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Lundi 30 novembre 2015
DEVIENT
N°268
RÉGIES ET ADTECH
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TR I B UNE
La télévision programmatique n’est
pas réaliste à moyen terme
par Emmanuel Crego, business director France de
ONE by AOL
Ces dernières années ont été marquées par l’avènement du programmatique
dans le digital. Nous vivons une vraie mutation de notre industrie, où la technologie devient un élément stratégique de la chaîne de valeur. Si cette révolution reste, en France, encore limitée au digital, elle pose déjà des questions
structurelles majeures aux médias offline, notamment la télévision. Mais l’idée
d’une “télévision programmatique” paraît confuse. Plutôt que d’essayer d’appliquer aux médias traditionnels les solutions du digital, réfléchissons à la
manière dont les outils technologiques peuvent permettre de les améliorer.
En publicité TV,
cibler un individu
ou un foyer est interdit.”
P
our commencer, il est important de faire
la distinction entre la télévision linéaire
(consommée à un moment précis, “en direct”)
et non linéaire (dite de “rattrapage”). Les contraintes juridiques et techniques sont alors très
différentes, tout comme les modes de diffusion.
En France, pour le moment, est achetable en
“mode programmatique” uniquement la TV
non linéaire. Le marché y achète déjà des vidéos
autour des programmes proposés en rattrapage, sur les 5 écrans : PC, mobile, tablette,
consoles de jeux et télévision IPTV (via les
portails des chaînes disponibles sur les boxes).
La question principale concerne donc l’évolution,
possible ou non, de la télévision linéaire en “programmatique”, marché de plus de 3 milliards d’euros selon l’IREP. Le développement de la consommation de la TV linéaire par IPTV (via les boxes)
influence cette réflexion, ouvrant un nouveau
champ des possibles grâce à la technologie.
De quel “programmatique” parle-ton ?
Les avantages majeurs du programmatique sont l’automatisation des achats, les enchères en temps réel, la capacité de cibler
l’individu (ou à minima un terminal), et
la possibilité de personnaliser le message.
Le premier avantage, l’automatisation du flux
achat/vente, même si elle peut être améliorée,
existe déjà en télévision. Les régies ont en effet développé des outils d’optimisation automatisée, reliés aux logiciels des achehttp://www.mindnews.fr
EMMANUEL CREGO,
business director France de ONE by AOL
teurs par échange de données Informatisées.
En revanche, la capacité de cibler un individu ou un foyer, c’est-à-dire “l’adressabilité”, est
pour le moment interdite. Depuis 1992, une
chaîne nationale ne peut pas changer le flux de
diffusion (à l’exception des décrochages pour
les éditions locales de France 3). Si, dans certains pays, il est aujourd’hui possible de diffuser
deux publicités différentes en même temps en
fonction de critères géographiques, sociodémographiques ou comportementaux, une telle évolution paraît peu envisageable à court et moyen
terme dans l’hexagone, en dépit du lobbying
exercé par différents acteurs. Le décret a
notamment été mis en place, dans le but n n n
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Emmanuel Crego,
ONE by AOL
La “TV avancée”
peut déjà apporter de la valeur
ajoutée au marché
publicitaire TV.”
de protéger les médias locaux. Une évolution sur ce point paraît aujourd’hui incertaine.
La
personnalisation
du
message,
qui
découle de cette adressabilité, est donc aujourd’hui impossible. Puisque nous recevons tous le même flux, y compris la publicité, nous voyons alors tous les mêmes spots.
Enfin, en ce qui concerne les enchères en temps
réel, il paraît peu probable que ce mode de commercialisation soit un jour la norme, pour des raisons d’optimisation du yield par les régies. L’espace
publicitaire TV reste relativement restreint et les
revenus sont très concentrés sur le prime time
(de 20h à la fin de la première partie de soirée).
L’absence de visibilité sur la demande et donc l’inventaire à déployer avec un système d’enchères en
temps réel et le risque technique de se retrouver
avec un écran noir si l’insertion en temps réel
ne fonctionne pas, ont des chances de dissuader
les régies de déployer un modèle RTB en télévision… Ce qui n’empêche pas de mettre en place
un système d’enchères plus en amont de la diffusion, et non plus en temps réel. France Télévisions
Publicité avait été précurseur, en lançant début
des années 2000 ce type d’offre (Mediaexchange).
En raison du cadre juridique, technologique et
stratégique actuel, je ne pense pas que la télévision programmatique, selon une définition digitale, soit réaliste même à moyen terme.
nnn
La technologie au service d’une meilleure segmentation de la télévision :
la “TV avancée”
Avant que le contexte juridique évolue en
faveur d’un plus grand ciblage par individus, nous pouvons d’ores et déjà apporter
de la valeur ajoutée au marché publicitaire
TV, à travers le concept de la “TV avancée”.
Cette innovation consiste à disposer d’un échantillon statistique suffisamment robuste pour permettre de croiser des données d’audience avec
des données tierces (données on/off line) et ainsi
créer des cibles comportementales et intentionistes, donc autres que les socio-démographiques
actuelles. Au-delà de pouvoir créer une grande
quantité de cibles, la promesse se fait également
sur la quantité des sources de données tierces disponibles, la fraicheur de ces données, et le
fait de regrouper toutes ces analyses et optimisations sur le même outil. Nous observons déjà
de très bonnes initiatives de certaines régies TV
pour dépasser la cible socio-démographique
et aller davantage vers des cibles “marketing”.
Mais les sources sont limitées, externes aux outils d’achat, et rendent l’optimisation, toujours
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faîte manuellement, complexe et coûteuse…
La technologie doit donc être capable d’intégrer
ces différentes données et automatiser les optimisations des plans TV. Le flux d’achat ne peut être
qu’automatisé pour pouvoir optimiser plusieurs
KPI et critères en même temps, quasiment en
temps réel et avec des outils d’analyses poussés.
L’exemple Australien
Avant Au-delà de ce qui existe aux USA, où le
cadre juridique et de marché est très différent
du nôtre, l’Australie est un pays intéressant à
observer, dans le sens où les contraintes juridiques sur l’adressabilité sont exactement les
mêmes qu’en France. Ce qui n’a pas empêché
ce marché de se lancer dans la TV avancée.
AOL a travaillé avec MCN, une des principales régies TV australienne, à la mise en place
d’une plateforme de ce type. Cette régie réalise déjà près de 5 % de son chiffre d’affaires
grâce à ce nouveau modèle, lancé en mai 2015.
MCN met à disposition une partie de son inventaire, de manière automatisée, via sa plateforme.
Les campagnes sont préalablement négociées avec
les acheteurs (pas de système d’enchères, encore
moins du RTB). Ces derniers utilisent la même
plateforme pour optimiser leur plan TV, selon
des cibles comportementales, intentionistes et/ou
socio-demographiques, selon leur problématique.
Ces données d’audience, remises à jour tous les
matins, proviennent d’un panel de 110 000 foyers,
clients de Foxtel (fournisseur de box), qui croise
la consommation TV et les comportements/intentions du foyer, résultat de différents partenariats avec des fournisseurs tiers (des acteurs de la
grande distribution par exemple). Le panel actuel
propose à date plus de 1 500 cibles possibles. La
plateforme optimise donc les achats en fonction de
ces données d’audience de manière automatisée.
Ce marché a déjà la possibilité d’aller beaucoup
plus loin dans le ciblage des campagnes TV,
première étape d’un modèle qui pourra naturellement évoluer très vite vers de l’adressabilité si
un jour le cadre juridique venait à évoluer. La
TV avancée est donc la première étape avant le
ciblage par foyer et le message personnalisé.
L’objectif pour MCN n’est pas de vendre plus d’inventaire, mais de mieux le monétiser, avec des prix
plus élevés, justifiés par un ciblage plus fin. C’est
donc un produit très premium qui n’est pas là pour
remplacer la commercialisation au coût GRP Net,
norme sur ce marché. La régie prévoit de réaliser
environ 15 % de son CA en 2016 de cette manière.
Pour les acheteurs, au-delà du gain de productivité significatif, cette innovation leur permet n n n
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Emmanuel Crego,
ONE by AOL
Nous ne devons
plus limiter la
télévision à un
“média de masse”.”
d’affiner le ROI des campagnes sur d’autres
critères que le GRP socio-démo. Donc analyser
davantage l’impact de la TV à court et long terme
dans l’ensemble du mix media. Evidemment,
les acheteurs australiens peuvent opérer leurs
achats digitaux sur la même plateforme.
La télévision est un formidable levier, pas
uniquement pour la notoriété et la préférence
de marque, auxquelles on la limite souvent. Il est
temps de prouver encore mieux son efficacité et
ne pas la cantonner à « un média de masse », où
le prix de la déperdition peut être parfois élevé...
Si des possibilités d’évolution de la publicité sur
TV sont possibles, il est inexact aujourd’hui de
parler de télévision programmatique, surtout lorsque l’on se réfère à des modes de télévisions non
linéaires. Il existe des possibilités pour les chaînes
de télévision de mieux valoriser leurs inventaires.
De même, il existe une véritable opportunité
pour les annonceurs de mieux cibler leurs pubnnn
lics. Cette idée nécessite néanmoins de trouver
un bon modèle économique entre divers acteurs :
les régies, les fournisseurs de box, de technologies, les annonceurs et leurs agences, et également la mise en place d’un organisme tiers dont
le rôle serait de collecter les données consommateurs, de façon indépendante, et les croiser avec
les panels de box afin d’affiner la segmentation.
Les conditions de marché sont cependant réunies ; nous n’en sommes donc plus très loin… 
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