Vitamine B1 et foie

Transcription

Vitamine B1 et foie
L
Vitamine B1 et foie
S. Lévy*
Structure
La structure de la vitamine B1 comprend deux hétérocycles : un noyau
pyrimidique substitué et un noyau thiazole substitué, reliés par un pont méthylène (figure 1). Cette structure comprend une fonction alcool primaire, qui,
par des réactions de phosphorylation
enzymatique, permet la synthèse des
esters mono- (TMP), di- (TDP) et triphosphorique (TTP).
cence intense mise à profit pour sa
caractérisation et son dosage (1).
Sources et besoins
La vitamine B1 est essentiellement
apportée par l’alimentation ; elle est
présente dans la plupart des aliments.
La richesse des aliments, naturellement
faible, est très variable selon leur
nature, leur mode de conservation et de
préparation. En effet, les propriétés
physicochimiques de la thiamine
expliquent sa grande sensibilité
à l’oxydation, aux radiations, sa
H3C N
S
CH2CH2OR
N
CH2CH2OR H3C N
NH2 S
+
perte dans les eaux de cuisson.
N
N
N
N
CH3
CH3
+
Dans les habitudes alimentaires
Formes thiochromes
Oxydation
occidentales, les sources princiR–
pales de vitamine B1 sont représentées par les viandes et
H
Thiamine
O
volailles, les poissons, les
OH
TMP
OH
céréales et légumes secs ainsi
P
O
O
que les aliments supplémentés,
TDP
P O P OH
les compléments alimentaires et
OH
OH
les préparations multivitamiO
O
O
O
TTP
OH
niques.
P O
OH
OH
OH
Dans les tissus animaux, la vitaFigure 1. Structure de la vitamine B1.
mine B1 est présente sous forme
phosphorylée, tandis que la thiamine est la forme majeure des
Les esters phosphoriques peuvent être végétaux.
Certains
poissons,
hydrolysés par voie enzymatique in coquillages et crustacés, ainsi que les
vitro à des fins bioanalytiques. Par oxy- bactéries intestinales produisent de la
dation, la thiamine est transformée en thiaminase, responsable de l’hydrolyse
thiochrome, possédant une fluores- de la thiamine.
Les besoins quotidiens en thiamine sont
de 0,5 mg chez les nouveau-nés et nourrissons, croissent de 0,7 à 1,2 mg chez
l’enfant. Chez l’homme, les besoins
sont de 1,4 à1,5 mg et chez la femme
de 1,0 à 1,1 mg. Ces besoins sont aug* Service d’hépato-gastroentérologie,
mentés de 0,4 mg pendant la grossesse
hôpital Robert-Debré, CHU de Reims.
P
P
Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (16), n° 10, décembre 2002
La vitamine B1, ou thiamine,
fut la première substance
isolée contenant une fonction amine, d’où le terme proposé par Funk, en 1911, et
adopté pour désigner l’ensemble de la classe des facteurs
nutritionnels indispensables à la
vie : les vitamines. La substance
active fut isolée sous forme cristallisée à partir des cuticules de
riz par Jansen et Donath, en
1926. La formule chimique de
la thiamine et sa synthèse furent
établies par Williams, en1936.
La vitamine B1 est une vitamine
liposoluble indispensable au
métabolisme. La connaissance
de son métabolisme et des
conséquences d’une carence
permettent de mieux comprendre les difficultés et les
enjeux de l’évaluation du statut
en thiamine.
et 0,5 mg en cas d’allaitement. De plus,
les besoins augmentent avec les apports
en sucre.
Métabolisme et rôle
de la thiamine
Absorption, distribution
et élimination
Le site d’absorption de la thiamine sous
forme libre (les esters phosphoriques
sont déphosphorylés au niveau intestinal) est situé au niveau du duodénum
et du jéjunum selon un double système
d’absorption :
196
Mise au point
Mise au point
– à faibles concentrations (moins de
2 µM), la thiamine est absorbée selon
un processus actif (saturable) ;
– à hautes concentrations (plus de
2 µM), la thiamine est absorbée par diffusion passive.
Entrée dans l’entérocyte, la thiamine
subit des réactions de phosphorylation
et de déphosphorylation avec formation
de TMP, de TDP : la thiamine est
d’abord phosphorylée en TDP par une
thiamine diphosphokinase (TDK) cytoplasmique. Finalement, le TDP est
déphosphorylé pour passer dans la circulation sanguine. Une réaction de
transphosphorylation par une phosphomonoestérase, la phosphatase alcaline
intestinale, permet l’obtention de TMP
directement à partir de la thiamine.
Au total, l’absorption de la thiamine est
très faible et la biodisponibilité est de
5 % environ (2). Ainsi, afin d’améliorer l’efficacité de la thiaminothérapie
per os, des dérivés lipophiles de la thiamine ont été étudiés.
La thiamine est captée rapidement par
les cellules de l’organisme vraisemblablement grâce à un transporteur spécifique. Au niveau cellulaire, la thiamine
est transformée directement en TDP par
l’action de la TDK, forme d’accumulation intracytoplasmique de la thiamine, puis en TTP par l’action possible
de plusieurs enzymes dont l’adénylatekinase cytoplasmique et de la TDP :
ATP phosphotransférase mitochon-
Figure 2. Distribution de la thiamine (T) et de
ses esters mono- (TP), di- (TPP) et tri(TPPP) phosphorylés dans les globules
rouges, le plasma et les autres compartiments
tissulaires. Les flèches représentent les réactions de phosphorylation possibles.
driale. L’élimination de la cellule se fait
principalement sous forme de thiamine,
après déphosphorylations successives.
Au niveau du sang, la vitamine B1 se
trouve principalement dans les érythrocytes, à plus de 90% sous forme de TDP,
seule une faible fraction (essentiellement T et TMP en concentrations voisines) est présente dans le plasma (3, 4).
La vitamine B1 est éliminée dans les
urines, soit sous forme de thiamine
inchangée, soit après catabolisme en de
nombreux métabolites (figure 2). La
proportion éliminée sous forme de thiamine est proportionnelle aux apports.
Rôle de la thiamine
La vitamine B1 possède de nombreuses
fonctions, notamment comme cofacteur de régulation enzymatique et neuronale.
Deux types principaux de réactions
enzymatiques dites “TDP-dépendantes” sont régulés par le TDP : d’une
part, les réactions de transcétolisation
et, d’autre part, les réactions de décarboxylation des acides α-cétoniques.
La réaction de transcétolisation cytoplasmique est une étape clé de la voie
dite des pentoses phosphates, permettant notamment la régénération de
NADPH2. L’utilisation in vitro de ce
type de réaction a été mise à profit pour
doser indirectement le TDP.
La décarboxylation est réalisée par des
complexes multienzymatiques de structures voisines et dont l’une des
enzymes est TDP-dépendante. De cette
implication du TDP dans le métabolisme énergétique résulte l’explication
de la constitution de la “lésion biochimique” de la pathologie neurologique
par carence en vitamine B1 ; en effet,
la carence cellulaire en TDP implique
une diminution de l’ATP et une accumulation de lactate, contribuant à la
mort cellulaire et en particulier neuronale (5).
Sous sa forme TTP, la vitamine B1 est
douée de certaines propriétés neuromodulatrices en jouant un rôle modulateur des canaux chlore présents au
Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (16), n° 10, décembre 2002
niveau du cerveau. Cette propriété est
spécifique du vitamère TTP et n’est pas
partagée par son précurseur, le TDP.
De plus, la thiamine et ses esters phosphoriques sont impliqués dans le fonctionnement du système cholinergique,
du système sérotoninergique et le métabolisme de la dopamine.
Exploration du statut
en thiamine
Paramètres accessibles à l’analyse
Le dosage de métabolites accumulés en
excès à l’état basal ou après surcharge
en glucose (pyruvate, alpha-cétoglutarate, alanine) donnait des indications
peu précises; ce type d’investigation
doit être aujourd’hui abandonné. Quant
aux dosages directs de la thiamine par
spectrofluorimétrie, leur manque de
sensibilité et de spécificité ne permet
pas de réaliser des études précises. Les
méthodes microbiologiques souffrent
des difficultés inhérentes à ce type d’investigation : temps d’analyse important, mutations possibles des microorganismes, variabilité de réponse des
micro-organismes tests, interférences
possibles par les substances présentes
dans les milieux biologiques.
En pratique, le statut thiaminique est
bien évalué selon deux approches complémentaires :
–la détermination de l’activité transcétolasique érythrocytaire (6). La spécificité et la reproductibilité de la
détermination de l’activité transcétolasique érythrocytaire sont cependant
affectées par de nombreux facteurs,
dont le taux d’hémoglobine, l’acétaldéhyde et certains médicaments (oméprazole, par exemple) (7) ;
– le dosage de la thiamine et de ses esters
phosphoriques intraérythrocytaires par
chromatographie en phase liquide de
haute performance (CLHP) (8).
Il s’agit d’une technique de dosage
rapide et simple, après séparation par
CLHP de la thiamine non phosphory-
197
Mise au point
Mise au point
lée et de ses esters phosphoriques avec
détection des formes thiochromes correspondantes obtenues par une réaction
d’oxydation. Cette technique, plus sensible et spécifique, permet de détecter
de très faibles concentrations en thiamine et de ses esters (de l’ordre de 100 à
300 nM pour la thiamine totale, dont
plus de 80 % dans les érythrocytes
sous forme de TDP).
La description récente de cette technique explique en partie la difficulté
d’interprétation des résultats, apparemment discordants, dans différentes
situations pathologiques.
Valeurs fréquentes
•
Valeurs fréquentes pour l’activité
transcétolasique et l’effet TDP
Les valeurs de référence sont de 123206 U/l à 37° C pour l’activité transcétolasique avec un effet TDP de 0 à 20 %.
Une carence en vitamine B1 est objectivée par une activité transcétolasique
basse associée à un effet TDP élevé, ces
deux paramètres étant liés par une
régression de type hyperbolique (9).
Néanmoins, le statut thiaminique ne
doit pas être évalué uniquement par la
mesure de l’activité transcétolase, car
une activité transcétolasique normale
est parfois observée dans certains cas
de carence en vitamine B1 (9).
•
Valeurs fréquentes pour la thiamine
et ses esters phosphoriques intraérythrocytaires par CLHP
Les valeurs de référence pour TTP, TDP,
TMP et T respectivement à 0-20,
120-230, 0-5 et 0-10 nM, soit pour la
thiamine totale des valeurs normales à
126-250 nM (8). Il n’y a pas de variation liée au sexe.
• Comparaison de l’activité
transcétolasique avec la thiamine
et ses esters phosphoriques
Plusieurs équipes (9, 10) ont montré
que ces deux approches du statut thiaminique fournissent des résultats cohérents, confirmant ainsi que l’effet TDP
reflète le degré de saturation de la transcétolase par son coenzyme, et cela mal-
gré l’hétérogénéité de la transcétolase
érythrocytaire. Ces travaux prouvent la
pertinence de la détermination de l’activité transcétolasique réalisable sans
investissement lourd, contrairement à
la mesure de la thiamine et de ses esters
phosphoriques. La détermination par
CLHP de la thiamine et de ses esters
phosphoriques intraérythrocytaires permet cependant une approche plus sensible et spécifique du statut thiaminique. C’est la seule technique valable
pour objectiver une anomalie de la
phosphorylation de la thiamine (8, 9).
Manifestations cliniques
du déficit en thiamine
La carence en vitamine B1 est responsable de deux types de d’atteintes (11) :
– des atteintes cardiovasculaires : forme
“humide” du béribéri ;
– des atteintes du système nerveux :
forme “sèche” du béribéri et syndrome
de Wernicke-Korsakoff.
Dans la forme typique, les deux types
d’atteinte sont associés mais des formes
dissociées avec atteintes cardiovasculaires ou nerveuses seules existent.
Le béribéri cardiaque comprend trois
signes majeurs :
– vasodilatation périphérique ;
– insuffisance cardiaque globale ;
– rétention hydrosodée avec œdèmes.
Une tachycardie et une augmentation
de la pression sanguine sont associées.
Cette pathologie cardiovasculaire peut
évoluer selon un mode chronique ou un
mode aigu (shoshin béribéri) avec dyspnée, agitation et anxiété, puis décès
par collapsus cardiovasculaire.
Trois types d’atteintes du système nerveux sont décrits :
– neuropathies périphériques ;
– encéphalopathie de Wernicke ;
– syndrome de Korsakoff.
Les neuropathies sont caractérisées par
des troubles de la sensibilité, de la
motricité et des réflexes, affectant plus
Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (16), n° 10, décembre 2002
sévèrement les segments distaux des
membres. Chez l’alcoolique chronique,
ces neuropathies sont plurifactorielles :
carences vitaminiques diverses et toxicité de l’alcool.
L’encéphalopathie de Wernicke se traduit par l’apparition successive de différents signes : un nystagmus, puis une
ophtalmoplégie, uni- ou bilatérale associant fièvre, ataxie et détérioration
mentale progressive pouvant évoluer
jusqu’au coma et à la mort (ces signes
ne sont présents ensemble que dans
10 % des cas).
Un traitement vitaminique empirique
rapide, institué à la moindre présomption de Gayet-Wernicke, permet une disparition des signes (oculaires en premier) dès les premières heures. Des
séquelles motrices peuvent cependant
persister. Malgré la thiaminothérapie,
qui permet une amélioration des signes
dans 55 % des cas, un syndrome de
Korsakoff, parfois irréversible, peut succéder. Ce syndrome associe une amnésie antérograde, difficultés d’apprentissage et désorientation. Comme
l’encéphalopathie de Wernicke et le syndrome de Korsakoff sont deux étapes
successives d’un même processus, il est
classique de parler du syndrome de Wernicke-Korsakoff (tableau I).
Depuis l’avènement des techniques
modernes de dosage de la vitamine B1,
les formes atypiques de carence semblent plus fréquentes ; des lésions histopathologiques de Gayet-Wernicke ont
été observées en post mortem en l’absence de signe clinique évocateur (12).
TableauI. Syndrome de Wernicke-Korsakoff :
principales manifestations cliniques.
– Ophtalmoplégie
– Nystagmus
– Ataxie
– État confusionnel
– Amnésie
– Neuropathie périphérique
198
Mise au point
Mise au point
Par ailleurs, l’amélioration des connaissances de biochimie métabolique a permis d’individualiser des maladies héréditaires ou acquises thiaminodépendantes
(notamment certaines aminoacidopathies, comme le variant thiamine sensible
de la leucinose ou cétoacidurie à chaînes
ramifiées, certaines acidoses lactiques et
certaines anémies mégaloblastiques).
Variations pathologiques
du statut en thiamine
La vitamine B1 n’est pas toxique ; il
n’existe pas de situation de surcharge
en dehors d’une vitaminothérapie
inadaptée.
Carences physiologiques
•
Sujets âgés
Les sujets âgés, institutionnalisés ou
non, sont des cibles potentielles de la
carence en vitamine B1 (13). Les
causes possibles de survenue de cette
carence sont multiples : apports insuffisants, absorption intestinale altérée,
anomalies de la phosphorylation de la
thiamine ainsi que l’augmentation de la
clairance rénale par anomalie de la
fonction rénale.
•
Grossesse
Les vomissements de la grossesse
créent les conditions favorables pour la
survenue d’une carence en vitamine
B1 : augmentation des besoins ; carence
d’apport par vomissements et apports
glucidiques importants administrés
pour corriger ces vomissements. Ainsi,
la fréquence de cette carence peut
atteindre 40 % (14). Néanmoins, en cas
de grossesse normale et correctement
suivie, la carence en vitamine B1
semble très marginale.
Déficit en B1 et maladies du foie
•
Alcoolisme chronique
La cause majeure de carence en vitamine B1 est l’alcoolisme chronique.
Cette carence est fréquente parmi ces
malades puisqu’elle peut dépasser 30 %
(9). Les mécanismes de cette carence
semblent variables et multiples (15).
Cette carence vitaminique est à la fois
quantitative, par déficit d’apport et anomalie d’absorption intestinale (16),
mais aussi qualitative, par anomalie de
métabolisation de la thiamine.
L’éthanol est responsable d’une inhibition de la phosphorylation tissulaire de
la thiamine en TDP (17) et induit certainement une anomalie de la liaison de
la thiamine non phosphorylée aux protéines plasmatiques avec diminution de
la fraction libre ; en conséquence, la
thiamine est moins facilement captée
par la cellule (9). De plus, l’éthanol
pourrait inhiber ce transport vers le
milieu intracellulaire par sa toxicité
directe sur les membranes cellulaires,
ainsi que cela a été décrit pour l’anémie
mégaloblastique thiamine-sensible.
Afin d’expliquer l’hétérogénéité de la
gravité de la présentation clinique de la
carence en vitamine B1, certains
auteurs ont évoqué l’existence d’anomalies innées de la transcétolase avec
une constante de Michaelis-Menten
pour le TDP élevée (KTDPm), contribuant ainsi à la notion de sensibilité à
la carence thiaminique génétiquement
déterminée. Malheureusement, cette
hypothèse séduisante n’a pas été confirmée, ni par des études des propriétés
biochimiques de la transcétolase, ni par
des études du gène codant pour la transcétolase.
La fréquence de la carence thiaminique
chez les alcooliques chroniques s’explique également par l’augmentation de
la tolérance et de l’appétence à l’alcool
induites par cette carence (18).
Enfin, pour certains, la présence d’une
stéatose associée expliquerait la diminution des stocks hépatiques (15). En
fait, il ne semble pas exister de stock de
vitamine B1 à long terme.
•
Hépatite virale C
Nous avons récemment étudié, par
HPLC, le statut en thiamine de sujets
ayant une cirrhose alcoolique, une cirrhose virale C “compensée” ou une
hépatite chronique C sans cirrhose (19).
Dans ces trois groupes, la thiamine était
majoritairement présente sous forme
Tableau II. Concentrations intra-érythrocytaires de TDP, effet TDP et concentrations sériques d’albumine en fonction du statut en vitamine.
Cirrhose alcoolique
TDP (nmol/l)
ETDP (%)
Alb. (g/l)
Cirrhose virale C
Hépatite chronique C
avec déficit*
sans déficit
avec déficit*
sans déficit
avec déficit*
sans déficit
n = 10
n = 30
n=9
n = 39
n=0
n = 59
96,7 ±5
41,8 ± 23
34 ± 6,5
221,7 ± 81
6,7 ± 5,6
36 ± 7,6
104,4 ± 13
27,2 ± 3,7
37,4 ± 9,4
211,7 ± 69
10,7 ± 5,6
36,7 ± 7,2
_
_
_
194,7 ± 42
12,7 ± 4,8
46,2 ± 3,9
* Déficit = concentration intra-érythrocytaire de TDP inférieure ou égale à 120 nmol/l et effet TDP supérieur à 20 % (modifié d’après 19).
Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (16), n° 10, décembre 2002
199
Mise au point
Mise au point
diphosphorylée (TDP) dans les globules
rouges (tableau II). Les sujets atteints
de cirrhose virale C avaient une prévalence du déficit en thiamine comparable
à celle des cirrhotiques alcooliques ; la
concentration moyenne de TDP chez les
sujets déficitaires (TDP < 120 nmol/l)
n’était pas différente. Aucun sujet ayant
une hépatite chronique C sans cirrhose
n’avait de déficit. Dans notre étude, la
phosphorylation était normale dans les
trois groupes. Le statut en thiamine
n’était corrélé ni à la sévérité de la maladie, ni à l’activité inflammatoire de la
maladie virale.
Ces résultats suggèrent que la cirrhose
en elle-même pourrait être responsable
d’un déficit en thiamine.
Autres situations pathologiques
Les dénutritions sévères sont fréquentes au cours du sida ; aussi, la
carence en vitamine B1 est également
associée au sida et la supplémentation
en thiamine est justifiée (12).
L’administration prolongée de furosémide peut entraîner une carence en vitamine B1 (20). Le mécanisme évoqué
est une augmentation de l’élimination
urinaire de la thiamine, aggravant alors
l’insuffisance cardiaque pour laquelle
le furosémide est prescrit.
Des carences en vitamine B1 peuvent
survenir chez les sujets dialysés (hémodialyse et dialyse péritonéale chronique),
en cas d’administration de glucose i.v.
chez un patient asymptomatique mais
déficitaire en vitamine B1. Cette dernière étiologie est maintenant très rare
par l’administration fréquente de thiamine en cas de perfusion glucosée chez
les sujets à risque, principalement les
alcooliques chroniques.
Dans les pays en voie de développement, les carences en vitamine B1 surviennent principalement par la consommation de riz poli (défaut d’apport) ou
d’aliments riches en thiaminase (excès
de destruction).
En pratique, le mécanisme d’un déficit
en thiamine est probablement le plus
souvent multifactoriel et/ou de nature
inconnue. D’autres carences associées,
notamment vitaminiques, doivent être
recherchées.
Indications du traitement
par thiamine
Si la thiaminothérapie doit être instaurée rapidement, les prélèvements doivent être réalisés avant l’instauration du
traitement. Ce traitement constitue un
test thérapeutique. En effet, l’administration parentérale de quelques centaines de milligrammes de thiamine
conduit à une amélioration rapide du
malade.
Indications
•
Indications reconnues
– traitement du béribéri ;
– traitement de l’encéphalopathie de
Gayet-Wernicke chez l’alcoolique ;
– prévention du Gayet-Wernicke lors de
vomissements répétés, en particulier
chez la femme enceinte (hyperemesis
gravidarum) ou de certains troubles du
comportement alimentaire (anorexie
mentale) ;
– sevrage en alcool (du fait de la perfusion de sérum glucosé) ;
– alimentation parentérale prolongée ;
– jeûne prolongé, grève de la faim.
•
Indications possibles ou discutées
– épuration extra-rénale ;
– traitement prolongé par furosémide ;
– régime amaigrissant drastique ;
– sida ;
– encéphalopathie inexpliquée chez un
sujet ayant une cirrhose (en attente de
transplantation, par exemple).
Le sevrage en alcool n’est pas une indication en soi d’un traitement par thiamine ; en effet, la thiamine ne réduit pas
l’incidence du delirium tremens.
Posologie et voies d’administration
En France, la thiamine est disponible
sous forme de chlorhydrate ou de
Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (16), n° 10, décembre 2002
nitrate de thiamine. Aucune étude
contrôlée n’a montré une supériorité
d’une forme par rapport à l’autre en
termes de biodisponibilité et d’efficacité clinique. Des préparations orales
plus lipophiles, comme le disulfide de
thiamine (21), ont une meilleure biodisponibilité mais ne sont pas commercialisées en France.
Aucune forme orale n’est remboursée
par la Sécurité sociale ; seules deux présentations parentérales sont remboursées à 35 %. Certaines présentations
couramment utilisées ont une AMM
unique : “l’asthénie fonctionnelle”…
La posologie et la voie d’administration optimales de thiamine dans ces différentes indications n’ont fait l’objet de
peu (ou pas ?) d’études. En fonction de
l’indication (et de pratiques cliniques
empiriques), la posologie est donc
variable suivant que la vitaminothérapie est prescrite par un neurologue, un
psychiatre, un obstétricien ou un
hépato-gastroentérologue. La posologie du traitement par voie parentérale
varie de 150 à 800 mg/jour (en 3 à
4 fois) suivant les sources. La posologie minimale quotidienne par voie orale
serait de 10 mg en cas de traitement
associé avec un régime adapté. La
durée optimale du traitement n’est pas
connue non plus (intérêt d’une dose de
charge pendant les deux premiers jours
par exemple ?).
La forme parentérale est classiquement
utilisée en “traitement d’attaque” ou
administrée lorsque la voie orale n’est
pas possible. Elle est justifiée par certains du fait d’une possible malabsorption de la thiamine chez l’alcoolique
(en particulier, s’il est dénutri). Le
risque de survenue d’une réaction anaphylactique est possible, mais son incidence semble faible (inférieure à
1/100 000) ; une perfusion lente et
diluée dans 50 à 100 ml de glucosé à
5 % est recommandée. Aucune réaction
liée à la prise par voie orale de chlorhydrate de thiamine n’a été rapportée.
En pratique, le traitement doit débuter
en urgence essentiellement en cas d’encéphalopathie de Wernicke patente ou
200
Mise au point
Mise au point
suspectée : un traitement initial parentéral quotidien de 50 à 100 mg est généralement recommandé, suivi par 10 à
50 mg de thiamine orale par jour (en
3 fois) associé à un régime équilibré
pendant plusieurs semaines (22). En
l’absence de “médecine basée sur l’évidence” concernant les autres indications, les posologies et les voies d’administration peuvent être les mêmes.
Conclusion
Une carence en vitamine B1 est rare
mais souvent méconnue. Ses conséquences cliniques sont parfois graves,
et un traitement vitaminique doit être
institué au moindre signe évocateur de
carence ou en prophylaxie s’il existe
une situation clinique favorisante. Cette
attitude se justifie d’autant plus que le
traitement par vitamine B1 est peu
toxique. Cependant, en l’absence de
données pharmaco-cliniques, la posologie, la durée et les voies d’administration optimales ne sont pas connues.
Remerciements à Christian Hervé.
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