La qualité de vie des patients transplantés (ESOT)

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La qualité de vie des patients transplantés (ESOT)
C ongrès
réunion
●
L. Rostaing*
La qualité de vie des patients transplantés - ESOT [1]
INTRODUCTION (P. Morel)
L’optimisation des schémas immunosuppresseurs en transplantation vise à
réduire la détérioration progressive du
greffon et, par là même, à améliorer le
devenir à long terme des patients et des
greffons.
La non-observance est un problème
important, puisqu’elle peut conduire à
la perte du greffon. De fait, en minimisant les effets indésirables des traitements immunosuppresseurs, on peut
ainsi améliorer l’observance du patient
à son traitement.
Enfin, compte tenu du fait que les problèmes de rejets aigus et chroniques sont
mieux maîtrisés, la qualité de vie est
devenue une problématique très importante, qu’il faut s’attacher à améliorer.
Le mycophénolate mofétil (MMF,
CellCept®) est disponible depuis une
décennie et a de fait supplanté l’azathioprine. Plus récemment, de nouvelles
molécules (sirolimus, évérolimus) ou de
nouvelles formulations (EC-MPS) sont
apparues. Chaque immunosuppresseur
est associé à des effets indésirables qui
lui sont propres. Il faudra trouver un
[1]
ESOT (European Society for Organ Transplantation),
15-19 octobre 2005, Genève, Suisse.
Symposium Novartis.
* Service de transplantation organes et néphrologie,
hôpital Rangueil, TSA 50032, 31059 Toulouse Cedex 9.
compromis à long terme entre la prévention de la perte du greffon et l’amélioration de la qualité de vie, en minimisant les effets indésirables des diverses
thérapies.
RÔLE DES ACIDES
MYCOPHÉNOLIQUES (MPA)
DANS LES TRAITEMENTS
IMMUNOSUPPRESSEURS : AMÉLIORER
LES RÉSULTATS À LONG TERME
(F. Ortega)
Les MPA recouvrent deux molécules :
le mycophénolate mofétil et une formulation gastroprotégée, le mycophénolate
sodique (EC-MPS) (Myfortic®). Parmi
les effets indésirables des MPA, les
troubles digestifs sont ceux qui sont
perçus comme le plus négatifs par le
patient, et peuvent retentir sur sa qualité
de vie. Il a été clairement démontré que
le MMF diminuait le taux de rejets
aigus, tant précoces que tardifs, chez les
transplantés rénaux de novo, par rapport
à des patients recevant de l’azathioprine.
Par ailleurs, à long terme, le MMF est
associé à une meilleure survie des
greffons comparativement à ce qui est
observé chez les patients recevant de
l’azathioprine. Le EC-MPS et le MMF
ont une efficacité thérapeutique équivalente chez les transplantés rénaux de
novo.
L’orateur a rapporté l’expérience de
son centre concernant la prévalence
50
des troubles gastro-intestinaux chez les
transplantés rénaux : en 1996, alors
que ses patients recevaient CsA/stéroïdes/ azathioprine, 10 % présentaient
des symptômes gastro-intestinaux, très
modérés pour 80 % d’entre eux. En
2004, alors que l’immunosuppression
est à base d’inhibiteur de calcineurine,
de MMF et de stéroïdes, les symptômes gastro-intestinaux sont observés
chez 40 % de ses patients ; ils sont très
modérés chez 67 %, assez marqués
chez 22 % et sévères chez 11 % d’entre
eux. La survenue d’effets indésirables
sous MMF peut conduire à utiliser des
doses infrathérapeutiques de MPA. Il
est démontré que, dans cette situation,
le risque de rejet aigu est accru et que
la survie à long terme du greffon est
diminuée, générant des surcoûts pour
la société. Ainsi, une étude de
Schnitzler et al. (ATC 2005, abstract
341) a montré que la réduction de
doses de MMF ou son arrêt chez des
patients présentant des troubles gastrointestinaux étaient associés à un risque
accru de perte du greffon d’un
facteur 2 par rapport à des patients
transplantés rénaux recevant des doses
standard de MMF.
La survenue de troubles gastro-intestinaux chez les transplantés rénaux peut
retentir de façon significative sur la
qualité de vie des patients. Le concept
“qualité de vie” combine une composante santé avec des dimensions
sociales, physiques et psychologiques,
et une composante non médicale
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comportant la famille, les amis, les
croyances religieuses, le travail, le
climat, l’environnement politique, les
ressources financières, etc. Une étude
de Rebollo et al. (2001;16:1675-80)
avait montré que la qualité de vie de
patients hémodialysés chroniques ou
traités par dialyse péritonéale était
assez similaire, alors qu’elle était
significativement meilleure chez les
patients transplantés rénaux. L’intérêt
de mesurer la qualité de vie dans des
essais cliniques permet d’avoir
d’autres informations concernant l’efficacité et les effets indésirables du traitement. Cela peut amener le médecin à
mieux comprendre certains problèmes
du patient et l’aider à prendre des décisions.
FACTEURS INFLUENÇANT
LA QUALITÉ DE VIE APRÈS
TRANSPLANTATION RÉNALE
(P. Keown)
Les objectifs de la transplantation
rénale sont de minimiser les effets de
la maladie rénale chronique, d’optimiser la qualité de vie et de limiter les
coûts de la surveillance du traitement.
Cela est exprimé par divers paramètres
tels que le nombre d’années de vie
gagnées, la qualité de vie, la vie sans
maladie, le nombre d’hospitalisations,
etc.
Comme, en transplantation rénale, les
survies à court terme sont de bonne
qualité, il faut porter plus d’attention
au devenir à long terme, et en particulier à la qualité de vie des transplantés
rénaux. La qualité de vie est influencée
par la progression de la maladie sousjacente et les diverses approches thérapeutiques de cette dernière. Ainsi, au
fur et à mesure que la sévérité des
symptômes cliniques diminue, la qualité de vie rapportée augmente. La quali-
té de vie est définie comme une perception subjective de l’impact des problèmes de santé influençant le bienêtre physique, psychologique et social.
La perception d’une maladie chronique
sera différente pour le patient, le médecin traitant, le biologiste et l’organisme
payant.
Les PRO (patient reported outcomes)
sont des indicateurs de l’activité de la
maladie et de l’efficacité des traitements. Ils ont la capacité de décrire le
vécu au quotidien de la prise de médicaments, les impressions globales de
leurs effets, les sensations de bien-être
et de satisfaction accompagnant le traitement. Les PRO sont, de fait, informatifs pour le médecin prenant en charge
le patient.
Des questionnaires sont utilisés pour
évaluer la qualité de vie :
✓ D’une façon générale, en étudiant
divers domaines comme la fonction
sociale, la santé mentale, la perception de la maladie… Par exemple, les
questionnaires SF36, EQ5D ou
PGWBI.
✓ Spécifiquement, dans une pathologie donnée. Par exemple, le questionnaire GIQLI pour les maladies digestives.
Il existe différentes façons d’interpréter
les résultats des questionnaires “qualité
de vie”, comme les comparer à une
population normale, observer la façon
dont ils évoluent avec la progression
d’une maladie donnée...
Quelles sont la validité et la fiabilité des
questionnaires “qualité de vie” : est-ce
que l’instrument utilisé mesure ce qu’il
est supposé mesurer ? Est-ce que le
questionnaire est fiable ? Est-il reproductible ? En général, les PRO procurent des données précises, fiables,
valides et reproductives.
51
ÉVALUATION DES SYMPTÔMES
GASTRO-INTESTINAUX
SUR LE DEVENIR DES PATIENTS :
NÉCESSITÉ DE BONS OUTILS
DE MESURE (D. Revicki)
Les PRO rapportent le point de vue du
patient sur les effets d’un traitement ou
d’une maladie. Ils comportent, entre
autres, la mesure de la sévérité des
symptômes, la qualité de vie, la satisfaction vis-à-vis d’un traitement. Les
PRO sont subjectifs, mais cela ne veut
pas dire qu’ils ne soient pas valides ou
qu’ils ne soient pas des mesures fiables.
Les PRO (Patients Reported Outcomes)
dont la qualité de vie, sont des objectifs
cliniques importants.
Il y a plusieurs façons d’évaluer un
patient : ce qui est rapporté par le clinicien (impression globale, observation, tests fonctionnels, etc.), des paramètres physiologiques (fraction d’éjection ventriculaire, hémoglobine glyquée, taille d’une tumeur), ce qui est
rapporté par les soignants (dépendance
fonctionnelle) et ce qui est rapporté par
le patient (impression globale, bienêtre, symptômes, qualité de vie, satisfaction avec un traitement, adhésion à
un traitement…). Les PRO doivent être
mesurés avec des instruments de bonne
qualité. Cette qualité dépend de la validité du questionnaire, qui doit couvrir
le mieux possible les domaines d’intérêt, et de sa fiabilité (mesure la plus
exacte possible), afin de refléter au
mieux les changements cliniques. La
mesure des PRO est fondée sur la validité de ce qui est rapporté par le
patient, en prenant en compte l’âge, le
sexe, les comorbidités, l’évaluation
éventuelle de l’effet placebo, afin de
bien interpréter les scores. À titre
d’exemple, l’orateur cite les questionnaires de l’étude PROGIS. Dans cette
étude, plusieurs questionnaires étaient
pris en compte : l’échelle de mesure
des symptômes gastro-intestinaux
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(GSRS), l’index de qualité de vie gastro-intestinale (GIQLI), l’index de
bien-être psychologique général
(PGWBI) et, enfin, un questionnaire
destiné à mesurer l’effet global d’un
traitement (OTE) tant sur les symptômes gastro-intestinaux que sur la
qualité de vie.
✓ Le questionnaire GSRS comporte
une échelle pour mesurer les troubles
digestifs (haut et bas). Il y a cinq sousclasses : reflux gastro-œsophagien,
diarrhée, constipation, douleurs abdominales et mauvaise digestion. Des
scores élevés indiquent des symptômes
plus marqués. Voici l’une des questions :
“Avez-vous été ennuyé par une douleur
à l’estomac durant la dernière
semaine ?”.
✓ Le questionnaire GIQLI comporte
trente-six items pour mesurer l’impact
des symptômes gastro-intestinaux et de
la maladie sur la qualité de vie. Il y a
cinq sous-groupes : symptômes gastrointestinaux, statut émotionnel, fonction
physique, fonction sociale et stress visà-vis du traitement médical. Des scores
élevés indiquent une meilleure qualité
de vie. Un exemple de question :
“Combien de fois durant les deux dernières semaines avez-vous été gêné par
de la diarrhée ?”.
✓ Le questionnaire PGWBI comporte
vingt-deux items pour mesurer la détresse
psychologique et le bien-être. Il comporte
six sous-groupes : anxiété, déprime,
bien-être, self-control, santé globale et
vitalité. Des scores élevés représentent
un bien-être psychologique plus important. Exemple d’une question : “Quelle
énergie ou vitalité avez-vous ressentie
durant le dernier mois ?”.
✓ Le questionnaire OTE (Overall
Treatment Effect) mesure le changement
global des symptômes (gastro-intestinaux, dans PROGIS) ou de la qualité de
vie par rapport à la période de départ. Il
est rempli par le médecin (uniquement
pour l’évaluation des symptômes) et par
le patient (pour les symptômes et la
qualité de vie). Il y a deux types de
questions : d’une part “Y a-t-il amélioration, stabilité ou aggravation des
symptômes ?”, et, d’autre part “S’il y a
amélioration/aggravation, pouvez-vous
le quantifier sur une échelle allant de 0
à 7 ?” Le questionnaire OTE est utilisé
pour déterminer la différence clinique
minimale significative concernant les
PRO. Cela permet de mesurer la différence entre le départ et la fin de l’intervention ; les patients sont alors répartis
en deux catégories : groupe sans changements et groupe avec modifications.
Avant l’étude PROGIS, ces questionnaires (GSRS, GIQLI et PGWBI) ont
été testés auprès de patients transplantés
rénaux (Kleinmann et al. Transplant
Proc 2005;37:846-9). L’ensemble des
questionnaires a montré de bonnes,
voire très bonnes propriétés psychométriques dans cette population. Dans cette
étude de validation des questionnaires, il
est conclu que les troubles gastro-intestinaux chez les transplantés rénaux ont
un impact négatif sur la qualité de vie.
Les outils PRO ainsi validés peuvent
désormais être utilisés chez les transplantés rénaux dans des études prospectives pour évaluer l’impact de diverses
stratégies thérapeutiques sur la qualité
de vie globale et sur la qualité de vie
centrée sur les troubles digestifs.
Prise en charge des patients transplantés
rénaux présentant des symptômes
gastro-intestinaux : place du mycophénolate sodique (S. Mulgaonkar)
L’orateur a résumé les résultats de l’étude
PROGIS (Patient Reported Outcomes in
renal transplant patients with or without
Gastro-Intestinal Symptoms).
52
●
Objectifs
Les objectifs de cette étude étaient
d’identifier et d’évaluer l’impact de
troubles gastro-intestinaux sur la qualité
de vie de patients transplantés rénaux et
de déterminer si la sévérité de ces
symptômes gastro-intestinaux et la qualité de vie de ces patients étaient améliorées après passage du MMF au
mycophénolate sodique.
● Schéma et effectif
L’étude a inclus 328 patients transplantés rénaux en maintenance (safety
population) répartis en Allemagne
(6 centres), en Australie (9 centres),
aux États-Unis (5 centres), en
Argentine (4 centres), en Suisse
(2 centres) et au Chili (un centre). Il
s’agissait d’une étude prospective,
ouverte, longitudinale, non randomisée. Il y avait deux cohortes : la cohorte A était constituée de patients sous
MMF, souffrant de troubles gastrointestinaux et convertis du MMF vers
le mycophénolate sodique sur une
base équimolaire. La cohorte B comportait des patients sans troubles
digestifs qui restaient sous MMF.
Seuls 278 patients sur 328 ont été analysés (population per protocole). La
cohorte A comportait 177 patients et la
cohorte B 101. En début d’étude, les
patients sous MMF sont évalués par
leur médecin de transplantation : ceux
présentant des troubles digestifs
constitueront la cohorte A, ceux n’en
présentant pas la cohorte B. Les
patients des deux cohortes remplissent
les questionnaires PRO en début d’étude, puis quatre à six semaines plus
tard.
● Population
À l’inclusion dans l’étude, les patients
des deux cohortes étaient comparables
pour ce qui est de l’âge moyen, du sexratio, de la race, du poids, du temps
écoulé depuis la transplantation (en
moyenne 4 ans dans la cohorte A et
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3,3 ans dans la cohorte B) et du type de
transplantation (cadavérique versus
donneur vivant). À l’inclusion, dans la
cohorte A, selon l’évaluation du médecin, 67,8 % des patients présentaient
des douleurs abdominales ou une flatulence, 63,3 % une diarrhée, 52,5 % une
dyspepsie, 41,2 % des nausées et
10,7 % des vomissements. Les symptômes digestifs étaient évalués comme
minimes dans 28,2 %, modérés dans
58,2 %, et sévères dans 13,6 % des cas.
Pour ce qui est de l’immunosuppression, 41 % des patients de la
cohorte A contre 61 % de la cohorte B
recevaient une immunosuppression
comportant MMF/CsA ; 5 % des
patients de la cohorte A contre 29 % de
la cohorte B recevaient une immunosuppression associant Tac/MMF ; 7 %
des patients de chacune des cohortes
recevaient seulement du MMF ; enfin,
7 % des patients de la cohorte A et 3 %
de la cohorte B recevaient une association MMF + sirolimus. Les patients
de la cohorte A recevaient des doses
moyennes quotidiennes de MMF significativement plus basses (1,53 g/j) que
ceux de la cohorte B (1,74 g/j ; p =
0,001). Les patients des deux cohortes
ont donc rempli plusieurs questionnaires : GSRS, GIQLI, PGWBI, OTE
(ce dernier uniquement lors de la
deuxième visite).
● Résultats à la visite 1
Impact des troubles gastro-intestinaux
sur la qualité de vie des patients traités
par MMF. En début d’étude, pour ce
qui est des réponses aux cinq sousgroupes de questions du questionnaire
GSRS (douleurs abdominales, syndrome de reflux, diarrhée, indigestion,
constipation), les patients de la cohorte A avaient pour chacun de ces symptômes des valeurs moyennes significativement plus élevées que ceux de la
cohorte B. La différence des moyennes
entre les deux groupes était toujours
supérieure à un, traduisant donc une
significativité non seulement statistique, mais également clinique. Pour ce
qui est des cinq sous-groupes contenus
dans le questionnaire GIQLI, les
valeurs moyennes obtenues étaient
significativement plus élevées dans la
cohorte B que dans la cohorte A, traduisant donc une moins bonne qualité
de vie pour les patients de la cohorte A.
Cela était vrai pour chacun des items, à
savoir symptômes/émotion/fonction
physique/fonction sociale/traitement
médical. Pour ce qui est des réponses
au questionnaire PGWBI, les patients
de la cohorte A avaient, pour l’ensemble des six sous-groupes, des
scores significativement plus bas que
ceux de la cohorte B (anxiété/déprime/
bien-être/self-control/santé globale/
vitalité).
● Résultats à la visite 2
Amélioration des symptômes gastrointestinaux et de la qualité de vie après
conversion du MMF vers le mycophénolate sodique. Les patients de la
cohorte A passés du MMF au mycophénolate sodique ont été réévalués
pour les questionnaires GSRS et
GIQLI lors de la deuxième visite. Une
diminution significative des moyennes
a été observée pour l’ensemble des
cinq sous-groupes du questionnaire
GSRS. Cela se traduisait en miroir par
une amélioration significative de la
qualité de vie (augmentation des scores
des cinq sous-groupes). Il y avait également une amélioration significative
du score du PGWBI pour l’ensemble
des six sous-groupes. Pour ce qui est
de l’impression globale de l’intervention (cohorte A), mesurée par le questionnaire OTE, le médecin pensait que
78 % des patients présentant des
troubles digestifs s’étaient améliorés,
que les troubles digestifs étaient
stables chez 18,6 % des patients et
qu’ils étaient plus sévères chez les derniers 2,8 %. Pour ce qui est de l’évaluation faite par les patients, 66 %
53
d’entre eux pensaient que leurs symptômes gastro-intestinaux s’étaient améliorés, 23 % qu’ils n’étaient pas modifiés et 5 % qu’ils étaient plus sévères.
Pour ce qui est de la qualité de vie
mesurée par le questionnaire OTE,
51 % des patients disaient qu’elle
s’était améliorée, 35 % qu’elle était
inchangée et 4 % qu’elle était plus
mauvaise.
Conclusion
L’étude PROGIS montre que des
patients traités par MMF et présentant
des symptômes gastro-intestinaux ont
une altération de leur qualité de vie.
En outre, ces mêmes patients reçoivent
des doses significativement plus
faibles de MMF que celles prescrites
chez des patients n’ayant pas ces
troubles. Cette étude montre également que la conversion de patients
transplantés rénaux présentant des
troubles gastro-intestinaux du MMF
vers le mycophénolate sodique diminue significativement l’importance de
leurs troubles et améliore la qualité de
vie gastro-intestinale, ainsi que leur
bien-être général et leur qualité de vie
globale. Ces améliorations chez les
patients convertis du MMF vers le
mycophénolate sodique atteignent
toutes un niveau de signification statistique et ont également une signification clinique.
Par ailleurs, PROGIS est la première
étude évaluant la qualité de vie globale et la qualité de vie spécifiquement
digestive chez des transplantés rénaux
convertis du MMF vers le mycophénolate sodique, eu égard à des troubles
gastro-intestinaux. De fait, les médecins de transplantation peuvent utiliser
ces résultats pour optimiser au mieux
l’immunosuppression chez les patients
transplantés présentant des troubles
gastro-intestinaux.
■
Le Courrier de la Transplantation - Volume VI - n o 1 - janvier-février-mars 2006
C ongrès
interview
“De mon expérience sur le mycophénolate
sodique (Myfortic ®) en transplantation rénale”
Shamkant Mulgaonkar est néphrologue, médecin
de transplantation, directeur du programme de
transplantation au Saint Barnabas Medical Center à
Livingston (New Jersey, États-Unis).
Quand vous rencontrez des effets digestifs
sous MMF, convertissez-vous directement
les patients au mycophénolate sodique
ou diminuez-vous d’abord les doses de MMF afin
d’évaluer le devenir des troubles digestifs ?
S.M. Il y a quelques années, quand des troubles digestifs
apparaissaient sous MMF, je diminuais les doses ; ensuite,
on voyait ce qu’il advenait. Cependant, on sait que quand
on baisse les doses de MMF, il y a par la suite plus d’épisodes de rejet, ce qui a un impact négatif à long terme sur
le greffon. De fait, maintenant, dès que des troubles digestifs apparaissent sous MMF, les patients sont convertis
directement vers mycophénolate sodique.
Quelle est votre expérience de l’utilisation
de mycophénolate sodique ?
S.M. J’ai tout d’abord participé à plusieurs essais
cliniques en greffe rénale avec le mycophénolate
sodique, que ce soit des essais de phase II ou de phase III. En
dehors des essais cliniques, j’ai surtout une expérience de la
conversion du MMF vers le mycophénolate sodique plutôt
que de l’utilisation de mycophénolate sodique chez des
patients de novo.
Que pensez-vous de l’approche de la qualité
de vie chez les patients transplantés ?
S.M. Je crois que les médecins en charge de transplantés sont de plus en plus attentifs à la qualité de vie de
leurs patients, ce d’autant plus qu’actuellement la durée de
vie des greffons a notablement augmenté. Il n’y a pas eu
beaucoup de nouveautés dans le domaine de la transplantation rénale depuis les années 1980. De fait, aujourd’hui,
nous nous tournons vers la qualité de vie parce que nous
avons des alternatives. Ainsi, dans une même classe thérapeutique, on peut trouver divers médicaments qui ont une
efficacité similaire avec des profils de tolérance différents,
permettant ainsi d’adapter le traitement en fonction des
effets indésirables ressentis par le patient. Ainsi, il est clair
que présenter des troubles digestifs retentit sur la qualité de
vie du patient.
Quelles sont les raisons qui vous amènent
à convertir des patients du MMF
vers le mycophénolate sodique ?
S.M. Il y a deux raisons essentielles. La première est
l’existence de troubles gastro-intestinaux patents, et la
seconde est d’ordre économique : en effet, le prix du
mycophénolate sodique sur le marché américain est inférieur à celui du MMF, et cela peut être une raison suffisante à la conversion.
C’est également le cas sur le marché français.
Mais en cas de leucopénie sous MMF
ou d’arrêt transitoire du MMF pour quelque
raison que ce soit, cela vous conduit-il à convertir
les patients vers le mycophénolate sodique ?
S.M. Non, pas vraiment. Pour moi, ces deux médicaments
entraînent une leucopénie similaire.
Pouvez-vous nous parler de l’étude PROGIS,
et nous résumer les symptômes digestifs qui
étaient recherchés chez les patients ?
S.M. Tout d’abord, l’acronyme PROGIS signifie “Patient
Reported Outcomes in renal transplantation with or without
Gastro-Intestinal Symptoms”. Les buts de cette étude étaient :
✓ d’identifier et d’évaluer l’importance des symptômes
digestifs parmi l’ensemble des symptômes présentés par le
patient, ainsi que le retentissement qu’ils peuvent avoir sur
sa qualité de vie ;
Quand vous convertissez les patients
du MMF vers le mycophénolate sodique,
le faites-vous sur une base équimolaire ?
S.M. Habituellement oui. Dans de rares cas, certains
patients auront besoin de doses de mycophénolate sodique
discrètement inférieures. Cela est notamment observé chez
des patients présentant une leucopénie.
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Le Courrier de la Transplantation - Volume VI - n o 1 - janvier-février-mars 2006
C ongrès
interview
✓ de déterminer si les troubles digestifs et la qualité de vie
s’amélioraient après que les patients aient été convertis du
MMF vers le mycophénolate sodique.
coordination qui lui expliquait la nature des divers questionnaires, la façon de les remplir, et pouvait répondre à
toute question complémentaire du patient.
Les symptômes digestifs recherchés comportaient nausées,
douleurs abdominales, diarrhées, flatulences, saignements
digestifs et météorisme. Je crois que la plainte la plus fréquente était la sensation de douleur abdominale.
Quels résultats avez-vous observés
à la visite 1 pour les divers questionnaires ?
S.M. Tout d’abord, pour le questionnaire GSRS
qui permet d’attribuer un score aux symptômes digestifs
(plus le score est élevé et plus l’importance des troubles
digestifs est grande), le score était significativement plus
élevé dans le groupe A pour tous les symptômes (douleurs
abdominales, reflux, diarrhée, mauvaise digestion, constipation). Par ailleurs, pour chacun de ces symptômes, la
différence par rapport aux valeurs du groupe B était supérieure à 1, ce qui révélait une signification clinique.
Quels questionnaires avez-vous utilisés ?
S.M. Les questionnaires utilisés dans l’étude PROGIS
comportaient le GSRS (Gastro-intestinal Symptoms
Rating Scale) permettant de hiérarchiser les symptômes digestifs et leur attribuer un score, le GIQLI (Gastro-Intestinal
Quality of Life Index), questionnaire évaluant la qualité de vie
chez des patients ayant des symptômes digestifs, le questionnaire PGWBI (Psychological General Well-Being Index),
questionnaire mesurant la détresse psychologique et le bienêtre, et enfin un questionnaire rempli uniquement en fin d’étude (Overall Treatment Effect – OTE) et mesurant l’amplitude
des modifications globales des symptômes digestifs et de leur
impact sur la qualité de vie des patients.
Pour ce qui est du questionnaire GIQLI, plus le score est
élevé, meilleure est la qualité de vie.
Si l’on regarde les divers thèmes du questionnaire GIQLI
(perception des symptômes, émotion, dimension psychologique, dimension sociale, traitement médical), les scores
étaient tous significativement plus élevés dans le groupe B
et traduisaient donc une meilleure qualité de vie chez les
patients du groupe B que chez ceux du groupe A.
Pouvez-vous nous rappeler le schéma
de l’étude ?
S.M. Deux groupes étaient constitués : un groupe
de sujets présentant des troubles digestifs, comportant
177 patients (groupe A), et un groupe ne présentant pas de
symptômes digestifs (groupe B, 101 patients). Les deux
groupes de patients étaient comparables pour ce qui est de
l’âge moyen, du sex-ratio, de l’ethnie, du temps écoulé
depuis de la transplantation (en moyenne 4 ans dans le
groupe A et 3,3 ans dans le groupe B) et du type de transplantation (donneur vivant versus donneur cadavérique).
Il y avait deux visites : la visite 1 lors de l’inclusion et la
visite 2 quatre à six semaines plus tard.
Le questionnaire PGWBI a permis d’évaluer de manière
générale le retentissement psychologique des troubles
digestifs. Les items du score comportaient l’anxiété, un état
dépressif, le bien-être, le self-control, la perception globale
de l’état de santé et la vitalité. Pour chacun de ces items, le
score était significativement plus élevé (et donc meilleur)
dans le groupe B que dans le groupe A, traduisant le fait
que présenter des troubles digestifs avait un retentissement
sur le bien-être général et pouvait générer des problèmes
psychologiques.
Quel type d’immunosuppression recevaient
ces patients ?
S.M. Un peu moins de 41 % des patients du groupe A recevaient de la ciclosporine, contre 62 % dans le
groupe B. Pour ce qui est du tacrolimus, 45 % des patients
du groupe A en recevaient, contre un peu moins de 29 %
dans le groupe B.
Vous nous avez présenté les résultats à l’entrée
dans l’étude. Quels sont les résultats après
la conversion du MMF vers le mycophénolate
sodique ?
S.M. Pour ce qui est du questionnaire GSRS, par rapport à
la visite 1, il y avait une amélioration significative de tous
les symptômes lors de la visite 2, avec une différence pour
les moyennes de chacun des symptômes supérieure à 1,
traduisant donc une amélioration non seulement statistique,
mais aussi clinique.
Ces questionnaires étaient-ils remis au patient
de façon “brute”, ou bien recevait-il initialement
des explications sur la façon de les remplir?
S.M. Les médecins du service identifiaient les patients qui
avaient des troubles digestifs afin de les inclure dans l’étude
PROGIS. Ensuite, le patient était adressé à l’infirmière de
Pour ce qui concerne les symptômes digestifs à la visite 2, le
score global moyen GIQLI était significativement meilleur
après la conversion. En prenant chaque item du score GIQLI,
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il y avait une amélioration significative à la visite 2 par rapport à la visite 1 pour chacun de ces items (perception des
symptômes, émotion, dimension psychologique, dimension
sociale et traitement médical).
vie, il existe certainement une non-compliance, même
chez des gens très sérieux. Quand vous prenez de très
nombreux médicaments et qu’en outre certains d’entre
eux engendrent des troubles, en particulier digestifs, cela
nuit à votre vie professionnelle ou sociale. Le fait de présenter, par exemple, des troubles digestifs peut conduire
le patient à imaginer qu’ils sont en rapport avec tel ou tel
médicament et à arrêter spontanément ce médicament ou
à en prendre une quantité moindre sans le dire à son
médecin. De fait, il est très difficile d’aborder la noncompliance chez des patients qui ne l’avouent pas. Je
voudrais prendre l’exemple personnel d’un patient transplanté rénal, médecin par ailleurs, présentant des
troubles digestifs qui le gênaient beaucoup dans sa pratique quotidienne et qui “autoajustait” constamment son
traitement.
Qu’en était-il de la perception psychologique
générale et de la sensation de bien-être après
la conversion ?
S.M. Pour ce qui est tant du score PGWBI global que de
chacun de ses items, il y avait à la visite 2 une amélioration
significative par rapport aux valeurs de la visite 1.
Avant la mise en place de PROGIS,
utilisiez-vous dans votre centre
des questionnaires de qualité de vie ?
S.M. Non. La première fois que nous avons utilisé ce type
de questionnaire, c’était dans le cadre d’une étude
d’épargne en stéroïdes, où l’un des points d’intérêt était les
problèmes musculo-squelettiques et cardiovasculaires.
Dans l’étude PROGIS, avez-vous essayé
de repérer des problèmes de compliance
chez vos patients ?
S.M. Cette étude n’était pas faite pour cela. L’étude était
uniquement basée sur les effets gastro-intestinaux rapportés
par le patient au médecin.
Pensez-vous que les résultats de l’étude
PROGIS vont changer votre pratique
quotidienne et celle d’autres médecins
de transplantation ?
S.M. Étant un médecin clinicien, ne travaillant pas pour
une compagnie pharmaceutique donnée, je pense que les
médecins convertissent leur patient du MMF vers le mycophénolate sodique quand il existe des troubles digestifs. Je
crois que cette étude leur apportera plus de confiance en
eux compte tenu des résultats d’amélioration de qualité de
vie des patients non seulement vis-à-vis des symptômes
digestifs, mais aussi de leur qualité de vie générale.
Pensez-vous que PROGIS va modifier
la perception des transplanteurs vis-à-vis
des troubles digestifs des patients greffés,
ou estimez-vous qu’il faut d’autres essais ciblés
sur les troubles digestifs pour les convaincre ?
S.M. Je crois que de nouveaux essais seraient les bienvenus pour confirmer ces premiers résultats. Cette étude
nous a montré plusieurs choses : tout d’abord, que des
patients transplantés depuis trois ou quatre ans présentaient fréquemment des symptômes digestifs, souvent
non avoués. Ensuite, chez les patients sous ciclosporine,
la dose de MMF pouvait ne pas être optimale du fait des
effets indésirables digestifs, et l’on sait que, chez ces
patients, un rejet risque de survenir ultérieurement.
Enfin, le changement de dose à la conversion a pu être
réalisé en toute sécurité parce que ces deux drogues sont
bien connues. Si l’on utilise des doses équimolaires de
mycophénolate sodique, on obtient la même efficacité.
Ainsi, cela confortera le clinicien dans l’idée que la
conversion peut être faite tardivement après la transplantation en toute sécurité chez ces patients présentant
des troubles digestifs et que, ainsi, on pourra peut-être
empêcher la survenue ultérieure d’un rejet ou d’une
perte de greffon à long terme.
Recommanderiez-vous de mettre en place
ces questionnaires de qualité de vie dans
les services de transplantation afin d’identifier
les patients ayant des symptômes digestifs, mais qui
ne sont pas suffisamment confiants pour en parler à
leur médecin de greffe ?
S.M. C’est une très bonne question. J’aimerais beaucoup le
faire, mais, en fait, cela demande beaucoup de temps et de
personnel, en particulier pour analyser les réponses à ces
questionnaires.
Quelle est votre opinion
sur la non-compliance en greffe rénale ?
S.M. Je crois que la non-compliance est un problème caché en transplantation. À ce jour, personne n’a
été capable de quantifier le rôle de la compliance dans le
devenir à long terme du greffon et la perte de ce dernier.
Comme le traitement immunosuppresseur est prescrit à
Propos recueillis par Lionel Rostaing
au cours de l’ESOT
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Le Courrier de la Transplantation - Volume VI - n o 1 - janvier-février-mars 2006

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