Un triplé pour Falk Richter à Liège

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Un triplé pour Falk Richter à Liège
Le Soir Vendredi 21 janvier 2011
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laculture
Steven Tyler, le leader de Aerosmith, va entrer en studio pour faire son propre
album, le premier depuis près d’une décennie. Tyler a aussi assuré, sans qu’on le lui
demande, qu’il n’était absolument pas question que Aerosmith se sépare. © EPA.
Scènes / Ouverture ce soir du Festival de Liège mêlant théâtre, danse et musique
Un triplé pour Falk Richter à Liège
L’ESSENTIEL
● Pour sa sixième édition, le Festival de Liège
continue à interroger le présent à travers des
thématiques fortes et des formes singulières.
● L’auteur et metteur en scène allemand Falk
Richter est au centre d’un programme dont nous
avons déjà pu voir quelques perles.
● Des artistes fidèles (Emma Dante, Jacques
Delcuvellerie...) et de nombreuses découvertes.
● La manifestation dirigée par Jean-Louis Colinet
est devenue incontournable pour le public francophone et les professionnels flamands et étrangers.
ENTRETIEN
ip-hop, théâtre, slam et
musique : tels sont les
ingrédients de Lyrics
from Lockdown, de Bryonn Bain
qui ouvre ce vendredi soir le Festival de Liège. Un cocktail détonnant que l’on retrouve dans bon
nombre de spectacles d’un « festival qui interroge le présent »,
tant dans le fond que dans la forme avec notamment Emma Dante, Ea Sola, Rachid Ouramdane,
Coline Struyff… Et, en figure de
proue, Falk Richter dont le festival propose trois spectacles. Rencontre avec un des auteurs essentiels du théâtre allemand actuel.
H
Trois spectacles à l’affiche : y a-til un lien entre eux ?
Ce sont trois spectacles très liés.
My secret garden a été réalisé
avec Stanislas Nordey à partir
de mes notes et de mon journal de
bord que j’ai ensuite fictionnalisé. Dieu est un DJ est beaucoup
plus ancien. C’est une pièce que
j’ai écrite quand j’avais l’âge de
Fabrice Murgia qui la met en scène pour le Festival. Enfin, je mets
en scène Play loud à partir de souvenirs et discussions avec l’équipe qui l’interprète.
Quel est le lien ?
Dans toutes ses pièces, j’évoque la
manière dont l’écriture est liée
aux souvenirs personnels avant
de déboucher sur la fiction. Mais
ce sont trois pièces construites différemment. L’une a été dirigée à
deux, par Stanislas et moi-même. La seconde est une nouvelle
version par un jeune metteur en
scène d’une pièce ancienne. Et la
troisième est issue d’un processus de travail avec les interprètes
belges et allemands.
Vous auriez pu venir avec des
spectacles « clé sur porte »…
Pour Jean-Louis Colinet (ndlr :
directeur du Festival de Liège), il
était important que je ne vienne
pas seulement présenter des spectacles mais que ma présence favorise de vrais échanges avec des
équipes de la Communauté française. C’est parfois un peu compliqué en raison de la langue mais
c’est très enrichissant.
La musique, un autre point commun aux trois spectacles ?
D’une certaine façon, je viens de
la musique expérimentale. J’ai
été DJ et comme auteur, j’ai toujours été attiré par l’idée d’écrire
des paroles de chansons. Dans
Play loud, j’ai eu envie de retourner vers ça. Peut-être aussi à cause du fait que Fabrice reprend
une de mes pièces anciennes, basée également sur la musique.
Au cours du premier atelier que
j’ai fait avec l’équipe, j’ai demandé à chacun d’amener sa chanson favorite et ses extraits de
films favoris. Ils devaient les re-
« Pour Jean-Louis
Colinet, il était
important que ma
présence favorise
de vrais échanges
avec des équipes
de la Communauté
française »
jouer, en parler. Ce sont des choses liées à des événements intimes : bonheur, drame… Ça a fini
par déboucher sur une sorte de
groupe pop minimaliste où les acteurs deviennent eux aussi chanteurs alors que ce n’était pas du
tout prévu.
Vos textes s’inspirent toujours
de vos souvenirs ?
En partie. Parfois ce sont les souvenirs des autres. Mais ce n’est jamais la réalité, ça débouche toujours sur la fiction.
Vous avez laissé toute liberté à
Fabrice Murgia pour « Dieu est
un DJ ». C’est assez rare pour un
auteur…
Cela tient sans doute au fait que
je suis aussi metteur en scène et
que, à ce titre, comme beaucoup
de mes confrères allemands d’ailleurs, je considère le texte comme
un matériau parmi d’autres. Fabrice appartient à la génération
qui suit la mienne. Cela m’intéressait de voir si ce texte pouvait
encore lui parler. Il a refait le
voyage américain que j’avais
fait, et il en a tiré sa propre vision des choses. ■
Propos recueillis par
JEAN-MARIE WYNANTS
Festival de Liège, du 21 janvier
au 19 février, www.festivaldeliege.be,
04-221.10.00.
LAURA SEPUL
dans « Dieu est un
DJ ». © C. OLSSON.
Dieu mixe Richter et Murgia
ne heure dense et fascinante, portée
par des comédiens hors pair, Laura SéU
pul (époustouflante déjà dans Le Chagrin
des ogres) et Vincent Hennebicq. Avec Dieu
est un DJ de Falk Richter, Fabrice Murgia
confirme son univers si personnel, tramé de
vidéos qui ne réduisent pas les acteurs à des
pions dans l’image mais les rendent plus riches d’interrogations, d’ambiguïtés. Comme dans Le Chagrin des ogres, deux êtres
perdent pied, ne supportent plus leur vie.
« Il faut que d’autres personnes parlent à
ma place, que je m’invente ». Ils se fabriquent une autre histoire, se filment, deviennent, par l’image, le faux-semblant, des « acteurs » de leur vie et par le montage des séquences, des DJ… Le spectacle peut se lire
comme un trip mental ou comme un entretien en psychiatrie.
N’attendez pas de Richter et de Murgia
qu’ils vous imposent des cadres rassurants
et prédigérés. A vous de tracer votre road
movie sur la mythique route américaine de
la Vallée de la mort, là où « Dieu est un DJ
fier de ses paysages silencieux, tranquilles et
lents ». On la voit cette route sur les deux
écrans qui surplombent la scène. Murgia l’a
sillonnée et en a ramené ses images, ses
sons. Sur le plateau, une petite caméra sur
pied zoome et fractionne la présence des
deux comédiens : lui d’abord assis sur sa
chaise de cinéaste (sous le nom de Richter),
elle étendue sur le capot d’une voiture. Dans
cette « américaine », se croisent coups de
gueule, jeux, rires et désarrois, avec cette
question cruciale : l’enfant dans le ventre de
la fille. « On le garde ? » Refus de répondre,
d’assumer et c’est l’angoisse qui suinte de sa
QUATRE MOMENTS FORTS D’UN FESTIVAL METTANT L’HUMAIN AU CŒUR DU PROPOS
Chronique d’une
Notre terreur
Cet éblouissant spectaville épuisée
Un homme debout
Jean-Marc Mahy, ex-détenu qui a passé sa
vie en prison, raconte son enfer, dans un seul
en scène troublant. L’homme ne cherche pas
à jouer, mais ressuscite ses souvenirs avec
une rage sincère pour dénoncer cette prison
loin du glamour de « Prison Break ». C. MAKEREEL
Du 1 au 5 février à l’Ancre ; les 7 et 8 février, salle B9 à Liège ; du 15 au 19 mars au Théâtre National.
cle de la jeune compagnie française D’ores et
Déjà réinvente une série
de débats montrant Robespierre et les siens
comme de vrais êtres humains. Drôle, fascinant,
secouant, Notre terreur
parle révolution, terreur,
guerre, trahison mais aussi inflation, libéralisme
et… théâtre, avec une
maîtrise époustouflante.
Du 28 au 30 janvier au Théâtre
de la Place à Liège.
JEAN-MARIE WYNANTS
Manège, les 2 et 3 février.
MICHÈLE FRICHE
Charleroi, l’Ancre, ce 21 janvier, 071-314.079. Bruxelles, Théâtre National, du 27/1 au 11/2, 02-203.53.03.
Liège, salle St Luc, du 14 au 16/2, 04-221.10.00.
My secret garden
Cette vraie-fausse autobiographie de Falk Richter explore toutes les pistes possibles de l’auto-fiction : l’enfance, les parents, la solitude, les
grands auteurs, la musique, le passé nazi... Mis
en scène par Richter et
Stanislas Nordey, le spectacle est magistralement
interprété par ce dernier,
Laurent Sauvage et Anne
Tismer. J.-M.W.
Les 15 et 16 février au National :
les 18 et 19 à la Salle B9 à Liège.
www.lesoir.be
1NL
20/01/11 22:20 - LE_SOIR
Créé à Tournai, ce nouveau spectacle de Fabrice Murgia met en scène
une femme seule entre
son appartement, son
boulot et ses relations virtuelles. Une plongée
muette dans la solitude
ordinaire. Un formidable
travail visuel et sonore
au service d’un propos
d’une actualité bouleversante. J.-M.W.
propre enfance. La dernière image sera celle
de l’échographie d’un fœtus. Espoir ? Tantôt désespérant, atroce, tantôt drôle, ironique, avec un jeu de clins d’œil cinématographiques (dont Le Mépris de Godard…), le
spectacle se vit dans une musique presque
constante qui mixe entre autres le All is full
of Love de Bjork et le God is a DJ de Faithless : « Une musique comme un baiser qu’on
n’aurait jamais reçu. » Superbe travail sonore de Maxime Glaude, et lumineux de Murgia lui-même, tramé d’images belles, fortes,
métaphoriques et poétiques, qui naissent organiquement du texte et de la scène. ■
du 21/01/11 - p. 38