Pour les libraires, le numérique

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Pour les libraires, le numérique
Assises Professionnelles
du Livre
A l’heure du numérique
Pour les libraires, le numérique : un défi, une
menace, ou une opportunité ?
Animation : Daniel Garcia, Livres Hebdo
Avec la participation de :
• Marie-Pierre SANGOUARD, Fnac
• Guillaume DECITRE, Librairie Decitre
• Charles KERMAREC, Librairie Dialogues
• Stéphane MICHALON, ePagine
• Guillaume de LACOSTE LAREYMONDIE, Groupe Eyrolles
• Eric HARDIN, Librairie Le pavé du canal
17 mars 2009
Salon du Livre de Paris
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Pour les libraires, le numérique : un défi, une menace ou une opportunité ?
Daniel GARCIA observe que selon L’histoire de la librairie, la première librairie
française a avoir été présente sur le Net fut Lavoisier, librairie scientifique et
technique, suivie de peu par Decitre en 1997. Aujourd’hui, cette librairie compte plus
d’un million de visiteurs par mois et des clients dans le monde entier.
Guillaume DECITRE (Librairies Decitre) précise que la société va fêter cette année ses
102 ans et qu’au fil des décennies le métier a beaucoup évolué. Le numérique est tout
à la fois un défi, une menace et une opportunité. Défi, car le numérique est en train
de modifier de façon assez radicale le métier, positivement mais aussi négativement.
Positivement, car il est possible aujourd’hui dans les librairies Decitre de vendre des
livres dans deux cent vingt pays, d’informer de manière quasiment gratuite des
centaines de milliers de clients en France par des mailings, et de permettre à certains
confrères d’utiliser gratuitement la données de decitre.fr. Négativement, car
surviennent des concurrents redoutables, que ce soient des sociétés dont le siège est
basé à Seattle, ou des places de marché comme eBay ou PriceMinister.
Les librairies physiques représentent encore aujourd’hui en France 38% du marché
des ventes de livres, sachant que la vente de livres sur Internet ne représente que 6 à
8% du marché, Internet existant depuis vingt ans. Mais il y a des secteurs où
l’essentiel des ventes se fait par Internet. Le modèle qui consiste à avoir un mix entre
des librairies et une activité Internet permet d’avoir un catalogue beaucoup plus
vaste et fonctionne plutôt bien. Chaque mois 1,2 million de personnes viennent sur le
site Internet, très souvent pour se renseigner, souvent pour acheter. Les livres sont
acheminés par la Poste ou bien les acheteurs viennent les retirer dans les librairies, ce
qui leur permet de discuter avec libraires, et aussi d’acheter d’autres livres. Si ce
modèle fonctionne, il reste cependant des difficultés notamment au niveau du port. Il
faut également pouvoir proposer à des conditions économiquement acceptables des
livres qui autrement n’auraient pas leur place. Pour mémoire, le catalogue des livres
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en langue française est de six cent mille titres. Il y en a dans les librairies Decitre
environ quatre-vingt dix mille.
Daniel GARCIA relève qu’au début des années 2000, les ventes sur Internet étaient à
peu près inexistantes. C’est donc une progression rapide, et si ce chiffre de 8% du
marché est relativement peu élevé, c’est parce qu’il reste en France un tissu de
librairies assez dense. Aux États-Unis, les ventes de livres sur Internet tournent
plutôt autour de 15%.
Guillaume DECITRE souligne que si les ventes sont en effet plus importantes aux
États-Unis, une grande chaîne comme Barnes and Noble possède encore de très belles
librairies, environ 500, avec un modèle économique rentable. Leur stratégie reste
multi-canal et ce serait une erreur d’imaginer la totalité des ventes de livres on line.
Seront vendus quasi exclusivement sur le Net les livres qui ont un taux de rotation
trop faible pour être en magasin ou dont les acheteurs sont au bout du monde, mais
il n’en reste pas moins, même aux États-Unis, que 15% ce n’est pas 85% ! La difficulté
réside dans le fait que les librairies ont une fragilité économique importante. Or, une
librairie sans activité Internet qui perdrait 5% ou 10% de son chiffre d’affaires peut
risquer de fermer.
Daniel GARCIA observe que ce peut être un vrai problème également pour une
librairie de centre-ville, avec des rayons comme celui des cartes routières où l’on ne
vend quasiment plus de papier.
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Charles KERMAREC (Librairie Dialogues) souligne la réalité du fait que les ventes
papier, depuis plusieurs années, sont affectées par le numérique. Le rayon des
ouvrages spécialisés en médecine a ainsi disparu depuis que les universitaires
achètent des abonnements aux éditeurs médicaux. La Gazette du Palais est vendue
directement via Internet aux avocats. Et il y a longtemps que les encyclopédies se
sont absentées des librairies. D’un autre côté, le guide de voyage le Routard, dont le
site a une fréquentation ahurissante et qui est sûrement plus connu que celui de
Decitre, se porte bien.
L’économie numérique bouleverse donc l’économie papier, c’est une certitude. Dans
la chaîne du livre, il y a à un bout l’auteur, à l’autre le lecteur, et entre les deux des
intermédiaires qui font profession d’organiser leur rencontre. En plus des
distributeurs et des diffuseurs, il y a encore les éditeurs et les libraires. Il y aura
toujours des auteurs et des lecteurs, quand bien même le mode de lecture changerait.
Y aura-t-il demain des éditeurs et des libraires, ou des commerçants en livres ?
Certainement, mais on ne sait pas si ce seront les mêmes. Les librairies sont-elles
vouées à disparaître ? Si tel était le cas, à l’instar de ce qui se passe dans le domaine
musical, un certain nombre d’éditeurs disparaîtront aussi et le rythme des
concentrations s’accélérera encore.
L’univers numérique aujourd’hui, c’est 6 à 8% de parts de marché qui peuvent
effectivement déstabiliser l’activité librairie si les libraires ne s’en saisissent pas.
Autant les éditeurs ont été intelligents dans les années 1980 en décidant que le tissu
des librairies était leur meilleur allié, autant cette intelligence stratégique des éditeurs
manque aujourd’hui puisqu’ils ont laissé s’organiser la vente des livres papier sur
Internet par le duopole Amazon/Fnac.com. Cette part de marché, sur la zone de
chalandise de la librairie Dialogues, signifie deux millions d’euros de chiffre d’affaires
en moins.
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Pour la vente sur Internet, beaucoup d’éditeurs envoient des documents sommaires
et c’est beaucoup de travail que de récupérer toutes les informations pour les mettre
ensuite sur le Web. Il arrive qu’un éditeur « pousse » sur le site de la Fnac des
informations qu’il ne donne pas à la librairie. Il est sûrement plus facile de parler
avec Fnac qu’avec un petit libraire de Bretagne, mais cela équivaut à donner à ce
duopole Amazon/Fnac 8% de parts de marché.
Il faut d’urgence trouver une solution interprofessionnelle, pour donner une vraie et
bonne information aux libraires, dont on dit qu’on veut sauvegarder le réseau.
Aujourd’hui, les libraires sont amenés à mettre en place des solutions qui ne sont pas
de leur ressort, à employer des informaticiens à plein temps pour développer une
plateforme d’échanges de données dans différents formats, choses qui coûtent du
temps et de l’argent et qui permettent à peine d’exister sur Internet. Et même s’il est
dit qu’on ne va pas reproduire avec le livre ce qui s’est passé avec le disque, les
solutions mises en place ne poussent pas à l’optimisme.
L’objectif du site est de récupérer les parts de marché perdues. Force est de
reconnaitre que Amazon et Fnac n’en sont pas les seuls responsables. Des clients sont
perdus au profit de sites spécialisés, comme Lavoisier ou Le Moniteur, sachant
qu’Internet ne représente pas la seule mutation du marché du livre. Les Espaces
culturels Leclerc, les Cultura qui ceinturent les villes, déshabillent aussi les grandes
librairies de centre-ville.
Marie-Pierre
SANGOUARD
(Fnac)
voudrait
insister
sur
cette
nécessaire
complémentarité entre une librairie physique et une librairie en ligne. Il faut prendre
cette dernière d'abord comme une magnifique opportunité de promouvoir la culture
du livre et de la lecture, puisqu’on peut consulter en ligne une offre éditoriale qu’on
ne trouve pas en librairie. De plus, la largeur de gamme dans une librairie est très
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corrélée au chiffre d’affaires. On a pu faire des expériences lors du réaménagement
d’un certain nombre de Fnac : quand on a diminué le nombre de références, le chiffre
d’affaires a chuté. Les gens viennent donc en librairie physique pour voir les livres,
d’où le nécessaire travail de complémentarité entre le site et la librairie physique. À
la Fnac, tout le travail éditorial fait dans les magasins auprès des clients se retrouve
sur le site afin que internautes bénéficient des mêmes conseils, complétés par des
recommandations des internautes qui sont vecteur de bouche à oreille pour le
développement des ventes.
Fnac.com est devenu le premier magasin, avec des progressions importantes, parce
que les six cent mille titres disponibles sur Internet sont un facteur de ce qu’on
appelle la longue traîne, ces fameux titres à rotation lente que dans leur majorité les
librairies ne peuvent pas porter. Internet peut ainsi aider à préserver une partie de la
culture française qu’on ne peut pas trouver systématiquement en magasin.
Quant à l’expérience de promotion d’un support technique de lecture numérique,
avec le Reader de Sony, la Fnac invite tous les éditeurs à la rejoindre car les chiffres
montrent qu’il y a une vraie appétence des lecteurs pour ce type de support. On parle
beaucoup de mobilité et il est vrai qu’un certain nombre de personnes ont envie de
pouvoir emporter en vacances une partie de leur bibliothèque. Un Reader contient
jusqu’à 160 livres téléchargeables, sans nul besoin de recharger la batterie pendant un
mois... Le marché va dans ce sens, il va falloir l’accompagner intelligemment.
Aujourd’hui, il n’y a pas de réel business model. L’offre éditoriale en numérique est
très modeste avec seulement quatre mille titres, pas forcément les plus récents.
L’évolution est erratique, les éditeurs n’ayant pas tous le même niveau d’expérience,
en termes de négociation, de marketing, pour développer cette offre. Vérification
faite auprès des acheteurs de Readers, consommateurs de lecture numérique : le
confort de lecture est réel. 75% des gens l’utilisent comme un livre, d’abord chez eux
puis en mobilité au cours de voyages. On y télécharge ses livres, mais aussi ses
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documents de travail ; tout ceci va dans le sens de l’histoire, donc autant
accompagner ce développement de manière collective.
On a vécu dans la musique la problématique des formats propriétaires qui a conduit
à un piratage extrême. Il faut donc très vite que, comme au Japon, les éditeurs se
mettent d’accord sur un principe d’outil de téléchargement. Il y a aussi tout un
travail à mener pour définir avec les éditeurs et les libraires un modèle de rentabilité
économique. Il faut tester une offre, des modalités de commercialisation, car
aujourd’hui on fonctionne encore à l’acte, sans système d’abonnement ni de
package autour d’un auteur. Pourtant, cela devrait susciter une très grande créativité
éditoriale chez les éditeurs. Un fichier numérique est le même que celui qui va être
envoyé à l’impression, mais on peut imaginer y ajouter d’autres éléments, comme
des bonus, absents aujourd’hui. Ce qui implique aussi de transformer l’outil de
l’éditeur en lui permettant d’élargir considérablement sa palette.
Un intervenant libraire souligne qu’un des problèmes essentiels est en effet celui de
la nécessaire interopérabilité entre les différents outils et les différentes plateformes.
Si l’on veut que la librairie ait son rôle à jouer à l’intérieur du commerce électronique,
alors qu’elle ne s’amuse pas à construire dix plateformes différentes pour des raisons
d’avantage concurrentiel. Par nécessité, on arrivera à une structure unique qui
permette et organise la recherche, comme cela a été fait pour les commandes. Cela
suppose dialogue et concertation entre les différents acteurs. Il faut aussi élaborer
une nouvelle définition du livre, pour que le taux de Tva appliqué au livre
électronique ne soit pas de 19,6% mais bénéficie de la réduction applicable au texte
papier.
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Guillaume DECITRE note qu’un des grands drames du libraire, c’est qu’un Français
sur deux ne lit pas. On peut vivre sans amour, mais si on n’en a pas eu, on est passé à
côté de quelque chose. Il en va de même pour quelqu’un qui aura vécu sans lire.
Beaucoup trop de gens en France ne lisent pas, mais on peut espérer que le
numérique va changer cette donne. Il semble que la baisse du marché du livre est à
mettre en perspective avec l’évolution des contenus, mais cette baisse n’est pas une
fatalité si le marché grandit grâce au numérique. C’est un enjeu considérable. Le
problème est le coût élevé d’entrée sur le Net. D’où le choix de grossir l’enseigne et
d’ouvrir d’autres librairies en France, soit en les créant ex-nihilo, soit en rachetant des
confrères comme à Annecy ou à Grenoble.
Charles KERMAREC pose la question de savoir comment se saisir de la révolution
numérique : ensemble ou séparément ? Il y a chez certains éditeurs l’idée qu’ils
seront assez grands pour vendre leurs fichiers tous seuls sur Internet, mais c’est un
très mauvais pari. Ce qui est sûr, c’est que ni les petits éditeurs, ni les petits libraires
ne se sauveront seuls. Et il n’existe que des petits libraires, sauf Fnac, Virgin, Cultura,
et Leclerc.
Daniel GARCIA se tourne vers le représentant du groupe Eyrolles, qui est à la fois
éditeur et libraire, et qui a lancé l’été dernier une plateforme de vente de fichiers
numériques, IziBook, qui semble bien démarrer.
Guillaume de LACOSTE LAREYMONDIE (Groupe Eyrolles) indique que son groupe
est un éditeur technique et professionnel indépendant, numéro 1 en France sur ce
secteur. Eyrolles c’est aussi un diffuseur, Géodif, deux grosses librairies, une à Paris et
une à Aix, qui sont respectivement 13ème et 31ème librairies françaises selon le
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classement Livres hebdo. C’est en 1999 que la librairie s’implante sur le Web avec
Eyrolles.com, aujourd’hui 6ème libraire en ligne française et 1ère librairie technique en
ligne, avec une croissance à deux chiffres depuis plusieurs années.
Dès l’année 2000, un projet de vente de ebook a été lancé mais il n’a pas rencontré le
succès, car trop en avance par rapport au marché. En 2007, un nouveau projet de
plateforme a été développé car il y avait une vraie demande des clients et des
auteurs, dont beaucoup d’auteurs en informatique désireux que le livre existe à la
fois sous format papier et numérique. Cette plateforme, IziBook.eyrolles.com, a ouvert
à l’été 2008 et propose 350 titres à la vente, quelques-uns provenant des éditeurs
diffusés, tous en format Pdf et tous vendus sans Drm.
Le ebook n’a rien à voir avec les tablettes de lecture. C’est un fichier, pas une machine,
et le lecteur naturel et spontané pour le ebook est l’ordinateur. Tout le monde peut
donc en acheter. Ce sont les millions d’ordinateurs présents en France qui font le
marché. Les liseuses seraient plutôt un frein au développement de ce marché, parce
qu’on est face à des industriels qui ont d’énormes moyens et font pas mal de tapage
autour de leurs produits dans une relative indifférence du public, qui va finir par
penser que sans tablette on ne peut lire les ebooks, ce qui est faux.
Autre point technique : tous les livres sont en Pdf. Tout le monde sait ce que c’est, ce
qui est rassurant pour le client, et tous les ordinateurs peuvent le lire, donc il n’y a
pas de limite d’usage. Le marché du ebook, est un vrai marché, partagé entre le
marché académique et le marché professionnel. Le plus important, et de très loin, est
le marché académique, c’est-à-dire en réalité les bibliothèques. Une part de plus en
plus importante de leur budget est consacrée à des abonnements à des bouquets
numériques, la bascule étant quasiment faite pour les revues scientifiques, et en cours
pour les livres. Certaines écoles ont ainsi décidé de ne plus proposer aux élèves et
aux professeurs que des bibliothèques numériques. Voilà le grand changement qui
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est en train de s’opérer, à la barbe des éditeurs mais surtout des libraires. Pour ces
derniers, ce marché académique qui part en fumée est le principal enjeu aujourd’hui.
Pour ce qui concerne Eyrolles, le développement des solutions à destination des
bibliothèques est assez complexe et nécessite de travailler avec des partenaires. En
revanche Eyrolles a décidé de s’implanter sur le marché professionnel, c’est son cœur
de métier, et l’offre IziBook a été sélectionnée entièrement selon ce critère. Il ne s’agit
donc pas de lire un roman sur son ordinateur mais de consulter un livre technique,
avec la possibilité d’imprimer les quelques pages dont on a besoin. Mais en même
temps on touche une autre cible parmi les professionnels : ce sont les plus nomades,
les francophones de l’étranger, les expatriés, c’est-à-dire des gens qu’aucun libraire
ne peut correctement servir, même pas les librairies en ligne, car si on est loin, le livre
papier devient vite inaccessible. D’où de nombreuses ventes outre-mer, en rendant le
livre disponible à des gens qui n’y ont plus accès du fait de leur éloignement.
Marie-Pierre SANGOUARD remarque que les ventes de Reader ne sont certes pas
démesurées, mais observe que l’offre est encore très faible et qu’il y a une réelle
appétence des gens qui testent le ebook. Et dès qu’une offre apparaît sur le site, il y a
des ventes.
Guillaume de LACOSTE LAREYMONDIE insiste sur le fait qu’on ne peut pas avoir
une bonne profondeur d’offre sans spécialisation, ce qui a été réalisé chez Eyrolles, et
invite les autres éditeurs à suivre le mouvement. Un libraire aujourd’hui qui voudrait
vendre du ebook peut le faire à faible coût en marque blanche avec un certain nombre
de partenaires.
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Stéphane MICHALON (ePagine) observe que son métier est de commercialiser
l’offre des éditeurs et qu’à partir du moment où les éditeurs commercialisent du
papier et du numérique, le libraire doit accompagner le mouvement.
Les premiers à faire confiance à ePagine furent la BnF et Arnaud Beaufort, avec le
projet Gallica 2. Des libraires allaient enfin pouvoir proposer à l’internaute : « Vous le
voulez en format papier ? Pas de problème, je vous le vends ! En format numérique ?
Pas de problème, je vous le vends aussi. Venez le chercher ou prenez-le en vente à
distance, comme vous voulez ». Dans un deuxième temps, avec un certain nombre de
libraires et d’éditeurs différents, le projet a pris corps puisqu’on pouvait trouver
aussi bien un Actes Sud chez UD, qu’un Payot-Rivages chez Hachette, qu’un Table
Ronde chez SODIS, ou même le livre publié par M. Hardin, Accueillir le numérique, au
final la meilleure vente en numérique, en diffusion Editis.
Le troisième moment important fut la volonté d’un éditeur, en l’occurrence
Gallimard, d’étoffer le catalogue offert via des libraires. Avec la montée en puissance
de l’entrepôt d’ePagine , toutes les nouveautés deviennent disponibles puisqu’à
chaque fois qu’un auteur français en littérature ou en sciences humaines sort à
l’office, s’il a signé son avenant sur la vente de son livre en numérique, le libraire
peut le vendre. ePagine a aussi monté une collection Patrimoine numérisé pour le
fonds Gallimard, parce que certains livres du fonds de la NRF étaient épuisés, sans
être pour autant libres de droits.
Et puis il y a aussi les livres audio. L’éditeur avait demandé auparavant de vendre le
livre plus la cassette, puis le livre plus le CD, mais maintenant avec le mp3, quid du
libraire ? Un libraire rue Mouffetard peut trouver des confrères dans le voisinage qui
vendront à la caisse plus de mp3 de La sorcière de la rue Mouffetard que le fera le site
d’Écouter lire…
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Cette volonté d’accompagner l’offre est le plus important. Très concrètement, cela
veut dire qu’aujourd'hui, un libraire comme la Maison du livre est capable de
proposer à ses clients sur son site Internet la vente d’un livre qui est commercialisé
en numérique par l’éditeur. Ce qui a été fait avec Gallimard, c’est de réaliser un
projet qui soit interopérable et permette un rapprochement de l’offre Hachette Fnac,
puisque celui qui a acheté sa Sony à la Fnac peut tout à fait acheter en format ePub le
livre de Gallimard sur le site d’un libraire. Tout cela, je pense, va se rapprocher et on
trouvera évidemment les livres Gallimard sur le site de la Fnac et les livres Hachette
sur les sites des libraires.
Il est temps maintenant de sortir de l’expérimentation. Il est important que des
libraires, qui se disent commerçants du texte, c’est-à-dire vendeurs de texte édité sur
un format papier, considèrent qu’ils vont aussi commercialiser le livre en version
numérique. L’enjeu est que de même qu’il a accès à tout le catalogue papier
disponible, le libraire ait accès à tout le catalogue numérique des éditeurs. Comment
peut-on y parvenir ? À partir du moment où chaque grand groupe se met en capacité
d’avoir un entrepôt qu’il maîtrise, c’est leur responsabilité de travailler ensemble de
telle façon que des opérateurs qui amènent des prestations aux libraires soient en
capacité de travailler avec l’entrepôt Hachette et avec l’entrepôt UD et avec l’entrepôt
Editis et avec l’entrepôt SODIS Volumen aujourd'hui. L’éditeur garde son fichier
dans son entrepôt : il est envoyé directement à l’internaute client de la librairie qui
vend ce livre.
Il est important de souligner que le libraire a besoin de tout le catalogue disponible. Il
va par la suite faire ses choix, se spécialiser peut-être, mais il doit être capable de tout
proposer. Il ne faudra pas non plus que seuls soient disponibles les livres abrités
dans les entrepôts majeurs des grands groupes. Un libraire a besoin de travailler avec
Hachette mais aussi avec de petits éditeurs. Il a besoin de travailler avec toute l’offre.
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Pour savoir ce qui est disponible, il va recourir à ePagine, dont le catalogue propose
100 % de ce qui est disponible, aussi bien à la Maison du livre à Rodez qu’à Vent
d’Ouest à Nantes, provenant de plusieurs entrepôts différents. De fait, il va y avoir
besoin de prestataires qui donnent au libraire une solution pour agréger les flux de
différents endroits. Mais il faut absolument qu’un cadre interprofessionnel se mette
en place. C’est le devoir des éditeurs aujourd'hui que de travailler dans ce sens pour
ne pas se trouver face à une concentration qu’ils paieront ensuite.
Guillaume DECITRE souligne que le produit livre a déjà évolué depuis des
centaines d’années. Une des magies du livre aujourd'hui réside dans le fait que
quand on cherche un livre dans une librairie, en général on le trouve. N’importe quel
auteur peut travailler avec n’importe quel éditeur, qui peut vendre à n’importe quel
libraire. Tant que l’on n’aura pas réglé cette question au niveau du numérique, cela
ne fonctionnera pas. On ne peut pas envisager qu’un acteur contrôle l’intégralité de
la distribution et de la production de contenu. C’est une problématique
fondamentale. Aux États-Unis il y a un acteur dominant, Amazon, par qui on est
obligé de passer. Peut-on souhaiter voir ce modèle s’implanter de manière durable
dans une société démocratique ?
Mais cette évolution est en marche. La Silicon Valley est jonchée de start up qui ont
voulu faire du livre numérique, quasiment toutes mortes pour cause de mauvais
timing. Il s’agit donc de reconstruire dans un timing qui soit cohérent la chaîne de
valeurs qui est en train de partir en morceaux.
Stéphane MICHALON précise qu’ePagine propose bien la mise en capacité d’un
libraire à pouvoir vendre l’offre numérique de tous les éditeurs. Mais ce n’est pas le
tout d’avoir tout le catalogue : il faut le mettre en scène sur le site Internet du libraire,
qu’il s’appelle Fnac.com ou Vent d’Ouest, et il faudra aussi, pour ce qui est de Vent
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d’Ouest en tout cas, faire en sorte qu’il y ait une mise en scène dans son magasin, qu’on
soit bien dans la cohabitation entre le livre papier et le livre numérique. C’est d’ailleurs ce
qu’avait demandé le CNL : développer un module qui permette de vendre du numérique tout
de suite en magasin, pour n’importe quel libraire et n’importe quel éditeur.
Eric HARDIN conclut cette matinée: si beaucoup de choses intéressantes ont été
dites, que de lieux communs aussi dans ces débats ! Pour avoir présidé la
commission Numérique du Syndicat de la Librairie française et de l’ALIRE, il
regrette l’absence d’avancées au niveau de l’interprofession. Certes c’est difficile, en
raison des intérêts divergents, mais ces tergiversations ouvrent la porte à des acteurs
extérieurs, que ce soit la téléphonie ou Google. Pendant des années, Google a déclaré
qu’il se rémunérerait uniquement sur la publicité. Et récemment, il s’arroge le droit
d’avoir une situation de quasi monopole par rapport aux textes, et de se mettre à les
vendre.
Or, depuis la publication du rapport de la commission Numérique ALIRE –SLF
(Accueillir le numérique ?), et la rencontre avec la commission Numérique du SNE en
juin de l’année dernière, aucune autre rencontre officielle n’a eu lieu. Il est heureux
que le Conseil du livre au ministère de la Culture, dans la suite des rapports Patino,
ait pris l’initiative de mettre en place le comité d’experts au niveau de
l’interprofession. Il y a eu des critiques, notamment de la part du SNE, mais au moins
cela a été un lieu où l’on a commencé à échanger, à confronter les points de vue, et
c’était bel et bien urgent. Les modèles économiques des éditeurs, qui s’appuient
actuellement sur le papier, risquent d’être malmenés s’ils perdent un pourcentage
significatif de leurs ventes parce que la librairie disparaît. Il faut absolument
s’organiser, et pour cela discuter vraiment et pas simplement une fois l’an, car il y a
beaucoup de sujets à prendre en compte. On n’a jamais tant discuté du numérique et
si peu travaillé dessus.
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Daniel GARCIA renvoie à l’article de Robert Darnton paru dans The NY Review of
Books, le 12 février dernier 1 , selon qui Amazon risque d’être réduite à une petite
librairie de quartier à cause des ambitions de Google.
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On peut lire cet article en ligne sur le site de la NY Review of Books : http://www.nybooks.com/articles/22281.
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