l`inculturation : chemin d`unite et dialogue de resurrection

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l`inculturation : chemin d`unite et dialogue de resurrection
L'INCULTURATION : CHEMIN D'UNITE
ET DIALOGUE DE RESURRECTION
@ L'Harmattan, 2008
5-7, rue de l'Ecole polytechnique;
75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com
[email protected]
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fr
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ISBN: 978-2-296-06567-3
EAN : 9782296065673
BLAISE BAYILI
L'INCULTURATION : CHEMIN D'UNITE
ET DIALOGUE DE RESURRECTION
La question de l'unité de l'Eglise, dialogue
avec la modernité et dialogue de résurrection
L 'HARMATTAN
Lauréat de la Fondation Gisèle et Gabriel Barthelemy de l'INSTITUT DE
FRANCE.
A mes parents et à ma famille tant éprouvés
dans leur chair et dans leur âme;
que la croix du christ (en eux) ne soit pas vaine.
A mon père Fidèle Ono BA Y/LL
catéchiste apôtre au coeur de feu et aux pieds infatigables
au service de l'Evangile et de l'Eglise une et catholique ,.
que sa vie et son zèle apostolique soient un arbre de vie à J8amais
planté dans le jardin du Christ et de son Eglise8
Introduction générale
Le message évangélique comporte-t-il une valeur d'élévation
salvifique pour les cultures et les traditions religieuses des peuples, et
a-t-il encore quelque chose de valable à dire aux hommes de notre
temps, emportés dans le vent de la modernité, de l'ultramodernité et de
la globalisation ? Le message de la Révélation pleinement donné dans
le Christ ressuscité peut-il être un lieu de surgissement de l'inespéré,
un lieu de « résurrection» mutuelle dans sa rencontre avec les
hommes de toutes les cultures et de notre temps? Dans un tel contexte
de diversité, de brassage culturelle et de recherche d'identité
multiforme, peut-on encore parler d'unité ecclésiale?
Depuis l'avènement historique du Concile Vatican II, l'Eglise a, de
façon inédite, pris une conscience vive de son rapport dynamique
entre la foi chrétienne et les cultures, entre le message de Dieu en
Christ et les hommes de ce temps, faisant valoir la puissance
libératrice de l'Evangile de façon absolument universelle. C'est ainsi
que, depuis quelques décennies, l'évangélisation des cultures est
devenue le centre des préoccupations « missionnaires» de l'Eglise, de
sorte que la rencontre entre l'Evangile et les différents peuples et
cultures constitue de nos jours l'un des traits les plus fascinants du
cheminement spirituel de l'humanité. Nous voilà donc en plein cœur
d'un phénomène qui se veut plus que jamais d'actualité,
« l'inculturation », c'est-à-dire le chemin du salut révélé en JésusChrist que l'Eglise propose à l'humanité entière en rejoignant de
l'intérieur chaque peuple ou culture, dans sa quête fondamentale, celle
de la transcendance existentielle. En ce sens, l'inculturation se
comprend comme un jaillissement de mentalité nouvelle, de
conscience renouvelée provenant de l'irruption et du travail d'une
Parole neuve dans l'existence des hommes d'une époque, d'une
culture, d'une religion, d'un contexte donné. Cette Parole neuve est le
dynamisme du Christ ressuscité dans I'histoire, dynamisme qui
devient une puissance de jugement c'est-à-dire une instance critique
de discernement par rapport aux réalités en présence et aux aspirations
d'hommes concrets en direction de Dieu et d'autrui. En cela,
l'inculturation suppose non seulement une création nouvelle de
pratiques mais aussi de discours tout en commandant une innovation
des modèles, le tout tenant compte des lieux et des époques.
On le devine bien, l'inculturation se laisse à saisir comme un dialogue
intime entre l'Evangile et la culture qui le reçoit, c'est-à-dire une
action mystérieuse qui s'opère entre la semence (l'Evangile de JésusChrist) et la terre (la culture) d'accueil. Comme dialogue intime,
l'inculturation suppose et exige que l'Eglise manifeste, dans une réelle
kenose non seulement une grande ouverture aux changements et aux
nouveautés de notre temps pour autant qu'il n'y a jamais
d'inculturation définitive! ni de discours ou pratiques universelles
susceptibles de transcender le temporel et le spatial, mais encore et
aussi un grand respect pour l'expérience humaine telle qu'elle est
vécue dans chaque culture, pour autant que c'est bien une telle
expérience humaine mystérieusement conduite par l'Esprit Saint, qui
constitue le premier sacrement (médiation) de la rencontre salutaire
avec le Père révélé par Jésus de Nazareth.
Et de fait, l'Eglise pe.ut être ou bien un véritable obstacle, ou bien un
heureux chemin pour l'inculturation de l'Evangile. Comme obstacle
éventuel, l'Eglise pourrait brandir son universalité en tant
qu'abstraction exhibant l'uniformité sous forme de stratégie exclusive
pour garantir son unité et sa catholicité. Al' opposé, en tant que
cllemin bienfaisant pour l'inculturation, elle peut faire de cette même
universalité, une réalité concrète et opérationnelle qui affirme un lien
existentiel avec tous les peuples et toutes les cultures, suivant la forme
christique même de la kenose, laquelle kenose nous enseigne qu'il n'y
a point de religion, d'Eglise et de culture qui soit absolue, parfaite,
d'où une reconnaissance humble des limites, des déviations et des
détours de tout cheminement vers le Royaume et donc du
cheminement de l'Eglise. Une telle reconnaissance faite d'humilité
donne à l'Eglise d'être une authentique voie salutaire vers le Christ,
pour et avec les hommes. Ainsi, en communiant intimement aux
expressions culturelles concrètes et variées de l'homme et
particulièrement aux expressions d'ouverture de l'humanité sur Dieu,
l'Eglise se fait témoin et servante de l'expression la plus concrète et
singulière du mouvement de Dieu vers l'humanité à savoir
1
«Depuis les origines du judéo-christianisme, le caractère provisoire de chaque
inculturation paraît manifeste. Il exige de la part des communautés de repenser et de
reformuler pour chaque époque, pour chaque lieu, pour chaque peuple, les
événements fondateurs de la foi judéo-chrétienne dans des modèles culturels
compréhensibles pour chacun» (Jean BACON,Les cultures à la rescousse de la foi,
Paris, mediaspaul, 2001, p. 193).
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l'incarnation-Résurrection, sous l'action de l'Esprit Saint, du Verbe de
Dieu en Jésus de Nazareth. C'est pourquoi, prenant à notre compte
cette constatation réaliste du cardinal J. Ratzinger, nous disons que
«l'Eglise est catholique, en réalité, quand elle ose dire: je suis
romaine et latine (et médiévale), mais je veux devenir amérindienne,
africaine, asiatique, chinoise (moderne, post-moderne)2. Et je suis prêt
à en payer le prix! »3. C'était là, renchérit le Cardinal J. Ratzinger, la
particularité et la singularité de l'Incarnation qui permettait à Jésus de
s'identifier radicalement avec l'humanité. Comme pour lever
définitivement toute équivoque en ce sens, H. U. von Balthasar, de
façon lapidaire, tranche: « la logique catholique n'est pas une affaire
de choix exclusif "ou...ou", mais une démarche inclusive "et...et" »4.
On l'aura deviné, l'exposé du message évangélique ne saurait, au sein
et au cours de l'histoire, être achevé de façon close et définitive,
enclos une fois pour toutes dans aucune forme culturelle ou
philosophique. Cela serait contraire à la vision eschatologique du
Royaume de Dieu qui laisse comprendre qu'aucune culture, aucune
génération ne prend la mesure et les dimensions totales du mystère du
plan de salut de Dieu pour l'humanité entière, c'est-à-dire la mesure et
les dimensions totales de la Parole, laquelle se veut dynamiquement
nouvelle pour chaque peuple, pour chaque culture, pour chaque
génération, car c'est de cette façon qu'elle révèle progressivement sa
plénitude pour tout homme qui la reçoit et en vit. En ce sens, approuve
M. Pivot, «si la réflexion sur l'Eglise locale prend autant
d'importance aujourd'hui, c'est que l'Evangile, l'amour de Dieu ne
sont pas intemporels; l'Evangile s'inscrit toujours dans un lieu
déterminé pour y produire des fruits; l'amour de Dieu s'adresse
toujours à des hommes et des peuples singuliers qu'il appelle à entrer
dans un échange réciproque» 5. Et de fait, remarque F. E. Boulaga,
« la vérité n'est pas donnée dans une parole intemporelle, hors des
vicissitudes de l'histoire. Elle est à faire par chacun et maintenant,
2 Les parenthèses ont été ajoutées par nous.
3 Card. Joseph RATZINGER(avec la CTI), Quinze thèses sur L'unité de la foi et le
pluralisme théologique, Cambray-Ies-Tours, 1978, p. 72.
4
Hans Urs von BALTHASAR, Catholique,
Paris, Fayard, « communio », « , 1976, pp.
19-26.
5 Maurice PIVOT, Un nouveau souffle pour la mission, Paris, les éditions de
l'atelier/les éditions ouvrières, 2000, p. 159.
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avec les autres6. Et N. Provencher de renchérir: «En refusant de
changer ou de faire des passages nécessaires, une institution, fut-elle
véritable, en vient à contredire ce qui faisait sa raison d'être? ». Cela
est vrai en ce qui concerne les rapports de l'Eglise tant avec les
traditions religieuses et les cultures traditionnelles des peuples qu'avec
notre monde moderne actuel soumis à la globalisation et dans lequel la
foi semble de plus en plus étrangère. Or, c'est du cœur de cette
apparente mort que peut, que doit surgir la nouveauté de celui qui, en
Jésus-Christ, fait de la mort, lieu de désespoir, un terrain d'où éclôt
une vie nouvelle. L'unique Dieu vivant est, en effet, le Dieu de
l'inattendu, le Dieu du paradoxe qui, seul, est capable de faire surgir
l'impossible de notre culture moderne, ultramoderne et globalisante
fondée sur le virtuel. Et le signe qu'il nous en donne est patent; c'est
celui d'un tombeau ouvert et vide où la mort a été vaincue à jamais.
En la mort du Crucifié du Golgotha, a surgi l'inespéré et, depuis cette
victoire inattendue, depuis cette Pâques, l'inespéré est le fruit de
l'Esprit-Saint, c'est-à-dire du Dieu des commencements et des
recommencements, du Dieu unique et vrai qui surprend et étonne
toujours en agissant au-delà de nos espoirs et de nos espérances. Les
sols des cultures et des traditions religieuses, les sols de notre actuelle
modernité et ultramodernité peuvent et doivent «craquer» (pour
autant que l'Evangile opère toujours des remises en cause), afin que
germent et surgissent la nouveauté pascale, l'inattendu de la
résurrection. Alors, la foi chrétienne ne sera plus ni une inconnue pour
les cultures et les traditions religieuses, ni une étrangère dans notre
monde moderne ou ultramoderne, mais sera chez elle.
Aujourd'hui, l'Eglise a, et c'est heureux, pleinement conscience que la
vérité qui nous rejoint fait de la foi chrétienne une foi qui ne cesse de
«tendre vers la plénitude de la divine vérité» (Dei Verbum) et que
parler de vérité qui vient, signifie que celle-ci n'est pas de l'ordre du
savoir, mais du mystère qui vient à nous pour autant que, étant d'une
commune origine et constituant une unique humanité, nous nous
laissons saisir et travailler par les énigmes de la condition humaine,
afin d'accueillir la lumière du mystère. En ce sens, l'Eglise reconnaît
6
François Eboussi BOULAGA,
A contre-temps,. l'enjeu de Dieu en Afrique, Paris,
Karthala, 1991, p. 7.
7
Normand PROVENCHER, La foi, une étrangère
éditions Fides, 1998, en couverture).
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dans le monde moderne?
Québec,
que chaque culture ou tradition religieuse, que chaque changement
culturel, prend en charge ces énigmes dans sa manière de quête de la
transcendance, de sorte que tous gagnent à accueillir la manière dont
les autres s'y affrontent. L'Eglise donc, dans sa mission, opte
résolument pour le dialogue, sachant que, d'une part, le dialogue est
un échange réciproque et que, d'autre part, le véritable dialogue fait
passer par des étapes de confrontation et d'apprivoisement mutuel
d'où surgit une résurrection salvatrice.
On le voit bien, l'Eglise Catholique est confrontée aujourd'hui, de
façon particulière, à l'un des défis majeurs de son histoire, à savoir
l'inculturation du message évangélique dans un labyrinthe de cultures,
de religions et de bouleversements, de sorte qu'il lui faut, à l'instar du
Christ lui-même, mourir à elle-même (d'une certaine façon) pour
ressusciter aujourd'hui, dans «le monde de ce temps» selon
l'expression de Vatican II (GS). Du coup, se pose à elle, de façon
nouvelle, le problème du dialogue et de l'unité. Saura-t-elle être, en
ces temps nouveaux, à la hauteur d'un tel défi au nom même de la
fidélité à sa mission?
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Première partie
La question de l'unité
Dans la liturgie alexandrine de saint Basile, les orthodoxes adressent
au Seigneur un triptyque, plusieurs fois repris, pour lui demander de
se souvenir, d'édifier et de donner la paix à « l'Eglise Une-Unique,
Sainte, Catholique et Apostolique ». Ce sont là des thèmes que
d'aucuns théologiens appellent «les notes de l'Eglise », c'est-à-dire
les critères qui déterminent et caractérisent les communautés
chrétiennes, introduites dans la confession de foi depuis le Concile de
Constantinople de 381.
Si, de façon globale, on estime savoir? en gros, bien que cela ne soit
pas toujours évident et facile, ce que sont les trois dernières notes
(Sainte, Catholique et Apostolique) sur lesquelles nous reviendrons un
peu plus largement, la première note (l'Unité de l'Eglise) elle, peut
poser problème en ce qu'elle veut profondément dire et en sa
constitution dans la réalité. Et de fait, d'une part, il n'est pas exclu que
l'on confonde unité et unionl et, d'autre part, il est à craindre que la
notion d'unité (et de catholicité) soit étriquée voire hypothéquée par
une certaine vision sectariste (au sens de secteur) ou marquée soit par
une recherche ou une volonté de repli continental, régional voire
national soit, en un autre sens, dans un enfermement dans les
frontières de sa propre théologie ou même de sa propre confession. La
nature et la réalité de l'Eglise telle que voulue par le Christ ne
dépassent-elles pas de loin nos esprits de clochers théologiques y
compris et surtout dans le cadre de l'inculturation du message
évangélique et du vécu chrétien, de même que les organisations,
institutions et pensées humaines?
L'unité de l'Eglise n'implique-t-elle pas une recherche authentique de
Dieu? Du Dieu de Jésus-Christ? N'implique-t-elle pas et ne découlet-elle pas d'une maturité de la foi et d'une spiritualité profonde qui
débordent et franchissent les barrières des différences (légitimes), des
divergences de pensées et d'expressions, des artifices de l'intelligence
et des artifices des volontés humaines? Et de fait, l'unité (de l'Eglise)
ne trouve-t-elle pas sa source dans l'unité des personnes de la divine
1
Dans notre entendement, l'union renvoie aux institutions, de sorte que sa recherche
concerne plutôt le domaine de la bureaucratie théologique, alors que l'unité (de
I'Eglise), elle, vise plus fondamentalement et plus directement la vie et l'existence
concrètes des hommes en tant que mode d'être lié à la Vérité et à l'authenticité
humaine.
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Trinité et dans celle des noces du Christ et de son Eglise, celle de la
pleine communion du chrétien avec l'Esprit Saint? L'inculturation
comme dialogue de résurrection implique, pour être authentique,
l'unité dans la diversité.
C'est une telle unité que nous voulons tenter de cerner de près en vue
de sa compréhension la plus approchable possible dans le cadre de
notre thématique d'inculturation. Pour cela, nous nous proposons de
commencer d'abord par déblayer le terrain au travers d'approches
sémantiques, ensuite par un examen de critiques et de revendications
vis-à-vis de Rome (Vatican), enfin, par une analyse de quelques
malentendus en matière d'inculturationjustement.
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