Gopolitique tourisme transfrontalier dans les ANDES centrales

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Gopolitique tourisme transfrontalier dans les ANDES centrales
6e Rencontres de Mâcon, « Tourismes et territoires » - 13, 14 et 15 septembre 2007 – Pré-actes
LE TOURISME TRANSFRONTALIER DANS LES ANDES CENTRALES :
PROLEGOMENES A UNE GEOPOLITIQUE DU TOURISME
Anne-Laure AMILHAT-SZARY * , Sylvain GUYOT **
Nous proposons ici l’analyse d’une dynamique originale, celle de l’émergence d’une région
transfrontalière trinationale dans les Andes centrales (frontière Bolivie /Argentine / Chili). Cette région
constituée de l’extrémité sud de l’altiplano et de sa retombée orientale, elle recouvre des espaces
périphériques pour chacun des Etats concernés. L’importance stratégique des Andes atacaméniennes
est d’abord liée à leur situation frontalière : cette zone montagneuse est en effet traversée par l’une des
triples frontières d’Amérique Latine (Argentine /Bolivie / Chili). Il s’agit d’un ensemble de dyades
moins conflictuelles que leur voisine Bolivie / Chili 1 , même si leur tracé ne s’est pas effectué en une
seule phase, résultant de négociations complexes du fait du fonctionnement tripartite (Amilhat Szary,
A.-L., 2007). Dans leurs processus respectifs de construction territoriale et identitaire, les Etats
concernés ont eu tendance à mobiliser les frontières comme barrières, tournant le dos aux Andes dans
les cas chilien et argentin ; les relations diplomatiques entre eux, problématiques jusqu’aux années 1990,
restent encore sensibles aujourd’hui. Pourtant, au niveau régional, les systèmes d’échanges traditionnels
n’ont jamais été complètement interrompus. Cette zone est aujourd’hui traversée par de nombreuses
dynamiques transfrontalières (Albo, X., Arratia, M. I., et al., 1996) suscitées par l’ouverture des
frontières aux flux de marchandises globalisées, mais aussi aux personnes : les migrations de travail
entre Bolivie et Argentine notamment, sont en recrudescence (D’Andrea, N., 2004, Domenach, H.,
Celton, D., et al., 2006), les déplacements de loisirs, mieux connus sous le terme générique de tourisme,
connaissant depuis une dizaine d’années un développement spectaculaire.
Au sein d’une Amérique Latine libérale et fortement marquée par les processus d’intégration
commerciale, les dynamiques de rapprochement transfrontalier se multiplient. Certaines activités
traversent cependant plus facilement la frontière que d’autres (projets miniers, gazoducs -Carrizo, S. &
Velut, S., 2006- et infrastructures routières), sans forcément entraîner dans leur sillage l’augmentation
des relations sociales de part et d’autre de la ligne arbitraire. Dans la zone qui nous concerne, de plus en
plus de touristes empruntent des circuits reliant les trois pays, participant d’un rapprochement tripartite
original, participant à l’émergence d’une « région ABC ». Le tourisme semble ici fortement contribuer à
la structuration d’une dynamique transfrontalière, à savoir au rapprochement entre les acteurs locaux,
privés et publics.
Il ne s’agit pas certes pas d’un tourisme de masse, d’abord parce que l’Amérique Latine se situe
relativement marginalement par rapport aux données mondiales (5,4 % des 900 millions de touristes
mondiaux, cf. aussi Lumsdon, L. & Swift, J., 2001) mais aussi parce qu’il s’agit d’un tourisme de
montagne (Sacareau, I., 2003, Sacareau, I. & Duhamel, P., 1998). Si l’Amérique Latine ne constitue pas
une des destinations privilégiées du tourisme mondial de masse. Les flux y connaissent cependant une
hausse importante à partir des années 1990, mais restent concentrés autour de zones balnéaires, où les
complexes hôteliers se multiplient (comme la Riviera Maya autour de Cancún au Mexique), et de grands
sites patrimoniaux dont la gestion se privatise (comme le Macchu Pichu au Pérou). Le tourisme dans les
montagnes « périphériques » se traduit par des pratiques spécifiques, sportives d’une part, liées à la
nature et les grands espaces d’une autre (Bourdeau, P., 2006), dans une diversité de formules allant de
l’alpinisme ou au trekking, mais aussi à des formes nouvelles de pratiques (aventures en 4x4
notamment, au Laddakh ou dans les Andes). De façon apparemment plus marginale, un tourisme de
consommation de grands espaces naturels prend son essor sur le sous-continent latino-américain ; il
concerne en tout premier lieu la Cordillère des Andes. L’impact de cet accroissement de fréquentation
dans des espaces fragiles, environnementalement et socialement, soulève de nombreuses questions. En
particulier, se pose le problème de la polarisation de la fréquentation sur certains villages ou certaines vallées.
Maître de conférences, université de Grenoble 1, UMR PACTE-TERRITOIRES.
Maître de conférences, université de Limoges, UMR GEOLAB.
1 La victoire du Chili lors de la Guerre du Pacifique (1879-83/84) a privé d’accès à la mer la Bolivie, grief territorial qui obère
toujours les relations entre les deux pays à l’aube du XXIe siècle.
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Si le lien entre frontière et conservation environnementale a déjà été travaillé dans une perspective
stratégique (Guyot, S., 2004, 2006), les interactions entre frontière et tourisme n’ont pas été explorées
d’un point de vue géopolitique. La mise en place de parcs naturels de part et d’autres de limites
convoitées a souvent servi de mise en réserve discrète. Et l’analyse du suivi de la gestion de ces espaces
à la fin de la guerre froide révèle des possibilités collaboratives, transformant l’espace-tampon en
espace-ressource. Quel est alors le statut du tourisme dans les recompositions de telles zones, peut-on
cantonner son interprétation à une grille de lecture économique ou sectorielle ? Une réponse par le
l’analyse territoriale est certes négative, mais il nous semble pouvoir pousser plus avant le raisonnement
pour tenter de démontrer en quoi le tourisme peut être analysé selon des perspectives
multidimensionnelles qui donnent au terme de géopolitique une acception large que nous
revendiquons. Le tourisme permet de mettre en évidence à la fois :
- l’intervention d’acteurs externes et privés sur des espaces privilégiés du contrôle de l’Etat,
- la transformation d’espaces tampons en espaces réticulés par la consommation,
- l’intégration économique des acteurs locaux dans un système économique complexe,
- et les formes de gouvernance.
Par là, il se prête à la fois à une lecture de géographie politique (en termes d’instrumentalisation du
tourisme par des acteurs multiscalaires) et de géopolitique (en termes de stratégies transnationales
transfrontalières). Nous nous revendiquons en effet d’une pensée qui tend à supprimer la distinction
entre les deux termes (Rosière, S., 2007) : la géopolitique ne nous semble pas se caractériser par la
violence du rapport au territoire (Lévy, J., 1991), mais par l’enjeu qu’elle lui impute. Il nous semble
nécessaire en effet d’aller au delà de l’étude des pouvoirs dans l’espace (Raffestin, C., 1980) pour tenter
de comprendre en quoi l’espace est érigé en enjeu de contrôle. C’est en reprenant l’analyse du fait
géopolitique contemporain que nous tenterons de démontrer sa pertinence pour la compréhension du
tourisme.
Le fonctionnement systémique du tourisme prend appui sur un jeu d’acteurs véritablement
multiscalaires dans un contexte de décentralisation libérale. En réaction à ces transformations et pour
les réguler, des mesures de protection de l’environnement sont prises : consolidation des espaces
naturels protégés existants, extension des périmètres de conservation, classement de sites naturels et
architecturaux au patrimoine mondial de l’humanité. Elles contribuent dans le même temps à accroître
la transfrontaliarité et l’attractivité de l’espace considéré. L’analyse de toutes ces composantes
exacerbées par la situation frontalière nous permettra de faire émerger les conditions d’une analyse
géopolitique du phénomène touristique, et les prémisses de sa conceptualisation.
LES INSTRUMENTALISATIONS POLITIQUES DU TOURISME
CONTOURS D’UNE VERITABLE GEOPOLITIQUE DU TOURISME
DESSINENT
LES
Pourquoi et comment parler du tourisme en termes géopolitiques ? Le poids économique du secteur
touristique est désormais reconnu : c’est l’un des secteurs dynamiques de notre économie globalisée,
représentant pour certains pays destinataires – dont la France – une composante majoritaire du PIB (ses
recettes représentaient en 2003 6% des exportations de biens et de services, croissant 1,3 fois plus
rapidement que le produit mondial brut - OMT, 2005). Cette « dimension économique de l’enjeu
touristique prenant le pas sur les enjeux purement politiques. » (Keerle, R., 2004) a longtemps maintenu
le tourisme très éloigné de l’analyse géopolitique. C’est pourtant d’abord dans l’interaction de cette
puissance économique avec le politique que l’on peut proposer d’élargir les modes d’analyse du
phénomène touristique. On peut ainsi proposer une géopolitique touristique dans les termes d’une
analyse de système de pouvoir entre des acteurs à partir du moment où l’on ne considère plus l’Etat et
ses sous-ensembles territorialisés comme les seuls agents de pouvoir sur l’espace. Cette démarche est
devenue courante dans des analyses de la mondialisation (Taylor, P. & Flint, C., 2000) inférant que le
pouvoir est aujourd’hui partagé entre acteurs politiques et économiques, souvent au détriment des
premiers. On s’inscrit dès lors dans une géopolitique renouvelée qui postule que d’autres acteurs
interviennent aux côtés des Etats pour définir l’équilibre des forces : organisations supra-nationales et
administrations territoriales déconcentrées et décentralisées, mais aussi acteurs privés plus ou moins
territorialisés (Agnew, J., 1998).
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C’est parce que, dans son fonctionnement systémique, l’analyse du tourisme procède par jeux d’acteurs,
qu’on peut la qualifier de géopolitique. Il s’agit alors d’affecter aux acteurs identifiés une étendue de
pouvoir pour comprendre les interactions mais aussi les conflits qui les relient. Dans ce cadre, on
comprend mieux, par exemple, comment l’impact des tour-opérateurs (internationaux, nationaux ou
régionaux) sur les territoires peut confirmer ou au contraire contre-balancer des stratégies de
développement local. Mais à ce niveau d’analyse, le tourisme est traité comme tout autre système
complexe dont les acteurs ont une inscription spatiale (Matthiews, H. & Richter, L., 1991)Matthiews, H.
& Richter, L., 1991. La dimension politique de leurs relations peut être individualisée sans que le
phénomène soit véritablement qualifié de « géopolitique ». Il nous semble essentiel de qualifier les
spécificités sociale et culturelles du phénomène (Errington, F. & Gewertz, D., 1989) pour démontrer
l’utilité de sa lecture géopolitique.
Le tourisme représente une pratique de l’espace fondée sur le déplacement, celui-ci se justifiant par un
« différentiel » (MIT, 2002), c’est-à-dire sur un rapport de distinction entre les hommes et les lieux que
les pratiques touristiques, de fait, révèlent autant qu’elles l’alimentent. A l’échelle globale, cette
interprétation explique que les flux touristiques représentent une transposition parmi d’autres des
relations inégales « Nord-Sud ». Cette relation est d’autant plus complexe qu’en faisant l’expérience
matérielle de l’ailleurs, le touriste s’approprie ces lieux pourtant parcourus de façon très éphémère
(Trey, O., 1994). Cette forme d’accaparement de la richesse d’autrui participe de la construction d’une
approche géopolitique du tourisme. L’espace est investi par le touriste en ce qu’il lui permet d’ancrer
son désir. Et par un effet d’accumulation lié à la massification du phénomène depuis les années 1980
(Cazes, G., 1992, Lanfant, M.-F., 1980) ce lien éphémère au lieu peut avoir un impact intensif. Cette
territorialisation doit être lue au prisme de cette spécificité désirante et du pouvoir sur l’espace qu’elle
octroie à celui qui l’exerce. Cela permet sans doute de mieux comprendre en quoi le phénomène
touristique déstabilise les jeux d’acteurs traditionnels et contribue à l’augmentation de leur complexité.
C’est à la lumière de la mise en évidence de ce rapport de pouvoir sur le territoire, économique autant
qu’affectif, induit par le tourisme que l’on peut élargir l’analyse géopolitique. Le rapport du tourisme à
l’espace est fondé sur la consommation. Cette activité ne consomme pas de l’espace comme toute autre
activité : son emprise est certes liée à l’accompagnement de la force productive (infrastructures d’accès,
de logement notamment), mais aussi à la motivation du déplacement touristique. L’attrait touristique
d’un lieu est intrinsèquement lié à ce qu’il représente pour celui qui souhaite le visiter : un haut lieu de
mémoire, un monument patrimonial, un lieu de détente et de loisir, ou encore un grand espace de
nature « vierge ». Cette représentation peut être imposée par le visiteur, construite par les acteurs d’un
territoire qui souhaitent mettre ce dernier en valeur (au nom de ses ressources matérielles et
immatérielles), ou bien souvent construite dans l’interaction de ces deux champs interprétatifs. Bien
souvent, celle-ci est conflictuelle, les habitants du lieu ou ceux qui vivent à proximité de la ressource
ayant du mal à comprendre la vision du touriste. Sur les hauts plateaux andins, les pasteurs pauvres se
demandent ce que les touristes photographient du haut de leur 4 x 4 : les paysages minéraux admirés
par les uns sont des pâturages trop secs pour les autres. L’espace représente bien l’enjeu d’un tel conflit
de représentations, source de projets territoriaux contradictoires. Dès lors qu’il est considéré pour ce
qu’il représente, que son analyse peut se faire en termes d’enjeux et de priorités des acteurs, et des
dispositifs qu’ils mettent en place pour répondre à ces contraintes, l’espace acquiert bel et bien une
dimension géopolitique (Lorot, P. & Thual, F., 1999).
Souvent le tourisme est instrumentalisé, par des acteurs distincts selon des motivations diverses, un
aspect du phénomène que les géographes français ont mis du temps à problématiser (MIT, 2005)
notamment pour sur ce qu’il pouvait cacher et révéler sur des territoires complexes (Cazes, G. &
Courade, G., 2004). Si l’on suit ce raisonnement théorique, force est d’admettre que le tourisme est par
essence géopolitique. Cela n’est pourtant pas si facile à mettre en évidence sur tous les types de
territoires. Pour ce qui concerne des zones stratégiques par ailleurs, cet aspect de la problématique
touristique peut s’avérer essentiel pour décrypter des jeux de pouvoir complexes et multiscalaires. Dans
le cas de phénomènes transfrontaliers comme ceux qui nous intéressent dans les Andes, il est
intéressant de voir combien l’introduction d’une problématique touristique a accéléré des processus
d’intégration régionale en cours, et en quoi les rapports de force internationaux, inter régionaux et
locaux s’en sont trouvés bouleversés. Nous ne sommes pas les premiers à tirer ces conclusions de
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l’observations de dynamiques touristiques, analysées en d’autres lieux sous leur angle pionnier
(Gormsen, E., 1981). Au Mexique notamment, une étude révèle comment des acteurs du secteur
perçoivent les implications géopolitiques de leur planification sectorielle, sur la base d’une vision très
large du tourisme et des « grandes possibilités qu’ [il] présente dans ses différentes facettes, depuis celle
d’être un instrument de la géopolitique régionale, à celle de constituer un modèle de développement, en
passant la possibilité de constituer un mécanisme d’intégration et de diversification des économies de
subsistance dans les zones marginales. Dans un volet qui traite de « La géopolitique du tourisme, un espace
pour la géoéconomie », le consultant affirme que « Le Mexique a été pionnier dans la géopolitique du
tourisme, puisqu’il a promu a partir de l’alliance régionale de l’Association des Etats de la Caraïbe, la
première zone de tourisme durable au niveau mondial » 2 . Il s’agit d’une des rares explicitations que
nous ayons trouvées d’action de développement environnemental (en l’occurrence la mise en place d’un
réseau d’aires protégées dans le cadre du Plan Puebla Panamá, corridor centre-américain dont la
vocation première est commerciale) dont la justification est la facilitation d’une domination géopolitique.
Le cas d’études que nous analysons se prête donc en tout points à une analyse géopolitique : il s’agit
d’un espace enjeu du fait des ressources qu’il recèle en tant que région montagnardes (Amilhat Szary,
A.-L., 2001, Lacoste, Y., 2002). Ces dernières sont d’autant plus convoitées qu’elles font récemment
l’objet d’une mise en tourisme qui exploite ces gisements potentiels. Le fait qu’elle soit traversée par
trois frontières rend les jeux de rivalités pour l’appropriation encore plus complexes et avive d’autant la
nécessité d’une grille de lecture géopolitique. Néanmoins la mise en place de dynamiques
transfrontalières éclaire de façon inattendu les décisions stratégiques des acteurs concernés, et
positionne le lien du local au global dans des modes d’interaction originaux.
DERRIERE LA MISE EN TOURISME, DES RESEAUX DE POUVOIRS CONCURRENTIELS
ET CONFLICTUELS
La partie des zones qui nous préoccupe est constituée par une région transfrontalière émergente, que
nous appellerons ici « ABC » en reprenant ses initiales. Elle est située à cheval sur le nord-ouest argentin
(provinces de Jujuy et de Salta), le sud de la Bolivie (départements de Potosi et de Tarija) et le nord du
Chili (Région II, Antofagasta). Province, département et région désignent dans les trois pays un niveau
comparable d’entité régionale, hiérarchiquement en-dessous de l’Etat central représenté par la puissance
des trois capitales : La Paz pour la Bolivie, Santiago pour la Chili et Buenos Aires pour l’Argentine).
Elle comprend une touristique importante dans chacun des trois pays : la Quebrada de Humahuaca
dans la province de Jujuy en Argentine reconnue Paysage Culturel de l’Humanité en 2002, la zone de
San Pedro de Atacama (réserve nationale ‘Los Flamencos’) et la zone d’Uyuni en Bolivie (réserve
nationale de faune ‘Eudardo Avaroa’) 3 . Ces trois espaces, proches de frontières internationales, sont
entrés dans un processus de « connexion » depuis un peu plus d’une décennie.
Il nous a semblé nécessaire de voir quelles étaient les relations entre l’émergence de cette « région » et
l’existence d’un phénomène touristique transfrontalier récent, de mieux en mieux organisé et co-géré
par les différents acteurs frontaliers des trois pays. L’axe Salta-Bolivie est assez ancien et correspond à
une route de communication transandine millénaire. Le développement d’un tourisme transfrontalier
pionnier y est donc antérieur à l’émergence du phénomène touristique de masse à San Pedro de
Atacama (Chili) comme une des « Mecque » du tourisme andin depuis une quinzaine d’années. La mise
“las grandes posibilidades que presenta el turismo en sus diferentes facetas, desde la de ser un instrumento en la geopolítica
regional, pasando por ser un modelo de desarrollo, a un mecanismo de integración y diversificación de las economías de
subsistencia en zonas marginales.
La geopolítica del turismo, un espacio para la geoeconomía.
México ha sido pionero en la geopolítica del turismo, ya que ha promovido a partir de la alianza regional de la Asociación de
Estados del Caribe, la primer zona de turismo sustentable en el ámbito mundial.”
Alfredo César Dachary, Propuesta para una agenda del turismo en la perspectiva de las próximas dos décadas, CESTUR (Centro de
Estudios Superiores del Turismo)- SECTUR (Secretaría de Turismo) – Encuentro nacional de turismo : la perspectiva 2020.
www.uaemex.mx/plin/psus/rev7/e03.html
3 Nous avons d’ailleurs réalisé une partie de nos enquêtes de terrain dans les trois localités les plus représentatives de ces
zones touristiques : Tilcara (Argentine), Uyuni (Bolivie) et San Pedro de Atacama (Chili) grâce à une bourse post-doctorale
délivrée par le comité ECOS-SUD.
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en relation entre ces trois espaces touristiques frontaliers est donc récent. San Pedro, haut-lieu du
tourisme international et surtout européen, a véritablement permis de gonfler et d’orienter les flux de ce
tourisme transfrontalier en constitution.
A l’origine, la spécificité de ce tourisme transfrontalier peut se résumer à son caractère relativement
spontané voir désorganisé, du moins entre Argentine / Bolivie et entre Argentine / Chili. Ce sont des
touristes européens qui profitant d’un séjour à San Pedro de Atacama au Chili, dans le sud bolivien ou
dans le nord-ouest argentin décident de faire des incursions dans les pays voisins, souvent avec
difficulté, en raison du manque d’organisation et de fiabilité des réseaux de transports transfrontaliers.
Pour accompagner et formaliser ces premières initiatives spontanées, des Boliviens ont organisé depuis
San Pedro de Atacama, Uyuni et la Paz, des circuits reliant le sud de la Bolivie (Uyuni et la région du
Lipez, réserve nationale de faune ‘Eduardo Avaroa’) à San Pedro de Atacama. Aujourd’hui, les
différents pouvoirs publics du niveau régional des trois pays s’organisent pour gérer et maîtriser ce
tourisme transfrontalier. Toute la problématique de mise en relation entre ces trois portes des Andes
repose un « trinôme » quelque peu contradictoire : coopération (politique, culturelle, commerciale...),
complémentarité (circuits, infrastructures) et concurrence (monnaie, prix pratiqués, andinisme
authentique revendiqué...).
Des flux touristiques transfrontaliers émergents
Au siècle dernier, cette région « ABC » était la seule en Amérique Latine à disposer d’un réseau
triangulaire de chemin de fer, construit en relation avec l’extraction minière, une des activités ayant
forgé l’identité contemporaine de cette région. Il existait une ligne entre Salta-Jujuy et Uyuni via La
Quiaca/Villazon (frontière), une autre ligne entre Uyuni et Calama-Antofagasta via Ollagüe (frontière)
et une dernière entre Antofagasta et Salta via le Paso de Socompa (frontière). Aujourd’hui seuls certains
tronçons discontinus de ces lignes fonctionnent encore : le train des nuages de Salta à San Antonio de
los Cobres en Argentine, la ligne du Wara-Wara entre Villazon et Uyuni en Bolivie et une seule ligne
internationale entre Uyuni et Calama. Les autres liaisons se font par la route : entre Salta-Jujuy et
Villazon (poste frontière de la Quiaca), entre Uyuni et San Pedro de Atacama (piste, poste frontière de
Portezuelo del Cajon), entre San Pedro de Atacama et Jujuy (poste frontière du Paso de Jama) et entre
San Pedro de Atacama et Salta (piste, poste frontière du Paso de Sico). La liaison par le Paso de
Socompa se fait en 4X4 : elle est encore peu fréquentée en raison de la présence de mines
antipersonnel.
Il est difficile de quantifier précisément la réalité de ce tourisme transfrontalier. On possède des
statistiques touristiques relatives aux arrivées de touristes à l’échelle des provinces, des régions, des
départements, des aires protégées et de leurs mouvements à certains postes frontière. Ces statistiques ne
précisent pas toujours s’il s’agit de quel type de touristes il s’agit : occidentaux, latinos ou nationaux. De
plus, il n’est pas aisé de savoir d’où proviennent les touristes et où ils vont aller. A partir de données
trouvées sur la fréquentation de la réserve nationale ‘Los Flamencos’ à San Pedro de Atacama, de la
réserve Edurardo Avaroa en Bolivie, des mouvements aux postes frontières de Portezuelo del Cajon,
du Paso de Jama ainsi que des séjours à Tilcara ou dans les provinces de Jujuy et Salta on peut faire une
estimation malheureusement encore trop imprécise de 25,000 touristes par an entre 2004 et 2006 sur
des itinéraires dans deux ou trois pays de la zone. Des chiffres plus fiables sont calculables par localité :
pour San Pedro de Atacama 4 , 120,000 touristes en 2004 ; pour Tilcara, 12,000 touristes en 2004 5
(source :
Le site de la SERNATUR (www.sernatur.cl) , institution nationale en charge du tourisme, offre en accès libre un certain
nombre de données. En les recoupant on obtient une photographie assez fine de la fréquentation touristique à San Pedro de
Atacama. On peut disposer des entrées touristiques à la «Reserva Nacional Los Flamincos » qui est visitée par la quasitotalité des touristes (la presque totalité des environnements paysagers d’intérêt touristique sont intégrés dans une des parties
de cette réserve « en archipels » qui en compte 7). Pour 2004, elles sont de 123,959 sur l’année (87,952 étrangers – 71%- et
36,007 chiliens – 29%) avec des maximums en juillet, août et janvier. On obtient donc une fourchette supérieure à
l’estimation municipale. Par ailleurs, on peut aussi obtenir une estimation de l’arrivée « d’étrangers transfrontaliers » avec les
statistiques du poste frontière de San Pedro : 22,907 arrivées du Paso de Jama (Argentine) et 13,678 de Portezuelo del Cajon
(Bolivie) en 2006 soit un total de 36,585. Bien sur beaucoup d’étrangers se rendent au Chili pour le travail ou pour transiter
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Carte 1 : Le tourisme transfrontalier dans les Andes centrales, région ABC (Argentine, Bolivie,
Chili)
(bus Argentine-Pérou), surtout au Paso de Jama. Le passage au Portezuelo del Cajon se faisant à pieds ou en tour organisé
cela donne une meilleure estimation du flux de touristes transfrontaliers qui vont de Bolivie au Chili.
5 Tous les touristes visitant à la Quebrada ne passant par forcément une nuit à Tilcara mais dans une autre des communes de
la Quebrada qui en compte neuf). D’autres sources parlent d’environ 300,000 touristes dans l’ensemble des localités de la
Quebrada de Humahuaca en 2003 (Ramousse, Salin, 2003).
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6e Rencontres de Mâcon, « Tourismes et territoires » - 13, 14 et 15 septembre 2007 – Pré-actes
Municipalité de Tilcara) et 52,000 pour la réserve nationale de faune ‘Eduardo Avaroa’ 6 . Toutefois
l’enjeu d’une telle recherche n’est pas prioritairement de quantifier ce phénomène de manière statistique
mais plutôt de le caractériser de manière qualitative. Néanmoins, des enquêtes personnelles réalisées sur
135 touristes à San Pedro de Atacama et à Tilcara (Argentine) en juillet-août 2006, corroborés par des
constatations qualitatives émanant des différents gérants des agences de San Pedro de Atacama et
d’Uyuni, amènent quelques remarques.
Les flux touristiques transfrontaliers dominants se font entre le Chili et la Bolivie de manière réciproque
(avec un effet « boucle » important depuis/vers San Pedro de Atacama ou depuis/vers Uyuni, et un
départ ou une arrivée de voyage au Pérou) et entre l’Argentine et la Bolivie (avec un effet boucle depuis
l’Argentine vers la Bolivie) via la frontière de la Quiaca-Villazon. Le lien Chili-Argentine (réciproque)
est moins important mais non négligeable. Toutefois, l’ensemble de ces liaisons transfrontalières
comptent pour moins de 40% des arrivées et départs de touristes à San Pedro de Atacama et à Tilcara
durant les mois d’hivers (période où les touristes occidentaux l’emportent sur les touristes latino et
nationaux qui sont à leur maximum en janvier-février). Les circuits transfrontaliers concernent une
majorité de ressortissants de l’Union Européenne (dont beaucoup de français) essentiellement étudiants
et enseignants. Cela dit, pour l’Argentine et le Chili la majorité des flux se rapprochent d’une logique de
pays (« cette année je ‘fais’ le Chili, ou je ‘fais’ l’Argentine »). Les deux sens de circulation (Chili-BolivieArgentine et Chili-Argentine-Bolivie) sont équivalents en termes de flux touristiques transfrontaliers.
En revanche rares sont les touristes transfrontaliers ayant une logique «ABC », avec un séjour à cheval
sur les 3 pays (9%). On en trouve plus à avoir une logique « CBP ou ABP » (avec le Pérou comme
troisième pays : 13%).
En considérant les itinéraires des touristes passant par San Pedro et Tilcara, on constate que la visite du
sud bolivien est souvent associée à deux autres pays (Argentine et Pérou ou Chili et Pérou). En
revanche les touristes allant au Chili et en Argentine ne vont pas forcément en Bolivie. Le lien entre San
Pedro de Atacama et la Bolivie (Uyuni) est assuré de manière hégémonique par des tours privés avec un
séjour itinérant de 3 ou 4 jours. Très peu de touristes prennent le train hebdomadaire entre Uyuni et
Calama via Ollagüe. Le lien entre San Pedro de Atacama et l’Argentine (Salta, Jujuy, Tilcara) est assuré
par autobus régulier (trois par semaine) et le lien Argentine (Salta, Jujuy, Tilcara) et la Bolivie est assuré
par bus et train (tableau). Les passages des frontières sont des points de rupture de charge sauf au Paso
de Jama où les touristes remontent dans le même bus. La gestion des flux est donc entièrement
dominée par des entreprises privées qui collaborent avec des pouvoirs publics souvent concurrents
entre les pays et entre les régions.
Itinéraire transfrontalier
Point de passage
frontalier et durée
de passage
C↔B
San Pedro de AtacamaUYUNI
Ligne de train CalamaOllague-Uyuni peu empruntée
(2 trains par semaine)
C↔A
San Pedro de Atacama QUEBRADA
San Pedro de
400 km – 12h si
Atacama &
direct ou 3 jours
Portezuelo del Cajon
–4600m
2h
Minibus puis Possibilité de faire un tour de 3
4X4
jours et une boucle sur San
Pedro de Atacama ou Uyuni
San Pedro de
Atacama& Paso de
Jama – 4400m
3h
Villazon-La Quica
2h
500 km – 10h
Bus
Rien de prévu. Bus grande ligne.
Route récemment asphaltée.
500 km- 14h
Bus puis
train
Rien de prévu. Bus et trains
grande ligne.
A↔B
QUEBRADA - UYUNI
Kilométrage
approximatif et
durée du trajet
Mode de
transport
Contenu touristique
Tableau 1 : Les trois principaux itinéraires transfrontaliers de la région ABC
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Ne sont donc pas compris ici les touristes qui vont de Bolivie en Argentine sans visiter la réserve nationale de faune.
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6e Rencontres de Mâcon, « Tourismes et territoires » - 13, 14 et 15 septembre 2007 – Pré-actes
Gestion privée des flux : enjeux et difficultés
Quatre agences privées ont la charge de la liaison San Pedro de Atacama-Uyuni en offrant des tours
uniquement « paysagers » (Laguna Verde, Colorada etc.). Ce sont toutes des agences boliviennes basées
en Bolivie et au Chili 7 , l’inverse n’étant pas possible pour le moment (blocage bureaucratique en Bolivie
qui n’a toujours pas de relations diplomatiques avec le Chili). Ces agences permettent aux touristes
d’effectuer un segment de leur itinéraire transfrontalier tout en visitant plusieurs site paysagers
remarquables du Sud-Lipez bolivien. C’est un segment très fréquenté par les touristes « mochilleros »
(backpackers, sacs à dos).
Deux compagnies privées de bus assurent trois fois par semaine dans les deux sens la liaison SaltaJujuy-Quebrada (Purmamarca) –San Pedro de Atacama-Calama-Arica (Pullman Bus et Geminis). Ce
sont deux compagnies chiliennes car les compagnies argentines ne respectent pas encore toutes les
normes nécessaires pour ouvrir de telles lignes. Par ailleurs ce n’est que depuis 1 an que les 4X4 sont
acceptés comme « véhicules aptes au transport des touristes » en Argentine, ce qui ouvre de nouvelles
perspectives aux agences argentines.
« Es que mira, hay claras reglas en el ministerio de transporte tanto argentino como chileno y su tu quieres obtener
un permiso internacional para operar esos lugares hay reglas muy claras. Por ejemplo que el bus no sea mayor de
ocho años si no me equivoco de antigüedad, que sea pullman y que tenga un baño y aire acondicionado, son
requisitos mínimos para poder operar internationalisme y eso lo han hecho en mutuo acuerdo tanto Argentina y
Chile también como lo han hecho en Bolivia: Yo lo conozco muy bien por que yo lo he visto, lo he leído etc...
Entonces hay muchas empresas que quieren hacerlo pero no cumplen los requisitos a tal modo que no lo pueden
operar. El que no tiene mucha información facilmente puede decir que se puede operar: Bueno la verdad es que se
puede operar, tanto en Iquique como en Arica salen vehículos de Pullman Bus por ejemplo hacia la Paz o también
buses de Bolivia que vienen para Iquique o Arica también. Es la misma forma en que se puede operar en
cualquier lugar en cualquier frontera solamente que hay que saber cumplir los requisitos que te pide el ministerio de
transport » (Carlos Colque, COLQUE TOURS, San Pedro de Atacama)
De même, les agences d’Argentine et du Chili peuvent organiser des tours transfrontaliers à condition
qu’elles ramènent ces touristes à leur point de départ (circuits fermés). Ce n’est pas le cas pour les
agences boliviennes grâce au changement de véhicule à la frontière et à la possibilité pour les agences
boliviennes d’être installées au Chili. Au final, un avantage revient donc aux grand tours opérateurs
internationaux (européens…) qui proposent des circuits (exemple de la traversée des Andes :
document) en s’appuyant sur différentes agences nationales comme sous-traitants. C’est donc à un
niveau international que l’on peut parler de réelle intégration touristique transfrontalière que ce soit du
point de vue de l’offre ou de la demande.
Document 1 : www.explorator.fr « Grande expédition à travers les cols de la cordillère des Andes et les plus beaux sites de
l’Altiplano. Du désert de l’Atacama, nous rejoindrons les vallées indiennes hautes en couleur du nord de l’Argentine avant de
traverser les immensités du sud Lipez bolivien, illuminés par la blancheur du salar d’Uyuni et les pastels de ses lagunes
peuplées de milliers de flamants. »
7
Le Chili est pays très ouvert aux entreprises étrangères en raison des structures néolibérales en place.
8
6e Rencontres de Mâcon, « Tourismes et territoires » - 13, 14 et 15 septembre 2007 – Pré-actes
Du côté des Etats, il y a encore beaucoup d’entraves juridiques et administratives à la « facilitation » de
cette dynamique transfrontalière, même si on peut noter des avancées significatives, par exemple depuis
l’ouverture de la route asphaltée entre San Pedro de Atacama et Jujuy. La croissance du tourisme
transfrontalier entre San Pedro de Atacama, la Quebrada de Humahuaca (via Jujuy ou Salta le plus
souvent) et Uyuni induit une nouvelle mise en relation de portes andines autrefois connectées avant les
indépendances et qui, depuis les guerres, se sont tournées le dos. Ces nouvelles interrelations posent de
nouveaux défis aux acteurs locaux et régionaux de ces régions andines qui ont « enfin » la possibilité de
contourner des Etats très centralisés en s’inscrivant dans une dynamique de régionalisation
transfrontalière.
Promotion du tourisme et réseaux de pouvoirs concurrentiels aux niveaux national et
« régional » (entre les trois pays, en Argentine entre Jujuy et Salta…)
Entre les trois pays : concurrences monétaires et niveau de vie
« En relación al turismo « mochilero » y organizado, hay una relación, eeh, del 100% un 80% un 85%
es de turismo « mochilero » y un 15% de turismo organizado ya. Desde ese punto de vista ese tipo de
mercado digamos, busca siempre algo no económico pero algo a nivel medio, no muy caro ni muy
barato, entonces San Pedro, se ha tornado muy caro si tu te das cuenta se ha tornado muy caro y es por
eso que por ejemplo San Pedro ha perdido un poco de... aquí antes por ejemplo un turista se quedaba
mínimo tres días hasta una semana, siete, ocho hasta diez días, hoy en día se queda solamente dos días
un día, máximo tres cuatro días, no se queda más. Porque lógicamente las residenciales son muy buenas
y son muy caras y lo que se esta viviendo ahora por ejemplo, yo conozco la parte Argentina, la
Quebrada de Humahuaca, toda esa parte. Ahí como Argentina ha abaratado sus costos, toda esa gente
se va a visitar allá, entonces... y Bolivia obviamente que es indudable que lo visitan, es un gran
mercado.» (Carlos Colque, COLQUE TOURS, San Pedro de Atacama)
Les environs de San Pedro de Atacama et du Sud-Lipez bolivien disposent du même type de ressource
environnementale paysagère à proposer aux touristes 8 et, à terme, l’un des deux espaces pourra
l’emporter sur l’autre. Aujourd’hui certains touristes passent seulement une journée à San Pedro de
Atacama mais font un tour de 4 jours dans cette partie de Bolivie. San Pedro de Atacama pourrait
devenir à terme une localité de transit et de fête – discothèque, restaurant, confort d’une hôtellerie
internationale, consommation de drogue... En revanche, de réelles complémentarités existent entre le
sud bolivien, San Pedro et le nord-ouest de l’Argentine : complémentarité culturelle avec la Quebrada
de Humahuaca autour des carnavals et des différentes fêtes patronales à la Pachamama,
complémentarité environnementale avec les yungas, ces zones de forêts subtropicales de montagne qui
sont très exotiques pour des Chiliens du nord habitués aux déserts, pour des Européens ou pour des
Argentins de Buenos Aires.
La concurrence entre les trois pays est rude depuis que : les prix ont augmenté à San Pedro de Atacama,
le peso chilien est plus fort, le peso argentin a été dévalué suite à la crise de2001, le bolivano est
relativement bas et les prix boliviens de même. Pour 10 euros, le touriste transfrontalier “mochillero”
peut se payer une nuit et un repas en Bolivie, de même en Argentine mais seulement un petit repas à
San Pedro de Atacama. Peut-être que la surfréquentation de San Pedro de Atacama pourra se réguler
grâce à des aspects purement monétaires, ceci confirmant la logique où “comment le marché régule le
marché quand on change d’échelle et qu’on ouvre le système”!
Se pose aussi le problème de la “porte d’entrée” des touristes internationaux généralement matérialisée
par un aéroport : Iquique, Calama, Salta, Jujuy et la Paz sont les 5 principaux aéroports qui permettent
aux touristes d’accèder à la région touristique transfrontalière ABC. L’absence de lignes à l’intérieur de
cette région (sauf Iquique-La Paz et parfois, l’été, Salta-Iquique) ne facilite pas les circuits
transfrontaliers et oblige les touristes à des logiques d’aller et retour terrestres ou de boucle sur trois
pays, finalement assez rare, car longue et coûteuse en temps de transports.
8
Salars, lagunes d’altitude, geysers, flamands roses etc.
9
6e Rencontres de Mâcon, « Tourismes et territoires » - 13, 14 et 15 septembre 2007 – Pré-actes
Entre les provinces de Jujuy et Salta : questions politiques et territoriales
Un réel esprit de concurrence anime les provinces de Salta et de Jujuy. La province de Jujuy est
enclavée dans la province de Salta et fait l’objet d’une rivalité de longue date. Cette rivalité explique
aussi le désir du gouverneur de la Province de Jujuy de multiplier les coopérations avec la Bolivie et le
Chili voisins pour s’affranchir au maximum de son droit de passage avec Salta. De leur côté, les
représentants de la province de Salta ont depuis longtemps considéré que la Province de Jujuy était une
de ses périphéries annexées, et en particulier, en ce qui concerne le tourisme. En effet, la plupart des
agences de voyage qui conduisent les touristes dans la Quebrada de Humahuaca viennent directement
de Salta.
Salta est une province beaucoup plus riche que Jujuy et possède depuis longtemps un réseau
d’entrepreneurs beaucoup plus actif qu’à Jujuy. Politiquement Salta (péronistes de droite 9 ) est opposée à
Jujuy et à l’Etat central argentin (péronistes de gauche 10 ) qui sont du même bord. Jujuy utilise cette
amitié politique nationale pour renforcer sa place dans la grande région touristique argentine d’intérêt
national « Norte Argentino » fédérant plusieurs provinces, et a obtenu que la route internationale du
Paso de Jama passe par Jujuy. Elle a aussi démontré son existence au niveau international en faisant
classer la Quebrada de Humhuaca par l’UNESCO, même si ce classement semble plutôt profiter aux
opérateurs touristiques de Salta ! Ces derniers ont des liens très forts avec le secrétariat du tourisme de
la province de Salta qui riposte aux actions de Jujuy en misant sur les comités de frontières qui sont une
des composantes opérationnelles de la ZICOSUR (corridor bio océanique entre Atlantique et
Pacifique) avec le développement de corridors transfrontaliers : Paso Sico ; corridor de biodiversité des
yungas.
On retrouve ce type de concurrence entre la région I (Taracapa) et la région II du Chili. La région I
essaye de développer des circuits touristiques transfrontaliers avec le Pérou et la Bolivie en s’appuyant
sur des réseaux d’aires protégées (PN Lauca) et communautaires (Ayamaras Sin fronteras) en valorisant
des environnements et des marqueurs culturels proches de ceux de San Pedro de Atacama. La stratégie
de la région I est de capter une partie des flux importants de touristes centrés actuellement sur San
Pedro de Atacama, cette dernière localité étant, de plus, souvent mal perçue par les populations
indigènes.
En Bolivie, il n’y a pas véritablement de concurrence entre les départements de Potosi et de Tarija car
leur offre n’est pas du tout basée sur le même type de ressource touristique. Ils sont donc plutôt
complémentaires.
Au delà de ces concurrences, entre les pays comme ou entre leurs différentes entités régionales, on peut
noter le développement de réseaux transfrontaliers à tous les niveaux et directement reliés à ce
processus touristique.
Conflits sociaux et déstabilisation de la ressource environnementale : stratégies et
représentations différenciées des acteurs locaux.
Une ressource environnementale et paysagère au service du tourisme malmenée voire dégradée
L ‘environnement naturel de la zone touristique de San Pedro de Atacama est fragile. On y trouve
plusieurs types de milieux : un désert de sel fossilisé, des dunes de sable, un salar et des lagunes
d’altitude avec des flamands roses lagunaires d’altitude. Ces site ne peuvent donc accueillir trop de
Juan Carlos Romero (b. 16 November 1950) is an Argentine Justicialist Party politician, the current governor of Salta
Province. Romero was born in Salta where his father Roberto Romero was a politician, later governor of the province. He
studied law and political science at the University of Buenos Aires. A lawyer, he became deputy editor then editor of the
Salta newspaper founded by his father El Tribuno from 1974. In 1986 Romero became a Senator for Salta Province. He took
a leading role in economics and was re-elected in 1992. In 1995 he was elected governor of Salta and was re-elected in 1999
and 2003. In 2003 he was candidate for vice-president on the ticket of Carlos Menem.
10 Eduardo Alfredo Fellner (born 1954) is an Argentine Justicialist Party (PJ) politician, current governor of Jujuy Province.
Fellner became governor mid-term when Carlos Ferraro (who had also taken over mid-term just two years before) resigned
in an institutional crisis. He was elected in 1999 and 2003. Fellner became the national leader of the Justicialist Party in 2004,
chairing its national council. However he resigned the same year in the fallout of a row between supporters of President
Néstor Kirchner, to whom Fellner is loyal, and provincial party leaders. Fellner is attempting to change the provincial
constitution ahead of the 2007 election so that he can stand for re-election for a third full term.
9
10
6e Rencontres de Mâcon, « Tourismes et territoires » - 13, 14 et 15 septembre 2007 – Pré-actes
touristes sans que cela ait des conséquences parfois irrémédiables : traces de pas et érosion jamais
effacés par une pluie inexistante, vulnérabilité des œufs de flamands, pollution des eaux, ordures…Il
faut aussi noter que l’extraction minière au sud du Salar d’Atacama n’est pas sans conséquences sur
l’environnement et la perturbation d’un certains nombre d’équilibres naturels. Les compagnies minières
ont de l’argent et « achètent » d’une certaine manière des « droits à polluer » en finançant des projets de
développement dans certains communautés indigènes ou en contribuant au système de préservation de
la nature de la CONAF (organisme chargé de la gestion des forêts et des parcs nationaux chiliens). Il
faut aussi noter que les entreprises minières sont aussi de grosses consommatrices d’eau. San Pedro est
une oasis de montagne sur le piémont andin du désert d’Atacama. La ressource en eau est donc très
limitée (Rio San Pedro et nappes phréatiques) même si la situation de piémont peut apparaître
favorable. Les touristes ont très soif d’eau (douches chaudes, piscines, restauration, laverie…) et des
coupures d’eau sont organisées dans les différents quartiers de San Pedro pour que le centre touristique
puisse être convenablement approvisionné aux heures de pointe (matin et soir). C’est alors la périphérie
rurale qui paye pour le centre touristique. Les situations de Tilcara en Argentine et d’Uyuni en Bolivie
apparaissent comparables du point de vue des impacts du tourisme sur l’environnement, tout comme
au niveau des conséquences sociales.
Ségrégations sociales et foncières et oppositions indigènes / exogènes
Le tourisme est producteur d’inégalités socio-spatiales très fortes. Elles sont très visibles à San
Pedro et à Tilcara. Il y a 120,000 touristes annuellement à San Pedro de Atacama : c’est un chiffre
important ramené à la population de 4,600 habitants permanents du village (où vivent 4,000
« indigènes » et 600 « exogènes »), surtout si on considère que l’espace de vie des touristes est très
réduit (centre du village et un ou deux hôtels périphériques). De plus, la quasi-totalité des hôtels,
des restaurants et des agences qui proposent des excursions sont détenues par des étrangers ou des
chiliens de Santiago, les plus « locaux » étant de Calama, la ville minière voisine.
Toponyme
Desert Adventure
SPACE Cielo Austral
Altiplano Aventura
Atacama Connection
Terra Extreme
Azimut 360
Corvatsch
La Florida
Todo natural
Adobe
Atacama Lodge
Foto Safari
Type de local
Agence
Agence
Agence
Agence
Agence
Agence
Hôtel
Restaurant
Bar
Restaurant
Agence
Référent mobilisé
Environnement et aventure ; en anglais
Ciel austral et espace ; en anglais et espagnol
Environnement et aventure
Connexion au monde ; en anglais
Environnement et aventure ; en anglais
Orientation grand angle
Patronyme
Etat états-unien
Bobio
Informatique
Logement à la british
L’Afrique à San Pedro de Atacama?
Tableau 2 : noms de certaines agences, hôtels et restaurants de San Pedro.
Les prix pratiqués à San Pedro ont fortement augmenté année après année car la clientèle touristique
dominante est européenne et relativement aisée. Ceci induit une augmentation générale des prix qui
concerne tous les services et donc fragilise la majorité de la population qui vit de revenus très modestes.
On peut donc véritablement parler de ségrégation socio-spatiale à San Pedro de Atacama :
-
-
-
ségrégation entre un espace central hyper-touristifié, faussement authentique et très artificialisé
et un espace périphérique constitué d’une majorité de logements modestes mais aussi des
résidences des opérateurs qui se sont enrichis.
ségrégation entre une population locale exploitée ou marginalisée par rapport au
développement touristique et une majorité d’exogènes, gérants d’hôtels ou d’agences, venus de
l’étranger (français, allemands…) ou de Santiago.
ségrégation entre une population peu éduquée et marginalisée et une population bien éduquée
et bien connectée.
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6e Rencontres de Mâcon, « Tourismes et territoires » - 13, 14 et 15 septembre 2007 – Pré-actes
Cette ségrégation socio-spatiale est récupérée à juste titre par les mouvements indigénistes locaux
(Consejo Nacional de Pueblos Atacameños) et nationaux (CONADI, organisme chargé de la gestion
des affaires indigènes depuis 1993, date de la promulgation de la loi sur les droits des autochtones au
Chili) qui utilisent l’argumentaire « nous sommes les plus anciens du lieu » pour revendiquer une
légitimité foncière et condamner le processus touristique actuel.
« Si yo llego a San Pedro y soy turista yo veo un oasis, para que pueda vivir ese oasis yo necesito del agua, necesito
que el que es agricultor siga haciendo agricultura. Porque si yo me dedico todo a vender la tierra, en algún momento
podría ser que no vamos a tener agricultura, en algún momento podría ser que se empiece a secar esa tierra y ya no
tenga el atractivo que tiene hoy... ¿ me entiende? Entonces todo tiene que ir relacionado, el agricultor quizás tiene
que tener mayor beneficio. Aquí la agricultura es muy difícil, no tenemos agua, es muy escasa el agua. Ahora el que
viene de afuera y hace su negocio acá para vender servicio eh... también tiene que entender esto y yo creo que eso es lo
que no se ha podido organizar algo acá para que así tu puedas como servicio público tener a lo mejor una mirada,
cómo podemos mejorar pero entre todos. Y no siempre de repente uno ve que el empresario, el que está al otro lado,
el que está haciendo el negocio, siempre la crítica osea... por qué no matan los perros, por qué no hacen esto, por qué
no hacen esto otro, pero mientras tanto yo me dedico solamente a ganar plata. Yo no me veo involucrado con los
demás, poder aportar, poder dar ideas y financiera y yo creo que su opinión también es muy válida, pero si no
hacemos eso entonces nos vemos como desconectados. Un grupo para allá y otro para acá, eso es lo que se ve
actualmente. No existe una comunicación una red de hacer mejor el trabajo, juntos » (Mirta Solis,
municipalité).
L’ensemble des bénéfices issus du tourisme jusqu’en 2004 n’était que très peu redistribué à toute la
population sauf par le biais des patentes commerciales. C’est finalement de l’argent « international » qui
profite à un ensemble d’acteurs connectés à une échelle nationale ou internationale. Les emplois créés
par le tourisme ont finalement peu bénéficié aux « locaux » à l’échelle locale, dans le sens où :
- les emplois qualifiés (guides, gestion, accueil) ne reviennent pas ou très peu aux locaux
- les emplois non-qualifiés sont une réalité mais permettent seulement à leurs détenteurs de vivre
de manière captive dans un village où tous les prix augmentent, de l’alimentation de base à l’eau.
- difficulté de continuer une activité agricole face aux problèmes d’eau et de compétition
foncière. Certains locaux ont vendu leur terre et sont partis en ville.
La ressource territoriale locale basée sur la spécification « environnement paysager remarquable » s’est
donc territorialisée à un niveau mondial dans une perspective non durable. En effet, face à
l’augmentation des prix et à la dégradation de la ressource environnementale, les touristes risquent de
s’éloigner de San Pedro de Atacama. Ce sera donc une « mise en tourisme kleenex », jetable et itinérante
polarisant un tourisme limité à une période de trente années.
On retrouve le même type de problèmes à Tilcara, mais dans une moindre mesure, car la fréquentation
touristique n’atteint pas encore les records de San Pedro de Atacama. De plus, la municipalité
« indigène » de Tilcara a mis en place une réelle stratégie de développement touristique durable qui fait
encore défaut à San Pedro de Atacama (entretien d’août 2006 avec S. Escobar, chargé du tourisme à la
municipalité de Tilcara).
« Sur les 7000 habitants du village, 2000 viennent de l’extérieur (plus d’Européens que d’Argentins des villes) et
5000 sont des locaux. Ce sont les gens de l’extérieur qui détiennent tout ce qui est commerce moderne. C’est un
processus de néocolonisation. Ca ne change pas beaucoup car la vallée a déjà connu plusieurs processus de
colonisation par le passé (Inca; Espagnol). Un des outils pour redistribuer un peu la richesse amenée par l’extérieur
est l’impôt commercial sur les sociétés. Les autres impôts de type foncier sont payés directement à la Province. Pour
la gestion de l’eau, l’idéal serait un fonctionnement de type coopératif. Pour le moment c’est un organisme privé
« Agua de Los Andes » qui gère la distribution d’eau potable. De toutes les manières il y a un choc entre les deux
systèmes fonciers, communautaire et privé. »
On retrouve le même discours de la part de certains mouvements indigénistes opposés au tourisme et à
la ségrégation foncière (Reboratti, C., 2003). Voici l’analyse du chef indigéniste H. Arroyo 11 à travers
une lettre ouverte de protestation envoyée, entre autres, aux représentants de l’UNESCO qui ont
validé le site de la Quebrada de Humahuaca comme Paysage Culturel de l’Humanité.
11 Washington Arroyo se fait appeler Huasin Arroyo pour paraître plus « indien ». Propos traduits par S. Guyot. Entretien de
décembre 2005.
12
6e Rencontres de Mâcon, « Tourismes et territoires » - 13, 14 et 15 septembre 2007 – Pré-actes
Document 2 : Exemple de la page 3/3 de la lettre ouverte envoyée par les représentants indigénistes
de Tilcara à l’Unesco.
Document 3 : affiche revendiquant la légitimité foncière des indigènes de Tilcara n’ayant pas de titres
de propriétés face à la main mise des investisseurs extérieurs.
On retrouve à Uyuni (Bolivie) des tension équivalentes entre les acteurs urbains à la tête du secteur
touristique et les habitants des zones rurales avoisinantes traversées par les circuits touristiques qui
essayent de s’organiser pour pouvoir bénéficier du tourisme.
Le tourisme, paradoxalement, induit des impacts environnementaux et sociaux sans précédents sur des
espaces fragiles ; impacts qui impliquent des régulations, coopérations et adaptations territoriales tout à
13
6e Rencontres de Mâcon, « Tourismes et territoires » - 13, 14 et 15 septembre 2007 – Pré-actes
fait novatrices et dont la dimension transfrontalière n’est pas absente. D’une certaine manière le
tourisme transfrontalier induit d’autres types de dynamiques transfrontalières « chargées » de l’autoréguler. On le voit avec les accords de coopération pour protéger la faune et la flore des Andes ou
encore avec des projets transnationaux de revendications identitaires et socio-économiques indigénistes.
Mais ces régulations, coopérations et adaptations territoriales n’en sont souvent qu’au stade de projet et
devront rapidement se concrétiser pour éviter que la déstabilisation environnementale et sociale liée au
tourisme ne soit trop marquée.
LES PREMISSES D’UNE REGULATION TRANSFRONTALIERE ?
Le développement de réseaux transfrontaliers liés au tourisme
Le développement touristique transfrontalier au niveau supranational se fait selon deux axes
principaux : un axe longitudinal nord-sud basé sur les anciennes voies de circulation inca (chemin de
l’Inca) émanant d’une logique politique pan-andine en voie d’être soutenue par l’Unesco et un axe
latitudinal est-ouest émanant de la coopération bi-océanique dans le cadre de la ZICOSUR. La région
ABC se localise à la croisée de ces deux axes, ce qui implique une multiplication de projets de circuits
touristiques la concernant (voir 1.4.). Cette situation favorable de « carrefour d’initiatives
supranationales » renforce aussi le rôle très stratégique du développement et des coopérations
touristiques dans cette région d’un point de vue géopolitique. Les autres initiatives de coopération
touristique transfrontalière se rencontrent au niveau local, municipal et communautaire et sont souvent
doublées de mises en réseau avec des ONG et des fondations privées.
Le Chemin des Incas (El Camino Principal Andino « Qhapac Ñan 12 »)
La patrimonialisation des anciennes routes incas qui traversent l’Amérique Andine s’inscrit dans un
mouvement de reconnaissance et de valorisation de l’histoire précolombienne 13 . Au temps de l’empire
inca, des liens nord-sud très forts existent entre toutes les régions andines. Antérieurement aux Incas,
on constat le même type de dynamiques avec le rayonnement de la civilisation Tiwanaku et l’existence
de puissantes seigneuries aymaras. C’est pourquoi, aujourd’hui, pour certains indigènes aymaras,
l’empire inca s’apparente aussi à une forme de colonisation. Toutefois, de manière assez consensuelle, la
majorité des acteurs andins s’accorde pour reconnaître l’existence d’un ensemble de civilisations
précoloniales, à la culture spécifique et au fonctionnement territorial complexe. Les réseaux de routes
incas apparaissent alors comme un symbole des liens territoriaux sédimentés depuis plusieurs siècles
dans ces régions andines. Au 15e siècle, la partie méridionale de l’empire inca qui correspond à la région
ABC, appelée « Kollasuyu », incorpore les seigneuries aymaras et s’étend, au sud, jusqu’au rio Maipo qui
correspond à la limite nord du monde Mapuche non pénétré par les incas.
L’initiative de la patrimonialisation du chemin de l’Inca revient au gouvernement péruvien au début des
années 2000. Rapidement, il est rejoint par les autres Etats andins de Colombie, d’Equateur, de Bolivie,
d’Argentine et du Chili. L’idée est de promouvoir l’axe longitudinal principal des routes incas qui passe
par tous ces pays, en englobant l’ensemble du patrimoine archéologique, minier et culturel traversé par
ces routes. Avec l’aide de la Banque Interaméricaine de Développement, les gouvernements des pays
andins ont demandé le classement par l’UNESCO du « Qhapac Ñan » comme patrimoine mondial
culturel de l’Humanité. Ce projet de patrimonialisation « axial » et « transfrontalier » est tout à fait
original et représente un véritable projet de coopération multilatérale. Il est, de plus, sous-tendu par une
dimension socio-économique importante. La valorisation de cet axe inca, comme ressource
patrimoniale, peut permettre le développement des communautés indigènes situées à proximité. Il est
donc sous-entendu que le « Chemin des Incas » soit utilisé comme une ressource touristique importante
pour intégrer des itinéraires touristiques culturels à thème. Au nord du Chili et dans le sud de la Bolivie,
ce projet est maintenant confondu avec les actions de l’association Ayamaras Sin Fronteras, financé
aussi par la BID, pour éviter de dupliquer inutilement les initiatives (Amilhat Szary, A.-L., 2006).
Le « Chemin des Incas » correspond à un réseau d’axes andins historiques de circulation (voir carte).
12
13
http://whc.unesco.org/pg.cfm?s=home&cid=281&id_group=19&l=SP
http://www.tiwanakuarcheo.net/7_flash/qapaqnan/qapaqnan.swf
14
6e Rencontres de Mâcon, « Tourismes et territoires » - 13, 14 et 15 septembre 2007 – Pré-actes
Pour la région ABC, l’itinéraire chilien correspond à la partie nord-est de la première région vers lac
Chungara, le parc national transfrontalier de Lauca puis, plus au sud, dans la deuxième région, le désert
d’Atacama et San Pedro de Atacama comme sites principaux. En Argentine, l’itinéraire correspond à la
partie altiplanique de la province de Jujuy en relation étroite avec la Quebrada de Humahuaca. Enfin en
Bolivie, il correspond à l’axe Lac Titicaca-Villazon. Les gouvernements des pays andins espèrent une
reconnaissance du « Chemin de l’Inca » en 2010. D’ici là, ce projet sert de catalyseur aux relations
diplomatiques entre les pays à un niveau national, mais aussi entre les différents régions et localités
andines.
Les différents acteurs politiques, culturels et touristiques se réunissent pour tenter de donner de la
consistance opérationnelle à un projet trop souvent considéré comme une « belle théorie sur le papier ».
Toutefois, avant même sa reconnaissance officielle, le « Chemin de l’Inca » sert déjà de faire-valoir
touristique à de nombreux opérateurs et acteurs politiques régionaux et locaux. Chaque région de
chaque pays n’attend donc pas la reconnaissance officielle pour vendre aux touristes des itinéraires
inspirés de ces axes prestigieux de circulation. De plus, ce projet est complémentaire d’une vision
transversale du développement touristique est-ouest qui correspond à la réhabilitation de la
complémentarité des différents étages écologiques andins entre océan, désert, puna, vallées et forêts
(« Pacifico, Desierto de Atacama, Puna, Quebrada y Yungas »).
La dimension touristique des comités de frontières
La ZICOSUR est une zone d’intégration de régions frontalières de plusieurs pays d’Amérique du Sud.
Elle dispose d’un comité technique sur le tourisme qui fait, plusieurs fois par an, un certain nombre de
recommandations. Des comités de frontières sont mis en place pour faciliter cette intégration et assurer
la mise en place effective de ces recommandations. Ils fonctionnent au niveau des régions
transfrontalières entre deux pays. Ils sont chargés concrètement de négocier et de mettre en place à
l’échelle des régions frontalières de deux pays l’ensemble des politiques de coopération qui sont
discutées à l’échelle de la ZICOSUR. Entre le nord-ouest argentin et le nord chilien il existe un comité
qui regroupe l’ensemble des acteurs régionaux chiliens et provinciaux argentins concernés. De même, il
existe un comité de frontière entre le nord du Chili et le sud de la Bolivie et entre le nord-ouest de
l’Argentine et le sud de la Bolivie. Un conseiller de l’Etat central assiste aux comités de frontières pour
en rendre compte aux différents ministères nationaux concernés. En général, les négociations sont
souvent plus difficiles entre le niveau régional et l’Etat d’un même pays (pour des raisons de
divergences de prérogatives et de réglementations territoriales) qu’entre deux régions de deux pays
voisins qui ont tout à gagner à l’harmonisation de leurs lois.
L’objectif actuel du comité technique « tourisme » de la ZICOSUR est d’assurer la mise en place d’un
circuit touristique « bi-océanique » qui irait de l’Atlantique au Pacifique. Charge ensuite aux comités de
frontière de faciliter la mise en place du circuit. Selon Javier Arias (responsable de l’aménagement
touristique de la Province de Salta), le comité de frontières existant entre le nord du Chili et le nordouest de l’Argentine est très dynamique et a deux projets précis. Le premier projet est la construction
d’un complexe frontalier intégré à la frontière du Paso de Jama qui permette aux touristes de gagner du
temps au passage de la frontière tout en les informant sur l’offre touristique transfrontalière. Le second
est une coopération entre la Province de Salta et la seconde région chilienne pour promouvoir des
circuits transfrontaliers via le Paso de Socompa et le volcan Llullaillaco basés sur deux projets : le
développement d’une aire protégée transfrontalière entre le Parc National Llullaillaco au Chili et la
réserve provinciale Los Andes en Argentine et la dynamisation de circuits miniers entre la miñera
Escondida chilienne et les anciennes mines de Solar Grande en Argentine. On note aussi un projet de
revivification de la ligne de chemin de fer minière de Socompa avec un projet de SOYAS (petites
voitures sur rail) qui prendrait la suite du train de los Nubes. Tous ces espaces seraient rapidement
reliés grâce à la nouvelle route du Paso de Sico. Enfin, une des réussites de ce comité de frontières est
aussi de permettre l’harmonisation des réglementations concernant le transport des touristes dans des
gros 4X4.
15
6e Rencontres de Mâcon, « Tourismes et territoires » - 13, 14 et 15 septembre 2007 – Pré-actes
Carte : Le « Chemin des Incas » ou « Qhapac Ñan ». source : http://whc.unesco.org
Les comités de frontière entre le Chili et la Bolivie sont dynamiques d’un point de vue touristique et
s’appuient sur des initiatives telles qu’Aymaras Sin Fronteras. En revanche, selon J. Arias, le comité de
frontière entre le nord-ouest argentin et la Bolivie a plus de mal à se mettre d’accord sur des projets
pérennes de coopération. On retrouve cette instabilité et ce manque de continuité avec la commission
binationale pour la gestion de la région de l’alto Bermejo.
Si on observe de plus près les réalités touristiques, on s’aperçoit que le nord du Chili et le nord-ouest de
l’Argentine tout comme le nord du Chili et le sud de la Bolivie ont tout intérêt à coopérer pour le
développement du tourisme transfrontalier car beaucoup de « touristes andins transfrontaliers » arrivent
dans la zone via San Pedro de Atacama au Chili. En revanche, la Bolivie a moins intérêt à coopérer avec
l’Argentine car cette dernière essaye de capter les touristes qui se rendent du Pérou vers la Bolivie.
L’Argentine souhaite consolider sa position en fin d’itinéraire « altiplanique ». Pourtant, le
développement du tourisme argentin incite aussi de plus en plus les touristes à partir d’Argentine pour
se rendre en Bolivie.
Les échanges au niveau local
Il existe un ensemble d’initiatives de coopération et de jumelage entre les communes des trois côtés de
la frontière. A ce niveau, les liens semblent plus forts entre le sud-bolivien avec le nord du Chili et le
nord-ouest argentin qu’entre ces deux derniers.
- Entre le Chili et la Bolivie :
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6e Rencontres de Mâcon, « Tourismes et territoires » - 13, 14 et 15 septembre 2007 – Pré-actes
Il existe un programme de coopération locale d’envergure, Aymaras sin Fronteras. Aymaras sin
Fronteras
En 2001, les associations des municipalités rurales des régions de Tarapaca au Chili, de Tacna au Pérou
et des départements de la Paz, Oruro et Potosi en Bolivie se rassemblent dans « l’alliance stratégique
Aymaras sans Frontières ». L’objectif de cette alliance est avant tout d’ordre économique : il s’agit
d’élaborer des projets communs en matière d’agriculture et d’élevage et plus largement de promouvoir
le développement de la zone frontalière. Mais plus qu’un mécanisme de coopération sectorielle,
l’alliance génère un engouement croissant dont l’élément fédérateur devient l’identité culturelle.
Progressivement, alors que l’alliance accède à la reconnaissance et au soutien des Etats, son champ
d’action s’élargit jusqu’à la mise en place d’un circuit touristique commun, le « Circuito altiplanico de
integracion ». Géré dans un premier temps sur le mode d’une gouvernance locale de coopération
transfrontalière, cette initiative obtient dès 2003 des financements de la Banque Mondiale, et en 2006 le
soutien financier et politique des régions frontalières. L’alliance prend ainsi de l’ampleur et acquiert une
visibilité politique nouvelle : en octobre 2006, la première « Convention Aymara » est signée par les
gouvernements régionaux dans l’objectif de présenter le travail de Aymaras sans frontières au concours
de la Banque Interaméricaine de développement. Le patrimoine aymara pourrait ainsi être reconnu et
financé comme « Bien public régional » grâce au nouveau projet inspiré du travail de l’alliance, intitulé
“Recuperacion, Fomento y Puesta en Valor del Patrimonio Cultural y Natural Aymara”. Du municipe à
l’organisation internationale, d’un projet de développement local à un vecteur d’intégration sousrégionale andine, l’évolution de l’alliance stratégique Aymaras sans Frontières illustre les dynamiques
socio-politiques d’une gouvernance multi-échelles et la force nouvelle de l’espace local comme centre
d’innovation politique. Pour les populations indigènes dont « l’identité » est soudain révélée, il s’agit de
trouver les moyens de se développer de manière autonome, grâce à des projets locaux autogérés portant
sur la mise en valeurs des ressources naturelles régionales et des modes de vie locaux. L’organisation
d’un écotourisme en coordination avec les organisations internationales de prêt constitue un moyen
efficace d’alimenter le développement local, en même temps qu’il génère une image positive de
l’identité locale vers l’extérieur, donc une auto estime accrue, à terme, pour les populations locales :
l’alliance Aymaras sin Fronteras se situe dans cette optique de développement. Ici, la frontière ne se
pense donc plus seulement en référence au territoire national mais se construit comme ressource pour
assurer le développement local grâce aux aides internationales, et peut-être bientôt supranationales (L.
Rouvière, 2006).
Plus au sud, et de manière plus modeste, une feria (marché) transfrontalière est organisée à la
frontière Portezuelo del Cajon non loin de San Pedro de Atacama. Des vendeuses de communautés
indigènes des deux côtés de la frontière (Quetena Chico y Grande et San Pedro de Atacama) se
rassemblent pour faire du troc et vendre leurs produits artisanaux aux touristes de passage.
- Entre le Chili et l’Argentine :
Il y a un jumelage entre la municipalité de Tilcara en Argentine et celle de Mejillones au Chili qui
s’inscrit dans la dynamique de la ZICOSUR et du corridor bi-océanique. L’idée est de favoriser
l’échange de produits gastronomiques et artisanaux complémentaires entre le milieu océanique et celui
de la montagne andine (entretien avec Juan Carlos TORREJON, secrétaire municipal chargé de la
culture).
- Entre l’Argentine et la Bolivie :
Il y a un jumelage entre Los Toldos et Patcaya en Bolivie pour permettre de maintenir les liens
ancestraux unissant ces deux localités, toutes deux boliviennes avant les années 1930. Ce partenariat
permet, en autres, de faciliter l’intégration des populations boliviennes de Los Toldos dans l’Etat
argentin (régulation foncières différentes voir Guyot, S., Ramousse, D., et al., 2007).
De plus en plus d’échanges culturels et artisanaux se développement entre Villazon en Bolivie et la
Quebrada de Humahuaca, en particulier lors de la période de Carnaval en février avec la venue de
nombreux groupes de musiciens et de danseurs.
On peut aussi mentionner le T.U.R.D.E.L le corridor touristique qui existe entre la province de Salta et
la Bolivie dans sa partie tropicale, financé par l’Union Européenne. C’est un plan de développement
touristique intégré basé sur l’unité territoriale des municipalités avec une implication importante de la
municipalité de Salta et des municipalités de Potosi et de Sucre en Bolivie.
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6e Rencontres de Mâcon, « Tourismes et territoires » - 13, 14 et 15 septembre 2007 – Pré-actes
Le bilan des initiatives transfrontalières émanant des municipalités reste toutefois faible. Il n’existe
toujours pas de jumelage officiel des grandes localités touristiques que sont San Pedro de Atacama,
Uyuni et Tilcara. Elles ont tendance à se considérer comme des concurrentes plus que comme des
alliées. Cependant, elles auraient toutes les trois à gagner d’une mise en réseau plus active. Les acteurs
politiques, en particulier, ne connaissent pas leurs homologues frontaliers. Finalement, c’est beaucoup
plus au niveau des communautés indigènes, souvent représentées ou instrumentalisées par des ONG,
que se situe aujourd’hui la véritable dynamique de coopération transfrontalière au niveau local.
ONG et réseaux transfrontaliers dédiés au tourisme
L’exemple argentin est le plus représentatif d’une dynamique importante de coopération au travers
d’acteurs tels que les ONG et les fondations.
Redes de Cooperacion est une ONG binationale financée par des fonds espagnols (Xunta de Galicia AECI
(Planes Operativos) qui met en réseau des communautés indigènes des deux côtés de la frontière
argentino-bolivienne. Chaque communauté est représentative d’un écosystème et d’un paysage
particulier (Puna, vallée, forêt…) :
- Province de Jujuy – Argentine : Quebrada – Comunidad Aborigen Kolla de Finca Tumbaya; Puna Comunidad Aborigen de San Francisco de Altarcito; Yungas - Comunidad Indígena de Valle Colorado
- Département de Potosí – Bolivia : Altiplano – Comunidad de Calazaya – Potosí; Valle Alto –
Comunidad de Ñoquera - Tarija
Ce réseau de coopération cherche à développer l’hébergement touristique dans des auberges
villageoises. Ce projet s’inscrit dans les dynamiques périphériques touristiques liées à la reconnaissance
de la Quebrada de Humahuaca comme Paysage Culturel de l’Humanité (encadré 1). Le responsable de
l’unité de gestion de la Quebrada est aussi partie prenante de ce projet (entretien avec Nestor José).
Encadré 1
Circuito de Turismo Rural en Comunidades Indígenas de los Andes
Una experiencia de gestión comunitaria del patrimonio natural y cultural
Lic. Blanca Vía, RC Investigación y Cooperación Asociación Civil – “Redes de Cooperación”
redes@redesdecooperación.org.ar, [email protected]
El Proyecto, de carácter binacional - “Circuito de Turismo Rural en Comunidades Indígenas de los Andes”1 - constituye
una experiencia piloto de organización de redes de turismo cultural de gestión comunitaria, que desde el año 2003 se viene
desarrollando en la Provincia de Jujuy, orientado a promover el desarrollo sustentable de comunidades indígenas
campesinas. Contempla un esquema completo de la diversidad ambienta l y cultural de la región de los Andes Centrales,2 en
la construcción un circuito de turismo cultural con comunidades campesino indígenas del norte argentino y del sur
boliviano, que les facilite la gestión sustentable de sus recursos patrimoniales, reafirmando su identidad cultural andina y su
organización comunitaria tradicional. Los habitantes actuales del sur de los Andes Centrales sostienen un conjunto de
prácticas culturales muy características pero también ampliamente diversificadas, con un riquísimo patrimonio cultural
donde se combinan elementos provenientes de tradiciones precolombinas y de la historia argentino boliviana en sus
periodos español e independiente. Esta población indígena, estructurada sobre lazos comunitarios muchas veces altamente
formalizados, viene desde hace décadas reivindicando sus valores identitarios, en un proceso que el Proyecto se propone
contribuir a fortalecer como parte necesaria de las estrategias de desarrollo sustentable de la región. El Circuito comprende
la construcción y puesta en marcha de cinco posadas y sus redes de servicios gestionadas por las propias comunidades,
implicando diversos ecosistemas.
Un autre projet de taille émane de la fondation ProYungas Argentine. La Fondation Proyungas, rameau
du Laboratoire de Recherches Ecologiques des Yungas (LIEY) de l’Université Nationale de Tucuman
est incarné par le chercheur influent, Alejandro Brown. Elle s’occupe depuis 2004 de la coordination du
projet de corridor écologique du haut Bermejo financé par le FFEM (Fonds Français de
l’Environnement Mondial) pour promouvoir les actions de conservation et de développement
(Ramousse, D. & Salin, E., 2006). ProYungas est impliquée dans la conservation de l’éco-région des
yungas. Elle entretient aussi des liens étroits avec les entreprises du secteur privé pour financer ses
activités. Si le projet du FFEM tend à se recentrer sur la réserve de biosphère en laissant finalement de
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6e Rencontres de Mâcon, « Tourismes et territoires » - 13, 14 et 15 septembre 2007 – Pré-actes
côté la zone de piémont où se concentre l’exploitation des hydrocarbures, d’autres acteurs (publics,
privés, ONG) sont associés à ces initiatives et diverses opérations ont été réalisées en liaison avec le
projet de corridor, y compris en vue de la constitution de réserves privées (Ramousse, D. & Salin, E.,
2006). L’action de PROYUNGAS a permis de mettre un terme (peut-être seulement provisoire) à
l’activisme de Greenpeace Argentine qui se bat contre les impacts désastreux du gazoduc nord-andino
sur l’environnement, surtout lors des explosions récurrentes et aux mouvements sociaux et indigénistes
organisés par certaines communautés (saga de la finca San Andres, voir Reborrati, 1998). Il reste à établir
si ces projets de corridors écologiques (dans une perspective transfrontalière) sont durables et si les
actions menées avec les populations locales ne sont pas seulement de « la poudre aux yeux ».
L’ensemble de ces projets de développement et de coopération touristique aux niveaux supranationaux
et locaux permet aux pouvoirs publics du niveau régional de chaque pays de constituer une liste réaliste
des circuits touristiques transfrontaliers possibles dans la région ABC. La province de Salta est en
avance dans ce recensement. En effet, elle espère organiser et dynamiser les circuits grâce à ses
entrepreneurs touristiques expérimentés.
La mise au point d’une offre en corridors et en circuits aux dimensions transfrontalières
Les coopérations touristiques transfrontalières s’organisent selon des axes nord-sud et des axes estouest. On peut donc parler de trame touristique pour la région ABC. Au sein de cette trame certains
circuits sont déjà très populaires et fréquentés par de nombreux touristes chaque année, c’est le cas du
circuit des lagunes d’altitude entre Uyuni et San Pedro de Atacama ou encore le circuit entre Salta et la
Quebrada de Humahuaca avec un prolongement possible vers la Bolivie et le salar d’Uyuni. En
revanche, la plupart des autres circuits, entre Ollagüe au Chili et Uyuni, entre San Pedro de Atacama et
Salta via le Paso Sico, entre Antofagasta et Salta via le Socompa, le corridor de Yungas argentinobolivien etc., gagnent encore à être développés et valorisés par les pouvoirs publics et les agences
privées. Parmi les trois pays concernés, l’Argentine, et en particulier la Province de Salta, est la plus
avancée dans la formulation de circuits touristiques transfrontaliers intégrés dans le cadre de la
ZICOSUR. Le secrétariat de la planification touristique de la province de Salta dirigé par J. Arias nous a
communiqué en août 2006 un document sur l’identification exhaustive de ces circuits touristiques avec
la mise en place d’une trame territoriale (ARIAS, 2006).
Selon J. Arias, cette trame territoriale touristique est composée de structures linéaires et de structures
ponctuelles ou zonales. Ces structures linéaires sont les routes, les corridors et les circuits touristiques
intégrés. Les structures ponctuelles zonales sont les centres touristiques de distribution directement
reliés aux réseaux de transports internationaux (aéroports), les centres touristiques d’excursion qui sont
des localités touristiques bien développées et bien reliées aux centres de distribution, et enfin, les
centres touristiques de transit ou d’escale qui servent de relais au sein des circuits touristiques. Dans la
région ABC (voir carte), Calama, Antogafasta, Iquique, Salta, Jujuy, Potosi et la Paz sont les centres
touristiques de distribution ; San Pedro de Atacama, Uyuni, Tupiza, Humahuaca et Tilcara sont les
centres touristiques d’excursion ; les autres localités et communautés sont des centres de transit, comme
Quetana Chico au sud d’Uyuni. J. Arias identifie quatre corridors touristiques principaux eux-mêmes
séparés en circuits touristiques différenciés : corridor de la colonie (Camino Real, axe inca ayant servi
d’axe de pénétration colonial), corridor touristique des Yungas (zone forestière subtropicale du piémont
andin oriental), corridor des « beautés haut-andines » et corridor de « route altiplanique ». Ces deux
derniers corridors correspondent à des rameaux du chemin de l’Inca. Par exemple, le corridor des
« beautés haut-andines » est composé de trois circuits touristiques : celui des mines entre Argentine et
Chili, celui de la route de sel entre Argentine, Chili et Bolivie (réseau des salar des trois régions : Salar
d’Uyuni, Salina Grandes et Argentine et Salar d’Atacama au Chili) et celui revendiqué comme étant le
« Qhapaq Ñan » officiel à cheval sur les trois pays. Ces circuits peuvent se développer si tous les acteurs
à tous les niveaux se mettent d’accord sur la stratégie à développer. Les pouvoirs publics chiliens et
boliviens au niveau régional n’ont pas forcément encore de stratégie très consistante en matière de
circuits touristiques. Ce sont plutôt les associations locales, comme « Ayamaras sin Fronteras » et les
ONG qui ont une vision du développement touristique transfrontalier. Or, pour le moment, peu de
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6e Rencontres de Mâcon, « Tourismes et territoires » - 13, 14 et 15 septembre 2007 – Pré-actes
contacts ont été noués avec les pouvoirs provinciaux argentins à ce sujet. Les coopérations bilatérales
sont donc plus actives que les coopérations multilatérales.
Ces nouveaux liens induits par les flux touristiques, s’ils doivent être relativisés par leur ampleur, posent
tout de même de nombreuses questions sociales, économiques et environnementales en raison de leur
croissance rapide ces dernières années 14 et surtout de leurs impacts profonds.
CONCLUSION :
UNE GEOPOLITIQUE DIFFERENCIEE DES IMPACTS SOCIO-ENVIRONNEMENTAUX
DU TOURISME : VERS UNE REGULATION TRANSFRONTALIERE ?
Pays / Niveau
Supranational
National/provincial
Local
Argentine
- Unesco (réserve de
biosphère et PMH)
- ONG environnementales
- concurrence entre les 2
- intercommunalité (Quebrada)
provinces et avec l’Etat : parcs
(Tilcara)
nationaux, parcs provinciaux,
- opposition indigéniste
acteurs touristiques dominants
- concurrence avec le niveau local
- mise en place de mesures
participatives
Bolivie
- ONG environnementales
internationales
- contrôle territorial et
environnemental
Chili
- acteurs touristiques
dominants
- gestion environnementale
déficiente
- stratégie touristique peu
organisée
- intercommunalité (Lipez)
- participation communautaire
au tourisme
- acteurs touristiques
dominants
- participation communautaire
à la protection de
l’environnement : régulation
touristique
- intercommunalité dans la
Région I
Tableau 3: Présentation de stratégies différenciées de gestion des impacts socio-environnementaux
du tourisme en fonction du pays et du niveau de gestion
L’analyse du processus touristique en constitution dans la région ABC soulève deux questions
essentielles, au cœur des instrumentalisations géopolitiques, la préservation de l’environnement et
l’intégration des « communautés indigènes ». Il est couramment admis que la plupart des formes de
tourisme sont dangereuses pour l’environnement, mais qu’il faut les distinguer d’initiatives plus
respectueuses du milieu, notamment en matière de conservation de la nature. Des exemples comme
ceux que nous venons d’analyser démontrent cependant que la préservation et la patrimonialisation de
ce même environnement paysager sous forme d’aires protégées et de sites reconnus à différents niveaux
permettent en retour d’attirer plus de touristes, et par conséquent de mettre en péril ce qu’elles sont
censées préserver. Le raisonnement est souvent le même sur le plan culturel : la reconnaissance et la
valorisation des identités indigènes peuvent être mis en avant, se transformant en vecteur d’attraction
touristique (que ce soit sous la forme de tourisme culturel, équitable voire « d’ethnotourisme », cf.
Dahles, H. & Keune, L., 2002) sans prendre en compte ni les impacts fonciers ni financiers ou culturels
du développement touristique, nocifs pour les communautés locales. Le processus peut donc
s’autoréguler à condition que les acteurs locaux trouvent les arrangements et les compromis qui
permettent de réintégrer le tourisme dans un cercle vertueux pour les environnements et les sociétés
locales. Mais la mise en œuvre d’un raisonnement géopolitique pour la compréhension de ces
dynamiques révèle que la mise au monde de territoires périphériques par le tourisme s’effectue dans des
14 2 fois plus d’entrées à la frontière du Paso de Jama entre 1999 et 2006 et entrées à la Reserva Nacional Los Flamencos
multipliées par cinq entre 1999 et 2004.
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6e Rencontres de Mâcon, « Tourismes et territoires » - 13, 14 et 15 septembre 2007 – Pré-actes
conditions d’une telle inégalité que les possibilités de contrôle du développement par les communautés
concernées restent très limitées.
Dans le cas andin, la coopération transfrontalière entre les acteurs locaux pourrait être un des moyens
mis en œuvre pour harmoniser et accélérer cette régulation touristique. A ce titre, le tourisme
transfrontalier semble créer de la coopération transfrontalière qui, elle-même, permet de mieux intégrer
territorialement les circuits touristiques entre le nord du Chili, le nord-ouest de l’Argentine et le sud de
la Bolivie. On constate d’abord que des initiatives comparables sont prises de part et d’autre des
frontières, pour la préservation de l’environnement ou pour la reconnaissance et l’intégration des
communautés indigènes mais qu’elles sont encore peu interconnectées d’un pays à l’autre. On remarque
ensuite combien ces projets sont relayés très rapidement par les organismes internationaux, notamment
les bailleurs, que cette interface frontalière intéresse au plus haut point. Les espaces concernés se voient
ainsi investis d’enjeux multiples à travers une « touristification » simple en apparence. Une telle analyse
ne nie pas les possibilités de gouvernance locale de tels territoires émergents, certains acteurs « relais »
émergeant avec la volonté affichée de vouloir dynamiser les coopérations transfrontalières. Le biais
géopolitique permet néanmoins de réhabiliter la dimension globale dans l’analyse des systèmes
touristiques, définis alors comme l’expression localisée de relations de pouvoir multiscalaires.
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