1. L`ascension d`un homme nouveau (Salluste)

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1. L`ascension d`un homme nouveau (Salluste)
1. L’ascension d’un homme nouveau (Salluste)
Vers la même époque, Marius était à Utique et offrit un sacrifice aux dieux. L'haruspice
lui annonça que « les entrailles des victimes lui présageaient un destin aussi grand que
surprenant; fort de l' appui des dieux, il pouvait accomplir ses projets ; il pouvait tenter la
fortune autant qu'il le voudrait ; tout lui réussirait. » Or Marius brûlait depuis longtemps
d'obtenir le consulat. Il avait, pour cela, toutes les qualités requises, sauf celle de
l'ancienneté de sa famille : énergie, honnêteté, une science éprouvée de l'art militaire,
un esprit aussi indomptable dans la guerre que modeste dans la paix, dénué de
passion, incorruptible et seulement avide de gloire.Il était né à Arpinum, où il passa
toute son enfance. Dès qu'il fut en âge de porter les armes, c'est à la carrière militaire
qu'il se voua, plutôt qu'à l'éloquence grecque et aux élégances mondaines. Ainsi, grâce
à ces saines occupations, qui l'empêchèrent de se corrompre, son esprit se forma très
vite. C'est pourquoi, lorsqu'il se présenta pour la première fois devant le peuple pour
solliciter un tribunat militaire, personne ou presque ne connaissait son visage ; mais sa
réputation seule lui valut facilement les suffrages de toutes les tribus. À la sortie de cette
magistrature, il obtint successivement les autres. Dans toutes les charges qu'il exerçait,
il se comportait de telle façon qu'il paraissait digne d'en accomplir une supérieure.
Cependant, jusqu'à cette époque — car plus tard, l'ambition le perdit — un homme de
ce mérite n'osait briguer le consulat. En effet, c'était encore le temps où, même si la
plèbe avait accès aux autres magistratures, la noblesse se réservait celle-là, qu'elle se
passait de mains en mains. Aucun homme nouveau, quels que fussent sa gloire et ses
exploits, n'était jugé digne d'un tel honneur. Il était comme entaché d'une souillure.
Voyant que les présages pris par l'haruspice s'accordaient avec son désir secret, Marius
demanda à Metellus un congé pour aller déposer sa candidature.
Salluste (fin Ier s. av. J.-C., La Guerre de Jugurtha, LXIII-LXIV.
2. Marius et l’armée (Plutarque)
Il fut élu consul avec une brillante majorité ; aussitôt, au mépris des lois et
des coutumes des Romains, dans les nouvelles levées qu'il fit, il enrôla des
pauvres et des esclaves. Aucun général, avant lui, n'en avait admis dans
ses troupes ; on ne confiait les armes, comme les autres honneurs de la
République, qu'à des hommes qui en fussent dignes, et dont la fortune
connue répondît de leur fidélité. Ce ne fut pas néanmoins cette nouveauté
qui fit le plus de tort à la réputation de Marius ; il offensa bien davantage les
aristocrates de Rome par des discours pleins de fierté, de mépris et
d'insolence. Il criait partout que son consulat était une dépouille qu'il
enlevait à la mollesse des nobles et des riches, et que, pour sa part, il se
glorifiait auprès du peuple non de vains monuments et d'images qui
n'étaient pas les siennes, mais de ses propres blessures. Tous ces
discours ne lui étaient pas inspirés seulement par sa présomption et par sa
vanité, par l'envie de s'attirer gratuitement la haine des puissants; il était
encore excité par le peuple qui, charmé du mépris que ces propos valaient
au Sénat, et mesurant toujours l'élévation de l'âme à la fierté des paroles,
portait Marius aux nues, et le poussait à ne pas épargner les nobles, pour
faire plaisir à la multitude.
Plutarque, Marius VII, VIII.
3. Les proscription de Sylla en – 82 (Plutarque)
Dès que Sylla eut commencé à faire couler le sang, il ne mit plus de bornes à sa
cruauté, et remplit la Ville de meurtres dont on ne voyait pas la fin. De nombreux
citoyens furent les victimes de haines particulières; Sylla, même s'il n'avait pas à
s'en plaindre personnellement, les sacrifiait au ressentiment de ses amis... Il
commença donc par proscrire quatre-vingts citoyens sans en avoir parlé à aucun
des magistrats. Comme il vit que l'indignation était générale, il laissa passer un jour
et publia une seconde prescription 220 personnes puis une troisième du même
nombre. Ayant ensuite harangué le peuple, il dit qu'il avait proscrit tous ceux dont il
s'était souvenu, et que ceux qu'il avait oubliés il les proscrirait à mesure qu'ils se
présenteraient à sa mémoire.
Il comprit dans ces listes fatales ceux qui avaient sauvé un proscrit, punissant de
mort cet acte d'humanité, sans en excepter le frère, le fils ou le père d'une personne
en cause. Il alla même jusqu'à payer un homicide deux talents, fût-ce un esclave
qui eût tué son maître, ou un fils qui eût été l'assassin de son père.
Mais ce qui parut le comble de l'injustice, c'est qu'il nota d'infamie les fils et les
petits-fils des proscrits, et qu'il confisqua leurs biens. Les proscriptions ne furent pas
limitées à Rome; elles s'étendirent à toutes les villes d'Italie. Il n'y eut ni temple des
dieux, ni autel domestique et hospitalier, ni maison paternelle qui ne fût souillée de
meurtres. Les maris étaient égorgés entre les bras de leur épouse, les enfants dans
le sein de leur mère; et le nombre de victimes sacrifiées à la colère ou à la haine
n'égalait pas, de loin, le nombre de ceux que leurs richesses faisaient égorger.
(Plutarque, Sylla, XXXI)
4. Sylla « Felix », (Arrien)
En ce qui concerne l'organisation interne de l'État, il (Sylla) la régla complètement
suivant son bon plaisir. Il ne fut plus question ni de loi, ni d'élection, ni de sort. La
terreur glaçant tout le monde, une moitié des gens se cachait, l'autre moitié se
taisait. Tout ce que Sylla avait fait en tant que consul ou proconsul fut déclaré
permanent... On lui décerna une statue équestre en or, qui fut placée en face des
rostres. On y grava cette inscription : A Cornelius Sylla, imperator, heureux. (terme
latin Felix) » C'était le surnom que les flatteurs lui avaient donné, en se référant à
ses succès contre ses ennemis, et l'adulation dura. J'ai vu des textes grecs qui
rapportaient que le sénatus-consulte qui fut rendu à cette occasion l'avait désigné
sous les noms de « Sylla Epaphrodite» (protégé d’Aphrodite, terme voisin de Felix);
et cela me paraît d'autant plus probable que, dans des textes latins, on lui donne
l'épithète de « Faustus », surnom qui se rapproche singulièrement du premier.
Appien, Guerres civiles, I, XI.
5. La lutte contre les pirates (Plutarque)
La puissance des pirates, qui prit naissance en Cilicie (sud-est de l'Anatolie), eut
une origine d'autant plus dangereuse qu'elle fut d'abord à peine connue. Les
services qu'ils rendirent à Mithridate pendant sa guerre contre les Romains
augmentèrent leurs forces et leur audace. Par la suite, parce qu'ils étaient occupés
par leurs guerres civiles, les Romains laissèrent la mer sans armée et sans
défense.
Attirés insensiblement par cet abandon, les pirates firent de tels progrès que, non
contents d'attaquer les vaisseaux, ils ravageaient les îles et les ports... Gabinius, un
de ses amis (de Pompée), fit une proposition de loi qui non seulement conférait à
Pompée le commandement de toutes les forces maritimes, mais qui lui donnait
encore un pouvoir absolu et une autorité sans contrôle sur toutes les personnes;
il lui attribuait aussi le commandement sur toute la mer jusqu'aux Colonnes
d'Hercule, et sur toutes les côtes sur une distance de quatre cents stades (74 km).
Cet espace renfermait la plus grande partie des terres que Rome contrôlait, les
peuples les plus importants et les rois les plus puissants. Il était enfin autorisé à
choisir quinze légats, qui rempliraient sous ses ordres les fonctions qu'il voudrait lui
assigner, à prendre chez les questeurs et les collecteurs d'impôts tout l'argent qu'il
voudrait, à équiper une flotte de deux cents navires, à lever tous les soldats, tous
les rameurs et tous les marins dont il attrait besoin.
Plutarque, Pompée, XXIX.
6. Cicéron défend la loi Manilia : le « bonheur de Pompée »
Pour ma part, j'estime qu'un grand imperator doit avoir quatre qualités :
la connaissance de l'art militaire,
le courage,
la réputation
et le bonheur (felicitas)
Qui a livré plus de batailles aux ennemis de son pays que d'autres n'ont en de
luttes à soutenir contre des ennemis particuliers?
Qui a fait plus de guerres que les autres n'en ont lu ?
Qui a ajouté à l'empire plus de provinces que les autres n'ont souhaité en
gouverner? […]
Les qualités d'un imperator ne sont pas seulement comme on le croit d'ordinaire, la
constance au milieu des fatigues, le courage dans les dangers, l'activité dans les
opérations, la promptitude dans l'exécution, la prévoyance dans les mesures à
prendre; ces qualités, Pompée les possède à un plus haut degré qu'aucun des
imperatores que nous avons vu à l'œuvre ou dont nous avons entendu parler.
7. L’empire romain au milieu du Ier siècle av. J.-C. (carte)
8. Plan du théâtre de Pompée
Vénus victrix
« maître du monde »
(kosmokratôr)
jardin
9. Cicéron juge César ( Sur les provinces consulaires,56-55).
Si j'ai voué toute ma haine à ceux qui ont voulu renverser Rome par le fer et la flamme
conjuration de Catilina en 63), si mon bras s'est armé contre eux, quoique les uns eussent
vécu avec moi dans une intime familiarité, et que ma voix eût fléchi pour les autres la sévérité
des tribunaux, pourquoi ce même intérêt public, qui a pu me soulever contre mes amis, ne
pourrait-il pas m'apaiser en faveur de mes ennemis?... J'avoue que mes opinions politiques
ont été contraires à celles de César, et conformes aux vôtres (les optimates). Aujourd'hui (5655 ?) je ne suis pas moins d'accord avec vous que je ne l'ai toujours été. Vous-mêmes, en
effet,... vous avez décrété en faveur de César des prières publiques pour plus de jours qu'on
ne l'a fait dans aucune guerre, et en des termes plus honorables qu'on ne le fit jamais pour
aucun autre général. Pourquoi donc attendrais-je qu'on nous réconcilie? L'ordre le plus
auguste de l'État (le sénat), cet ordre, à la fois l'oracle de la sagesse publique et la règle de
toutes mes opinions, m'a réconcilié avec César. Oui, pères conscrits, c'est votre exemple que
j'imite; j'obéis à vos conseils ; je cède à votre autorité... En quoi aujourd'hui ma conduite peutelle vous étonner et m'attirer des reproches, lorsque moi-même j'ai déjà plusieurs fois appuyé
des propositions qui étaient plus honorables pour César que nécessaires pour l'État ?... César,
pères conscrits, a porté la guerre chez les Gaulois : jusqu'à lui, nous étions restés sur la
défensive. Nos généraux avaient toujours pensé qu'il suffisait de résister aux agressions de
ces peuples. Marius lui-même, Marius(1), dont la valeur héroïque rendit l'espoir et la confiance
au peuple romain, abattu par la douleur, repoussa des troupes innombrables de Gaulois qui se
répandaient dans l'Italie; mais il n'entra pas dans leur pays, il ne pénétra pas jusqu'à leurs
villes... César s'est fait un autre plan : il a cru devoir non seulement combattre ceux qu'il voyait
armés contre le peuple romain, mais encore réduire la Gaule tout entière sous votre
domination. (Cicéron, Sur les provinces consulaires, 10, 11 et 13).
1. Chef des populares, il avait épousé la tante de César.
10. La Guerre des Gaules 58-51
11. César harangue ses troupes. César, Guerre civile, 1,7.
Informé de ce qui se passe, César harangue ses troupes. Il rappelle les torts que
lui ont fait subir ses ennemis, de tout temps, et il se plaint que les efforts d'une
malignité envieuse lui aient à ce point aliéné Pompée dont il a toujours favorisé,
secondé, l'honneur et la dignité (dignitas). Il se plaint que, par une nouveauté
jusqu'alors sans exemple dans l'État, on en soit venu à diffamer, à étouffer par les
armes le veto des tribuns, qui avait été rétabli les années précédentes. Sylla, bien
qu'il ait dépouillé de toute autorité le pouvoir (potestas) des tribuns, leur avait au
moins laissé la liberté de veto (intercessio (1)). Pompée, qui passe pour leur avoir
rendu leurs anciens droits, leur a même ôté ceux qu'ils possédaient auparavant.
Toutes les fois, ajouta-t-il, que l'on a décrété « Que les magistrats veillent au salut
de l'État », sénatus-consulte (ultime) qui appelle aux armes tout le peuple romain,
ce décret n'a été rendu qu'à l'occasion de lois désastreuses, de quelque violence de
la part des tribuns, d'une sécession du peuple, alors que les temples et les lieux
fortifiés étaient occupés. Ces excès des temps passés ont été expiés par la mort de
Saturninus et des Gracques. Pour le présent, personne n'a rien pensé, rien fait de
semblable. Aucune loi n'a été promulguée, aucune proposition de loi soumise au
peuple, aucune sécession effectuée. Eux qui, pendant neuf ans, ont si
glorieusement servi l'État, gagné tant de batailles, soumis la Gaule et la Germanie, il
les exhorte à défendre, contre ses ennemis, l'honneur (existimatio) et la dignités de
leur chef(dignitas).
1. Casser une décision d’un magistrat jugée contraire aux intérêts de la plèbe .
12. Cinq visages de César (bustes célères)
+1
+1
13. Un portait de César (Suétone, Pline l’ancien)
La débauche : Il n'y a que son commerce intime avec Nicomède (en 81) qui fit tort
à sa réputation de chasteté; mais il en rejaillit sur lui un opprobre ineffaçable,
éternel, et qui a servi de prétexte à une foule de railleries. je ne rappellerai pas ces
vers si connus de Calvus Licinus: , Rome égale en horreur la Bithynie infâme/Et
l'impudique roi dont César fut la femme. (Suétone, César, XIX.)
Corrompu : Il ne montra aucun désintéressement dans ses gouvernements ni dans
ses magistratures. Il est prouvé, par des mémoires contemporains, qu'étant
proconsuls en Espagne, il reçut des alliés de fortes sommes mendiées par lui
comme un secours pour acquitter ses dettes; et qu'il livra au pillage plusieurs villes
de la Lusitanie. Dans la Gaule, il pilla les chapelles particulières et les temples des
dieux, tout remplis de riches offrandes. (Suétone, César, LIV).
Charismatique : Pour l'éloquence et les talents militaires, il égala, il surpassa
même les plus glorieuses renommées. Son accusation contre Dolabella (77) le fit
ranger, sans contestation, parmi les premiers orateurs de Rome. Cicéron, dans son
traité à Brutus où il énumère les orateurs, dit qu'il n'en voit point à qui César puisse
le céder , et il ajoute qu'« il y a dans sa manière de l'élégance et de l'éclat, de la'
magnificence et de la grandeur». (Suétone, César, LV)
Intelligent : Je pense que l'homme né avec l'esprit le plus vigoureux est le dictateur
César : je parle d'une vigueur qui lui était propre. Il avait l'habitude de lire ou décrire,
et en même temps de dicter et d'écouter. Il dictait à la fois à ses secrétaires quatre
lettres (et des lettres si importantes!) ou même, s'il ne faisait rien d'autre, il en dictait
sept. (Pline l'Ancien, Histoire naturelle, VII, 26)
14. César et le diadème (Suétone)
Voici ce qui attira sur lui (César) la haine la plus violente et la plus
implacable. Les sénateurs étant venus en corps lui présenter les décrets les
plus flatteurs, il les reçut assis devant le temple de Vénus Genitrix... Ce
dédain parut d'autant plus intolérable que lui-même, dans un de ses
triomphes, avait manifesté une vive indignation de ce qu'au moment où son
char passait devant les sièges des tribuns, un seul d'entre eux, Pondus
Aquila, fût resté assis... A ce cruel outrage fait au Sénat, il ajouta un trait
d'orgueil encore plus odieux. Il rentrait dans Rome après le sacrifice
accoutumé des Féries latines lorsque, au milieu des acclamations
extraordinaires et insensées du peuple, un homme, se détachant de la
foule, alla poser sur sa statue une couronne de laurier, nouée d'une
bandelette blanche. Les tribuns Epidius Marullus et Cesetius Flavus firent
enlever le diadème et conduire cet homme en prison. Mais César, voyant
avec douleur que cette tentative de royauté eût si peu de succès ou, comme
il le prétendait, qu'on lui eût ravi la gloire du refus, apostropha durement les
tribuns et les dépouilla de leur pouvoir. Jamais il ne put se laver du reproche
déshonorant d'avoir ambitionné la dignité royale, quoiqu'il eût répondu un
jour au peuple qui le saluait du titre de roi : «Je suis César et non pas roi »,
et qu'aux fêtes des Lupercales (14 février) il eût repoussé et fait porter au
Capitole, sur la statue de Jupiter, le diadème que le consul Antoine essaya,
à plusieurs reprises, de placer sur sa tête, dans la tribune aux harangues…
15. De la concordia ordinum au princeps. Cicéron, La république, II, - 51 ?)
Je vous ai montré le premier modèle du despote (Tarquin le Superbe, dernier roi
de Rome) et je vous ai fait observer l'origine de la tyrannie, introduite dans cet État
que Romulus avait fondé sous la protection des dieux, et non dans cette
république dépeinte par l'éloquence de Platon, et conçue dans les promenades
philosophiques de Socrate ; je voulais opposer à Tarquin portant un coup mortel à
l'autorité royale, non par l'usurpation d'une puissance nouvelle, mais par l'injuste
emploi de celle qu'il avait, cet autre chef (Junius Brutus, fondateur de la
république), bon, sage, éclairé sur les intérêts de l'État, jaloux de sa dignité, en un
mot le véritable tuteur et procurateur de la république ; car c'est ainsi que l'on doit
nommer celui qui devra devenir le dirigeant et le gouvernant de la cite.
Reconnaissez l'homme dont je vous parle; c'est celui dont la sagesse et l'active
vigilance sont les garanties de la fortune publique. A peine son nom a-t-il été
pro­noncé jusqu'ici, mais plus d'une fois dans la suite nous aurons parler de ses
fonctions et de son pouvoir. (Cicéron, La République, II, 29)
16. Cicéron contre Antoine. (Cicéron, XlIIe Philippique, II, III, IV et IX, 20 mars 43)
Aujourd'hui (20 mars 43), qu'y a-t-il à espérer? Est-il une paix possible avec des hommes
comme Antoine ? Ajoutez les débris des amis de César, les gens comme Barba Cassius,
Barbatus, Pollion. Ajoutez les familiers d'Antoine, ses compagnons de jeu et de débauche. Je
laisse de côté ses amis, je ne nomme que les chefs. Ajoutez encore à leur troupe les
(anciens de la Ve légion gauloise « Alouette » et les autres vétérans, cette pépinière de juges
de la troisième décurie qui, après avoir englouti leur patri­moine, dévoré les bienfaits de
César, se sont mis à convoiter nos fortunes. Fiez-vous à la main d'Antoine, à cette main qui
a égor­gé tant de citoyens! Quelles seront la garantie et la sanction du traité que nous
aurons conclu avec des gens comme Antoine ?... Dieux immortels ! Ne vous souvient-il plus
des décrets que vous avez lancés contre eux? Vous avez annulé les actes d'Antoine, vous
avez aboli ses lois, vous les avez flétries comme portées par la violence et au mépris des
auspices. Vous avez provoqué la levée en masse de toute l'Italie... Mais, objectera-t-on,
Marcus Lépide, deux fois imperator, grand pontife, qui dans la dernière guerre civile a si bien
mérité de la république, Lépide nous exhorte à la paix. Nul, pères conscrits, n'a plus
d'autorité sur moi que Lépide, tant par sa propre vertu que par l'illustration de sa race...
Lépide veut la paix. Fort bien, s'il peut réussir à celle-ci comme à la dernière qu'il a faite, et
qui permet à la république de revoir le fils de Pompée, de lui ouvrir son sein, de le recevoir
dans ses bras, et de croire qu'il n'est pas le seul rétabli, mais qu'elle-même a été réintégrée
avec lui dans ses droits... César (Octave), dont la vertu divine surpasse l'imagination, a
repoussé ce brigand sanguinaire, dont la fougue impétueuse est tombée devant lui. Et ce
même César, l'insensé d’Antoine croyait le noircir dans ses édits. Il ignorait que toutes ses
calomnies contre un jeune homme si vertueux, si pur, retombaient réellement sur lui-même,
sur les souvenirs de sa honteuse enfance (1). (Cicéron, XlIIe Philippique, II, III, IV et IX,)
1. Au moment de la conjuration de Catilina où sa famille est impliquée.
17. Les proscriptions de 43 (Appien, Guerres civiles, IV)
Aussitôt que les triumvirs se furent emparés du pouvoir, ils se réunirent pour établir des listes
de proscrits; ils y écrivirent les noms des citoyens qui leur étaient suspects par leur influence
dans les affaires publiques, et contre lesquels ils avaient des motifs d'inimitié personnels. Ils
s'abandonnèrent réciproquement leurs propres parents, leurs propres amis, et cela non
seulement dans l'instant, mais encore pour la suite ; car ils n'inscrivirent les proscrits qu'à la
longue, et les uns après les autres, poussés soit par la haine, soit par un conflit quelconque,
soit sous le simple prétexte qu'on était ami d'un ennemi, ou ennemi d'un ami, soit enfin parce
qu'on avait une grande fortune. Ils avaient en effet besoin, pour faire la guerre, de beaucoup
d'argent... On vit des infortunés figurer sur les listes de la proscription parce qu'ils avaient ou
une belle maison dans Rome, ou un belle villa à la campagne. Le nombre total' de ceux qui
furent abandonnés au glaive, ou dont les biens furent confisqués, s'éleva à près de trois
cents parmi les sénateurs, et à deux mille parmi les chevaliers. Cicéron fut de ce nombre... Il
fut décidé que l'assassin de chaque victime n'obtiendrait le salaire promis que s'il se
présentait aux triumvirs la tête de sa victime à la main. Le salaire d'un homme libre était de
l'argent; celui d'un esclave était la liberté et de l'argent... Voici comment était rédigé le
préambule des tables de proscription : « Marcus Lépide, Marc Antoine et Octave César,
choisis par le peuple pour rétablir l'harmonie et ramener le bon ordre dans l'État, proclament
ce qui suit :... Nous pourrions sans doute faire saisir et égorger ceux dont nous avons résolu
la mort, à mesure qu'on les rencontrerait; mais nous préférons inscrire leurs noms sur des
tables de proscription, plutôt que de les faire arrêter à l'improviste... »
Le centurion Laenas, quoique Cicéron lui eût autrefois fait gagner un procès, lui tira la tête
hors de la litière, la lui coupa en trois coups, ou plutôt la lui scia, faute de savoir mieux faire.
Il coupa en même temps la main avec laquelle Cicéron avait écrit contre Antoine.
18.L’orientalisation d’Antoine (Plutarque, Antoine, XXV)
Antoine mit le comble à ses maux par l'amour qu'il conçut pour la reine
Cléopâtre et qui, rallumant en lui avec fureur des passions encore
cachées et endormies, acheva d'éteindre et d'étouffer ce qui pouvait lui
rester encore de sentiments honnêtes et vertueux... Aussi elle s'empara
tellement de l'esprit d'Antoine que ce dernier en oublia et sa femme Fulvie
qui, pour les intérêts de son mari, combattait à Rome contre César, et
l'armée des Parthes, dont les généraux du roi avaient donné le
commandement à Labienus (1). Celui-ci avait embrassé le parti du roi et,
déjà installé en Mésopotamie, à la tête de cette armée, il n'attendait que le
moment d'entrer en Syrie. Oubliant, dis-je, toutes ces considérations,
Antoine se laissa entraîner par cette femme à Alexandrie, où il gaspilla
dans l'oisiveté, dans les amusements et dans les voluptés les plus
indignes de son âge la dépense la plus précieuse qu'on puisse faire, celle
du temps...
1. Ancien lieutenant de César maintenant à la solde des Parthes.
19. La bataille d’Actium selon Velleius Paterculus (I, 85)
César et Antoine rangèrent leurs vaisseaux en bataille et se disposèrent à
combattre, l'un pour le salut, l'autre pour le malheur du monde ; Marcus
Lucius commandait l'aile droite de la flotte de César, Arruntius l'aile
gauche; Agrippa dirigeait tous les mouvements de la marine de guerre. Se
réservant pour le côté où l'appellerait la Fortune, César était partout.
Antoine avait confié le commandement de sa flotte à Sosius et à
Publicola. Quant aux armées de terre, celle d'Octave était sous les ordres
de Taurus, et celle d'Antoine avait pour chef Canidius... Cléopâtre donna
la première le signal de la retraite. Antoine aima mieux suivre la reine
fugitive que rester avec les siens qui combattaient... L'armée d'Antoine,
quoiqu'elle fût privée de son chef, ne s'en défendit pas moins avec
acharnement... Après avoir longtemps combattu pour un général déserteur
de son armée, ils se résignèrent, non sans efforts et sans regrets, à mettre
bas les armes et à céder la victoire.