La Mosquée de Paris, `les musulman-chrétiens` et les communautés
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La Mosquée de Paris, `les musulman-chrétiens` et les communautés
1 Jalila Sbaï La Mosquée de Paris, ‘les musulman-chrétiens’ et les communautés juives sous l’occupation allemande en France. A la veille de la Seconde Guerre mondiale, la population maghrébine et ottomane de la capitale, est composée à la fois de musulmans, de ‘musulmanchrétiens’, surnommés ainsi à cause de la permanence de leur statut de sujets français – la conversion au christianisme, ne les ayant pas élevé au rang de citoyens français -, de quelques milliers de juifs sépharades, et de quelques centaines de juifs qaraïtes1 dont cent cinquante qaraïms2 arrivés d’Europe centrale et orientale après la révolution russe de 1917. Une population de ‘petites gens’, vivant de petits métiers, ouvrière dans sa grande majorité, qui aime fréquenter occasionnellement l’Institut musulman de la Mosquée de Paris3, en particulier ses annexes : le restaurant, le Hammam et les magasins. Lieux des plus cosmopolites et huppés de la capitale, où se retrouvent les personnalités mondaines parisiennes et étrangères, les politiques, les intellectuels, les artistes, les étudiants d’Afrique du Nord, du Moyen-Orient et d’Europe, toutes confessions confondues. Lieux voulus à l’image de l’Andalousie perdue et de la cour du Sultan marocain par son recteur d’alors, Si Kaddour Ben Ghabrit. L’Institut musulman de la Mosquée de Paris incarne dans l’entre-deuxguerres, un lieu de dialogue et d’entente entre les trois religions du livre, principalement entre le judaïsme et l’islam, en raison de la présence de nombreux juifs sépharades et de juifs qaraïtes qui fréquentent ce lieu. Mais, il incarne aussi un lieu de ‘transgression religieuse’, en raison des mariages 2 interconfessionnels qui y sont célébrés entre, les musulmans et les membres de ces communautés juives4 nord-africaines et ottomanes d’une part et entre ces derniers et les musulmans-chrétiens d’autre part. Une population judéo-musulmane et christiano-musulmane du Maghreb, des provinces ottomanes, d’Europe centrale et orientale bien intégrée à la société française, et qui adopte les distances du milieu dans lequel elle évolue par rapport au religieux. C’est le cas notamment de la population algérienne en majorité ouvrière, bien intégrée au milieu ouvrier français dont elle adopte la préférence pour les unions libres, les idées et les pratiques politiques. Elle ne fréquente que rarement la Mosquée de Paris si ce n’est lors de fêtes musulmanes importantes – l’Aïd el Kebir –, ou lors des offices rituels funéraires. La question récurrente du sauvetage des juifs par la mosquée de Paris, (sousentendu par son recteur Si Kaddour Ben Ghabrit,) sous l’occupation allemande, a occulté l’histoire de ces petites communautés issues de l’empire français, de l’empire ottoman et de l’empire russe. Elles gravitaient autour de l’Institut musulman de la mosquée de Paris comme pour retrouver, voire recréer les atmosphères de leurs pays d’origine tout en profitant de la laïcité et de la liberté de conscience offertes par la république. Dès lors, il devient plus pertinent de se demander, comment ces petites communautés issues des empires, présentes dans la capitale au moment de l’entrée de la Wehrmacht le 14 juin 1940, ont été considérées par les autorités allemandes et comment celles-ci ont réagi au projet allemand d’internement des populations non européennes et au projet de déportation puis d’extermination des populations juives ? Lorsque la Wehrmacht s’installe à Paris, les juifs sont tous menacés de la même manière, mais pas du tout par les mêmes instances. Ainsi, les qaraïtes et les qaraïms découvrent qu’ils n’ont rien à craindre des autorités 3 allemandes. Ils ne sont pas considérés par ces dernières comme des juifs et ne relèvent pas des lois anti-juives en vigueur. D’une part, leur origine ethnique revendiquée et assumée est turque : ils sont donc issus d’une population alliée. D’autre part, leur statut est très particulier au sein du judaïsme. Mais, ce sont les autorités de Vichy qui les menace le plus, puisqu’elles les considèrent comme des personnes auxquelles les ordonnances du statut des juifs doivent s’appliquer 5. Les musulmans ne sont pas épargnés. Un certain nombre d’entre eux sont arrêtés et internés dans les camps de la capitale. Leur ‘représentant’, Ben Ghabrit, conseiller en politique musulmane du gouvernement, haut fonctionnaire, rompu au service de l’Etat français, reconnaît Vichy comme gouvernement légitime de la France et témoigne sa fidélité au Maréchal Pétain6. Il n’hésite pas à confirmer la confession juive de certains juifs dont les noms sont à consonance arabo-turque, lorsque le commissariat général aux questions juives le sollicite. J’ai relaté l’origine des deux hypothèses qui s’affrontent au sujet du sauvetage des juifs de la métropole par la mosquée de Paris et par conséquent par son recteur Si Kaddour ben Ghabrit dans un article précédent 7. J’y ai affirmé qu’en l’absence de sources écrites et de témoignages fiables, on ne pouvait ni affirmer ni infirmer l’une ou l’autre hypothèse. Les archives tendent aujourd’hui à prouver que, dans une certaine mesure, Ben Ghabrit a collaboré avec les autorités de Vichy, tout en essayant de s’assurer le même avenir auprès des allemands que celui qu’il s’était assuré auprès des français quelques décennies auparavant au moment de la mise sous protectorat du Maroc, dans le cas où le gouvernement de Vichy viendrait à disparaître. Fin politique, n’ignorant pas l’intérêt des allemands pour l’Islam et les musulmans d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient qui sont un enjeu majeur dans la guerre, il n’hésite pas à faire remarquer à ces derniers les bénéfices 4 qu’ils peuvent tirer à améliorer la situation des musulmans présents en France. Il profite de trois difficultés concernant exclusivement la communauté musulmane pour entrer en contact direct avec les autorités allemandes d’occupation : la question des blessés musulmans de la capitale et de ses environs dont le nombre oscille entre mille trois cent et mille quatre cent en 1941, celle des prisonniers musulmans dans les camps allemands de métropole au nombre de quatre-vingt mille au début de la guerre et celle de l’abattage rituel. De leur côté, les autorités allemandes voient en lui, un moyen d’entrer en contact direct avec le sultan du Maroc pour le rallier à la cause du Reich. Ben Ghabrit n’est-il pas aussi le chef de protocole du Sultan ? Ils y voient aussi un moyen de lui faire jouer le même rôle que celui de Haj Amin Husseini au Moyen-Orient. Dès lors, ces autorités allemandes usent de tous les moyens de propagande pour mettre en valeur les solutions qu’ils veulent bien apporter aux difficultés des musulmans de métropole. Chacune des visites et entrevues à l’Institut Musulman de la Mosquée est filmée ou radio-diffusée et fait l’objet d’une grande publicité dans la presse parisienne. Tout en se défendant de faire le jeu des allemands, Ben Ghabrit, se prête de bonne grâce au jeu. Toutefois, certains juifs ont pu être sauvés par le personnel de la mosquée de Paris, comme en témoigne cette note du directeur politique adjoint : « Les autorités d’occupation soupçonnent le personnel de la mosquée de délivrer frauduleusement à des individus de race juives des certificats attestant que les intéressés sont de confession musulmane. L’imam a été sommé, de façon comminatoire d’avoir à rompre avec toute pratique de ce genre8 ». L’imam dont il est question est, Si Larbi ben Souda, imam marocain des services du culte aux armées. Il suit en cela les directives du sultan marocain, Sidi Mohammed ben Youssef, qui n’a jamais accepté que les lois vichystes s’appliquent à ses sujets de confession israélite résidants au Maroc ou en métropole. Par ailleurs, la mosquée reste un lieu de vie pour les parisiens et 5 les musulmans : des mariages, des naissances et des circoncisions y sont célébrées, toutes les fêtes musulmanes y sont l’occasion de rassemblements, de distributions et services de repas gratuits au restaurant9 de la mosquée. Ils sont l’occasion pour des musulmans comme en a témoigné à maintes reprises Albert Assouline10, lui-même sauvé par un algérien de la mosquée, de se faire accompagner par leurs amis juifs auxquels ils apprenaient à mimer le rituel musulman./. 9 octobre 2015 1 De l’hébreu qàrà (lire), s’écrit aussi karaïtes. Les qaraïms issus d’Europe centrale et orientale, se définissent par une double appartenance : Ethniquement, ils se considèrent turcs et confessionnellement, juifs qaraïtes. 3 L’Institut musulman de la Mosquée de Paris est inauguré en 1926 en hommage aux combattants de la Grande Guerre. 4 Il est actuellement difficile de donner des chiffres exacts et des pourcentages dans la mesure où les registres de la mosquée restent inaccessibles aux chercheurs. Mais, les témoignages recueillis tendent à confirmer non seulement l’existence de ces mariages mais également la conversion de certains membres des familles de ces couples ‘judéo-musulmans-chrétiens’ au christianisme. Parmi cela, certains étaient prêts à confier leurs archives familiales mais se sont rétractés depuis les attentats de janvier dernier et les exactions commises par Daech. 5 Commissariat général aux questions juives, série 38AJ, Archives nationales. 6 « Le Maréchal remercie le Président et les membres de la Société des Habous des Lieux Saints de L’Islam, Algériens, Marocains et Tunisiens, des sentiments de fidélité et de confiance qu’ils ont bien voulu exprimer à son endroit ; il y a été très particulièrement sensible. », dépêche du Directeur du Cabinet Civil du Maréchal Pétain au général Weygand, Vichy, 13 décembre 1940 (MAE).6 7 J. Sbaï, La Mosquée de Paris et le sauvetage des Juifs : Une chronique des rumeurs, in B. Stora et A. Meddeb (dir.), Les relations entre juifs et musulmans des origines à nos jours, Albin Michel, Paris, 2013, pp.516-520 8 Directeur politique adjoint, Note pour le ministre, Vichy, 24 septembre 1940 (MAE). 9 Pour l’année 1943, les repas servis gratuitement au restaurant de la mosquée tous les vendredis sont estimés à 2500 repas, et ceux à différentes occasions à 1500 ; Ben Ghabrit, Note sur l’activité de l’Institut musulman et la mosquée de Paris au cours de l’année 1943, 5 février 1943, Vichy, MAE. 10 Voir J. Sbaï, op.cit. 2