aller vers une meilleure évaluation des couvertures forestières futures afin d’anticiper ces évolutions pour mieux les maîtriser. La démonstration s’appuie sur un site test révélateur des problèmes en cause sur lequel sont appliquées les techniques de la télédétection puis celles de la logique floue. 1. Site expérimental, données satellitales et temporalité 1.1. La Réserve forestière de Ticoporo Sur le piémont oriental des Andes vénézuéliennes, la « Réserve forestière de Ticoporo », couvrant quelques 200 000 hectares, correspond à une forêt tropicale type, à la fois très riche en espèces arborées, très dense et de physionomies variées. La forêt dite « secondaire » l’emporte sur la forêt « primaire » -celle d’origine- puisque l’homme l’a au moins pénétrée une fois -et par conséquent brûlée- depuis sa conquête graduelle du territoire américain en 25 000 ans. Cette réserve est d'ores et déjà l'expression d'un des derniers lambeaux forestiers de la vaste plaine des Llanos traversée par l’Apure se jetant dans le fleuve Orénoque (figure 1). Un phénomène de déforestation, apparu au début des années 60, s'y est considérablement amplifié dans les années 80, sans jamais cesser depuis, du fait de mouvements migratoires spontanés de paysans andins fuyant leur ingrate cordillère pour conquérir la plaine. Pour eux, convoiter ces nouveaux espaces forestiers vierges à topographie plane plus aisés à défricher que les pentes montagneuses, c’est un territoire à prendre et à transformer en repoussant toujours plus loin la frontière naturelle. Dès lors, la déforestation a pu se développer, bien que de manière inégale à la fois dans le temps et dans l'espace, en fonction de facteurs variés : le statut juridique de la terre, le degré de technologie atteint et les groupes sociaux en présence. Géographiquement, à la fin des années 70, elle a d’abord affecté le pourtour du massif puis très rapidement le cœur même de la Réserve. Mais là, la régression forestière s’accomplit de deux manières très distinctes : d’un côté, une exploitation forestière industrielle mécanisée (un front de coupe méthodique et mécanisée –au bulldozer- sur sa bordure Est et Ouest), de l’autre, une déforestation par le feu (l'ancestrale culture sur brûlis) ou par tronçonnage (partie centrale) ; ces deux moyens pouvant parfois être associés. On comprend que ce dernier type de déforestation, bien que situé au sein du domaine forestier, n’a aucun objectif de gestion forestière mais est uniquement orienté vers la création de nouveaux pâturages. En plus, ce processus est contradictoire avec l’appellation de « réserve » donnée par le ministère de l’environnement, sous-entendant que le massif est protégé alors que ce phénomène est tout à fait illégal. C’est le type de propriété, son caractère mixte "Etat - privé", au cœur même de la réserve, qui en fait une cible privilégiée où se concentrent principalement ces nouveaux paysans. Cet espace très reconnaissable sur l’image satellitale de 1989 est entourée des deux propriétés forestières industrielles privées à concessions trentenaires et cinquantenaires dessinant les deux bras d'un fer à cheval bien visibles (figures 2 et 4). Là, la forêt, protégée par des milices privées, n’est aucunement affectée par le phénomène étudié. 1.2. Images satellitales et traitements multitemporels L’environnement se métamorphosant radicalement en quelques années, et en l’absence de cartographies traditionnelles actualisées, la répétitivité d'acquisition d’images satellitales sur un même site devenait l’outil de prédilection pour déterminer l’état des lieux du rapport complexe entre la nature et une société agraire nouvellement implantée. Pour conduire cette expérimentation, nous disposons d’une séquence de trois images satellitales Spot programmées respectivement en mars 1987, février 1989 et janvier 1994. Toutes calées sur une même saison végétative -sèche- elles sont presque totalement dépourvues de couverture nuageuse. A ces images, tel un document « historique » récent, s’est ajoutée une image Landsat-MSS de février 1975. Bien que de nature différente -80m de résolution au sol- elle constitue un atout vis-à-vis des trois autres puisqu’elle autorise un recul historique de près de vingt années. Figure 1. Localisation et positionnement des images satellitales ; délimitation du front pionnier de la « Réserve forestière de Ticoporo » au Venezuela. L’image couleur présentée en mode IRC (figure 2) permet de dégager les traits essentiels de la « Réserve » avec ses trois secteurs pourvus de deux statuts juridiques différents, les fronts de coupe industrielle et les axes principaux de pénétration illégale au sein de la zone centrale mixte « Etat-privé ». Pour les rendre compatibles et utilisables par le traitement d’images, ces quatre images sont corrigées géométriquement (polynôme d'ordre 1), superposées entre elles au pixel près. Les trois scènes Spot sont reéchantillonnées (méthode du plus proche voisin pour conserver des valeurs spectrales initiales) afin d’obtenir une image multisatellitale à 80 m de résolution au sol comprenant douze canaux (les trois longueurs d’onde : Vert, Rouge et Proche infrarouge à chaque date). Une méthodologie diachronique opérationnelle ciblée sur l’extraction de la déforestation a été mise au point (SEL 95) : elle consiste en une recherche des meilleures combinaisons colorées multidates -couplage des canaux au contenu radiomètrique le plus informatif entre deux dates-. Les cartographies comportent trois postes de nomenclature : espaces déforestés, pâturages et forêts. Une classification dirigée effectuée sur les seuls espaces déforestés permet d’obtenir des statistiques. Ce procédé s’est avéré en adéquation avec la réalité par une confrontation des résultats obtenus avec, d’une part, la connaissance historique de l'installation du front pionnier lui-même, et d’autre part, plusieurs missions de contrôle effectuées sur le terrain. Sa performance s’est également avérée valable quel que soit l’intervalle de temps considéré. Les résultats cartographiques acquis par le traitement d’images sont ensuite présentés ici sous une forme simplifiée : des cartes binaires comportant la nomenclature « forêt, non-forêt ». Cela signifie que des trois postes de nomenclature figurant en légende des images traitées « espaces déforestés, pâturages et forêts », il suffit d’extraire par binarisation les espaces demeurés en « forêt » sur chaque image, en somme, le négatif de la « déforestation » (figure 3). Février 1975 Mars 1987 Février 1989 Figure 3. Multiseuillages spectraux en 1975, 1987 et 1989 ; ( forêt restituée en noir ) 1.3. Temporalité, entités forestières et limitation du protocole expérimental Le temps est un critère évident dans la dynamique de l'environnement auquel se rapportent des notions d'histoire et de prévision (CLA 94). Les entités géographiques sont des objets identifiés, caractérisés thématiquement. Elles sont représentées spatialement et on en connaît la variation temporelle comme dans le cas forestier étudié. Le temps, conçu comme une hiérarchie d’évènements (WOR 95), peut produire des transformations sur la dimension spatiale des entités à travers des événements temporels que Lardon nomme des « mouvements d'entités » (LAR 97). Un événement peut être défini comme un fait qui peut entraîner l'évolution d'au moins un des attributs d'une entité (CLA 94), comme par exemple, la contraction d’une forêt ou une extension urbaine. Aussi l'information sur des phénomènes dynamiques résulte principalement de l'interaction de deux processus relativement indépendants : le fait qui se produit réellement -l'objet de l'analyse- et le processus enregistré par un observateur (MEZ 98). Ainsi, une base de données peut stocker des informations historiques à des dates choisies caractérisant la surface d’une entité changeant au cours du temps (LAN 93). Ces dates ne sont pas forcément régulières, créant ainsi une percpetion discontinue tributaire des intervalles de temps plus ou moins longs: 12, 2 et 5 années d’intervalles distincts séparent les quatre images. C’est alors que le concept d'intervalle permet de modéliser de façon naturelle les événements qui ne sont pas instantanés mais conçus comme un processus et pourvus d’une durée (WOR 95). Une des fonctions de la modélisation spatio-temporelle choisie –la logique floue-, est d'étudier la variation de ces entités forestières tropicales et de leurs attributs au cours du temps ; des temps passés jusqu’aux extrapolations dirigées vers les temps futurs. Dans ce but, la modélisation utilise et se réfère à des règles statistiques comme, par exemple, les opérations d'interpolation qui permettent d'estimer des situations pour lesquelles les données ne sont pas disponibles. C’est précisément le cas de la prédiction de l’état futur d’un espace géographique. Mais si le facteur temps est continu, la plupart des applications sont fondées sur un modèle de temps discret. La littérature donne plusieurs raisons pratiques pour justifier la préférence du modèle discret sur le modèle continu (SNO 92). Ce constat s’applique dans le cas présent même si l’on doit rester conscient d’une certaine limitation du protocole expérimental puisque les extrapolations spatio-temporelles ne proviennent que d’un existant temporel faible : quatre images satellitales à notre disposition. Et malgré cet handicap, c’est pour des raisons scientifiques que, dans la démonstration présente, on s’est même refusé à inclure au modèle prédictif la quatrième image, la plus récente, celle de 1994. Tout simplement pour que cette image autorise une toute première évaluation du modèle à partir de la première projection temporelle volontairement ciblée sur l’année 1994. Par conséquent, quelles que soient les difficultés à saisir la dynamique d’un tel phénomène mais aussi parce qu’il est fondé sur une variation spatio-temporelle forte, un nombre limité de données –ici des images satellitales- suffisent à refléter les évolutions paysagères majeures passées. Elles autorisent ensuite des cartographies actualisées et des projections temporelles sur des pas de temps sélectionnés. Par ailleurs, le modèle utilisé ne prétend pas atteindre la réalité dans sa perfection mais de montrer les tendances fondamentales de la déforestation en cours sur ce front pionnier tropical. On peut donc le considérer comme étant un maillon d’une première phase méthodologique. De ce point de vue, la comparaison des résultats entre l’extrapolation et le traitement de l’image réelle de 1994, en fournissant une première évaluation et les limites du modèle mis en œuvre, devra et pourra contribuer ensuite à son amélioration. 2. Objectifs et méthode On se propose d’utiliser les données issues de la télédétection pour réaliser des scenari prospectifs du front pionnier. Car il est un fait que la télédétection, si elle autorise une perception correcte de l’espace terrestre du temps passé au temps présent et permet de retracer ainsi des dynamiques environnementales, en revanche, elle atteint là sa limitation temporelle. Par conséquent, il s’agit de projeter l’état actuel connu du front pionnier sur plusieurs dates à partir de la séquence d’images temporelles issue du traitement d’images en utilisant la logique floue pour réaliser une modélisation prédictive. 2.1. Positionnement méthodologique Pour prédire l’évolution d’un phénomène à l’instant tn+1 à partir d’une séquence de n images seuillées caractérisant des phénomènes spatio-temporels continus pour n moments t1, ... tn., plusieurs méthodes existent déjà. Celles qui analysent les mouvements d’objets sont fondées sur le suivi de segments de points particuliers d’objets étudiés. Mais celles-ci requièrent que ces objets ne changent pas de forme; ce qui n’est pas le cas dans l’exemple concerné. Ainsi, une autre méthode prédictive (MEZ96) utilisant les données géographiques vectorielles et ses notions fondamentales est fondée sur l’étude de la position d’entités spatiales sur chaque carte. Elle attribue une variation uniforme aux régions considérées et ne prend pas en compte différentes caractéristiques du terrain tels que les vallées, les rivières, les pentes, les routes, les villages ainsi que les destructions répétées par incendies. Aucun de ces facteurs n’étant considéré, cette méthode ne peut représenter totalement la réalité puisqu’il est évident que sur différents secteurs géographiques existent non pas une mais des évolutions diverses. Une méthode appliquant la morphologie mathématique sur des zones forestières en évolution a également été réalisée (VID 96). Le test de prédiction semblait apparemment performant. Néanmoins, cette méthode considérant seulement deux critères : la forme et les surfaces tout en négligeant d’autres facteurs importants ayant trait à l’évolution forestière elle-même, ne peut être retenue pour notre sujet. 2.2. La logique floue : une modélisation prédictive La méthode proposée ici utilise la logique floue pour déterminer le devenir (taille et forme) des espaces forestiers et le sens de leurs évolutions. L’avantage de procéder ainsi est que la prédiction reconnaît les zones où la mutation est la plus marquée, et, par conséquent, fournit des résultats plus pertinents qu’avec les méthodes précédemment décrites. Le modèle peut être également enrichi de données de terrain ; de variables qualitatives et quantitatives. La méthode considère que : - les évolutions sont de nature continue et ont des causes connues qui n’ont pas de raison d’être modifiées dans l’immédiat (déforestation) ; - les données géographiques sont représentées sous forme raster. La logique classique s'avère insuffisante pour exprimer la richesse de l'information géographique. L'incertitude est présente dans de nombreux processus géographiques dynamiques. Ceci est dû à un ensemble de facteurs : les concepts imprécis inhérents au raisonnement humain, l'imprécision de la langue de représentation des connaissances, l'existence d'informations incomplètes et la redondance ou le conflit entre données issues de différentes sources. De plus, le problème de la représentation des frontières se pose dans l'identification des objets environnementaux. Quand l'incertitude existe, il est difficile d'établir un seuil pour la détermination des frontières. Beaucoup de phénomènes géographiques ont des frontières floues. Par exemple, la délimitation exacte entre une région incendiée et celle qui ne l’est pas peut être difficilement repérable ; une zone de transition peut alors exister entre ces deux espaces dont l’origine est souvent déterminée par des facteurs environnementaux. Cette zone de transition peut être représentée de façon floue en faisant intervenir la théorie des sous-ensembles flous (MEZ 98). Ainsi, peut-on prévoir la manipulation de l'imprécision et de l'incertitude qui est justement traitée par la logique floue (ZAD 88). Cette théorie suggère que l'inclusion d'un élément dans un ensemble est une question de détermination de son degré d'appartenance à cet ensemble. Le concept de sous-ensemble flou constitue un assouplissement de celui de sous-ensemble d'un ensemble donné (MEZ 98). Il est possible de représenter une image floue (donc un sous-ensemble flou) par un ensemble de sous-ensembles ordinaires. La façon la plus simple de réaliser cette approximation est de fixer une limite inférieure aux degrés d'appartenance pris en considération. Ainsi, obtient-on un sous-ensemble ordinaire, nommé « α-coupe », qui est une approximation discrète d'un sous-ensemble flou. On construit donc le sous-ensemble ordinaire Aα de U associé à A Є f(U) pour le seuil α, en sélectionnant tous les éléments de U qui appartiennent à A avec un degré au moins égal à α. Plus précisément, étant donné un sous-ensemble flou A défini sur U et un seuil α Є [0,1], on définit le sous-ensemble ordinaire Aα de U, comme le sous-ensemble : Aα = {x Є U | µA(x) ≥ α } Par conséquent, l'α-coupe d'un sous-ensemble flou A est le sous-ensemble ordinaire qui contient tous les éléments de l'ensemble U dont les degrés d'appartenance sont supérieurs ou égaux à la valeur α. Dans le cas présent, différentes valeurs d’α-coupe seront choisies pour chaque année de prédiction. 2.2. Extrapolation des données Le problème consiste à trouver une fonction qui effectue une « extrapolation » à partir des valeurs des surfaces obtenues aux dates précédentes. Mais, comme cela a été discuté précédemment (§ 1.3.), les données n’ayant pas un comportement linéaire et le faible nombre d’images rendent difficile l'obtention de la fonction représentant de façon appropriée la variation des valeurs de surface dans le temps. Pour pallier ce manque, une courbe hyperbolique a été choisie. Les méthodes d’ajustement de courbe rassemblent toutes les techniques permettant de trouver des relations entre une variable dépendante et une ou plusieurs autres variables. Par exemple, à partir de deux variables liées x (temps) et y (valeur de l'attribut), on cherche à exprimer la relation mathématique entre elles au moyen d'une équation liant ces variables. Dans notre cas, nous avons au maximum trois valeurs (que nous noterons S1, S2 et S3 pour simplifier les écritures) dans le temps correspondant aux trois cartes (t1, t2, t3). Si on place ces valeurs sur un repère de coordonnées cartésiennes, il est possible de visualiser une droite qui rapproche ces données (Figure 3). Cette droite, appelée courbe de tendance, est employée dans la détermination d’un modèle de prédiction (MEZ 98). Lors de cette étape, on décrit comment calculer un attribut. Pour ce faire, on utilise la courbe de tendance de la surface d’une région donnée. Pour cette étude, il s’agira de la surface totale du site à l'instant t4. Figure 3. Courbe de tendance Puisque dans notre approche le temps est une donnée importante, on calcule (prédit) la valeur de la surface (ici la surface totale du site) à l'instant tn+1 (t4 dans notre cas) en considérant que les données les plus récentes influent plus fortement sur les résultats. La méthode adoptée consiste à rechercher la courbe de tendance rapprochant l’ensemble des points. 2.3. Les étapes de la modélisation prédictive En partant de cartographies thématiques -les images satellitales en format raster- la méthode proposée se décompose en cinq étapes fondamentales (MEZ 98) : 1- calcul de la surface totale du phénomène spatio-temporel étudié à l’instant tn+1, 2- obtention des cartes de zones de progression et de régression, 3- détermination des directions privilégiées de progression ou de régression à travers le calcul d’un coefficient d’évolution, 45- obtention d’une carte d’évolution, obtention de la carte extrapolée. Lors de la phase 1, on procède à une première prédiction globale des surfaces de l’aire étudiée qui consiste à prédire une valeur de surface globale en appliquant aux données analytiques une méthode de régression linéaire adaptée (voir section 3.1). La valeur est calculée pour l’instant tn+1.. Puis, de ces documents thématiques multidates, à travers les moments t1,...,tn+1, sont obtenues différentes cartes représentant les zones de régression et de progression entre deux instants ti et ti+1, au moyen d’une simple soustraction. C’est ainsi que pour n instants, on obtient, dans la phase 2, n-1 cartes de zones de progression et n-1 cartes de zones de régression. Dans la phase 3, on calcule le coefficient d’évolution de chaque pixel, comme sa propension à progresser ou à régresser, en fonction de la distance spatiale et temporelle. Ainsi, plus le pixel est proche d’une région de progression (respectivement régression) et plus la région est de grande taille, plus le coefficient sera élevé. De surcroît, les données des dates les plus récentes seront plus influentes sur la tendance d’évolution. Enfin, le principe logique sous-jacent est qu’un point jouxtant une zone de progression aura une tendance plus prononcée à s’accroître qu’un point proche d’une zone de régression et vice versa comme des points de contrôle sur le terrain en correspondance avec les images en attestent. Donc, pour chaque pixel sont déterminées deux valeurs : la première indique une tendance du pixel à la progression, et la seconde, sa tendance à la régression. Chaque pixel reçoit ces deux valeurs exprimant deux tendances contraires. Soit p le nombre de zones de progression, soit n le nombre de cartes (pour n instants), Dk la distance du pixeli,j à la zone k, Sk la surface de la zone k et, enfin, Tt l’intervalle de temps entre la carte analysée et l’année de la carte prédite, le coefficient de progression de chaque pixel est défini par l’équation suivante : Coef Pr og i , j = n −1 ∑ t =1 ∑ p 1 Sk k =1 Dk T t de façon analogue, le coefficient de régression de chaque pixel prend la forme de : Coef r 1 ∑ S k k =1 Dk =∑ Tt t =1 n −1 Re g i , j où r, traduit le nombre de zones de régression. Le coefficient d’évolution correspond à une soustraction entre les deux précédents coefficients : Coef i,j = Coef Prog i,j - Coef Reg i,j Cette table des coefficients est ensuite normalisée sur des valeurs comprises en 0 et 1 de telle sorte que le coefficient d’évolution de chaque pixel de l’image soit déterminé par une fonction numérique fondée sur le facteur temps et la localisation du pixel en regard des zones de progression et de régression et des surfaces occupées par ces zones. Un coefficient à 0 indique que le pixel a toute sa potentialité vers un devenir en régression, voire la disparition, tandis qu’un coefficient égal à 1 indique une potentialité maximale vers la progression. On obtient une image de coefficients qui peut être interprétée comme un sous-ensemble flou (MEZ 98). A la phase 4, ce dernier est traduit par une image représentant la carte d’évolution de la région : soit une image en niveaux de gris dans un intervalle de valeurs allant de 0 (noir) à 255 (blanc) où le noir représente la progression et le blanc la régression. La phase 5 permet l’obtention de la carte extrapolée à l’instant tn+1. à partir de l’image de la carte d’évolution. La carte extrapolée finale est obtenue à partir d’applications successives d’α-coupe (KLI 95) à l’aide de la table des coefficients d’évolution, en choisissant l’α-coupe qui atteigne la valeur prédite de la surface totale en phase 1 (§.2.2.). Après avoir préalablement déterminé les limites supérieures αs et inférieure αi et l’intervalle entre les valeurs successives de α, on réalise la progression de tous les pixels dont la valeur de coefficient d’évolution est plus élevée que la limite supérieure et la régression des pixels dont la valeur des coefficients d’évolution est plus faible que celle de la limite inférieure. On calcule la valeur de la surface obtenue pour la totalité des pixels « forêt » à cette itération, puis cette valeur est comparée à la valeur prédite de la surface totale de la phase 1 énoncée. Si la valeur calculée est inférieure à la valeur projetée pour la surface totale à un instant tn+1., le processus est renouvelé avec les valeurs suivantes de α s et α i et ainsi successivement jusqu’à ce que la valeur de la surface totale atteigne la valeur projetée. Alors, la carte résultante devient la carte projetée pour l’instant tn+1 . 3. Dynamiques passées et futures de la déforestation 3.1. Résultats cartographiques et statistiques par télédétection L’étendue prise en compte pour l’expérimentation couvre une superficie de 167 772 hectares, soit 262 144 pixels équivalents à 42 % de la scène Spot (figure 1). La méthode de télédétection (SEL 95) a permis de cartographier l’évolution de l’occupation forestière et pastorale de 1975 à 1994 (figure 2) et d’obtenir une quantification des différents seuils atteints par la déforestation sur chaque image (tableau 1) ainsi que les grandes étapes de ce processus (tableau 2). 250 000 100,00% 200 000 80,00% Surfaces forestières en pixels 150 000 60,00% 100 000 40,00% Surfaces forestières en Ha 50 000 20,00% 0 taux de boisement en % 0,00% 1975 1987 1989 1994 Tableau 1. Evolution des surfaces forestières sur le front pionnier de Ticoporo. Déforestation Périodes ( en pixel ) ( en hectare ) ( en % ) 1975 – 1987 71 590 45 818 - 31 1987 – 1989 14 870 9 517 -9 1989 – 1994 2 984 1 909 -2 1975 – 1994 89 444 57 244 - 42 Tableau 2. Etapes de la déforestation aux différentes périodes à partir des images. La succession des images binarisées « forêt - non forêt » de chacune des quatre dates où les espaces forestiers demeurant sont figurés en noir, traduit immédiatement la dynamique des changements intervenus d’une date à l’autre. Ceux-ci affectent le cœur de la Réserve tandis que, simultanément, apparaissent les deux bras des domaines forestiers privés et protégés (figure 2). En 1975, la forêt domine et couvre 88 % de l’espace, alors qu’en 1994, pâturages et forêt sont en proportion presque équivalente : 46,2 contre 53,8 % pour la seconde. Autrement dit, 57 244 hectares de forêt ont été coupés en seulement 19 ans. La superficie globale transformée en nouveaux pâturages atteint 42 % du territoire. Ce constat n’est pas étonnant puisque « Le gouvernement ne pouvant pas assumer une action d’autorité trop difficile, cherche à escamoter le problème. D’ailleurs en 1992 les « invasores » (envahisseurs) ne sont plus officiellement nommés ainsi. Ils sont devenus des « occupantes » (TUL 94). Cependant, les chiffres montrent que le phénomène est irrégulier au cours du temps. Rapportée à la moyenne annuelle des coupes forestières qui s’établit à 1928 Ha pour ces 19 années, le nombre d’hectares de forêt détruits annuellement varie nettement pour chaque période considérée : 3845 Ha de 1975 à 1987 puis en augmentation avec 4758 Ha de 1987 à 1989 et, enfin, seulement 382 Ha de 1989 à 1994. Pour quelle raison ? Une première explication réside dans les aléas d’une situation illégale aux multiples variations : « La Garde Nationale intervient régulièrement contre les « envahisseurs », en pure perte… Les divergences d’intérêts demeurent considérables et elles s’expriment ouvertement à l’occasion d’interventions de l’armée visant à expulser les occupants « illégitimes ». A l’issue de celles-ci, la situation se tend davantage et entraîne de nouvelles invasions plus massives et plus organisées. Il se produit un va et vient d’occupants… Selon les mois, on passe d’une période de calme relatif, à une autre beaucoup plus tendue, ponctuée d’incendies volontaires de plantations forestières, de destructions de clôtures et même de violences physiques. »(TUL 94). 3.2. Projections temporelles par logique floue En utilisant la fusion de données, la méthode peut prendre en compte certaines caractéristiques du terrain ; des variables pouvant enrichir le modèle (§.2.2). Mais, dans un premier temps, à des fins de hiérarchisation des variables à implémenter, une seule donnée exogène est ici introduite. Il s’agit d’un masque géographique délimitant spatialement le secteur le plus concerné puisque le que le comportement spatio-temporel du phénomène étudié diffère considérablement de la forêt « industrielle » à la forêt « paysanne » (§.1.1). Ce masque isole la partie centrale délimitée par les cours d’eau jouxtant les deux forêts « industrielles » (figure 4). Les axes de pénétrations illégaux n’étant pas présentement retenus dans le modèle. Figure 4. Masque de la forêt « industrielle » (gris) et axes de pénétration du secteur mixte « Etat-privé ». C’est dans ce cadre spatial et temporel que les cinq étapes de la méthode sont réalisées. Ainsi, l’image floue des coefficients d’évolution est traduite sur la figure 5, tandis que la figure 6 révèle les espaces sujets à la déforestation par son intensité du gris foncé au blanc, soit un risque étalé de faible à fort. Figure 5. Image floue des coefficients d’évolution. Figure 6. Calcul des espaces sujets à la déforestation 3.3. Projection pour l’année 1994 et comparaison entre la carte projetée et l’inconocarte Pour répondre à la question du devenir à court et moyen termes de l’environnement forestier, les résultats cartographiques et statistiques précédents des trois premières années (1975, 87 et 89) servent de données de base à la projection pour l’année 1994 afin de la comparer aux données réelles. Viennent ensuite celles des année 2000, 2005 et 2010. La projection de la surface forestière exprimée pour l’année 1994 s’établit à : 141 623 pixels ; soit 90 639 hectares. Autrement dit, elle correspond à un nouvel accroissement de la déforestation mais inférieur à 2 %. Comparé aux statistiques du tableau 2, le phénomène connaîtrait une nette diminution. Précisons que l’image est traitée par binarisation de manière similaire que les précédentes (§ 1.2). Afin de fournir une évaluation du résultat statistique de la méthode de la logique floue, la figure 8 présente les deux résultats atteints pour la même année 1994 : l’image Spot traitée et la carte prédite. Les résultats établissent respectivement l’espace forestier à : 90 280 contre 90 639 hectares, soit une différence de 359 hectares ou un décalage de 1,7 %. En terme thématique, l’origine de ce décalage entre l’image projetée et l’image réelle provient principalement de la suppression quasi systématique des nombreux petits lambeaux forestiers épars encore perceptibles au Nord de l’iconocarte (figure 8-B). Autrement dit, ces îlots forestiers discontinus et de tailles variables, bien que minoritaires sur un espace pastoral dominant, auraient une probabilité moins forte que prévue d’être détruits contrairement au résultat fourni par la méthode de la modélisation prédictive. A ce stade, on peut émettre une hypothèse d’explication : si le principe énoncé en phase 1 semble globalement vrai, l’absence d’introduction de règles de comportements au modèle réduit certaines de ses capacités à extrapoler le devenir de ces petits îlots forestiers pour marquer davantage celui des plus grands massifs. B- Carte réelle (1994) A- Carte projetée 1994. Figure 8. Réalité et projection en 1994 3.4. Projection pour les années 2000, 2005 et 2010 La figure 7 et le tableau 3 expriment les résultats cartographiques et statistiques des projections autorisant une perception de l’évolution de la déforestation sur le front pionnier. Projections cartographiques Surface Forestière (en hectare ) Taux de boisement Année ( en pixel ) ( en % ) 1994 141 623 90 639 54% 2000 131 915 84 425 50,3 % 2005 125 216 80 138 47,7 % 2010 121 350 77 664 46,3 % Tableau 3. Projections cartographiques par la logique floue C’est en l’année 2000 qu’un tournant s’opèrerait et que les domaines pastoraux et forestiers atteindraient un équilibre, alors qu’en 2010, en atteignant près de 54 % du territoire, les pâturages supplanteraient la forêt. Globalement, de 1994 à 2010, 12 975 hectares seraient définitivement coupés, soit 14,3 %. Additionnés aux 57 244 hectares détruits précédemment, 70 219 hectares seraient métamorphosés en l’espace de 35 années, soit 47,6 % du territoire. Cependant, les résultats de la logique floue traduisent une disparition plus régulière de la forêt que pour la période antérieure, constituée davantage de ruptures, d’irrégularités. Ainsi, la moyenne annuelle de coupes chuterait de 1928 Ha (période antérieure) à 811 Ha / an sur les 16 nouvelles années jusqu’en 2010, avec les proportions suivantes : 6214 Ha jusqu’à l’an 2000, 4287 Ha de 2000 à 2005 et 2474 Ha de 2005 à 2010. Par conséquent, comparés à la déforestation des années 1975 - 1994, ces chiffres indiquent également une reprise du phénomène de déforestation, bien que celle-ci soit pourvue d’un taux de progression beaucoup moins élevé que dans la première période. 1994 2000 2005 2010 Figure 7. Projections cartographiques à quatre dates et avec masque Sur la figure 7, on observe que les trois autres secteurs géographiques de la carte subiraient des changements notoires : toujours davantage de « blanc » au centre, au Nord-Est et au Sud-Ouest. Mais, inexorablement, c’est bien le cœur de la « Réserve » qui serait le plus affecté : l’ensemble des lambeaux forestiers discontinus -déjà très éparpillés en 1989 dans les parties Nord-Ouest et centre- n’existeraient plus, tandis que le front pionnier se serait déplacé vers le Sud-Est en empruntant les quelques pénétrantes orientées Nord-Ouest – Sud-Est, bien marquées sur l’image de 1989 (figure 2). La projection apparaît logiquement comme une continuité, mais, en 1994, ces pénétrantes (incursions illégales matérialisées au sein du massif -figure 4-) auraient même presque totalement disparues. Par ailleurs, un mitage « noir » demeure : c’est dire qu’en l’espace de cinq années, les paysans n’auraient pas entièrement détruit cet ensemble forestier mais, qu’en plus, par une observation fine de la disposition des aplats noirs et blancs vers les directions Sud, Sud-Est et Sud-Ouest, il s’avérerait que les petites parcelles déjà déforestées en 1989 (liseré blanc dessinant un arc de cercle discontinu –figure 2) n’auraient point encore été modifiées. L’avance du front apparaîtrait donc, là, bloquée. La méthode de la modélisation prédictive semble bien avoir tenu compte du phénomène à la fois dans sa temporalité (diminution mais continuité de la déforestation sans doute liée à la prise de conscience que la quantité d’espace à déforester tend à s’épuiser mais contradictoirement que le travail entamé doit être achevé) et sa spatialisation : le centre est « attaqué » dans une direction allant globalement du nord-ouest vers le sud-est. Voilà la tendance que la méthode ici présentée permet d’affirmer si aucune mesure d’ordre économique, sociale et politique n’est préventivement déclenchée par les décideurs pour maintenir l’environnement forestier. Conclusions Une méthode d’observation à distance d’un front pionnier tropical, aux transformations paysagères brutales, liant le traitement d’images multidate à la logique floue, a été présentée. La description, la cartographie et la projection dans le temps, sur les années 1994 à 2010, de la dynamique du principal phénomène en cours : la déforestation et la conversion des espaces forestiers en de nouveaux pâturages extensifs, sont atteints. La méthode est fondée sur l’analyse des évolutions spatio-temporelles contenues sur une séquence de cartes thématiques issues d’images satellitales antérieures à 1989. Avec une nomenclature simplifiée « forêt - non forêt », le modèle d’évolution prend en compte l’histoire récente du front en sériant les régions forestières existantes sur chaque image. A partir de ces dernières, la logique floue permet de gérer les incertitudes et les imprécisions inhérentes qui entourent le modèle d’évolution de cet environnement forestier instable. Globalement, si l’on rapporte à notre étude les estimations statistiques du Ministère de l’Environnement du Venezuela précisant qu’« en 1980, 39 % de la surface forestière de Ticoporo est détruite », nous atteignons un chiffre comparable en 1987 par le traitement d’images spatiales. Enfin, l’évaluation de la projection en 1994, par comparaison des résultats de la logique floue avec une image satellitale acquise à la même date, fournit une estimation encourageante pour l’utilisation de la méthode spatio-temporelle décrite dans cet article. Cependant, cette comparaison exprime aussi les limites du protocole et certaines des hypothèses retenus. A l’avenir, la méthodologie pourrait être enrichie de règles de comportements explicites intégrant ainsi davantage l’ensemble des données de terrain disponibles. Les résultats d’extrapolation en seraient certainement affinés. Deux autres prolongements à cette étude serait envisageables. Le premier, pourrait enrichir la préocédure des quatre images au lieu des trois. Quant au second, l’acquisition d’une image satellitale de l’année 2000 autoriserait une évaluation spatiotemporelle très complémentaires. Thématiquement, les résultats de ce test expérimental confirment malheureusement un diagnostic global présenté en 1994 : « A présent, les espaces encore disponibles touchent à leur fin… le défrichement des Llanos Occidentales est en cours d’achèvement ». Mais le fait que les iconocartes et les projections spatio-temporelles expriment que la déforestation affecte le cœur même du massif, prouve la responsabilité majeure de l’Etat en la matière. Ainsi, « l’Etat n’est pas à l’origine de la déforestation, mais il n’a jamais eu ni les moyens, ni probablement la volonté de la freiner ou tout au moins d’en orienter l’évolution... Les terres basses ont donc servi d’exutoire à une partie de la population rurale andine » ; « ces espaces pionniers soulignent les carences et les impuissances de l’Etat…incapable de s’opposer ou même d’orienter le défrichement ainsi provoqué. Bien au contraire, sa décision de créer des Réserves forestières a accentué l’intensité du phénomène ». Le bilan paraît donc implacable : « Toute la région s’est convertie en un immense pâturage. Aujourd’hui, les habitants manquent de bois sur l’emplacement de ce qui fut l’une des plus belles forêts du pays » (TUL 94). Références (ALB 96) Albaladejo C., Tulet JC., « Les fronts pionniers de l’Amazonie brésilienne. La formation de nouveaux territoires ». Collection : Recherches et documents Amérique Latine. 358 p.; L’Harmattan. 1996. (CLA 94) Claramunt CF., Sede M.H., Prelaz-Droux R., Vidale L., « Sémantique et logique spatio-temporelles ». Revue internationale de géomatique, volume 4, pp. 165-180, 1994. 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