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GROS PLAN
Quelques cantons ne perçoivent pas du tout d’impôt en cas de
succession ou de donation et la plupart exonèrent le conjoint survivant
et les enfants, quelques cantons exceptés. Mais le fisc se délecte
toujours goulûment au détriment des autres héritiers – frère, sœur,
oncle, tante, non-parent – et des donataires ou donateurs.
Successions et donations
Particularités
fiscales cantonales
Victor Giordano
L
e tableau comparatif en page
de droite présente les impôts
dus, en cas d’héritage net de
50 000 ou 100 000 francs et de
donation de 50 000 francs faite
deux années de suite. La charge
fiscale à supporter peut varier du
simple au double, voire davantage
selon les cantons.
Nous abordons quelques cas types
et faisons donc l’impasse sur
plusieurs exceptions particulières.
Dans chaque canton, des dispositions générales méritent la
citation. Faisons le tour de la
Romandie!
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Propriété 10/2005
FRIBOURG
L’exonération est complète, pour
les successions comme pour les
donations, pour le conjoint, les
parents, enfants et petits-enfants.
Pour les autres héritiers et
donataires, à la taxe cantonale
s’ajoutent des centimes additionnels et une taxe communale. Ils
sont inclus dans le tableau. La taxe
s’applique à un immeuble sis dans
le canton et au donateur qui y est
domicilié.
GENÈVE
L’exonération du conjoint et des
parents en ligne directe n’est pas
accordée si le défunt était au bénéfice, durant les trois années écou-
lées, d’une imposition selon la
dépense. Les immeubles et les
autres biens sont pris en compte à
la valeur vénale, dettes déduites.
Les actifs cotés en bourse sont pris
en compte au cours du jour. A la
taxe cantonale s’ajoutent des centimes additionnels de 110% de la
taxe cantonale. Ils sont inclus dans
notre tableau.
JURA
Ce canton taxe (faiblement) la succession d’un conjoint et l’héritage
par les enfants du défunt. Un
immeuble, sis dans le canton, est
pris en compte à sa valeur fiscale,
Tableau comparatif des impôts dus
Cantons
Successions
Valeur nette
en francs
50000
Tout titulaire
d’un patrimoine
devrait avoir la
sagesse de rédiger
un testament
Donations
Valeur nette
en francs
100000
An 1
An 2
50000
50000
Conjoint
Fribourg
Genève
Jura
Neuchâtel
Valais
Vaud
0
0
500
0
0
0
0
0
1125
0
0
0
0
0
500
0
0
0
0
0
625
0
0
0
0
0
500
0
0
0
0
0
1125
1500
0
0
0
0
500
1500
0
0
0
0
625
1500
0
0
5000
8694
4218
7500
5000
6996
10000
17619
10312
15000
10000
16236
5000
8505
4218
7500
5000
6996
5000
9450
6093
7500
5000
8118
7500
10773
7031
10000
7500
10494
15000
21798
17187
20000
15000
24354
7500
9923
7031
10000
7500
10494
7500
10025
10156
10000
7500
12177
25000
24696
11250
22500
12500
20988
50000
49896
27500
45000
25000
48708
25000
22680
11250
22500
12500
20988
25000
25200
16250
22500
12500
24354
Enfants
Fribourg
Genève
Jura
Neuchâtel
Valais
Vaud
Studio Curchod
Frère-sœur
Fribourg
Genève
Jura
Neuchâtel
Valais
Vaud
Oncle-tante
moins la dette qui le grève. La
donation est imposée si le
donateur est domicilié dans le canton. La taxe ordinaire est augmentée d’une taxe additionnelle
fortement progressive. Maigre
consolation: l’exonération est
acquise pour des biens de moins
de 1000 francs et de faibles défalcations autorisées en dessous de
2000 francs (500 francs
déductibles) et 5000 francs (500
déductibles)! Enfin, les 20% de
toute taxe précitée reviennent à la
commune concernée.
NEUCHÂTEL
A l’exonération du conjoint
s’ajoute celle du partenaire enregistré depuis deux ans au moins.
Fribourg
Genève
Jura
Neuchâtel
Valais
Vaud
Hors parenté proche
Fribourg
Genève
Jura
Neuchâtel
Valais
Vaud
Dans chaque cas, la taxe est calculée dans le chef-lieu cantonal et
tient compte de la taxe communale éventuelle.
Propriété 10/2005
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Successions et donations
Une exonération jusqu’à 10 000
francs est aussi applicable au donataire et aux héritiers non exonérés
du fait de leur parenté ou de leur
statut civil (partenaire). Elle est
caduque au-delà de 10 000 francs
et en cas de donation effectuée
dans les cinq ans avant le décès.
Pour les enfants et les parents, une
déduction de 50 000 francs est
consentie en cas de succession. Elle
n’est pas accordée aux autres
parentèles. Les biens sont évalués à
leur valeur vénale, les immeubles
selon l’estimation cadastrale, les
biens cotés au cours du jour. Toute
dette grevant un bien est déductible, ainsi qu’un forfait de 7500
francs de frais funéraires, en cas de
succession. Pour un concubin
depuis cinq ans, le taux est ramené
à 20% (au lieu de 45%) en cas de
succession ou de donation.
VALAIS
Le conjoint et les parents en ligne
directe sont exonérés, ainsi que les
successions de moins de 10 000
francs et les donations de moins de
2000 francs par an. Les biens sont
estimés à leur valeur vénale. Pour
les immeubles, la valeur cadastrale
est retenue, déduction faite
notamment des dettes du défunt
et des frais d’enterrement. Le
défunt ou le donateur doit avoir
été ou être domicilié dans le canton. Les deux tiers du produit net
de l’impôt reviennent à la
commune concernée.
VAUD
Exonération totale du conjoint en
cas de succession ou de donation
et jusqu’à 250 000 francs des
enfants, en cas de succession, et
de 50 000 francs par enfant en cas
de donation. Taux allégés au-delà.
Les biens sont pris en compte à la
valeur vénale, aux 80% de la
valeur fiscale pour les immeubles.
Une donation est franche d’impôt
gilbertmaurer.ch
GROS PLAN
si elle ne dépasse pas 10 000 francs
par an, 50 000 francs pour les
enfants. Les dettes grevant les
biens et les frais funéraires usuels
sont déductibles.
Le transfert
Le temps des évolutions
est gratuit
Le droit de succession est défini
par le Code civil. Dans un couple,
faute de testament, le conjoint du
défunt hérite de la moitié s’il y a
des descendants et jusqu’à la totalité s’il n’y a pas de descendants.
S’il y a des descendants, c’est moitié-moitié entre enfant(s) et
conjoint. S’il y a un testament, il
doit tenir compte d’une part minimale, dite réservataire, dont un
héritier ne peut pas être privé. En
cas de testament, la part du
conjoint est alors de 3/8, mais d’un
quart s’il y a des descendants. La
part disponible qui peut être attribuée selon le testament varie en
fonction des liens de parenté des
éventuels héritiers réservataires.
Les donations et avancements
d’hoirie qui enfreignent la règle
des parts réservataires peuvent être
contestés en justice. Dans cet
article, nous n’examinons pas les
multiples aspects de ces questions
juridiques.
Indépendamment de la fiscalité,
plusieurs évolutions se produisent
dans le domaine des successions.
Les changements du mode de vie
rendent courants des cas autrefois
rares: enfants du premier lit,
familles recomposées, veuf ou
de biens entre
générations
dans certains
cas seulement
veuve remariés, etc. Une autre évolution est celle de l’âge des
héritiers. Vu l’allongement de la
vie, il n’est pas rare aujourd’hui
que les héritiers directs doivent
songer à préparer leur propre succession avant d’avoir bénéficié de
celle de leurs ascendants. Il peut en
résulter des complications qui
nécessitent aussi le recours à un
notaire qui sera de bon conseil.
Plus l’éventail des héritiers
potentiels est large et diversifié en
termes de liens de parenté notamment, plus ce recours se révélera
judicieux, surtout pour ceux qui
souhaitent éviter les fréquentes
divisions qui naissent au sein d’une
fratrie, notamment quand le montant à partager est important.
Nous n’abordons pas ces questions
et renvoyons à quelques guides
pratiques.
Citons parmi eux:
■ Le guide des successions,
Éditions Plus, 1006 Lausanne
■ Guide sur les testaments
et les legs, Éditions Pro Infirmis,
case 1342, 8032 Zurich
■ Droit matrimonial et droit
successoral, Office fédéral de la
justice: [email protected].
De quelques cas particuliers
L’infortune des fortunés
Les cantons de Vaud et Genève
accordent certains privilèges à de
riches étrangers. Ils sont taxés
selon la dépense et non plus en
fonction de leurs revenus réels.
Pour ces cantons, cela représente
quelques gros contribuables qui ne
cracheraient pas au bassinet cantonal si cet avantage ne leur était pas
concédé. Chacun est donc
gagnant.
Mais, en cas de décès, la situation change: la loi genevoise
stipule que «l’exemption de tout
droit de successions concédée à
tout conjoint survivant et aux
parents en ligne directe n’est pas
applicable si, durant une des trois
Propriété 10/2005
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GROS PLAN
Successions et donations
dernières années de sa vie,
le défunt était au bénéfice d’une
imposition d’après la dépense».
Il n’est pas exagéré de penser
que l’adoption de cette disposition
a pesé d’un certain poids dans la
décision d’un homme d’affaires
égyptien, septuagénaire que l’on
prétend milliardaire. Après s’être
installé durant dix-huit mois à
Genève, il s’est éclipsé sous le ciel
monégasque qui est lui exempt de
tout nuage fiscal menaçant les
héritiers de riches contribuables.
Dans le cas d’un banquier victime
récemment d’un meurtre présumé,
cette restriction d’exonération sera
applicable et pourrait rapporter
quelque 50 millions de francs au
fisc genevois...
Ce n’est pas le lieu de contester
ou d’approuver cette proposition.
Mais, comme souvent, la volonté
de supprimer une prétendue
inégalité de traitement en crée une
autre. Dans ce cas particulier, les
concubins (des deux sexes) pourraient à leur tour revendiquer
l’exonération qui ne serait accordée qu’aux partenaires de même
sexe... et invoquer eux aussi l’égalité de traitement.
Et une fleur aux «pacsés», une!
Ch. Guhl
Après l’adoption de la loi sur le
partenariat enregistré, un député
genevois a annoncé le dépôt d’un
projet de loi tendant à ne pas désavantager les partenaires par
rapport aux conjoints. Les
partenaires enregistrés devraient
donc selon lui être également
exemptés de tout droit de succession sur les biens provenant de leur
partenaire décédé.
6
Propriété 10/2005
chausse-trappes. Si malgré tout
des contestations surgissent entre
héritiers, particulièrement quant au
sort des immeubles, il est recommandé d’éviter que subsiste trop
longtemps une situation provisoire,
selon laquelle tous les biens appartiennent à une indivision, dans
l’attente que soit trouvée une solution des litiges en cours.
Plus on attend plus il se révélera
nécessaire de trancher le nœud de
la discorde. Si d’aventure un des
héritiers en litige décède, la complication ne fera que s’amplifier,
chaque décès donnant lieu à la
constitution d’une hoirie dès lors
impliquée dans la succession non
réglée…
Un risque à éviter: l’indivision
Il arrive fréquemment que des
divergences naissent dans une
famille, même très unie avant un
décès, au sujet de la répartition des
biens entre héritiers. L’absence de
dispositions testamentaires ainsi
que la méconnaissance des lois
applicables suscitent parfois des
animosités entre héritiers prétendants et réels. On ne saurait donc
assez conseiller à tout titulaire d’un
patrimoine, immobilier ou non, de
rédiger un testament, afin que ses
volontés soient connues. Le déposer chez un notaire est une preuve
de sagesse. Ce document pourra
au besoin être soumis à l’homme
de loi dont les connaissances et
l’expérience éviteront bien des
Héritiers amnistiés
Les partages
immobiliers
laissent
parfois
des traces
visibles
Il y a quelques mois, les Chambres
fédérales ont accepté que les héritiers ne soient pas contraints de
payer une amende découlant de
fraude fiscale commise par leurs
ascendants dont ils héritent. Cette
décision découle de la Convention
européenne des droits de
l’homme. D’autres projets
fédéraux d’amnistie fiscale font
l’objet de discussions depuis treize
ans. On attend un projet élaboré
par les services du Conseiller fédéral Hans-Rudolf Merz. On sait déjà
que l’amnistie serait partielle et
impliquerait le paiement des
impôts soustraits durant les trois
dernières années. Tout fraudeur
qui se dénonce spontanément ne
paierait ni amende, ni intérêts
moratoires, mais seulement les
impôts éludés par la fraude. Il n’est
toutefois pas certain qu’une telle
réforme trouve une majorité parlementaire qui l’approuve...
Relevons enfin que, si souvent
les enfants de sang et les enfants
de cœur sont l’objet de sentiments
identiques au sein de familles
recomposées, le fisc, lui, les taxe
différemment et n’est pas un
enfant de… chœur.
Successions et donations
Studio Curchod
GROS PLAN
Quatre questions
à Me Franco del Pero,
notaire à Morges
Il existe de grandes disparités
de taxation des successions et
donations entre les cantons. Une
uniformisation serait-elle
judicieuse?
Ces impôts relèvent de la
souveraineté fiscale des cantons
qui sont libres d’organiser la
taxation selon leurs conceptions et
leurs besoins financiers. Une
uniformisation, par délégation de
cette compétence à la
Confédération, n’est pas
envisageable.
On tend d’ailleurs depuis
quelques années vers une harmonisation de fait, puisque quasiment
tous les cantons ont allégé cet
impôt. Cela résulte d’une évolution
des conceptions quant à la légitimité d’une telle perception et aussi
des effets de la concurrence intercantonale; celle-ci est souvent
bénéfique, sur le plan fiscal.
■
Une motion parlementaire
fédérale préconise la suppression
des taxations cantonales et
l’instauration d’un impôt fédéral
comportant une large
exonération (jusqu’à un demi
million). Un tiers des recettes
■
8
Propriété 10/2005
«La création
d’un impôt
serait rétrocédé aux cantons,
le solde affecté aux dépenses de
santé. Qu’en pensez-vous?
Malgré l’état délicat de leurs
finances, les cantons allègent ou
suppriment de larges pans de leur
fiscalité successorale. Dans ce
contexte, la création d’un impôt
fédéral, quelles qu’en soient les
modalités, est inacceptable. Ce ne
serait qu’une manœuvre pour se
procurer de nouvelles recettes.
Certains jugent cet impôt
injuste, car il frappe des avoirs
issus du revenu du travail qui ont
déjà été imposés. D’autres
considèrent que la grande masse
des successions provient de plusvalues immobilières non
imposées tant qu’il n’y a pas de
vente et de plus-values
boursières (gain de fortune) aussi
non imposées. Quel est votre
avis?
Le revenu est imposé lors de son
acquisition. La partie économisée
est à nouveau taxée, chaque
année, au titre de l’imposition de
la fortune. Tout ou partie de ces
revenus ainsi épargnés affectée à
une acquisition immobilière donne
lieu à une imposition particulière
(droits de mutation ou d’enregis-
■
fédéral est
inacceptable»
trement). Si l’immeuble est ensuite
vendu, l’éventuelle plus-value est
taxée (impôt sur le gain
immobilier).
Le même patrimoine a donc déjà
été soumis à plusieurs reprises à
l’impôt. Est-il dès lors légitime de
taxer une nouvelle fois cette même
substance, lors de la transmission
par voie de succession ou de donation? D’ailleurs, le partage
ultérieur, entre les héritiers, des
éléments immobiliers d’une
succession est susceptible de donner lieu à son tour à une
perception des impôts immobiliers
liés à l’acquisition et à l’aliénation.
C’est cette surimposition qui, pour
une très large part, pousse les cantons à réduire leur fiscalité en ce
domaine.
Il y a de grandes disparités
internationales: exonération
quasiment totale en Italie et en
Allemagne (jusqu’à 850000
francs + 450000 par enfants),
partielle en Espagne et forte
taxation en France, etc. Une
certaine harmonisation est-elle
envisageable?
Le cadre juridique de l’Union
européenne permet-il d’envisager
une telle harmonisation? Je
l’ignore, mais j’observe, à travers
l’adoption de législations moins
lourdes, la mise en mouvement
d’une évolution semblable à celle
que connaissent les cantons
suisses. J’en tire deux réflexions:
d’une part, il n’est pas exclu que la
concurrence internationale
provoque, comme la concurrence
intercantonale en Suisse, une certaine uniformisation dans les pays
voisins. D’autre part, l’introduction
en Suisse d’une forte fiscalité successorale, par le biais par exemple
d’un impôt fédéral, combinée avec
un allégement de cette fiscalité
chez nos voisins, nuirait une fois de
plus à l’attrait déjà mis à mal de
notre pays.
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