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Dossier paru dans La Gazette du 24-30 septembre 2004 Page 1/4 Dossier réalisé par Isabelle Verbaere Ils sont mariés depuis 30 ans, voire 50. Pourtant, ils savent encore se surprendre, éprouvent du plaisir à vivre ensemble. Ces conjoints qui font rimer amour avec toujours, ont-ils un secret ? La Gazette a demandé à plusieurs spécialistes montpelliérains du couple de recenser les ingrédients nécessaires à la longévité conjugale. Les voici. Les couples qui durent fascinent. Les sociologues se les arrachent pour décortiquer leurs secrets, trouver la recette de leur philtre d'amour éternel. Il faut dire que leur durée de vie commune tranche avec les statistiques. En 2002 dans l'Hérault, l'Insee a compté 2186 divorces pour 5694 mariages. Une séparation pour deux unions. En France 60 % des couples se séparent après 5 ans de vie commune. La Gazette a demandé à plusieurs spécialistes montpelliérains du couple de recenser les ingrédients nécessaires à la longévité conjugale. Les voici. 1 Ne pas idéaliser le couple Au début de la relation, les amoureux ont l'impression de ne faire qu'un. C'est l'état de grâce. La princesse a rencontré son prince charmant. L'autre est idéalisé: "Tu es la plus désirable des femmes." "Tu es le plus séduisant des hommes". L'amour est aveugle, dit un vieux proverbe. Pour se plaire, les partenaires font des efforts énormes, quitte à étouffer certains traits de leur personnalité, ou à délaisser leurs occupations favorites. Cette fusion est comparable à celle qui lie le petit enfant à sa mère. Mais la lune de miel n'est pas éternelle. Tout au plus dure-t-elle trois ans. "Puis, gagné par un sentiment d'asphyxie, il y en a un qui ouvre les yeux et se rend compte que l'autre n'est pas tel qu'il l'imaginait" explose Claude Bitoun conseillère conjugale au Centre de documentation et d'information des femmes et des familles (Cediff) de Montpellier. C'est à propos d'incidents mineurs que la vérité éclate: il veut faire l'amour, elle n'a pas envie. Elle veut acheter ce nouveau canapé, il trouve qu'il est trop cher. "C'est la phase de désillusion où jaillissent tous les reproches possibles : tu ronfles, tu as grossi, tu vis au-dessus de nos moyens, tu ne fais jamais la vaisselle... Autant de remarques acerbes derrière lesquelles se cache toujours le même regret : tu ne me comprends pas, tu es différent de moi." La majorité des couples qui se séparent le font précisément parce qu'ils n'arrivent pas à négocier cette crise de croissance qui fait passer de la passion à un amour plus réaliste. Les partenaires, souvent immatures, ne supportent pas de ne plus se comprendre d'emblée. "Ceux qui réussissent à surmonter cette crise prennent le temps d'instaurer une relation plus équilibrée où chacun retrouve une certaine autonomie, poursuit Claude Bitoun. Ils parviennent à redéfinir les attentes réciproques. Ils ont intégré le fait que l'autre n'est pas une source de satisfaction immédiate et permanente et acceptent l'idée que les difficultés et les tensions sont inévitables. " Dossier paru dans La Gazette du 24-30 septembre 2004 Page 2/4 Dossier réalisé par Isabelle Verbaere 2 Accepter les conflits L'harmonie conjugale est aujourd'hui idéalisée par les médias et la publicité. Mais aussi par l'attitude de certains couples qui, voulant sauver les apparences, laissent croire à leur entourage que tout va bien. Du coup, on a l'impression que cela se passe mieux chez les voisins qui n'ont jamais un mot plus haut que l'autre. "Un couple sans crise est un couple qui se meurt, affirme Claude Bitoun. Les conflits sont indispensables car ils jouent le rôle de signal d'alarme et secouent les conjoints à un moment où l'union commençait à ronronner."' Un avis partagé par les médiateurs familiaux de l'Association pour la protection de l'enfance et de l'adolescence (Apea) de Montpellier. "Les confrontations sont révélatrices des différences de personnalités qu'il ne faut pas gommer, précisent-ils. Une crise dépassée consolide le couple parce qu'elle permet, grâce à différents remaniements, d'instaurer un nouvel équilibre.'" Les conflits donnent aussi l'occasion aux partenaires de purger leurs émotions négatives, leurs rancœurs et de les rapprocher. 3 Alterner moments d'autonomie et temps de partage Comment trouver la bonne distance avec l'autre pour qu'il ne se sente ni envahi ni délaissé ? Souvent le désir des conjoints oscille entre besoin impérieux de se jeter dans les bras l'un de l'autre et nécessité de retrouver son espace vital. "Un couple qui fait toujours tout ensemble est voué à l'asphyxie. Il faut que les conjoints s'accordent des moments d'autonomie, suggère la conseillère conjugale. Ces respirations leur permettent, lorsqu'ils se retrouvent, de se regarder avec surprise et admiration." Chacun doit donc apprendre à ne pas empiéter sur le territoire de l'autre. Pas question de chercher à pénétrer son jardin secret en le bombardant de questions sur son emploi du temps et en le soumettant à des confessions complètes à chaque escapade. D'autant plus que ces temps de séparation auraient également un effet bénéfique sur la sexualité du couple. "La libido est entretenue par l'imaginaire qui se nourrit des multiples rencontres faites dans la journée, constate Marielle Gau, médecin sexologue à Montpellier. Plus la vie sociale est riche, plus la sexualité est épanouie." Pour certains couples, ces espaces de liberté se limitent aux heures passées sur les lieux de travail, d'autres font chambre à part ou partent en vacances séparément. Certains ne se voient qu'un week-end par mois. A chaque couple de définir sa dose nécessaire d'éloignement. 4 Maintenir le dialogue Une caractéristique du couple contemporain est qu'hommes et femmes vivent sous pression. Les heures passées dans les transports s'ajoutent à la journée de travail, aux temps consacrés aux courses, au ménage, à l'éducation des enfants. Résultat : le couple a de moins en moins de temps pour se poser et dialoguer. Pour se débarrasser de leurs préoccupations quotidiennes et faire taire leurs ruminations, le soir les conjoints s'effondrent devant la télévision. "Les couples qui durent sont ceux qui prennent le temps d'aborder régulièrement tous les problèmes de la vie commune, y compris les plus tabous : le sexe et l'argent, ajoutent les médiateurs familiaux de Apea. Quitte à prendre rendez-vous toutes les semaines à jour et heure fixes." Le dialogue, utile quand apparemment tout va bien, devient indispensable quand le couple aborde une zone de turbulence. Avoir l'habitude de se parler permet de se disputer sans se Dossier paru dans La Gazette du 24-30 septembre 2004 Page 3/4 Dossier réalisé par Isabelle Verbaere détruire. "Penser que les choses vont aller d'elles-mêmes parce que l'on s'aime, est une erreur, martèle Claude Bitoun. Rien n'est jamais acquis." La communication ne se résume pas à la parole. Développer un langage du corps connu des seuls amoureux est essentiel : il repose sur les regards, les attitudes, les mimiques, les caresses, les baisers. Il entretient le sentiment d'intimité et la complicité 5 Inventer une sexualité qui résiste à la routine De nombreux ouvrages proposent des recettes pour perfectionner son art d'aimer et augmenter le plaisir sexuel de son partenaire. "Pour qu'un couple garde une sexualité épanouie, il ne doit pas devenir un expert du Kama Sutra, martèle Marielle Gau. Les partenaires doivent rester curieux de l'autre. Pour y parvenir, les hommes doivent apprendre à ne plus être centrés sur leurs parties génitales et les femmes à moins intellectualiser la relation." Les partenaires des couples amants ne cherchent pas à faire plaisir à l'autre en élève appliqué. "En écoutant leur corps, ils ont appris à trouver leur plaisir dans l'autre." 6 Considérer l'autre comme un amoureux à conquérir sans cesse De nombreux conjoints, des hommes surtout, une fois qu'ils ont signé le contrat à durée indéterminée que constitue le mariage, ne ressentent plus la nécessité de séduire leur partenaire. "Elle m'aime tel que je suis, j'ai plus besoin de me fatiguer" Grave erreur. "À l'aube de la relation, les amoureux sont dans une dynamique fusionnelle. La sexualité est exaltante et explosive. L'excitation sexuelle est telle que l'orgasme est facilement atteint par les deux partenaires, explique la sexologue. Quand la passion s'estompe et que l'amant perd son statut de prince charmant et ne fait plus rêver, le désir féminin chute. A fortiori si l'homme traîne en jogging et a pris du ventre." Le laisser-aller physique, la paresse intellectuelle sont les pires ennemis du désir. Pour que la séduction continue à opérer, il est essentiel de se surprendre encore l'un l'autre, de s'admirer. Ce jeu de la séduction passe par des rendez-vous improvisés dans un hôtel ou des invitations surprises au restaurant "Il est essentiel que le couple puisse faire garder les enfants régulièrement pour se retrouver, estime Marielle Gau, médecin sexologue à Montpellier. Une demi-journée par semaine, c'est le minimum." 7 Ne pas attendre du conjoint qu'il guérisse les blessures d'enfance Nous avons tous au fond de nous un enfant blessé qui se traîne un sentiment d'abandon, une mauvaise image de lui-même. Ces blessures, il faut s'en occuper pour éviter qu'elles ne pourrissent le quotidien. C'est à chacun de le faire seul ou aidé par un psychologue ou un psychiatre. Le conjoint ne doit pas servir de "poubelle émotionnelle". "Il est important d'identifier ces attentes inconscientes, besoin d'être valorisé, materné, qui nous travaillent en souterrain, insiste Pierrette Giron, psychologue à Montpellier. Pour essayer d'y répondre par nous-mêmes. Certes, le conjoint peut, dans une certaine mesure, combler le besoin que nous avons tous d'être rassuré et gratifié. Mais il ne peut guérir nos blessures d'enfance." Dossier paru dans La Gazette du 24-30 septembre 2004 Page 4/4 Dossier réalisé par Isabelle Verbaere Même consentie, l'infidélité est un piège " Certaines personnes sont persuadées que l'infidélité est un moyen efficace de ranimer la flamme entre deux conjoints, explique Marielle Gau, médecin sexologue à Montpellier. Que tout ce qui enthousiasme l'un profite nécessairement à l' autre. C'est faux. Même si les incartades font partie du contrat de départ, l'infidélité est un piège et peu de couples y résistent.". Pour plusieurs raisons. D'abord parce que l'infidélité est un message. "Tu ne m'apportes pas ce dont j'ai besoin, je vais le chercher ailleurs". C'est une blessure terrible infligée au conjoint. Une négation de sa personnalité. "Car même si l'infidélité est admise par les deux conjoints, souvent seul l'un d'entre eux se trouve à l'aise dans cette situation et en tire profit. Bref c'est toujours le même qui fait des incartades. Celui qui est trompé ne peut s'empêcher de penser qu'il lui manque quelque chose, poursuit la sexologue. Il se sent alors inévitablement mis en compétition. Or, du doute de soi à l'angoisse d'être abandonné, il n'y a qu'un pas… Cette angoisse peut entraîner des troubles de l'érection chez l'homme, et une disparition du désir chez la femme?" Enfin. utiliser son énergie vitale et son temps pour une autre histoire, c'est comme détourner une partie du cours d'une rivière. Aller voir ailleurs enlève quelque chose au couple, même si on le nie. À LIRE : ''A quoi sert le couple" de Willy Pasini, éditions Odile Jacob "Quand amour ne rime plus avec toujours" de Christiane Olivier, éditions Albin Michel (à paraître le 7 octobre) "Mesure et démesure du couple" de Jean Kellerhals, Eric Widmer et René Lévy, éditions Payot Cinq règles pour bien communiquer lors des conflits Il est plus facile d'apprendre à faire l'amour qu'à se disputer sans se blesser. Dans son livre La fidélité et le couple, Gérard Leleu, médecin sexologue, propose cinq règles pour y parvenir. • Écoutez vraiment l'autre, ne lui coupez pas la parole, ne préparez pas votre réponse avant qu'il n'ait fini sa phrase, ne déformez pas ses propos. Entendez tout ce qu'il a à dire. • Ne vous adressez pas à l'autre en lui disant "Tu...". Ce pronom est trop souvent de l'ordre du jugement, du reproche. Il entraîne une riposte et la conversation vire rapidement à la partie de ping-pong stérile. Sortez des accusations réciproques. Supportez d'être critiqué. Accepter sa part d'ombre est une façon d'accéder à un lucide amour de soi. Parlez de vous. Utilisez le "je" qui exprime votre ressenti, votre opinion, vos souhaits et vous responsabilise. Méfiez-vous des projections. Ce défaut, que vous avez si bien repéré chez l'autre et que vous dénoncez, existe en vous et vous fait honte. Le jeter à la tête de l'autre en le condamnant nous donne l'impression de nous en défaire. • • •