Comment perçoivent-ils le temps qui passe

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Comment perçoivent-ils le temps qui passe
Comment perçoivent-ils le temps qui passe ?
Par Brunilde Ract-Madoux
Ethologue au refuge AVA.
En France, il n’est pas encore complètement entré dans les mœurs d’aller au travail avec son animal.
Cela signifie pour beaucoup de propriétaires que le temps passé au bureau pour eux est un temps
passé seul pour leur animal. Au mieux dans un jardin, au pire entre les quatre murs de la maison, ce
dernier est donc contraint plusieurs heures d’affilée à attendre le retour de son maître. Et que cette
attente soit de deux heures ou de 8 heures, il est bien difficile pour celui qui rentre à la maison de
savoir comment elle a été vécue par ce compagnon. Parfois, quelques « indices » laissés par l’animal
donnent une petite idée : des pantoufles détruites, un canapé grignoté, une plante qui gît sur le sol,
une petite mare ou pire une crotte au beau milieu du salon sont la preuve que le temps a été trop
long ! Mais souvent, si l’animal est propre et que l’absence n’a pas dépassé les limites de sa capacité
à se retenir, le propriétaire a bien du mal à affirmer si le chien ou le chat a eu conscience de la durée
réelle de l’ « éloignement ».
C’est pour tenter de répondre à cette interrogation que des chercheurs ont soumis des chiens à des
tests d’absence. Pour cela, ils ont filmé 25 chiens, connus pour ne pas souffrir d’anxiété de
séparation, durant l’absence de leur maître qui « disparaissait » pendant une demi-heure, deux
heures ou quatre heures. Si ces « expériences » n’ont révélé aucune différence de comportement
durant la période d’absence quelle que soit sa durée, elles ont montré des comportements
significativement différents au retour des propriétaires. En effet, les chiens qui avaient été séparés
de leur maître le plus longtemps avaient manifesté plus « franchement et ostensiblement » leur joie
à retrouver leur maître : activité plus importante, battements de la queue plus vigoureux…
visiblement, l’enthousiasme à rétablir le contact était plus manifeste. Doit-on en conclure pour
autant que cette intensité de comportements signifie que l’animal a pris conscience de la durée de la
séparation ? C’est un pas que les scientifiques n’osent pas encore franchir…
Ce qu’ils savent, en revanche, c’est la manière dont les animaux laissés seuls occupent leur temps.
Pour cela, il leur a suffi d’équiper 50 chats d’une caméra miniature et de voir ce qui se passe. Plutôt
actif dans la journée, le félin partage son temps « libre » entre ses postes d’observation (la fenêtre,
une porte vitrée), les pièces de la maison qu’il parcourt volontiers si les portes ne sont pas fermées,
les exercices physiques comme sauter, grimper, l’interaction avec les autres animaux et les allersretours à la gamelle qui sont finalement assez peu nombreux. Au total, d’après cette étude, notre
chat ne passerait que 18% de son temps à dormir, ce qui est assez peu pour cet animal réputé pour la
longueur de son sommeil dans la journée. C’est plutôt le chien qui a tendance à diminuer son activité
pendant l’absence de son maître pour privilégier le sommeil auquel il consacre la majorité de ce
temps lorsqu’il est loin de lui. Ce qui expliquerait son enthousiasme à le retrouver car cela signifie
pour lui la perspective de jeux ou d’interaction qui lui ont manqué dans la journée. Quant à la
prétendue « préscience » de notre retour dont nos animaux feraient preuve, elle ne serait due,
d’après les scientifiques, qu’à la routine que nous avons établie avec nos animaux de compagnie. Si
ils semblent nous attendre derrière la porte comme s’ils avaient pressenti l’imminence de notre
retour, c’est parce que, finalement, nous sommes assez ponctuels et que nous franchissons le seuil
de notre maison approximativement aux mêmes heures !
Si notre absence est vécue sensiblement bien par la plupart des chiens qui ne souffrent pas de
l’anxiété de séparation, c’est certainement parce qu’elle résulte d’un apprentissage (celui de la
solitude) et parce qu’elle s’inscrit dans un cadre d’absence relativement défini. Une fois par jour,
pendant un certain nombre d’heures qui permettent à l’animal d’échanger dans la journée et de faire
ses besoins (pour le chat, c’est moins important car il dispose d’une litière). Mais dès que ces phases
d’absence sortent de la routine (et donc de l’apprentissage) et génèrent un isolement répété et long,
elles ont des conséquences manifestes sur l’état de bien-être de l’animal. Et ce d’autant plus que le
propriétaire ne compense pas ce manque de stimulation à son retour, soit par une phase de jeux
endiablée lors des retrouvailles, soit par une promenade prolongée, soit par des caresses. Une étude
réalisée en Allemagne sur 1177 chats montre par exemple que les chats laissés seuls longtemps dans
la journée, et cela de manière répétée, sont ceux qui présentent le plus fréquemment des signes
d’anxiété qui se caractérisent par des léchages compulsifs, de la malpropreté ou des miaulements.
Pour les chiens, les nuisances peuvent être du même ordre : destructions, aboiements,
comportements compulsifs. Ainsi, plus que du temps qui passe, nos animaux souffrent du manque
de contacts répétés et de l’interaction avec leur maître, et ce d’autant plus qu’ils n’ont pas d’autre
interlocuteur que leur maître (un autre animal de leur espèce ou d’une autre espèce).
Perception du passé, du présent et du futur
S’ils ne voient pas le temps passer lorsqu’ils sont seuls à la maison, ils le voient encore moins se
dérouler tout au long de leur vie. Passé présent, futur… ne semblent pas exister de la même manière
que pour nous pour nos chats et chiens. Se rendent-ils comptent qu’un évènement s’est produit pour
eux dans le passé, qu’ils sont jeunes (ou vieux), ont-ils des envies, des projets pour les jours, les mois
à venir ? Il semble bien que les animaux sont comme « bloqués dans le temps » avec une perception
très limitée de son déroulement. Ils vivent au moment présent et ne peuvent pas mentalement
« voyager dans le temps ». En l’état actuel des connaissances scientifiques, les animaux n’ont pas fait
la preuve qu’ils se souviennent consciemment d’événements passés avec leur contexte (date, lieu et
état émotionnel) ou se remémorent des souvenirs. Plus simplement, leur mémoire leur permet de
stocker des informations apprises mais sans possibilité de dater l’événement et les circonstances de
l’événement. Ainsi, lorsqu’un chien réalise ce qu’on lui demande parce qu’il sait qu’il recevra une
récompense pour cela, c’est davantage dû au mécanisme d’apprentissage de son espèce qu’à une
capacité à se souvenir d’un événement. Le chien a associé que tel comportement déclenchait la
venue d’une récompense (friandise ou caresse) par le biais d’un conditionnement classique (de type
pavlovien). C’est le type de comportement qu’on retrouve suite à l’établissement d’une routine
quotidienne (horaires réguliers de repas, de promenades, etc.). Les événements routiniers sont
souvent accompagnés de signaux externes qui permettent à l’animal de se préparer et d’anticiper,
induisant des changements comportementaux de sa part. Par son caractère prévisible, la routine est
importante, notamment pour les horaires des repas, afin d’éviter des comportements de frustration
dus à l’attente. Le chien se souvient autant des bonnes que des mauvaises expériences, par
association des situations et des personnes, ou des événements avec les lieux. Il se souviendra de
personnes qu’il connaît, des lieux où il se promène, des pensions où il passe des vacances… mais sans
avoir réellement de référence dans le temps.
De la même manière, le chien et la plupart des animaux ne peuvent pas se projeter dans le futur et
anticiper à long terme, par exemple, des besoins ultérieurs. Une étude sur des singes a ainsi montré
que ces animaux pourtant évolués sont incapables de planifier leur faim future. Au cours d’une
expérience, les chercheurs ont démontré que lorsqu’on leur propose au choix deux quantités de
nourriture, ils optent systématiquement pour celle qui correspond à leur faim du moment sans
penser à prendre la plus grand quantité pour stocker en prévision d’une faim future. Toutefois, nous
connaissons tous des espèces qui engrangent de la nourriture en prévision d’un temps de disette.
L’écureuil et ses noisettes, le hamster et ses graines ou encore la marmotte ou l’ours qui ont des
besoins en graisse importants en vue de leur hibernation. Ces espèces-là agiraient-elles en
conséquence pour le futur ? Les scientifiques mettent actuellement l’accumulation de provisions sur
le compte des comportements spécifiques aux espèces, programmés génétiquement. Ils s’agiraient
dans ce cas, d’un instinct très fort qui les pousse à stocker pour ne pas mourir de faim durant l’hiver.
Jusqu’à preuve du contraire…
Rythme quotidien et rythme biologique
La plupart des propriétaires d’animaux de compagnie témoignent de la même expérience ; « Mon
chien/mon chat sait à quelle heure je vais le nourrir, le promener, rentrer du travail, mon fils va
rentrer de l’école, … ». C’est un fait, notre animal adopte des comportements particuliers à certains
moments de la journée, comme s’il savait ce qui va se passer. On peut expliquer cela grâce aux
rythmes biologiques qui permettent de gouverner toutes les fonctions (végétatives, hormonales et
comportementales) des animaux. Le rythme circadien, dont la durée est d’environ 24h, est régulé par
les variations quotidiennes de la lumière (alternance jour/nuit) et les fluctuations de sécrétions
hormonales. Les chiens et les chats dépendraient moins fortement de ce rythme que les singes, les
rongeurs et les oiseaux, qui suivent un modèle plus proche de celui de l’humain. Malgré tout, dicté
par ce rythme biologique, notre compagnon va nous faire savoir quand il a faim, il va se manifester
un peu avant notre retour du travail. Il réagit à un état biologique atteint à des moments particuliers
de la journée qui le fait agir de la même façon, au même moment tous les jours, face aux mêmes
stimuli. Mais sans savoir combien de temps se passe entre deux repas, ni à quelle heure ses
croquettes sont servies !

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