Gérard YON : Ça marche ce truc

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Gérard YON : Ça marche ce truc
VINYL - 23 rue des Menus Plaisirs - 78690 Les Essarts-le-Roi ([email protected])
Gérard YON : Ça marche ce truc !
Ça Marche Ce Truc ! / Placement à Court Terme / Homme De Ménage / Le Roi Soleil / Dali Gala / Tu Galopes /
Christine Arron / Souliers & Talons / Homo Sapions / Saisons Belles Qui Passent / Européenne / Au Bout Du Banc /
Rendez-Vous Manqué / Dans Les Ascenseurs / Sur Mon Âne. (48’44”) CD Fairplay © 2006 (www.gerard-yon.com)
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En dépit des pathétiques
formules journalistiques,
“nouvelle chanson française”, “nouvelle nouvelle
chanson française” et
autres surenchères, il faut
bien avouer que si le marché du disque est à la peine
(ça s’appelle le retour de
manivelle et ils en sont les
premiers responsables), la chanson proprement dite ne s’est
jamais si bien portée ! Tant par sa qualité, sa multiplicité et
sa diversité. Elles sont loin ces maudites années 80 où TOUS
les disques sonnaient à l’identique. No regrets...
Voilà un gars qu’on n’est peut-être pas près de voir chez
Drucker - quoique, j’en disais autant de Sanseverino il y a
quelques années, et pourtant - mais qui illustre parfaitement
ce bouillonement créatif. Après Sanseverino, par exemple,
n’hésitant pas à s’inspirer d’un jazz manouche à la Django,
idée ô combien peu vendeuse il y a seulement une décennie,
ce Rouennais navigue entre Boris Vian pour l’esprit, et les
Frères Jacques pour les performances vocales. Et c’est vrai
que Ça Marche Ce Truc ! Cette chanson-titre ouvre
d’ailleurs l’album, déformation de La Marche Turque de
Mozart dont elle reprend scrupuleusement la partition et le
haut débit vocal (à ne chanter qu’à jeun, évidemment) ! Déjà,
l’idée de commencer les hostilités par un thème musical
archi connu est excellente car elle donne aussitôt l’envie
d’écouter la suite, ce que j’ai fait. Ensuite le sujet est à hurler de rire puisqu’il s’agit de la domotique, ou l’informaTIQUE DOMestique, ces machins pour assistés de la vie qui
font que, comme ta voiture, ta maison pense à ta place :
“Mon ordinateur a pris du galon
Ce n’est plus moi c’est lui qui dirige la maison
C’est la vie rêvée y’a plus qu’à se laisser aller”
mais on déchante bien vite :
“Je me suis fait virer de ma maisonnée
Il a tout prévu le digicode il a changé
Y’a plus que les grands moyens pour retrouver mon bien
Vite faut couper le compteur électrique, plus de domotique
Vite, bonjour le chauffage au charbon de bois
C’est bien mieux comme ça, pour moi la vie rêvée c’est ça”
Tout ça en moins de deux minutes, excellent format pour les
radios. Oui, mais impossible à caser entre deux annonceurs
vantant leur informatique !
Un peu plus loin, Gérard Yon emprunte l’ouverture du
Guillaume Tell de Rossini dénonçant la frénésie du quotidien
“pour gagner de l’argent” (Tu Galopes)... et galope à son
tour après sa bien aimée, sujet assez bateau à la base, mais
qui sous les vociférations de ses acolytes prend ici un rythme trépidant, l’élue de son cœur n’étant autre que Christine
Arron ! Va donc lui courir après...
Jamais à court d’inspiration le bougre, qui mêle actualité,
routine et délire plein phares en de savoureux détournements : Homo Sapions (à l’opposé de Tu Galopes),
Homme De Ménage à la salsa contagieuse, Placement à
Court Terme, ou cette Européenne “de solide constitution”
prétexte à des calembours non ratifiés par Maastricht :
“Hongrie, on pleure, on a de la peine
C’est toujours la même Lituanie
Et Tchèque et Malte - fin de partie
J’ai pas eu de bol, pas eu d’Slovène...”
Sous un précieux habillage grand-siècle, Le Roi Soleil
dépeint une réalité bien plus proche de nos actuelles préoccupations électorales, quitte à noircir le tableau :
“Je veux repeindre Versailles
Mettez la France au travail
Tous contre un mur / Je prends des mesures
Evacuons ces traîne-misères
Donnez-moi mon karcher
Laissez penser le despote éclairé...”
Mais Gérard Yon devient franchement attendrissant au cours
de ses périples en ascenseur au cours desquels sa caméra
intime épluche la faune de passage, du “petit bonhomme
enrhumé (à) l’haleine de cendrier” au “con qui siffle un air
du genre vomitif” jusqu’à la “fille au parfum grivois” qui,
étroitesse de l’habitacle, le colle d’un peu trop près au risque
de lui provoquer “une émotion qui monte qui monte”, lui faisant soudain rêver d’un 420ème étage ! Chanson dynamique
à la progression (ascension) jubilatoire égayée encore une
fois par le multiplexage vocal de l’interprète (ah, cette scène
de panique tranquille durant la panne !) qui, comme sur tous
les titres du disque, assure seul TOUTES les voix ! Il a son
petit studio et s’auto-superpose ainsi à l’infini. Les Frères
Jacques à lui tout seul en somme...
Sur scène en revanche, ce sont ses musiciens qui suppléent
(paraît-il magnifiquement) à l’absence de studio. Parmi
ceux-ci, un certain Olivier Soubeyran (basse et violoncelle)... Yon me confirme qu’il est dans la droite lignée de François Soubeyran, l’un des Jacques précisément ! Bon sang ne
saurait mentir...
Enfin, ceux qui, comme moi, ne partagent pas cette mode du titre
caché-dans-le-dernier-tiroir-de-la
dernière-plage-sous-les-pavés
sont priés d’aller jusqu’au bout
pour ce test de “chasteté stéréophonique”, et apprendre ainsi
les rudiments de la science du
contrepet. Celui du très mièvre
Saisons Belles Qui Passent
est évident....
Robin RIGAUT
Mars 2007
VINYL n°57 • Mars - Avril 2007