Ubu enchaîné 1 - académie de Caen

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Ubu enchaîné 1 - académie de Caen
THEATRE ET ARTS DE LA SCENE
Ubu enchaîné
Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen
20/02/12
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THEATRE ET ARTS DE LA SCENE
Ubu enchaîné
20/02/12
―SOMMAIRE―
Avant la représentation
Pour entrer dans l’œuvre
Patronyme et lexique
Le théâtre à l’époque d’Ubu
Jarry et la vie artistique
Le théâtre de Jarry
Lecture de l’œuvre
Le verbe jarryque
Scènes finales et personnages ubuesques
La scène du procès, III,2, étude
Proposition d’abécédaire
Se préparer à la représentation
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Confronter l’avant et l’après spectacle
Une description chorale
Les personnages sur scène
La scénographie et la construction des codes du spectacle
Une rencontre avec les acteurs Valérie Crouzet et Giovanni Calo
Photographies du spectacle
Un bilan de la mise en scène : Jemmet, Jarry… et Ubu
Coïncidence journalistique : Ubu et Cantona
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L’auteur
Bibliographie, sitographie
Ubu, figure récurrente
Rimbaud, « les Assis »
Ubu, modèles, accessoires, successeurs
Extrait, scène I,1
Extrait, le procès, III,2
Scènes finales d’Ubu roi et d’Ubu enchaîné
Le choix d’un acteur
Le metteur en scène et l’équipe artistique
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Deuxième partie après la représentation
Annexes
Le texte d’Ubu enchaîné d'Alfred Jarry est disponible aux éditions du Livre de Poche dans le
volume Tout Ubu.
Pièces à vivre : une série de dossiers pédagogiques conçus en partenariat par la
Délégation Académique à l’Action Culturelle de l’Académie de Caen et les structures théâtrales
de l’académie à l’occasion de spectacles accueillis ou créés en Région Basse-Normandie.
Le théâtre est vivant, il est créé, produit, accueilli souvent bien près des établissements
scolaires ; les dossiers des « Pièces à vivre », construits par des enseignants en collaboration
étroite avec l’équipe de création, visent à fournir aux professeurs des ressources pour exploiter
au mieux en classe un spectacle vu. Divisés en deux parties, destinées l’une à préparer le spectacle en amont, l’autre
à analyser la représentation, ils proposent un ensemble de pistes que les enseignants peuvent utiliser intégralement
ou partiellement.
Retrouvez ce dossier, ainsi que d’autres de la même collection et des ressources pour l’enseignement du
théâtre sur le site de la Délégation Académique à l’action Culturelle de l’Académie de Caen :
http://www.discip.ac-caen.fr/aca/
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THEATRE ET ARTS DE LA SCENE
Ubu enchaîné
20/02/12
Avant la représentation
Pour entrer dans l'œuvre
Le programme d'Ubu est tout entier contenu dans cet extrait de la première scène de l'acte I :
« Puisque nous sommes dans le pays où la liberté est égale à la fraternité, laquelle n'est comparable
qu'à l'égalité de la légalité, et que je ne suis pas capable de faire comme tout le monde et que cela
m'est égal d'être égal à tout le monde puisque c'est encore moi qui finirai par tuer tout le monde, je
vais me mettre esclave, Mère Ubu !»
Activité
1. On invitera les élèves, en fonction de leur niveau, soit à lire les deux pièces en parallèle Ubu roi et Ubu
enchaîné, soit à comparer un passage de chacune, ou tout simplement à méditer les titres des deux pièces. Quelle
évolution, quel rapport s’esquisse entre les deux œuvres ?
2. En quoi la déclaration initiale du père Ubu est-elle surprenante voire comique ?
Après avoir fait l'expérience du pouvoir royal, Ubu se pique de changer de condition et de se faire esclave au
pays des hommes libres... mais à sa manière, c'est-à-dire que même enchaîné, il fait régner sa tyrannie et son
absurdité. L'ouragan ubuesque bouscule les valeurs, en témoigne le cri d'exultation du personnage «Vive
l'esclavage!» qui, de péripétie en péripétie, va être jeté en prison à sa demande, puis va se glorifier d'être jugé et mis
aux fers. Enfin, consécration suprême, Ubu est envoyé aux galères, ce qui signifie pour lui la fin heureuse de ses
aventures.
Ubu «roi» va donc devenir Ubu «enchaîné» et une des premières clés pour percer le sens de la pièce réside
dans la nécessité de l'aborder en parallèle et en interaction avec la lecture d'Ubu roi. De l'aveu même de l'auteur, Ubu
enchaîné est «la contrepartie» d'Ubu roi (Jarry a d'ailleurs parachevé sa signature du bon de justification avant
publication à l'aide d'un même symbole, un dessin de hibou, sur chacune des deux pièces) ; ces deux pièces sont
jumelles, en dépit de la condition diamétralement opposée d'Ubu (roi vs. esclave) et doivent se confronter l'une à
l'autre dans la mesure où elles sont deux pendants dialectiques poussés à l'extrême autour d'une unique force
centripète, le personnage éponyme. Elles se présentent comme le laboratoire d'un personnage qui fait deux
expériences de vie, au sommet et à la base de la pyramide sociale, et nous invitent donc à nous demander ce que
peut être le père Ubu au faîte du pouvoir et ce qu'il devient une fois renversé. Qu'expérimente-t-il au travers de ce
renversement ? Un personnage qui s'est attaché au pouvoir tyrannique devrait normalement souffrir de la déchéance,
or, le fonctionnement d'Ubu fait qu'il tire profit de toutes les situations, y compris de celles qu'on dit défavorables. On
verra que jamais Ubu n'est un esclave stricto sensu et que dans la mesure où c'est lui le grand ordonnateur, on peut
dire qu'il met en scène sa définition autocratique de l'esclavage.
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THEATRE ET ARTS DE LA SCENE
Ubu enchaîné
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Patronyme et lexique
Il sera évidemment bienvenu de faire s'interroger les élèves sur le nom de ce personnage-palindrome, un
et double à la fois, qui, en une voyelle « en miroir » et une consonne centrale, reflète la typologie universelle du tyran
avide, sot, couard. On pourra, au cours de cette même activité de réflexion sur la composition du titre programmatique
faire répertorier les multiples occurrences de l'adjectif «ubuesque» dans les medias. Signalons que l'année
écoulée a été riche en utilisations fréquentes de ce terme. On trouve par exemple le 12 mai 2011, sur le site
l'equipe.fr, «Titre ubuesque pour le Partizan» (il y est question du championnat de football de Serbie qui s'est déroulé
dans des conditions incroyables), sur Le Post.fr le 21 juin « 3000 copies de philosophie sans correcteurs : une
situation ubuesque», dans le journal Libération du 15 juillet sous la plume de Paul Quinio le titre «Ubuesque» pour
qualifier l'affaire l'Oréal, dans Libération du 24 novembre 2011, l'article d'Alain Duhamel sur les écologistes fait
référence à «l'épisode ubuesque du MOX», dans Le Monde du lundi 12 décembre 2011 il est question de
«L'ubuesque odyssée du faux pirate somalien», dans un entretien à Actualités AFP du 6 décembre 2011, J. P.
Chevènement déclare «Je pense que les notations des agences ont quelque chose d'ubuesque» ou sur l'Express.fr,
on relève la réaction de lecteurs «Prouver qu'on est Français c'est une situation ubuesque », etc.
On peut aussi
entendre citer ou lire le nom d'Ubu, il suffit de se référer au titre dans la page Monde du journal Libération daté du 27
décembre 2011 :VIKTOR ORBAN, Ubu roi de Hongrie (Le Premier ministre de droite populiste a fait voter une loi
assurant à son parti les trois quarts des sièges au Parlement...). Des références politiques au simple calembour, cette
activité langagière sera un excellent moyen de faire toucher du doigt les enjeux du texte. On sera amené à voir que
l'adjectif a fait son entrée dans le dictionnaire, en 1906, soit cinq ans après l'écriture d'Ubu, avec l'acception « qui
ressemble au personnage d'Ubu roi par un caractère comiquement cruel ».
(Titre de
Libération du 27
décembre 2011)
Activité
De la même manière, après avoir fait chercher quels peuvent être les traits de caractère d'un personnage nommé
Ubu, on demandera aux élèves de fabriquer une fiche typologique du personnage à partir d'un relevé effectué lors
d'une première lecture de surface. (On pourra aussi inviter les élèves à imaginer une représentation plastique à partir
de ces quelques premiers renseignements.)
Physiquement, Ubu n'est que silhouetté, (il est né, rappelons-le «nulle part»). Reviendront sans doute les
adjectifs «grotesque», «grossier», «violent» et le fait que personne n'imaginerait s'identifier à Ubu. On a bien un type,
facilement caractérisable au point qu'il est cité dans le dictionnaire Thesaurus où il est dit de lui : «On s'y réfère de
plus en plus fréquemment pour désigner l'absurdité agressive et malveillante».
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THEATRE ET ARTS DE LA SCENE
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Le théâtre à l’époque d’Ubu
Alfred Jarry s'inscrit à sa manière, c'est-à-dire en marge, dans une époque féconde pour l'art théâtral. La
création du Théâtre de L’Œuvre en 1893, inspiré par le Théâtre Libre de certains symbolistes et Nabis (avant-garde
cherchant à se débarrasser des contraintes imitatives) et auquel il se trouve associé, sera le lieu de création d'Ubu roi
le 10 décembre 1896. L'ambition du Théâtre de L’Œuvre est d'élever le théâtre au rang d'art. Le répertoire de ce
théâtre comporte des auteurs nordiques tels Strinberg ou Ibsen et intégrera en 1912 une pièce qui frappera l'opinion,
L'Annonce faite à Marie de Claudel.
Le théâtre occupe une place majeure dans la vie mondaine à la Belle Epoque et les Parisiens applaudissent
passionnément des interprètes qui passeront à la postérité tels Lucien Guitry, Réjane et la mythique Sarah Bernhardt.
Le Boulevard connaît un âge d'or, grâce à des auteurs comme Georges Feydeau (1894, Un fil à la patte, Le Dindon en
1896) et Georges Courteline (Un client sérieux en 1896). Un titre comme Ubu cocu se réfère d'ailleurs explicitement
au thème de l'adultère farcesque très en vogue dans le style vaudeville, et Jarry s'amuse à détourner les scènes
typiques de boulevard. Par exemple, sur le modèle de Boubouroche de Courteline, où le mari découvre que sa femme
Adèle le trompe, la même scène devient, transposée en langage Jarry-ubuesque :
« Mère Ubu : C'est Monsieur Ubu, je suis perdue !
Memnon (son amant) : par le guichet en as de carreau, je vois au loin ses cornes qui fulgurent. Où me cacher? »
Ubu cocu, Acte IV, scène 2, page 222, le Livre de poche.
Certes le genre du Boulevard se plaît à égratigner les travers de la bourgeoisie mais sans aller jusqu'à oser
franchir inconsidérément les limites de la bienséance. Or, justement, Jarry va projeter le public bien au-delà en jouant
la carte de l'extrême provocation. Ainsi il dépasse le «folklore potache» de la légende de son lycée au sujet d'un
professeur ridicule ; avec la création d'Ubu, ce qui n'aurait pu devenir qu'une simple comédie, devient une incarnation
outrée du bourgeois répugnant. Celui-ci est dans Ubu enchaîné tour à tour lâche face à la révolte des Argousins («Ah!
Je meurs de peur... Mes pantoufles !») et gonflé d'orgueil («la contrée où nous aborderons sera assurément quelque
pays assez extraordinaire pour être digne de nous»). Cette peinture du grotesque humain et la réflexion implicite sur le
ridicule des humains, que condense Ubu, bouleversent et divisent le public.
Activité
De la même manière que l'on a fait procéder à des recherches sur Jarry on mettra en place des séances de
documentation sur la création théâtrale de la fin du XIXème siècle et des débuts du XXème siècle. Une traversée
dans les arts de l'époque s'impose et permettra aux élèves d'enrichir leurs carnets personnels d'histoire des arts.
On peut consulter les textes critiques qui évoquent la création d’Ubu roi :
«...les couloirs trépidaient, l'assistance était houleuse comme aux plus beaux jours du romantisme. C'était,
toute proportion gardée, une bataille d'Hernani entre les jeunes écoles, décadentes, symbolistes, et la critique
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THEATRE ET ARTS DE LA SCENE
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bourgeoise incarnée avec une lourdeur satisfaite dans la graisse du vieux Sarcey (et il y avait toutes les
notoriétés du monde politique ou des gens de lettres : Rochefort et Willy, Arthur Meyer et Catulle Mendès).
Poètes chevelus, esthètes crasseux et grandiloquents, le ban et l'arrière-ban de la littérature nouvelle,
discutaient, gesticulaient, échangeaient des médisances et des commérages de portier. La rédaction du
Mercure de France, au grand complet, apportant dans ce hourvari une tenue élégante et plus discrète.»
(Laurent Tailhade, critique dramatique)
On peut compléter avec cet extrait de l'amie de Jarry, Rachilde Vallette, qui livre sa description de la salle, lors de la
première d'Ubu roi, transformée par la folie ubuesque :
«Devant Ubu roi, simple satire de toutes les bonnes mœurs et surtout de la guerre, de la grande guerre
qui devait venir, ils sifflèrent implacablement. Ce fut un charivari impressionnant. Gémier orné d'un masque
effroyable (pâle copie avant la lettre de l'effroyable masque à gaz de nos malheureux soldats) et du fond d'un
nez en trompe d'éléphant, leur lança le mot, le fameux mot par lequel débute la pièce, mot du «parlage
français», dit Laurent Tailhade, auquel Jarry avait ajouté une lettre qui lui donnait un accent neuf et la plus
affirmative des sonorités : «Mer...dre!». Un tel tumulte s'ensuivit que Gémier dut rester muet pendant un quart
d'heure, et c'est long, un quart d'heure, à la scène !... Cela s'appelle : un trou. C'était même un vrai précipice !
Les gens de lettres riaient, mais les profanes, surtout les dames, n'en revenaient pas. On s'interpellait d'une
loge à l'autre, on s'invectivait, si bien que Willy, agitant son fameux chapeau à bord plat, de légendaire
mémoire, finit par crier au public : «Enchaînons !» comme estimant la scène à faire surtout dans la salle.
Chaque fois, du reste, que le mot fut dit, au courant de la pièce, et il y est dit très souvent, il reçut le même
accueil: cris de colère, d'indignation ou fou rire. Gémier, le père Ubu, cette excellente Madame France, la mère
Ubu, en prirent leur parti et se montrèrent vraiment merveilleux de courage et de talent.»
Activité
1. On commentera l’atmosphère de cette création et on qualifiera les publics en présence, les éléments du
spectacle qui ont provoqué des réactions. Quelle originalité proposait le théâtre de Jarry ? Contre quels usages
artistiques et sociaux s’inscrivait-il ?
2. Qu’est-ce que l’avant-garde ? Le conformisme ? A quels autres événements théâtraux du 19 ème ou du 20ème
siècle, les circonstances de cette création peuvent-elles faire écho ?
3. On pourra étudier en parallèle le poème de Rimbaud « Les Assis », reproduit en annexe.
L'époque, empreinte de conformisme, n'avait pas l'habitude d'un tel avant-gardisme, qui invitait le spectateur à voir un
reflet de lui-même dans la monstruosité d'Ubu. C'est ce que résume l'interrogation du critique dramatique au Mercure
de France, A. Ferdinand Hérold «…en somme, Ubu n'est-il pas, professeur, politicien,... chacun de nous ? »
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THEATRE ET ARTS DE LA SCENE
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Jarry et la vie artistique
On peut considérer Jarry comme le précurseur « de tous les bouffons des lettres », comme l'avait suggéré Rachilde
Vallette, mais il est également une figure essentielle de la vie artistique de son temps. Rappelons qu'il a débuté
comme critique d'art et qu'il a pu ainsi valoriser des peintres mal compris tels Gauguin ou Henri Rousseau. Il a
également fréquenté le Bateau-Lavoir, cet immeuble du quartier Montmartre transformé en ateliers d'artistes ; c'est là
où Picasso peint ses œuvres de la période rose (c'est même dans ce lieu qu'il dévoile ses Demoiselles d'Avignon).
Jarry y pense le cubisme, d'ailleurs Rachilde Vallette n'hésite pas à le qualifier d' « animateur du mouvement cubiste
en France ». (cf. article disponible sur le site de la Société des Amis d'Alfred Jarry). Il échange avec Van Dongen,
Modigliani, Max Jacob, etc... Jarry se nourrit aussi d'influences aux côtés d'Apollinaire, et bien sûr son imagination
anticonformiste inspirera les surréalistes. Dora Maar, par exemple, exécutera un Portrait d'Ubu en 1936. Plus tard,
Miro qui a été aimanté par la figure d'Ubu, dans lequel il voit un écho à Franco, va s'approprier ce personnage qui va
lui servir de matériau pour une partie de son œuvre (environ une centaine de pièces). Dans un premier temps, il
propose d'illustrer Ubu roi à son ami et éditeur de livres d'art, Tériade. Le projet aboutit douze ans après et l'édition
illustrée comporte de nombreuses lithographies aux couleurs vives.
Puis il imagine deux suites à l'œuvre de Jarry :
- Ubu aux Baléares (1971, également édité par Tériade). Outre les textes, il conçoit des pages calligraphiées de
chiffres, signes, « Merdre » et vagues bleues ainsi que des dessins aux traits simplifiés à l'extrême, réalisés au crayon
de couleur.
- L'enfance d'Ubu (1975) réalisé selon le principe de l'écriture automatique, accompagné de formes en kraft et de
lithographies aux techniques variées (encre, pastel, collage). Il sculpte également le couple Ubu en céramique pour le
jardin de Tériade. Père Ubu y prend la forme d'un gigantesque buste mi-homme, mi-rhinocéros.
Enfin, il conçoit et peint en dix jours des marionnettes pour la troupe de théâtre catalane La Claca qui donne Mori et
Merma, en 1978, à Palma de Majorque puis à Barcelone dans une mise en scène de Joan Baixas. Il s'agit d'une pièce
à partir du personnage d'Ubu, pour comédiens et marionnettes géantes et dont le propos est la dénonciation de la
tyrannie (cf. exposition Miro et Tériade, l'aventure d'Ubu et quelques images sur le site de La Claca).
Activité
La silhouette d’Ubu : on s’appuiera sur le parcours iconographique présenté en annexe.
1. On pourra inciter au relevé des traits récurrents, à leur symbolique.
2. On notera la forme quasi-marionnettique de la silhouette, le lien au théâtre de Guignol.
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THEATRE ET ARTS DE LA SCENE
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Le théâtre de Jarry
Un sujet en or à traiter en histoire des arts ! Références indispensables : les articles « De l'inutilité du théâtre
au théâtre », « Douze arguments sur le théâtre », « Questions de théâtre » qui figurent dans l'édition Tout Ubu du Livre
de Poche, de la page 129 à 149. Suivent deux extraits de l’article « De l’inutilité du théâtre au théâtre » sur le décor et
sur l’acteur.
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THEATRE ET ARTS DE LA SCENE
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Activité
Après lecture d’un ou des deux textes, on pourra amener les élèves à distinguer le théâtre de Jarry de tout réalisme
ou naturalisme et comprendre l’écriture dramatique de l’auteur :
1. De quels modèles se rapprochent respectivement le décor et le jeu de l’acteur prônés par Jarry ? On reliera ces
références à l’héraldique, au masque, à la marionnette à la fois au symbolisme, au guignol.
2. Quels excès critique Jarry dans le théâtre de son époque ? (illusion, fausseté, prétention). En quoi ses
propositions participent-elles à la provocation, à la satire ?
Dans le seul domaine de la création théâtrale, Alfred Jarry contribue à théoriser sa propre conception du
théâtre, distanciée, ironique mais qui puise aux sources en proposant une relecture et une interprétation neuve des
classiques pour aborder le théâtre contemporain autrement. Cette réflexion dramaturgique s'exprime principalement
dans l'article intitulé « De l'inutilité du théâtre au théâtre », paru dans le Mercure de France en septembre 1896, qui
préparait le public aux représentations d'Ubu roi d'une part, et, d'autre part « Questions de théâtre », publié dans la
Revue Blanche, le 1er janvier 1897, suite à l'échec d'Ubu roi.
Jarry balaie les règles d'unité, se débarrasse de la bienséance en soulignant qu'Aristophane n'expurgeait pas
ses comédies des obscénités qu'elles contenaient, pas plus que Shakespeare. Il réclame aussi des personnages
dramatiques suffisamment puissants, qui vaillent la peine d'être « lâchés sur une scène ». On comprendra pourquoi
Dan Jemmett a longtemps dû chercher un acteur en mesure d'endosser les habits d'Ubu. Jarry rejette toute idée de
personnages fades, tels ceux qui l'ont ennuyé adolescent, à l'image des personnages de Dumas fils ou de Labiche.
Il est à la recherche d'une tout aussi importante radicalité en ce qui concerne les décors; pour lui, il est
nécessaire de styliser plutôt que d'imiter, il préconise le décor abstrait que symbolise sa Pologne « c'est-à-dire nulle
part ». Il refuse la stagnation et préfère bousculer les conventions comme il le fait avec le langage théâtral, l'utilisation
des répliques, l'action, le jeu de l'acteur. Le théâtre de Jarry est un art du « pantin philosophique » où tout doit tendre
vers une dénaturalisation (il faut purifier la marionnette de sa gestuelle conventionnelle) et une « dépsychologisation »
aidées par l'exagération du comique et une voix blanche dans l'interprétation. Jarry désire « emblématiser » ce que
Vallette a nommé « les démons de l'absurde » au sein de l'humanité. Et ce théâtre doit provoquer, pour le sortir de son
état amorphe, le public auquel le dramaturge refuse d'asséner « une leçon de sentimentalité et d'esthétique fausse »
ou d'offrir « un délassement ». Le théâtre de Jarry est un théâtre d'action dans lequel il s'agit d'infliger « un coup de
marteau » au spectateur. Le choc est indispensable pour alerter les hommes sur leurs habitudes lénifiantes et sur
leurs travers. Les spectateurs doivent être ainsi bousculés par des conceptions qu'ils rejettent a priori pour ne pas
devenir « des hommes graves et gros et des Ubus » et avertis des risques de l'installation dans le conformisme qui
guetterait tous ceux qui « après avoir publié des livres classiques » deviendraient « probablement maires de petites
villes » ( Questions de théâtre). On pourra aussi montrer que la critique politique est inhérente à ce théâtre et
s'appuyer sur ce dont s'était réjoui le dandy Henri Bauer dans l'Echo de Paris dès le 23 novembre 1896 : « Ah!
Combien violent et irrespectueux, de forte saveur, ce cri, et que j'aime le jeune héraut capable de dépouiller les
institutions et leurs apparences, d'arracher les masques aux trognes ... »
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THEATRE ET ARTS DE LA SCENE
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Une lecture de l'œuvre
Activité
1. Jeu : travailler théâtralement, par improvisation physique des entrées de personnages types : le tyran, l'esclave ;
puis improviser des « rencontres» entre ces mêmes personnages.
2. A partir d'une sélection de quelques répliques d'Ubu dans Ubu enchaîné, faire improviser un discours incluant
ces répliques.
La lecture d'extraits et du texte complet pourra se faire en classe sous la forme d'une lecture à la table, à haute
voix, comme la pratiqueraient des comédiens avant de découvrir le texte avec leur metteur en scène. Les
improvisations effectuées permettront des comparaisons et des intuitions.
Résumé d'Ubu enchaîné
Ubu décide donc, après avoir été roi, de devenir esclave (scène 1). Père Ubu entraîne Mère Ubu dans sa
nouvelle lubie : après avoir exercé la fonction de roi de Pologne, il décrète qu'il veut devenir esclave au pays des
Hommes libres. Pour parvenir à ses fins, il enlève (acte I) Eleuthère, nièce de Pissembock (« Marquis de Grandair »
pour les dames) qu'il prétend servir avec dévotion. Les « services » qu'il rend (acte II) – mal -, et qui sont surtout des
sévices (cirage violent des pieds par exemple) lui « permettent» d'être jeté en prison, puis jugé (acte III), avant de
réaliser son rêve d'être condamné aux galères avec Mère Ubu (acte V). Ubu, encore une fois, règne en maître sur la
scène.
Notes de lecture sur Ubu enchaîné
Ubu enchaîné, 1899, rédigé quatre ans après Ubu roi est à lire comme une symétrie inversée où les valeurs
éthiques, morales et philosophiques sont renversées, malmenées, confondues après avoir été dévoyées dans Ubu roi.
Liberté et esclavage sont, ici, à nouveau distordues par le jeu de l'absurde.
Ubu et l'exercice du pouvoir
Du roi à l'esclave, la chute d'Ubu est matérialisée par un enchaînement d'événements. Chassé du pouvoir
après avoir extrémisé son despotisme, et victime du coup d'état de Bougrelas... à sa plus grande satisfaction, Ubu se
retrouve dépossédé de ce qui lui apportait la jouissance mais pourtant soulagé comme en témoigne son « Ouf ! Me
voilà dehors ! » dans la scène finale. Ainsi peut-il, dès la scène d'exposition d'Ubu enchaîné, argumenter sur les
tourments du pouvoir et justifier qu'il envisage un changement de statut. La pièce s'ouvre ainsi sur ce paradoxe du
choix de la condition d'esclave, qui est pour lui comme une profession.
Ubu, en enfant gâté et capricieux, rappelle tous les désagréments que le « jeu » du pouvoir lui a apportés. On
perçoit que l'exercice du pouvoir dépasse Ubu qui ne sait exprimer son incapacité à gouverner qu'en se référant au
maniement difficile d'objets usuels tels son « petit bout de bois » ou « son parapluie » (traduction : son sceptre). Il se
défie de l'art oratoire : « Je ne veux plus prononcer ce mot, il m'a valu trop de désagréments ».
Ubu dans son rôle d'esclave
Se faire esclave va de pair avec un aménagement de son costume, il croit qu'il y a un uniforme à cette
condition, une sorte de bleu de travail nécessaire : « Allez nous préparer notre tablier d'esclave et notre balai d'esclave
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THEATRE ET ARTS DE LA SCENE
Ubu enchaîné
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et notre boîte à cirer d'esclave et notre crochet d'esclave... ». Ubu se prépare à représenter son rôle d'esclave, le
costume qu'il endosse (et qu'il fait endosser à la Mère Ubu) indique ici clairement la dimension du théâtre dans le
théâtre.
Ubu n'est pas plus un « vrai » esclave qu'il n'a été un « vrai roi ». Il fait des efforts pour interpréter son rôle
d'esclave d'où l'importance de la scène où il verbalise sa nouvelle condition ; par ailleurs il commet des erreurs dans
son propre système : laisser traîner un cadavre, dévorer le festin prévu pour ses maîtres de manière à ne pas avoir à
débarrasser les restes !
Il est évident que l'esclave Ubu reste intrinsèquement Ubu le tyran-roi, inséparable de son cortège de tares
infantiles : la gloutonnerie « t'as de la confiture jusqu'aux yeux ! », la vanité sotte, cf. quand il est jugé, il est au comble
de la félicité car tous les magistrats et tout le peuple se sont déplacés pour assister à son procès qu'il ne voit que
comme un couronnement, l'apothéose de sa carrière d'esclave. L'usage du pronom personnel de majesté est un
indice qui témoigne de l'équivalence des états dans le système Ubu (sur le banc des accusés, il déclare « Nous
constatons avec plaisir que toute la justice est mise en branle en notre honneur...).
Ubu metteur en scène
Non seulement il se choisit son rôle d'esclave, son costume, mais encore il indique à Mère Ubu le rôle qu'il lui
réserve, il impose aux « Hommes libres » une conduite d'acteur et est lui-même l'instigateur des péripéties dès qu'il
proclame son « vive l'esclavage ». Il impose par cette parole son fil conducteur à l'ensemble de la pièce.
En outre, c'est Ubu qui frappe les trois coups dans la mesure où, sans lui, la pièce ne serait que silence et ne
pourrait pas débuter. L' « enchaîné » conserve tout son pouvoir démiurgique et il fait littéralement le spectacle.
NB. « As-tu donc oublié le mot ? » lui demande Mère Ubu : cela peut se lire aussi comme un clin d'oeil au célèbre
« trou de mémoire» des comédiens.
Qui est Ubu ?
Autant que la gourmandise, la cupidité, la couardise, l'autorité despotique fait partie intégrante de la masse d'U bu
; il est impossible d'évoquer un corps d'Ubu, qui tient plutôt d'une esquisse immonde de laquelle surgissent de
manière récurrente des protubérances : le ventre graisseux, le cercle en expansion sur sa chemise, le chapeau
conique de clown de cirque (paradoxalement réservé au clown blanc, le sage). Ubu n'est pas un être à part entière, il
est un Narcisse qui se reflète jusque dans son patronyme-palindrome Ubu. Comme dans tout récit oral légendaire, il a,
de génération en génération d'élèves, conservé des éléments caractéristiques (son physique et son ridicule) et s'est
enrichi au fil des nouveaux épisodes, d'adjonctions, qui en ont fait un type théâtral. Ses traits seulement ébauchés
laissent d'ailleurs une grande latitude à sa représentation dramatique et picturale. Avant d'être incarné par un acteur, il
a été envisagé comme marionnette, un « gros pantin » comme il est défini dans l'insulte de Mère Ubu.
Les valeurs perverties
Un esclave, par définition, ne choisit pas ses maîtres, or c'est la première des choses à laquelle procède Ubu.
Pas plus qu'un esclave ne choisit ses corvées, n'en refuse certaines, n'enferme à double tour ses maîtres ! De même
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THEATRE ET ARTS DE LA SCENE
Ubu enchaîné
20/02/12
un esclave ne revendique ni n'exprime sa fierté... d'esclave. Au contraire, Ubu déborde de vanité et établit un système
d'équivalences qui rend... royale la condition d'esclave autant que ses attributs : les marques de coups de fouet
laissent l'empreinte de « fleurs de lys » incrustées sur la peau, le boulet de forçat est vu comme le globe terrestre des
monarques. Même enchaîné à deux boulets, Ubu se joue du monde (cf. Charlot dans la scène de la mappemonde
dans le Dictateur) et enchaîne les autres à sa volonté : par exemple, il congédie un visiteur à la prison, il critique
l'absence de dureté des militaires, il menace ses geôliers de représailles, etc. Il manie le paradoxe au point de
raisonner par syllogisme pour démonter qu'il est un bon esclave : la preuve (selon lui), « on lui obéit bien davantage ».
Le Verbe jarryque
Activités
En s’appuyant sur les lectures et/ou les textes reproduits en annexe :
1. On répertoriera les vocables récurrents chez Ubu dans les différentes pièces du cycle Ubu. Les
« cornegidouille », « de par ma chandelle verte » ou « tudez » permettront de se projeter dans l'univers farcesque
et rabelaisien.
2. Que peut révéler l’onomastique (le choix des noms propres des personnages) ?
3. Quelles orthographes sont modifiées ? Quels mots incessamment répétés ? Que révèlent-ils d’Ubu, de ses
obsessions ?
Le célèbre juron « merdre », qui secoua tout le public de la fin du XIXème siècle, inscrit par cette épenthèse du R, les
pièces avec Ubu dans une créativité linguistique libre et débridée. Cette forme d'interjection initiale signe la naissance
d'Ubu, symbolise son autorité et son pouvoir royaux (« merdre » , avec 33 occurrences dans Ubu roi sert de formule
magique avant la répression ou le massacre). Ce mot constitue le sésame d'une « trivialité raffinée » selon la formule
de Lacan, capable de sauver Ubu de tous les dangers.
Or, dans Ubu enchaîné, Ubu exerce une forme d'auto-censure en refusant de proférer ce cri jouissif « je ne veux plus
prononcer le mot... » : Comme un pied-de-nez à Mère Ubu et aux spectateurs, sa première réplique est un non-dit
(présence des points de suspension, voir l’extrait reproduit en annexe). Mais, quelle que soit sa condition, Ubu
n'abdique jamais son absolutisme du langage. Soit il finit par avoir le dernier mot (au sens propre, cf. la dernière
réplique d'Ubu roi et d'Ubu enchaîné), soit le spectateur est toujours ramené à la force centripète des logorrhées
d'Ubu.
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THEATRE ET ARTS DE LA SCENE
Ubu enchaîné
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Scènes finales et personnage ubuesque
Comparaison de la scène finale d'Ubu roi et de la scène finale d'Ubu enchaîné.
Ubu roi, scène 4, acte V
Qui ? Père Ubu et Mère Ubu dans une scène de foule.
Où ?« le pont d'un navire »
Ubu enchaîné, acte V, scène 8
Qui? Père Ubu et Mère Ubu dans une scène de foule.
Où ? Le pendant : « la galère capitaine »
Une géographie aléatoire : sur la Baltique avec le clin Une géographie aléatoire: « sur le Bosphore » après
d'oeil à Shakespeare « Nous « arrivons à l'instant sous le
l'embarquement en Turquie.
château d'Elseneur »
vers le château de Mondragon (Vaucluse)
« Nous nous éloignons de la France »
Ubu C'est « le bouquet final »de l'ignorance ubuesque : il Ubu un paradoxe ubuesque : « je n'en suis pas moins
méconnaît et déforme le langage de la navigation
resté Ubu enchaîné, esclave...On m'obéit bien
« amenez le grand coq ». Mère Ubu souligne l'érudition
d'Ubu !
davantage. »
Il prend les expressions au pied de la lettre : « Fauchons
le grand pré » Même méconnaissance des termes de
marine.
Absence totale de logique
dans l'espace, le langage, les péripéties condensées en un laps de temps très bref.
Ubu se pique de gouverner concrètement :
il se fait capitaine et il recourt à une utilisation
personnelle du dicton « capitaine, le seul maître à bord
après Dieu».
Au gouvernail, il est aussi incompétent qu'à la tête de
son royaume : il déclenche un quasi naufrage et un
déluge.
Idem
Et après ?
Ubu ambitionne déjà une nouvelle destinée.
Une dimension picaresque : « Nous éblouirons nos Même auto-satisfaction.
compatriotes des récits de nos aventures
Ubu est certain de débarquer dans un pays digne de lui.
merveilleuses. »
Inscription définitive de l'œuvre dans l'absurde : « S'il n'y
avait pas de Pologne, il n'y aurait pas de Polonais ! »
avec cette fausse parole historique concluant la
péroraison d'Ubu.
Prolongement
Suite à la comparaison des deux extraits, on interrogera les élèves sur les attentes qu’on pouvait nourrir et la
permanence d’Ubu que rien ne change ni n’altère. Contrairement aux pièces de facture classique où les
personnages évoluent psychologiquement au gré des péripéties (d'un état A vers un état B), Ubu reste « fidèle à
lui-même ». Quoi qu'il subisse ou fasse subir, il n'est ni concerné, ni atteint. Ubu est un pantin, une marionnette qui
n'évolue pas. Ce n'est pas un personnage mais un type.
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THEATRE ET ARTS DE LA SCENE
Ubu enchaîné
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La scène du procès, III,2, étude
Cette scène occupe une position essentielle dans la pièce car elle va entraîner Ubu plus avant dans sa « carrière »
d'esclave. Elle apparaît déjà à cette même place centrale dans Ubu roi
où le procès va conduire à un
« emballement » ubuesque. Le couple Ubu vient d'être emprisonné et Ubu est définitivement résolu à investir ce lieu...
à perpétuité. L'espace va être rempli de la tension que fait monter l'attente (fausse) du verdict à laquelle s'ajoute
l'exacerbation de l'infantilisme capricieux d'Ubu. Ubu veut être esclave sur une galère et rien n'est en mesure de
contrarier son envie irrépressible. Etant donné la logique de son système, peu importe qu'il soit condamné puisqu'il est
en permanence son propre maître ; ainsi il falsifie le rôle et les propos de la Justice et il nous condamne à son
absurde perpétuel.
Une scène de genre : un procès détourné
Une parodie : le ridicule des plaidoiries des avocats (répliques coupées, version des faits reprochés à Ubu). Un
Président fantoche, il n'est là que pour faire rayonner Ubu et répéter ce que celui-ci veut.
Toutes les professions de justice sont caricaturées à la Daumier (avocats « perroquets », pleins d'emphase) et sont
perverties, soumises à la pataphysique ; l'huissier, le greffier,... sont des pantins.
On aurait pu s'attendre à une certaine solennité rythmée par la rigueur, l'ordre, des rites (distribution équitable de la
parole) et c'est le contraire qui se produit. Le prévenu s'empare de cette «cérémonie» juridique, comme il s'attaque à
toutes les institutions, c'est-à-dire sans respect et selon ses intérêts. Il agit ici de la même manière qu'il le fait dans
Ubu roi quand il déclare « Qui rendra la justice ? Tiens ! Moi ».
Ubu maître du jeu
Une place prépondérante dans la scène : cf. la place occupée par tout ce qui relève de son identité présentée par les
différents protagonistes jusqu'à ce qu'Ubu balaie les avis divergents, en usant de sa parole despotique.
Usage de l'autorité royale : il donne le tempo « Que cet incident ne vous retarde pas », résurgence du « nous » de
majesté.
Usage de la parole : longueur et forme de ses répliques : discours en logorrhée, pas de fin mais des points de
suspension (comme s'il pouvait reprendre ou poursuivre à l'infini), il accuse la cour de « menteries ». il impose le
silence et il fait régner la loi de sa parole ou de son abstention.(« Madame de ma...J'ai dit que je ne dirais plus le
mot »). Dire « le mot » reviendrait à être acquitté, ce qu'il ne veut pas.
Ubu impose sa peine à la Cour, ce qui est un comble : « … nous ordonnons à messieurs les juges de nous
condamner ».
Le procès prend la forme d'une scène de théâtre dans le théâtre avec l'épisode de farce de la scène de ménage entre
Père Ubu et Mère Ubu (il l'accuse de ne pas avoir de mémoire, elle l'insulte, lui se retient pour ne pas jurer) et la mise
en scène faite par Ubu lui-même.
Le faux procès d'un vrai tyran
Le déroulement et le contenu du procès sont dénaturés, à divers niveaux : dans son argumentation avec le
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THEATRE ET ARTS DE LA SCENE
Ubu enchaîné
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présupposé absurde d'Ubu : le risque du procès, c'est l'acquittement, ce qui entraîne une argumentation tout aussi
absurde (Ubu revendique ses meurtres, fournit des témoins, s'empêche de prononcer le mot qui «porterait» chance).
C’est une condamnation choisie et non subie.
Usage du raisonnement par l'absurde «pas à mort... car il faudrait voter des crédits exorbitants pour la construction
d'une assez grosse guillotine».
Vie et mort perdent leur réalité : «nous avons tué M. Pissembock, qui vous le certifiera lui-même » - il est en effet
présent sur scène.
Dans les slogans de la fin : deux antithèses coexistent « vivent les hommes libres ! » immédiatement suivi de « Vive
l'esclavage ! ». Ainsi « enchaînés » les mots se vident de leur signification pour devenir pantins eux-mêmes.
Le langage juridique est lui aussi traduit en langage ubuesque, soumis à la pataphysique d'Ubu. La justice et la parole
se trouvent vidées de leur substance, elles deviennent tautologies d'Ubu.
Prolongements
Des ponts pourront être faits avec les scènes de procès dans les farces, des textes comme ceux de Tardieu, de
Ionesco et des scènes de procès au cinéma (Rebecca, 1940, de Hitchcock, Le facteur sonne toujours deux fois,
1946, de Tay Garnett, Le procès Paradine, 1947, de Hitchcock, Le crime était presque parfait, 1954, de Hitchcock..,
etc.)
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Ubu enchaîné
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Proposition d'abécédaire
On notera que le récent Ymagier commis par le collège de 'pataphysique est décliné sous la forme d'un abécédaire
(avec par exemple Alcohol, Armerdre, Marionnettes, Palotins, Peintres, Ubu, Ymages)
A comme Absurde: Jarry explore le réel qu'il crée... au-delà de toute logique, mettant en scène des
personnages aux prises avec des situations qui dépassent la raison et la rationalité. Ainsi, la prison est désertée par
ses «habitants», alors les Hommes libres l'investissent, fiers de revendiquer leur liberté, tandis que c'est par définition
un lieu de privation de liberté. L'absurde de Jarry est un moyen de perturber le spectateur de l'époque, de donner une
autre lecture de la réalité. En fait, l'absurde fait partie intégrante de la pataphysique.
B comme Boulet :
Le boulet, c'est l'accessoire le plus significatif de la condition d'esclave (cf. les
Dalton au pénitencier). Ubu «fait l'esclave» d'où son désir excentrique de se voir attribuer un boulet à la cheville. Il est
à noter que le bruit du boulet précède l'entrée en scène d'Ubu (acte III, page 282) signant de cette façon son nouveau
statut identitaire. Le parallélisme est cocasse si on compare cette entrée à une entrée royale où, le roi pénétrant dans
la salle du trône, est toujours, lui aussi, annoncé par le rituel musical des trompettes. Mais, comme Ubu est un
personnage de la démesure et de l'outrance, un boulet ne suffit pas à le combler, il s'en voit attribuer deux (voir H
comme Humour pour la connotation sexuelle) alimentant la confusion du Lord Catoblépas qui hésite entre esclave ou
roi.
C comme Cruauté : elle est moins
évidente à déceler dans Ubu enchaîné que dans Ubu roi, où le
despote «s'équipe» de méthodes d'extermination , concrétisées par le croc, la trappe, la pôche et son cri de fureur
infantile «merdre». Pourtant, malgré sa condition d'esclave, Ubu recourt à la force sans vergogne (acte I, scène 8
«Tudez !»), il minimise l'agression d'Eleuthère et de son oncle «le bonhomme que j'ai massacré» et massacre les
Hommes libres.
D comme Décervelage : cette activité représente une jouissance pour Ubu du temps de son règne.
Concrètement, il s'agit de la cérémonie qui encadre les massacres. Dès l'époque rennaise, Jarry a inventé la
«chanson du décervelage» (jouée le dimanche au son des tambourins) puis imaginera une extermination plus
massive avec sa «machine à décerveler» dans Ubu roi. L'injonction «décervelez» est encore prononcée dans Ubu
enchaîné pour la fausse mise à mort de Pissembock.
Pour
E, le choix est varié :
E comme esclave («profession» que se choisit Ubu, imité par mère Ubu),
E comme enchaîné (glissement de «roi» à «enchaîné» et écho à Prométhée enchaîné).
E comme Eleuthère : certes la nièce de Pissembock n'est pas essentielle au déroulement de l'intrigue
sauf qu'elle permet à Ubu de se faire jeter en prison et condamner à l'esclavage. Et Jarry joue en plus de l'étymologie
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THEATRE ET ARTS DE LA SCENE
Ubu enchaîné
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grecque de ce nom signifiant liberté. D'ailleurs, Eleuthère coupe en prison sa chaîne de forçat (page 295, scène 2,
acte V).
F comme Forçats : les forçats, dont Ubu se délecte de faire partie, ne sont pas vus par Ubu tels que la
représentation habituelle les dépeint (mal nourris, conditions sanitaires inhumaines...). Pour lui, c'est tout l'inverse, ce
sont des projections de son imaginaire ; Ubu ne les décrit que de manière laudative : «livrées splendides», logement
calme, nourriture fournie, bonheur de ne pas avoir à sortir, bref, un forçat jouit en prison de toutes les commodités
dont on peut rêver !
G comme Galère:
la galère, de la même façon que la prison, devient hôtellerie de luxe et n'est pas
pour Ubu ce navire royal où les condamnés étaient envoyés pour ramer en continu. Pour Ubu, c'est un paquebot de
«tourisme» qui lui offre l'opportunité de fuir avantageusement quand la situation s'embrouille (il use de la même
stratégie dans Ubu roi) et de se relancer dans un autre futur.
H comme Hébert:
référence au professeur de sciences physiques du lycée de Rennes ayant donné
naissance au personnage Ubu à partir d'«un «décervelage» en règle : Hébert dérivé en Hébé puis Ebé, l'ultime
modification en Ubu provenant de Jarry lui-même.
H comme Humour: de nombreux procédés agissent en même temps pour se rapprocher de l'outrance
rabelaisienne (l'auteur de Gargantua a abondamment nourri l'esprit de farce de Jarry) : usage de la scatologie
(«merdre», «Pissembock»), allusions sexuelles, calembours, syllogismes, absurdités, vulgarités... L'humour potache
vire souvent au rire jaune et grinçant.
J comme Jarry: on peut apporter ici un autre éclairage sur la biographie de l'auteur et ne s'attacher qu'à
quelques entrées, Jarry et la géographie (Laval, Rennes, Paris, bords de Marne), Jarry et ses amis (Vallette, LéonPaul Fargue), Jarry et ses lectures (Rabelais, La Bruyère, Byron...)
L comme Liberté: le slogan revendiqué par Ubu «la liberté, c'est l'esclavage» peut prêter à sourire en
raison de son ineptie de même que toute la ligne de conduite qui en découle ; Ubu redoute de perdre sa condition
d'esclave d'où ses angoisses quand ses fers se desserrent «j'ai toujours peur de les perdre en route». Cependant, ce
paradoxe peut se lire de manière philosophique : nous nous croyons libres, mais ne serions nous pas plutôt
esclaves? On pourra mettre ceci en relation avec le 1984 d'Orwell où l'on retrouve le même slogan, dans un contexte
de terreur.
M comme Merdre:
cette création par épenthèse (ajout d'une lettre) est l'insulte identitaire d'Ubu au
même titre que le «mille sabords» ou le «tonnerre de Brest» du capitaine Haddock. La loi du comique clownesque
limite à trois occurrences la répétition d'une même plaisanterie afin de ne pas saturer l'effet comique. Ubu, au
contraire, dans Ubu roi, use et abuse de la répétition dont il tire tout son despotisme. En revanche, Ubu enchaîné se
mue en Ubu l'auto-censuré : l'absence de «merdre» rend le juron omniprésent, il semble brûler la gorge d'Ubu qui est
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THEATRE ET ARTS DE LA SCENE
Ubu enchaîné
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encouragé, afin de se sortir du mauvais pas du jugement, à le prononcer mais « e mirliton» (moyen de se bâillonner)
agit jusqu'au tomber du rideau.
N comme Nobles: omniprésents dans Ubu roi, les nobles figurent le ridicule de la Cour et sont traités
comme des marionnettes, des pantins sans substance dont le seul destin envisageable est de retourner à leur néant
théâtral, par la «trappe» qui leur est réservée. La noblesse se fait plus excentrique dans Ubu enchaîné avec les
personnages d'origine anglo-saxonne (Lord Catoblépas) ou turque (Soliman le sultan, le Vizir). Ubu pour sa part
refuse d'être identifié d'après ses origines nobles, ainsi, en déclinant son identité, il insiste sur le contraste entre ce qui
est révolu et son présent : «anciennement roi de Pologne», «actuellement esclave» et il réfute plus loin sa c ondition
passée : «Encore, sagouin ! Je ne suis pas un roi.»
O comme Oneille: le « r » de l'oreille (qui a émigré dans la «merdre») est ici remplacé par le «n» pour
créer un nouveau néologisme ubuesque. « L'oneille » est une partie du corps soumise aux supplices d'Ubu : les
oneilles sont frottées, tirées, tordues, arrachées ou bouchées par la gidouille. Cette déformation phonétique sévit dans
la langue d'Ubu chaque fois qu'il perd son calme ( ce que l'on retrouve aussi avec les voyelles, exemple «ji ti...»).
P comme Pataphysique: contrairement à son passé royal qu'il renie, Ubu «l'enchaîné» revendique
son nouveau grade de docteur en pataphysique (il n'en est pas de supérieur dans la hiérarchie du collège de
'pataphysique). Lorsqu'il doit être interrogé à son procès, il ne manque donc pas de décliner, parmi ses titres de
noblesse, ce titre suprême dont il est glorieux :«… Votre nom ? ― PERE UBU : François, ancien roi de Pologne et
d'Aragon, docteur en pataphysique, comte de Mondragon, comte de Sandomir, marquis de St Grégeois.» (page 279,
acte III, scène 2). La pseudo érudition d'Ubu («très versé dans toutes sortes de sciences... Il n'ignore rien de la
météorologie ni de l'art nautique»!), dépasse les frontières de son ancien royaume puisqu'elle parvient aux oreilles du
sultan de Turquie qui se montre admiratif. C'est d'ailleurs ce «diplôme» qui sert de sésame à Ubu pour parvenir à ses
fins quand il veut être embauché comme esclave à bord de la galère turque.
R comme Rabelais : si Jarry était un lecteur boulimique aux goûts éclectiques, qui dévorait aussi bien
les œuvres antiques que celles de ses contemporains, qui était aussi très féru de littérature anglo-saxonne, c'est
Rabelais qui est son indépassable modèle littéraire en raison de son rire, de sa verve, de son gigantisme, de son art
de l'exagération. Il a souvent regretté de ne pouvoir accéder à la même force débridée et créative du Verbe. Il aurait
même souhaité adapter Pantagruel en opéra-bouffe mais le projet a avorté. Son attachement à Rabelais était tel qu'en
dépit des dettes qui l'assaillaient, il a toujours refusé de se séparer des volumes de son auteur préféré.
S comme Soliman : le sultan incarne une caricature orientaliste (probable écho à l'écrivain Pierre Loti
que détestait Jarry et dont il est même allé jusqu'à réclamer l'exclusion de l'Académie française !).
C'est un ignorant, d'abord il se méfie d'Ubu car c'est un mauvais Musulman qui consomme «de la viande de
pourceau et pisse tout debout» (page 286, acte III, scène 8) mais les flatteries de son vizir le font changer d'avis à
l'instar de tout monarque sot et versatile. Ce personnage occasionne une parodie de scène de reconnaissance
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THEATRE ET ARTS DE LA SCENE
Ubu enchaîné
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lorsqu'il s'imagine qu'Ubu n'est autre que son «propre frère enlevé il y a de longues années par les pirates français et
contraint au travail dans divers bagnes...» (page 300, acte V, scène 6)
U comme Ubu : lors du procès, après qu'Ubu a égrené ses titres, le huissier acte définitivement son
identité en l'inscrivant noir sur blanc :«LE GREFFIER, écrivant: Père Ubu (page 279, acte III, scène 2)». Nous
commençons alors à être un peu plus renseignés sur son apparence physique puisqu'il se complaît à décrire le carcan
qu'on lui fabrique et qui ressemble «au hausse-col du général qui aidait à loucher, en Pologne» (page 281, acte III,
scène 2) mais on ignore toujours quel est son âge car Ubu l'a «donné à garder à la Mère Ubu, et il y a si longtemps»
(page 279, acte III, scène 2). Le portrait d'Ubu est complété par ce qu'en disent les autres personnages : Soliman le
dépeint moralement dans une tirade panégyrique (à lire bien sûr ironiquement) où il est question de «son air noble»,
de sa «prestance». Catoblépas, de la même manière, est aveuglé par la noblesse de l'ancien souverain de Pologne et
ne cesse de répéter à l'envi des «oh!» émerveillés. L'avocat de la défense, qui cherche à faire acquitter son client,
chante les vertus d'Ubu, qualifié «d'honnête homme à l'irréprochable passé» (page 279, acte III, scène 2) autant que
son abnégation quand il a été «séquestré dans le coffre d'une diligence» (page 280, acte III, scène 2). Il arrive même
à la Mère Ubu de complimenter son époux «Père Ubu, tu embellis de jour en jour, tu es fait pour porter le bonnet vert
et les menottes» (page 282, acte III, scène 2), ce qu'il convient pour nous de lire de manière antiphrastique (Ubu s'est
encore enlaidi). Elle s'en remet à lui puisqu'il a «toujours raison» (page 301, acte V, scène 7). L'avocat général
dénonce pour sa part un «monstre déjà souillé de tant de crimes, ayant étendu ses noirs desseins» (page 279,acte III,
scène 2) qui a enlevé Eleuthère de force. Comme toujours, Ubu tient à imposer sa vérité sur lui-même. Au lieu d'une
plaidoirie pour émouvoir le procureur et être éventuellement acquitté, (ce qu'il ne veut pas sinon il ne connaîtrait pas la
galère) il se délecte de sa monstruosité. C''est un exterminateur («Nous avons massacré une infinité de personnes»),
c'est un escroc («Nous avons perçu de triples impôts»). C'est un criminel «Nous ne rêvons que de saigner, écorcher,
assassiner... Nous décervelons publiquement». C'est un rustre, un goinfre, un sot, un inculte, un despote dont on
trouve des portraits vivants similaires.
V comme Verte chandelle : «Par ma verte chandelle» est l'une des interjections caractéristiques
d'Ubu lorsqu'il est pris au dépourvu, cela peut n'être aussi chez lui qu'une simple ponctuation langagière vide de sens.
Cette expression pourrait être considérée comme faisant écho à la «fée verte», périphrase pour désigner l'absinthe,
«une bonne amie» de Jarry, croisée avec l'image figurée «éclairer la chandelle de quelqu'un». Elle fait partie de la
panoplie verbale du Père Ubu, au même titre que son «merdre» signature et on remarque qu'aucun autre personnage
ne se l'approprie. On peut noter que les barbarismes ubuesques surgissent plus spontanément quand le despotisme
d'Ubu déferle. Cela marque le point de départ d'une expansion de la fureur et d'un crescendo de son lexique
personnel. Ainsi «chandelle verte» est suivi de «pôche, boufresque, giborgne....arracheurs de cervelle, oufficiers, notre
armerdre». Il n'y a aucune différence de langage entre l'actuel Ubu enchaîné et Ubu, l'ancien roi de Pologne, deux
versants d'une même souche s'exprimant par jurons et accès colériques.
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THEATRE ET ARTS DE LA SCENE
Ubu enchaîné
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Se préparer à la représentation
Activité
On consultera avec profit en annexe les présentations du metteur en scène et des acteurs, ainsi que les intentions
de mise en scène récapitulées aux adresses répertoriées.
Les élèves futurs spectateurs de la pièce ont peut-être déjà rencontré l'adjectif ubuesque mais rares sont ceux qui
savent que celui-ci a pour origine le personnage théâtral créé par Jarry dans les années 1890, que l'on fréquente peu
au collège, à peine davantage au lycée. Mais ils connaissent de façon plus certaine l'acteur qui a été choisi par le
metteur en scène anglais Dan Jemmett pour interpréter le personnage d'Ubu, l'ancien joueur de football Eric Cantona,
que les supporters anglais ont adulé au point de le désigner par le titre suprême «The King». Cette «mise en appétit»
scénique grâce au sport ne s'arrête d'ailleurs pas à la seule présence de l'ancienne star du football puisque la pièce
est également née de la collaboration étroite entre le théâtre du Phénix de Valenciennes, lieu de création et de
coproduction et le VAFC (Valenciennes Football Club) qui a apporté son soutien à cette création.
On fera remarquer aux élèves que le metteur en scène inscrit son propre travail dans cette logique du double
puisqu'il a mis auparavant en scène Ubu roi, sa première création en 1997 au Young Vic Theatre de Londres et que
son travail sur, autour et à partir d'Ubu permet, dans Ubu enchaîné de poursuivre en écho son exploration théâtrale
sur la relation au pouvoir. Il rappelle à ce propos, dans une interview récente, qu'il voulait «monter Ubu enchaîné
depuis longtemps» parce que «de temps en temps ce personnage est nécessaire» et qu'il «est nécessaire de faire
entendre sa voix politiquement et artistiquement».
On verra que le metteur en scène Dan Jemmett exploite la confusion Ubu/Jarry en ne retenant que trois personnages
dans sa version d'Ubu enchaîné. Seuls restent en scène Ubu, Mère Ubu et un personnage situé à l'extérieur de
l'espace proprement ubuesque : un «narrateur» ? Un manipulateur des deux marionnettes ? Un «petit bourgeois»
selon la dramaturge, une voix autre, une voix qui se superpose, une voix qui intrigue en tout cas: «Est-ce Jarry luimême ? Un faux double d'Ubu ? Le gardien des Ubu ?»
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THEATRE ET ARTS DE LA SCENE
Ubu enchaîné
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Après la représentation
Confronter l’avant et l’après
On peut préparer la rencontre avec l'équipe artistique (si cela a pu être organisé) ou envisager une communication
avec elle via internet. Les questions abordées porteront sur la comparaison entre la pièce lue et la pièce jouée, les
apports du spectacle vivant. On listera tout ce qui est constitutif de l'art théâtral (occupation de l'espace, voix, corps,
texte, costumes, décor, lumières, musique...). On confrontera les représentations individuelles d'avant spectacle aux
réactions liées à l'expérience collective de spectateur. Les élèves peuvent synthétiser leurs remarques dans un
tableau récapitulatif sur le modèle ci-dessous (rubriques indicatives et non exhaustives).
Voici un exemple de tableau récapitulatif renseigné en deux temps (avant/après)
Attentes
représentation
d'avant Bilan
représentation
d'après Remarques et réflexions
Texte
Intégralité jouée.
Texte librement adapté.
Allègement du texte pour une lisibilité
accrue ?
Dispositif
scénique
Plateau
occupé.
Comédiens
/personnages
Nombre : conserver ou non? 3 comédiens, un statut Le parti pris de mise en scène
Quelles incidences ?
particulier
pour
le influence le jeu de l'acteur.
personnage interprété par Quels en sont les effets ?
G Calo
entièrement Deux espaces de jeu: une La scénographie, au théâtre, est
sorte de « castelet », avec « parlante ».
des grilles et le reste du
plateau pour le troisième
personnage.
Gestuelle, travail Une « gesticulation »
du corps
constante peut-être ?
des
Corps d'Ubu constamment Ce corps d'Ubu emprisonné est déjà
en
mouvement
mais une « punition » infligée par le
absence de déplacement. metteur en scène au personnage.
Voix
Des
cris,
aigrelettes.
voix Voix rauques et très aiguës. A l'origine, Jarry avait privilégié les
voix blanches. A comparer.
Costumes
On attend des couleurs Père Ubu et Mère Ubu en Une tenue de cirque propice à la
sombres.
rouge éclatant.
« guignolerie ».
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THEATRE ET ARTS DE LA SCENE
Ubu enchaîné
20/02/12
Pistes d’activités
Se documenter sur la réception du spectacle (contacter, si nécessaire, un théâtre ou un journal local et comparer
les présentations et articles critiques).
Ecrire un article critique sur le spectacle (on pourra alors observer les textes d'experts pour préparer les élèves à
l'écriture critique, cf. article de Télérama téléchargeable en annexe) On s'appuiera aussi sur cet article paru le
19 octobre 2011 pour exercer les élèves au travail de fabrication de titres : ici, UBU à la cantonade, et
Cornegidouille ! (on trouve aussi: Le King Cantona et le roi Ubu, Eric Cantona si près d'Ubu, etc.)
Concernant les portraits, rassembler des portraits (peintures, photos) de monarques, de «grands de ce monde»
(voir portraits de monarque en annexe) et d'esclaves. Comparer avec Ubu, comparer avec des dirigeants
actuels... et il y a de quoi faire. Quelles solutions scéniques ont été choisies par Jemmet ? Qu’aurait-on pu
imaginer d’autres ?
Comparer les récits et photos de mise en scène d'Ubu roi par Jean-Pierre Vincent en mai 2009, à la Comédie
Française et les propos de Dan Jemmett sur Ubu roi (mise en scène en anglais,1998, puis trois ans après en
français) et sur Ubu enchaîné.
Questions à aborder: représenter Jarry (cf. l'acteur Christian Gonon) à bicyclette? Ne pas représenter tous les
protagonistes de l'histoire (cf. Ubu enchaîné) ? Ne pas conserver le texte intégral ? Pourquoi l'adapter ?
Répertorier ce qui a été supprimé et remanié dans l'adaptation de Dan Jemmett. Quelles conclusions en tirer ?
Tenir son « carnet de spectateur : y consigner ses impressions immédiates, qualifier le jeu des acteurs, décrire
avec précision le dispositif scénique, faire figurer les questions relatives aux choix de mise en scène, à
l'utilisation du plateau (le castelet, la position assise d'Ubu, le troisième personnage manipulateur d'objets, les
couleurs des costumes,), y noter les questions soulevées par la pièce, les questions pour lesquelles une
explicitation de l'équipe artistique apparaît nécessaire, y écrire le ou les textes, remarques, que la représentation
a « impulsés ».
*Pour certains, qui fréquenteront une salle de théâtre pour la première fois, cela pourra être un texte intitulé « ma
première fois... au théâtre ». Les lectures en classe d'extraits des carnets permettront, au-delà du simple
éclaircissement des questions de sens, d'en venir à des échanges sur ce que signifie être spectateur d'un
spectacle vivant et sans doute de s'interroger sur les enjeux de ce spectacle qui est en lien avec l'actualité.
Transcrire les différentes séquences de la pièce sous une forme plastique (bande dessinée, série de collages,
etc.)
Présenter oralement le spectacle à des élèves qui ne l'auront pas vu ; l'exercice demande d'apprendre à
sélectionner les différentes informations que l'on veut diffuser et de quelle manière on souhaite les faire partager.
Réaliser une affiche pour ce spectacle : que doit-elle montrer ? Comment (symbole, indices…) ?
Reprendre les improvisations initiales nourries alors de l'expérience récente.
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THEATRE ET ARTS DE LA SCENE
Ubu enchaîné
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Une description chorale
Activité
Une activité formatrice permettant de porter un regard objectif sur le spectacle et d'affiner la nature de ce regard
est la description chorale. Cette activité concerne l'ensemble des élèves spectateurs auxquels s'associent le
professeur et les accompagnateurs.
De manière à favoriser la circulation de la parole au cours des échanges, il est recommandé de ritualiser l'activité.
On veillera tout d'abord à disposer les chaises en cercle, à rappeler les règles élémentaires d'écoute et de prise de
parole. Il sera indiqué que cette activité ne consiste pas à dire si l'on a aimé ou non mais à décrire de la manière la
plus précise et objective possible ce que l'on a vu, remarqué, ce à quoi cela peut faire penser, les échos éventuels
à d'autres spectacles ou à d'autres formes artistiques. Le rôle du professeur, qui lui aussi intervient au cours de cet
échange collectif, consiste à distribuer et à réguler la parole. La durée de l'exercice est au minimum d'une heure et
demie sachant que, une remarque en entraînant une autre, deux heures ne sont pas de trop. De toute manière il
est important de savoir que l'exercice ne se termine pas (et cela se vérifie en le pratiquant), il suffit juste de décider
d'y mettre fin. Le spectacle continue ensuite à résonner en chacun.
Comment lancer les premières prises de parole ? On demande aux élèves de décrire le plateau au moment de
leur entrée dans la salle : dispositif scénique, objets, place exacte des objets, lumières, etc. La qualification de ces
différents éléments est essentielle pour commencer à faire surgir comment chacun est « entré » dans le spectacle.
Viennent ensuite les descriptions des personnages, de leurs costumes, de leurs voix, du jeu des acteurs, des
modifications du décor, des choix de mise en scène, des réactions de la salle, des voisins spectateurs, etc. L'intérêt
de cette activité, outre qu'elle aide à prendre le temps de revenir en profondeur et avec rigueur sur le spectacle,
c'est aussi la possibilité offerte à chacun de prendre tour à tour la parole et de se nourrir de la parole d'autrui. On
constate d'ailleurs que si au début le rythme de prise de parole est un peu lent, le déroulé des remarques devient
dynamique grâce à l'enchaînement des constatations et des réflexions. On peut affirmer qu'à l'issue de ce vrai
temps d'échange, une relecture du spectacle a pu avoir lieu.
A titre d'exemple, voici quelques extraits retranscrits de la description chorale de la représentation du jeudi soir 9
mars 2012 est testée avec les participants du stage « Pratiques théâtrales au collège » animé par Emmanuelle
Chesnel et Nicole Cellier.
Il n'y a pas de rideau entre la scène et la salle.
Un plateau à découvert.
Un plateau extrêmement composé :
A cour, un espace ressemblant à une cuisine avec un buffet, une table, une chaise.
Au milieu, un castelet, rideau fermé.
A jardin, un espace différent : une sorte de hall, d'entrée?
Pas d'harmonie : le guéridon de l'entrée a l'air bancal.
Les jeux de lumière mettent en contraste les deux lieux.
Le regard du spectateur est orienté par la disposition des espaces.
Un rideau rouge fermant un castelet qui fait penser avec ses lumières à une fête foraine, au cirque.
Ce sont des ampoules comme celles que l'on trouve dans les loges et qui encadrent les miroirs.
Le rideau rouge, le castelet, c'est pour la mise en abyme.
Le rideau n'est pas rouge, il est maculé de taches grisâtres, grenues.
C'est la couleur pourpre impériale entachée, comme le blanc de la nappe sur la table, c'est souillé de sang. C'est
sans doute un rappel du passé sanglant d'Ubu roi. De même la vaisselle cassée au pied de la table joue le rôle de lien
avec la pièce précédente.
Moi, de là où j'étais, je ne voyais pas ce qu'il y avait au sol, c'est ensuite que j'ai compris qu'il s'agissait de vaisselle
cassée.
Le rideau du castelet, séparation entre l'espace des Ubu et le troisième personnage.
L'absence de déplacement de Père Ubu et de Mère Ubu est pesante. On voit bien qu'ils sont contrôlés par le
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THEATRE ET ARTS DE LA SCENE
Ubu enchaîné
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conteur auquel tout échappe à la fin.
Le conteur : qui est-ce ?
Celui qui joue avec les figures du pouvoir.
La différence est marquée aussi dans les couleurs des costumes : des rouges pour les Ubu, du gris (sauf la cravate
rouge) pour le conteur.
On pourrait dresser une liste des nombreuses oppositions : le rouge/le blanc , le lisse/le granuleux, l'intérieur du
castelet/ l'extérieur du castelet, la dureté des Ubu/la douceur des tissus qu'ils portent, la monstruosité/ le glamour, la
vulgarité de Mère Ubu/une forme de sensualité, la taille de l'actrice/ la représentation qu'on a de Mère Ubu, l'espace
ouvert pour le conteur/l'espace clos et étroit pour le couple Ubu, le statisme des Ubu/la mobilité du conteur, le buffet
années cinquante/le castelet presque intemporel, le monde de la comédie/le monde du quotidien. En fait, cette pièce
ne repose que sur un système d'oppositions, à l'image d’Ubu roi/Ubu enchaîné.
Les musiques, fortes, soulignent la monstruosité.
Le « côté » marionnette est un clin d'œil aux débuts de Jarry, à ses personnages de pantins.
C'est aussi un clin d'œil au travail de Dan Jemmett qui a commencé comme marionnettiste.
On est dans un cabaret, c'est souligné non seulement par les lumières mais par l'importance de la couleur rouge des
costumes.
On a une ambiance de fête foraine, c'est souligné par la musique.
C'est souligné aussi par le chapeau retourné dès le début comme pour faire la manche.
Ubu reprend ce chapeau, le pose un moment sur sa tête, c'est vraiment ridicule, c'est beaucoup trop petit pour lui.
On est dans l'univers de Charlot avec les signes reconnaissables : le parapluie, le chapeau, la démarche dans la
danse qui s'emballe, l'image de l'éloignement de Père Ubu et Mère Ubu, comme dans les Temps Modernes.
On joue avec les codes du théâtre bourgeois : guéridon, fleur, majordome, sonnette...
Pourquoi un fauteuil vert ? Couleur bannie au théâtre ? Couleur de l'absinthe ?
L'alcool dans la carafe est vert. Non, il est bleu, c'est comme du curaçao. On pense forcément à l'absinthe prisée de
Jarry.
On ne s'attend pas à ce genre de costume : trop lisse, trop beau.
Ubu : épaules carrées, côté bestial, il vocifère. Cela le rend plus hermétique.
On a une tension entre la dimension maîtrisée du corps et son avachissement dans le fauteuil. Posture hiératique.
Mère Ubu, je ne la voyais pas comme cela. Surtout pas dans une telle robe.
Il y a trop de sensualité en elle.
Ce n'est pas de la sensualité, c'est de la vulgarité.
Il suffit de la voir remonter sa culotte.
Ses chaussures élégantes jurent avec son comportement sauvage. ETC.
Certains élèves pourront s'appuyer sur les croquis qu'ils auront dessinés dans leurs carnets de spectateurs. En
facilitant la comparaison entre le plateau à l'entrée du public et le plateau à la fin de la pièce, la compréhension des
choix scénographiques et de mise en scène pourra apparaître plus nettement.
On voit par exemple que le castelet s'est rapproché vers le public, du milieu de scène en avant-scène ; on remarque
aussi que seul le socle du castelet, avec la trappe de Père Ubu et le fauteuil sont encore mis en lumière. Ubu et Mère
Ubu partis, le spectateur est en attente d'un jeu avec ce fauteuil. Le spectateur se demande si le fauteuil va rester vide
ou si, comme cela se produit, le conteur, qui a manipulé un temps les personnages d'Ubu et de Mère Ubu, ne va pas
tenter de prendre leur place. Cette prise de pouvoir, timide et maladroite, a effectivement lieu.
On voit que les remarques s'enchaînent, se complètent, s'opposent, et que chaque intervention apporte des
possibilités de développements. L'expérience ainsi menée conduit à une vision à la fois précise et large du spectacle
vu, en prolongeant la valeur collective du spectacle vivant.
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THEATRE ET ARTS DE LA SCENE
Ubu enchaîné
20/02/12
Les personnages sur scène
Rechercher les différentes fonctions du conteur
Le conteur n'a pas le même statut que les personnages de Père et Mère Ubu puisqu'il dispose dès le début d'un autre
espace scénique. Le plateau lui appartient, cf. le long jeu d'installation comme quelqu'un qui rentrerait chez lui :
déposer sa veste, son chapeau melon, rectifier l'angle du vase, préparer le petit-déjeuner, etc. Il s'impose d'emblée
comme le maître du jeu, libre et tout-puissant sur les Ubu, c'est lui, comme un machiniste, qui ouvre et qui ferme le
rideau du castelet. Il choisit de nous imposer ce qu'il y a à voir dans le castelet, à la manière d'un metteur en scène.
Il est partie prenante de la mise en abyme que corrobore la métaphore du plateau sur lequel il apporte œuf et
tranches de pain, ses « futurs acteurs ». Son rôle est protéiforme car il est également le constructeur du décor. Il enfile
des gants, prend la scie, part travailler en coulisses à la fabrication des barreaux de la prison, c'est aussi
l'accessoiriste qui dispose les objets nécessaires à la pièce, c'est même l'homme chargé de nettoyer le plateau (il
pousse les débris de faïence, il ramasse la confiture...)
Repérer les différents personnages endossés par le personnage du conteur
On distingue deux moyens de représenter ces personnages : soit le conteur est lui-même ses personnages (le
procureur, la cour, le jury, l'avocat, Lord Catoblépas) soit il joue le rôle du marionnettiste qui donne vie aux objets. Ainsi
l'armée des Hommes libres est figurée par trois toasts grillés, le caporal est un œuf à la coque, la cantinière Eleuthère
apparaît sous les traits de trois lys de couleur rose saumon, Pissembock alias le marquis de Grandpré est « incarné »
par une théière blanche, Soliman le Turc est une carafe remplie de liqueur bleue (qui a servi une bonne partie de la
pièce à n'être que l'alcool dont se délecte le conteur), son vizir est un verre. On constate que chaque personnage
incarné est reconnaissable à un code particulier fondé sur des stéréotypes. On pourra répertorier l'ensemble dans
un tableau comme celui ci-dessous.
Personnages
Codes d’incarnation
Armée des Hommes Libres
Il imite un clairon de cavalerie
Eleuthère
Il parle avec une voix efféminée
Le personnage est symbolisé ironiquement par le lys,
fleur de la pureté
Le marquis de Grandpré
Il prend une voix ampoulée de bourgeois de vaudeville
Objet symbolique : la théière du bourgeois
Le caporal
Le roulement du son R « Rrrassemblez-vous » d'autant
plus comique que l'armée n'obéit pas
Le jury
Les faits sont résumés dans une langue mi-grommelot,
mi-italienne : le désir d'Ubu d'être condamné est transcrit
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THEATRE ET ARTS DE LA SCENE
Ubu enchaîné
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par la gestuelle du conteur qui mime l'action de ramer
Le conteur se touche la tête en disant « bonnetto » pour
signifier le désir d'Ubu de porter le bonnet des galériens.
Il fait un geste circulaire des mains pour matérialiser les
chaînes des boulets des Ubu
Soliman et son vizir
Des voix un peu soufflées, orientalisantes
Le processus d'endossement du personnage s'enraye d'ailleurs avec l'épisode du dialogue entre Soliman et son vizir
(scène 6 , acte V). Le marionnettiste enivré par la folie théâtrale, accélère ses prises de boisson, finit par tomber
comme raide mort sur le plateau. C'est un épisode où le conteur est lui-même contaminé par ses marionnettes, il se
cogne dans l'espace, il semble buter contre le vide, il se dégingande dans une absurde danse de claquettes puis il se
fragilise, se dérègle. « Gepetto » est dépassé par ses créatures. Il manque d'être étouffé par la Mère Ubu devenue
hystérique après le départ d'Ubu, de son côté, Ubu a pris sa liberté, il surgit dans la salle au milieu du public et
s'éloigne de son marionnettiste tout comme Dan Jemmett prend des libertés avec l'Ubu enchaîné originel (ajouts de
textes, références précises à Ubu roi et au « Merdre » notamment).
Les facettes du conteur
- Le conteur maîtrise le jeu, il est le roi de ce qu'il nomme dans ses toutes premières paroles au début de la pièce «ses
figures de bois» (texte de la main de Dan Jemmett).
- Il est le narrateur, le coryphée classique.
- Il est le clown qui joue avec la nourriture (va-t-il jeter ou non son œuf sur le plat comme un clown le ferait de sa tarte
à la crème ?) et qui joue avec le comique de répétition.
- Il est le danseur de claquettes de music-hall.
- Il est le sans-nom, celui à qui revient le « non-mot » de la fin lorsqu'il affiche un sourire énigmatique de Joconde.
- On peut avancer l'idée qu'il est un avatar de l'auteur autant que du metteur en scène Dan Jemmett.
Pourquoi des objets à la place des personnages ?
Si l'on décompte les personnages de la pièce, ils sont innombrables : la foule des forçats, le peuple, les gardes, les
policiers, les démolisseurs, etc. on comprend d'emblée, outre le facteur financier qu'imposerait une pareille troupe, la
nécessité d'une stylisation. Dan Jemmett a déclaré aimer traiter les personnages au travers d'objets, ce qu'il a déjà
exploré avec Ubu roi, il n'a pas pour habitude de privilégier une multitude d'acteurs. Ce qui fait sens pour le spectateur
c'est la dérision burlesque qui passe par ces objets. Une nourriture banale en guise de caporal et d'une armée permet
d'égratigner le prestige institutionnel de l'armée dont Jarry se défiait. La réalité, déconstruite par l'absurde, s'en trouve
éclairée autrement, selon la pataphysique. C'est d'ailleurs un mot mis en exergue, très articulé, détaché, dans la
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THEATRE ET ARTS DE LA SCENE
Ubu enchaîné
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logorrhée d'Ubu.
Père Ubu
La connaissance que nous avons des croquis et marionnettes figurant Ubu crée chez le spectateur des attentes à
propos du comédien qui interprète le personnage. Le spectateur imagine un comédien informe, «pâteux», sans traits
définis, obèse, sale, mal habillé. Dan Jemmett propose une vision aux antipodes de ces attentes. La voix est certes
tonitruante et rocailleuse mais au lieu d'un costume conforme à son statut de prisonnier (haillons tachés, rapiécés,
pieds nus...) Ubu ne quitte pas un costume de satin rouge grenadine, voyant, qui perd de son apparente superbe au
moment de la scène de fornication avec la Mère Ubu. Toute la vulgarité du personnage apparaît dans la
transformation de son smoking de cérémonie, digne d'un Monsieur Loyal, en veston débraillé, le pantalon pendant
lamentablement autour des chevilles, laissant apparaître chaussettes blanches et caleçon ! La ridiculisation du
vaudeville dont se moquait Jarry est là aussi tout entière !
Une importance spécifique est accordée aux pieds (souvent mentionnés dans la pièce quand Ubu vante la qualité de
son travail d'esclave-cireur de pieds, une tâche-supplice qu'il affectionne particulièrement). Ses souliers vernis pointus,
rouges, font écho aux escarpins de la Mère Ubu et s'opposent aux souliers noirs du conteur, danseur de claquettes,
majordome. Sachant que le rouge est associé aux passions, aux appétits, à l'intensité, que c'est une couleur
ambivalente, celle des cardinaux et du pape et aussi celle du diable, elle parle en elle-même du caractère d'Ubu. Ne
dit-on pas «rouge de colère», une expression des plus assorties au tempérament volcanique d'Ubu ?
Comment signifier la bêtise, la vulgarité, l'égocentrisme, l'outrance d'Ubu ? Dan Jemmett reconnaît lui-même le défi,
qu'il théorise en s'interrogeant sur ce qui est par définition infigurable, «l'inhumain». Il résout le paradoxe grâce à
l'acteur Eric Cantona dont la corpulence et «le coffre» rendent la monstruosité d'Ubu. Sa stature lui permet d'occuper
l'espace exigu du castelet où, assis dans son fauteuil surélevé, il semble surdimensionné. De la même manière,
quand vers la fin il parcourt la salle entre les rangées de spectateurs, ce côté ogresque (renforcé par les paroles
prononcées, «Tudez !») semble écraser les spectateurs Dan Jemmett souligne l'importance voulue de cet effet : « sa
corpulence et sa voix bousculent les convenances ».
Mère Ubu
Elle est sculpturale, hiératique, elle a des hanches généreuses, un décolleté profond. On a l'impression que ce sont
ces formes-là qui lui font prendre forme dans le jeu, même si ce physique est inattendu et déstabilise le spectateur qui
s'attendait à une mégère, une matrone obèse, difforme, laide et d'emblée repoussante. Ce qui ressort, c'est un
personnage de dominante qui écrase la stature frêle du conteur.
Son visage est particulièrement mobile, il a quelque chose de la gorgone, ce qui expliquerait que ni Ubu ni le conteur
ne s'attardent à la regarder.
Elle a les cheveux frisés, gonflés, une sorte de toison dense, significative de l'exagération ubuesque. Une fleur qui
tient de la fleur exotique, carnivore, semble lui pousser sauvagement dans les cheveux, comme si elle n'était qu'à
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THEATRE ET ARTS DE LA SCENE
Ubu enchaîné
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l'état de nature. Elle joue de ses cheveux, elle les secoue comme une crinière, elle passe sa main dedans (les
emmêle plus qu'elle ne les démêle) et d'ailleurs ses mains vont être le vecteur de toutes ses pulsions. On la voit serrer
les poings, claquer ses mains, battre l'air, se cramponner et griffer.
Son rouge à lèvres d'un carmin très appuyé, dense, oblige le spectateur à se focaliser sur l'oralité du personnage et
sur la distorsion entre propos, signification du propos et l'expression affichée. On note ainsi un hiatus entre cette
bouche de séductrice fatale et la couleur jaune de ses cheveux, et un autre hiatus entre les lèvres tentatrices et les
moues, grimaces, qui tirent son visage et le déforment. Par exemple, sa moue d'approbation des paroles d'Ubu prend
la forme d'une grimace de dégoût, c'est-à-dire l'inverse de ce que l'on attend du code de communication non verbale.
Cela rejoint évidemment l'inversion dialectique qui caractérise Ubu enchaîné.
De même les claquements de ses talons qui ponctuent ses agacements tels des bruits de sabots d'amazones
contribuent à l'ancrer dans une déliquescence du langage.
Sa robe rouge lui donne l'apparence d'une gitane que renforce un jeu de scène à la Carmen (robe relevée sur la
hanche avec un léger décalé de hanche). La couleur n'est pas sans renvoyer au rouge de la « grande prostituée de
Babylone » comme si elle était un péché capital, réduite à son animalité et à sa bêtise. Les motifs noirs et circulaires
(rappel de la circularité ubuesque?) sur le tissu évoquent soit les taches des panthères soit une toile d'araignée.
Quelle que soit la lecture qu'on en fasse, on retrouve cette prégnance de l'animalité dans la symbolisation de la mante
ou du fauve.
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THEATRE ET ARTS DE LA SCENE
Ubu enchaîné
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La scénographie et la construction des codes du
spectacle
On se reportera pour mémoire aux photographies du spectacle reproduites ci-dessous.
Le castelet central
On pourra répertorier ses différentes fonctions :
- Il permet de signifier la mise en abyme du théâtre grâce au plateau représenté par le socle et le rideau rouge
conventionnel. Il contribue à créer ainsi une autre dimension scénique incluse dans la réalité de l'espace scénique du
théâtre.
- C'est un théâtre de marionnettes où ne s'animent Père Ubu et Mère Ubu que selon le bon-vouloir de leur
marionnettiste. On a ici une référence directe au choix théâtral originel de Jarry.
- C'est une cage destinée à contenir les ardeurs des deux fauves qui y sont enfermés et dont l'animalité s'entend au
travers des feulements qu'ils poussent ou des coups de griffe qu'ils donnent.
- C'est l'illustration de la prison où se situe l'action après le procès, dès lors que les barreaux sont fixés.
- Enfin, le castelet se transforme en une structure sans toit qui se déplace jusqu'à l'avant de la scène d'une part dans
un rapport de proximité accrue avec le spectateur (pour annoncer la scène 4 plus philosophique), d'autre part pour
représenter la galère de l'acte V sur laquelle les Ubu prennent place.
Statut de la scène initiale
Elle est à la fois une rétrospective et une scène programmatique.
Rétrospective : Les bris de vaisselle et la nappe maculée de sang résument les propos, les actions et la violence
sanguinaire d'Ubu dans Ubu roi. C'est une vision d'après chaos que fait entendre le personnage du conteur en
piétinant à son tour les objets cassés.
Scène programmatique : Tous les éléments du décor n'attendent plus que les trois comédiens pour s'animer :
- la table servira pour la scène des Hommes Libres, pour la scène de séduction d'Eleuthère et pour le procès,
- le guéridon sera Istanbul,
- le buffet sera comme une « coulisse à vue » avec sa réserve d'accessoires (toaster, poêle, gants, scie...),
- ce buffet joue presque le rôle d'une horloge du temps théâtral car il contient la liqueur et le verre qui, à chaque
ingestion par le conteur, marquent le passage à un autre acte.
Tous les personnages sont déjà en scène : Eleuthère en lys rose, le marquis de Grandpré en théière au bec verseur
très prononcé (le thé sera d'ailleurs versé dans le « vase » d'Eleuthère !).
On assistera ensuite aux entrées en scène des autres personnages, le caporal au crâne d'œuf, les Hommes libres en
toasts.
Les spectateurs sont inclus dans ce théâtre où l'obscurité n'est pas totale, nous sommes voyeurs, dans l'impossibilité
de nous réfugier dans le noir.
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THEATRE ET ARTS DE LA SCENE
Ubu enchaîné
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Une rencontre avec les acteurs Giovanni Calo et
Valérie Crouzet
Voici ci-dessous quelques informations obtenues lors de la rencontre qui a eu lieu le vendredi après-midi 9 mars :
Giovanni et Valérie ont déjà travaillé avec Dan Jemmet dont ils apprécient la force de propositions et la rigueur dans le
travail. Ils annoncent qu'ils joueront de nouveau tous deux avec Dan Jemmett dans Richard III de Shakespeare l'an
prochain et que cette pièce sera jouée à Caen. Ils précisent que, comme dans Ubu, il y aura peu de personnages.
A la question portant sur la directivité ou l'absence de directivité du metteur en scène, les deux comédiens répondent
qu'ils sont guidés tout en ayant une place pour leur liberté propre.
Valérie explique qu'il fait très chaud dans le petit espace de 2m2 qu'elle partage avec Eric Cantona. Au début, quand
ils ont joué à Valenciennes, ils souffraient de la chaleur à tel point qu'on leur a installé un ventilateur. « Depuis, ça va
mieux » se réjouit Valérie. Vers la fin, quand elle doit attendre un long moment sous la trappe, elle y fait l'expérience
de l'exiguïté, mais trouve cela « amusant ».
Valérie, à propos d'Eric Cantona, parle de l'intérêt de jouer avec quelqu'un qui, a priori, n'a pas la même expérience
d'acteur qu'elle, elle estime que cela oblige à travailler autrement, à être dans une autre écoute et une autre
disponibilité.
Une question sur le trou de mémoire est posée. «Plus ça va, plus j'ai le trac, une peur du trou », « je relie cela à une
peur plus profonde, peut-être la peur du vide , la peur de ne plus avoir de mots ». Valérie dit que de nombreux
comédiens ressentent ces angoisses paralysantes, elle cite l'exemple d'une amie qui souffre du vertige devant
certaines salles.
Giovanni Calo est plus fataliste... et optimiste. Il cite un comédien italien qui dit « Minuit finira bien par arriver ».
Les comédiens rappellent que l'apprentissage des textes passe par les nombreuses répétitions et l'appropriation
progressive du personnage.
Quelques questions portent sur le rapport au public. Des personnes veulent savoir si le« bon appétit » proféré dans la
salle au début de la représentation du jeudi 8 mars était prévu, s'il fait partie ou non de la pièce. Non. Ce genre
d'intervention crée une gêne pour Giovanni mais comme cela ne dure pas, cela reste supportable. Giovanni explique
que cela vient de quelqu'un qui n'a pas tous les codes et que sans doute cette réaction est influencée par la complicité
qu'il entretient au début avec le public. Giovanni dit que cela s'est en fait assez peu produit, deux ou trois fois. On
aborde alors la particularité de chaque représentation et du public. Nous constatons que le public du mercredi 7 était
plus réservé que celui du jeudi 8. Les applaudissements ont été plus enthousiastes le jeudi soir par exemple.
Valérie Crouzet parle de son personnage. Elle dit qu'il lui est rarement arrivé de jouer une méchante, que ce n'est pas
forcément confortable. Elle indique que Dan Jemmett lui a demandé de gommer tout ce qui était trop surjoué dans son
interprétation.
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THEATRE ET ARTS DE LA SCENE
Ubu enchaîné
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Photographies du spectacle
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Un bilan de la mise en scène : Jemmett, Jarry et...
Ubu
En dépit du partage d'initiale et du personnage, Jemmett tourne le dos à Jarry par son choix de libre adaptation du
texte, exactement comme Ubu face à son créateur. Il tranche le texte au vif, raccourcit l'ensemble, puise dans Ubu roi
des vocables marqueurs de l'identité d'Ubu (« Cornegidouille », « merdre », « cheval à phynances »...), ajoute ses
propres textes. Il apporte ainsi une forme d'expansion à l'univers déjà en expansion d'Ubu. Il semble emprunter une
démarche ubuesque d'appropriation du langage. Sans façon, il trie, jette à la trappe, se débarrasse du superflu.
On pourra faire repérer aux élèves les scènes qui demeurent des piliers (la scène d'ouverture, la scène du procès, la
scène au camp des Turcs, la scène finale sur la galère...) et celles qui ont été soit compressées (épisodes relatifs au
cirage de pieds) soit annulées (acte IV, scène 6, scène 8). On demandera aux élèves de proposer des hypothèses sur
les raisons de ces choix dramaturgiques. Par exemple on s'attardera sur les raisons qui ont conduit Jemmett à faire
prononcer l'imprononçable (cf. le « merdre »). On pourrait suggérer que Jemmett choisit un autre prisme que celui de
Jarry. Là où Jarry part du principe que le « merdre » est le mot tabou, synonyme « des pires désagréments » de l'acte
I à l'acte V, Jemmett, lui, fabrique son acte libertaire à outrepasser ce qui devait rester intangible. On peut avancer que
la dimension de farce n'a peut-être plus de valeur en 2012 et que le metteur en scène a préféré donner à la pièce une
portée plus politique en prise sur le contexte contemporain. Il n'est pas innocent que Dan Jemmett formule dans sa
note d'intention un lien entre « son » Ubu et « la menace d'explosion nucléaire ». Il offre aussi d'autres contrastes que
Jarry. Lord Catoblépas disparaît presque dans le décor et tout ce qui concerne Eleuthère est mis en exergue, comme
découpé du récit.
Par ailleurs, la musique syncopée permet de transcrire des pulsations qui sont autant d'expressions de la force
centripète du personnage d'Ubu. Elles sont d'une telle intensité, parfois proches de l'insoutenable, qu'elles se font
l'écho sonore de l'inhumanité du personnage. Elles sont comme le « moteur » d'Ubu, qui envahit l'espace au-delà de
la scène, le contamine, jusqu'à irradier par vibrations dans le corps du spectateur. Rappelons que le spectacle, par
opposition au bruit (et à la fureur) se conclut sur un silence qui prend la forme du sourire du conteur. Notons que ce
sourire contient une menace, probablement celle de « l'explosion nucléaire » évoquée par Jemmett et suggérée par
cette scène dévastée et qui rejoint le projet initial d'Ubu « Nous n'aurons point tout démoli si nous ne démolissons
même les ruines ». Le programme ubuesque arrive à ses fins et Jemmett fait à sa manière la démonstration de
« l'outrance », « de la désorganisation », de « l'équivalence des contraires » qui éclatent dans Ubu enchaîné.
Le départ calme, presque posé du couple Ubu, a contrario des excès qui les caractérisent ne serait-il pas de mauvais
augure ? Ne vont-ils pas ressurgir ? La trappe ne pourrait-elle pas se rouvrir ? Le conteur ne prend-il pas des risques
à tourner le dos aux deux bêtes retournées à leur état complètement sauvage? Plus aucun fil ne les reliant à leur
marionnettiste, ils prennent de court, à la toute fin, le spectateur en le laissant prisonnier d'un vide et à la merci
d'une nouvelle prise de pouvoir d'Ubu. Ce dernier ne serait-il pas capable à nouveau d'enchaîner le spectateur ?
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Ubu enchaîné
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Coïncidence journalistique
L'Equipe Mag n° 1547 du 10 mars 2012, paru le lendemain de la dernière représentation d'Ubu enchaîné à Caen,
consacre sa page culturelle à Eric Cantona dans un article qui reprend le titre «Eric Cantona si près d'Ubu». On y
annonce les futures représentations au théâtre de l'Athénée à Paris.
L'article s'intéresse aux similitudes entre Cantona the King, le joueur mythique connu pour ses frasques, un
« pourfendeur de conventions qui régulièrement défraie la chronique » et son personnage Ubu. Ce rôle délicat à
aborder correspond parfaitement aux ambitions et à l'exigence de l'ancien roi des terrains. Ainsi que Cantona le
proclame, il aime «le danger» et «surtout le risque de pouvoir (se) tromper».
Néanmoins Cantona ne s'aventure pas dans un baptême des planches, il a en effet débuté la pratique du théâtre neuf
ans avant de mettre un terme à sa carrière. Depuis il n'a de cesse de travailler sur des projets qui ne «font pas dans la
facilité» tels Apporte-moi ton amour (2002), l'Outremangeur (2003) et Face au paradis (2010), autant de « rôles qui
invitent à la démesure » (Dominique de St Pern, Le Monde 2, « Démesurément Cantona »10/03/2012). Parallèlement,
Cantona se questionne sur lui-même et surtout sur sa propre liberté. La retraite sportive a d'ailleurs cristallisé ses
interrogations au point de le faire sombrer dans une dépression « j'étais un drogué privé de ma drogue. Que faire de
ma liberté ?» (ibid.) Cette faille enfouie dans une corpulence ogresque et invisible derrière un bagout digne d'Ubu (le
« sac à merde » lancé au sélectionneur tricolore Henri Michel, ne déparerait pas dans la bouche de son futur
personnage) justifie, s'il en était besoin, « le flash » éprouvé par Jemmett en voyant jouer Cantona au théâtre Marigny.
L'article montre bien qu'Eric Cantona aime à explorer continuellement de nouveaux terrains, conscient d'avoir déjà
régné sur un monde ubuesque : « joueur, j'ai toujours eu conscience de vivre dans un grand cirque à l'intérieur duquel
tout est possible. » Ainsi Cantona opère-t-il la métamorphose de Cantona The King à Cantona-Ubu enchaîné ou du
terrain vert au « vert pâturage » de la scène finale.
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Ubu enchaîné
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Annexes
L’auteur
(Portrait de Jarry par Félix Valloton)
Alfred Jarry naît le 8 septembre 1873 à Laval où il mène la première partie de ses
études.
Mais sa mère décide de retourner vivre dans sa famille à St Brieuc, avec ses deux
enfants, suite aux échecs financiers répétés de son mari. Alfred Jarry poursuit donc
neuf ans sa scolarité en Bretagne (d'octobre 1879 à juillet 1888). Il y rédige, à partir
de l'âge de douze ans, des comédies versifiées ou non, qui seront un matériau pour
le futur Ontogénie. Puis sa mère, soucieuse de faire suivre des études de qualité à
ses enfants, déménage à Rennes. C'est au lycée de Rennes que Jarry rencontre celui qui va inspirer son futur
personnage Ubu, en la personne d'un enseignant de physique-chimie, Monsieur Hébert, surnommé le P.H., le Père
Heb, dit aussi Eb, Ebé, Ebon, Ebance, Ebouille. De génération en génération les élèves se transmettent une geste
épique et satirique dont il est le protagoniste. Jarry collecte notamment l'épisode, intitulé «Les Polonais», où le
professeur devient roi de Pologne.
En 1890, Jarry l'adapte en comédie, invente le Théâtre des Phynances et ses marionnettes et des représentations
sont données dans l'appartement des Jarry. Les «Polonais» constitue la plus ancienne version du futur Ubu roi. Suivra
Ubu cocu, le deuxième cycle d'Ubu.
En 1891, Jarry est bachelier es lettres, il vient suivre des cours de rhétorique au lycée Henri IV à Paris où il se
passionne pour les leçons de philosophie d'Henri Bergson. Ubu roi et Ubu cocu sont mis en scène pour ses nouveaux
amis, notamment le poète Léon-Paul Fargue.
En 1893, Catulle Mendès et Marcel Schwob (avec qui il devient ami et qui sera, comme Mallarmé l'un des
dédicataires d'Ubu roi) publient Guignol de Jarry dans leur revue l'Echo de Paris littéraire. Le Père Ubu y fait son
apparition.
Malgré ses ennuis financiers et ses échecs répétés à la licence de lettres, Jarry fréquente assidûment les galeries
d'art et les artistes. Il se lie avec Paul Fort, Rémy de Gourmont et est présent aux mardis littéraires organisés par la
femme d'Alfred Vallette, directeur du Mercure de France, et à ceux de Mallarmé. Jarry et Vallette dirigent ensemble
une revue d'art, l'Ymagier, de 1894 à 1895. Jarry séjourne avec Gauguin à Pont-Aven et devient critique d'art. Il lance
ainsi Henri Rousseau, un compatriote de Laval moqué par la bourgeoisie, il habitera même un temps chez lui après
avoir été expulsé de sa garçonnière.
En 1896, grâce à son amitié avec Lugné-Poe, directeur du Théâtre de l'œuvre, il devient secrétaire de ce théâtre.
C'est là qu'ont lieu les premières représentations tempêtueuses et polémiques d'Ubu roi (à partir du 10 décembre
1896, suite à la publication de la pièce au Mercure de France).
Dès janvier 1897, Jarry publie dans la Revue Blanche, à laquelle il collabore régulièrement, « questions de théâtre »,
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Ubu enchaîné
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une réponse aux critiques sur Ubu.
Ubu roi est ensuite donné, en 1898, au Théâtre des Pantins, avec les marionnettes de Pierre Bonnard. Ce dernier
illustre aussi l'Almanach du père Ubu, publié la même année.
1900 Ubu enchaîné, troisième cycle d'Ubu, paraît aux éditions de la Revue Blanche, précédé d'Ubu roi.
Jarry publie régulièrement : le feuilleton Messaline, en 1900, le roman Le Surmâle en 1902 et donne des conférences
sur les marionnettes, à Bruxelles par exemple en 1902. Mais cela est loin d'être suffisant, il survit donc sans le sou,
mais dans l'ivresse. En 1905, ivre, il tire à blanc sur un sculpteur espagnol et c'est Apollinaire qui est obligé de le
désarmer !En dépit de la parution en deux volumes du Théâtre mirlitonesque de Jarry aux éditions Sansol en 1906,
d'une souscription de ses amis pour éditer son opérette Le Moutardier du Pape, en 1906 également, Jarry vit dans le
dénuement le plus total, étranglé par ses créanciers. On constate que Jarry se confond de plus en plus avec son
personnage au point de ne suivre, comme Ubu, que le principe de plaisir : boire, manier le revolver, rouler à bicyclette
(jamais payée, ce qui est devenu mythique) et lire son auteur favori, Rabelais. Ce qui importe pour Jarry c'est de faire
fi de tout confort matériel auquel il ne sacrifiera ni son goût pour l'humour grinçant ni pour la liberté. Ainsi que l'a
commenté Georges Emmanuel Clancier à propos de l'homme Alfred Jarry : «en jouant Ubu, non plus sur scène mais
à la ville, il tend ainsi un terrible miroir aux imbéciles, il leur montre le monstre qu'ils sont. Il dit Merdre aux assis».
Le 28 mai 1906 Jarry écrit aux Vallette : «Le Père Ubu n'a aucune tare ni au foie, ni au cœur, ni aux reins, pas même
dans les urines ! Il est épuisé, simplement, et sa chaudière ne va pas éclater mais s'éteindre. Il va s'arrêter tout
doucement, comme un moteur fourbu». La mort est annoncée par le personnage? Le créateur? Les deux réunis ?
La santé de Jarry se dégrade et il meurt le 1er novembre 1907. Une statue, signée de Zadkine, lui rendra ensuite
hommage dans sa ville natale (elle est depuis 1968 sur le Parvis des droits de l'homme) et Gide mentionnera Ubu
dans les Faux Monnayeurs, dans le chapitre «Le banquet des Argonautes» où le personnage fait une entrée
fracassante. On peut consulter le site «Sculptures à Laval» et y voir une sculpture de Del'Aune, de 1998, représentant
Ubu roi, de même qu'une sculpture de 2007 de Robet Lerivrain, intitulée «Les visages du Père Ubu».
Pataphysique : Jarry forge la science qu'il nomme par dérision la 'pataphysique en parodiant l'étymologie grecque à
partir de la métaphysique d'Aristote. C'est une science qui cherche à théoriser la déconstruction du réel et sa
reconstruction dans l'absurde. La pataphysique s'exerce sous forme de discours, dans des institutions scientifiques,
philosophiques ou via des jeux (un Collège sera fondé en 1948 et Ionesco y sera publié de même qu'on y trouvera
de nombreux inédits de Vian et aussi les premiers travaux de l'Oulipo). La 'pataphysique propose un autre regard sur
le monde : c'est une psychologie nouvelle et imperturbable, au-delà du rire, qui se veut harmonieuse. Elle donne ce
que l'on peut, ou doit, voir à côté du monde vrai. Cette vision, du propre aveu de Deleuze, l'a inspiré pour ouvrir la voie
à la phénoménologie. Même si le propos des Beatles n'est pas le résultat d'une réflexion aussi approfondie, on peut
relever cette référence à la 'pataphysique dans les premières paroles de la chanson écrite par Paul Mac Cartney
«Maxwell's Silver Hammer» (Abbey Road, 1969) où l'on entend «Joan was quizzical, studied pataphysical science
.....» (Joan était intriguée, étudiait la pataphysique .....).
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Ubu enchaîné
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Bibliographie, sitographie
-
Dossier de presse du théatre du Phénix:
http://www.tarbes-infos.com/IMG/pdf/11-Dossier_Ubu_17-09-11_.pdf
-
Edition utilisée :Alfred Jarry Tout Ubu Les Classiques de Poche, Le Livre de Poche, 2000 (repris de l'édition de
1985)
-
Jarry en Ymages, (ouvrage établi au sein du collège de 'pataphysique) Le promeneur, novembre 2011
-
SAAJ : Société des Amis de Jarry (revue L'étoile Absinthe)
www.alfredjarry2007.fr
-
Bande dessinée Ubu roi, adapté par Luc Duthil et Aurore Petit, éditions petit à petit, 2007
-
Bande dessinée l'Outremangeur de Tonino Benacquista et Jacques Ferrandez, Casterman 1998
-
Film l'Outremangeur du réalisateur Thierry Binisti, 2003
-
Film Looking for Eric de Kenneth Loach, 2009
-
Exposition Ubu, d'Alfred Jarry à Miro, collection Tériade (novembre 2009/janvier 2010) :
Musée
départemental Matisse.
-
Article de Télérama « Ubu à la cantonade » :
http://www.telerama.fr/scenes/eric-cantona-si-pres-d-ubu,74236.php
-
Trois vidéos utiles : entretien avec Dan Jemmett, la minute pédagogique du théâtre du Phénix et une interview
d'Eric Cantona :
http://www.theatre-video.net/video/Entretien-avec-Dan-Jammett-a-propos-d-Ubu-Enchaine?autostart
http://www.lephenix.fr/categories-phenix-tv/la-minute-pedagogique/la-minute-pedagogique-ubu-enchaine
http://www.dailymotion.com/video/xljrxk_eric-cantona-au-theatre-dans-ubu-enchaine_news
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Ubu, une figure récurrente
« Le profil de Monsieur Ubu, roi de Pologne construit
spécialement pour être offert à Catulle Mendès par son
admirateur Alfred Jarry. »(1895)
L’enfance d’Ubu par Miro, 1975, coll. Tériade
Illustration du Grand Almanach du Père Ubu par Pierre Bonnard
(1901)
Ubu roi illustré par Miro
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Les marionnettes d'Ubu : la mère Ubu, de Bonnard (1898), le père Ubu,de Gauthard (1901), guignoliste
Sélection de premières de couvertures d'Ubu roi : Fasquelle, Gallimard, Hatier.
Portrait d’Ubu par Jarry (1896)
Le Père Hébert par Alfred Jarry (œuvre de jeunesse)
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Ubu par Picasso
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Rimbaud, « Les Assis »
Tels qu'au fil des glaïeuls le vol des libellules
- Et leur membre s'agace à des barbes d'épis.
Noirs de loupes, grêlés, les yeux cerclés de bagues
Vertes, leurs doigts boulus crispés à leurs fémurs,
Le sinciput plaqué de hargnosités vagues
Comme les floraisons lépreuses des vieux murs ;
Arthur RIMBAUD, Poésies 1870-187
Ils ont greffé dans des amours épileptiques
Leur fantasque ossature aux grands squelettes noirs
De leurs chaises ; leurs pieds aux barreaux rachitiques
S'entrelacent pour les matins et pour les soirs !
Ces vieillards ont toujours fait tresse avec leurs sièges,
Sentant les soleils vifs percaliser leur peau
Ou, les yeux à la vitre où se fanent les neiges,
Tremblant du tremblement douloureux du crapaud.
Et les Sièges leur ont des bontés : culottée
De brun, la paille cède aux angles de leurs reins ;
L'âme des vieux soleils s'allume emmaillotée
Dans ces tresses d'épis où fermentaient les grains.
Et les Assis, genoux aux dents, verts pianistes,
Les dix doigts sous leur siège aux rumeurs de tambour,
S'écoutent clapoter des barcarolles tristes,
Et leurs caboches vont dans des roulis d'amour.
- Oh ! ne les faites pas lever ! C'est le naufrage...
Ils surgissent, grondant comme des chats giflés,
Ouvrant lentement leurs omoplates, ô rage !
Tout leur pantalon bouffe à leurs reins boursouflés.
Et vous les écoutez, cognant leurs têtes chauves
Aux murs sombres, plaquant et plaquant leurs piedtors,
Et leurs boutons d'habit sont des prunelles fauves
Qui vous accrochent l'œil du fond des corridors !
Puis ils ont une main invisible qui tue :
Au retour, leur regard filtre ce venin noir
Qui charge l'œil souffrant de la chienne battue,
Et vous suez pris dans un atroce entonnoir.
Rassis, les poings noyés dans des manchettes sales,
Ils songent à ceux-là qui les ont fait lever
Et, de l'aurore au soir, des grappes d'amygdales
Sous leurs mentons chétifs s'agitent à crever.
Quand l'austère sommeil a baissé leurs visières,
Ils rêvent sur leur bras de sièges fécondés,
De vrais petits amours de chaises en lisière
Par lesquelles de fiers bureaux seront bordés ;
Des fleurs d'encre crachant des pollens en virgule
Les bercent, le long des calices accroupis
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Ubu : modèles, accessoires, successeurs
Tortillas pour les Dalton, Dupuis 1987
mappemonde)
Louis XIV par Hyacinthe Rigaud (1701)
Photo du film de Charlie Chaplin, le Dictateur (scène de la
Louis XVI par J.S. Duplessis (1777)
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Extrait : scène I,1
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Extrait : scène du procès, III,2
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Extraits, scènes finales d’Ubu roi et d’Ubu enchaîné
Extrait d’Ubu roi
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Extrait d’Ubu enchaîné
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Ubu enchaîné
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Le choix d’un acteur
Photos d'Eric Cantona extraites du film l'Outremangeur, de Thierry Binisti (2003)
Photos d'Eric Cantona extraites du film Looking for Eric, de Ken Loach (2008
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Le metteur en scène et l’équipe artistique
L'interview de Dan Jemmet dans une vidéo sur theatre-video.net, enregistrée le 26 mai 2011 au théâtre des Célestins,
fait un point très clair et très synthétique sur ses intentions de metteur en scène d'Ubu enchaîné. Jemmet y dit
combien il a été «frappé que cela (Ubu roi) a été écrit pour les marionnettes» et que pour lui «incarner Ubu c'est
carrément impossible» ce qui justifie selon lui que Jarry soit «passé par l'idée de la marionnette». Il précise qu' «il y a
quelque chose dans la personne de Ubu qui dépasse tout.», ajoute «je me suis dit : est-ce qu'il n'y a pas quelqu'un qui
a d'emblée cette démesure ?» et arrête son choix d'acteur sur Eric Cantona, «une vraie présence», «une présence
que je ne vois pas souvent chez les acteurs» pour lequel il a eu «un flash», attiré par sa «force vitale incroyable» en le
rencontrant de manière fortuite au théâtre Marigny en 2010. Pour nous, spectateurs, il est important de savoir que
notre rencontre avec cet Ubu de Dan Jemmet est une rencontre avec un personnage auquel s'est déjà confronté le
metteur en scène (il y a de cela une dizaine d'années) et que la mise en scène s'appuie sur les mêmes choix : trois
acteurs, un castelet, une partie des protagonistes incarnés par des objets. Jemmet rappelait, au moment de la
création française d'Ubu roi «Quand on lit Ubu roi, il faut commencer par se dire que c'est impossible de le monter... et
puis les objets au théâtre m'intéressent beaucoup, la possibilité d'animer les choses». N'oublions pas qu'à ses débuts,
Jemmett a créé des spectacles de marionnettes, Punch et Judy, l'équivalent de notre Guignol. Par ailleurs, il déclare, à
la fois à propos de sa mise en scène de la «Grande Magie» d'Eduardo de Filippo et de «La comédie des erreurs» de
Shakespeare en 2011, son attachement à l'illusion théâtrale «je suis ému, en tant que spectateur, par les ficelles
visibles de la représentation théâtrale». Il ajoute «Ce qu'il y a de si beau et de si nécessaire au théâtre, c'est que tout
le monde s'y réunit et s'y trouve a priori d'accord pour vivre cette expérience. Même si l'illusion, hélas, ne dure jamais
longtemps.» Metteur en scène «déconstructeur» de Shakespeare, Jemmet a fait grand bruit avec Shake en 2002, une
adaptation de La nuit des rois. Jemmet a aussi travaillé avec la troupe de la Comédie Française dans une version dite
«décapante» des Précieuses ridicules. Ce metteur en scène qualifié d'«iconoclaste», «volontiers déjanté» aime les
interprétations débridées et le burlesque. Une critique récente dit de son Ubu enchaîné que «la pièce lui va comme un
gant», qu' «il croque un portrait mordant d'un Ubu qui n'est pas si éloigné des hiérarques monstrueux et délirants que
la marche du monde nous inflige.»
Mériam Korichi, collaboratrice à la mise en scène
Après avoir débuté à l'Opéra de Montpellier ( collaboration à la mise en scène et à la dramaturgie en 2003 pour l'opéra
Zaïde de Mozart) elle travaille dans une compagnie, le Théâtre des Petits Pieds où seront créés Médée ou je ne t'aime
plus mercredi, L'Echange de Claudel et L'Equilibre de la Croix de Novarina (2007).
Depuis 2005 elle travaille régulièrement avec Dan Jemmet (La Grande magie, 2009/2010), La Comédie des Erreurs
(2011) qu'elle a traduite. Elle a publié de nombreux ouvrages philosophiques.
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Eric Cantona
Les élèves qui viendront assister à la représentation d'Ubu enchaîné bénéficient peut-être également de l'opération
Collège au cinéma qui a programmé au troisième trimestre le film de Kenneth Loach, Looking for Eric, avec Eric
Cantona, acteur de son propre rôle de joueur de l'équipe anglaise de Manchester United dans les années 1990. Ce
célèbre passé footballistique n'a pas sa place sur scène mais les récents articles critiques écrits sur le rôle de
Cantona-Ubu sont nombreux à s'appuyer sur ces références passées. On rappellera d'abord ce que déclare le
directeur général du VAFC (Valenciennes Football Club) au sujet de la collaboration qui s'est instaurée, grâce à Eric
Cantona et grâce à la création de la pièce, entre théâtre et football : «Toujours à la recherche de nouveaux challenges
et de nouveaux horizons, il était naturel pour le VAFC de s'investir au croisement des cultures en étant le partenaire
plus qu'actif de cette création théâtrale portée par une ancienne star du ballon rond, dont la démarche personnelle
illustre à elle seule ces frontières qui disparaissent. Avec Ubu enchaîné Eric Cantona devient par là même le parrain
du nouveau centre de formation du VAFC qui porte les valeurs du travail, de l'exigence et désormais de l'éclectisme.
Qu'ils soient sur les planches, sur terrains verts ou sur un territoire, ce sont par ces rendez-vous que tous les acteurs
gagnent et brillent. Là est le sens de notre engagement.»
On peut lire dans le texte de présentation du spectacle au Phénix de Valenciennes : «Match au sommet en ouverture
de saison avec une création sur le grand plateau. Eric Cantona affronte le père Ubu dans une rencontre arbitrée par le
so british Dan Jemmet. Coups tordus, tacles assassins et noms d'oiseaux annoncés.»
Cet usage de la métaphore filée du football est quasi omniprésent dans tous les articles critiques et vient nous
rappeler cette double appartenance de l'acteur au gazon et aux planches.
Eric Cantona a pris sa retraite de footballeur en 1997 et joue depuis 1995 dans de nombreux films (Le bonheur est
dans le pré, L'Outremangeur...); il est également monté sur scène, en 2010, dans une pièce de Rachida Brakni, Face
au paradis. Sa rencontre fortuite avec Dan Jemmett, (cf. ce qu'en dit Dan Jemmett ci-dessus) fait dire à Cantona
«C'est courageux de la part de Dan de m'avoir proposé ce rôle. On ne m'attend pas trop là.» Et pourtant, on est en
droit de l'attendre dans ce rôle au «costume taillé sur mesure». On avait déjà vu Eric Cantona interpréter au cinéma le
rôle de l'Outremangeur, adapté de la bande dessinée éponyme de Jacques Ferrandez et on avait pu se rendre compte
de l'extraordinaire travail de composition de Cantona dans le rôle du commissaire Séléna. Ferrandez rapporte que
pour «l'adaptation cinématographique, il fallait trouver un comédien capable d'endosser la défroque tant physique que
psychologique du personnage, cela imposait plus le personnage que le comédien». Cantona rappelle que pour lui,
«interpréter l'Outremangeur c'est comme avoir la chance de jouer dans un grand match.» Sans doute en est-il de
même avec le personnage d'Ubu qui, comme l'Outremangeur, se caractérise par sa forte corpulence. Le journaliste
de Télérama, Aurélien Ferenczi approuve ce choix «De fait, on imagine sans mal King Eric, jadis roi de Manchester, en
Ubu, ogre libertaire, ex-roi de Pologne aujourd'hui déchu.» Il ajoute que Cantona, en «homme-tronc virulent, toujours
en mouvement, dans un costume de M. Loyal colérique» fait ressortir par la qualité de son interprétation «la
sauvagerie» de ce spectacle. Cantona semble donc comme l'affirme le titre de l'article «si près d'Ubu».
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Les rôles d'Eric Cantona remplissent non seulement les espaces des terrains, de l'écran et de la scène artistique mais
aussi de la scène sociopolitique. Par exemple, en 2011, son appel aux Français à retirer leur argent des banques pour
couper les racines du système avait fait frémir (même brièvement) les technocrates. Il a déjà organisé des tournois de
football, édité un livre de photographies, tourné un clip pour promulguer l'action de la Fondation de l'Abbé Pierre.
Aujourd'hui, Cantona récidive pour cette année électorale en adressant une lettre ouverte aux maires de France afin
de recueillir 500 parrainages servant la cause du mal-logement. Tel Coluche en 1981 il ne s'agit pas pour Cantona
d'endosser un futur costume de président mais de rester, quel que soit son terrain de jeu, fidèle à ses valeurs «un
agitateur tout terrain, un pourfendeur du conformisme, un provocateur récidiviste» (Libération, 10 janvier 2011).
Valérie Crouzet «qui campe avec délices une Mère Ubu au verbe haut et à la voix éraillée», qui «en a l'abattage, la
gouaille» est passée par le Théâtre du Soleil d'Ariane Mnouchkine où elle a joué dans plusieurs spectacles comme
Les Atrides, Le Tartuffe, etc. Elle a travaillé ensuite avec la compagnie Achille Tonic (Cabaret Citrouille, Les
Caméléons d'Achille). Elle travaille à plusieurs reprises avec Dan Jemmett (Shake, La Comédie des erreurs), Irina
Brook (la bonne âme de Setchouan de Brecht, L'île des esclaves de Marivaux), Samuel Benchetrit (Moins Deux avec
J L Trintignant). Elle est aussi actrice de cinéma et a tourné avec Ozon, Michèle Rosier, Jodorowsky. Récemment, elle
a joué dans Coluche, l'histoire d'un mec d'Antoine de Caunes et King Guillaume de P.F. Martin-Laval.
Giovanni Calo est diplômé de l'école de théâtre Jacques Lecoq et a étudié l'acrobatie et le clown. Il a travaillé avec
un nombre important de metteurs en scène (nombreuses pièces avec Benno Besson) et a déjà travaillé avec Dan
Jemmet dans le Béatrice et Bénédict de Berlioz. Il joue aussi bien dans les spectacles des grands théâtres nationaux
italiens qu'en France pour Chaillot ou l'Opéra Comique. Il joue avec de nombreuses troupes et enseigne dans
plusieurs écoles de théâtre en Italie. En France, il enseigne au centre National des Arts du Cirque de Chalons sur
Marne. Le critique de Télérama présente ainsi son rôle dans le spectacle «Face au couple monstrueux, un comédien
issu d'un autre univers : l'Italien Giovanni Calo a beaucoup travaillé l'art du masque. Ce petit homme discret est, dès
les répétitions, un monstre d'invention et de précision, capable de transformer des objets en personnages, une fleur en
ingénue (cf. photographies du spectacle), trois toasts de pain de mie en trio des Hommes libres dirigé par un caporal
œuf dur».
Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen
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