Sarah Fielding (1710

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Sarah Fielding (1710
Une romancière du siècle des Lumières
Sarah Fielding (1 710-1 768)
L'Aire Anglophone
Collection dirigée par Serge Ricard
Cette collection entend s'ouvrir aux multiples domaines d'un vaste
champ d'investigation, caractérisé par la connexion idiome-culture,
auquel les spécialistes formés en langues, civilisations et littératures
dites "anglo-saxonnes" donnent sa spécificité. Il s'agira, d'une part, de
mieux faire connaître des axes de recherche novateurs en études
britanniques, américaines et canadiennes et, d'autre part, de répondre à
l'intérêt croissant que suscitent les cultures anglophones d'Afrique,
d'Asie et d'Océanie — sans oublier le rôle de langue véhiculaire
mondiale joué par l'anglais aujourd'hui. A cette fin, les domaines
privilégiés seront l'histoire des idées et des mentalités, la sociologie, la
science politique, les relations internationales, les littératures de
langue anglaise contemporaines, le transculturalisme et l'anglais de
spécialité.
Déjà parus
Carine BERBERI, Le Parti travailliste et les syndicats face aux
questions monétaires européennes, 2005.
Pierre MELANDRI et Serge RICARD (dir.), Les Etats-Unis et
la fin de la guerre froide, 2005.
Pierre MELANDRI et Serge RICARD, La montée en puissance
des Etats-Unis de la guerre hispanoi-américaine à la guerre de
Corée, 2004.
Isabelle VAGNOUX, Les Etats-Unis et le Mexique, histoire
d'une relation tumultueuse, 2003.
Pierre DROUE, Le Vagabond dans l'Angleterre de
Shakespeare, 2003.
Serge RICARD, Les relations franco-américaines au 210(e
siècle, 2003.
Benoît LE ROUX, Evelyn Waugh, 2003.
Helen E. MUNDLER, Intertextualité dans l'oeuvre d'A. S.
Byatt. 1978-1996, 2003.
Camille FORT, Dérive de la parole : les récit de William
Golding, 2003.
Michèle LURDOS, Des rails et des érables, 2003.
Raymond-François ZUBER, Les dirigeants américains et la
France pendant les présidences de Ronald Reagan et de George
Bush 1981-1993, 2002.
Sylvie Auffret-Pignot
Une romancière
du siècle des Lumières
Sarah Fielding (1710-1768)
L'Harmattan
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BURKINA FASO
Du même auteur
Coll. Figures libres, figures imposées: l'explication de texte en anglais (fiction).
Paris, Hachette, 1993.
Nicolas Vélimirovitch. Vie de saint Sava. Traduit de l'anglais.
Lausanne, L'Âge d'homme, 2001.
La Turquie chrétienne: récits des voyageurs français et anglais dans lEmpire ottoman
au XVII' siècle. A paraître chez l'Harmattan.
www.librairieharmattan.com
e-mail : [email protected]
© L'Harmattan, 2005
ISBN : 2-7475-9315-0
EAN : 9782747593151
Remerciements
Je tiens tout d'abord à manifester ma profonde gratitude à monsieur le
professeur Alain Morvan, aujourd'hui recteur de l'académie de Lyon, dont
les précieux conseils et encouragements constants ont permis
l'accomplissement de ce travail.
Je veux aussi exprimer toute ma reconnaissance à mon époux, à mes
enfants, et à ceux qui nous ont quittés, nous laissant en héritage leur amour
de la littérature, mes chers parents, Serge Auffret, agrégé de lettres
modernes et ancien élève de l'ENS de Saint-Cloud, qu'une cruelle maladie
emporta à la fleur de l'âge, et ma mère, Madame Auffret-Boucé, maître de
conférences à l'université de Paris III, qui, avec dévouement, brio et
générosité, forma des générations d'étudiants à la recherche dans le cadre
d'un passionnant séminaire de maîtrise. Elle me fut toujours un immense
soutien moral, affectif et intellectuel.
Je ne saurais oublier de mentionner enfin mon ami, Laurent Motte,
agrégé de lettres classiques, qui m'a apporté son précieux concours dans le
chapitre consacré aux Memorabilia de Xénophon.
Avant-propos
Hormis le livre de Philippe Séjourné,' publié en 1966, il n'existe pas, à ce
jour, d'ouvrage en langue française sur la femme écrivain en Angleterre au
xvine siècle, ni sur Sarah Fielding, qui fut la soeur du grand romancier Henry
Fielding et l'amie du non moins talentueux Samuel Richardson. Eclipsée par
ces deux monuments de la littérature anglaise, elle a longtemps été
considérée par la critique comme leur simple imitatrice, alors qu'elle a eu
une oeuvre personnelle et originale. Sa période de production romanesque
(de 1744 à 1760) correspond à un moment particulièrement fécond de
l'histoire de la littérature anglaise, où sont publiés nombre de grands
romans, ceux de Fielding, de Richardson et de Smollett (si l'on excepte
Humpbg Clinker qui est publié en 1771). Longtemps considérée comme un
auteur "mineur", elle a été victime d'une approche quelque peu
androcentrique de la littérature du XVIII' siècle (on pensera à la démarche
d'Ian Watt, dont l'ouvrage aujourd'hui fort contesté étudie l'émergence du
nouveau genre qu'est le roman, à partir des romans de Defoe, de
Richardson et de Fielding). Comme le rappelle Elaine Showalter, la
littérature féminine échappe souvent aux canons officiels de la critique:
Insofar as our concepts of literary periodization are based on men's
writing, women's writing must be forcibly assimilated to an irrelevant grid;
we discuss a Renaissance which is not a renaissance for women, a Romantic
period in which women played very little part, a modernism with which
1 P. Séjourné, Aspects généraux du roman féminin en Angleterre de 1740 à 1800 (Aixen Provence: Ophrys, 1966).
2 lan Watt, The Rise of the Novel: Studies in Defoe, Richardson and Fielding (London:
Chatto and Windus, 1957). Il faut reconnaître que les romancières anglaises du xvure
siècle et la littérature féminine suscitent davantage la curiosité aux Etats-Unis et en
Angleterre, où elles font régulièrement l'objet de colloques. Signalons toutefois le
colloque qui s'est tenu à l'Université de Lille III en juin 2003 et dont les actes ont été
publiés par G. Leduc sous le titre: Nouvelles sources et nouvelles méthodologies de
recherche dans les études sur les femmes (Paris: L'Harmattan, 2004).
-
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women conflict. At the same time, the ongoing history of women's writing
has been suppressed, leaving large and mysterious gaps in accounts of the
development of genre. 3
E. Showalter désire relire ou récrire l'histoire de la littérature, en se
plaçant d'un point de vue féminocentrique. Un certain nombre d'ouvrages
critiques publiés depuis les années 80 viennent combler ces "mystérieux
fossés" évoqués par E. Showalter et rappeler qu'il y a aussi des "Mothers of
the Novel" (titre d'une collection chez Virago, maison d'édition féministe),
ceux de Richetti,4 MacKeon,5 par exemple, et, en langue française, la thèse
de Madeleine Blondel, 6 celle de Serge Souper et celle d'Alain Morvan 8 se
penchent aussi sur ces auteurs dits mineurs. Le verdict "auteur mineur" à
propos de Sarah Fielding procède d'une lecture superficielle, et cette étude
espère bien démontrer l'injustice d'un tel jugement. La narratologie, qui se
veut dénuée d'a priori esthétique, prend d'ailleurs pour objet aussi bien les
grands auteurs que la littérature mineure, aussi bien le conte populaire, le
roman d'espionnage, qu' À la recherche du temps perdu. Ici le corpus est
relativement réduit, puisque Sarah Fielding a écrit huit romans, une
traduction de Xénophon, et un ouvrage de critique littéraire sur Clarissa de
Richardson. Il faut noter qu'en dehors d'Eliza Haywood, les femmes
écrivains de cette période et dont le nom est passé à la postérité, ont
relativement peu produit: Charlotte Lennox est connue pour The Female
Quixote (1752), et Frances Sheridan est plus connue pour The Memoirs of Miss
Sidney Biduph (1761) que pour ses pièces de théâtre. Si le nombre d'oeuvres
est limité, en revanche chacune d'entre elles inaugure ou renouvelle un
genre.
E. Showalter, The New Feminist Criticism (London and New York: Virago, 1985)
264.
4 J. J. Richetti, Popular Fiction before Richardson: Narrative Patterns (1700-1739)
(Oxford: Clarendon P, 1969). Richetti est, je crois, le premier à s'être intéressé à la
littérature féminine dite mineure.
5 J. Michael MacKeon, The Origins of the English Novel (1600-1740) (Baltimore: The
Johns Hopkins UP, 1987).
6 M. Blondel, Images de la femme dans le roman anglais de 1740 à 1771 (Lille III:
Atelier de reproduction des thèses, 1976).
7 Serge Soupe!, Apparence et essence dans le roman anglais de 1740 à 1771: l'écriture
ambiguê (Paris: Didier Érudition, 1983).
8 Main Morvan., La Tolérance dans le roman anglais de 1726 à 1771 (Paris: Didier
Érudition, 1984).
3
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En ce qui concerne la méthodologie, il n'y aura guère d'exclusive en la
matière, puisque chaque méthode contribue à apporter un éclairage
différent sur la littérature. La narratologie est un instrument précieux pour
l'étude du récit et de son fonctionnement (en particulier, les travaux de
Gérard Genette) mais néglige totalement l'historicité, en considérant
l'oeuvre comme une sorte d'objet en soi et pour soi. L'approche sodohistorique replace l'oeuvre dans son contexte idéologique et culturel; l'oeuvre
littéraire est une source précieuse pour l'historien des idées. Toutefois, on
reproche fréquemment à la critique historique et sociologique d'être
incapable d'intégrer à son discours une étude des formes et d'être
prisonnière d'une théorie du "reflet" (l'oeuvre reflétant la réalité historique)
qui éclipse la nature verbale de la littérature. C'est pourquoi ce type de
lecture doit être complété par une analyse narratologique. Enfin, la ou
plutôt les critiques féministes attirent l'attention sur le concept du narrateurfemme, éludé par la critique structuraliste comme une question sans
pertinence. En quoi le fait que l'auteur Sarah Fielding soit une femme
influe-t-il sur l'écriture et sur la création de son univers romanesque? Par
une sorte de réflexe antistructuraliste, la figure de l'auteur ne sera pas mise
au ban de cette étude, même si les considérations biographiques ne
sauraient bien sûr rendre compte d'une oeuvre.
Le personnage de Sarah Fielding est entouré de mystère (il n'existe
d'ailleurs pas de portrait d'elle) et ne peut que piquer la curiosité du lecteur.
Pourquoi avait-elle choisi le célibat, cet état tant décrié au )(vile siècle et que
Defoe appelle "l'effroyable destinée de la vieille fille" 10? Comment l'auteur
de David Simple a-t-il assumé le statut paradoxal de la femme écrivain à cette
époque, effacée et soumise parce que femme, hardie et indépendante parce
qu'écrivain?
G. Genette, Figures, (Paris: Seuil, 1979).
"That frightful State of Life, call'd an old Maid?", D. Defoe, Moll Flanders, intr. G.
A. Starr (Oxford: OUP, 1981) 75.
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Introduction
Chapitre 1
Esquisse biographique
[Sarah Fielding], of whom we know astonishingly little, considering her
importance as one of Richardson's earliest feminine friends and imitators,
and as the sinter of the author of Tom Jones.
A.D Mac Killop n
She thought a single Life, in all Probability, would be for her the
happiest; cherishing in her heart that Characteristic of a noble Mind,
especially in a Woman, of wishing . . . to pass through Life unnoted.
Sarah Fieldingu
La personnalité et la vie de Sarah Fielding sont fort énigmatiques.
Certaines périodes de son existence demeurent dans l'ombre. Il existe fort
peu de documents personnels, tels qu'un journal intime ou une
correspondance, sources précieuses où peut puiser le biographe. Comme le
note Léon Edel,u Gordon Ray n'aurait pu écrire la biographie de Thackeray,
s'il n'avait au préalable réuni et édité son abondante correspondance. La
biographie de Henry Fielding publiée par Martin C. Battestin s'appuie sur
un nombre très restreint de lettres (on en recense environ soixante-dix),
bien maigre butin comparé à la volumineuse correspondance de Samuel
Richardson; néanmoins, l'auteur de Tom Jones avait eu une vie publique
extrêmement bien remplie, en tant que journaliste, essayiste, homme de
théâtre, magistrat et romancier.
11 A.D Mac Killop, Samuel Richardson: Printer and Novelist (Hamden, Conn: The
Shoe String P, 1960) 201.
12 Sarah Fielding, Remarks on Clarissa, ed. Peter Sabor (1749; Los Angeles: U of
California P, 1985) 52. Cette remarque concernant un des personnages de Clarissa
pourrait fort bien s'appliquer à Sarah Fielding elle même.
13 Leon Edel, Writing Lives: Principia Biographica (New York: Norton, 1984) 22.
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Pour Sarah, nous disposons des quelques lettres qu'elle a échangées avec
son frère (Martin C. Battestin et Clive Probyn" les ont éditées), avec Samuel
Richardson et quelques autres amis, mais quant à écrire sa biographie, il
faudra se contenter d'une esquisse, car celle-ci a mené une existence très
discrète et retirée, évitant les tapages et tumultes du monde, pour se
consacrer à l'étude et à l'écriture; non seulement parce qu'à l'époque la
sphère privée de la maison et de la famille, comme le dit Addison, était le
domaine attitré de la femme, mais aussi en raison des convictions éthiques
et religieuses de Sarah Fielding. Comme le rappelle fort justement Martin C.
Battestin, dans la préface à Henry Fielding: A Life, 15 la biographie ne peut se
nourrir uniquement de faits, elle comporte une part inévitable
d'interprétation. On peut espérer lever quelque peu le voile que Sarah a
volontairement jeté sur son existence en interrogeant l'oeuvre et la
correspondance de ceux qui l'ont connue et admirée, tels Henry Fielding,
son frère, Lady Mary Wortley Montagu, sa cousine au second degré, ou
Samuel Richardson, son ami, éditeur de plusieurs de ses romans.
Sarah Fielding était issue d'une famille de petits propriétaires terriens.
Son père, Edmund Fielding, qui avait fait carrière dans l'armée, avait
épousé, en 1706, Sarah, fille de Sir Henry et de Lady Gould de Sharpham
Park, près de Glastonbury. Sir Henry n'approuvait pas le choix de sa fille;
néanmoins le premier fils de celle-ci naquit chez lui et fut prénommé Henry,
comme son grand-père. Puis naquirent Catherine et Ursula.
En 1709, Edmund obtint le grade de colonel, et la famille Fielding partit
s'installer à East Stour, dans une vieille ferme du Dorset achetée par Sir
Henry, peu avant sa mort en 1710. C'est là, le 8 novembre 1710, que Sarah
Fielding vit le jour, suivie d'Ann en 1713, de Beatrice en 1714, et d'Edmund
en 1716. Lady Gould vécut avec eux à East Stour quelque temps.
Sarah n'avait que sept ans et demi lorsque sa mère mourut. On peut
imaginer le traumatisme affectif que représenta pour Sarah la perte d'une
mère à un âge si tendre; on peut supposer également que ce deuil est une
des raisons qui la rapprocha de son frère Henry sur qui elle reporta sans
doute son affection dans cet environnement familial perturbé. Son père la
confia, ainsi que ses cinq autres enfants (Ann mourut en 1716) à la soeur de
Lady Gould, Catherine Cottington, et partit pour Londres. Edmund
14 The Correspondence of Henry and Sarah Fielding, eds. Martin C. Battestin et Clive
Probyn (Oxford: OUP, 1993).
15 Martin C. Battestin with Ruthe Battestin, Henry Fielding: A Life (London and New
York: Routledge, 1989).
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Fielding ne recevait depuis 1712 qu'un demi-traitement et il avait essayé de
s'adapter à son nouveau rôle de gentleman-farmer. Toutefois, il préférait
vivre à la ville et se rendait souvent à Londres. En 1717, il épousa en
secondes noces Ann Blanchfield, veuve anglaise d'un Italien, et de
confession catholique romaine. À l'été 1719, le colonel Fielding amena sa
nouvelle femme à East Stour. Les enfants, encouragés par leur grand-tante,
devinrent insolents et indisciplinés. Celle-ci désapprouvait catégoriquement
le remariage de son neveu, et ne se privait pas de le faire savoir en
s'enfermant dans ses appartements et en incitant les enfants à la révolte.
Ainsi, Henry d'après le témoignage d'une domestique "grew not only rude
but vert' much subject to passion and often times hindred his fathers
servants from doeing their dutyes."' Henry fut envoyé à Eton, et les petites
filles furent placées au pensionnat de Mrs Mary Rookes à Salisbury; le jeune
Edmund fut confié à Lady Gould, qui s'installa à Salisbury, dans Saint
Martin's Church Street, d'où elle pouvait veiller à l'éducation de ses petites
filles. Soupçonnant que son beau-fils ait dessein de la priver de la garde des
enfants, elle porta plainte à la Court of Chancery le 10 février 1721; son
intention était double: priver le colonel Fielding de la propriété d'East Stour
et de ses revenus, et obtenir la garde des enfants. Au début d'avril 1721,
Henry, qui avait pris le parti de sa grand-mère, fit une fugue et se réfugia
chez celle-ci, à Salisbury. Le colonel Fielding tenta, sans succès, d'enlever
ses enfants pour les emmener à Londres. Le Lord Chancelier décréta que
Henry devait demeurer à Eton et les autres enfants à Salisbury. Le 28 mai
1722, l'affaire fut jugée par Lord Macclesfield; le colonel perdit son procès,
la propriété devait être gérée par des administrateurs, les enfants
demeureraient au pensionnat et résideraient chez Lady Gould pendant les
vacances, afin de ne pas subir l'influence de leur belle-mère ("the influence
of the defendant Fielding's wife who appears to be a Papise n). Dans cette
école, on enseigna à Sarah la lecture, l'écriture, le français et la danse. Sarah
Fielding connaissait, par expérience, la vie des pensionnats. Son troisième
roman, The Governess: Or The Little Female Academy, publié en 1749, comporte
certainement des détails autobiographiques. Ainsi Lady Gould, tout comme
la grand-mère d'une des écolières de ce roman, laissait beaucoup de liberté à
ses petits enfants. Elle était très indulgente envers eux, en particulier envers
Cité par Jill Grey, The Governess, (Oxford: OUP, 1968) 3.
Voir Fielding vs Gould, Chancery Proceedings 1714-58, Division Reynardson,
Bundle 2283, London Record Office; Chancery Decrees and Order Books, Trinity
Term, 1722, London Record Office.
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Henry. Sarah Fielding fait dire à l'une de ses héroïnes, qui a été élevée par sa
grand-mère:
We were generally together in the Nursery; and no-body took much
Notice of us, whether we knew anything or whether we did not . . [My
Grandmamma] . . . never troubled her Head much about us, but only to
take care that we wanted for nothing." Un autre détail de ce roman est
certainement autobiographique: "There came into our Village, when I was
Six Years old, a Man who carried about a Raree-show, which all the
Children of the Parish were fond of seeing. . . . I had been reading; and
thought that more worth my while, than to lose my Time at such foolish
Entertainments.""
Sarah, à l'instar de Henry, son frère, était passionnée de lectures et
préférait cette activité à tous les jeux et divertissements. Elle décrit peut-être
ainsi sa propre expérience lorsqu'elle fait dire à son héroïne Isabelle, dans
David Simple: "I had no other pleasure but in my brother's indulging me to
converse with hirn on serious subjects. . . . He often used to entertain me
with stories of what had happened at school, with his remarks (winch were
generally very judicious) on them." 2° Isabelle et son frère sont, comme Sarah
et Henry, férus de lecture, "so fond of reading and Study, that the Boys of
gayer Disposition used to laugh at us, calling us Book-worms, and shun us
as unfit for their Society." 21 Il n'y avait, à cette époque, hormis les chapbooks,
petits recueils de contes populaires, guère de livres spécifiquement pour
enfants, mais Sarah avait, comme son frère, le droit de lire dans la
bibliothèque de Henry Gould, son grand-père. Outre les chapbooks, tels The
Guy of Warwick, The Seven Champions of Christendom, et Jack the Giant Killer,
ainsi que les Chronicks of the King: of England (livres favoris de Henry Fielding
dans sa jeunesse), Sarah avait peut-être pu lire Robinson Crusoe, publié en
1719, et Gulliver's Travels, publié en 1726. Comme l'auteur de Tom Jones,
Sarah avait une passion pour la littérature classique; en dépit des préjugés de
l'époque concernant l'éducation des filles, elle apprit le latin et le grec. Elle
possédait parfaitement ces deux langues anciennes et sa culture classique
S. Fielding, The Governess, intr. Mary Cadogan (London and New York: Pandora P,
1987) 58.
19 S. Fielding, 63.
20 S. Fielding, David Simple, ed. Malcolm Kelsall (Oxford: OUP, 1987) 203.
21 S. Fielding, 204.
18
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était immense, à en juger par les multiples citations dont elle émaille ses
oeuvres. Pour M. C. Battestin, c'est en compagnie du Dr Collier que Sarah
apprit grec et latin. Cette allégation repose sur un témoignage pourtant sujet
à caution, puisqu'il s'agit de celui de Mrs Piozzi, dont les commérages ne
sauraient être pris au sérieux. Celle-ci écrit au Révérend Leonard
Chappelow, le 15 mars 1795:
Miss Fielding was wholly unassisted by her Brother whatever she wrote
[déclare-t-elle en commettant déjà une erreur magistrale]; I know Dr Collier
has often told me that though they lived upon the tenderest Terms before,
yet alter she had by their common Friend's Assistance [Dr Collier's] made
herself a competent Scholar so as to construe the Sixth Book of Virgil with
Ease, the Author of Tom Jones began to teize and taunt her with being a
literary Lady etc. till at least she resolved to make her whole pleasure out of
Study, and becoming justly eminent for her Taste and Knowledge of the
Greek Language, her brother never more could perswade himself to endure
her Company with Civility. n
Cette anecdote est des plus improbables, étant donné le lien profond qui
unissait Sarah à son frère, et l'admiration que Henry avait pour les talents
d'écrivain de sa soeur, qui les conduira à une fructueuse collaboration
littéraire?"' En 1727, la belle-mère de Sarah disparaît, laissant un seul fils,
John, demi-frère de Sarah, qui aidera financièrement celle-ci dans sa
maturité.
Après la mort de Lady Gould en 1733, les soeurs Fielding continuent à
vivre dans la maison de leur grand-mère et sont élevées par une tante. De là,
Sarah pouvait suivre la carrière théâtrale de son frère, dont la première
pièce, Love in Several Masques, date de 1728. Henry va ensuite étudier la
littérature et les classiques à l'université de Leyden; mais il doit abandonner
ses études, faute d'argent. Quatre de ses pièces (dont Rape capon Rape) sont
montées en 1730. Pendant les six premiers mois de 1732, cinq pièces de
Henry sont données à Drury Lane. L'auteur est attaqué dans le Grub Street
Journalet dans le Daily Post.
Cité par Martin C. Battestin, dans Henry Fielding: A Lifè, 381.
À ce propos, voir l'article de Guyonne Leduc, "Henry et Sarah Fielding: une
collaboration fructueuse". Bulletin de la Société d'études anglo américaines des xvif et
xvilf siècles 1994 (39): 191-206.
22
23
-
19
En 1734, Henry enlève Charlotte Cradock et l'épouse en secret à
Charlcombe, près de Bath (c'est là que Sarah Fielding reposera trente-quatre
ans plus tard). La fille aînée de Henry, Charlotte, naît en 1736, et la cadette,
Eleanor Harriet, en 1737. Cette année-là, le cadet de la famille atteint l'âge
voulu pour hériter, et la propriété d'East Stour est mise en vente, pour être
partagée entre les enfants, conformément aux voeux exprimés par le juge
Gould dans son testament. Henry a besoin d'argent pour faire vivre sa
famille, il vend donc sa part immédiatement, mais Sarah et les autres
auraient conservé la leur pendant encore deux ans.
En juin 1737, le LicensingAct, qui ferme les théâtres, met prématurément
fin à la carrière de dramaturge de Henry Fielding. Deux ans plus tard, sous
le nom de Captain Hercules Vinegar, il commence à publier The Champion, et
cela jusqu'en 1741. C'est à cette époque qu'il prend la décision de faire des
études de droit. Il les achève à l'été 1740.
En novembre de la même année, Pamela est publié anonymement; ce
roman a un succès sans précédent et connaît une quatrième réédition dès
mai 1741. Henry Fielding commence sa carrière de romancier en en écrivant
une parodie, An Apology For the Lité of Mrs Shamela Andrews, drôle quoique
injuste puisque Fielding ne voit en Pamela qu'une hypocrite qui joue de sa
vertu pour se faire épouser. Shamela est bientôt suivi par The Adventures of
Joseph Andrews (en février 1742); le vertueux Joseph Andrews, frère de
Pamela, y incarne la chasteté, vertu passive, que Fielding oppose à la charité,
vertu active, d'Abraham Adams, compagnon de ses pérégrinations. Les
livres 1 et 4 comportent des allusions directes à Pamela, dont l'intrigue de
Joseph Andrews découle en grande partie. Sarah Fielding y fait probablement
ses débuts d'écrivain puisque tout porte à croire qu'elle a écrit la deuxième
lettre, de Leonora à Horatio, dans le livre deux de Joseph Andrews. Henry
Fielding indique par une note que: "This letter was written by a young lady
on reading the former." 24 Cette collaboration littéraire suscitera également
l'histoire d'Ann Boleyn, dans A Journey from this World to the Next, qui est
publié pour la première fois dans les Miscellanies. Là encore, une note de
Henry Fielding signale que:
This chapter is, in the original, writ in a woman's hand, and though the
observations in it are . . . as excellent as any of the whole volume, there
Henry Fielding, Joseph Andrews, ed. R. F. Brissenden (Harmondsworth: Penguin,
1987) 114.
24
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