Sarah Fielding (1710
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Sarah Fielding (1710
Une romancière du siècle des Lumières Sarah Fielding (1 710-1 768) L'Aire Anglophone Collection dirigée par Serge Ricard Cette collection entend s'ouvrir aux multiples domaines d'un vaste champ d'investigation, caractérisé par la connexion idiome-culture, auquel les spécialistes formés en langues, civilisations et littératures dites "anglo-saxonnes" donnent sa spécificité. Il s'agira, d'une part, de mieux faire connaître des axes de recherche novateurs en études britanniques, américaines et canadiennes et, d'autre part, de répondre à l'intérêt croissant que suscitent les cultures anglophones d'Afrique, d'Asie et d'Océanie — sans oublier le rôle de langue véhiculaire mondiale joué par l'anglais aujourd'hui. A cette fin, les domaines privilégiés seront l'histoire des idées et des mentalités, la sociologie, la science politique, les relations internationales, les littératures de langue anglaise contemporaines, le transculturalisme et l'anglais de spécialité. Déjà parus Carine BERBERI, Le Parti travailliste et les syndicats face aux questions monétaires européennes, 2005. Pierre MELANDRI et Serge RICARD (dir.), Les Etats-Unis et la fin de la guerre froide, 2005. Pierre MELANDRI et Serge RICARD, La montée en puissance des Etats-Unis de la guerre hispanoi-américaine à la guerre de Corée, 2004. Isabelle VAGNOUX, Les Etats-Unis et le Mexique, histoire d'une relation tumultueuse, 2003. Pierre DROUE, Le Vagabond dans l'Angleterre de Shakespeare, 2003. Serge RICARD, Les relations franco-américaines au 210(e siècle, 2003. Benoît LE ROUX, Evelyn Waugh, 2003. Helen E. MUNDLER, Intertextualité dans l'oeuvre d'A. S. Byatt. 1978-1996, 2003. Camille FORT, Dérive de la parole : les récit de William Golding, 2003. Michèle LURDOS, Des rails et des érables, 2003. Raymond-François ZUBER, Les dirigeants américains et la France pendant les présidences de Ronald Reagan et de George Bush 1981-1993, 2002. Sylvie Auffret-Pignot Une romancière du siècle des Lumières Sarah Fielding (1710-1768) L'Harmattan 5-7, rue de l'École-Polytechnique 75005 Paris FRANCE L'Harmattan Hongrie Knnyvesbolt Kossuth L. u. 14-16 1053 Budapest HONGRIE Espace L'Harmattan Kinshasa Fardes Sc. Sociales, Pol. et Adm. BP243, KIN XI Université de Kinshasa — RDC L'Harmattan Italia Via Degli Artisti, 15 10124 Torino ITALIE L'Harmattan Burkina Faso 1200 logements villa 96 12B2260 Ouagadougou 12 BURKINA FASO Du même auteur Coll. Figures libres, figures imposées: l'explication de texte en anglais (fiction). Paris, Hachette, 1993. Nicolas Vélimirovitch. Vie de saint Sava. Traduit de l'anglais. Lausanne, L'Âge d'homme, 2001. La Turquie chrétienne: récits des voyageurs français et anglais dans lEmpire ottoman au XVII' siècle. A paraître chez l'Harmattan. www.librairieharmattan.com e-mail : [email protected] © L'Harmattan, 2005 ISBN : 2-7475-9315-0 EAN : 9782747593151 Remerciements Je tiens tout d'abord à manifester ma profonde gratitude à monsieur le professeur Alain Morvan, aujourd'hui recteur de l'académie de Lyon, dont les précieux conseils et encouragements constants ont permis l'accomplissement de ce travail. Je veux aussi exprimer toute ma reconnaissance à mon époux, à mes enfants, et à ceux qui nous ont quittés, nous laissant en héritage leur amour de la littérature, mes chers parents, Serge Auffret, agrégé de lettres modernes et ancien élève de l'ENS de Saint-Cloud, qu'une cruelle maladie emporta à la fleur de l'âge, et ma mère, Madame Auffret-Boucé, maître de conférences à l'université de Paris III, qui, avec dévouement, brio et générosité, forma des générations d'étudiants à la recherche dans le cadre d'un passionnant séminaire de maîtrise. Elle me fut toujours un immense soutien moral, affectif et intellectuel. Je ne saurais oublier de mentionner enfin mon ami, Laurent Motte, agrégé de lettres classiques, qui m'a apporté son précieux concours dans le chapitre consacré aux Memorabilia de Xénophon. Avant-propos Hormis le livre de Philippe Séjourné,' publié en 1966, il n'existe pas, à ce jour, d'ouvrage en langue française sur la femme écrivain en Angleterre au xvine siècle, ni sur Sarah Fielding, qui fut la soeur du grand romancier Henry Fielding et l'amie du non moins talentueux Samuel Richardson. Eclipsée par ces deux monuments de la littérature anglaise, elle a longtemps été considérée par la critique comme leur simple imitatrice, alors qu'elle a eu une oeuvre personnelle et originale. Sa période de production romanesque (de 1744 à 1760) correspond à un moment particulièrement fécond de l'histoire de la littérature anglaise, où sont publiés nombre de grands romans, ceux de Fielding, de Richardson et de Smollett (si l'on excepte Humpbg Clinker qui est publié en 1771). Longtemps considérée comme un auteur "mineur", elle a été victime d'une approche quelque peu androcentrique de la littérature du XVIII' siècle (on pensera à la démarche d'Ian Watt, dont l'ouvrage aujourd'hui fort contesté étudie l'émergence du nouveau genre qu'est le roman, à partir des romans de Defoe, de Richardson et de Fielding). Comme le rappelle Elaine Showalter, la littérature féminine échappe souvent aux canons officiels de la critique: Insofar as our concepts of literary periodization are based on men's writing, women's writing must be forcibly assimilated to an irrelevant grid; we discuss a Renaissance which is not a renaissance for women, a Romantic period in which women played very little part, a modernism with which 1 P. Séjourné, Aspects généraux du roman féminin en Angleterre de 1740 à 1800 (Aixen Provence: Ophrys, 1966). 2 lan Watt, The Rise of the Novel: Studies in Defoe, Richardson and Fielding (London: Chatto and Windus, 1957). Il faut reconnaître que les romancières anglaises du xvure siècle et la littérature féminine suscitent davantage la curiosité aux Etats-Unis et en Angleterre, où elles font régulièrement l'objet de colloques. Signalons toutefois le colloque qui s'est tenu à l'Université de Lille III en juin 2003 et dont les actes ont été publiés par G. Leduc sous le titre: Nouvelles sources et nouvelles méthodologies de recherche dans les études sur les femmes (Paris: L'Harmattan, 2004). - 9 women conflict. At the same time, the ongoing history of women's writing has been suppressed, leaving large and mysterious gaps in accounts of the development of genre. 3 E. Showalter désire relire ou récrire l'histoire de la littérature, en se plaçant d'un point de vue féminocentrique. Un certain nombre d'ouvrages critiques publiés depuis les années 80 viennent combler ces "mystérieux fossés" évoqués par E. Showalter et rappeler qu'il y a aussi des "Mothers of the Novel" (titre d'une collection chez Virago, maison d'édition féministe), ceux de Richetti,4 MacKeon,5 par exemple, et, en langue française, la thèse de Madeleine Blondel, 6 celle de Serge Souper et celle d'Alain Morvan 8 se penchent aussi sur ces auteurs dits mineurs. Le verdict "auteur mineur" à propos de Sarah Fielding procède d'une lecture superficielle, et cette étude espère bien démontrer l'injustice d'un tel jugement. La narratologie, qui se veut dénuée d'a priori esthétique, prend d'ailleurs pour objet aussi bien les grands auteurs que la littérature mineure, aussi bien le conte populaire, le roman d'espionnage, qu' À la recherche du temps perdu. Ici le corpus est relativement réduit, puisque Sarah Fielding a écrit huit romans, une traduction de Xénophon, et un ouvrage de critique littéraire sur Clarissa de Richardson. Il faut noter qu'en dehors d'Eliza Haywood, les femmes écrivains de cette période et dont le nom est passé à la postérité, ont relativement peu produit: Charlotte Lennox est connue pour The Female Quixote (1752), et Frances Sheridan est plus connue pour The Memoirs of Miss Sidney Biduph (1761) que pour ses pièces de théâtre. Si le nombre d'oeuvres est limité, en revanche chacune d'entre elles inaugure ou renouvelle un genre. E. Showalter, The New Feminist Criticism (London and New York: Virago, 1985) 264. 4 J. J. Richetti, Popular Fiction before Richardson: Narrative Patterns (1700-1739) (Oxford: Clarendon P, 1969). Richetti est, je crois, le premier à s'être intéressé à la littérature féminine dite mineure. 5 J. Michael MacKeon, The Origins of the English Novel (1600-1740) (Baltimore: The Johns Hopkins UP, 1987). 6 M. Blondel, Images de la femme dans le roman anglais de 1740 à 1771 (Lille III: Atelier de reproduction des thèses, 1976). 7 Serge Soupe!, Apparence et essence dans le roman anglais de 1740 à 1771: l'écriture ambiguê (Paris: Didier Érudition, 1983). 8 Main Morvan., La Tolérance dans le roman anglais de 1726 à 1771 (Paris: Didier Érudition, 1984). 3 10 En ce qui concerne la méthodologie, il n'y aura guère d'exclusive en la matière, puisque chaque méthode contribue à apporter un éclairage différent sur la littérature. La narratologie est un instrument précieux pour l'étude du récit et de son fonctionnement (en particulier, les travaux de Gérard Genette) mais néglige totalement l'historicité, en considérant l'oeuvre comme une sorte d'objet en soi et pour soi. L'approche sodohistorique replace l'oeuvre dans son contexte idéologique et culturel; l'oeuvre littéraire est une source précieuse pour l'historien des idées. Toutefois, on reproche fréquemment à la critique historique et sociologique d'être incapable d'intégrer à son discours une étude des formes et d'être prisonnière d'une théorie du "reflet" (l'oeuvre reflétant la réalité historique) qui éclipse la nature verbale de la littérature. C'est pourquoi ce type de lecture doit être complété par une analyse narratologique. Enfin, la ou plutôt les critiques féministes attirent l'attention sur le concept du narrateurfemme, éludé par la critique structuraliste comme une question sans pertinence. En quoi le fait que l'auteur Sarah Fielding soit une femme influe-t-il sur l'écriture et sur la création de son univers romanesque? Par une sorte de réflexe antistructuraliste, la figure de l'auteur ne sera pas mise au ban de cette étude, même si les considérations biographiques ne sauraient bien sûr rendre compte d'une oeuvre. Le personnage de Sarah Fielding est entouré de mystère (il n'existe d'ailleurs pas de portrait d'elle) et ne peut que piquer la curiosité du lecteur. Pourquoi avait-elle choisi le célibat, cet état tant décrié au )(vile siècle et que Defoe appelle "l'effroyable destinée de la vieille fille" 10? Comment l'auteur de David Simple a-t-il assumé le statut paradoxal de la femme écrivain à cette époque, effacée et soumise parce que femme, hardie et indépendante parce qu'écrivain? G. Genette, Figures, (Paris: Seuil, 1979). "That frightful State of Life, call'd an old Maid?", D. Defoe, Moll Flanders, intr. G. A. Starr (Oxford: OUP, 1981) 75. 9 10 11 Introduction Chapitre 1 Esquisse biographique [Sarah Fielding], of whom we know astonishingly little, considering her importance as one of Richardson's earliest feminine friends and imitators, and as the sinter of the author of Tom Jones. A.D Mac Killop n She thought a single Life, in all Probability, would be for her the happiest; cherishing in her heart that Characteristic of a noble Mind, especially in a Woman, of wishing . . . to pass through Life unnoted. Sarah Fieldingu La personnalité et la vie de Sarah Fielding sont fort énigmatiques. Certaines périodes de son existence demeurent dans l'ombre. Il existe fort peu de documents personnels, tels qu'un journal intime ou une correspondance, sources précieuses où peut puiser le biographe. Comme le note Léon Edel,u Gordon Ray n'aurait pu écrire la biographie de Thackeray, s'il n'avait au préalable réuni et édité son abondante correspondance. La biographie de Henry Fielding publiée par Martin C. Battestin s'appuie sur un nombre très restreint de lettres (on en recense environ soixante-dix), bien maigre butin comparé à la volumineuse correspondance de Samuel Richardson; néanmoins, l'auteur de Tom Jones avait eu une vie publique extrêmement bien remplie, en tant que journaliste, essayiste, homme de théâtre, magistrat et romancier. 11 A.D Mac Killop, Samuel Richardson: Printer and Novelist (Hamden, Conn: The Shoe String P, 1960) 201. 12 Sarah Fielding, Remarks on Clarissa, ed. Peter Sabor (1749; Los Angeles: U of California P, 1985) 52. Cette remarque concernant un des personnages de Clarissa pourrait fort bien s'appliquer à Sarah Fielding elle même. 13 Leon Edel, Writing Lives: Principia Biographica (New York: Norton, 1984) 22. 15 Pour Sarah, nous disposons des quelques lettres qu'elle a échangées avec son frère (Martin C. Battestin et Clive Probyn" les ont éditées), avec Samuel Richardson et quelques autres amis, mais quant à écrire sa biographie, il faudra se contenter d'une esquisse, car celle-ci a mené une existence très discrète et retirée, évitant les tapages et tumultes du monde, pour se consacrer à l'étude et à l'écriture; non seulement parce qu'à l'époque la sphère privée de la maison et de la famille, comme le dit Addison, était le domaine attitré de la femme, mais aussi en raison des convictions éthiques et religieuses de Sarah Fielding. Comme le rappelle fort justement Martin C. Battestin, dans la préface à Henry Fielding: A Life, 15 la biographie ne peut se nourrir uniquement de faits, elle comporte une part inévitable d'interprétation. On peut espérer lever quelque peu le voile que Sarah a volontairement jeté sur son existence en interrogeant l'oeuvre et la correspondance de ceux qui l'ont connue et admirée, tels Henry Fielding, son frère, Lady Mary Wortley Montagu, sa cousine au second degré, ou Samuel Richardson, son ami, éditeur de plusieurs de ses romans. Sarah Fielding était issue d'une famille de petits propriétaires terriens. Son père, Edmund Fielding, qui avait fait carrière dans l'armée, avait épousé, en 1706, Sarah, fille de Sir Henry et de Lady Gould de Sharpham Park, près de Glastonbury. Sir Henry n'approuvait pas le choix de sa fille; néanmoins le premier fils de celle-ci naquit chez lui et fut prénommé Henry, comme son grand-père. Puis naquirent Catherine et Ursula. En 1709, Edmund obtint le grade de colonel, et la famille Fielding partit s'installer à East Stour, dans une vieille ferme du Dorset achetée par Sir Henry, peu avant sa mort en 1710. C'est là, le 8 novembre 1710, que Sarah Fielding vit le jour, suivie d'Ann en 1713, de Beatrice en 1714, et d'Edmund en 1716. Lady Gould vécut avec eux à East Stour quelque temps. Sarah n'avait que sept ans et demi lorsque sa mère mourut. On peut imaginer le traumatisme affectif que représenta pour Sarah la perte d'une mère à un âge si tendre; on peut supposer également que ce deuil est une des raisons qui la rapprocha de son frère Henry sur qui elle reporta sans doute son affection dans cet environnement familial perturbé. Son père la confia, ainsi que ses cinq autres enfants (Ann mourut en 1716) à la soeur de Lady Gould, Catherine Cottington, et partit pour Londres. Edmund 14 The Correspondence of Henry and Sarah Fielding, eds. Martin C. Battestin et Clive Probyn (Oxford: OUP, 1993). 15 Martin C. Battestin with Ruthe Battestin, Henry Fielding: A Life (London and New York: Routledge, 1989). 16 Fielding ne recevait depuis 1712 qu'un demi-traitement et il avait essayé de s'adapter à son nouveau rôle de gentleman-farmer. Toutefois, il préférait vivre à la ville et se rendait souvent à Londres. En 1717, il épousa en secondes noces Ann Blanchfield, veuve anglaise d'un Italien, et de confession catholique romaine. À l'été 1719, le colonel Fielding amena sa nouvelle femme à East Stour. Les enfants, encouragés par leur grand-tante, devinrent insolents et indisciplinés. Celle-ci désapprouvait catégoriquement le remariage de son neveu, et ne se privait pas de le faire savoir en s'enfermant dans ses appartements et en incitant les enfants à la révolte. Ainsi, Henry d'après le témoignage d'une domestique "grew not only rude but vert' much subject to passion and often times hindred his fathers servants from doeing their dutyes."' Henry fut envoyé à Eton, et les petites filles furent placées au pensionnat de Mrs Mary Rookes à Salisbury; le jeune Edmund fut confié à Lady Gould, qui s'installa à Salisbury, dans Saint Martin's Church Street, d'où elle pouvait veiller à l'éducation de ses petites filles. Soupçonnant que son beau-fils ait dessein de la priver de la garde des enfants, elle porta plainte à la Court of Chancery le 10 février 1721; son intention était double: priver le colonel Fielding de la propriété d'East Stour et de ses revenus, et obtenir la garde des enfants. Au début d'avril 1721, Henry, qui avait pris le parti de sa grand-mère, fit une fugue et se réfugia chez celle-ci, à Salisbury. Le colonel Fielding tenta, sans succès, d'enlever ses enfants pour les emmener à Londres. Le Lord Chancelier décréta que Henry devait demeurer à Eton et les autres enfants à Salisbury. Le 28 mai 1722, l'affaire fut jugée par Lord Macclesfield; le colonel perdit son procès, la propriété devait être gérée par des administrateurs, les enfants demeureraient au pensionnat et résideraient chez Lady Gould pendant les vacances, afin de ne pas subir l'influence de leur belle-mère ("the influence of the defendant Fielding's wife who appears to be a Papise n). Dans cette école, on enseigna à Sarah la lecture, l'écriture, le français et la danse. Sarah Fielding connaissait, par expérience, la vie des pensionnats. Son troisième roman, The Governess: Or The Little Female Academy, publié en 1749, comporte certainement des détails autobiographiques. Ainsi Lady Gould, tout comme la grand-mère d'une des écolières de ce roman, laissait beaucoup de liberté à ses petits enfants. Elle était très indulgente envers eux, en particulier envers Cité par Jill Grey, The Governess, (Oxford: OUP, 1968) 3. Voir Fielding vs Gould, Chancery Proceedings 1714-58, Division Reynardson, Bundle 2283, London Record Office; Chancery Decrees and Order Books, Trinity Term, 1722, London Record Office. 16 17 17 Henry. Sarah Fielding fait dire à l'une de ses héroïnes, qui a été élevée par sa grand-mère: We were generally together in the Nursery; and no-body took much Notice of us, whether we knew anything or whether we did not . . [My Grandmamma] . . . never troubled her Head much about us, but only to take care that we wanted for nothing." Un autre détail de ce roman est certainement autobiographique: "There came into our Village, when I was Six Years old, a Man who carried about a Raree-show, which all the Children of the Parish were fond of seeing. . . . I had been reading; and thought that more worth my while, than to lose my Time at such foolish Entertainments."" Sarah, à l'instar de Henry, son frère, était passionnée de lectures et préférait cette activité à tous les jeux et divertissements. Elle décrit peut-être ainsi sa propre expérience lorsqu'elle fait dire à son héroïne Isabelle, dans David Simple: "I had no other pleasure but in my brother's indulging me to converse with hirn on serious subjects. . . . He often used to entertain me with stories of what had happened at school, with his remarks (winch were generally very judicious) on them." 2° Isabelle et son frère sont, comme Sarah et Henry, férus de lecture, "so fond of reading and Study, that the Boys of gayer Disposition used to laugh at us, calling us Book-worms, and shun us as unfit for their Society." 21 Il n'y avait, à cette époque, hormis les chapbooks, petits recueils de contes populaires, guère de livres spécifiquement pour enfants, mais Sarah avait, comme son frère, le droit de lire dans la bibliothèque de Henry Gould, son grand-père. Outre les chapbooks, tels The Guy of Warwick, The Seven Champions of Christendom, et Jack the Giant Killer, ainsi que les Chronicks of the King: of England (livres favoris de Henry Fielding dans sa jeunesse), Sarah avait peut-être pu lire Robinson Crusoe, publié en 1719, et Gulliver's Travels, publié en 1726. Comme l'auteur de Tom Jones, Sarah avait une passion pour la littérature classique; en dépit des préjugés de l'époque concernant l'éducation des filles, elle apprit le latin et le grec. Elle possédait parfaitement ces deux langues anciennes et sa culture classique S. Fielding, The Governess, intr. Mary Cadogan (London and New York: Pandora P, 1987) 58. 19 S. Fielding, 63. 20 S. Fielding, David Simple, ed. Malcolm Kelsall (Oxford: OUP, 1987) 203. 21 S. Fielding, 204. 18 18 était immense, à en juger par les multiples citations dont elle émaille ses oeuvres. Pour M. C. Battestin, c'est en compagnie du Dr Collier que Sarah apprit grec et latin. Cette allégation repose sur un témoignage pourtant sujet à caution, puisqu'il s'agit de celui de Mrs Piozzi, dont les commérages ne sauraient être pris au sérieux. Celle-ci écrit au Révérend Leonard Chappelow, le 15 mars 1795: Miss Fielding was wholly unassisted by her Brother whatever she wrote [déclare-t-elle en commettant déjà une erreur magistrale]; I know Dr Collier has often told me that though they lived upon the tenderest Terms before, yet alter she had by their common Friend's Assistance [Dr Collier's] made herself a competent Scholar so as to construe the Sixth Book of Virgil with Ease, the Author of Tom Jones began to teize and taunt her with being a literary Lady etc. till at least she resolved to make her whole pleasure out of Study, and becoming justly eminent for her Taste and Knowledge of the Greek Language, her brother never more could perswade himself to endure her Company with Civility. n Cette anecdote est des plus improbables, étant donné le lien profond qui unissait Sarah à son frère, et l'admiration que Henry avait pour les talents d'écrivain de sa soeur, qui les conduira à une fructueuse collaboration littéraire?"' En 1727, la belle-mère de Sarah disparaît, laissant un seul fils, John, demi-frère de Sarah, qui aidera financièrement celle-ci dans sa maturité. Après la mort de Lady Gould en 1733, les soeurs Fielding continuent à vivre dans la maison de leur grand-mère et sont élevées par une tante. De là, Sarah pouvait suivre la carrière théâtrale de son frère, dont la première pièce, Love in Several Masques, date de 1728. Henry va ensuite étudier la littérature et les classiques à l'université de Leyden; mais il doit abandonner ses études, faute d'argent. Quatre de ses pièces (dont Rape capon Rape) sont montées en 1730. Pendant les six premiers mois de 1732, cinq pièces de Henry sont données à Drury Lane. L'auteur est attaqué dans le Grub Street Journalet dans le Daily Post. Cité par Martin C. Battestin, dans Henry Fielding: A Lifè, 381. À ce propos, voir l'article de Guyonne Leduc, "Henry et Sarah Fielding: une collaboration fructueuse". Bulletin de la Société d'études anglo américaines des xvif et xvilf siècles 1994 (39): 191-206. 22 23 - 19 En 1734, Henry enlève Charlotte Cradock et l'épouse en secret à Charlcombe, près de Bath (c'est là que Sarah Fielding reposera trente-quatre ans plus tard). La fille aînée de Henry, Charlotte, naît en 1736, et la cadette, Eleanor Harriet, en 1737. Cette année-là, le cadet de la famille atteint l'âge voulu pour hériter, et la propriété d'East Stour est mise en vente, pour être partagée entre les enfants, conformément aux voeux exprimés par le juge Gould dans son testament. Henry a besoin d'argent pour faire vivre sa famille, il vend donc sa part immédiatement, mais Sarah et les autres auraient conservé la leur pendant encore deux ans. En juin 1737, le LicensingAct, qui ferme les théâtres, met prématurément fin à la carrière de dramaturge de Henry Fielding. Deux ans plus tard, sous le nom de Captain Hercules Vinegar, il commence à publier The Champion, et cela jusqu'en 1741. C'est à cette époque qu'il prend la décision de faire des études de droit. Il les achève à l'été 1740. En novembre de la même année, Pamela est publié anonymement; ce roman a un succès sans précédent et connaît une quatrième réédition dès mai 1741. Henry Fielding commence sa carrière de romancier en en écrivant une parodie, An Apology For the Lité of Mrs Shamela Andrews, drôle quoique injuste puisque Fielding ne voit en Pamela qu'une hypocrite qui joue de sa vertu pour se faire épouser. Shamela est bientôt suivi par The Adventures of Joseph Andrews (en février 1742); le vertueux Joseph Andrews, frère de Pamela, y incarne la chasteté, vertu passive, que Fielding oppose à la charité, vertu active, d'Abraham Adams, compagnon de ses pérégrinations. Les livres 1 et 4 comportent des allusions directes à Pamela, dont l'intrigue de Joseph Andrews découle en grande partie. Sarah Fielding y fait probablement ses débuts d'écrivain puisque tout porte à croire qu'elle a écrit la deuxième lettre, de Leonora à Horatio, dans le livre deux de Joseph Andrews. Henry Fielding indique par une note que: "This letter was written by a young lady on reading the former." 24 Cette collaboration littéraire suscitera également l'histoire d'Ann Boleyn, dans A Journey from this World to the Next, qui est publié pour la première fois dans les Miscellanies. Là encore, une note de Henry Fielding signale que: This chapter is, in the original, writ in a woman's hand, and though the observations in it are . . . as excellent as any of the whole volume, there Henry Fielding, Joseph Andrews, ed. R. F. Brissenden (Harmondsworth: Penguin, 1987) 114. 24 20