concours pour le recrutement complémentaire

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concours pour le recrutement complémentaire
CONCOURS POUR LE RECRUTEMENT COMPLÉMENTAIRE
DE CONSEILLERS DE TRIBUNAL ADMINISTRATIF
ET DE COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL
SESSION 2004
2ème épreuve : composition portant sur le droit administratif ou constitutionnel
Sujet : « Les lois du service public » aujourd'hui
« MEILLEURE COPIE »
Note attribuée : 16
Important : ce document est repris in extenso et
sans aucune modification de la part du Conseil d’Etat
Comment gérer au 21ème siècle les services publics ? Telle est, en substance,
l'interrogation majeure de nos gouvernants.
La notion de service public désigne les activités d'intérêt général assumées ou assurées
par des personnes publiques. En réalité, selon les périodes, l'intérêt général poursuivi par l'Etat
a été entendu de manière plus ou moins extensive de telle sorte que la notion de service public
a elle-même suivi ces fluctuations. Schématiquement, « l’Etat-gendarme » du XIXème siècle
centré sur des fonctions régaliennes limitées (justice, police, armée…) a laissé la place à une
conception d'un « Etat-providence » duquel les administrés pouvaient attendre beaucoup plus.
Le premier conflit mondial ainsi que la Crise économique de 1929 ont donc provoqué des
interventions de l'Etat dans de nombreux secteurs de la société. C'est l'époque, au niveau
local, d'un mouvement appelé le « socialisme municipal »: des douches publiques,
dispensaires et autres services sociaux sont créés et qualifiés de services publics. En cas de
contentieux, le juge administratif sera compétent et il appliquera un droit exorbitant du droit
commun : le droit administratif.
Face à ces nombreuses activités gérées par des personnes publiques - que ce soit
directement (sous la forme de régies) ou indirectement (des concessions sont conclues avec
des personnes privées dans des secteurs comme l'éclairage public, la distribution de l'eau, le
transport de voyageurs…)- la doctrine publiciste tente de dégager des grands principes
communs à toutes ces activités. Parce que l'intérêt général est poursuivi et que des personnes
publiques concourent à la gestion de ces services : un travail de théorisation va être tenté
notamment par le professeur Rolland qui dégage, dans les années vingt, les « lois de
Rolland » ou « lois du service public ».
Ces « lois du service public » ont donc vocation à former un corps de règles
communes à tous les services publics et, d'une certaine façon, à préciser le régime juridique
qui leur est applicable. Sont ainsi formulés les principes de continuité, d'adaptation, d'égalité
et de gratuité.
En réalité, dès leur formulation dans les années vingt, ces principes peuvent être
nuancés dans leur portée. Ainsi, la gratuité s'appliquera surtout aux services publics
obligatoires et ayant un caractère administratif (enseignement notamment…). Surtout l'arrêt
du Tribunal des conflits Bac d'Eloka de 1921 va avoir des répercussions fondamentales sur
cette tentative de théorisation. En effet, en dégageant la notion de « service public industriel et
commercial » et en soumettant ce contentieux au juge judiciaire, c'est une remise en cause de
la conception unitaire du service public. Les « SPIC » seront ainsi progressivement soumis à
un régime juridique mixte où le droit privé aura une place progressivement précisée. Pour
autant, les « lois du service public » nécessairement adaptées, nuancées, selon la nature du
service observé, vont perdurer dans leur vocation unificatrice.
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Evoquer les « lois du service public aujourd'hui » c'est donc s'attacher aux règles de
fonctionnement qui régissent les services publics actuels. Ainsi, on peut considérer que les
questions intéressant le pouvoir d'organisation du service public (la loi, le Premier ministre et
les chefs de service, pour schématiser) ne sont pas directement concernées par cette réflexion.
Cependant, lorsque l'on traite du pouvoir d'adaptation du service public, la question des
autorités compétentes pour l'adapter retombe, évidemment, sur la détermination des autorités
ayant un pouvoir d'organisation.
Si aujourd'hui les services publics sont au cœur des réflexions, c'est en raison des
influences nombreuses qui s'exercent sur les sources du droit en général et qui n'ont pas
épargné les sources du droit des services publics. En effet, le droit communautaire a pendant
longtemps été perçu comme une réelle menace pour les services publics français. En affirmant
la libre concurrence, en imposant de nombreuses dispositions en droit de la consommation ou
dans le droit des marchés publics, les activités traditionnellement gérées par des personnes
publiques - parfois en monopole - allaient-elles devoir s'adapter ? Le bilan que l'on peut
dresser ne saurait être alarmant. Si des adaptations ont été nécessaires, la conception évolutive
du service public a, à nouveau, trouvé à s'appliquer.
En effet, aujourd'hui la permanence des principes traditionnels du service public ( I.)
s'accompagne d'une prise en compte de nouvelles considérations ( II.)
I. La permanence des principes traditionnels du service public:
Si certains de ces principes sont aujourd'hui valorisés (B.), les « lois du service
public » dégagées dans les années vingt sont toujours applicables (A.).
A. Des principes traditionnels toujours applicables.
Les principes de continuité, d'adaptation constante, d'égalité et, dans une moindre
mesure, celui de gratuité, sont toujours les principes qui commandent le fonctionnement
actuel des services publics.
1. Continuité et adaptation constante.
Le principe d'adaptation repose sur une idée traditionnelle selon laquelle les
administrés n'ont aucun droit au maintien d'un service public mais peuvent toutefois
poursuivre le « bon fonctionnement » de ces services. La création ou la suppression d'un
service public national relève plutôt de la compétence du législateur. Pour les services publics
locaux, le pouvoir réglementaire local (d'exécution des lois) pourra supprimer ou créer des
services publics facultatifs prévus par des lois.
Ce principe permet évidemment aux SP de s'adapter aux évolutions de la société
(évolutions technologiques notamment).
Ainsi, au début du 20ème siècle, le passage de l'éclairage public au gaz à un éclairage
public électrique a provoqué de nombreux contentieux (CE, 1902, Gaz de Deville les Rouen ;
CE, 1916, affaire du « Gaz de Bordeaux »). Le principe d'adaptation des services publics va
alors déboucher sur la théorie de la mutabilité générale des contrats administratifs (CE, 1910,
Affaire des tramways de Marseille) : les concessions doivent pouvoir être unilatéralement
modifiées par la personne publique concédante qui souhaite « adapter » la gestion de ses
services aux besoins, à la demande des administrés…
Le principe de continuité quant à lui va être concilié, à partir de 1946, avec le droit de
grève. Avant 1946, la jurisprudence, ne trouvant aucun fondement au droit de grève, était très
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restrictive (CE, 1909, Winquell). Avec le préambule de la Constitution de 1946, et
l'affirmation du principe « le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le
réglementent », la situation change. Aucune loi générale n'intervenant, le juge administratif va
poser quelques principes généraux et reconnaître la compétence des chefs de service pour
éventuellement réglementer ce droit (CE, 1950, Dehaene). A partir de 1979, le Juge
constitutionnel aura l'occasion de concilier le droit de grève avec le principe de continuité luimême constitutionnalisé (CC, 1979, Droit de grève à la radiodiffusion).
Plus largement, le principe de continuité du service public fonde encore de
nombreuses théories du droit administratif : celle des circonstances exceptionnelles (même en
temps de guerre les services publics vont fonctionner quitte à déroger à certaines règles de la
légalité…), celle des fonctionnaires de fait, ou encore la théorie de l’imprévision (CE, 1916,
affaire du « Gaz de Bordeaux » : si un évènement extérieur aux parties et dépassant leurs
prévisions survient et porte atteinte à l'économie générale du contrat, une indemnité peut être
recherchée par le cocontractant de l'administration qui aura pris garde de bien continuer à
exécuter le service public dont il aurait la responsabilité…).
2. Le principe d'égalité
Ce principe a des fondements textuels solides (art 1er de la Déclaration des droits de
l'homme et du citoyen) ; il est aussi consacré en tant que principe général du droit par le juge
administratif (CE, 1961, Société des concerts du conservatoire).
L'égalité d'accès au service public est encore aujourd'hui reconnue ; qu'il s'agisse de
l'accès aux concours (CE, 1954, Barel) ou aux services publics proprement dits (pas de
différence de traitement entre des personnes se trouvant dans des situations identiques :
illustrations nombreuses en matière de tarification des services publics…).
La neutralité du service public a été consacrée par le juge constitutionnel comme un
corollaire du principe d'égalité. La laïcité est comprise dans l'exigence traditionnelle de
neutralité du service public. Ainsi, un agent du service public est soumis à une obligation de
réserve (CE, 1935, Bouzanquet) qui se traduira notamment, par l'obligation de ne pas porter
de signes religieux ostentatoires (CE, avis, 2000, Delle Marteaux). La laïcité sera analysée
plus en détail plus loin.
3. La gratuité
Des auteurs hésitent souvent à ranger la gratuité au rang des « lois du service public ».
On peut souligner que les services publics administratifs d'usage collectif sont plutôt gratuits
(justice, police…) alors que des services publics industriels et commerciaux d'usage
individuel seront en principe payants.
Remarquons que la suppression du droit de timbre pour déposer une requête devant le
juge administratif, du 1er janvier 2004, est une « petite » avancée du « principe » de gratuité
des services publics.
Si les principes traditionnels sont toujours applicables, certains d'entre eux sont
aujourd'hui revalorisés.
B. Des principes traditionnels sont toutefois revalorisés
L'actualité ne peut évidemment pas être écartée de la réflexion. Ainsi, la revendication
d'un « service minimum » dans les Services publics (1) ou la récente réaffirmation de la laïcité
dans l'enseignement (2) doivent être soulignées.
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1. La continuité du service public et la revendication d'un service minimum.
Cette revendication n'est pas nouvelle, elle n'en reste pas moins largement d'actualité.
Dans la conciliation qui est opérée entre exigences constitutionnelles contradictoires
(continuité du service public et droit de grève des agents de ce service), la place pour un
service minimum a été reconnue en matière audiovisuelle (CC, 1979, Grève à la
radiodiffusion). Evidemment, une loi posant un tel « service minimum » ne doit pas dénaturer
ou porter trop atteinte au droit de grève. Telle est, en substance, la position de nos juridictions.
Aujourd'hui, seules des lois sectorielles envisagent un « service minimum » : aucune
loi applicable à tous les services publics n'est donc envisagée. Cependant cette revendication
sera peut-être un jour prise en compte de manière plus générale: elle imposera alors une
nouvelle conciliation entre les principes traditionnels de fonctionnement du service public.
2. L'égalité et la nouvelle réaffirmation de la laïcité
La laïcité a de nombreux fondements textuels (article 1er de la Constitution de 1958,
article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, loi du 9 décembre 1905…).
Comme on l'a vu précédemment, elle est traditionnellement rattachée au principe de neutralité
du service public et donc au principe d'égalité.
En matière d'enseignement, une stricte neutralité est exigée des enseignants (CE, 2000,
Delle Marteaux) tandis que la liberté d'opinion des élèves - opinions religieuses et politiques peut s'exprimer dans la limite d'attitudes ostentatoires (CE, avis, 27 novembre 1989 ; CE,
1992, Kherouaa…).
Cependant, suite au travail de la commission Stasi, la loi du 3 mars 2004 est venue
réaffirmer avec force l'interdiction de porter des signes ostentatoires à l'école. Il est envisagé
de généraliser ces interdictions aux hôpitaux, etc.… Autrement dit, le principe traditionnel
d'égalité et de laïcité a récemment été revalorisé, réaffirmé solennellement, dans la loi du 3
mars 2004.
Si les « lois du service public » dégagées dans les années vingt sont toujours
applicables –même si dans leur portée elles peuvent évoluer- d'autres considérations semblent
aujourd'hui se diffuser dans le droit des services publics et constituer ainsi, progressivement,
de nouveaux principes communs à tous ces services.
II. La prise en compte de nouvelles considérations
Les facteurs du renouvellement des « lois du service public » (A.) permettent de mieux
percevoir leur contenu (B.).
A. Les facteurs du renouvellement des « lois du service public »
Ils sont essentiellement de deux ordres : le droit communautaire (qui repose sur des
considérations de libre concurrence…) et, de manière plus générale, le développement des
« droits des citoyens » - Ainsi, « l'administré » devient un « usager » du service public voire
un « client »1. Le droit communautaire
En étant fondé sur des principes de libre concurrence, de libre circulation… le droit
communautaire (qui prime la loi nationale) a évidemment été considéré comme une menace
pour de nombreux services publics (surtout ceux gérés en monopoles).
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La menace était réelle mais la « conception française » des services publics (si tant est
qu'elle ait une réelle existence) n'a pas été bouleversée. Un exemple aura trait à la
reconnaissance, par le droit communautaire, du « service d'intérêt économique général »
auquel des aides peuvent être, dans certaines hypothèses, apportées par les Etats (article 86 et
87 du T. sur l'Union Européenne). Certes, la notion de « service d'intérêt économique
général » semble plus restrictive que celle de « service public » mais on considère aujourd'hui
que « le noyau dur » des services publics français –et de leur mode de fonctionnement- n'est
pas remis en cause.
Un renouvellement des sources du droit des services publics est cependant constaté.
Le droit communautaire n'est pas étranger à cette évolution. Ainsi, le droit de la concurrence
est désormais pris en compte dans le droit des services publics (CE, 1996, Fédération
française des Sociétés d'assurance ; CE, 1997, Millou et Marais) ainsi que le droit de la
consommation (CE, 2001, Société des eaux du Nord ; s'agissant de la prohibition des clauses
abusives).
Un autre facteur de renouvellement des principes de fonctionnement du service public
doit être étudié.
2. Le développement progressif des « droits du citoyen » dans ses relations
avec l'administration
Le service public a-t-il changé de destinataire ? Autrefois « administrés », ce sont des
usagers parfois qualifiés de « consommateurs » voire de « clients » qui aujourd'hui sont en
relation avec ces services. La mutation n'est évidemment pas uniquement sémantique.
Les premières étapes de cette consécration des droits des usagers sont : la loi du 17
juillet 1978 sur l'accès aux documents administratifs ainsi que celle du 11 janvier 1979 sur la
motivation des actes administratifs. Plus récemment, la loi du 12 avril 2000 relative « aux
droits des citoyens dans leurs relations avec l'administration » participe de cette même idée :
une meilleure transparence et efficacité du SP.
Développons à présent les nouvelles « lois du service public » qui progressivement
s'affirment et s'imposent à tous ces services.
B. De nouvelles « lois du service public » apparaissent progressivement
1. Vers un principe « d'égale concurrence »
L'évolution de la jurisprudence administrative est flagrante. Après avoir, en principe,
refusé aux personnes publiques qu'elles puissent concurrencer des activités relevant de
personnes privées (CE, 1901, Casanova ; s'agissant de la création par une commune d'un
service médical), le juge administratif a nuancé cette interdiction. En 1930, dans l'arrêt
Chambre syndicale de commerce de Nevers, le Conseil d'Etat accepte que des personnes
publiques interviennent dans des activités où une carence de l'initiative privée est constatée.
Cette position permettra la création de très nombreux services publics locaux (piscines,
bibliothèques, cinémas municipaux).
Aujourd'hui, après avoir intégré dans les sources de la légalité le droit de la
concurrence (arrêts précités) le juge administratif a précisé que lorsqu'une personne publique
gère une activité économique ou souhaite candidater à un marché public, elle est soumise à un
principe d'égale concurrence (CE, 2000, Blanchisseries de Pantin). Ainsi, une activité d'une
personne publique, même qualifiée de service public, ne doit pas créer de distorsion entre les
différents acteurs d'un même « marché ». Les éventuels avantages fiscaux de certains services
publics, ou des aides financières apportées par l'Etat, peuvent ainsi être rediscutés si l'activité
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en cause est déjà concurrentielle (et donc exercée par d'autres personnes notamment privées).
Tel est l'exemple actuel des télécommunications.
2. Les principes d'efficacité et de transparence
La transparence dans la gestion des services publics a déjà été consacrée par les lois de
1978 et 1979 susmentionnées. La loi du 12 avril 2000 a davantage concrétisé le droit d'accès
des usagers aux documents administratifs (compétences étendues de la Commission d'accès CADA- et redéfinition simplifiée des « documents communicables »). Ce souci de
transparence se manifeste évidemment dans le droit des marchés publics et dans la
réglementation des délégations de service public. En la matière, la loi « Sapin » de 1993, a
réellement mis en place un système où la concurrence et la transparence dans la gestion de
nombreuses activités de services publics sont garanties (aux futurs cocontractants de
l'administration souhaitant gérer une activité de SP ainsi « déléguée »).
Plus généralement, l'efficacité dans la gestion des services publics est autant un but
économique, un principe politique que, progressivement, une « loi du service public ». La
mise en place de comptabilités d'exercice, de gestion des dépenses par « missions » et
objectifs répond à cette recherche (la réforme au niveau de l'Etat est celle mise en place par la
LOLF du 1er août 2001 ; au niveau local, l'application du plan comptable illustre également
cette tendance).
Est-ce dire que traditionnellement les services publics étaient « mal » gérés?
Evidemment : non. Mais la conception néo-libérale de l'économie qui est aujourd'hui
dominante met en avant comme priorités la lutte contre des services déficitaires, la recherche
de rentabilité.
Dans le futur, l'aboutissement de l'entreprise de codification des textes applicables aux
services publics et, surtout, la mise en place de ce qu'on appelle déjà les « téléprocédures »
permettront d'encore mieux consolider ces principes d'efficacité et de transparence.
Ainsi les « lois du service public » perdurent tout en tenant compte des nouvelles
exigences de la société : elles sont donc elles-mêmes soumises au principe d'adaptation !