chapitre 4 - Direction de l`éthique et de la qualité

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chapitre 4 - Direction de l`éthique et de la qualité
CHAPITRE 4
LES « PETITS » OU « MOYENS » CÉR
L’art de se donner les moyens de ses ambitions
On regroupe parfois les CÉR sous deux catégories.
D’un côté, les « gros » CÉR, bien nantis en ressources humaines et financières.
Leur rattachement à un grand centre hospitalier ou universitaire leur donnerait accès
à un vaste bassin d’expertises, sans parler des sources de financement appréciables,
alimentées généreusement par le volume des projets de recherche évalués.
De l’autre côté, les « petits » ou « moyens » CÉR. Leur rattachement à un centre
hospitalier sans affiliation universitaire ou leur éloignement géographique des grands
pôles universitaires ou de recherche rendraient problématique le recrutement de
membres experts ou, pire encore, créeraient des risques de « promiscuité » et de conflits
d’intérêts avec le petit noyau de chercheurs actifs dans l’établissement ou la région.
Le faible volume de projets évalués, en plus de nuire au développement du savoir-faire
éthique, entretiendrait une pauvreté chronique, obstacle à l’efficacité
et frein au développement.
Plusieurs estiment que cette typologie, qui sous-entend que la qualité de l’évaluation
éthique serait tributaire de l’ampleur des moyens dont un CÉR dispose, repose sur des
idées reçues et ne résiste pas à l’analyse. Ils affirment également qu’il existe par ailleurs
plusieurs façons de pallier les inconvénients attribuables à la modestie des ressources.
À partir d’expériences vécues dans des contextes différents, deux membres de CÉR
exposent la stratégie et les mesures adoptées dans leurs milieux pour assurer
aux sujets de recherche une protection qui n’a rien à envier à ce qui se fait ailleurs.
Mme Véronique Henry,
avocate, présidente du CÉR du Centre de santé et de services sociaux de Baie-des-Chaleurs, Maria
Mme Brigitte St-Pierre,
consultante en éthique auprès de différents centres hospitaliers, membre du CÉR de
l’Hôpital Rivière-des-Prairies et du CÉR du Centre hospitalier universitaire de Montréal (CHUM)
Animation : Mme Marie-Hélène Vachon,
ministère de la Santé et des Services sociaux
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L’atelier a été avant tout l’occasion d’une discussion, d’un échange de vues et d’expériences
sur les splendeurs et les misères des « petits » et des « moyens » CÉR. Les exposés des
deux présentatrices ont donc fréquemment donné lieu à des interventions des participants.
Pour la clarté du propos, ces interventions ont été regroupées à la suite des deux exposés.
A.
L’EXPÉRIENCE DE BAIE-DES-CHALEURS
Bâtir un CÉR comme les autres, dans un petit centre
Avocate en pratique privée depuis cinq ans, Mme Véronique Henry en est à sa première expérience
comme membre d’un CÉR. Elle préside un CÉR créé en novembre 2002 par le Centre hospitalier de la
Baie-des-Chaleurs mais rattaché depuis peu au Centre de santé et de services sociaux de la Baie-desChaleurs, lequel est issu du regroupement du centre hospitalier et de deux CLSC. Le nouveau regroupement permet d’offrir des services à environ 35 000 personnes, réparties sur un territoire de plus 200 kilomètres carrés. Le CÉR est formé de sept membres, auxquels s’ajoute un membre substitut.
Depuis sa création, le CÉR a évalué 6 projets de
recherche, dont 5 étaient des projets de phase IV.
Ces projets étaient soumis par l’entreprise privée.
Il s’agissait, par exemple, de comparer l’utilisation de
deux médicaments ou encore de collecter des données inscrites dans le dossier des patients hospitalisés. Aucun de ces projets ne concernait des mineurs
ou des majeurs inaptes.
« Nous ne sommes pas
un “petit” CÉR.
Nous formons un CÉR
comme les autres,
mais qui travaille dans
un petit centre. »
Deux de ces projets ont été annulés pour des raisons techniques : patients dirigés vers un hôpital spécialisé de Québec qui n’était pas le centre de référence du centre hospitalier, trop long délai entre la
demande du promoteur et l’évaluation scientifique. Les quatre autres projets sont en cours et évoluent
normalement : le recrutement des sujets a été entrepris, le personnel hospitalier s’habitue à travailler avec
les formulaires de consentement, etc.
Chaque projet de recherche présenté à l’établissement est soumis à l’examen de trois comités qui évaluent
sa conformité scientifique, sa conformité éthique et les conditions de sa faisabilité, incluant les ressources
matérielles, techniques et humaines qu’on devra y consacrer.
Les défis qui se posent à un petit centre
Un CÉR qui travaille dans un petit centre urbain éloigné des pôles universitaires ou de recherche doit
relever un certain nombre de défis inhérents à ce contexte.
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Le recrutement des membres n’est pas facile puisque, au-delà des questions de rémunération, on
doit composer avec le nombre limité de personnes disponibles pour siéger à un CÉR, particulièrement des personnes ayant des compétences en éthique.
Le CÉR ne peut compter sur une permanence. L’ensemble de la tâche revient donc à la présidente,
ce qui lui laisse peu de temps pour créer des outils, aller à des conférences ou à des sessions de
formation – souvent organisées dans les grands centres –, se documenter sur l’éthique de la
recherche et établir ou maintenir des liens avec les autres CÉR.
Le très petit nombre de personnes concernées par la recherche ou par l’éthique amène ces personnes à travailler fréquemment ensemble au sein de différents comités ou sur différents projets. Cette
proximité, que certains qualifient même parfois de promiscuité, n’engendre pas nécessairement de
conflits d’intérêts, mais risque à tout le moins d’en donner l’apparence. Cela impose donc une très
grande vigilance, de la part des chercheurs comme de celle des membres du CÉR, et oblige ceux-ci
à aviser le comité dès qu’ils croient être en conflit d’intérêts, réel ou apparent.
Le faible volume de projets réalisés permet tout juste au CÉR de ne pas connaître de déficit.
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Le contexte a également des répercussions sur la recherche elle-même.
La faible densité de la population réduit le nombre de personnes qui sont susceptibles d’être
recrutées pour participer à un projet de recherche, diminuant par le fait même l’intérêt des chercheurs
à venir réaliser des projets dans la région. Il en découle un nouveau rôle pour le CÉR qui veut encourager la recherche, même si ce rôle ne fait pas partie de son mandat : faciliter le recrutement des
sujets en discutant à l’occasion avec différents acteurs engagés dans la recherche.
L’étendue du territoire et les distances à parcourir peuvent décourager des sujets de recherche
potentiels à participer aux projets.
Par ailleurs, le réseau très limité d’établissements et les relations serrées des intervenants représentent
une difficulté supplémentaire pour assurer le respect de l’anonymat et de la confidentialité nécessaire à
une recherche.
Devant ces défis, le CÉR et l’établissement ont pris un certain nombre d’initiatives pour favoriser le
recrutement des membres et soutenir la qualité du travail du CÉR.
Pour le recrutement et la fidélisation des membres
Tous les membres reçoivent une rémunération pour leur présence à une réunion du CÉR : les membres qui sont à l’emploi de l’établissement sont libérés de leur tâche pour pouvoir y participer, tandis
que les membres extérieurs reçoivent une rémunération directe.
La rémunération est fixe, peu importe le nombre de projets évalués pendant la réunion.
Les dates de réunion sont fixées un an à l’avance.
Les réunions ont lieu le jour, de 8 h 30 à 12 h.
Ces mesures ont favorisé une atmosphère de travail amicale et sympathique, qui, sans faire de ces réunions des « rencontres sociales », permet néanmoins d’éviter la différence de statut ou la compétition
entre les membres du CÉR.
Pour le soutien de la qualité du travail du CÉR
Dès la formation du CÉR, les membres ont pu recevoir une formation sur l’éthique de la recherche.
Chaque membre se sent responsable de la qualité du travail du CÉR. Ainsi, chacun contribue à la
réflexion collective en communiquant aux autres de l’information – des articles, des livres, des vidéocassettes d’émissions télévisées, par exemple – sur tout ce que touche l’éthique de la recherche. Cet
effort collectif d’autoformation, consenti peut-être par crainte d’être « en retard » sur les CÉR des
grands centres, permet aux membres de maintenir leurs connaissances et leur réflexion à un niveau
comparable à celui de ces autres CÉR, même si ceux-ci ont plus facilement accès à des activités de
formation.
À chaque projet analysé, le CÉR prévoit une rencontre d’environ une heure avec le responsable du
projet ou investigateur principal, une formule qui permet de mieux comprendre ledit projet.
Par ailleurs, trois autres facteurs contribuent certainement à favoriser la qualité de ce travail.
L’effectif du CÉR est resté stable depuis sa création, ce qui favorise l’efficacité de son fonctionnement.
Le CÉR peut compter sur un appui inconditionnel de la direction de l’établissement, appui qui se
traduit entre autres par un soutien financier et la possibilité de participer à des activités de formation.
Le faible volume des projets évalués laisse plus de temps aux membres de faire une analyse détaillée et leur permet de consacrer certaines réunions à la préparation d’outils et de formulaires.
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B.
L’EXPÉRIENCE DE RIVIÈRE-DES-PRAIRIES
Quand l’expertise scientifique est rare et que les chercheurs
sont méfiants...
Mme Brigitte St-Pierre a une formation clinique et une formation en administration de la santé. Son
engagement au sein d’un CÉR remonte à quatre ans, alors qu’elle occupait la fonction de commissaire
aux plaintes à l’Hôpital Rivière-des-Prairies. C’est à ce titre qu’elle a été invitée à faire partie du CÉR de
l’établissement. Elle est depuis peu consultante, mais elle est restée membre de ce CÉR tout en joignant
les rangs d’un « gros » CÉR, celui du Centre hospitalier universitaire de Montréal. C’est son expérience
de quatre ans dans un « petit » CÉR qu’elle présente ici.
L’Hôpital Rivière-des-Prairies, à Montréal, n’est ni petit, ni éloigné d’un grand centre urbain. Affilié à
l’Université de Montréal, ce centre hospitalier psychiatrique est spécialisé en pédopsychiatrie. On y offre
également un programme portant sur les troubles neuro-développementaux pour les enfants, les adolescents et les adultes qui présentent des maladies psychiatriques ou de graves problèmes adaptatifs et qui
sont atteints d’une déficience intellectuelle ou d’un trouble envahissant du développement comme l’autisme.
Son service de recherche, avec une équipe de dix
chercheurs, est affilié au Centre de recherche FernandSeguin de l’Hôpital Louis-H. Lafontaine. Les recherches
s’y font selon deux axes principaux :
l’épidémiologie de la santé mentale des jeunes de 0 à
18 ans, où l’on s’intéresse, par exemple, à la conception
et à l’homologation d’outils diagnostiques ;
les neurosciences cognitives et du comportement, axe
consacré à la recherche fondamentale et appliquée, ou
clinique, portant sur les troubles envahissants du
développement.
Il n’y a pas que des inconvénients
à travailler au sein d’un « petit » CÉR.
Le petit volume de projets à étudier
laisse plus de temps
soit pour discuter des projets,
soit pour parfaire les processus
administratifs ou les outils
mis à la disposition des chercheurs
ou des sujets de recherche.
Le financement des activités de recherche provient
uniquement d’organismes publics – Fonds de la
recherche en santé du Québec, Instituts de recherche en
santé du Canada, etc. – ou de l’hôpital.
Ce qui explique que le CÉR de l’Hôpital Rivière-des-Prairies – un CÉR désigné en vertu de l’article 21
du Code civil du Québec – puisse être considéré comme un « petit » CÉR, ce n’est donc pas la taille de
l’hôpital auquel il est rattaché, mais le fait qu’il n’évalue en moyenne qu’une dizaine de projets de
recherche par année. En ce sens, même si le contexte est bien différent de celui que l’on retrouve au
Centre de santé et de services sociaux de Baie-des-Chaleurs, les problèmes que ce CÉR rencontre sont,
en revanche, sensiblement les mêmes.
Deux difficultés majeures :
l’évaluation scientifique et la perception négative des chercheurs à l’égard du CÉR
Au cours des dernières années, l’Hôpital Rivière-des-Prairies a manifesté une volonté très ferme de maintenir son affiliation universitaire ainsi que de conserver un centre de recherche autonome et dynamique.
Cette volonté s’est répercutée de manière très positive sur le CÉR, lequel a obtenu de la direction tout
le soutien nécessaire à son bon fonctionnement. Les difficultés qu’il a connues se sont plutôt manifestées
sur deux autres plans.
1) Les difficultés relatives à l’évaluation scientifique des projets de recherche trouvent leur source
dans le fait que le CÉR, responsable à la fois de l’évaluation éthique et scientifique, ne pouvait pas toujours compter sur des membres ayant l’expertise nécessaire dans certains domaines de recherche très
pointus. Pour remédier à cette situation, le CÉR a décidé de se tourner vers des évaluateurs externes qui
agiraient de façon ad hoc, selon la nature du projet. Or, à cause même du caractère très pointu des
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expertises en cause et du bassin très limité d’experts, il a été très ardu de recruter des évaluateurs qui
travailleraient « à la pièce » et qui ne seraient pas éventuellement en conflit d’intérêts, soit parce qu’ils
étaient des collaborateurs des chercheurs qui avaient soumis le projet, soit parce qu’ils en étaient les
compétiteurs pour l’obtention de subventions de recherche. Cette difficulté de trouver des évaluateurs
indépendants a nécessairement allongé les délais d’évaluation et, on s’en doute, entraîné l’insatisfaction
des chercheurs à l’endroit du CÉR.
Différents remèdes ont été essayés, dont la réorganisation du CÉR, mais la solution est venue finalement
d’une gestion plus serrée et plus transparente, qui visait à assurer le cheminement efficace des projets.
Cela a donné lieu, notamment, à une définition de règles claires et précises pour l’évaluation scientifique.
Les exigences du CÉR à l’endroit des chercheurs ont été clairement exposées dans une politique écrite.
Le CÉR a conçu et produit une grille d’évaluation scientifique pour les évaluateurs externes ou pour
les membres du CÉR.
On a établi une procédure pour le traitement des projets, laquelle s’applique dès le dépôt d’un projet
au secrétariat.
Si le projet a fait l’objet d’une évaluation scientifique par le comité de pairs d’un organisme subventionnaire reconnu, on demande au chercheur de fournir une copie de l’évaluation ou des commentaires formulés. Cette évaluation est examinée et commentée par le CÉR, mais sans que celui-ci
fasse appel à un expert externe. De façon générale, cette évaluation est complète et elle est
entérinée par le CÉR.
Si le projet n’est pas subventionné, deux options s’offrent au CÉR :
– le CÉR exige une évaluation scientifique par deux évaluateurs externes n’ayant aucun lien avec
le projet. Au besoin, le chercheur communique avec la présidente afin de lui faire connaître les
exigences particulières de son projet. Il est alors invité à fournir des noms de personnes qui ont
l’expertise pour évaluer son projet et qui ne sont pas en conflit d’intérêts. La présidente entreprend ensuite les démarches pour que l’évaluation scientifique soit faite préalablement à l’évaluation éthique ;
– dans certains cas, si des membres du CÉR ont l’expertise requise, ce sont eux qui effectuent
l’évaluation scientifique.
Cette politique claire et explicite n’a pas réussi à régler tous les problèmes liés à la rareté de l’expertise
mais, de façon générale, elle a permis de réduire les délais d’examen de façon significative. De plus,
elle a permis à tous les membres du CÉR d’avoir une vision commune de l’évaluation scientifique.
2) La perception négative des chercheurs à l’égard du CÉR. Les problèmes de délais mentionnés précédemment créaient déjà une source d’insatisfaction à l’endroit du CÉR. Mais le fait qu’ils se
soient posés dans un contexte où l’on devait appliquer les nouvelles normes et procédures découlant de
l’entrée en vigueur à la fois de l’Énoncé de politique des trois Conseils et du Plan d’action ministériel en
éthique de la recherche et en intégrité scientifique n’a pas aidé les choses. Les chercheurs, qui étaient
peu au fait de cette évolution des normes réglementaires applicables par les CÉR, ont interprété ces
nouvelles exigences, de plus en plus pointues et nombreuses, comme une ingérence du CÉR dans leur
travail et un manque de confiance à leur égard.
Il s’est alors installé une distance entre le CÉR et le Service de recherche, laquelle se traduisait par le
recours à la correspondance écrite et, de manière plus générale, par des communications difficiles et des
rapports tendus. Une certaine distance entre chercheurs et CÉR n’est pas anormale, mais elle ne doit pas
devenir paralysante ni accentuer l’incompréhension ou les frustrations de part et d’autre.
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La solution est venue de trois éléments principaux.
On a décidé de rendre plus régulière la présence de la présidente du CÉR dans l’établissement, soit
une journée par semaine ; le temps de présence s’adaptera éventuellement aux besoins exprimés et
aux ressources existantes. Ainsi, la présidente se rend disponible pour aider les chercheurs à effectuer
les corrections demandées, en prenant le temps de leur expliquer les raisons éthiques ou les exigences
du cadre normatif qui motivent ces modifications. Sa présence plus assidue a également amené les
chercheurs à venir la consulter avant la présentation de leur projet, pour qu’il soit conforme à ces
exigences éthiques ou administratives. Bref, la présence régulière de la présidente a permis tant de
renouer le dialogue entre les chercheurs et le CÉR que d’améliorer la compréhension mutuelle du travail des uns et des autres.
Les politiques institutionnelles ont été révisées et les outils de présentation des projets au CÉR ont
été mis à jour.
Le CÉR a offert à tous les chercheurs et aux membres de leur équipe de travail une formation en
éthique de la recherche. Cette formation, qui s’est souvent apparentée à un forum de discussion, a non
seulement permis aux chercheurs de mieux comprendre l’approche et les exigences du CÉR, mais elle
a aussi aidé le CÉR à se familiariser avec la réalité des chercheurs et même avec celle des sujets de
leur recherche.
En somme, tous ces éléments conjugués ont apporté des bénéfices aux deux interlocuteurs. Les politiques et les procédures clairement définies, conjuguées à la présence régulière de la présidente dans
l’établissement, ont contribué à améliorer les délais et les communications de façon significative, à la
satisfaction des chercheurs comme des membres du CÉR. De plus, grâce à la formation et aux échanges
plus fréquents avec la présidente, les chercheurs comprennent mieux le rôle du CÉR et le sens de ses
exigences. Ils en ont maintenant une perception plus positive, voyant le CÉR non comme un juge qui les
sanctionne, mais comme un appui à une recherche de qualité. Les rapports ne sont plus placés sous le
signe de l’opposition, mais de la collaboration. Enfin, le fait de devoir trouver des solutions à ces difficultés
a non seulement permis au CÉR de renforcer sa structure et son fonctionnement, mais a aussi amené les
membres à avoir une vision commune de son rôle, comme en témoignent la dynamique stimulante des
délibérations et le faible roulement de l’effectif.
C.
INTERVENTIONS DES PARTICIPANTS ET ÉCHANGES DE VUES
Mais pour qui ce « petit » CÉR se prend-il ?
Sur les relations avec les chercheurs
Un participant, membre d’un « petit » CÉR, aborde la question de la perception des chercheurs à
l’égard du CÉR. Selon lui, le CÉR veut jouer son rôle adéquatement, au risque d’incommoder les chercheurs en appliquant des normes ou en ayant certaines exigences sur le contenu et les modalités de
présentation des projets. Il se retrouve donc devant un dilemme : d’un côté, il veut montrer une certaine
fermeté sur ce qu’il estime être des exigences normales, quitte à provoquer l’agacement des chercheurs;
de l’autre, il veut autant créer un climat de compréhension mutuelle et de coopération que concevoir des
outils communs avec les acteurs engagés dans la recherche – chercheurs et personnel infirmier, par exemple.
Selon Mme Henry, il est vrai que certains chercheurs peuvent percevoir le CÉR comme un empêcheur de
tourner en rond : il se faisait de la recherche avant l’arrivée du CÉR « dans le paysage » et tout fonctionnait très bien. À leurs yeux, l’évaluation éthique par le CÉR veut dire plus de frais, plus de temps, et un
palier décisionnel qui s’ajoute à ceux du comité scientifique et du comité de financement. Ce n’est toutefois pas là l’opinion de tous les chercheurs.
Un participant s’interroge sur ce qui pose véritablement problème aux chercheurs : le comité d’éthique de
la recherche ou, plus simplement, l’éthique.
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Un autre soulève la question de la pression particulière qui est exercée sur les « petits » CÉR ou les
CÉR des régions périphériques par des promoteurs
ou des chercheurs dont le projet a déjà été accepté
par une université, un organisme subventionnaire ou
un « gros » CÉR. Il semble que certains voient mal
comment un « petit » CÉR pourrait se permettre de
refuser leur projet, d’exiger des modifications, voire de
« refaire » le travail relatif à l’évaluation.
Les participants évoquent deux motifs principaux
pour justifier l’intervention du CÉR.
Peut-être petit,
mais pas tout seul
Le peu d’expérience d’un CÉR, à cause de sa mise en place
récente ou du petit volume de projets évalués, ou encore
l’accès difficile à certaines expertises scientifiques de pointe
peuvent placer ce CÉR dans une position de relative
« fragilité » par rapport aux chercheurs et aux promoteurs
agissant à l’échelle nationale ou internationale. Un moyen de
contrer le phénomène est de demander la collaboration des
CÉR plus expérimentés ou mieux nantis sur le plan de l’expertise. On peut, dans le cas d’un projet multicentrique par
exemple, demander à prendre connaissance d’évaluations
scientifiques qu’ils ont effectuées. On peut aussi consulter
leurs experts.
Le CÉR représente des sujets particuliers ou une
population, locale ou régionale, qui a ses caractéristiques propres. On estime donc qu’il est
impératif que le comité procède localement à une
réévaluation éthique de tous les projets qui lui
sont soumis, ne fût-ce que pour en examiner l’application concrète à un milieu donné ou, encore,
pour éviter la multiplication des recherches parallèles auprès d’un même groupe de sujets. On peut s’en remettre au directeur des services professionnels de l’établissement ou à d’autres autorités qualifiées pour l’évaluation scientifique ou financière
mais, encore là, le CÉR ne devrait jamais s’empêcher de poser des questions sur des aspects scientifiques ou financiers s’il y voit un problème éventuel pour la protection des sujets. Quoi qu’il en soit,
on ne saurait prétexter le petit volume de projets ou la taille moyenne d’un établissement pour surseoir
à l’obligation de l’examen éthique. Ce n’est pas par manque de confiance à l’égard des comités universitaires ou des autres CÉR, c’est pour assumer ses responsabilités à l’endroit de sujets participant
à une recherche qui est peut-être nationale, mais qui se réalise toujours dans un contexte donné.
Le CÉR a la responsabilité d’assurer le suivi des projets qu’il a autorisés dans l’établissement.
Comment pourrait-il s’en acquitter efficacement s’il n’a pas lui-même examiné les répercussions de ce
projet dans son milieu ?
Sur le recrutement et la rétention des membres
Un membre d’un « petit » CÉR aborde la question du recrutement. Les médecins que le CÉR réussit à
recruter sont des spécialistes qui travaillent à l’hôpital ; par contre, il ne réussit pas à intéresser les
médecins omnipraticiens à ses activités. L’intervenant avance comme motif le fait que ces activités se
dérouleraient pendant leurs heures de bureau à l’extérieur de l’hôpital et leur occasionneraient donc une
perte de revenus. Il soulève aussi le fait que les réunions, très longues, ne peuvent avoir lieu pendant les
heures de service hospitalier.
Mme Henry expose la situation qui vaut pour le CÉR dont elle fait partie. Les deux médecins qui en sont
membres sont aussi des spécialistes de l’hôpital. Leur mode de rémunération à deux volets – une
rémunération de base à la journée et une rémunération supplémentaire à l’acte – explique peut-être leur
participation. Quand ils assistent à une réunion du CÉR, ils ne reçoivent pas de rémunération supplémentaire à l’acte, mais sont néanmoins payés pour une demi-journée de travail. Le CÉR n’a donc pas eu
à faire d’effort particulier pour recruter des médecins généralistes.
Par ailleurs, on soulève le problème du petit bassin de chercheurs présents dans un milieu périphérique, ou
éloigné des grands centres de recherche ou universitaires. Comme les médecins établis dans ces régions ne
sont pas nécessairement intéressés par la recherche, on se retrouve avec un effectif de chercheurs réduit.
Qu’il s’agisse de l’examen éthique ou scientifique, il en découle que le petit groupe de chercheurs actifs dans
le milieu en vient quasiment à s’auto-évaluer, avec le risque de conflit d’intérêts que cela entraîne.
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Sur les responsabilités du CÉR et du conseil d’administration
Un représentant d’un « petit » CÉR situé en région et mis en place il y a quinze ans décrit certains aspects
de la réalité. L’établissement ne dispose pas d’un comité d’évaluation scientifique, pour le motif que la plupart des projets de recherche qui s’y déroulent sont des projets multicentriques dont l’aspect scientifique
a déjà été évalué par d’autres. L’aspect scientifique est donc laissé au directeur du service. Par ailleurs,
le chercheur le plus important de l’hôpital est également directeur de service, président du conseil des
médecins, dentistes et pharmaciens ainsi qu’adjoint au directeur des services professionnels. Enfin, le
conseil d’administration rappelle fréquemment au CÉR de limiter son évaluation au strict aspect éthique,
ce qui revient souvent à corriger les fautes dans le formulaire de consentement.
On affirme que le conseil d’administration ne permet pas toujours au CÉR d’exercer ses responsabilités,
souvent par incompréhension. On affirme également qu’il serait important que les membres des conseils
d’administration aient accès à une formation sur l’éthique de la recherche et que le ministère de la Santé
et des Services sociaux leur rappelle leurs responsabilités en la matière. Si le CÉR est une structure obligatoire et qu’on lui demande de « garantir » la protection des sujets de recherche, il faut lui en donner les
possibilités.
Selon Me Michel Giroux, s’il est vrai qu’un CÉR ne
peut garantir à un sujet de recherche le comportement convenable des chercheurs, des médecins et
du personnel infirmier engagés dans la réalisation
d’un projet de recherche, il peut cependant lui garantir qu’il prendra ses responsabilités. Pour cela, il doit
d’abord bien les connaître – et l’exemple de l’autoformation collective fourni par Mme Henry montre que les
CÉR en ont le souci –, mais aussi les faire respecter.
Il faut cependant admettre que ce respect est parfois
difficile à obtenir, surtout quand c’est le conseil d’administration lui-même qui n’assume pas ses responsabilités en matière d’éthique de la recherche ou à
l’endroit de son CÉR, ou encore quand c’est le
directeur général qui arrive à l’improviste en pleine
réunion du CÉR pour imposer ses vues. Or, on sait
très bien qu’un CÉR ne peut exercer pleinement ses
responsabilités à l’endroit des sujets de recherche s’il
n’a pas le soutien du conseil d’administration et de
l’établissement.
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Des facteurs
qui facilitent le travail du CÉR
Un appui solide de la part de la direction, manifesté concrètement par la reconnaissance explicite de l’importance du
travail du CÉR et un soutien financier en conséquence.
Une structure de fonctionnement claire.
Une attention particulière portée au recrutement et à la
rémunération des membres, laquelle favorise leur fidélisation.
La participation à des sessions de formation et à des colloques ainsi que le réseautage entre CÉR.
La présence sur place d’un représentant du CÉR pour
faciliter la coordination entre la direction, le service de
recherche et ledit CÉR.
L’établissement d’une relation de confiance et de coopération avec les chercheurs.
La transmission réciproque du savoir entre CÉR et chercheurs, chaque groupe ayant besoin de l’expertise de l’autre.