Pour les libraires, le numérique
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Pour les libraires, le numérique
Assises Professionnelles du Livre A l’heure du numérique Pour les libraires, le numérique : un défi, une menace, ou une opportunité ? Animation : Daniel Garcia, Livres Hebdo Avec la participation de : • Marie-Pierre SANGOUARD, Fnac • Guillaume DECITRE, Librairie Decitre • Charles KERMAREC, Librairie Dialogues • Stéphane MICHALON, ePagine • Guillaume de LACOSTE LAREYMONDIE, Groupe Eyrolles • Eric HARDIN, Librairie Le pavé du canal 17 mars 2009 Salon du Livre de Paris 1 Pour les libraires, le numérique : un défi, une menace ou une opportunité ? Daniel GARCIA observe que selon L’histoire de la librairie, la première librairie française a avoir été présente sur le Net fut Lavoisier, librairie scientifique et technique, suivie de peu par Decitre en 1997. Aujourd’hui, cette librairie compte plus d’un million de visiteurs par mois et des clients dans le monde entier. Guillaume DECITRE (Librairies Decitre) précise que la société va fêter cette année ses 102 ans et qu’au fil des décennies le métier a beaucoup évolué. Le numérique est tout à la fois un défi, une menace et une opportunité. Défi, car le numérique est en train de modifier de façon assez radicale le métier, positivement mais aussi négativement. Positivement, car il est possible aujourd’hui dans les librairies Decitre de vendre des livres dans deux cent vingt pays, d’informer de manière quasiment gratuite des centaines de milliers de clients en France par des mailings, et de permettre à certains confrères d’utiliser gratuitement la données de decitre.fr. Négativement, car surviennent des concurrents redoutables, que ce soient des sociétés dont le siège est basé à Seattle, ou des places de marché comme eBay ou PriceMinister. Les librairies physiques représentent encore aujourd’hui en France 38% du marché des ventes de livres, sachant que la vente de livres sur Internet ne représente que 6 à 8% du marché, Internet existant depuis vingt ans. Mais il y a des secteurs où l’essentiel des ventes se fait par Internet. Le modèle qui consiste à avoir un mix entre des librairies et une activité Internet permet d’avoir un catalogue beaucoup plus vaste et fonctionne plutôt bien. Chaque mois 1,2 million de personnes viennent sur le site Internet, très souvent pour se renseigner, souvent pour acheter. Les livres sont acheminés par la Poste ou bien les acheteurs viennent les retirer dans les librairies, ce qui leur permet de discuter avec libraires, et aussi d’acheter d’autres livres. Si ce modèle fonctionne, il reste cependant des difficultés notamment au niveau du port. Il faut également pouvoir proposer à des conditions économiquement acceptables des livres qui autrement n’auraient pas leur place. Pour mémoire, le catalogue des livres 17 mars 2009 Salon du Livre de Paris 2 Pour les libraires, le numérique : un défi, une menace ou une opportunité ? en langue française est de six cent mille titres. Il y en a dans les librairies Decitre environ quatre-vingt dix mille. Daniel GARCIA relève qu’au début des années 2000, les ventes sur Internet étaient à peu près inexistantes. C’est donc une progression rapide, et si ce chiffre de 8% du marché est relativement peu élevé, c’est parce qu’il reste en France un tissu de librairies assez dense. Aux États-Unis, les ventes de livres sur Internet tournent plutôt autour de 15%. Guillaume DECITRE souligne que si les ventes sont en effet plus importantes aux États-Unis, une grande chaîne comme Barnes and Noble possède encore de très belles librairies, environ 500, avec un modèle économique rentable. Leur stratégie reste multi-canal et ce serait une erreur d’imaginer la totalité des ventes de livres on line. Seront vendus quasi exclusivement sur le Net les livres qui ont un taux de rotation trop faible pour être en magasin ou dont les acheteurs sont au bout du monde, mais il n’en reste pas moins, même aux États-Unis, que 15% ce n’est pas 85% ! La difficulté réside dans le fait que les librairies ont une fragilité économique importante. Or, une librairie sans activité Internet qui perdrait 5% ou 10% de son chiffre d’affaires peut risquer de fermer. Daniel GARCIA observe que ce peut être un vrai problème également pour une librairie de centre-ville, avec des rayons comme celui des cartes routières où l’on ne vend quasiment plus de papier. 17 mars 2009 Salon du Livre de Paris 3 Pour les libraires, le numérique : un défi, une menace ou une opportunité ? Charles KERMAREC (Librairie Dialogues) souligne la réalité du fait que les ventes papier, depuis plusieurs années, sont affectées par le numérique. Le rayon des ouvrages spécialisés en médecine a ainsi disparu depuis que les universitaires achètent des abonnements aux éditeurs médicaux. La Gazette du Palais est vendue directement via Internet aux avocats. Et il y a longtemps que les encyclopédies se sont absentées des librairies. D’un autre côté, le guide de voyage le Routard, dont le site a une fréquentation ahurissante et qui est sûrement plus connu que celui de Decitre, se porte bien. L’économie numérique bouleverse donc l’économie papier, c’est une certitude. Dans la chaîne du livre, il y a à un bout l’auteur, à l’autre le lecteur, et entre les deux des intermédiaires qui font profession d’organiser leur rencontre. En plus des distributeurs et des diffuseurs, il y a encore les éditeurs et les libraires. Il y aura toujours des auteurs et des lecteurs, quand bien même le mode de lecture changerait. Y aura-t-il demain des éditeurs et des libraires, ou des commerçants en livres ? Certainement, mais on ne sait pas si ce seront les mêmes. Les librairies sont-elles vouées à disparaître ? Si tel était le cas, à l’instar de ce qui se passe dans le domaine musical, un certain nombre d’éditeurs disparaîtront aussi et le rythme des concentrations s’accélérera encore. L’univers numérique aujourd’hui, c’est 6 à 8% de parts de marché qui peuvent effectivement déstabiliser l’activité librairie si les libraires ne s’en saisissent pas. Autant les éditeurs ont été intelligents dans les années 1980 en décidant que le tissu des librairies était leur meilleur allié, autant cette intelligence stratégique des éditeurs manque aujourd’hui puisqu’ils ont laissé s’organiser la vente des livres papier sur Internet par le duopole Amazon/Fnac.com. Cette part de marché, sur la zone de chalandise de la librairie Dialogues, signifie deux millions d’euros de chiffre d’affaires en moins. 17 mars 2009 Salon du Livre de Paris 4 Pour les libraires, le numérique : un défi, une menace ou une opportunité ? Pour la vente sur Internet, beaucoup d’éditeurs envoient des documents sommaires et c’est beaucoup de travail que de récupérer toutes les informations pour les mettre ensuite sur le Web. Il arrive qu’un éditeur « pousse » sur le site de la Fnac des informations qu’il ne donne pas à la librairie. Il est sûrement plus facile de parler avec Fnac qu’avec un petit libraire de Bretagne, mais cela équivaut à donner à ce duopole Amazon/Fnac 8% de parts de marché. Il faut d’urgence trouver une solution interprofessionnelle, pour donner une vraie et bonne information aux libraires, dont on dit qu’on veut sauvegarder le réseau. Aujourd’hui, les libraires sont amenés à mettre en place des solutions qui ne sont pas de leur ressort, à employer des informaticiens à plein temps pour développer une plateforme d’échanges de données dans différents formats, choses qui coûtent du temps et de l’argent et qui permettent à peine d’exister sur Internet. Et même s’il est dit qu’on ne va pas reproduire avec le livre ce qui s’est passé avec le disque, les solutions mises en place ne poussent pas à l’optimisme. L’objectif du site est de récupérer les parts de marché perdues. Force est de reconnaitre que Amazon et Fnac n’en sont pas les seuls responsables. Des clients sont perdus au profit de sites spécialisés, comme Lavoisier ou Le Moniteur, sachant qu’Internet ne représente pas la seule mutation du marché du livre. Les Espaces culturels Leclerc, les Cultura qui ceinturent les villes, déshabillent aussi les grandes librairies de centre-ville. Marie-Pierre SANGOUARD (Fnac) voudrait insister sur cette nécessaire complémentarité entre une librairie physique et une librairie en ligne. Il faut prendre cette dernière d'abord comme une magnifique opportunité de promouvoir la culture du livre et de la lecture, puisqu’on peut consulter en ligne une offre éditoriale qu’on ne trouve pas en librairie. De plus, la largeur de gamme dans une librairie est très 17 mars 2009 Salon du Livre de Paris 5 Pour les libraires, le numérique : un défi, une menace ou une opportunité ? corrélée au chiffre d’affaires. On a pu faire des expériences lors du réaménagement d’un certain nombre de Fnac : quand on a diminué le nombre de références, le chiffre d’affaires a chuté. Les gens viennent donc en librairie physique pour voir les livres, d’où le nécessaire travail de complémentarité entre le site et la librairie physique. À la Fnac, tout le travail éditorial fait dans les magasins auprès des clients se retrouve sur le site afin que internautes bénéficient des mêmes conseils, complétés par des recommandations des internautes qui sont vecteur de bouche à oreille pour le développement des ventes. Fnac.com est devenu le premier magasin, avec des progressions importantes, parce que les six cent mille titres disponibles sur Internet sont un facteur de ce qu’on appelle la longue traîne, ces fameux titres à rotation lente que dans leur majorité les librairies ne peuvent pas porter. Internet peut ainsi aider à préserver une partie de la culture française qu’on ne peut pas trouver systématiquement en magasin. Quant à l’expérience de promotion d’un support technique de lecture numérique, avec le Reader de Sony, la Fnac invite tous les éditeurs à la rejoindre car les chiffres montrent qu’il y a une vraie appétence des lecteurs pour ce type de support. On parle beaucoup de mobilité et il est vrai qu’un certain nombre de personnes ont envie de pouvoir emporter en vacances une partie de leur bibliothèque. Un Reader contient jusqu’à 160 livres téléchargeables, sans nul besoin de recharger la batterie pendant un mois... Le marché va dans ce sens, il va falloir l’accompagner intelligemment. Aujourd’hui, il n’y a pas de réel business model. L’offre éditoriale en numérique est très modeste avec seulement quatre mille titres, pas forcément les plus récents. L’évolution est erratique, les éditeurs n’ayant pas tous le même niveau d’expérience, en termes de négociation, de marketing, pour développer cette offre. Vérification faite auprès des acheteurs de Readers, consommateurs de lecture numérique : le confort de lecture est réel. 75% des gens l’utilisent comme un livre, d’abord chez eux puis en mobilité au cours de voyages. On y télécharge ses livres, mais aussi ses 17 mars 2009 Salon du Livre de Paris 6 Pour les libraires, le numérique : un défi, une menace ou une opportunité ? documents de travail ; tout ceci va dans le sens de l’histoire, donc autant accompagner ce développement de manière collective. On a vécu dans la musique la problématique des formats propriétaires qui a conduit à un piratage extrême. Il faut donc très vite que, comme au Japon, les éditeurs se mettent d’accord sur un principe d’outil de téléchargement. Il y a aussi tout un travail à mener pour définir avec les éditeurs et les libraires un modèle de rentabilité économique. Il faut tester une offre, des modalités de commercialisation, car aujourd’hui on fonctionne encore à l’acte, sans système d’abonnement ni de package autour d’un auteur. Pourtant, cela devrait susciter une très grande créativité éditoriale chez les éditeurs. Un fichier numérique est le même que celui qui va être envoyé à l’impression, mais on peut imaginer y ajouter d’autres éléments, comme des bonus, absents aujourd’hui. Ce qui implique aussi de transformer l’outil de l’éditeur en lui permettant d’élargir considérablement sa palette. Un intervenant libraire souligne qu’un des problèmes essentiels est en effet celui de la nécessaire interopérabilité entre les différents outils et les différentes plateformes. Si l’on veut que la librairie ait son rôle à jouer à l’intérieur du commerce électronique, alors qu’elle ne s’amuse pas à construire dix plateformes différentes pour des raisons d’avantage concurrentiel. Par nécessité, on arrivera à une structure unique qui permette et organise la recherche, comme cela a été fait pour les commandes. Cela suppose dialogue et concertation entre les différents acteurs. Il faut aussi élaborer une nouvelle définition du livre, pour que le taux de Tva appliqué au livre électronique ne soit pas de 19,6% mais bénéficie de la réduction applicable au texte papier. 17 mars 2009 Salon du Livre de Paris 7 Pour les libraires, le numérique : un défi, une menace ou une opportunité ? Guillaume DECITRE note qu’un des grands drames du libraire, c’est qu’un Français sur deux ne lit pas. On peut vivre sans amour, mais si on n’en a pas eu, on est passé à côté de quelque chose. Il en va de même pour quelqu’un qui aura vécu sans lire. Beaucoup trop de gens en France ne lisent pas, mais on peut espérer que le numérique va changer cette donne. Il semble que la baisse du marché du livre est à mettre en perspective avec l’évolution des contenus, mais cette baisse n’est pas une fatalité si le marché grandit grâce au numérique. C’est un enjeu considérable. Le problème est le coût élevé d’entrée sur le Net. D’où le choix de grossir l’enseigne et d’ouvrir d’autres librairies en France, soit en les créant ex-nihilo, soit en rachetant des confrères comme à Annecy ou à Grenoble. Charles KERMAREC pose la question de savoir comment se saisir de la révolution numérique : ensemble ou séparément ? Il y a chez certains éditeurs l’idée qu’ils seront assez grands pour vendre leurs fichiers tous seuls sur Internet, mais c’est un très mauvais pari. Ce qui est sûr, c’est que ni les petits éditeurs, ni les petits libraires ne se sauveront seuls. Et il n’existe que des petits libraires, sauf Fnac, Virgin, Cultura, et Leclerc. Daniel GARCIA se tourne vers le représentant du groupe Eyrolles, qui est à la fois éditeur et libraire, et qui a lancé l’été dernier une plateforme de vente de fichiers numériques, IziBook, qui semble bien démarrer. Guillaume de LACOSTE LAREYMONDIE (Groupe Eyrolles) indique que son groupe est un éditeur technique et professionnel indépendant, numéro 1 en France sur ce secteur. Eyrolles c’est aussi un diffuseur, Géodif, deux grosses librairies, une à Paris et une à Aix, qui sont respectivement 13ème et 31ème librairies françaises selon le 17 mars 2009 Salon du Livre de Paris 8 Pour les libraires, le numérique : un défi, une menace ou une opportunité ? classement Livres hebdo. C’est en 1999 que la librairie s’implante sur le Web avec Eyrolles.com, aujourd’hui 6ème libraire en ligne française et 1ère librairie technique en ligne, avec une croissance à deux chiffres depuis plusieurs années. Dès l’année 2000, un projet de vente de ebook a été lancé mais il n’a pas rencontré le succès, car trop en avance par rapport au marché. En 2007, un nouveau projet de plateforme a été développé car il y avait une vraie demande des clients et des auteurs, dont beaucoup d’auteurs en informatique désireux que le livre existe à la fois sous format papier et numérique. Cette plateforme, IziBook.eyrolles.com, a ouvert à l’été 2008 et propose 350 titres à la vente, quelques-uns provenant des éditeurs diffusés, tous en format Pdf et tous vendus sans Drm. Le ebook n’a rien à voir avec les tablettes de lecture. C’est un fichier, pas une machine, et le lecteur naturel et spontané pour le ebook est l’ordinateur. Tout le monde peut donc en acheter. Ce sont les millions d’ordinateurs présents en France qui font le marché. Les liseuses seraient plutôt un frein au développement de ce marché, parce qu’on est face à des industriels qui ont d’énormes moyens et font pas mal de tapage autour de leurs produits dans une relative indifférence du public, qui va finir par penser que sans tablette on ne peut lire les ebooks, ce qui est faux. Autre point technique : tous les livres sont en Pdf. Tout le monde sait ce que c’est, ce qui est rassurant pour le client, et tous les ordinateurs peuvent le lire, donc il n’y a pas de limite d’usage. Le marché du ebook, est un vrai marché, partagé entre le marché académique et le marché professionnel. Le plus important, et de très loin, est le marché académique, c’est-à-dire en réalité les bibliothèques. Une part de plus en plus importante de leur budget est consacrée à des abonnements à des bouquets numériques, la bascule étant quasiment faite pour les revues scientifiques, et en cours pour les livres. Certaines écoles ont ainsi décidé de ne plus proposer aux élèves et aux professeurs que des bibliothèques numériques. Voilà le grand changement qui 17 mars 2009 Salon du Livre de Paris 9 Pour les libraires, le numérique : un défi, une menace ou une opportunité ? est en train de s’opérer, à la barbe des éditeurs mais surtout des libraires. Pour ces derniers, ce marché académique qui part en fumée est le principal enjeu aujourd’hui. Pour ce qui concerne Eyrolles, le développement des solutions à destination des bibliothèques est assez complexe et nécessite de travailler avec des partenaires. En revanche Eyrolles a décidé de s’implanter sur le marché professionnel, c’est son cœur de métier, et l’offre IziBook a été sélectionnée entièrement selon ce critère. Il ne s’agit donc pas de lire un roman sur son ordinateur mais de consulter un livre technique, avec la possibilité d’imprimer les quelques pages dont on a besoin. Mais en même temps on touche une autre cible parmi les professionnels : ce sont les plus nomades, les francophones de l’étranger, les expatriés, c’est-à-dire des gens qu’aucun libraire ne peut correctement servir, même pas les librairies en ligne, car si on est loin, le livre papier devient vite inaccessible. D’où de nombreuses ventes outre-mer, en rendant le livre disponible à des gens qui n’y ont plus accès du fait de leur éloignement. Marie-Pierre SANGOUARD remarque que les ventes de Reader ne sont certes pas démesurées, mais observe que l’offre est encore très faible et qu’il y a une réelle appétence des gens qui testent le ebook. Et dès qu’une offre apparaît sur le site, il y a des ventes. Guillaume de LACOSTE LAREYMONDIE insiste sur le fait qu’on ne peut pas avoir une bonne profondeur d’offre sans spécialisation, ce qui a été réalisé chez Eyrolles, et invite les autres éditeurs à suivre le mouvement. Un libraire aujourd’hui qui voudrait vendre du ebook peut le faire à faible coût en marque blanche avec un certain nombre de partenaires. 17 mars 2009 Salon du Livre de Paris 10 Pour les libraires, le numérique : un défi, une menace ou une opportunité ? Stéphane MICHALON (ePagine) observe que son métier est de commercialiser l’offre des éditeurs et qu’à partir du moment où les éditeurs commercialisent du papier et du numérique, le libraire doit accompagner le mouvement. Les premiers à faire confiance à ePagine furent la BnF et Arnaud Beaufort, avec le projet Gallica 2. Des libraires allaient enfin pouvoir proposer à l’internaute : « Vous le voulez en format papier ? Pas de problème, je vous le vends ! En format numérique ? Pas de problème, je vous le vends aussi. Venez le chercher ou prenez-le en vente à distance, comme vous voulez ». Dans un deuxième temps, avec un certain nombre de libraires et d’éditeurs différents, le projet a pris corps puisqu’on pouvait trouver aussi bien un Actes Sud chez UD, qu’un Payot-Rivages chez Hachette, qu’un Table Ronde chez SODIS, ou même le livre publié par M. Hardin, Accueillir le numérique, au final la meilleure vente en numérique, en diffusion Editis. Le troisième moment important fut la volonté d’un éditeur, en l’occurrence Gallimard, d’étoffer le catalogue offert via des libraires. Avec la montée en puissance de l’entrepôt d’ePagine , toutes les nouveautés deviennent disponibles puisqu’à chaque fois qu’un auteur français en littérature ou en sciences humaines sort à l’office, s’il a signé son avenant sur la vente de son livre en numérique, le libraire peut le vendre. ePagine a aussi monté une collection Patrimoine numérisé pour le fonds Gallimard, parce que certains livres du fonds de la NRF étaient épuisés, sans être pour autant libres de droits. Et puis il y a aussi les livres audio. L’éditeur avait demandé auparavant de vendre le livre plus la cassette, puis le livre plus le CD, mais maintenant avec le mp3, quid du libraire ? Un libraire rue Mouffetard peut trouver des confrères dans le voisinage qui vendront à la caisse plus de mp3 de La sorcière de la rue Mouffetard que le fera le site d’Écouter lire… 17 mars 2009 Salon du Livre de Paris 11 Pour les libraires, le numérique : un défi, une menace ou une opportunité ? Cette volonté d’accompagner l’offre est le plus important. Très concrètement, cela veut dire qu’aujourd'hui, un libraire comme la Maison du livre est capable de proposer à ses clients sur son site Internet la vente d’un livre qui est commercialisé en numérique par l’éditeur. Ce qui a été fait avec Gallimard, c’est de réaliser un projet qui soit interopérable et permette un rapprochement de l’offre Hachette Fnac, puisque celui qui a acheté sa Sony à la Fnac peut tout à fait acheter en format ePub le livre de Gallimard sur le site d’un libraire. Tout cela, je pense, va se rapprocher et on trouvera évidemment les livres Gallimard sur le site de la Fnac et les livres Hachette sur les sites des libraires. Il est temps maintenant de sortir de l’expérimentation. Il est important que des libraires, qui se disent commerçants du texte, c’est-à-dire vendeurs de texte édité sur un format papier, considèrent qu’ils vont aussi commercialiser le livre en version numérique. L’enjeu est que de même qu’il a accès à tout le catalogue papier disponible, le libraire ait accès à tout le catalogue numérique des éditeurs. Comment peut-on y parvenir ? À partir du moment où chaque grand groupe se met en capacité d’avoir un entrepôt qu’il maîtrise, c’est leur responsabilité de travailler ensemble de telle façon que des opérateurs qui amènent des prestations aux libraires soient en capacité de travailler avec l’entrepôt Hachette et avec l’entrepôt UD et avec l’entrepôt Editis et avec l’entrepôt SODIS Volumen aujourd'hui. L’éditeur garde son fichier dans son entrepôt : il est envoyé directement à l’internaute client de la librairie qui vend ce livre. Il est important de souligner que le libraire a besoin de tout le catalogue disponible. Il va par la suite faire ses choix, se spécialiser peut-être, mais il doit être capable de tout proposer. Il ne faudra pas non plus que seuls soient disponibles les livres abrités dans les entrepôts majeurs des grands groupes. Un libraire a besoin de travailler avec Hachette mais aussi avec de petits éditeurs. Il a besoin de travailler avec toute l’offre. 17 mars 2009 Salon du Livre de Paris 12 Pour les libraires, le numérique : un défi, une menace ou une opportunité ? Pour savoir ce qui est disponible, il va recourir à ePagine, dont le catalogue propose 100 % de ce qui est disponible, aussi bien à la Maison du livre à Rodez qu’à Vent d’Ouest à Nantes, provenant de plusieurs entrepôts différents. De fait, il va y avoir besoin de prestataires qui donnent au libraire une solution pour agréger les flux de différents endroits. Mais il faut absolument qu’un cadre interprofessionnel se mette en place. C’est le devoir des éditeurs aujourd'hui que de travailler dans ce sens pour ne pas se trouver face à une concentration qu’ils paieront ensuite. Guillaume DECITRE souligne que le produit livre a déjà évolué depuis des centaines d’années. Une des magies du livre aujourd'hui réside dans le fait que quand on cherche un livre dans une librairie, en général on le trouve. N’importe quel auteur peut travailler avec n’importe quel éditeur, qui peut vendre à n’importe quel libraire. Tant que l’on n’aura pas réglé cette question au niveau du numérique, cela ne fonctionnera pas. On ne peut pas envisager qu’un acteur contrôle l’intégralité de la distribution et de la production de contenu. C’est une problématique fondamentale. Aux États-Unis il y a un acteur dominant, Amazon, par qui on est obligé de passer. Peut-on souhaiter voir ce modèle s’implanter de manière durable dans une société démocratique ? Mais cette évolution est en marche. La Silicon Valley est jonchée de start up qui ont voulu faire du livre numérique, quasiment toutes mortes pour cause de mauvais timing. Il s’agit donc de reconstruire dans un timing qui soit cohérent la chaîne de valeurs qui est en train de partir en morceaux. Stéphane MICHALON précise qu’ePagine propose bien la mise en capacité d’un libraire à pouvoir vendre l’offre numérique de tous les éditeurs. Mais ce n’est pas le tout d’avoir tout le catalogue : il faut le mettre en scène sur le site Internet du libraire, qu’il s’appelle Fnac.com ou Vent d’Ouest, et il faudra aussi, pour ce qui est de Vent 17 mars 2009 Salon du Livre de Paris 13 Pour les libraires, le numérique : un défi, une menace ou une opportunité ? d’Ouest en tout cas, faire en sorte qu’il y ait une mise en scène dans son magasin, qu’on soit bien dans la cohabitation entre le livre papier et le livre numérique. C’est d’ailleurs ce qu’avait demandé le CNL : développer un module qui permette de vendre du numérique tout de suite en magasin, pour n’importe quel libraire et n’importe quel éditeur. Eric HARDIN conclut cette matinée: si beaucoup de choses intéressantes ont été dites, que de lieux communs aussi dans ces débats ! Pour avoir présidé la commission Numérique du Syndicat de la Librairie française et de l’ALIRE, il regrette l’absence d’avancées au niveau de l’interprofession. Certes c’est difficile, en raison des intérêts divergents, mais ces tergiversations ouvrent la porte à des acteurs extérieurs, que ce soit la téléphonie ou Google. Pendant des années, Google a déclaré qu’il se rémunérerait uniquement sur la publicité. Et récemment, il s’arroge le droit d’avoir une situation de quasi monopole par rapport aux textes, et de se mettre à les vendre. Or, depuis la publication du rapport de la commission Numérique ALIRE –SLF (Accueillir le numérique ?), et la rencontre avec la commission Numérique du SNE en juin de l’année dernière, aucune autre rencontre officielle n’a eu lieu. Il est heureux que le Conseil du livre au ministère de la Culture, dans la suite des rapports Patino, ait pris l’initiative de mettre en place le comité d’experts au niveau de l’interprofession. Il y a eu des critiques, notamment de la part du SNE, mais au moins cela a été un lieu où l’on a commencé à échanger, à confronter les points de vue, et c’était bel et bien urgent. Les modèles économiques des éditeurs, qui s’appuient actuellement sur le papier, risquent d’être malmenés s’ils perdent un pourcentage significatif de leurs ventes parce que la librairie disparaît. Il faut absolument s’organiser, et pour cela discuter vraiment et pas simplement une fois l’an, car il y a beaucoup de sujets à prendre en compte. On n’a jamais tant discuté du numérique et si peu travaillé dessus. 17 mars 2009 Salon du Livre de Paris 14 Pour les libraires, le numérique : un défi, une menace ou une opportunité ? Daniel GARCIA renvoie à l’article de Robert Darnton paru dans The NY Review of Books, le 12 février dernier 1 , selon qui Amazon risque d’être réduite à une petite librairie de quartier à cause des ambitions de Google. 1 On peut lire cet article en ligne sur le site de la NY Review of Books : http://www.nybooks.com/articles/22281. 15 17 mars 2009 Salon du Livre de Paris