Le Monde - entree
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MERCREDI 20 AVRIL 2016 72E ANNÉE – NO 22165 2,40 € – FRANCE MÉTROPOLITAINE WWW.LEMONDE.FR ― FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO L’ONU acte l’échec de la guerre contre la drogue ▶ La session extraordinaire ▶ Le projet de résolution ▶ La lutte contre la drogue ▶ Les politiques de tolé- ▶ Uruguay, Canada, de l’Assemblée générale des Nations unies consacrée à la lutte contre la drogue s’est ouverte mardi à New York entérine l’échec du toutrépressif qui a prévalu ces dernières décennies et accorde une plus large place à la prévention et au soin représente 1 000 milliards de dollars par an. Pourtant, ce marché génère 300 milliards de chiffre d’affaires annuel rance zéro ont par ailleurs été néfastes pour la santé publique. En témoigne la progression fulgurante du VIH en Russie Portugal… Les pays qui expérimentent de nouvelles approches sont de plus en plus nombreux LIR E PAGE 9 Nuit debout, le tournant Finkielkraut ? Panama papers LES COMPTES OFFSHORE DE L’AUTORITÉ PALESTINIENNE L’attitude d’une partie des manifestants à l’encontre du philosophe Alain Finkielkraut a relancé la polémique sur la nature et les limites du mouvement DÉBATS - LIRE PAGES 12 ET 20 SCIENCE & MÉDECINE ▶ L’un des fils de Mahmoud Abbas détenait près d’un million de dollars d’actions dans une société des îles Vierges ▶ A Malte, le gouvernement est ébranlé par le scandale des « Panama papers » → LIR E ENVIRONNEMENT PSYCHIATRIE PORTRAIT ET AU MILIEU NE COULE PAS TOUJOURS UNE RIVIÈRE UNE MOLÉCULE POUR APAISER LES SOUVENIRS TRAUMATIQUES MICHEL CABARET MET LA SCIENCE EN SCÈNE → PAGE 2 → PAGE 3 → PAGE 7 La grippe aviaire sous haute surveillance De nouvelles mesures sanitaires sont entrées en vigueur, lundi 18 avril, pour enrayer l’épizootie qui sévit dans des élevages du sud-ouest de la France. Les chercheurs tentent de décrypter le fonctionnement d’un virus, dont les capacités de mutation font redouter qu’il ne s’adapte à l’homme. PAGES 4-5 Des canards élevés en plein air, dans une ferme du sud-ouest de la France. FRANCIS LEROY/HEMIS/CORBIS Carpaccio paléolithique A PAGE 8 carte blanche Nicolas Gompel, Benjamin Prud’homme Généticiens, LMU de Munich, Institut de biologie du développement de Marseille-Luminy (CNRS) lors que les végétariens de tous bords poussent les consommateurs de viande dans leurs retranchements d’espèce omnivore, la science s’intéresse à nos origines carnivores. Les paléoanthropologues Katherine Zink et Dan Lieberman, de l’université de Harvard, viennent de publier dans la revue Nature du 24 mars une étude sur la façon dont nos lointains ancêtres ont commencé à consommer de la viande. Un tournant qui a influencé notre évolution anatomique. Nous descendons assurément de singes herbivores, qui passaient le plus clair de leur temps, tout comme les grands singes d’aujourd’hui, à mastiquer des feuilles. Ce régime alimentaire est, entre autres, rendu possible par une puissante mâchoire et de grosses prémolaires. Les menus se diversifient dans le genre Homo il y a environ 2,6 millions d’années avec l’introduction de la viande. Celle-ci apporte certes bien plus de calories que les feuilles, mais elles sont difficiles à extraire. Or paradoxalement, Homo erectus, pourtant consommateur de viande accompli, présentait déjà une réduction sérieuse de l’appareil masticateur et de la taille des dents. Comment ces premiers hommes carnivores s’y prenaient-ils pour extraire les calories de la viande avec leurs petites dents ? La découverte du feu et son usage en cuisine pour cuire et attendrir la viande ont certainement aidé. Mais son usage ne s’est généralisé que plus tard, quand la viande était déjà une constante au menu d’Homo erectus. Zink et Lieberman ont voulu savoir si l’utilisation d’outils en pierre, apparus avant le feu, pouvait avoir contribué à rendre la viande crue ingérable, en réduisant les efforts nécessaires à sa mastication. Pour ce faire, ils ont tout d’abord donné à mastiquer à des volontaires de la chèvre crue, dont la chair ferme est proche du type de viande à laquelle nos ancêtres avaient accès. Mais sans traitement préalable, cette viande crue est presque impossible à découper en morceaux ingérables avec nos petites dents. En revanche, en découpant la viande avec des outils, et en l’apprêtant pour l’attendrir, l’effort de mastication nécessaire pour qu’elle devienne ingérable est réduit de 17 %. Et plus encore si cette viande est cuite. Un scénario évolutif se dessine : l’usage d’outils, et plus tard du feu, pour apprêter et consommer la viande aurait permis d’extraire davantage de calories tout en diminuant l’énergie et le temps de mastication nécessaires. En conséquence, les individus dotés de dents plus petites et de mâchoires moins fortes ont survécu tout aussi bien que leurs congénères (résultat de ce que les évolutionnistes appellent le relâchement d’une contrainte sélective). Cette réduction de la taille des mâchoires a modifié la forme de la face, permettant l’apparition de lèvres plus mobiles, essentielles pour former des mots. On perçoit ainsi de quelle manière de nouvelles pratiques culturelles, tel l’usage d’outils, ont permis l’évolution progressive de notre anatomie et la modification en profondeur de notre identité biologique. Comment les développements technologiques que nous vivons vont-ils à leur tour influencer notre évolution future ? Nous en remettre de plus en plus aux machines pour nous déplacer ou penser à notre place n’est sans doute pas sans conséquence sur notre destin biologique. p Cahier du « Monde » No 22165 daté Mercredi 20 avril 2016 - Ne peut être vendu séparément ▶ Grippe aviaire : les chercheurs contre-attaquent ▶ Soigner le stress post-traumatique Le président palestinien, Mahmoud Abbas à Ramallah, le 11 avril. THOMAS COEX / AFP SUPPLÉMENT Energie Les dangers que doit affronter EDF L a liste des participants est impressionnante : mercredi 20 avril, à l’Elysée, François Hollande, Manuel Valls, Jean-Marc Ayrault, Emmanuel Macron, Michel Sapin et un conseiller de Ségolène Royal se réuni- ront pour parler d’EDF. Il s’agit pour l’actionnaire public de décider si l’entreprise doit ou non construire deux coûteux réacteurs EPR en Grande-Bretagne, et, le cas échéant, de prévoir le plan de financement adéquat. Quelle que soit la décision qui sera arrêtée, les risques que devra affronter EDF sont très importants. Qu’ils soient d’ordre financier, technologique, politique, commercial ou social. Cinéma « Everybody Wants Some ! ! », so vintage ! LIR E PAGE S 1 4 - 1 7 30 mars — 17 juillet 2016 71, rue du Temple 75003 Paris mahj.org Lore Krüger une photographe en exil 1934-1944 Soudan du Sud Après deux ans LE REGARD DE PLANTU de guerre, l’espoir de la paix LIR E LE C A HIE R É CO PAGE 3 LIR E PAGE 2 Hôpitaux A Calais, on soigne les Anglais LIR E PAGE 1 2 1 ÉD ITO R IAL L’IMBROGLIO DES MASTERS UNIVERSITAIRES LI R E P A G E 22 Algérie 200 DA, Allemagne 2,80 €, Andorre 2,60 €, Autriche 3,00 €, Belgique 2,40 €, Cameroun 2 000 F CFA, Canada 4,75 $, Chypre 2,70 €, Côte d'Ivoire 2 000 F CFA, Danemark 32 KRD, Espagne 2,70 €, Espagne Canaries 2,90 €, Finlande 4,00 €, Gabon 2 000 F CFA, Grande-Bretagne 2,00 £, Grèce 2,80 €, Guadeloupe-Martinique 2,60 €, Guyane 3,00 €, Hongrie 990 HUF, Irlande 2,70 €, Italie 2,70 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,40 €, Malte 2,70 €, Maroc 15 DH, Pays-Bas 2,80 €, Portugal cont. 2,70 €, La Réunion 2,60 €, Sénégal 2 000 F CFA, Slovénie 2,70 €, Saint-Martin 3,00 €, Suisse 3,60 CHF, TOM Avion 480 XPF, Tunisie 2,80 DT, Turquie 11,50 TL, Afrique CFA autres 2 000 F CFA INTERNATIONAL Le Soudan du Sud, au risque de la paix 2| 0123 MERCREDI 20 AVRIL 2016 Le chef rebelle Riek Machar est attendu à Juba, la capitale, dans l’espoir d’atténuer les guerres intestines johannesburg correspondant régional Khartoum I l ne se passe jamais rien d’important au Soudan du Sud sans qu’il faille, à un moment donné, attendre interminablement l’arrivée d’un avion. Lundi 18 avril, à l’aéroport de Juba, un long tapis rouge, un peu décoloré, se gondole sous le soleil, prêt à accueillir un appareil qui ne se matérialise pas dans le ciel vide. Juba, capitale du Soudan du Sud, l’Etat le plus jeune et désormais l’un des plus abîmés de la planète – la moitié de son existence légale au sein des nations a été consacrée à la guerre civile –, attend plus précisément un homme : Riek Machar, chef de la rébellion. Déjà signataire d’un accord de paix en août 2015, ainsi que d’innombrables cessez-le-feu tous violés, déjà réinstallé, à distance, à son poste de vice-président par le président sud-soudanais, Salva Kiir, le chef de la rébellion doit à présent atterrir à Juba avec un programme chargé : rester en vie ; prêter serment pour redevenir, formellement, vice-président ; se recueillir devant le mausolée de John Garang, le héros national, mort en 2005, dans un accident d’hélicoptère ; participer à la création d’un gouvernement transitoire d’union nationale et espérer, ainsi, jeter les fondations de la paix avec le camp de Salva Kiir. Un avion atterrit. Ce n’est pas le bon. L’un de ses passagers, arrivé pile au milieu de cette attente par un vol régulier, dit sa surprise d’arriver dans une ville en état de siège : « Des centaines de soldats et de policiers, un cordon autour de l’aéroport, les routes fermées… » Hormis 3 300 hommes, officiellement restés à Juba, les troupes loyales au président Salva Kiir ont pourtant été cantonnées à 25 kilomètres de la capitale. Menacés par la paix Du côté de Riek Machar, 1 370 hommes ont fait leur retour avant leur chef, pour assurer sa sécurité. Ce dernier ne retournera pas s’installer dans sa résidence. Un nouvel emplacement a été préparé dans un quartier périphérique, vers le djebel Kujur, à la sortie de la ville, avec la possibilité de se replier vers la brousse ou de recevoir des renforts en cas de besoin. « Ils se sont préparés à toute hypothèse, y compris à une reprise de la guerre », précise une source proche de la rébellion. Mais l’avion qui devait amener Riek Machar de Gambella, en Ethiopie, non loin de la frontière, n’est pas arrivé. On l’annonce pour mardi 19 avril. Des sources proches de son camp affirment que ce retard tient au fait que le vol, affrété par les Nations unies, n’aurait pu emmener le chef d’état-major de la rébellion, Simon Gatwich Dual, ce dernier figurant sur une liste de personnes sur lesquelles pèsent des sanctions. Un prétexte, sans doute, car ÉTHIOPIE SOUDAN Malakal RÉP. CENTRAFRICAINE SOUDAN DU SUD CENTR. RÉP. DÉM. DU CONGO 250 km Juba KENYA OUGANDA Les rapports des Nations unies, de l’Union africaine, d’ONG, s’empilent et décrivent les atrocités commises par chaque camp : massacres, viols, mutilations, n’épargnant ni les enfants ni les malades. Au total, 43 travailleurs humanitaires ont été tués depuis le début du conflit. Selon un rapport de la division des droits de l’homme des Nations unies, « à partir de la mi2015, un nouveau modèle a émergé dans les comtés du centre ou du sud de l’Etat d’Unité, avec des villages entiers brûlés, les récoltes détruites et le bétail volé. Il y a des indications que cela constitue une stratégie délibérée du gouvernement ou de la SPLA [Armée de libération des peuples du Soudan, le camp du président Kiir], destinée à priver les populations de toute forme de moyens de subsistance pour les obliger à fuir ». Des constatations de même nature valent pour chaque camp. Comment un pays neuf, désiré pendant des décennies par ses habitants, en arrive-t-il à cette automutilation ? Dans un climat de rivalités politiques croissantes entre le président, Salva Kiir, et son vice-président, Riek Machar, sur fond de pillage des fonds publics, des combats avaient éclaté, le 15 décembre 2013, à Juba. A l’époque, les deux rivaux habitaient tout près l’un de l’autre. Ils ne partageaient pas seulement une adresse, mais aussi la garde présidentielle, intégrant conjointement leurs hommes tout comme l’armée constituée lors de la création du Soudan du Sud, deux ans plus tôt, lors de la scission avec le Soudan. Une affiche à Juba, le 14 avril, montrant le président Salva Kiir (à gauche), et le chef rebelle Riek Machar. ALBERT GONZALEZ FARRAN/AFP le problème est plus grave. Chaque camp redoute un piège. Il y a, d’un côté, les négociations, les délégations, les accords signés. Et, de l’autre, les impondérables du conflit sud-soudanais, à commencer par les extrémistes et faucons de chaque camp, menacés par la paix bien plus que par la guerre. Si la transition est menée à bien – et la constitution Chaque camp redoute un piège. Il y a, d’un côté, les négociations. Et, de l’autre, les extrémistes et les faucons d’un gouvernement en est « un premier pas décisif », a rappelé Ban Ki-moon, le secrétaire général des Nations unies –, un tribunal hybride sera constitué un jour au Soudan du Sud pour juger les exactions commises pendant cette guerre civile. Or, dès les premières heures du conflit, les atrocités ont été la règle. En vingt-huit mois, le bilan est lourd. Plus de 50 000 morts, deux millions de déplacés, dont 200 000 réfugiés dans les sites de protection de civils, organisés par l’ONU à travers le pays. Les résidents s’y trouvent comme enfermés, car, en sortant, leur appartenance ethnique peut leur valoir la mort. En février, un de ces camps a été attaqué à Malakal : 25 morts, plus de 100 blessés. La partition de 2011 n’a pas apaisé les conflits ce n’est pas parce que le Soudan du Sud (capitale Juba) est en guerre que le Soudan (capitale Khartoum) est en paix. Ces derniers mois, les combats y ont repris partout. Au Darfour, d’abord, où une insurrection a commencé en 2003, le gouvernement soudanais vient de tenir, dans des conditions discutables, un référendum sur l’avenir de ces trois Etats (Darfour Ouest, Nord et Sud) dans le but de les fondre dans une même entité. Parallèlement, une offensive loyaliste est en cours dans la région du djebel Marra, bastion de l’aile principale de la rébellion darfourie, dirigée par Abdel Wahid Al-Nour. Faute de témoins, il est impossible de connaître son résultat. Le gouvernement affirme avoir réduit les dernières poches tenues par les rebelles, lesquels, inversement, affirment avoir repoussé leur ennemi. Malaises profonds Ces derniers mois, le camp darfouri et ses alliés ont enregistré des défaites. Le Mouvement pour la justice et l’égalité (JEM) a notamment perdu de nombreux combattants. Le lien avec le Soudan du Sud est réel. Outre que ces conflits sont l’héritage de malaises profonds, ancrés dans le Soudan, auxquels la partition de 2011 n’a pas mis fin, le JEM s’est trouvé combattre, à plusieurs reprises, aux côtés du camp de Salva Kiir, le président sud-soudanais, contre la rébellion de Riek Machar. Au même moment, dans les Etats du Kordofan du Sud (où se trouvent les monts Nouba) et du Nil Bleu, une rébellion parrainée par le Soudan du Sud, le SPLM/A-N (Armée/Mouvement de libération des peuples du Soudan-Nord), est engagée dans des combats avec les forces gouvernementales. Le SPLM/A-N est au fond la résultante de la notion de « New Sudan » (nouveau Soudan) de John Garang, le leader historique de la rébellion sudiste qui ne concevait pas l’objectif de la longue guerre civile sou- danaise comme un problème de sudistes, mais comme une question nationale, et espérait voir un jour le pouvoir changer à Khartoum. La scission de 2011 et la naissance du Soudan du Sud ont mis fin à ce projet, en théorie, qui persiste néanmoins sous la forme de la rébellion anti-Khartoum (le SPLM/A-N), laquelle opère avec la sympathie discrète de Juba. Les efforts internationaux pour trouver un règlement à la question du Darfour (partie ouest du pays) ou à celui du Nil Bleu et du Kordofan du Sud ont été jusqu’ici menés sans succès. p j.-p. ry Atrocités entre sudistes Durant la longue guerre civile de vingt ans (1983-2005) entre les forces de Khartoum (le « Nord » du Soudan) et celles de la rébellion sudiste (la SPLA), il y eut de féroces dissensions et de multiples atrocités entre sudistes. Ce passé ne s’est pas éteint en deux ans d’indépendance. Le soir du 15 décembre 2013, la rivalité politique entre deux hommes a ravivé de vieux feux. Les hommes en armes ont tué suivant des divisions ethniques, Dinka proches de Salva Kiir contre Nuer de Riek Machar. A Juba, la chasse aux Nuer avait commencé en ville. Ailleurs, on massacrera des Dinka. Riek Machar, lui, avait quitté Juba au milieu de cette nuit de décembre, hâtivement vêtu, échappant de justesse à un groupe de loyalistes qui venaient le tuer en défonçant son portail avec un blindé. Puis il était entré en rébellion. Son retour peut-il sauver le Soudan du Sud ? « Les deux parties prennent des risques, analyse Jérôme Tubiana, chercheur au Small Arms Survey, le risque pour Machar est que sa base rejoigne de plus en plus les chefs de guerre Nuer, qui préfèrent continuer la guerre à tout prix. De même pour Kiir, le risque est que sa base Dinka et ses faucons, comme Paul Malong [son chef d’état-major], eux aussi, se détournent de lui et sabotent la paix. » p jean-philippe rémy international | 3 0123 MERCREDI 20 AVRIL 2016 Hollande et Sissi soignent leur « relation spéciale » Au Caire, le président a réaffirmé son soutien à l’Egypte sans occulter les inquiétudes sur les droits de l’homme le caire - envoyée spéciale « La France est le sixième investisseur étranger et nous pensons gravir encore quelques marches » F rançois Hollande avait promis d’envoyer des « messages » de façon « discrète et efficace » sur la situation des droits de l’homme en Egypte à son homologue, Abdel-Fattah Al-Sissi, lors de sa première visite officielle au Caire, les 17 et 18 avril. L’engagement a été tenu, et la question a bien été évoquée lors des discussions sur l’approfondissement du partenariat stratégique en matière sécuritaire et économique. Critiqué quelques jours auparavant par des ONG françaises pour son « silence assourdissant » face aux violations des droits de l’homme en Egypte, le président français s’est livré à un jeu d’équilibriste visant à réaffirmer les « principes et les valeurs de la France », sans mettre en péril la nécessité de renforcer « la relation spéciale » entre les deux pays et leurs efforts communs contre la menace djihadiste. Lundi soir, il a remis au président Sissi une liste de « quinze cas » de violation présumée des droits de l’homme, a indiqué son entourage, sans plus de détails. Cette liste pourrait comprendre des personnalités emblématiques de la société civile égyptienne, condamnées ou inquiétées par les autorités depuis l’accession au pouvoir de l’armée, en juillet 2013. Lutter contre le terrorisme « suppose de la fermeté mais aussi un Etat, et un Etat de droit, c’est le sens de ce que la France évoque quand elle parle des droits de l’homme. Les droits de l’homme, ce n’est pas une contrainte, c’est aussi une façon de lutter contre le terrorisme », avait martelé M. Hollande lors d’une conférence de presse avec le président Sissi, dès dimanche soir. « Ce serait manquer à mes propres devoirs par rapport à la sécurité en Europe et en France » de ne pas aborder ces questions, a-t-il justifié en priant les autorités du Caire de ne pas y voir « une attaque » mais « une attente, une exigence ». FRANÇOIS HOLLANDE président français François Hollande et Abdel Fattah Al-Sissi au palais Qubba, au Caire, le 17 avril. LAURENCE GEAI/SIPA POUR « LE MONDE » La question semblait inévitable après la controverse suscitée en Europe par la disparition au Caire, le 25 janvier, et la mort sous la torture, de l’étudiant italien, Giulio Regeni. Sa mort avait mis de nouveau sous les projecteurs la dérive sécuritaire du pays, où les violations des droits de l’homme se multiplient sous le couvert de la lutte antiterroriste. M. Hollande a assuré avoir évoqué avec M. Sissi cette affaire, ainsi que le cas d’Eric Lang, l’enseignant français battu à mort en 2013 dans un commissariat de police du Caire. Le président Sissi avait luimême pris les devants dans l’es- poir de couper court à la polémique, en évoquant le premier les efforts réalisés par l’Egypte sur la voie démocratique. L’insistance des médias français a visiblement agacé le président égyptien, qui a invoqué la situation « exceptionnelle » que traversait l’Egypte face à la menace djihadiste dans le Sinaï et dans la Libye voisine. « Les normes en Europe, qui est au sommet du progrès et de la civilisation, ne peuvent prévaloir dans la situation que vit notre région, notamment l’Egypte », a commenté sèchement M. Sissi. Il n’a pas hésité à dénoncer « des forces du mal qui veulent donner une mauvaise image de l’Egypte » et « des tentatives pour détruire les institutions les unes après les autres », renforçant les craintes, côté français, de représailles contre les organisations de la société civile qui documentent les violations des droits de l’homme. Dix-huit accords commerciaux La mise au point effectuée sur les droits de l’homme, François Hollande a défendu l’importance pour la France de maintenir des relations stratégiques avec l’Egypte pour la lutte antiterroriste et la résolution des conflits en Libye, en Syrie, en Irak et aussi en Israël-Pa- lestine. « La sécurité de l’Egypte est celle de la région et de la France », a souligné le président français. L’expansion de la menace djihadiste sur fond de crise politique en Libye est au centre des préoccupations communes de l’Egypte et de la France. MM. Hollande et Sissi ont réaffirmé leur soutien au nouveau gouvernement libyen et leur pleine entente pour ramener la stabilité dans le pays. « L’armée libyenne doit être renforcée, la France contribuera à cela », a promis M. Hollande, sans toutefois s’engager pour une levée de l’embargo onusien sur les armes, que réclame Le Caire. La France se Gaza : l’Egypte inonde les tunnels pour presser le Hamas Le Caire accuse le mouvement islamiste palestinien de collusion avec les djihadistes de l’EI dans le Sinaï gaza - envoyé spécial T ous les tunnels ne se valent pas. Il y a les passages artisanaux, étroits et sombres, et les véritables forages. Celui de D., à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, appartient à la seconde catégorie. Une poulie électrique massive a été installée audessus du puits d’entrée. Sous le toit en tôle, protégeant les lieux des drones israéliens, un véritable atelier a été installé. Sous terre, les parois ont été consolidées avec du bois et du fer. Depuis quatre jours, grâce à un générateur bourdonnant et un long tuyau, on y pompe un flot d’eaux usagées. C’est l’armée égyptienne, de l’autre côté de la frontière, qui pensait ainsi condamner l’un des rares tunnels de contrebande encore en activité, par lequel circulent notamment les cigarettes. Trois semaines plus tôt, le même tunnel avait déjà été inondé, puis asséché. « J’ai dû changer la sortie en faisant creuser plus loin, raconte D. Ça fait six ans que je suis dans cette activité, et ça devient vraiment de plus en plus dur. » En moins d’un an, 90 % des tunnels ont été détruits. Une douzaine se sont effondrés. Le régime égyptien n’a pas ouvert, en contrepartie, le point de passage de Rafah, si ce n’est un jour ou deux, de temps à autre. L’armée israélienne aussi traque les tunnels. Elle a annoncé, lundi 18 avril, avoir neutralisé un tunnel d’attaque creusé par le Hamas, qui s’étendait du sud de la bande de Gaza vers l’une des communautés israéliennes frontalières. Il s’agit du premier tunnel de cette nature identifié depuis la guerre de l’été 2014. Le blocus demeure impitoyable autour de la bande de Gaza, aux mains des islamistes du Hamas. Le Caire ne compte pas faire de geste conciliant à l’égard du mouvement armé palestinien, accusé d’un double péché : sa proximité avec les Frères musulmans, et ses relations discrètes avec les djihadistes dans le Sinaï, qui ont fait allégeance à l’organisation Etat islamique (EI) en novembre 2014. Ces derniers mois, une dizaine de personnes sont mortes dans l’effondrement et l’inondation de tunnels. Parmi eux, Fadi Abou Dein, 23 ans. A Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, sa famille s’est serrée sous un abri de fortune, en guise de tente de deuil. Nous sommes à la mimars. Les habitants du quartier viennent présenter leurs condoléances. L’oncle de Fadi, Emad Abou Dein, 54 ans, raconte son histoire banale. Le jeune homme a terminé le lycée, puis n’avait pas les moyens de poursuivre des études. « Il a sept frères et sœurs. il « Les tunnels, c’était le seul endroit où l’on embauchait » EMAD ABU DEIN Palestinien de Khan Younès a dû travailler pour nourrir tout le monde. C’était très facile d’aller à Rafah et de trouver du boulot. Les tunnels, c’était le seul endroit où l’on embauchait. » Le 12 mars, Fadi travaillait des dizaines de mètres sous terre, avec l’un de ses frères, lorsque les Egyptiens ont ouvert les vannes et inondé. Lui et un autre jeune homme de Rafah ont péri. Des rapports ambivalents Coïncidence : le jour même où Fadi est mort, une délégation de douze officiels du Hamas s’est rendue dans la capitale égyptienne, pour rencontrer les responsables des services de sécurité. Une démarche exceptionnelle. Les accusations des Egyptiens sont nourries. Par exemple, sur l’implication du Hamas dans l’assassinat du procureur Hisham Barakat, en 2015. Ou encore les liens avec les djihadistes dans le Sinaï. Selon l’armée israélienne, la branche militaire du Hamas passe par les hommes de péninsule du Sinaï, la branche locale de l’EI, pour l’acheminement d’armes lourdes. Les djihadistes, eux, prélèveraient leur dîme sur ces livraisons et feraient soigner leurs blessés dans les hôpitaux de Gaza. « Les Israéliens mentent à 100 % », assure Ghazi Hamad, haut cadre du Hamas pour les affaires étrangères. Selon lui, les discussions entamées avec le régime du maréchal Sissi servent à « briser la glace, après trois années de tension et une longue série d’accusations ». « On leur a dit : si vous avez des accusations précises, parlons-en. Si vous voulez un renforcement de la sécurité le long de la frontière, on le fera. L’Egypte est un pays-clé, aussi bien pour l’amélioration de la vie quotidienne à Gaza que sur les questions de réconciliation palestinienne. » Malgré les gestes du Hamas, l’Egypte n’a pas confiance. Les rapports ambivalents qu’entretient le mouvement islamiste avec les salafistes à l’intérieur même de la bande de Gaza la conforte dans ce sentiment. Le Hamas balance depuis des années entre tolérance et répression. Selon une source diplomatique, l’une des demandes égyptiennes est l’arrestation et le transfert à ses services d’une liste d’activis- tes salafistes, Palestiniens ou étrangers, présents à Gaza. Ce foyer salafiste demeure certes très limité ; mais il sert d’exutoire pour une minorité radicale. Parmi elle, il y aurait des déçus des groupes armés palestiniens traditionnels. L’un des jeunes leaders salafistes a 31 ans. Il dit avoir terminé des études de médialogie à l’université de Gaza. Son dernier surnom en date est Abou Al-Aynein Ansari. Déjà arrêté trois fois, il fait preuve d’une grande prudence dans son expression, au sujet du Hamas. « On ne considère pas le Hamas comme notre ennemi, dit-il. Notre première volonté est de vaincre l’occupation israélienne. Ensuite, d’établir la charia [loi islamique]. » Il se présente comme un « sympathisant de l’Etat islamique », sans pour autant entretenir de « contacts formels » avec ses cadres, qui lui donnent tout de même « quelques conseils ». Selon Abou Al-Aynein Ansari, il y aurait « quelques centaines » de salafistes comme lui, répartis en cinq groupes distincts, dans la bande de Gaza. Un chiffre probablement gonflé. Le sien serait responsable de plusieurs tirs de roquettes vers Israël, depuis la guerre de l’été 2014, n’ayant causé pour l’instant aucun dégât. p piotr smolar dit favorable au déploiement d’une force européenne navale dans les eaux territoriales de la Libye, dès lors que le gouvernement d’« union nationale » en fera la demande, à Tripoli. L’autre volet important de cette visite a été consacré au développement des échanges commerciaux bilatéraux. « La France est le sixième investisseur étranger en Egypte [et] nous avons l’intention de gravir encore quelques marches », a affirmé lundi François Hollande, lors d’un forum d’affaires franco-égyptien. Le président français était accompagné d’une trentaine de chefs de grands groupes français et de petites et moyennes entreprises, venus signer différents accords sectoriels, notamment dans les domaines des transports urbains et de l’énergie renouvelable. Le président Sissi a, pour sa part, promis « d’instaurer un climat d’investissement attractif pour les entreprises étrangères ». Dix-huit accords et protocoles d’entente intergouvernementaux ont été signés dimanche soir, dont un accord commercial pour 1,2 milliard d’euros par le consortium Vinci-Bouygues, en vue de la réalisation de la phase 3 de la ligne 3 du métro cairote. L’acquisition par l’Egypte d’un satellite de télécommunications militaire a également été finalisée dans la nuit entre les président français et égyptien. Au total, les contrats signés se montent à plus de 2 milliards d’euros. p hélène sallon I S RAËL Attaque à la bombe dans un bus Une bombe a explosé lundi en fin d’après-midi dans un bus à Jérusalem, faisant au moins 21 blessés. L’attaque a été « saluée » par le mouvement islamiste palestinien Hamas comme une réponse aux « crimes sionistes », allusion aux assaillants palestiniens qui, ces derniers mois, s’en sont pris à des Israéliens à l’arme blanche et ont été abattus. – (AFP.) ÉQUAT EU R Nouveau bilan du séisme à 350 morts Un nouveau bilan publié lundi fait état d’au moins 350 morts et 2 068 blessés dans le séisme de samedi en Equateur. Le tremblement de terre a aussi provoqué des dégâts matériels considérables. – (Reuters.) U K RAI N E Deux soldats russes condamnés La justice ukrainienne a condamné lundi à 14 ans de prison deux militaires russes soupçonnés d’avoir combattu aux côtés des séparatistes, ouvrant la voie à un éventuel échange avec la pilote ukrainienne emprisonnée en Russie. Ils avaient été capturés le 16 mai 2015 après avoir été blessés par des tirs sur la ligne de front, preuve, selon les Ukrainiens, de la présence de troupes russes dans l’est du pays. – (AFP.) 4 | international 0123 MERCREDI 20 AVRIL 2016 A Genève, les négociations syriennes au point de rupture L’opposition remet en question sa participation aux discussions alors que les combats s’intensifient beyrouth - correspondant, L’ intensification des combats autour d’Alep et le refus de Damas de toute remise en cause du pouvoir du président Bachar Al-Assad risquent de donner le coup de grâce aux négociations de Genève sur la Syrie. L’opposition a suspendu lundi 18 avril sa participation « formelle » au processus de paix, qui avait repris le 13 avril sous l’égide des Nations unies, dans l’attente d’une réponse du régime sur les questions-clés de la transition politique et de l’acheminement de l’aide humanitaire dans les villes assiégées. La délégation anti-Assad devrait continuer à prendre part à des discussions avec le médiateur de l’ONU, Staffan de Mistura, mais dans l’hôtel où elle réside et non au palais des Nations, le siège de l’ONU à Genève. Une position bancale, qui illustre les divisions au sein de l’opposition, entre ceux désireux de quitter les rives du lac Léman – principalement les groupes armés – et ceux qui ne veulent pas rompre ce fragile processus. Les négociations étaient censées se concentrer sur la question cruciale de la transition politique, sur laquelle ont buté tous les précédents efforts de règlement du conflit. Avec le soutien de Paris et celui plus théorique de Washington, le Haut Comité des négociations (HCN), le bras diplomatique de l’opposition, exige que l’autorité de transition soit dotée des pleins pouvoirs, y compris ceux du président, ce qui suppose que Bachar Al-Assad quitte son poste sitôt cet organe formé. Le régime, pour sa part, se dit prêt à envisager un gouvernement élargi, qui intégrerait quelques opposants triés sur le volet, mais estime que le statut de Bachar Al-Assad est non négociable. Des bombardements dans la zone du vieil Alep tenue par les rebelles, lundi 18 avril. ABDALRHMAN ISMAIL/REUTERS « Système mafieux » Preuve des tiraillements au sein du camp anti-Assad, quelquesuns des groupes armés les plus actifs sur le terrain ont envoyé une lettre aux négociateurs pour les inciter à « prendre une position plus ferme et décisive à l’égard des demi-solutions qui sont colportées par les alliés du régime syrien et par de Mistura ». Deux jours plus tôt, lors d’une rencontre avec les délégués du HCN, le médiateur de l’ONU avait en effet émis l’idée de maintenir Bachar Al-Assad à la tête de l’Etat pendant la transition, mais en l’entourant de trois vice-présidents de l’opposition. Cette dernière a rejeté avec véhémence ce qui pouvait ressembler, à première vue, à un compromis, permettant à terme la marginalisation du dictateur. « Le droit n’existe pas dans le régime syrien, c’est un système mafieux, et si le parrain reste en place, il garde de fait la réalité du pou- voir », reconnaît un observateur. Cette suggestion a d’autant plus braqué les opposants que, parallèlement aux discussions officielles, des tractations discrètes sont en cours, entre Américains et Russes, non loin du palais des Nations, pour élaborer un plan de sortie de crise. Selon le quotidien panarabe Al-Hayat, les deux parties envisagent un mécanisme de « quotas politiques », de façon à répartir le pouvoir entre Assad et ses adversaires, sur le modèle du système libanais. Un plan qui porte en germe la marginalisation du HCN, dont le chef, l’ancien premier ministre syrien Riyad Hijab, est arrivé lundi à Genève. « Il est inacceptable » de poursuivre les discussions alors que le régime continue « de bombarder et d’affamer les civils », a-t-il affirmé, dans le souci de resserrer les rangs au sein de l’opposition. Malgré Américains et Russes envisageraient de répartir le pouvoir entre Assad et ses adversaires l’entrée en vigueur d’un cessez-lefeu, le 27 février, l’aviation syrienne n’a jamais cessé de pilonner les zones rebelles, au motif que le Front Al-Nosra, la branche syrienne d’Al-Qaida, est exclu de cet accord de trêve. Après une accalmie d’un mois, les opérations terrestres ont repris début avril, surtout au sud d’Alep, la grande ville du nord, divisée en deux depuis 2012. Dimanche 17 avril, 22 civils y sont morts dans des bombardements mutuels, soit l’un des plus lourds bilans depuis l’entrée en vigueur de la trêve. « Provocations » du régime Lundi, selon la télévision d’Etat, huit personnes ont été tuées par des roquettes lancées par des rebelles sur des quartiers d’Alep tenus par les forces gouvernementales. « Les parrains saoudien, turc et qatari de l’opposition ne veulent pas arrêter le bain de sang en Syrie et ne veulent pas d’une solution politique en Syrie », a estimé Bachar Al-Jaafari, le chef de la délégation du régime, dans une interview à la télévision Al-Mayadeen, basée à Beyrouth. L’opposition, rejointe sur ce point par l’ONU, accuse aussi le régime de n’avoir pas laissé entrer des convois de nourriture dans plusieurs villes assiégées, en viola- tion de l’accord de cessez-le-feu. « L’opposition considère non sans raison que le régime, en multipliant les provocations sur le terrain, fait tout pour éviter la poursuite des discussions », confie un diplomate occidental. Mais cette source relève que si « l’opposition tombe dans ce piège, elle portera la responsabilité de la rupture, et elle se privera pour longtemps de la possibilité de pousser à la table des négociations la question de la transition ». Signe d’une dégradation supplémentaire de la situation sur le terrain, une dizaine de groupes armés ont lancé lundi une vaste offensive au nord de la province de Lattaquié. Leur objectif est de reprendre plusieurs localités dont ils avaient été délogés au début de l’année, au plus fort de la vague de bombardements russes. p benjamin barthe et marc semo (à paris) Al-Qaida s’installe au Yémen, les pourparlers de paix patinent Le groupe djihadiste profite du chaos créé par la guerre pour construire un mini-Etat dans le Sud. L’Arabie saoudite minimise la menace unies. L’envoyé spécial de l’ONU, Ismaïl Ould Cheikh Ahmed, a annoncé lundi un report, tout en affirmant que ces opposants au gouvernement d’Abd Rabo Mansour Hadi pouvaient encore rejoindre la délégation gouvernementale, arrivée à l’heure. Ces négociations Laurence ROSSIGNOL Invitée de Mercredi 20 avril à 20h30 Emission politique présentée par Frédéric HAZIZA Avec : Françoise FRESSOZ, Frédéric DUMOULIN et Yaël GOOSZ sur le canal 13 de la TNT, le câble, le satellite, l’ADSL, la téléphonie mobile, sur iPhone et iPad. En vidéo à la demande sur www.lcpan.fr et sur Free TV Replay. www.lcpan.fr étaient largement perçues jusqu’ici comme les premières ayant une véritable chance de succès, plus d’un an après l’entrée en guerre de l’Arabie saoudite, le 25 mars 2015, à la tête d’une coalition de pays arabes en soutien au gouvernement Hadi. Un conflit qui a fait plus de 6 300 morts. L’Arabie saoudite, qui souhaite réduire la puissance des houthistes, des chiites perçus comme instrumentalisés par son rival iranien, avait préparé ces négociations par des contacts directs, à Riyad, avec les rebelles. Mais, avant de négocier, ceux-ci exigent l’application réelle du cessez-lefeu déclaré le 10 avril, qui a été sévèrement violé de part et d’autre. Lundi soir, des avions de la coalition rugissaient dans le ciel de la capitale, Sanaa, tenue par les rebelles. Mardi, les combats reprenaient avec plus d’intensité sur plusieurs fronts. Face au risque d’impasse diplomatique, un acteur se réjouit. AlQaida dans la péninsule arabique (AQPA) a profité des combats de l’année écoulée et de l’intervention saoudienne pour étendre son emprise dans l’est du pays, malgré des frappes aériennes régulières qui ont encore tué plusieurs dizaines de ses membres le 23 mars. « Même si la trêve se met en place, la guerre reviendra (…). Les houthistes profitent de ces jeux politiques pour massacrer les sunnites », tempêtait la semaine der- nière Saad Atef Al Awaqi, un commandant djihadiste, dans l’hebdomadaire du groupe. Dirigée depuis juin 2015 par le Yéménite Qassem al-Rimi, après la mort de son prédécesseur dans une attaque de drone américain, l’organisation mène une stratégie d’ancrage territorial, en marge des combats. Les djihadistes, largement issus du tissu tribal local, négocient avec les populations pour le contrôle de trafics divers, notamment la contrebande de pétrole et d’armes, par la ville portuaire d’Al-Moukala, qu’ils tiennent depuis avril 2015, et sur une bande côtière de 600 kilomètres où le groupe peut se déplacer librement. Selon un autonomiste sudiste, opposant à AQPA, le seul contrôle du port d’Al-Moukala leur assurerait un revenu quotidien de 2 millions de dollars en taxes. Jamais Al-Qaida au Yémen n’a disposé d’une telle manne. De « grandes quantités d’armes » Cette rente est en partie réinvestie dans la construction d’un miniEtat djihadiste, avec sa police religieuse et ses « services publics » : pavage de routes, réhabilitation d’hôpitaux, distribution de vivres et d’argent aux plus pauvres… AQPA achète les loyautés, cherchant à éviter de reproduire l’erreur de l’« émirat » d’Abyan, proclamé en 2011 à l’est d’Aden. Les djihadistes en avaient été chassés un an plus tard par l’armée yémé- nite, aidée de « comités populaires » locaux, après y avoir imposé un ordre islamique strict qui les avait rendus impopulaires. L’organisation se serait emparée « de grandes quantités d’armes et de munitions, dont des missiles portatifs sol-air », à la faveur du retrait de l’armée face à l’avancée des houthistes, début 2015, selon une source proche du président Hadi. Cet arsenal aurait permis d’abattre un Mirage 2000 émirati de la coalition en mars dans la région d’Aden. AQPA combat par ailleurs à Mareb et surtout à Taëz, où ont eu lieu les principales violations de la trêve. Les djihadistes ont noué dans cette dernière ville une alliance de circonstances avec les combattants issus du mouvement islamiste Al-Islah, affilié aux Frères musulmans, qui peinent depuis des mois à déloger les rebelles des positions élevées qu’ils tiennent au nord et à l’est de Taëz, d’où ils bombardent la cité. Accusée de nier le problème, voire d’instrumentaliser Al-Qaida à son profit – même si elle a bombardé les positions djihadistes ces dernières semaines –, l’Arabie saoudite rétorque qu’AQPA disparaîtra ou se résorbera une fois un réel gouvernement remis en place. « La coalition arabe a pour mandat international de rétablir le gouvernement légitime et l’intégrité territoriale du pays, déclare au Monde un responsable saoudien sous couvert d’anonymat. Si ARABIE SAOUDITE YÉMEN Sanaa OMAN T out espoir n’était pas perdu, mardi 19 avril, de voir arriver les négociateurs des rebelles houthistes et de l’ex-président yéménite Ali Abdallah Saleh aux pourparlers de paix qui auraient dû s’ouvrir la veille au Koweït, sous l’égide des Nations Moukalla Mareb Taëz Aden Golfe d’Aden DJIBOUTI SOMALIE 300 km on veut éliminer ce groupe, il faut se concentrer sur la reconstruction de l’Etat ». Un pari risqué. Pour l’heure, le gouvernement Hadi soutenu par les Saoudiens n’est présent que la moitié du temps à Aden, le grand port du Sud libéré en juillet du siège des houthistes. AQPA y rivalise avec d’autres groupes armés pour accaparer les ressources de la ville. Mais cette dynamique, plus mafieuse qu’idéologique, pourrait changer avec un éventuel afflux de djihadistes étrangers, que le chaos yéménite ne peut manquer d’attirer. « Il est encore possible de récupérer les tribus liées à AQPA avec de nouvelles ressources politiques et économiques. Avec les éléments internationaux, cela sera plus difficile », estime une source diplomatique occidentale. p louis imbert et madjid zerrouky 6 | international 0123 MERCREDI 20 AVRIL 2016 L’UE espère un accord avec la Libye pour arrêter l’afflux de migrants Les Européens veulent étendre l’opération navale « Sophia » dans les eaux libyennes luxembourg - envoyé spécial R Pedro Sanchez (à gauche), le leader du PSOE, et Pablo Iglesias, de Podemos, à Madrid, le 30 mars. FRANCISCO SECO/AFP En Espagne, Podemos dit « no » à une coalition avec les socialistes Après quatre mois de négociations, un nouveau scrutin paraît inéluctable madrid - correspondance C’ était le vote de la dernière chance, l’ultime espoir qu’un gouvernement soit formé en Espagne avant le 2 mai, date limite avant la dissolution du Parlement. Lundi 18 avril, 88,2 % des militants du parti de gauche anti-austérité Podemos ont voté contre un « gouvernement basé sur le pacte Rivera-Sanchez », en référence à l’accord d’investiture signé entre le secrétaire général du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), Pedro Sanchez, et le président du parti centriste Ciudadanos, Albert Rivera. Après quatre mois de négociations, cet accord, soutenu par 131 députés sur 350, avait absolument besoin de l’appui de Podemos. Sauf improbable coup de théâtre, de nouvelles élections législatives devraient donc être con- Dans l’ voquées le 26 juin. Alors que Podemos et le PSOE gouvernent ensemble dans de nombreuses mairies et plusieurs régions, les deux partis ne seront pas parvenus à s’entendre au niveau national. Au soir des élections législatives du 20 décembre 2015, pourtant, tout portait à croire que serait formé un gouvernement de gauche, alliant le PSOE (22 % des voix, 90 députés) et Podemos (20,7 %, 69 députés), grâce au soutien ou à l’abstention des nationalistes basques et catalans. Le Parti populaire (PP, droite) du premier ministre Mariano Rajoy, arrivé en tête avec 28,7 % des suffrages (123 députés sur 350) n’apparaissait pas en mesure de trouver des alliés lui assurant une majorité à la Chambre basse. Mais deux exigences de Podemos auront bloqué les négociations : la tenue d’un référendum d’autodétermination en Catalo- êt de la science mathieu vidard arré la tête au c 14 :00 -15 :00 avec, tous les mardis, la chronique de Pierre Barthélémy « Le leader du PSOE pensait que Podemos capitulerait, mais il n’a pas compris qu’il lui dispute l’hégémonie de la gauche » PABLO SIMON politologue gne et la composition d’un gouvernement de coalition « proportionnel » aux résultats électoraux. En Catalogne, Podemos a obtenu un de ses meilleurs résultats, en alliance avec la plate-forme de la maire de Barcelone, Ada Colau, en promettant ce référendum. Il y tient d’autant plus que, pour obtenir la majorité absolue des voix au Parlement, il compte sur l’abstention des indépendantistes catalans, qui en ont fait une condition sine qua non. Mais pour les socialistes, pas question de céder sur ce point. Parmi les électeurs de Podemos, qui considèrent souvent que les thèmes sociaux et économiques sont prioritaires, c’est le premier désenchantement. « Podemos n’a pas pris en compte dans ses calculs que l’Espagne est un pays qui ne fonctionne pas seulement sur l’axe droite-gauche mais aussi [sur l’axe] nationaliste-non-nationaliste », résume un responsable socialiste au Monde. L’autre exigence est annoncée par surprise le 22 janvier. Pablo Iglesias déclare qu’il serait « enchanté d’être le vice-président » d’un gouvernement présidé par Pedro Sanchez. Au PSOE, on misait plutôt sur un gouvernement « à la portugaise », c’est-à-dire en minorité avec le soutien extérieur des autres partis de gauche. Le chef de file de Podemos explique, avec un ton méprisant qui lui sera reproché dans son propre camp, qu’il n’a « pas confiance » en « l’appareil et les vieilles élites socialistes ». Il réclame donc, en gage, un poids « proportionnel » aux résultats obtenus – en clair, il veut la moitié des ministères, dont un de la « plurinationalité » pour ses partenaires catalans. « Ce n’est pas une coalition qu’il exige, mais deux gouvernements parallèles », fustige un responsable socialiste. Ces deux postulats conditionnent la suite. Le 2 février, après le refus de M. Rajoy de briguer l’investiture, faute de soutiens, Pedro Sanchez se porte candidat avec une nouvelle stratégie. Décidé à se passer du soutien des indépendantistes catalans, le socialiste décide d’entamer des négociations « transversales » avec à la fois Podemos et le parti antinationaliste Ciudadanos. Il espère ainsi courtcircuiter la question du référendum catalan, limiter la possible participation de Podemos à une coalition et s’assurer au moins un allié au débat d’investiture. « Force de blocage » Le 4 mars, après un discours virulent de Pablo Iglesias contre les socialistes, Pedro Sanchez n’obtient pourtant pas la confiance de la Chambre. « Le PSOE a surévalué ses forces, estime le politologue Pablo Simon. En s’alliant avec Ciudadanos, Pedro Sanchez pensait faire pression sur Podemos en le présentant comme une force de blocage, opposée au changement. Il pensait qu’il capitulerait, mais il n’a pas compris que Podemos lui dispute l’hégémonie de la gauche et ne pouvait pas accepter d’être un sujet passif. » Lundi 18 avril, les militants de Podemos ont renforcé la ligne officielle défendue par Pablo Iglesias. Même s’il baisse dans les sondages, celui-ci considère qu’il vaut mieux aller à de nouvelles élections plutôt que soutenir un programme qui n’est pas celui de Podemos et un gouvernement dans lequel il n’entrerait pas. Il espère, en cas de nouveau scrutin, former une coalition avec les écolo-communistes de la Gauche unie, qui pourrait leur permettre de devancer les socialistes. Un objectif pour lequel Podemos est prêt à prendre le risque de voir le PP et Ciudadanos, annoncé en forte hausse dans tous les sondages, obtenir à eux deux la majorité absolue au Parlement. Et permettre ainsi à la droite de continuer à gouverner. p sandrine morel éunis à Luxembourg, lundi 18 avril, les ministres des affaires étrangères et de la défense de l’Union européenne espéraient marquer fermement leur soutien au nouveau pouvoir qui se met difficilement en place en Libye. Leurs efforts auront été contrariés. Le vote de confiance attendu du Parlement libyen au gouvernement d’union nationale dirigé par le premier ministre désigné Fayez Al-Sarraj, n’a pas eu lieu. Il a été reporté sine die. Les ministres ont donc dû se contenter de renouveler leur soutien au chef du gouvernement et de lui promettre des aides financières, en l’attente d’une stabilisation politique durable. L’UE, qui a débloqué 100 millions d’euros d’aide économique et humanitaire, propose également aux nouvelles autorités une mission civile « de conseil et de soutien » dans les domaines policier, judiciaire et de la lutte antiterroriste. Le premier ministre a demandé un appui pour lutter contre les passeurs de clandestins, sans, cependant, réclamer directement une intervention de l’UE dans les eaux libyennes, afin d’endiguer l’afflux de migrants. Les Vingt-Huit aimeraient élargir le mandat de la mission « Sophia », opération navale de lutte contre les passeurs au large de la Libye, lancée à l’été 2015. Elle a sauvé 13 000 vies jusqu’ici, a indiqué la Haute Représentante Federica Mogherini, et pourrait être étendue à la lutte contre les trafics d’armes et de drogue, dans les eaux territoriales libyennes si, du moins, le nouveau pouvoir mar- que son accord. La mission « Sophia » est actuellement limitée aux eaux internationales, ce qui laisse le champ libre aux passeurs qui exploitent les migrants. Inquiétude de l’Italie L’extension de la mission navale européenne pourrait ensuite s’accompagner d’une coordination avec l’OTAN afin, notamment, de mettre sur pied un corps de gardecôtes libyens. L’Italie s’inquiète particulièrement de la possible arrivée sur ses côtes de migrants partis de Libye, même si, pour le premier ministre Matteo Renzi, il ne s’agit pas d’une « invasion ». Rome recense depuis le début de l’année 25 816 arrivées, soit 7 000 de plus qu’en 2015 à la même date. M. Renzi prône aussi une véritable stratégie européenne et a adressé à ses homologues un document proposant une accélération de la conclusion d’accords avec les pays d’origine, ainsi que la création de fonds pour inciter les pays de transit à bloquer les flux. Cette dernière idée s’est heurtée, lundi, au refus de l’Allemagne. Mais une rumeur, d’abord confirmée, puis nuancée par la diplomatie italienne, est venue ajouter à l’urgence de traiter le problème : une embarcation comptant 200 – voire 400 – migrants, essentiellement somaliens, aurait coulé lundi en Méditerranée. Parti d’Egypte, en direction des côtes italiennes, le bateau aurait emprunté une nouvelle route tracée par les passeurs pour échapper aux contrôles au large de la Libye. Diffusée par la BBC en langue arabe, l’information n’était pas confirmée mardi matin. p jean-pierre stroobants Excuses de l’armée mexicaine après un cas de torture mexico - correspondance U ne militaire pointe son arme sur la tête d’une jeune femme qui gémit d’angoisse. Une policière asphyxie ensuite la prisonnière avec un sac en plastique… Diffusées sur Internet, les images de cet interrogatoire ont provoqué une vague d’indignation au Mexique qui a contraint le ministre de la défense, Salvador Cienfuegos, à s’excuser, samedi 16 avril, pour cet acte de torture. Un mea culpa historique pour l’armée, engagée dans une lutte controversée contre les cartels de la drogue. « Je présente de profondes excuses à toute la société pour cet événement inadmissible », a déclaré le général Cienfuegos devant 30 000 soldats dans une base militaire à Mexico. La victime est une femme de 22 ans, emprisonnée pour port illégal d’arme à feu. La vidéo de quatre minutes a été filmée après son arrestation, le 4 février 2015, à Ajuchitlan del Progreso, dans l’Etat de GuerCE MEA CULPA rero (sud-ouest), zone stratégique de la culture et du trafic de pavot et de marijuana. EST UNE PETITE Deux militaires et trois policiers, dont RÉVOLUTION deux femmes apparaissant dans la vidéo, ont depuis été interpellés. Le ministre a inPOUR L’ARMÉE, vité ses troupes à dénoncer ces crimes qui LONGTEMPS ACCU- « affectent de manière importante l’image » de l’armée. Une petite révolution pour l’institution, longtemps accusée de couvrir les SÉE DE COUVRIR abus de ses soldats. Ces abus décollent deSES SOLDATS puis que, fin 2006, l’ancien président Felipe Calderon (2006-2012) a déployé 50 000 militaires sur le territoire pour combattre le trafic de drogue. Les plaintes pour torture sont passées de 1 163 à 2 403 entre 2013 et 2014, selon Amnesty International (AI). Juan Mendez, rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, avait dénoncé, en 2014, une « pratique généralisée » au sein des forces de l’ordre. M. Cienfuegos a néanmoins précisé que cette dernière affaire restait un « cas isolé ». Sa remarque a provoqué un tollé : « Si les excuses [de l’armée] représentent une avancée, il s’agit juste d’une stratégie pour limiter les dégâts », a déploré Perseo Quiroz, directeur d’AI au Mexique. Dans son éditorial de dimanche, le quotidien El Universal a invité les « autres autorités » à suivre l’exemple du ministre de la défense. Message reçu par Renato Sales, chargé de la sécurité nationale, qui s’est excusé, le lendemain, au nom de la police fédérale, restée jusqu’à présent plus discrète que l’armée. p frédéric saliba COMMUNIQUÉ MERCREDI 20 AVRIL 2016 Spécial allergies et maladies MIEUX RESPIRER POUR MIEUX VIVRE © JNA / DR RENFORCER LES FORMATIONS EN ALLERGOLOGIE Maladies complexes,les allergies nécessitent des praticiens bien formés pour une prise en charge optimale. Le Pr Philippe Bonniaud alerte sur le manque de formations. « Peu d’heures dans la formation des médecins en France sont dédiées à l’allergologie et c’est un souci majeur, alors même que le nombre de patients augmente continuellement. Nous nous battons pour mettre en place de véritables formations et diplômes d’allergologie, à l’instar de ce qui existe dans de nombreux pays européens. Preuve de l’intérêt et des besoins de formation des médecins, notre congrès annuel rassemble plus de 2 000 médecins (allergologues, pneumologues, dermatologues, pédiatres, ORL, ophtalmologistes…). Ce 11e Congrès francophone d’Allergologie aura lieu du 19 au 22 avril au Palais des Congrès, à Paris, avec comme fil rouge les allergies au fil des saisons : le rôle des saisons, les rythmes scolaires, les virus, le réchaufement climatique… Ce congrès permet des échanges et un état des lieux des enjeux et des travaux de recherche fondamentale et clinique réalisés. Les maladies respiratoires allergiques sont multifactorielles et complexes à comprendre. A côté du terrain génétique, l’environnement et ses multiples éléments jouent bien sûr un rôle, mais isoler chaque facteur reste un défi. Les poumons sont ainsi exposés à 15 000 litres d’air par jour et,lors des pics de pollution, les urgences respiratoires augmentent. L’alimentation modifie notamment le microbiote intestinal, qui a une influence sur les maladies allergiques. Le mode de vie – des appartements plus confinés, un environnement plus « stérilisé » dans l’enfance – a un impact mais dans quelles proportions ? La compréhension du rôle de ces facteurs, seuls ou en synergie, est essentielle pour la prévention et la prise en charge de ces maladies respiratoires.Et,pour avancer dans cette compréhension, nous avons besoin d’une communauté de professionnels de santé bien formés et actifs.Les enjeux pour les patients sont importants. L’asthme, mais aussi les rhinites allergiques,les allergies alimentaires…toutes ces pathologies peuvent avoir un impact très fort sur la vie quotidienne,et être très graves. Les traitements de désensibilisation pour modifier la réponse immunitaire des patients se développent mais nous attendons aussi des traitements innovants, avec des biothérapies pour réellement transformer la vie des patients. » � Prévention,diagnostic précoce,nouveaux traitements : tous les angles d’attaque sont à renforcer pour pouvoir lutter eicacement contre les allergies et les maladies respiratoires.Sans plus attendre. EN 2050, UNE PERSONNE SUR DEUX DANS LE monde sera afectée par au moins une maladie allergique, selon l’Organisation mondiale de la santé. En France, près d’un quart de la population générale en soufre déjà,conséquence d’une exposition plus grande aux allergènes qui augmente avec des appartements confinés pour les économies d’énergie,une diversification alimentaire précoce,les bouleaux plantés en masse dans les villes… La prévalence de l’asthme augmente ainsi régulièrement.Estimée à 2-3 % il y a quinze ans,elle est actuellement comprise entre 5 et 7 %, avec des conséquences qui peuvent être drama- © DJORONIMO - FOTOLIA.COM / DR Philippe Bonniaud, professeur, chef du service Pneumologie et Soins Intensifs Respiratoires au CHU de Dijon et président du conseil scientifique de la Société Française d’Allergologie. tiques : l’asthme est responsable d’environ 2 000 décès chaque année. Autre palmarès inquiétant, les allergies respiratoires sont au premier rang des maladies chroniques de l’enfant. Au regard de ces enjeux de santé publique, la recherche a réalisé de nombreuses avancées, notamment dans la compréhension des mécanismes cellulaires et moléculaires qui régulent l’inflammation des voies aériennes.Néanmoins, de nombreuses questions demeurent, en particulier concernant le niveau d’implication des diférents facteurs environnementaux et génétiques. Outre la recherche fondamentale et clinique à renforcer,une meilleure prise en charge des patients est également un des objectifs à atteindre. Avec non seulement des diagnostics plus précoces, mais aussi des traitements plus eicaces. Pour le moment, aucun d’entre eux n’est encore capable de modifier l’histoire naturelle de ces pathologies. Ces traitements sont contraignants et prescrits sur de longues périodes, ce qui en rend d’autant plus diicile l’observance, nuisant à l’eicacité de la prise en charge.Il est donc essentiel de mieux accompagner le patient afin qu’il comprenne bien les enjeux de son traitement et devienne un véritable acteur de son parcours de soins. Anne Pezet � LES TRAITEMENTS D’IMMUNOTHÉRAPIE AU PLUS PRÈS DES BESOINS DES PATIENTS ALLERGIQUES Exigence � Traiter rapidement,et avec une eicacité à long terme,les patients allergiques du monde entier, c’est la mission de Stallergenes Greer qui s’engage à amener l’immunothérapie allergénique au niveau des plus hauts standards de qualité grâce à une approche globale et intégrée. Michele Antonelli,président de Stallergenes SAS et directeur Europe et Reste du monde de Stallergenes Greer,présente les défis relevés pour remplir cette mission. QUELS TRAITEMENTS DE l’allergie développez-vous ? Nous sommes un leader mondial de l’immunothérapie allergénique, traitement à base d’allergènes (acariens, pollens de graminées et d’arbres,etc.) qui permet de rééduquer le système immunitaire des patients soufrant de maladies allergiques respiratoires. Notre portefeuille ofre une large gamme d’allergènes cliniquement pertinents, disponibles soit en spécialités pharmaceutiques en comprimés, soit en médicaments personnalisés, les APSI (Allergènes préparés spécialement pour un seul individu), sous forme sublinguale et injectable, qui répondent aux besoins spécifiques de chaque patient. La production a repris sur votre site d’Antony après une suspension temporaire d’un peu plus de deux mois, qu’est-ce qui a été modifié ? La suspension temporaire du site d’Antony était liée au déploiement d’un nouveau système informatique qui a engendré des perturbations opérationnelles, désormais résolues en totalité. En liaison constante avec les autorités de santé, nous avons repris l’intégralité de nos activités en mars dernier. A aucun moment la qualité inhérente de nos médicaments n’a été mise en question. Grâce à l’investissement dans cet outil informatique intégré, nous pou- également un délai de livraison optimisé et une chaîne d’approvisionnement permettant d’informer sur la disponibilité des produits et le statut de livraison. © STALLERGENES / DR � TRIBUNE respiratoires « Nous pouvons garantir aux patients et aux médecins le respect des exigences réglementaires internationales les plus élevées qui permettent d’assurer à nos médicaments biologiques une reproductibilité et une traçabilité accrues.» Michele Antonelli. vons garantir aux patients et aux médecins le respect des exigences réglementaires internationales les plus élevées qui permettent d’assurer à nos médicaments biologiques une reproductibilité et une traçabilité accrues.Ce nouveau système ofre Quelles sont les spécificités du site de production d’Antony ? L’obtention de nos principales matières premières (acariens, pollens de graminées) est réalisée selon des normes de qualité très élevées et suit des procédés de fabrication spécifiques et brevetés. Nos allergènes sont parfaitement caractérisés, grâce à une approche combinée recouvrant à la fois la sélection des matières premières, la documentation des procédés industriels, la caractérisation préclinique, ainsi que la réalisation d’études de stabilité. Par ailleurs, le développement et la mise en place de nouvelles méthodes analytiques nous permettent de caractériser et de quantifier avec précision les allergènes majeurs contenus dans nos produits. Le site d’Antony est déjà équipé de technologies avancées pour l’extraction,la formulation et le conditionnement. Quels sont vos axes de développement ? Le rapprochement avec le leader américain Greer Laboratories nous assure une forte présence aux Etats-Unis avec notamment le comprimé Oralair®, DES TRAITEMENTS PERSONNALISÉS AU DOMICILE DU PATIENT EN QUELQUES JOURS Grâce à la mise en place d’un nouveau système d’informatique intégré, Stallergenes Greer sera en mesure de délivrer ses traitements personnalisés au patient en quelques jours. De l’envoi électronique de l’ordonnance par le médecin jusqu’à la livraison du traitement au patient, toutes les étapes sont suivies par diférentes interfaces de gestion. Stallergenes Greer est le seul laboratoire d’immunothérapie allergénique disposant d’un système qui gère de manière automatisée et intégrée l’ensemble de ces étapes. qui s’ajoute à nos activités en Europe et au-delà. En Australie, nous avons reçu l’approbation pour Actair®, le premier comprimé d’immunothérapie sublinguale pour le traitement de l’allergie aux acariens enregistré dans ce pays. Il est déjà disponible au Japon et en cours de développement en Europe et aux Etats-Unis. Quelles sont les prochaines étapes ? Nous investissons significativement en recherche et développement afin de pouvoir élargir dans le futur notre ofre thérapeutique à l’asthme allergique, aux allergies alimentaires, ou encore en dermatologie. Propos recueillis par Anne Pezet � Daté du 20 avril 2016, Grand Angle est édité par CommEdition • Directeur général Éric Lista • CommEdition, agence de communication éditoriale • www.commedition.com • Rédaction Anne Pezet • Création / maquette & réalisation Aline Joly (andie.j) • LA RÉDACTION DU QUOTIDIEN LE MONDE N’A PAS PARTICIPÉ À LA RÉDACTION DE CE COMMUNIQUÉ. NE PEUT ÊTRE VENDU SÉPARÉMENT. 8| 0123 MERCREDI 20 AVRIL 2016 La fortune offshore de l’Autorité palestinienne L’un des fils de Mahmoud Abbas détenait près d’un million de dollars d’actions dans une société des îles Vierges L es « Panama papers », analysés par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) et le quotidien israélien Haaretz, ont mis en lumière le curieux mélange des genres de l’Autorité palestinienne et de l’un des fils de son président, Mahmoud Abbas. L’affaire est née dans le secret du cabinet fiscal Mossack Fonseca, au Panama. Il immatricule en septembre 1994 la société Arab Palestinian Investment Company (APIC) aux îles Vierges britanniques. Yasser Arafat est alors le chef de la Palestine, Mahmoud Abbas a conduit la délégation palestinienne qui a signé les accords d’Oslo un an plus tôt. Les actionnaires d’APIC se réunissent la première fois le 24 mai 1995 à l’hôtel Sheraton de Dubaï. Le cheikh Omar Aggad, un homme d’affaires saoudien d’origine palestinienne, est nommé administrateur. Il évoque, selon le procèsverbal, « les objectifs généraux de la société, la situation économique dans le monde arabe et les territoires occupés, ainsi que les obstacles rencontrés par les investisseurs. Il a souligné qu’il leur fallait créer des emplois pour éviter que l’économie palestinienne ne pâtisse de celle d’Israël ». En vingt ans, APIC est ainsi devenu un géant économique en Palestine. La société a des activités dans presque tous les domaines : l’alimentation, le matériel médical, la communication, les véhicules ou les centres commerciaux. Elle est même cotée depuis 2014 à la Bourse palestinienne. Son directeur général et président du conseil d’administration est Tarek Aggad, fils d’Omar Aggad. L’Autorité palestinienne, indirectement, y pèse lourd depuis 1994. Mahmoud Abbas a en effet pris par décret le contrôle d’un puissant fonds d’investissement, le Palestinian Investment Fund (PIF). « Ce décret présidentiel place le PIF plus directement sous le contrôle du cabinet du président, écrit Jake Walles, alors consul des Etats-Unis à Jérusalem, dans un câble de février 2006 dévoilé par WikiLeaks. Mahmoud Abbas, le 11 avril à Ramallah. THOMAS COEX/AFP Le portefeuille d’investissement de plus d’un milliard de dollars du PIF (…) est maintenant mieux contrôlé par le président Abbas grâce à un conseil d’administration qu’il a choisi, à l’exception des postes ministériels. » L’Autorité palestinienne n’a certes pas d’actions dans APIC, mais le PIF détient 18 % du capital de la société offshore. Des liens financiers et personnels Les liens entre APIC et l’Autorité palestinienne ne sont d’ailleurs pas seulement financiers. Mohammed Rashid, proche confident et gestionnaire financier de Yasser Arafat, était membre du conseil d’administration d’APIC et président du PIF. En 2012, un tribunal palestinien l’a jugé coupable par contumace du détournement de plusieurs millions de dollars – dont une partie volée au PIF. Or, en 2011, un nouveau membre a fait son entrée au conseil d’administration d’APIC : Tarek Abbas, l’un des fils du chef de l’Autorité palestinienne. Sa nomination était connue, mais les « Panama papers » révèlent qu’il détenait en juin 2013 pour 982 000 dollars d’actions dans la société des îles Vierges. Tarek Abbas est par ailleurs un homme d’affaires puissant. Il était déjà directeur général adjoint de l’agence de communication Sky, qui domine le marché publicitaire palestinien, lorsqu’APIC l’a rachetée en 1999 – il en est devenu le président du conseil d’administration, au nom d’APIC. Sky a signé en 2006 un contrat pour une campagne de communication visant à améliorer l’image des Etats-Unis dans les territoires occupés. Kareem Shehadeh, l’avocat de Tarek et de Yasser, les fils Abbas, a Le cabinet Mossack Fonseca n’a pas fait le lien entre Tarek Abbas et son père précisé à l’époque que laisser entendre que le choix de l’agence reposait sur ses liens avec la famille Abbas était « contraire à l’éthique, et sans fondement ». Le magazine Foreign Policy s’est interrogé à son tour en juin 2012 sur leur réussite. Il a relevé que Tarek avait des intérêts dans deux autres filiales d’APIC : il était directeur général adjoint de l’Arab Palestinian Shopping Centers Company, qui possède des centres commerciaux dans les territoires occupés, et membre du conseil d’administration d’Unipal General Trading Company, le principal distributeur des territoires, qui vend des produits alimentaires, des cigarettes, des cosmétiques… Mossack Fonseca est censé vérifier si les responsables des sociétés qu’il crée sont des « personnalités politiquement exposées », notamment au blanchiment d’argent, à l’évasion fiscale ou à la corruption. Mais le cabinet fiscal n’a pas fait le lien entre Tarek Abbas et son père. Il a pourtant repéré d’autres membres du conseil d’administration d’APIC. Tarek Aggad a ainsi été désigné comme « personnalité politiquement exposée » parce que membre du conseil d’administration du PIF. Mohammad Mustafa aussi, parce qu’il était à la fois ministre de l’économie, vice-premier ministre et directeur général du fonds d’investissement. Khaled Osseili, autre membre du conseil d’administration d’APIC, a été identifié car il avait été maire d’Hébron en 2007. Le cabinet panaméen a aussi relevé la présence de l’avocat israélien Durgham Maraee, représentant du PIF au conseil d’administration d’APIC. Il est également directeur général de Wataniya Mobile, l’un des deux principaux opérateurs de téléphonie de Palestine. Le PIF détient 34 % du capital de cette société. Alors que Wataniya s’apprêtait à entrer en Bourse, le consul américain Jake Walles écrivait en avril 2009 à son gouvernement que « l’interaction entre l’opérateur existant, le nouveau, l’Autorité palestinienne et le gouvernement israélien multiplie les risques de collusion et de duplicité ». Il ajoutait que le rôle de Mahmoud Abbas dans tout cela était « compliqué par le fait que le second opérateur de téléphonie mobile [Wataniya] est largement financé par le Fonds d’investissement palestinien et que son propre conseiller économique, Mohammad Mustafa, est à la fois président du PIF et directeur général de Wataniya Palestine ». D’ailleurs, « beaucoup de Palestiniens pensent que le fils [de Mahmoud Abbas], Yasser Abbas, a des intérêts financiers dans Wataniya », indiquait le consul. Le représentant des frères Abbas jure du contraire. « APIC est une société cotée en Palestine dont les actions sont échangées en Bourse quotidiennement, souligne Me Kareem Shehadeh. Elle fait l’objet d’une surveillance par le cabinet d’audit bien connu Deloitte, et des informations exhaustives et transparentes apparaissent dans son rapport annuel mis en ligne sur son site Internet. Les activités d’APIC sont contrôlées par le ministère du commerce et la Palestine Capital Market Authority », l’autorité boursière du pays. Le cabinet de Mahmoud Abbas n’a pas répondu à nos sollicitations. p uri blau et daniel dolev (« haaretz »), adaptation « le monde » A Malte, le gouvernement ébranlé CORRESPONDANCE Deux proches du premier ministre maltais sont cités dans les « Panama papers ». Une motion de censure déposée par l’opposition à l’encontre du gouvernement a été rejetée lundi Une lettre de Richard Attias L e gouvernement maltais est à son tour dans la tourmente après les révélations des « Panama papers » sur les clients du cabinet fiscal Mossack Fonseca. L’opposition de droite réclame depuis deux semaines la démission du premier ministre travailliste, Joseph Muscat. Jusqu’ici sans succès. Si M. Muscat n’apparaît pas lui-même dans les documents récupérés par la Süddeutsche Zeitung et analysés par plusieurs dizaines de médias, dont Le Monde, deux de ses proches y figurent. Il s’agit de son chef de cabinet, Keith Schembri, et du ministre de la santé et de l’énergie, Konrad Mizzi. Selon l’Australian Financial Review (AFR), les deux hommes ont créé en juin 2015, par l’intermédiaire de Mossack Fonseca, des fondations en Nouvelle-Zélande, propriétaires officielles de sociétés panaméennes, elles-mêmes censées ouvrir de discrets comptes bancaires dans des paradis fiscaux. En Nouvelle-Zélande, ces organismes ne sont soumis à aucune taxe, et leurs bénéficiaires peuvent garder l’anonymat. Soupçonneuses, plusieurs banques contactées par Mossack Fonseca ont cependant refusé d’ouvrir des comptes pour ces deux personnalités « exposées politiquement ». M. Mizzi s’est défendu d’avoir voulu utiliser ce montage complexe à des fins d’évasion fiscale. « La fondation ne détient pour l’instant aucun compte bancaire, elle a été créée à des fins de gestion d’actifs familiaux et d’héritage, a-t-il expliqué à l’AFR. La Nouvelle-Zélande est une démocratie parlementaire stable parmi les mieux gouvernées du monde. » M. Schembri a, lui, affirmé avoir opté pour une fondation néozélandaise uniquement à des « fins de gestion de patrimoine ». Mais, dans un nouvel article publié mercredi 13 avril, l’AFR contredit ces arguments : le journal publie le contenu d’un mail issu des « Panama papers » évoquant plutôt « des opérations » dans le secteur du « recyclage » et des « paris en ligne ». Ces explications n’ont visiblement pas suffi à convaincre l’opposition, qui reproche au premier ministre de protéger ses deux proches, au lieu de les sanctionner. Dimanche 10 avril, une manifestation organisée par le Parti nationaliste (centre droit) a réuni plusieurs milliers de personnes devant les bureaux de Joseph Muscat à La Valette. « Vous humiliez Malte, vous avez perdu l’autorité morale pour gouverner », a proclamé le leader de l’opposition, Simon Busuttil, devant des affiches proclamant « Dehors ! » Le parti nationaliste a par ailleurs déposé une motion de censure, mais elle a été rejetée au Parlement maltais lundi 18 avril par 38 voix contre 31. « Pas le meilleur choix » Face aux députés, M. Muscat a toutefois promis de commander un audit sur les sociétés de ses deux collaborateurs et de prendre des décisions en fonction. « Ne rien faire n’est pas une option », a-t-il assuré. Ouvrir une société à Panama « n’était pas le meilleur choix », a d’ailleurs convenu M. Mizzi, en assurant que tout était légal. Au sein du Parti travailliste, le ministre de l’éducation et un ancien premier ministre ont, entre autres, appelé à sa démission. Mais, pour l’instant, le choc est plus limité à Malte qu’en Islande, où le premier ministre a démissionné mardi 5 avril après avoir caché l’existence de sa société offshore basée dans les îles Vierges britanniques. Il faut dire que Malte a été longtemps accusée d’être elle-même un paradis fiscal, en raison de sa fiscalité très attractive. De son côté, le gouvernement néo-zélandais a annoncé, lundi 11 avril, qu’il avait nommé un expert pour examiner sa législation en matière de secret sur les détenteurs de fondation et l’adapter en fonction. C’est un brutal changement de position : le premier ministre, John Key, avait d’abord fermement contesté que son île puisse être un paradis fiscal après la publication des « Panama papers ». La Nouvelle-Zélande héberge pourtant 11 645 fondations détenues en toute discrétion par des étrangers. p jean-baptiste chastand A la suite de la publication le 12 avril de l’article intitulé « Panama papers : les affaires sans complexe de Richard Attias », nous avons reçu de l’homme d’affaires marocain le courrier suivant : « J’ai créé depuis 2009 plusieurs sociétés dans les régions du monde où mon groupe opère aujourd’hui : Dubaï pour le Moyen-Orient et l’Afrique de l’Est, Paris pour l’Europe, New York pour l’Amérique du Nord, Casablanca pour l’Afrique du Nord. Nous avons le projet d’ouvrir également des filiales en Amérique latine et en Asie pour compléter notre offre internationale. C’est dans cet esprit qu’il avait été envisagé en 2010 de développer notre activité dans la région des Caraïbes et en Amérique centrale. Une filiale avait donc été créée avec de nouveaux partenaires sous l’égide de l’avocat du groupe, à Dubaï. Ce dernier avait fait appel, comme je l’ai appris par les journalistes du Monde, au cabinet panaméen Mossack Fonseca pour les formalités d’immatriculation de cette filiale. Pour des raisons stratégiques, nous avons finalement renoncé à opérer dans cette région du monde et la filiale n’a jamais eu aucune activité. Elle a donc été dissoute en 2014. Mon épouse, Cécilia Attias, n’en a jamais été actionnaire. L’ensemble des sociétés du groupe paie ses impôts dans le parfait respect des législations des pays où elles sont enregistrées et respecte les normes des pays dans lesquels elles interviennent. Je précise enfin que contrairement à ce qui est affirmé dans l’article je ne suis pas franco-marocain. La nationalité marocaine est celle de ma naissance, et je n’ai jamais eu d’autre nationalité. Je ne réside pas non plus en France. En revanche, notre filiale européenne, qui a son siège social à Paris, s’acquitte de ses impôts en France. Je n’ai jamais mis en place de montages ayant pour objet de dissimuler frauduleusement mes avoirs ou ceux des sociétés du groupe aux administrations fiscales compétentes. » planète | 9 0123 MERCREDI 20 AVRIL 2016 L’ONU acte l’échec de la guerre contre les drogues La session extraordinaire de l’Assemblée générale des Nations unies privilégierait la prévention et les soins V a-t-on vers la fin de la guerre aux drogues ? La session extraordinaire de l’Assemblée générale des Nations unies, du 19 au 21 avril à New York, devrait marquer un tournant dans l’approche de la politique sur les stupéfiants. Dans le contexte d’un bilan de plus en plus critique du plan d’action 2009-2019 qui fait la part belle au tout-répressif, le projet de résolution, qui sera soumis au vote de l’Assemblée jeudi, présente des inflexions notables, en faisant plus de place au sanitaire et au social. Reste à savoir si ce document, non contraignant, demeurera à l’état de déclaration formelle ou sera mis en pratique par beaucoup des 193 Etats membres. Le projet de résolution, préparé en mars, fait référence à « une société exempte de tout abus de drogues », et non plus à un utopique « monde sans drogue ». Il accorde plus de place à la prévention et au soin, et défend des politiques et mesures judiciaires « proportionnées » ainsi que le recours à la naloxone, un antidote utilisé en cas de surdose aux opiacés. Enfin, il prône les « mesures visant à réduire au minimum les conséquences néfastes de l’abus de drogues sur la santé publique et la société », contorsion linguistique pour éviter l’expression de « réduction des risques » rejetée par la Russie. C’est un changement radical : dans le sillage de la « guerre à la drogue » préconisée au début des années 1970 par le président américain Richard Nixon, une précédente session extraordinaire de l’Assemblée générale, en 1998, avait adopté le slogan : « Un monde sans drogue : nous pouvons y arriver. » Résultat, les dé- penses pour lutter contre ce fléau sont actuellement évaluées à 1 000 milliards de dollars (883 milliards d’euros) par an à l’échelle mondiale, dont environ 50 milliards de dollars pour les Etats-Unis. Pourtant, le narcotrafic planétaire génère un chiffre d’affaires de 300 milliards de dollars – en deuxième position après celui des armes – et l’interdiction ne réussit pas à rendre les prix de l’offre prohibitif « But inatteignable » « Cette politique a échoué sur toute la ligne : beaucoup d’usagers de drogue ont été infectés par le VIH et les virus des hépatites, ont été emprisonnés ou soumis à la contrainte. Ni l’offre ni la demande n’ont été réduites. Dans beaucoup de pays, le gouvernement et la société civile ont compris que le slogan “Un monde sans drogue” n’est ni réaliste ni utile », juge Daniel Wolfe, directeur du programme international de réduction des risques de l’Open Society Foundations, un réseau de fondations créé par le milliardaire américain George Soros. Le rapport de 2014 « Mettre fin aux guerres contre la drogue » de la London School of Economics dressait, lui aussi, un bilan sans appel : « La stratégie mondiale dirigée par les Nations unies de parvenir à un “monde sans drogue” a échoué. Poursuivre ce but inatteignable s’est révélé dommageable pour la sécurité des hommes et le développement socio-économique. » De même, la Commission sur la santé mondiale accusait, dans la revue médicale The Lancet le 24 mars, la guerre à la drogue et les politiques de « tolérance zéro » d’avoir sapé la santé publique Au Vietnam, une affiche incite les toxicomanes à prendre un substitut aux opiacées, la méthadone, pour éviter les seringues usagées contaminées par le VIH. HOANG DINH NAM/AFP dans le monde et contribué à beaucoup des crises de santé publiques actuelles. Parmi les conséquences les plus visibles, la progression fulgurante de l’infection par le VIH en Russie, où la loi interdit les programmes de substitution aux opiacés – qui évitent l’injection – et où ceux permettant l’échange de seringues et d’aiguilles ne sont autorisés qu’au compte-gouttes. Le nombre officiel de personnes séropositives y est passé de 500 000 en 2010 à 907 000 à la fin 2014, sachant que près de 60 % des cas d’infection sont dus à l’injection de drogue dans des conditions non stériles. « Quelle autre politique publique, nationale et internationale, avec des indicateurs montrant qu’elle échoue depuis quarante ans, pourrait continuer à être prônée ? », s’étonne Nathalie Latour, déléguée générale de la Fédération addiction. La « politique des petits pas » de la France la position défendue par la France lors de la session extraordinaire de l’ONU consacrée au « problème mondial de la drogue » devrait être à l’image de la politique menée depuis 2012 : prudente et pragmatique. Danièle Jourdain-Menninger, la présidente de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca), a d’ailleurs coutume de dire qu’elle mène à ce poste une « politique des petits pas », hors de toute « idéologie ». Une ligne jugée parfois trop timorée par certains acteurs du monde associatif. A New York, Mme Jourdain-Menninger devrait défendre une « approche globale et équilibrée », reposant sur la prévention, la répression et le soin. Elle devrait mettre en avant les différentes expérimentations lancées ces dernières années en France. Parmi celles-ci, l’ouverture de deux salles de consommation à moindre risque (« salles de shoot ») à l’automne 2016 à Paris et à Strasbourg ou le lancement d’un projet pilote, en juin 2015, au tribunal de Bobigny (SeineSaint-Denis), afin de permettre à plus d’une quarantaine de délinquants toxicomanes ou alcooliques récidivistes de suivre un programme thérapeutique intensif au lieu de purger une peine de prison. Elle devrait par ailleurs expliquer comment le réseau des « consultations jeunes consommateurs », qui gère 540 points de consultation, cherche aujourd’hui à aller davantage à la rencontre des adolescents pour gagner en efficacité. Une loi inefficace Mais, si ces initiatives sont loin d’être négligeables, le « pragmatisme » de la France en la matière s’est jusqu’à présent arrêté au seuil de la législation de 1970 prohibant l’usage des stupéfiants, qui a pourtant fait la preuve de son inefficacité. Un jeune de 17 ans sur deux a déjà expérimenté le cannabis, et près d’un sur dix fume régulièrement des joints, selon les derniers chiffres de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies. « La consommation du cannabis, parce qu’elle a un impact sur la santé publique, doit rester un interdit », a rappelé le premier ministre, Manuel Valls, le 13 avril, après l’appel de Jean-Marie Le Guen, le secrétaire d’Etat aux relations avec le Parlement, à ce que « le Parti socialiste ouvre un débat sur la fin de la prohibition du cannabis ». Dans ce contexte, les réflexions menées discrètement ces derniers mois par la Mildeca avec les ministères de la santé, de la justice et de l’intérieur autour d’une contraventionnalisation du délit d’usage du cannabis – avec une amende d’un montant maximum de 450 euros – pourraient ne pas voir le jour d’ici à la fin du quinquennat. p françois béguin Certains pays expérimentent de nouvelles approches. En décembre 2013, l’Uruguay a été le premier Etat au monde à légaliser la production, la distribution et la consommation du cannabis dans le but d’en contrôler le marché et de le soustraire au crime organisé. Aux Etats-Unis, le Colorado et l’Etat de Washington ont mis en place une politique publique de régulation du marché du cannabis, tandis que le Vermont en débat. Le nouveau premier ministre canadien Justin Trudeau a promis la légalisation de cette substance et le président mexicain Enrique Peña Nieto a proposé un grand débat national. En Europe, le Portugal a décriminalisé l’usage du cannabis. Salles d’injection La Suisse a été pionnière, en 1986, en matière d’expérimentation de salles d’injection sous supervision médicale, permettant, en cas d’overdose aux opiacés, l’administration de la naloxone, outre l’accès à du matériel d’injection stérile. Une dizaine de pays européens disposent de tels sites et d’autres, dont la France et l’Irlande, ont avancé dans cette voie. Selon les ONG Harm Reduction International et HIV/AIDS Alliance, réorienter, d’ici à 2020, 7,5 % des dépenses visant au contrôle des drogues, vers les moyens de prévention de l’infection par le Le narcotrafic génère 300 milliards de dollars par an et l’interdiction ne réussit pas à rendre les prix de l’offre prohibitifs VIH chez les usagers de drogues injectables, permettrait de réduire de 94 % les nouvelles infections et de 93 % les morts. En mars, le rapport de l’Organe international de contrôle des stupéfiants, qui veille à la mise en œuvre des traités internationaux, invitait à « réexaminer les politiques et les pratiques ». La nouvelle résolution de l’ONU pèsera-t-elle réellement ? Pour Daniel Wolfe, cela dépendra de la manière dont les délégations nationales feront bouger les lignes : « La Suède, le Japon ou les Philippines, qui étaient jusqu’ici sur une ligne dure, ont évolué et pourraient le faire savoir, explique-t-il. Plus des pays, notamment européens, appuieront une politique favorisant la réduction des risques, plus des pays hésitants pourraient ne pas se cantonner à soutenir une politique mi-chèvre mi-chou. » p paul benkimoun En Chine, 493 élèves malades dans un lycée situé sur un terrain pollué Bronchites, lymphomes et leucémies se sont déclarés dans un établissement scolaire de Changzhou, construit sur un ancien site chimique D ans un pays où pollution et éducation comptent parmi les préoccupations majeures des familles, un sujet diffusé par la télévision publique chinoise, dimanche 17 avril, sème l’anxiété. Selon ce reportage de CCTV, 493 enfants sont malades sur les 620 qui ont subi un examen médical à l’école des langues étrangères de la ville de Changzhou, dans le très industriel delta du Yangzi. Plaques d’irritations, saignements de nez : on relève dans ce collège-lycée des cas de bronchite mais aussi de lymphome et de leucémie. Le site accueille 2 800 étudiants depuis son ouverture en septembre 2015. Par le passé, la zone était consacrée à l’un des piliers de l’économie de Changzhou, 160 km à l’ouest de Shanghaï : la chimie. En réalité, l’affaire qu’évoque la télévision centrale n’est pas inédite. A l’hiver 2015-2016, l’agence officielle Chine nouvelle faisait état d’une odeur pestilentielle provenant de l’autre côté de la rue. En particulier à partir de décembre, trois mois après l’inauguration du nouveau complexe d’enseignement secondaire, parents et enfants s’étaient alarmés de la multiplication des cas d’éruptions cutanées, d’irritations oculaires et de nausées. Les Chinois s’inquiètent particulièrement des pollutions de source chimique, dans des villes où un certain laxisme a longtemps régné, dans un contexte de course pour attirer les investissements. La lutte contre ce fléau est devenue un thème politique majeur. En mars 2014, le premier mi- Une enquête en 2013 a constaté des niveaux élevés d’hydrocarbures et de chlorure de benzyle nistre, Li Keqiang, déclarait une « guerre contre la pollution ». Signe de la crainte populaire, le hashtag « école contaminée » atteignait 43 millions de références sur Weibo, le Twitter chinois, mardi 19 avril au matin. En janvier, le site d’information Caixin, réputé pour ses enquêtes malgré la censure qui pèse sur la presse chinoise, citait un parent jugeant l’odeur insupportable même le temps de déposer les enfants le matin devant l’établissement incriminé : « Mais eux doivent rester à l’école et respirer cet air toxique toute la journée. C’est déchirant. » Lorsque les cours avaient repris en février après les congés du Nouvel An lunaire, certaines familles avaient hésité à y renvoyer leurs enfants, d’autres avaient cherché à les scolariser ailleurs, ce qui n’est pas évident en milieu d’année. Dès le 29 janvier, le ministère de l’environnement avait déterminé que l’odeur provenait du site industriel abandonné, un temps partagé par trois acteurs de la chimie dont Changlong, une branche du premier producteur chi- nois de pesticides, Noposion, qui avait ouvert là une usine en 2000 pour la fermer en 2010. Mi-février, Gao Yuefeng, le sous-directeur du bureau environnemental du district de Xinbei, où le site est implanté, avait expliqué à la presse locale qu’une enquête avait bien été conduite entre 2011 et 2013. Les autorités avaient relevé des niveaux d’hydrocarbures et de chlorure de benzyle élevés, mais M. Gao précisait que la contamination du sol n’était pas « grave », tandis que celle de l’air restait dans les normes nationales. Dissimulation de déchets Pourtant, d’après l’un des articles de Caixin, plusieurs ex-salariés de l’usine aujourd’hui à la retraite, dont un nommé Xu Lixiong, racontaient dès octobre 2015 au bureau de l’environnement que l’usine avait enterré des déchets toxiques avant de déménager. Un de ses anciens collègues avait expliqué que, entre 2008 et 2010 en particulier, l’entreprise avait fait disparaître à une dizaine de mètres sous terre une quantité indéterminée de ces déchets. L’administration locale s’était défendue contre ces accusations, soutenant avoir creusé à trente endroits et dépensé 1 million de yuans (136 000 euros) pour une investigation de quinze jours, sans rien découvrir de problématique. Mais pour M. Xu et les autres retraités lanceurs d’alerte, les officiels avaient en fait employé une carte inexacte. p harold thibault FRANCE Tafta : la négociation sur le point de capoter 10 | 0123 MERCREDI 20 AVRIL 2016 La France, de plus en plus sceptique, menace de ne pas ratifier le traité de libre-échange transatlantique L e traité de libre-échange transatlantique, connu sous le nom de TTIP ou Tafta, est-il déjà mort avant d’avoir vu le jour ? Alors que le treizième round de négociations entre Américains et Européens doit s’ouvrir lundi 25 avril, le scepticisme gagne du terrain à Bruxelles. A commencer par le camp français, qui envisagerait de mettre de son côté un terme aux discussions. « La France a fixé ses conditions, la France a dit que s’il n’y a pas de réciprocité, s’il n’y a pas de transparence, si pour les agriculteurs il y a un danger, si on n’a pas accès aux marchés publics et si, en revanche, les Etats-Unis peuvent avoir accès à tout ce que l’on fait ici, je ne l’accepterai pas », avait déjà expliqué François Hollande sur France 2 lors de l’émission « Dialogues citoyens », jeudi 14 avril. En coulisses, le chef de l’Etat est incité par Matthias Fekl, le secrétaire d’Etat au commerce extérieur, chargé du dossier, à prendre les devants sur la scène internationale. Le calcul politique est simple : Paris n’aurait rien à perdre à quitter des négociations qui ne lui sont pas favorables et tout à gagner sur le plan politique à dénoncer un accord de plus en plus impopulaire en Europe et en France. Mais tirer sur le TTIP ne requiert plus un courage politique considérable. La contestation monte dans plusieurs pays à propos de cet accord qui prévoit d’abaisser les barrières douanières des deux côtés de l’Atlantique, mais aussi de parvenir à une forme de convergence des réglementations et des standards dans l’industrie et les services. Aux Pays-Bas, un référendum pourrait être engagé sur le sujet. Barack Obama doit se rendre à Hanovre, dimanche 24 avril, pour rencontrer Angela Merkel. « Vu la tonalité de la campagne aux Etats-Unis, il est clair que, quel que soit son successeur à la Maison Blanche, les accords commerciaux ne seront pas la priorité, ils vont revenir à du protectionnisme, estime Alain Lamassoure, le patron des eurodéputés LR au Parlement. Ma crainte c’est que la fenêtre soit quasiment déjà refermée. » Aux Etats Unis, l’accord fait en effet polémique, une partie des démocrates (et des conservateurs populistes) dénonçant les risques de perte d’emploi. Jusqu’à fin 2015, la priorité de l’administration Obama était la conclusion d’un autre accord, le TPP (accord transpacifique, avec l’Asie). Et depuis début 2016, rien ne permet de penser que Washington a décidé de se consacrer enfin au TTIP. En février dernier, un des porteparole du président américain, Manifestation contre le traité de libre-échange transatlantique, à Paris, lundi 18 avril. FRANCOIS PAULETTO/CITIZENSIDE John Earnest, avait d’ailleurs mis les pieds dans le plat, confirmant presque l’évidence : l’accord a peu de chances d’être conclu en 2016. Position de fermeté La chancelière allemande pousse de son côté pour trouver une solution avant la fin du mandat du président américain. Angela Merkel, qui avait mis tout son poids politique dans la balance dès le début des négociations, en juillet 2013, joue gros, alors que l’opinion publique allemande est de plus en plus défavorable. Pour éviter un échec, elle serait prête à signer un accord symbolique, qui ne contiendrait rien, ni sur l’ouverture des marchés publics américains aux Européens, ni sur la reconnaissance des indications géographiques protégées. Une solution que veulent à tout prix éviter les Français, qui estiment que cela entérinerait la situation actuelle, favorable aux Américains. « L’accord n’a de sens que s’il y a une convergence réglementaire par le haut, s’il ne met pas en cause « Quel que soit le successeur d’Obama, les Américains vont revenir à du protectionnisme » ALAIN LAMASSOURE député européen LR nos propres régulations, et s’il y a une réelle ouverture du marché américain qui fait actuellement du protectionnisme déguisé », estime le secrétaire d’Etat aux affaires européennes, Harlem Désir. La commissaire Cecilia Malmström, chargée des négociations, a, elle aussi, laissé très clairement entendre qu’elle ne voudrait pas d’un accord au rabais. Depuis le début de l’année 2015, Matthias Fekl a adopté une position de fermeté sur le sujet. A l’époque, déjà, il s’exprimait contre les tribunaux d’arbitrage, cen- sés régler les conflits entre les multinationales et les Etats dans le cadre des accords de libreéchange, mais critiqués par la gauche radicale et les Verts européens pour leur opacité. Comme nombre d’eurodéputés, il réclamait des aménagements, des juges plus indépendants, la création d’une cour internationale de justice, une idée également portée par la Luxembourgeoise et ex-commissaire européenne Viviane Reding. M. Fekl avait aussi, dès sa prise de poste, en septembre 2014, réclamé un accès libre aux documents de négociation du TTIP, comme beaucoup d’eurodéputés, toutes familles politiques confondues. La France a fait du manque de transparence l’un de ses principaux griefs. Une soixantaine de parlementaires de gauche ont d’ailleurs signé une tribune dans Le Monde pour critiquer l’opacité des pourparlers et pour affirmer qu’ils ne laisseraient pas l’Union européenne « réduire le Parlement français au silence ». Un an plus tard, en septembre 2015, il mettait en garde : si les Américains ne prenaient pas davantage en compte les préoccupations françaises (respect des indications géographiques protégées, accès plus grand aux marchés publics outre-Atlantique), alors la France ne ratifierait pas le traité. Cynisme Dans l’entourage de François Hollande, les détracteurs du traité estiment que le chef de l’Etat, en dénonçant les négociations, pourrait envoyer un message fort de souveraineté, ainsi qu’un signal à une partie de la gauche assez opposée aux négociations. Le risque serait a contrario de fragiliser le couple franco-allemand, qui, en période de référendum sur la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne, a plus que jamais besoin d’être renforcé. Il y aurait aussi une forme de cynisme de la France à endosser une telle démarche, tant Paris est apparu pendant longtemps déconnecté des négociations. Avant Matthias Fekl, Fleur Pellerin, qui était chargée du dossier, avait brillé par son absence sur ce sujet pourtant très sensible dans les opinions publiques européennes, et aux implications économiques mais surtout géopolitiques considérables. François Hollande luimême a largement ignoré le sujet de longs mois durant. La Commission de Bruxelles (qui dispose d’un mandat de négociation au nom des 28 membres de l’Union) avait à plusieurs reprises discrètement fait savoir qu’elle regrettait ce manque d’implication – du chef de l’Etat français, mais aussi d’autres dirigeants européens –, expliquant ne pas avoir les moyens de faire, seule, campagne, pour un tel accord. Elle finira peut-être par regretter le silence de Paris. Car si la France venait enfin à mettre tout son poids dans la balance, ce pourrait être non pas pour sauver l’accord, mais pour lui porter le coup fatal. p nicolas chapuis et cécile ducourtieux (bruxelles, bureau européen) Matthias Fekl, un secrétaire d’Etat aux discrètes ambitions - CESSATIONS DE GARANTIE matthias fekl a la rondeur des vrais ambitieux, ceux qui ont le temps. Le secrétaire d’Etat au commerce extérieur, en première ligne sur la négociation du traité transatlantique de libre-échange (TTIP ou Tafta) ne faisait pas partie des plans du quinquennat. Mais à la faveur de la négligence fiscale de Thomas Thévenoud (qu’il a remplacé en septembre 2014) et d’une réelle habileté politique, il s’est frayé une place parmi les ministres qui comptent aux yeux de François Hollande. A 38 ans, il est de la même génération qu’Emmanuel Macron, Najat Vallaud-Belkacem ou Myriam El Khomri. Né d’un père allemand et d’une mère française, il a grandi à Berlin avant de rejoindre Paris, et bientôt l’Ecole normale supérieure, Sciences Po et l’ENA. Mais, contrairement à ses pairs qui ont sauté les étapes partisanes pour rejoindre le gouvernement, ce passionné de Cuba affiche en sus un parcours plus classique de socialiste : conseiller municipal à Marmande (Lot-et-Garonne) en 2008, conseiller régional de l’Aquitaine en 2010, premier secrétaire fédéral au PS et député à partir de 2012, puis finalement secrétaire d’Etat en 2014. Moins à l’aise devant les caméras A Bruxelles, il comprend vite l’intérêt qu’il peut tirer des négociations sur le traité transatlantique. « Dans chaque patelin en France, il y a au moins une personne qui a une accumulation de savoir militant sur le thème. S’il y a l’étincelle, ça peut devenir un sujet passionnel », estime son ami Gaël Brustier, chercheur en sciences politiques. Les députés européens, même de droite, lui font crédit de s’être saisi du sujet. « C’est un homme courageux, très intéressé par son sujet, avec des convictions, estime un élu LR, qui préfère rester anonyme. Le seul moment ou je l’ai senti un peu moins ferme c’était quand couraient les rumeurs sur sa possible nomination au Quai d’Orsay, en février. » Mais le poste est échu à Jean-Marc Ayrault. Manque de surface politique et déficit de notoriété ont eu raison des ambitions de M. Fekl. Devant les caméras, le jeune secrétaire d’Etat est moins à l’aise que M. Macron ou Mme Vallaud-Belkacem. Il est également plus prudent et, contrairement au premier, n’a par exemple pas fait publicité de son opposition à la déchéance de nationalité, lui qui est binational. Pour compenser, M. Fekl tente de se créer un réseau de chercheurs et de parlementaires. Avec un petit groupe de fidèles, cet ancien proche de Pierre Moscovici veut établir un corpus d’idées pour une refondation de la social-démocratie, entre gauche radicale tendance Nuit debout et social-libéralisme façon Macron. Il réfléchit notamment à un bouleversement des institutions avec remise en cause du doublon premier ministre-président de la République et réflexion sur le septennat non renouvelable. Il affirme qu’il mettra ses idées à disposition de M. Hollande en 2017. Mais, comme beaucoup au PS, il pense surtout à l’après et à la façon de jouer les premiers rôles dans la grande recomposition de la gauche qui s’annonce. p n. ch. LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRET D’APPLICATION N° 72-678 DU 20 JUILLET 1972 - ARTICLES 44 QBE FRANCE, sis Cœur Défense – Tour A – 110 esplanade du Général de Gaulle – 92931 LA DEFENSE CEDEX (RCS NANTERRE 414 108 708), succursale de QBE Insurance (Europe) Limited, Plantation Place dont le siège social est à 30 Fenchurch Street, London EC3M 3BD, fait savoir que, la garantie financière dont bénéficiait la : SARL VILLENEUVE IMMOBILIER 161 Grand Rue 34750 VILLENEUVE LES MAGUELONE - RCS: 482 023 256 depuis le 1er octobre 2005 pour ses activités de : GESTION IMMOBILIEREcessera de porter effet trois jours francs après publication du présent avis. Les créances éventuelles se rapportant à ces opérations devront être produites dans les trois mois de cette insertion à l’adresse de l’Établissement garant sis Cœur Défense – Tour A – 110 esplanade du Général de Gaulle – 92931 LA DEFENSE CEDEX Il est précisé qu’il s’agit de créances éventuelles et que le présent avis ne préjuge en rien du paiement ou du non-paiement des sommes dues et ne peut en aucune façon mettre en cause la solvabilité ou l’honorabilité de la SARL VILLENEUVE IMMOBILIER LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRET D’APPLICATION N° 72-678 DU 20 JUILLET 1972 - ARTICLES 44 QBE FRANCE, sis Cœur Défense – Tour A – 110 esplanade du Général de Gaulle – 92931 LA DEFENSE CEDEX (RCS NANTERRE 414 108 708), succursale de QBE Insurance (Europe) Limited, Plantation Place dont le siège social est à 30 Fenchurch Street, London EC3M 3BD, fait savoir que, la garantie financière dont bénéficiait la: SARL AGENCE DU FESTIVAL 2 Rond Point Duboys d’Angers 06400 CANNES RCS: 322 406 943 depuis le 1er janvier 2004 pour ses activités de : TRANSACTIONS SUR IMMEUBLES ET FONDS DE COMMERCE cessera de porter effet trois jours francs après publication du présent avis. Les créances éventuelles se rapportant à ces opérations devront être produites dans les trois mois de cette insertion à l’adresse de l’Établissement garant sis Cœur Défense – Tour A – 110 esplanade du Général de Gaulle – 92931 LA DEFENSE CEDEX Il est précisé qu’il s’agit de créances éventuelles et que le présent avis ne préjuge en rien du paiement ou du non-paiement des sommes dues et ne peut en aucune façon mettre en cause la solvabilité ou l’honorabilité de la SARL AGENCE DU FESTIVAL. france | 11 0123 MERCREDI 20 AVRIL 2016 Vers une simplification de l’accès aux minima sociaux Bruno Le Maire veut résister à la surenchère libérale à droite Un rapport du député PS Christophe Sirugue suggère la mise en place de mesures visant notamment à élargir le RSA aux jeunes de 18 ans Le député de l’Eure était l’invité, mardi, du Club de l’économie du « Monde » L U e gouvernement poursuit son offensive de charme sur le terrain du social. Après les annonces à destination de la jeunesse, liées au projet de loi de la ministre du travail, Myriam El Khomri, Manuel Valls a profité de la remise du rapport de Christophe Sirugue sur les minima sociaux, lundi 18 avril, pour annoncer qu’une partie des dispositions allaient être adoptées « très rapidement ». Rapporteur du projet de loi travail, le député socialiste de Saône-et-Loire a travaillé sur le sujet, à la demande de Matignon, depuis octobre 2015. Il propose de mettre en place une douzaine de mesures dès le 1er janvier 2017, destinées à simplifier l’accès aux droits pour les quatre millions de personnes qui bénéficient aujourd’hui des minima sociaux. L’objectif est à la fois de faciliter les démarches, de pouvoir mieux prévoir quel sera le montant des aides, de limiter le cumul de certaines d’entre elles, et de permet- tre aux adultes handicapés de continuer à toucher leur allocation après le départ à la retraite. Ce premier volet de la réforme, dont le coût est estimé à 150 millions d’euros, pourrait être étudié à l’automne, lors du débat sur le projet de loi de finances 2017. Dans un deuxième temps, le rapport préconise de repenser tout le système, en fusionnant les dix minima sociaux actuels en un seul socle commun qui s’adresserait à tous, dès l’âge de 18 ans. Le nouveau dispositif permettrait notamment de prendre en compte la précarité qui frappe les jeunes entre 18 et 25 ans, et de redonner une vigueur aux mécanismes d’insertion dans le marché du travail. Réforme complexe et coûteuse Ce chantier, d’une ampleur considérable, ne pourra pas être lancé avant la fin du quinquennat. Outre la complexité d’une telle réforme, son coût, difficile à estimer, serait également un Ce que contient cette « couverture socle commune » Le député PS Christophe Sirugue propose, dans son rapport sur les minima sociaux, de créer un revenu minimum d’existence dès l’âge de 18 ans construit en deux niveaux. A la base, la « couverture socle commune », d’un montant de 400 euros par mois, serait ouverte à toute personne se situant au-dessous d’un certain seuil de revenus. A cette somme pourraient s’ajouter deux dispositifs. Soit un « complément d’insertion » pour tous les bénéficiaires âgés de 18 à 65 ans. Celui-ci « pourrait atteindre 100 euros par mois » et serait financé par les départements. Soit un « complément de soutien » pour les personnes âgées ou en situation de handicap, qui pourrait atteindre 407,65 euros, financé par l’Etat. Dans ce « scénario ambitieux », qui « mettra du temps à se réaliser », précise Christophe Sirugue, la « couverture socle commune » remplacerait les dix minima dont bénéficient actuellement quatre millions d’allocataires. « Il vaut mieux donner du boulot à des jeunes plutôt qu’une une allocation d’assistance. C’est plutôt cela ma façon d’essayer d’agir » MARTINE AUBRY maire de Lille frein. M. Valls a d’ailleurs demandé aux ministres concernés – Marisol Touraine (santé), JeanMichel Baylet (collectivités territoriales) et Christian Eckert (budget) – de chiffrer le tout. « Le premier ministre veut endosser résolument une politique active de solidarité pour lutter contre la précarité », expliquet-on à Matignon, où l’on souligne que le gouvernement avait déjà fait un premier pas en élargissant la prime d’activité aux étudiants qui travaillent et aux apprentis qui touchent moins de 0,8 fois le smic. Alors que la majorité est en proie à une forte contestation sur son projet de réforme du droit du travail de la part de sa gauche, les mesures pourraient permettre d’adoucir un peu le climat social, notamment avec les organisations de jeunesse. « Sur l’essentiel des mesures, l’échéance n’est pas pour demain, on n’est pas là pour donner d’illusions aux jeunes », prévient cependant l’entourage de M. Valls. William Martinet, le Denis Baupin, député de Paris, quitte Europe Ecologie-Les Verts A près vingt-sept ans chez les Verts puis à Europe Ecologie-Les Verts (EELV), Denis Baupin a choisi de rendre sa carte. « J’ai décidé de ne pas renouveler ma cotisation et donc de démissionner », a annoncé, lundi 18 avril, le député de Paris dans une lettre adressée à David Cormand, le secrétaire national par intérim de la formation, et publiée sur Facebook. En désaccord avec « les choix stratégiques » du mouvement, l’ancien bras droit de Dominique Voynet rejoint ainsi une longue liste de parlementaires qui ont quitté EELV ces derniers mois. Jean-Vincent Placé et Barbara Pompili, désormais secrétaires d’Etat à la simplification de l’Etat et à la biodiversité, François de Rugy, coprésident du groupe écologiste à l’Assemblée nationale, Pascal Durand, ex-secrétaire national, l’ont précédé. Sans oublier Emmanuelle Cosse, l’ancienne patronne d’EELV, qui a rejoint le gouvernement contre l’avis de sa formation. « Même si je peux partager une partie des analyses (sur la situation politique, le rapport des écologistes au pouvoir…), mon intuition personnelle ne me conduit pas aux mêmes conclusions sur ce qui est le plus efficace pour faire progresser concrètement l’écologie », ajoute celui qui est aussi vice-président de l’Assemblée nationale. Entré chez les Verts en 1989, M. Baupin s’était fait connaître comme adjoint aux transports, puis au développement durable de l’ancien maire de Paris, Bertrand Delanoë, avant de rejoindre l’Assemblée nationale en 2012. Partisan de l’aile réformiste du groupe écologiste au Palais-Bourbon, l’élu parisien était le dernier, avec Eric Alauzet, député du Doubs, à être encore adhérent chez EELV chez les progouvernement. En 2015, le député de Paris s’était particulièrement impliqué lors de la loi sur la transition énergétique de Ségolène Royal dont il avait salué la qualité. Mais il avait aussi pris des positions qui avaient déplu en interne : son choix de voter la loi renseignement, comme celui d’approuver la réforme constitutionnelle, lui a créé de sérieuses difficultés. Mais c’est surtout le départ d’Emmanuelle Cosse – son épouse – qui avait rendu sa position très inconfortable. M. Baupin avait d’ailleurs commencé à préparer sa sortie. Le 9 avril, il avait mis sur pied, au côté de Mme Cosse, un club de réflexion avec pour objectif de permettre aux organisations politiques écologistes d’être « en capacité de peser, et non de régresser ». Le 13 avril, il était également avec Jean-Christophe CamLE DÉPART D’EELV badélis, le premier secrétaire du PS, pour le lanceDE SON ÉPOUSE, ment de la Belle Alliance EMMANUELLE populaire, agrégat de socialistes, écologistes et raCOSSE, AVAIT dicaux de gauche. A EELV, pas sûr que beauRENDU LA POSIcoup regrettent son départ. TION DE DENIS « C’est la queue de comète des départs perlés qui se BAUPIN TRÈS font toujours à des moments très opportuns », a INCONFORTABLE réagi M. Cormand. Ce dernier relie cette annonce à la législative partielle qui s’est tenue dimanche en Loire-Atlantique. Arrivé en troisième position derrière le PS et la droite, le candidat EELV, qui a obtenu 17,05 % des voix, n’a pas donné de consigne de vote pour le second tour. Ce départ reste une mauvaise nouvelle pour EELV, une formation très affaiblie ces derniers mois et dont les comptes sont dans le rouge. Non content de perdre un de ses meilleurs spécialistes sur les questions énergétiques, le parti voit également filer une source de financement. « Ça devrait nous faire réfléchir, regrette Jean Desessard, sénateur de Paris. Nous sommes incapables de garder la diversité que l’on prône par ailleurs. » p raphaëlle besse desmoulières président de l’UNEF, le principal syndicat étudiant, salue l’initiative mais appelle le gouvernement à aller plus loin : « Le problème est beaucoup plus large : nous avons un système de protection sociale très discriminant pour les jeunes. » « Signal désastreux » A Matignon, on se félicite en revanche de réintroduire un peu de clivage dans le débat politique, entre « une gauche fidèle à la solidarité » et « une droite qui, dès qu’on s’attaque à la précarité, dénonce l’assistanat ». Les proches du premier ministre ont ainsi noté avec satisfaction que Martine Aubry, souvent opposée à M. Valls, avait plutôt réagi positivement au rapport Sirugue, tout en restant réservée sur l’extension du RSA aux moins de 25 ans. « Il vaut mieux donner un boulot à des jeunes plutôt que leur donner une allocation d’assistance, (…) c’est plutôt cela ma façon d’essayer d’agir », a déclaré la maire de Lille en marge d’une conférence de presse, estimant néanmoins que la mesure pouvait se justifier « avec un tel chômage ». Les responsables du parti Les Républicains sont, eux, montés au créneau pour dénoncer une promesse électorale. « Outre le signal désastreux que cela enverrait à notre jeunesse confinée dans l’assistanat (…), Les Républicains dénoncent cette mesure parfaitement électoraliste, symptomatique d’un pouvoir à l’agonie qui cherche à s’affilier une clientèle », a réagi dans un communiqué Valérie Debord, porte-parole du parti. p nicolas chapuis ltralibéral, Bruno Le Maire ? En ascension dans les sondages, le candidat à la primaire de la droite s’en défend. Il prend même soin de se démarquer, sur la question des finances publiques, de Nicolas Sarkozy et de François Fillon. « Je suis circonspect sur l’idée de choc, de thérapie », a déclaré, mardi 19 avril, le député de l’Eure, invité du Club de l’économie du Monde : « Il y a une surenchère à droite sur le thème : “plus libéral que moi tu meurs.” » Alors que M. Fillon veut ramener les comptes publics à l’équilibre à l’horizon 2022, M. Le Maire veut se donner du temps : il condamne « la réduction du déficit à marche forcée », souligne que les réformes, dans un premier temps, « peuvent coûter », insiste sur le fait que « ce n’est pas nécessaire aux yeux de nos partenaires » européens, pourvu que des « réformes en profondeur » soient engagées dès le début du quinquennat. Et d’égrener celles qu’il prendra par ordonnances, s’il est élu, « sans négociation avec les syndicats », précise-t-il : « La réforme de l’Etat, celle du marché du travail ou encore la dégressivité des allocations chômage. » M. Le Maire juge « anxiogène » la thématique de la sueur et des larmes développée par M. Fillon. Il ne croit pas davantage au « choc fiscal » défendu par M. Sarkozy qui prévoit, en cas de victoire, de baisser à la fois l’impôt sur les entreprises et sur le revenu. « Mon choix est de relancer la croissance avec une fiscalité favorable à l’investissement, pas de redistribuer la richesse qu’on n’a pas encore créée », dit-il. Sur la réduction des dépenses publiques, même démarquage. Alors que MM. Fillon et Sarkozy évoquent 120 à 130 milliards d’euros de coupes, lui ne donne aucun chiffre, mais prévoit de « réinvestir massivement » dans la justice et de consacrer plusieurs dizaines de milliards d’euros supplémentaires à la défense en dix ans. Dix ans est son cap. Un double quinquennat qui tranche avec l’horizon borné de M. Juppé, contraint par ses 70 ans. M. Le Maire exploite autant qu’il peut sa quarantaine pour déployer le temps et tenter de déstresser le pays : « On part d’une situation tendue, mon objectif est que le pays retrouve sa fierté, ait confiance en lui et soit capable de créer de la richesse. » « Facteurs de blocage » Moqué par ses concurrents pour vouloir incarner coûte que coûte « le renouveau », M. Le Maire affûte ses arguments : « Le renouveau, c’est une méthode pour accompagner la transformation radicale » du pays. Il dit avoir « identifié trois facteurs de blocage » qu’il veut faire sauter en début de mandat, d’abord en organisant un référendum visant à « transformer la classe politique ». Ensuite en abrogeant la loi de 2007 « qui oblige les pouvoirs publics à négocier avec les syndicats les dispositions relatives au marché du travail ». Enfin, en donnant les moyens au politique de « reprendre la main » sur l’administration. « Il faut changer une trentaine de directeurs d’administration centrale et créer un cabinet commun entre l’Elysée et Matignon », affirme celui pour qui ce ne sont pas les institutions qui sont malades mais « la gouvernance ». p françoise fressoz Bronca contre le PS à l’ouverture du congrès de la CGT Dans son discours, Philippe Martinez s’en est pris au gouvernement marseille - envoyé spécial P hilippe Martinez n’a pas eu droit à une standing ovation. Le secrétaire général de la CGT n’est pas un tribun en quête d’effets oratoires. A la fin de son intervention de plus d’une heure pour l’ouverture du 51e congrès de sa centrale, lundi 18 avril à Marseille, les 980 délégués l’ont applaudi mais sont restés assis. Illustrant le slogan du congrès, « Pour mon avenir, c’est tous ensemble », M. Martinez a tenu un discours de combat, exaltant « le syndicalisme de classe et de masse ». Il est parvenu à galvaniser ses troupes dans sa dénonciation de la loi El Khomri dont la CGT demandera de nouveau le retrait lors de ses prochaines mobilisations du 28 avril et du 1er mai. « Hollande et Valls, a-t-il lancé, nous proposent un retour au XIXe siècle. Sarkozy en rêvait, Hollande veut le faire. » M. Martinez a surtout décerné plusieurs cartons rouges à François Hollande, sans que l’évocation du nom du président ne suscite de réactions. « Fini le temps des promesses du candidat Hollande, a-t-il martelé, qui voulait s’attaquer au monde de la finance et aux inégalités ; qui voulait que le quinquennat soit celui de la lutte contre le chômage et placé sous le signe de la jeunesse. (…) Le gouvernement actuel prolonge et amplifie ce que faisait celui de Nicolas Sarkozy. » Evoquant les aides aux entreprises, il a manié l’ironie et la mise en garde : « Tout le monde est en mesure d’apprécier leur efficacité dans la lutte contre le chômage. Nous exigerons leur remboursement si elles n’ont pas servi à favoriser l’emploi. » Il a aussi dénoncé les déclarations « belliqueuses » du chef de l’Etat : « François Hollande se présente en chef de guerre, en espérant ainsi redorer son blason sur le plan national, en reprenant le flambeau de Bush père et fils, de Poutine et de Nétanyahou. » Cazeneuve écrit à Martinez Une affiche de la CGT dénonçant les violences policières a provoqué, lundi 18 avril, la colère du ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve. Le syndicat Info’com de la CGT (salariés de l’information et de la communication) a publié le 16 avril sur son site Internet une affiche montrant une matraque et un insigne de CRS, près d’une flaque de sang, titrée : « La police doit protéger les citoyens et non les frapper. » Ce visuel met « gravement en cause la police nationale », a jugé lundi soir M. Cazeneuve dans une lettre ouverte au secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, dénonçant une campagne « choquante ». Le patron de la CGT a également pris pour cible la CFDT, bien placée pour se hisser à la première place dans le paysage syndical en 2017. La CGT, a-t-il affirmé, « entend bien rester » la première. Soulignant que la centrale ne pouvait pas « se cantonner à la seule contestation », il a observé : « Nous sommes modernes parce que notre conception de la réforme, c’est le progrès social et non l’accompagnement du capital. » Au passage, il a égratigné le « syndicalisme rassemblé » cher à Louis Viannet et Bernard Thibault, présents au congrès, en estimant que cela avait été « une erreur de favoriser [les] relations avec la CFDT » lorsqu’en 2008 les deux centrales se sont entendues pour réformer la représentativité syndicale. Les sifflets ont ensuite succédé aux cartons rouges. Lorsque la présence de Thierry Lepaon a été mentionnée, l’ancien secrétaire général contraint à la démission, en janvier 2015, à la suite d’affaires mettant en cause son train de vie, a été copieusement hué. « C’était chaleureux », a-t-il commenté… Le représentant de la CFDT, Philippe Antoine, a été sifflé. Mais c’est l’envoyé du PS, Jean Grosset, ancien syndicaliste et conseiller social de Jean-Christophe Cambadélis, qui a fait exploser l’applaudimètre, provoquant une longue bronca de huées et de sifflets. Jean-Luc Mélenchon a été, en revanche, applaudi. Mais avec modération. p michel noblecourt 12 | france 0123 MERCREDI 20 AVRIL 2016 L’hôpital de Calais, sous-traitant du NHS anglais Un partenariat a été signé avec la sécurité sociale britannique qui fait face à de longues listes d’attente L undi 18 avril, le téléphone du centre hospitalier de Calais sonne et résonne. De l’autre côté de la Manche, on veut tout savoir sur cette première qui s’est déroulée vendredi 15 avril, découverte dans les médias : un patient britannique opéré en France, mais dans le cadre du système de santé anglais. Timothy Brierley, qui habite Lyminge, un village à une quinzaine de kilomètres de Douvres, est venu à Calais se faire opérer de la vésicule biliaire. Hormis les frais de transport, le Britannique n’a rien dû débourser pour son opération. Tout était pris en charge par le National Health Service (NHS), l’équivalent britannique de la Sécurité sociale. Un personnel fraîchement formé à l’anglais, une chambre simple avec douche et WC, la possibilité qu’un accompagnant dorme sur place. M. Brierley n’a pas hésité un instant. L’opération s’est bien passée. « Il va bien, fait-on savoir à l’hôpital. Et au lieu d’attendre dix-huit semaines en Angleterre, ici, en trois semaines, c’était plié. » Réduire l’attente de l’opération était sa principale motivation : « Je travaille depuis trente ans, je paie pour le NHS, je ne l’ai jamais utilisé auparavant, et on me dit qu’il n’y a rien de disponible avant juillet, a-t-il expliqué au Guardian. J’ai décidé de trouver une autre solution. » C’est ainsi qu’il a découvert que deux accords franco-britanniques venaient d’être signés entre le NHS et le centre hospitalier de Calais, d’une part, l’Institut Calot de Berck-sur-Mer, d’autre part, spécialisé dans les pathologies orthopédiques et les affections neurologiques. Les deux sont devenus des sous-traitants à part entière du système de santé britannique, facturant les opérations au même prix qu’au Royaume-Uni. L’hôpital de Calais a été partiellement reconstruit en 2012 et les ca- Mais les relations n’avaient jamais été pérennisées. Et les gros investissements effectués dans le NHS dans les années 2000 par le gouvernement Blair avaient réduit la pression. Jusqu’à l’austérité ces dernières années. « On a bouclé la boucle », constate M. Bolton. Timothy Brierley, un patient britannique opéré à Calais, avec son chirurgien, à l’hôpital de Calais, le 14 avril. CH CALAIS pacités d’accueil ont été surdimensionnées en prévision d’une augmentation de la population. Pour le centre hospitalier, il s’agit d’une nouvelle source de revenus. Objectif : 400 patients annuels d’ici trois ans. Le phénomène reste limité : sur un budget de 155 millions d’euros, il s’agit de faire 1 million d’euros de chiffre d’affaires supplémentaire par an. « Nous voulons développer la chirurgie programmée, précise le directeur général, Martin Trelcat. Loin de moi l’idée de faire concurrence aux hôpitaux britanniques ou d’avoir des bus entiers de patients britanniques. » L’affaire illustre la crise que traverse le NHS. En ces temps d’austé- Sélection en master : la polémique se poursuit Le Conseil de l’enseignement supérieur s’est prononcé contre le décret pris par le ministère L e Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (Cneser), dont l’avis est consultatif, a montré un véritable embarras sur le projet de décret sur la sélection en master dont il était saisi, lundi 18 avril. Le texte, qui vise à « régulariser » la sélection entre la première et la deuxième année de master (dites M1 et M2), a reçu seulement 19 votes favorables contre 27 contre, et… 29 abstentions. Malgré ce résultat, il sera mis en œuvre « afin de sécuriser la prochaine rentrée universitaire », a annoncé le ministère de l’éducation nationale dans un communiqué : 42 % des formations de master, dont la liste est annexée au décret, sont officiellement autorisées à continuer à sélectionner, ce qu’elles faisaient jusque-là sans fondement légal. Le débat, polémique, a longtemps été mis sous le tapis. Mercredi 10 février, le Conseil d’Etat avait cependant mis le gouvernement au pied du mur en rappelant qu’en vertu de l’article L. 612-6 du code de l’éducation « aucune sélection ne peut être mise en place » en première ou en deuxième année de master si la formation en question ne figure pas sur « une liste limitative établie par décret ». Cette jurisprudence donnait raison à l’avocat Florent Verdier, initiateur de plusieurs dizaines de recours devant les tribunaux administratifs. Et obligeait le gouverne- ment, pressé par les présidents d’université, à se positionner sur un sujet évité par les pouvoirs publics… depuis la création du diplôme de master en 1999 et l’adoption en 2002 du système universitaire en trois cycles : licence (bac + 3), master (bac + 5) et doctorat (bac + 8) (LMD), dans le cadre du « processus de Bologne » d’harmonisation européenne qui permet des équivalences et des reconnaissances mutuelles dans 41 pays. Concertation de quatre mois Pour autant, dit aujourd’hui Me Verdier, « rien n’est réglé » car la sélection dont il est question est entachée selon lui de nombreuses failles. La plus essentielle : « Sélectionner entre le M1 et le M2 va à l’encontre du principe du cycle inscrit dans l’article 612-1 du code de l’éducation », que l’avocat avait déjà invoqué pour faire annuler des refus d’inscription en deuxième année de master. C’est donc la question de l’unicité du master en quatre semestres – et de l’accès en master après la licence – qui sera au centre de la concertation de quatre mois que le gouvernement a lancée parallèlement « afin d’aboutir à une situation pérenne ». Rendez-vous à la rentrée 2017 pour savoir si les universités françaises passent véritablement au système européen en trois cycles : licence, master et doctorat. p adrien de tricornot Objectif : 400 patients annuels d’ici à trois ans et un million d’euros de chiffre d’affaires par an rité, le budget britannique de la santé peine à répondre à la demande croissante due notamment au vieillissement de la population. Si la qualité des soins n’est pas en cause, les listes d’attente en FAI TS D I VERS L’évêque d’Orléans révèle une affaire de pédophilie dans le Loiret Mgr Jacques Blaquart, évêque d’Orléans, a retiré ses derniers ministères à un prêtre de la ville, mis en examen en 2012 pour des faits de nature pédophile, a-t-il expliqué lors d’une conférence de presse, lundi 18 avril. Les faits remonteraient à 1993 selon l’évêque contacté par une victime en 2011. « J’ai aussitôt saisi le procureur, a précisé Mgr Blaquart. L’enquête est en cours et aurait mis en évidence huit ou neuf cas d’attouchements sur mineurs. » – (AFP.) Un chirurgien poursuivi à Bourges pour homicide involontaire Une enquête préliminaire pour homicide involontaire a été ouverte par le parquet de Bourges (Cher), à la suite du décès d’un retraité lors d’une intervention bénigne à la prostate pratiquée, selon sa famille, par un chirurgien aux méthodes brutales. Le patient de 60 ans était entré au bloc opératoire du centre hospitalier de Bourges, le 14 janvier, pour une intervention sous anesthésie locale. Il était décédé d’un arrêt cardiaque, après hémorragie. – (AFP.) Mort d’un détenu dans l’incendie de sa cellule à Poissy Un détenu de 57 ans, incarcéré à la maison centrale de Poissy (Yvelines), est mort dans l’incendie qui s’est déclaré dans sa cellule, dimanche 17 avril au soir. Cinq autres personnes ont été intoxiquées. – (AFP.) revanche s’allongent dangereusement. Le NHS s’impose comme objectif un temps d’attente maximal de dix-huit semaines pour les opérations : en février, 8 % des patients, soit 260 000 personnes, avaient dépassé ce délai dans l’ensemble de l’Angleterre. C’est une hausse de 30 % par rapport à 2015. Les attentes supérieures à un an, qui avaient presque disparu, reviennent : près de 700 patients sont actuellement dans ce cas. « Envoyer les gens à Calais n’est qu’un cautère sur une jambe de bois, s’agace Simon Bolton, représentant d’Unison, un syndicat de la fonction publique. Pour les habitants du Kent, la question ne de- vrait pas être de choisir entre aller à Londres ou à Calais comme c’était le cas pour ce patient, mais pourquoi les deux principaux hôpitaux près de chez eux sont débordés pour les recevoir. » Sous-traiter à des hôpitaux de l’autre côté de la Manche n’est pourtant pas une nouveauté. Au début des années 1990, après des années de sous-investissement, le NHS souffrait déjà de très longues listes d’attente. Juste avant les élections législatives de 1992, quand John Major cherchait à se faire réélire premier ministre, la question était devenue brûlante. Un budget ad hoc avait été trouvé pour envoyer quelques patients en France. Redorer le blason de la ville Cette fois-ci, le contrat de soustraitance avec les établissements français n’est pas temporaire. Après deux ans de tractations, l’hôpital de Calais a obtenu l’accord de référencement auprès du NHS fin janvier. Ce document lui permet d’être considéré comme un hôpital britannique à part entière, son cahier des charges étant identique à celui des hôpitaux britanniques. « Pour accueillir une patientèle anglaise, rien ne nous obligeait à lancer cette procédure avec le NHS, explique M. Trelcat. Mais cela nous permet de rentrer dans le système de contractualisation du NHS. » Une messagerie sécurisée et cryptée les relie directement au NHS et aux dossiers médicaux des patients. De quoi attirer la patientèle anglaise mais aussi redorer le blason de la ville. « C’est très intéressant pour l’image de Calais écornée par la grève de My Ferry Link et le dossier des migrants, remarque Thaddée Segard, directeur de Frenchdeals, l’entreprise de relations transmanche mandatée par l’hôpital de Calais pour ce partenariat avec le NHS. Il y a eu un “Calais bashing” qu’on est en train de renverser. » Le directeur de l’hôpital confirme : après avoir pris en charge de nombreux migrants en 2015 (environ 5 % des séjours), notamment au service orthopédique, il a constaté une relative désaffection de la patientèle habituelle qui ne souhaitait pas être en contact direct avec les réfugiés. p éric albert (à londres) et laurie moniez (à lille) A Nuit debout, le casse-tête des opinions divergentes L’altercation avec Alain Finkielkraut a mis en lumière des tensions D eux jours après avoir été chassé de la place de la République par un groupe de personnes présentes à Nuit debout, Alain Finkielkraut écrit, dans une tribune parue dans Le Figaro, mardi 19 avril : « Certains participants sont, j’en suis sûr, désolés de ma petite mésaventure. Mais le fait est là : on est entre soi à Nuit debout. Sur cette prétendue agora, on célèbre l’autre, mais on proscrit l’altérité. Le même discute fiévreusement avec le même. » Dans sa « réponse à ceux qui m’ont expulsé », l’académicien ajoute : « Tout le monde s’en fout de Nuit debout. Tout le monde, sauf les médias qui cherchent éperdument dans ce rendez-vous quotidien un renouveau de la politique et lui accordent une importance démesurée. » Les participants dénoncent l’agitation médiatique autour de la « mésaventure » du philosophe, dont les images ont montré l’altercation avec les manifestants. Mais le mouvement se retrouve de fait en tension entre sa vocation d’ouverture et son identité politique marquée à gauche, qui rend certaines opinions malvenues. Il s’était pourtant donné une règle : n’importe qui peut s’exprimer, mais les propos racistes, sexistes et homophobes ne sont pas tolérés. Ceux violents « contre la mondialisation ou contre les banques » sont en revanche acceptés, reconnaît le « pôle modération ». Le mouvement est tiraillé entre sa vocation d’ouverture et son identité politique marquée à gauche Le « pôle sérénité » se charge de faire respecter cette règle, « toujours dans la médiation », explique Camille (le prénom a été modifié). « Tous les gens qui ne sont pas d’accord peuvent le dire, jusqu’au stade de la provocation. » Exemple ? « Un type s’est mis devant le stand propalestinien en criant des insultes. » L’individu est pris à part, on lui réexplique les règles. « Parfois, ça prend cinq minutes, parfois une heure. Au bout d’un moment, ceux qui ne veulent pas être dans le dialogue finissent par partir. » Un autre soir, quelqu’un vient « avec une sono, en se présentant comme électeur FN ». Le « pôle sérénité » le laisse causer, un petit groupe se forme. « On lui a juste demandé d’éteindre sa sono à un moment, parce que l’AG allait commencer. » La situation se complique lorsque quelqu’un exprime des opinions divergentes pendant l’AG, où le temps est chronométré et les réponses différées, à moins de pré- senter une « opposition radicale » (il faut alors mettre les bras en croix). Lundi soir, un jeune homme se lève pour accuser les « commissions » de ne pas tenir compte des opinions de « l’assemblée souveraine ». Alors qu’il s’époumone, il est mis sur le côté, calmé, puis invité à s’inscrire sur la liste d’attente. « Vous êtes des bureaucrates ! Vous êtes tout ce qu’on voulait éviter ! », lâche-t-il. Nuit debout met un soin particulier à faire respecter ses « outils démocratiques ». Même si les « tours de paroles » peuvent agacer, car certaines opinions n’attendent pas. Ces « règles du jeu », destinées à pacifier le débat, ne protègent pas toujours les orateurs contre les réactions immédiates. Le pôle modération se félicite que les discussions « s’autorégulent » grâce aux réactions de l’assemblée. « Quand quelqu’un dit quelque chose de déplacé, il le sent très vite. » Mais justement, comment aller au bout de son idée, qui pourrait, après tout, avoir droit de cité, devant une assemblée qui manifeste son désaccord ? Interdiction d’arracher le micro des mains d’un autre, de couper la parole, d’intimer à un autre participant l’ordre de se taire. Mais les forêts de bras en croix, et même parfois les huées, peuvent avoir raison des meilleures intentions pour garantir la libre expression de tous. p violaine morin enquête | 13 0123 MERCREDI 20 AVRIL 2016 JEAN-MANUEL DUVIVIER maud dugrand saillans (drôme) et veynes (hautes-alpes) - envoyée spéciale T ristan Rechid va droit au but : « Il fallait cesser de parler de démocratie participative, il fallait la faire. » Depuis sa victoire de mars 2014 aux élections municipales, la liste Autrement pour Saillans… tous ensemble, dont il a été l’un des initiateurs, suscite la curiosité de ceux qui veulent « faire ». Faire comme ce village drômois de 1 200 habitants, au sud du Vercors, nouveau champion de la « démocratie participative » appliquée. Directeur d’un centre social à Die, Tristan Rechid est devenu en quelque sorte l’ambassadeur de Saillans. Ce 19 mars, il est en mission à Veynes, un bourg de 3 150 habitants situé à quelque 100 kilomètres du village, dans la vallée du Petit-Buëch (Hautes-Alpes). Une centaine de personnes sont venues pour l’écouter, comme un conteur à la veillée, et pour débattre. L’orateur rappelle l’esprit qui a donné naissance à l’expérience saillansonne : « Personne ne sait mieux que vous ce dont vous avez besoin au village, dans votre quartier. L’élu vous représente, il ne pense pas à votre place. » Un participant s’étonne : « Ce n’est pas possible. Vous n’aviez élaboré aucun programme pour l’emporter ? » Voilà qui ne manque pas de surprendre les citoyens curieux de l’expérience drômoise que Tristan Rechid a rencontrés depuis l’été 2015. L’histoire singulière de la « municipalité participative » de Saillans a commencé en 2013 par une âpre bataille contre la volonté du maire MoDem d’alors, François Pégon, d’implanter un supermarché Casino à un gros kilomètre du centre du bourg, pourtant bien doté en petits commerces. Manifestations avec poussettes et chariots, pétition rassemblant 800 signatures : l’enseigne de grande distribution jette l’éponge. Fort de cette victoire, un cercle d’habitants se lance un défi : se mobiliser pour les municipales à venir. Une première réunion publique, « sans programme ni candidat », réunit 120 citoyens ! Soit 10 % du village… Organisés en groupes thématiques, dossier par dossier, ces engagés volontaires diagnostiquent les besoins de leur commune. Lors d’une deuxième assemblée, ils ébauchent l’ossature d’un programme pour une liste de candidats à la mairie. « On débat sans entraves : quelles sont les qualités d’un futur maire ? », raconte Tristan Rechid. Emerge alors le nom de Vincent Beillard, 41 ans, veilleur de nuit dans un centre pour adultes handicapés, jugé le plus apte à animer une équipe au service du collectif. Il apprendra sa désignation par mail, à l’issue de la troisième réunion publique… Au soir du premier tour, le 23 mars 2014, la liste citoyenne Autrement pour Saillans… tous La politique en circuit court d’une réunion à Saillans, en janvier, puis à Vogüé en Ardèche, en mars, un réseau d’une dizaine de collectifs se constitue. L’initiative peut-elle engendrer un mouvement national ? « Une équipe locale a émergé autour d’une mobilisation. Un programme a ensuite été élaboré collectivement, sans leader. L’expérience de Saillans n’a rien de révolutionnaire, affirme le sociologue Loïc Blondiaux, professeur de science politique à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne. C’est l’essence même de ce que devrait être la politique locale. Reste à savoir si le défi que Saillans lance à la démocratie peut s’étendre. » Le défi de Saillans, pour l’heure, est la maturation de l’exercice démocratique. Treize citoyens de la commune ont été formés à l’animation de la démarche de « coconstruction entre élus et citoyens », en vue de la révision du plan local d’urbanisme. En projet : une maison de santé dans les locaux de l’ancienne perception, quatre constructions en bois à « énergie positive » en guise de logements sociaux, et une salle des fêtes à créer et à équiper. Le 31 janvier, lors des vœux du maire, une bonne centaine de citoyens ont assisté trois heures durant aux comptes rendus de bilan des commissions participatives de l’année. De quoi redonner du mordant à des élus parfois épuisés. Soucieuse d’éviter le burn-out, l’équipe envisage d’engager deux collaborateurs, tout en renforçant l’initiative des citoyens. La gestion du compost collectif est confiée à des volontaires. Une dizaine de bénévoles assurent La Petit’Entraide, un guichet d’aide sociale se consacrant aux urgences quotidiennes. Formée techniquement, une Saillansonne assure la gestion du site Internet du village. Une quinzaine de citoyens animent les réunions participatives, une dizaine se chargent de la rédaction des informations municipales. « Nous ne sommes pas encore très bons sur le budget. Cette matière n’attire pas les foules. Nous cherchons des outils pour faire venir les citoyens », confie Agnès Hatton, adjointe aux finances, à la santé et au social. Elle assure que tous les élus ont parfaitement intégré la participation citoyenne comme étant normale. Reste à convaincre encore les rétifs du village – des agoras publiques les jours de marché sont envisagées par le « conseil des sages » – et à pacifier les relations avec les opposants et les municipalités voisines. « PLUS INTELLIGENTS À PLUSIEURS » Dans la Drôme, le village de Saillans expérimente depuis 2014 une « municipalité participative » qui suscite l’intérêt de nombreux élus et associations ensemble l’emporte sans appel, avec 56,8 % des voix pour une participation de 80 % des électeurs. La nouvelle équipe décide aussitôt d’ouvrir les portes de la mairie. Par choix ou compétence, pas moins de 250 volontaires s’inscrivent à sept commissions prioritaires, décidées pendant la campagne électorale. Ces « groupes action-projet » (GAP) planchent sur l’école et ses nouveaux rythmes, la rivière Drôme, la circulation, les parkings, le lien social, la santé, la salle des fêtes. A l’égal du maire et de sa première adjointe, Annie Morin, les conseillers travaillent en binômes. Un « conseil des sages », auquel Tristan Rechid appartient, veille au respect de l’éthique du projet : transparence, collégialité et participation, le nouveau triptyque des Saillansons. « EST-IL POSSIBLE D’AGIR AUTREMENT ? » Les Veynois venus l’écouter en ce soir de mars sont dubitatifs. Jean-Luc Blanchard, ancien instituteur, militant écologiste « depuis le naufrage de l’Erika », ne comprend pas pourquoi l’alliance Europe Ecologie-Les Verts (EELV) - Front de gauche n’a pas fonctionné aux dernières municipales à « Veynes la rouge ». La mairie est passée à droite après plusieurs décennies de gestion à gauche. « Nous aussi, on organise des réunions, mais personne ne vient », dit-il en soupirant. Un ancien maire d’une toute petite commune de la région, souhaitant garder l’anonymat, raconte sa propre expérience : « Diriger comme un autocrate, je l’ai fait pendant trois mandats. Nous, les élus de la ruralité, nous ne sommes pas outillés. J’ai très vite atteint mon seuil d’incompétence. » Coupe de clairette-dedie en main, Sandrine Charriot, 36 ans, confie aussi sa frustration d’ancienne conseillère municipale de Réallon (Hautes-Alpes), 250 habitants : « Nous tenions deux réunions publiques, une en début de mandat, l’autre à la fin, c’est tout ! Je ne supporte plus cette manière de faire ; est-il possible d’agir autrement ? Que les gens, enfin, ne suivent plus les débats télé, mais qu’ils le vivent, le débat, chez eux ! » « NOUS NE SOMMES PAS ENCORE TRÈS BONS SUR LE BUDGET. CETTE MATIÈRE N’ATTIRE PAS LES FOULES » AGNÈS HATTON conseillère municipale de Saillans Tel est le vœu de Tristan Rechid : que l’expérience suscite « l’émergence de 36 000 listes participatives dans les 36 000 communes de France pour les municipales de mars 2020 ». C’est tout l’enjeu de ses pérégrinations. Lors des régionales de novembre 2015, il a posté un appel en ligne et a développé un projet de « conférence articulée » pour partager l’expérience de Saillans et proposer une formation à l’élaboration d’une réunion publique. Les week-ends, il se déplace au gré de demandes toujours plus nombreuses de collectifs, d’associations locales et d’élus. « Notre projet est apolitique au sens des partis, insiste-t-il. L’unique proposition est celle de la réelle participation citoyenne et du retour à un véritable fonctionnement démocratique dans notre pays. » Le Saillanson a rencontré à Veynes un alter ego, Philippe Saugier-Séranne. Au lendemain des élections régionales de décembre 2015, ce compositeur interprète de 44 ans a créé avec des amis le site Nouslamajorite. fr. Leur programme, clairement « alter », propose « aux abstentionnistes, aux antisystème, aux indignés, aux votants désespérés et à tous les partisans d’une renaissance de la démocratie de s’unir pour restaurer l’intérêt commun, développer le pouvoir d’agir de tous, et construire, loin des partis aveuglés par les luttes de pouvoir, l’alternative citoyenne qui l’emportera sur l’extrémisme en 2017 ». Cette déclaration d’intention s’accompagne d’un « Petit manuel pratique pour se mettre debout ». « Les attentats de Paris, l’application de l’état d’urgence, les scores du Front national nous ont convaincus d’agir », explique ce père de trois enfants – dont l’un se trouvait « à 500 mètres du Bataclan le 13 novembre ». M. Saugier-Séranne a été pendant vingt ans coordinateur des programmes européens d’éducation à la citoyenneté pour des ONG et des instituts de recherche. Trois automnes successifs, lors de séjours en résidence d’artistes en Espagne, il assiste à l’émergence du parti alternatif de gauche Podemos. Après les élections régionales, des échanges se nouent sur Internet. Lors Sous les impressionnantes falaises de la chaîne des Trois-Becs, un nouveau modèle d’alternative politique serait-il en train d’émerger ? En décembre 2015, aux élections régionales, la liste Front national de Christophe Boudot pour la région Auvergne-RhôneAlpes a plafonné à 13,1 % à Saillans, soit deux fois moins que son score régional. Le 31 mars, une Nuit debout a eu lieu sur la place de la mairie. Deux cents personnes y ont visionné le film Merci patron !, de François Ruffin, avant d’échanger jusque tard dans la nuit. Et samedi 16 avril, c’est à Crest, ville voisine de 8 000 habitants, que le collectif est venu passer la nuit, dans le fief d’Hervé Mariton, maire (Les Républicains) et plus farouche contempteur de la municipalité participative au sein de la communauté de communes du Crestois et du pays de Saillans. « Les relations s’apaisent avec les petites communes, peu à peu nous construisons des partenariats fondés sur l’échange, tempère la première adjointe, Annie Morin, ancienne directrice d’école. Nous avons créé ensemble un syndicat à vocation unique autour de l’éducation, de l’école et des temps d’activités périscolaires. » Parmi les réalisations concrètes de la nouvelle équipe : l’extinction de l’éclairage public la nuit. Promu « village étoilé » au concours « Villes et villages étoilés », Saillans a obtenu deux macarons de l’Association nationale pour la protection du ciel et de l’environnement. Cowork Saillans, une association installée dans un espace de travail partagé, accueille une dizaine de travailleurs indépendants, dont certains sont des habitants récents, de jeunes néoruraux, diplômés, qui ont déserté la ville pour s’installer au village avec leurs enfants, au bénéfice de l’école publique. « Nous avons tenu soixante-dix réunions publiques l’année dernière. Rien n’est facile, mais je doutais d’aller aussi loin dans l’action. Nous vivons tous les jours la preuve que nous sommes plus intelligents à plusieurs », se félicite l’adjoint à l’économie et à la transparence, Fernand Karagiannis, 57 ans, imprimeur qui travaille à Lyon deux jours par semaine. A Veynes, ce 19 mars, la réunion finie, c’est l’heure du café chez Philippe Saugier-Séranne et Aline Chipaux. Dans leur salle à manger, des cagettes d’oranges et de mandarines accueillent le visiteur. Acteurs de Court-Circuit, une association d’achats de denrées alimentaires sans intermédiaires, ils régalent les adhérents d’agrumes de Sicile. Aline l’assure, après les circuits courts alimentaires, « l’heure est à la politique en circuit court ». p CULTURE Le campus, un autre espace-temps 14 | pppp CHEF-D'ŒUVRE pppv À NE PAS MANQUER ppvv À VOIR 0123 MERCREDI 20 AVRIL 2016 pvvv POURQUOI PAS vvvv ON PEUT ÉVITER Richard Linklater enrobe d’une bulle vintage les débuts d’un jeune Américain à l’université dans les années 1980 EVERYBODY WANTS SOME !! pppv Glen Powell (à gauche) et Blake Jenner. U VAN REDIN d’expériences de laboratoire où des idées, toujours plus ou moins liées à la perception du temps, se traduisent par des propositions esthétiques toujours différentes. Regard ironique et mélancolique Everybody wants some ! ! (« Tout le monde en veut ! ») prend peu ou prou le relais de Dazed and Confused (« Génération rebelle », 1993), peinture de la dernière journée de lycée d’un groupe d’adolescents, en 1976. Ce film de campus se déploie en un enchaînement fluide de tableaux, surfaces scintillantes et lisses, tout en couleurs vives et en sonorités pop, où le temps paraît dilaté à l’infini. Les ac- Licence 2-1066882 / 3-1066883 / RCS 400 188 983 00078 / Crédit photo : Eric Garault / Graphisme : Philippe Lebruman ne maison en bois peuplée de jeunes gens bâtis comme des dieux grecs, moulés dans des shorts et tee-shirts ajustés à leur belle musculature, la bouche coiffée d’une moustache bien taillée. C’est la résidence de l’équipe de base-ball de la fac texane où débarque Jake (Blake Jenner) avec sa valise et sa caisse de vinyles, à deux jours de la rentrée universitaire. Une petite usine à testostérone où les vannes claquent comme des balles de pingpong, où l’esprit de corps prend la forme d’une compétition féroce à tous les niveaux de l’existence : sport, drague, amitié. On se déplace en meute, entassés dans une belle Dodge bleu métal toutes fenêtres ouvertes, l’autoradio crachant à plein volume des tubes de Blondie, des Cars, de Foreigner. On repère les lieux, on alpague les filles en fleurs aux jambes interminables qui renvoient en revers de volée des reparties d’intellectuelles au caractère bien trempé. On pourrait être dans un clip de Wham ! ou une publicité pour after-shave des années 1980. On est dans le souvenir idéalisé que Richard Linklater se fait de ce temps suspendu qui précède le début des années campus, période pleine de promesses et de liberté pendant laquelle les étudiants américains, arrachés au cocon familial et pas encore soumis aux astreintes de la vie d’adulte, sont rendus entièrement disponibles à leurs désirs et à l’invention de soi. En l’enveloppant dans une bulle vintage, le cinéaste texan qui a un temps pensé, comme son personnage, devenir joueur de base-ball professionnel (et écrivain), crée la collusion avec cet espace-temps inconnu. De Slacker (1991), où il recomposait une journée comme un collage de moments vécus par une constellation de personnages étrangers les uns aux autres, à Boyhood (2014), fiction tournée sur douze ans avec les mêmes acteurs, les films de Linklater se suivent sans se ressembler, comme autant À Paris au 11/12/17/18 mai 24/25/26 mai ET EN TOURNÉE DANS TOUTE LA FRANCE Nouvel album “Le Film” disponible tions sont sans conséquence. Les menaces que brandit l’entraîneur de base-ball à l’attention de qui enfreindrait les règles de la maison (pas d’alcool, pas de filles dans les étages), alors que celles-ci vont être ostensiblement bafouées le soirmême, restent sans effet. Trop parfaits pour être vrais, les décors, la lumière d’été, le bleu du ciel, la qualité graphique du moindre costume, du moindre accessoire, de la moindre coiffure, créent comme un effet d’hallucination sur le spectateur, qui se retrouve dans un état proche de celui de l’auteur, mais aussi de son alter ego, Jake, qui évolue comme dans un rêve éveillé – on ne dort pas dans Everybody Wants Some !!, du moins pas avant le dernier plan, quand démarre le premier cours de l’année. Jake ne suit pas une trajectoire : on n’est pas dans un roman d’apprentissage. Le film met à plat le conflit qu’il doit résoudre pour s’intégrer à l’équipe Le charme du film tient à ce talent qu’a toujours eu Linklater de saisir une vérité des gestes et des expressions de baseball sans se soumettre à son emprise. Rétif à toute forme d’assignation, il est le seul sportif à ne pas porter la moustache, et peut-être le seul étudiant du campus à refuser de choisir une matière dominante, qui le réduirait, selon lui, à une identité fixe. La liberté, c’est le mouvement. De fait, le film glisse en permanence entre des scènes d’intérieur, filmées dans la maison de l’équipe de base-ball, où Jake apparaît comme un élément d’un corps collectif mouvant, et d’autres qui le voient frayer à sa guise avec toutes sortes de tribus. L’attraction qu’il éprouve pour une étudiante en art (Zoey Deutch) lui ouvre les portes d’un autre monde, raffiné et sensible, dans lequel il se découvre aussi à son aise que chez les sportifs. La rencontre fortuite d’un ancien camarade de lycée, converti au punk, qui l’entraîne le soir même à un concert, lui révèle non seulement une culture inconnue, mais la possibilité d’un rapport alternatif à l’existence, révolté, affranchi du carcan des conventions sociales. Plus qu’à sa réjouissante bande originale, plus qu’à sa singulière beauté plastique, le charme du film tient à ce talent qu’a toujours eu Linklater de saisir une vérité des gestes et des expressions, et de révéler, ce faisant, l’essence de l’instant. Quelque artificielle que soit la mise en scène, il parvient ici aussi à donner à ses scènes la force de l’évidence. Dans le grand patchwork qu’elles composent ensemble, les personnages évoluent à égalité, comme des figures archétypales bizarres, dont on ne sait jamais bien si la folie traduit une nature ou un pur fantasme de l’auteur. Cet art de filmer le groupe, autre spécialité dans laquelle Linklater est passé maître, s’appuie sur un casting composé d’inconnus, qui aide à ce qu’aucun ne vole jamais la vedette aux autres. Le regard à la fois ironique et tendrement mélancolique qu’il pose sur eux leur confère une aura étrange, à la fois mythique et totalement kitsch, qui donne envie de prolonger indéfiniment ce moment hors du temps qu’ils nous offrent en partage. p isabelle regnier Film américain de Richard Linklater. Avec Blake Jenner, Ryan Guzman, Tyler Hoechlin, Wyatt Russell, Zoey Deutch (1 h 57). Richard Linklater, rocker de Celluloïd le cinéaste texan, qui ne joue d’aucun instrument, est pourtant responsable de l’un des meilleurs albums de l’histoire du rock, la bande originale de Dazed and Confused, sortie en 1993. Ce récit, situé au milieu des années 1970, de la dernière journée de lycée au Texas d’une bande de garçons était scandé des titres obscurs ou évidents de l’âge d’or du rock gras, d’Aerosmith à ZZ Top. Le succès de cet album, qui égale la notoriété du film (sorti en France sous le titre Génération rebelle) – aux débuts timides, mais qui accéda ensuite au rang de classique –, ne tient pas tant à la qualité de chacun des titres qu’à leur savant assemblage, qui peignait le paysage mental et sensuel d’un adolescent de l’époque. Présenté par son auteur comme le « successeur spirituel de Dazed and Confused », Everybody Wants Some ! ! (qui emprunte son titre à celui d’une composition de Van Halen) se prévaut aussi d’une bande originale impeccable, expression de l’essence d’une époque historique (le film est situé à l’automne 1980, pendant la campagne électorale qui devait se conclure par l’élection de Ronald Reagan à la présidence des EtatsUnis) et d’un moment de la vie d’un groupe d’êtres humains. En l’occurrence, puisque c’est l’un des sujets de prédilection de Linklater (voir également Boyhood), le jeune mâle texan pris ici dans le sas entre l’adolescence et l’âge d’homme. Cette virilité heureuse s’exprime dès le premier titre que l’on entend, pendant la première séquence qui montre Jake (Blake Jenner) au volant de son Oldsmobile, sur la route qui le mènera jusqu’à l’université, loin de la maison familiale. L’autoradio crache à pleine puissance My Sharona, de The Knack (1979), succès transatlantique qui profitait du retour à la simplicité et à la brutalité rock prônées par les punks et leurs épigones, tout en revenant au machisme triomphant des superstars des années 1960. Joint au téléphone, Richard Linklater s’amuse d’entendre évoquer la mauvaise réputation de The Knack. Il se souvient de l’opprobre que le groupe avait encouru en donnant à son premier album, Get the Knack, le même aspect que celui de Meet the Beatles ! « Mais c’est l’une des meilleures expressions de la teen sex angst jamais enregistrée », fait remarquer le réalisateur, qui n’est pas étranger aux frustrations érotiques adolescentes. L’éclectisme musical de l’année 1980 A rebours de la bande originale de Dazed and Confused, uniformément rock, celle d’Everybody Wants Some ! ! panache les genres. Le rock à grand spectacle (Foreigner, Cheap Trick) essaie de rester digne face aux outrages du punk et de la new wave (Stiff Little Fingers ou Blondie) et doit faire une place au R’n’B (Jermaine Jackson) et au hiphop naissant (White Lines, de Grandmaster Flash). « C’était un moment éclectique, se souvient Richard Linklater, qui avait 20 ans à l’époque. Quand on vivait dans le Sud, on écoutait du rock et l’on voyait arriver ce truc qu’on appelait rap, on pensait que c’était une mode. De toute façon, ça ressemblait au disco, on pouvait très bien danser dessus. » A cet éclectisme historique répond l’éclectisme d’un âge où l’on doit se définir : « On fouillait toujours dans les collections d’albums des copains pour savoir qui ils étaient, rappelle l’ex-étudiant texan. La musique vous aidait à vous construire. » Au fil de la soirée qui constitue le plat de résistance du scénario d’Everybody Wants Some ! !, Jake et ses condisciples errent de boîte punk en club country, avec un détour sous la boule à facettes de la discothèque. Là, on entend Let’s Get Serious, de Jermaine Jackson. Richard Linklater aurait bien voulu décrocher les droits d’un titre de Michael Jackson, tout comme il aurait voulu caser les Eagles, eux aussi hors de prix. Le réalisateur se console en faisant remarquer que « Let’s Get Serious aurait pu trouver sa place sur Off the Wall », l’album du petit frère. p thomas sotinel culture | 15 0123 La comtesse de Ségur prend un coup de jeune K Retrouvez l’intégralité des critiques sur Lemonde.fr (éditions abonnés) ppvv À VOIR La Saison des femmes Film indien de Leena Yadav (1 h 56). Ce brûlot féministe, magnifiquement interprété, mêle la colère avec la coquetterie bollywoodienne et les danses exotiques. Il gagne en puissance sur deux heures pour atteindre dans son final une rage vindicative. p n. lu. Christophe Honoré filme les aventures de l’incontrôlable Sophie avec grâce et vitalité LES MALHEURS DE SOPHIE ppvv Documentaire français de Tamara Erde (1 h 33). Tamara Erde filme l’enseignement du conflit israélo-palestinien dans des écoles en Israël, et fait avec ce documentaire passionnant la démonstration de la difficulté d’apprendre l’Histoire lorsqu’on est incapable d’apprendre de l’Histoire. p n. lu. Un homme charmant Film argentin d’Ariel Rotter (1 h 33). Le noir et blanc de ce récit retenu et cruel exprime l’enfermement de Luisa dans la bonne société argentine des années 1960. Veuve, elle voudrait succomber à la séduction d’Ernesto sans renoncer à son indépendance. Mais les barreaux des prisons dorées sont aussi solides que les autres. p t. s. pvvv POURQUOI PAS L E S A U T R E S Blind Sun Film franco-grec de Joyce A. Nashawati (1 h 28). Entre objet conceptuel et parabole contemporaine, Blind Sun construit un tableau dérangeant d’une Grèce où la pénurie d’eau s’offre en métaphore de la crise. Ce premier film à la forme raffinée fait preuve d’une maîtrise étonnante. p n. lu. Granny’s Dancing on the Table Film suédois de Hanna Sköld (1 h 26). Une adolescente vit seule dans la forêt avec son père. Ce huis clos forestier, lourd d’une menace incestueuse, mélange prises de vue réelles et animation en pâte à modeler, conférant une certaine originalité à ce portrait de jeune fille. p j.-f. r. Le Potager de mon grand-père Documentaire français de Martin Esposito (1 h 16). Après Super Trash, one-man-show écologique situé dans une décharge, Martin Esposito filme son grand-père au milieu de son potager luxuriant : le vieil homme apparaît en héros des temps modernes, et on aurait du mal à lui en refuser le titre, tant sa joie de vivre au contact de la nature est inspirante. p n. lu. Parfum de printemps Film tunisien de Férid Boughedir (1 h 39). Longtemps après Un été à La Goulette (1996), le réalisateur tunisien Férid Boughedir revient avec une fable sur le « printemps » tunisien. L’histoire d’un jeune provincial naïf, Zizou, qui monte dans la capitale à l’heure de l’embrasement. Le ton bon enfant du film peine à s’élever à la hauteur de l’événement. p j. m. Tout s’accélère Documentaire français de Gilles Vernet (1 h 23). Trader devenu instituteur, Gilles Vernet entraîne ses élèves de CM2 dans une réflexion sur l’accélération du temps, les faisant dialoguer avec des spécialistes dans une dialectique qui alerte sur l’aporie de cet irrésistible mouvement. p j. m. Robinson Crusoé Film d’animation belge de Vincent Keesteloot (1 h 30). Cette adaptation aussi libre que simpliste du roman de Daniel Defoe balaie toute dimension philosophique au profit de bagarres entre le naufragé et des chats de gouttière débarqués du bateau. Amusant au début, le principe devient lassant. p i. r. vvvv ON PEUT ÉVITER Le Chasseur et la reine des glaces Film américain de Cédric Nicolas-Troyan (1 h 55). Quatre ans après Blanche-Neige et le chasseur, ce second volume frôle l’accident industriel. Et se concentre sur l’amie du chasseur, en butte aux tracasseries des sœurs maléfiques de BlancheNeige, en empruntant à la série Game of Thrones. p j. m. NOUS N’AVONS PAS PU VOIR Adopte un veuf Film français de François Desagnat (1 h 37). LES MEILLEURES ENTRÉES EN FRANCE Nombre de semaines d’exploitation Nombre d’entrées (1) Nombre d’écrans 1 1 089 589 653 Les Visiteurs : la Révolution 2 496 164 727 Kung Fu Panda 3 3 412 934 671 Batman vs Superman… 4 178 561 629 Tout pour être heureux 1 133 366 221 Médecin de campagne 4 126 200 503 Zootopie 9 114 285 524 Gods of Egypt 2 101 133 285 Five 3 96 699 290 Le Fantôme de Canterville 2 90 605 416 Le Livre de la jungle AP : Avant-première Source : Ecran total Evolution par rapport à la semaine précédente Total depuis la sortie 1 089 589 ↓ ↓ ↓ – 47 % 1 646 211 – 14 % 1 828 366 – 27 % 2 276 030 133 366 ↓ ↓ ↓ ↓ ↓ – 21 % 1 197 249 – 7% 4 532 725 – 39 % 304 465 – 21 % 497 260 – 27 % 260 078 * Estimation Période du 13 au 17 avril inclus Sous l’invocation de Rudyard Kipling et Walt Disney, plusieurs générations se sont vraisemblablement donné la main pour aller célébrer le remake du Livre de la jungle, sorti voici un demi-siècle. Le résultat est impressionnant : un million d’entrées en cinq jours, mille spectateurs par salle. Parmi les entrées de la semaine, un seul autre titre, ni plus ni moins, tire son épingle du jeu : la comédie nationale Tout pour être heureux, qui atteint plus de cent trente mille entrées. Le beau temps et la dépression programmatrice pré-cannoise sont à l’origine de l’accueil réservé qui touche leurs concurrents. p A elle seule, l’idée qu’a eue Christophe Honoré de réhabiliter la comtesse de Ségur, de passer un petit coup de plumeau entre ses pages pour remettre au goût du jour la fantaisie et la sagacité de ses romans mérite une belle salve d’applaudissements. Depuis la fin du siècle dernier, la prose de cette écrivaine magnifique semblait avoir perdu de son attrait auprès de la jeunesse, et c’était bien triste. Le nouveau film de Christophe Honoré devrait y remédier. Auteur lui-même de formidables livres pour enfants, ce cinéaste, qui associe volontiers une manière ludique de mise en scène avec une réflexion sur les questions de genre, était certainement bien placé pour faire des Malheurs de Sophie et de sa suite, Les Petites Filles modèles, un film moderne, fidèle à l’esprit de leur auteure. Le résultat, enlevé, débordant d’imagination, tout en restant proche des textes, dépasse les espérances. On est tout de suite frappé par la beauté de la lumière, des intérieurs boisés et spacieux, des frondaisons du jardin, des costumes légers et fluides des personnages, du cadre carré vintage… Et plus encore par celle des enfants dans le monde duquel le film, branché du début à la fin sur l’irréductible vitalité et la grâce émouvante, nous immerge. R E P R I S E F I L M S D E L A This Is My Land Le charme opère, même si l’on redoute, dans les premières scènes où Sophie fait fondre les yeux de sa poupée au soleil et ses pieds dans un bain d’eau bouillante, que son parfum soit quelque peu suranné. Mais l’impression se dissipe à mesure que les bêtises de la petite fille, en prenant une tournure plus crue – bientôt elle découpera vivants les poissons rouges de sa mère, servira à ses amis, en guise de thé, de la chaux diluée dans l’eau de la gamelle du chien… –, estompent ce que l’histoire pouvait avoir de daté. Lorsqu’elle devient, dans la deuxième partie du film, victime de la cruauté d’une épouvantable marâtre (Muriel Robin), le souffle romanesque finit par tout emporter. Immense solitude Le cinéaste éclaire en outre d’une lumière neuve les agissements de cette incontrôlable gamine en laissant imaginer qu’elle grandit dans une solitude immense, sur un tapis de secrets et de non-dits, entre un père absent et une mère neurasthénique (Golshifteh Fara- Le résultat, enlevé, débordant d’imagination, tout en restant proche des textes, dépasse les espérances Kiarostami, par-delà le vrai et le faux Close-up est, après Où est la maison de mon ami ?, le film qui a fait découvrir Abbas Kiarostami, en France, en 1991. Cela a été un choc. L’homme avait déjà un long passé de réalisateur de courts-métrages institutionnels. Les qualités de Close-up sont spectaculaires. Elles résident dans la manière avec laquelle Kiarostami conjugue les particularités les plus extrêmes et les plus opposées du cinéma. A l’origine du film, il y a un fait divers. Un employé d’imprimerie, Hossein Sabzian, s’est fait passer pour le cinéaste Mohsen Makhmalbaf auprès des membres d’une famille aisée de Téhéran, leur laissant miroiter la perspective de tourner dans son prochain film. Le pot aux roses découvert, il sera arrêté et jugé. Kiarostami est allé retrouver tous les protagonistes de ce récit, leur a fait rejouer leur aventure. Il filme par ailleurs, en noir et blanc, le procès d’Hossein Sabzian, qu’il entrelarde de retours en arrière reconstitués, et organise après sa libération la rencontre de celui-ci avec le vrai Makhmalbaf. Entre reconstitution et documentaire, Close-up apparaît comme un objet conceptuel qui mêle le vrai et le faux, ce qui est rejoué et ce qui est pris sur le vif, jusqu’à brouiller ces notions, racontant finalement l’histoire d’une imposture. Avec Close-up, il devenait clair que Kiarostami était un des grands du cinéma contemporain. La révolution est venue d’Iran. p jean-françois rauger Avec Hossein Sabzian, Mohsen Makhmalbaf, Abolfazl Ahankhah (1 h 31). Le film mériterait d’être vu pour le seul plaisir de regarder Caroline Grant, qui incarne Sophie hani, formidablement romantique), soumise à l’emprise d’un sinistre confesseur (Michel Fau). On comprend comment le conflit entre l’aspiration de cette petite fille à la liberté et la résistance que lui oppose son environnement a pu inspirer le réalisateur de Non ma fille, tu n’iras pas danser. Ses intentions, toutefois, se diluent organiquement dans la fiction et le jeu des acteurs qui la portent (formidable casting dont l’hétérogénéité participe de la modernité du film), qui focalisent toute son attention. La patience, la tendresse, l’amour avec lequel il filme les enfants, en particulier, restant toujours à leur hauteur, les invitant à s’approprier leur personnage, à plier la langue de la comtesse à leur façon de parler, insufflent dans les plans une émotion qui se suffit à elle-même. Caroline Grant, qui incarne Sophie, est si intensément présente que le film mériterait d’être vu pour le seul plaisir de la regarder. La malice de son personnage, son audace et sa curiosité conquérantes sont d’autant plus inspirantes qu’elles s’accordent avec un amour pour ses parents aussi absolu et bouleversant qu’il peut l’être à cet âge. «HUPPERT CULTE !» Les Malheurs de Sophie propose un cocktail de vitalité légère et débordante, de sentiments profonds et de tragédie qui rappelle Les Chansons d’amour ou Les Bien-Aimés. S’y mêle ce goût pour le bricolage et l’hétérogène qui fondait Les Métamorphoses, précédent film du cinéaste. L’intrigue accueille aussi bien les chansons d’Alex Beaupain, son éternel complice, qu’un bestiaire animé dont les couleurs vives scintillent ici et là comme des petites lucioles, ou des scènes fantaisistes qui viennent transfigurer la dimension mélodramatique de l’histoire en lui donnant les couleurs du rêve. A la fin de la première partie, la voix de Golshifteh Farahani, posée sur l’image d’un navire ballotté par une mer déchaînée, lit une lettre d’amour magnifique de la mère à sa fille, avant que la scène se fonde dans une marine accrochée au mur de la maison familiale. Puis un écran noir tombe. Terrible ellipse qui exprime le destin du personnage, avant que la narration reprenne, sur un mode plus âpre et romanesque à la fois. Ce refus de donner au récit une forme unifiée qui serait la signature d’un auteur au point de vue omniscient revient souvent dans le cinéma d’Honoré. Mais il n’avait jamais assumé ce parti pris avec une telle générosité. p isabelle regnier Film français de Christophe Honoré. Avec Caroline Grant, Anaïs Demoustier, Golshifteh Farahani, Muriel Robin (1 h 46). 3 COULEURS «UN DRÔLE DE GRAND FILM !» BANDE-A-PART.FR «LE PLUS BEAU FILM FRANÇAIS DE CE DÉBUT D’ANNÉE. » PARIS-MATCH CHARLES GILLIBERT PRÉSENTE ISABELLE HUPPERT L’AVE NIR UN FILM DE MIA HANSEN-LØVE AVEC Design : Benjamin Seznec / TROIKA • Photo : Ludovic Bergery S E M A I N E MERCREDI 20 AVRIL 2016 ANDRÉ MARCON ROMAN KOLINKA EDITH SCOB ACTUELLEMENT 16 | culture 0123 MERCREDI 20 AVRIL 2016 Le long du fleuve, une jeunesse à la dérive Ours d’argent au Festival de Berlin en 2015, le deuxième long-métrage du Vietnamien Phan Dang Di, en partie autobiographique, suit les tribulations d’une poignée de jeunes gens à Saïgon MÉKONG STORIES Cuong, qui est pourtant amoureux, renonce à la paternité pour s’acheter un téléphone portable. ppvv L e Mékong, au cinéma, c’est le fleuve qui mène au cœur des ténèbres, celui que Willard remonte jusqu’à Kurtz, dans Apocalypse Now, et qu’importe s’il coulait aux Philippines. Cette vision dantesque était celle d’Occidentaux rongés de culpabilité postcoloniale, qui ne voyaient dans ces eaux que la mort qu’ils y avaient versée. Le fleuve de Mékong Stories est comme tous les fleuves de ce siècle, pollué, sale, mais vivant, charriant les traces et les déchets des existences qui foisonnent sur ses berges. Le deuxième long-métrage de Phan Dang Di est à son image, tour à tour tumultueux et languissant, séduisant et sordide. Etant donné le volume de la production cinématographique vietnamienne et son absence presque complète du circuit des festivals, les images que l’on a du pays relèvent plus des souvenirs de voyage, de l’utilisation des paysages comme décors pour des fictions qui n’ont rien à avoir avec sa réalité. Cette pénurie sert puissamment Mékong Stories (qui devait initialement s’appeler « pères, fils et autres histoires »), qui fait surgir sur l’écran une réalité toute neuve au cinéma. Dimension tactile et olfactive En partie autobiographique, le scénario suit les tribulations d’une poignée de jeunes gens à Saïgon, au début du XXIe siècle. Vu (Le Cong Hoang) étudie le cinéma et parcourt la ville pour la photographier. Van (Do Thi Hai Yen) danse dans un cabaret. Avec Thang, un petit truand, Cuong, un ouvrier qui travaille dans une usine décatie qui est comme une version tropicale des installations en ruine que l’on voit dans le grand documentaire chinois A l’Ouest des rails et Tun, un chan- Vu (Le Cong Hoang), Van (Do Thi Hai Yen) et Thang (Truong The Vinh). NGUYEN K’LINH Les séquences immergent le spectateur dans une vie aux règles fluctuantes, incompréhensibles teur de rue, ils forment une petite communauté qui se réunit dans une maison flottante sur le fleuve. Les jeunes gens tirent le diable par la queue, dépendant en grande partie des largesses de M. Sau, le père de Vu, agriculteur dans le delta du Mékong et trafiquant de riz, de jeunes femmes qu’il amène de la campagne à la ville, ou d’appareils photo japonais, comme celui qu’il offre à son fils. Comme il y parvenait déjà dans Bi, n’aie pas peur, son premier film présenté à la Semaine de la critique cannoise en 2010, Phan Dang Di donne une dimension tactile et olfactive à ses images qui véhiculent autant que la lu- mière et les formes la touffeur et les odeurs d’une ville charmante, violente et pourrissante. Les séquences ne sont pas disposées de façon à constituer une progression dramatique. Il s’agit plutôt d’immerger le spectateur dans une vie aux règles fluctuantes, incompréhensibles. Dans l’établissement où Van se produit au milieu de boys habillés comme à Las Vegas, le rêve du show-business à l’américaine étend son ombre pendant que, dans les rues, on vit selon l’économie des pays les plus pauvres, où les vendeurs à la sauvette gagnent chaque jour de quoi ne pas dormir dehors, de quoi manger. Peu à peu, comme le laissait de- viner le titre original, apparaît une question récurrente, obsédante, celle des origines. Elle passe ici par la filiation, par la perpétuation ou non d’une lignée. Vu est gay, ce que son père n’admet pas, qui essaiera de le remettre sur le chemin de l’hétérosexualité à l’occasion d’une escapade des jeunes gens dans la mangrove où est située la ferme familiale. La seule figure d’autorité récurrente est une voisine, responsable d’un comité de quartier, qui encourage les jeunes gens célibataires à subir une vasectomie (théoriquement réservée aux pères de famille nombreuse) afin d’arrondir leurs fins de mois. Ambition esthétique Ces dérèglements sont si bien incrustés dans le tissu social qu’on ne sait même plus quelle norme ils défient. Loin de toute idée de révolte, Vu et ses amis dérivent comme des jacinthes sur le fleuve, se laissant porter par des pulsions qui les exposent à la violence de la pègre (la menace des forces de l’ordre semble beaucoup plus lointaine). C’est pour fuir des créanciers violents qu’ils trouvent refuge chez M. Sau. Cet épisode est pour Phan Dang Di le moyen de changer radicalement de registre. Entre les racines de palétuvier, pataugeant dans la vase, les personnages sont renvoyés à leur condition organique, comme s’ils n’étaient guère plus que des batraciens se débattant pour se reproduire, pour échapper à leurs prédateurs. Ces séquences témoignent de l’ambition esthétique du jeune cinéaste (il est né en 1976) sans pour autant la satisfaire entièrement. Le portrait cruel et légèrement ironique de la vie urbaine aurait dû être le contrepoint d’une interrogation plus profonde sur la place d’un homme qui ne veut plus de la position patriarcale qu’occupait son père. Prévisibles et un peu appuyées, les allégories que permet le recours à la boue, à la purification par l’eau claire (Van, qui accompagne des hommes d’affaires dans un spa, se trouvera à son tour prisonnière d’un bain de vase) n’atteignent pas la puissance d’évocation qui est celle de Mékong Stories lorsque le réalisateur suit ses jeunes et beaux personnages dans les rues de Saïgon. p thomas sotinel Film vietnamien de Phan Dang Di. Avec Do Thi Hai Yen, Le Cong Hoang, Nguyen Ha Phong (1 h 42). « J’étais un rêveur, je le suis encore » ENTRETIEN Avec Mékong Stories, le cinéaste vietnamien Phan Dang Di, 39 ans, signe son deuxième film. Il raconte les difficultés à voir et à réaliser des films dans un pays encore frappé par la censure. Lear Comment vous est venue l’envie de faire du cinéma ? D’un coup. A 17 ans, en 1993, je voulais être écrivain. Mais quand L’Odeur de la papaye verte a remporté la Caméra d’or au Festival de Cannes, j’ai vu le film, et j’ai été subjugué par ses images, ainsi que par celles du festival. Un an après, j’intégrais l’Académie de théâtre et de cinéma de Hanoï. alessio albi, You make me feel, 2014 © / - es : 1-1075037, 1-1075038, 2-1075039, 3-1075040 Aribert Reimann direction musicale Fabio Luisi mise en scène CaLixto bieito chef des chœurs aLessandro di steFano orChestre et Chœurs de L’opéra nationaL de paris paLais garnier du 23 mai au 12 juin 2016 operadeparis.fr 08 92 89 90 90 (0,40 € ttc/min) Comme se passait un cursus d’étudiant en cinéma dans le Vietnam des années 1990 ? Le cinéma vietnamien était en crise. Les salles fermaient, tout le monde se tournait vers la télévision, les professeurs partaient en Europe. Surtout, nous n’arrivions pas à voir de films ! La censure était très sévère, et nous n’avions que quelques VHS de films autorisés, parfois moisies. Ma chance a été que l’ambassade de France offrait les Cahiers du cinéma à mon école. Je regardais les photos, demandais aux francophones de traduire… C’est ainsi que j’ai découvert des cinéastes comme Satyajit Ray ou Ingmar Bergman, dont les films n’auraient pas passé la censure. J’ai, par exemple, vu la célèbre scène d’automutilation de Cris et Chuchotements, de Bergman… en photo dans les Cahiers. Une chance qu’ils n’aient pas été censurés. Le contexte n’était guère encourageant… Heureusement, je ne m’en rendais pas compte ! J’étais un rêveur, je le suis encore. Mes camarades allaient vers la télévision, je continuais de lire et imaginer les histoires que je voulais raconter. Grâce à un professeur qui voyait que j’étais le seul à ne pas travailler en studio, je suis devenu secrétaire au département du cinéma du ministère de la culture et de l’information, notamment chargé d’attribuer les subventions, ainsi que de la censure. Le cinéma privé n’existait pas… J’y ai rencontré beaucoup de gens, et beaucoup appris sur le fonctionnement institutionnel. Arriviez-vous tout de même à voir des films interdits par la censure ? Oui, grâce à une salle de cinéma très particulière, Fan’s Land. Son gérant avait rapporté de l’étranger toutes sortes de films, et comme il avait créé la salle en collaboration avec les militaires, la censure ne s’y appliquait pas. J’ai pu y voir Adieu ma concubine, Il était une fois dans l’Ouest, La Leçon de piano… des films chinois censurés là-bas, et que les cadres de l’ambassade de Chine venaient voir à Hanoï ! Comment avez-vous finalement trouvé le chemin de la réalisation ? Après quelques années, je me suis dit que je connaissais assez bien le système pour parvenir à créer quelque chose que j’aimais. Ce n’était pas si simple. J’ai commencé par écrire un scénario, Vertiges, qui a été très difficile à financer : c’était une histoire intime, et la plupart des films financés avaient des sujets patriotiques… J’ai quitté le département, et commencé à enseigner à l’université, où des collègues étrangers m’ont expliqué comment obtenir des financements internationaux et en particulier français. Le Centre national du cinéma (CNC) a eu un rôle fondamental dans ma carrière et dans le développement d’un cinéma indépendant au Vietnam. « Mékong Stories », plus encore que « Bi, n’aie pas peur », est très critique sur l’évolution sociétale vietnamienne… Quels rapports entretenez-vous aujourd’hui avec la censure ? Bi, n’aie pas peur avait été amputé de cinq minutes, de sorte que même si la presse a beaucoup parlé du film, les spectateurs n’ont pas pu comprendre l’histoire, et le film n’a pas été un succès… Quant à Mékong Stories, on lui a retiré une minute seulement. Mais à l’heure actuelle, ce sont les exploitants qui hésitent à le sortir : le public vietnamien s’est tellement habitué à un cinéma de pur divertissement… Je ne corresponds pas à leur cible. p propos recueillis par noémie luciani culture | 17 0123 MERCREDI 20 AVRIL 2016 Une saga familiale transméditerranéenne Vincent (Victor Ezenfis), Marie (Natacha Régnier) et Joseph (Fabrizio Rongione). A travers la fugue d’une mère, Fejria Deliba brosse le portrait de deux générations LES FILMS DU LOSANGE D’UNE PIERRE DEUX COUPS ppvv L’ Derrière le nom du père, un fils Eugène Green raconte les troubles d’un adolescent LE FILS DE JOSEPH pppv L e cinéma d’Eugène Green est foncièrement honnête. Que la situation soit poétique ou triviale, il laisse voir d’emblée les fortes particularités de son travail formel : le goût du décor, des postures picturales, du beau français et des liaisons si bien faites qu’elles semblent fort étranges aux oreilles et aux langues paresseuses qui sont les nôtres. Il ne faudra pas plus d’une scène ou deux au novice pour savoir s’il aimera les suivantes. Natacha Régnier, qui retrouve le réalisateur douze ans après Le Pont des arts, raconte comment elle a découvert son travail, avec Le Monde vivant : « D’abord, j’ai été surprise par la forme, puis j’ai adoré ce qu’il racontait à l’intérieur de cette forme, ce qui s’y passait entre les personnages et me touchait profondément. Je trouvais cela audacieux d’oser imposer sa singularité comme cela. » Les mots de l’actrice condensent exactement ce qui fait la force et la beauté du cinéma de Green : si raffinée qu’elle soit, si digne d’être admirée en elle-même, la forme y reste constamment soumise à la nécessité de faire sens, à échelle humaine et à l’intérieur du monde contemporain. Les mots, la diction, n’y sont pas une barrière pour le spectateur, mais le mur que les personnages ont érigé pour eux-mêmes, chacun avec ses raisons propres. Certains d’entre eux s’appuient dessus, d’autres se dissimulent derrière. Certains, en parlant ainsi, prêtent à rire : ils croient, avec de grands mots, s’inventer une stature. D’autres, avec les mêmes mots, semblent grandir en parlant. Le beau langage les anoblit, parce qu’il est le garant d’un engagement sérieux à vivre une vie belle. Si l’on tient compte du référentiel biblique sur lequel se construit, comme de coutume chez Green, le découpage du film, le « fils de Joseph » est d’abord « le fils de Marie » – et d’elle seule, ce qui le fait souffrir. Il s’agit de Vincent (Victor Ezenfis), adolescent solitaire que ses camarades qualifient de « bizarre » parce qu’il a mieux à faire que torturer un rat. Vincent est en colère. Chez lui, le langage contrôlé est une violence, il semble mordre sur les mots pour les remplir de toute son exigence. Il n’a qu’eux pour construire son identité. « Qui est mon père ? » lance-t-il à sa mère Marie (Natacha Régnier) – c’est peut-être la millième fois qu’il le lui demande. Et cette dernière de lui dire « Je te réponds aujourd’hui comme toujours : tu n’as pas de père. » Les êtres libres changent L’itération du « toujours » suggère le régime propre à son langage : contrôler cette réponse, c’est se contrôler elle-même contre la tentation d’ouvrir, par un nom propre, la voie au désordre. Marie est une passionnée sage : elle a cédé une fois au désir d’aimer un homme qui n’aurait pas fait un bon père, a eu un enfant de cet Foin de jeu littéraire pour les personnages à prénom : les mots les entourent d’un halo de beauté homme, décidé d’élever son enfant sans cet homme. A tort ou à raison, elle tient. Dans Le Fils de Joseph, les prénoms ne sont pas exactement des noms propres. Le père de Vincent a un visage, celui de Mathieu Amalric, et un nom propre à la redondance dorée, Oscar Pormenor. Le personnage est un éditeur parisien sûr de lui et sans morale, dont on ne parierait pas facilement qu’il a la fibre paternelle. Dans son cercle pédant, d’autres noms propres. Violette Tréfouille (Maria de Medeiros) : cela sonne n’importe comment, et indique n’importe quoi – on parierait bien sur un « Tréfouillis » dont la dernière syllabe aurait au gré de l’évolution phonétique muté en e muet, ou peut-être sur « Tréfolle », tout aussi opportun. De fait, Violette est folle. Journaliste littéraire, elle croit parler avec les morts, erre d’une coupe de champagne à la suivante, trouve que Proust n’est plus ce qu’il était. Leurs noms propres disent tout de ce qu’ils sont. Et ce qu’ils sont, bien que ce soit très drôle dans le cas de Violette Claudine Nougaret présente Les Habitants un film de Tréfouille qui inspire à Eugène Green des scènes absurdes délicieuses, n’est guère aimable. Eux qui prétendaient peut-être un temps servir les textes sont prisonniers d’eux-mêmes, de leur nom, et des mots. Seuls les personnages à prénom ont droit à leur mystère. Foin de jeu littéraire pour eux : les mots ne leur volent rien, ils les protègent, les entourent d’un halo de beauté. Le prénom sans nom propre leur laisse la liberté d’être et de changer. Marie ne s’appelle pas Marie pour rien : elle a donné à la maternité le plus précieux d’elle-même. Mais elle a été et reste aussi quelqu’un d’autre, que le film ne nous montrera pas, et que l’on peine à deviner – celle qui a pu s’éprendre d’un Oscar Pormenor. Chez Eugène Green, les êtres libres changent, et changent toujours bien, car ils font toujours le choix de l’amour. Marie l’a fait, Vincent le fera en s’accordant la liberté de se choisir un père aimable, Joseph, frère sans nom de famille d’Oscar Pormenor. Si ceux-là parlent un français élégant et continuent de faire toutes ces liaisons que l’on ne fait plus, ce n’est pas qu’ils sont prisonniers de la langue et des textes, c’est qu’ils choisissent la beauté comme ils choisissent l’amour – et que la langue et le monde sont plus beaux ainsi. p noémie luciani Film franco-belge d’Eugène Green. Avec Victor Ezenfis, Natacha Régnier, Fabrizio Rongione, Mathieu Amalric… (1 h 55). héroïne de D’une pierre deux coups est une mère de famille née en Afrique du Nord, qui a mis au monde et élevé ses enfants en France. Etant donné le nombre de femmes qui ont suivi ce parcours, on ne devrait pas s’étonner de voir, quelques mois après la sortie de Fatima, un deuxième film construit autour de cette figure. Mais si, on s’étonne, parce que le cinéma français n’est pas très prodigue de nouveaux personnages. Ensuite, il faut passer à autre chose, au film luimême, si différent de celui de Philippe Faucon. D’une pierre deux coups est une comédie familiale enjouée un peu désordonnée, là où Fatima était un portrait intime et rigoureux. Septuagénaire, Zayane vit seule dans l’appartement de banlieue où ont grandi ses onze enfants. Au début du film, elle reçoit une lettre qui l’invite à venir chercher une mystérieuse boîte laissée par son ex-patron, un commerçant français qui a quitté l’Algérie à l’indépendance. Le temps de déchiffrer la missive – elle lit à grand-peine – la vieille dame abandonne la cité dont elle n’était jamais sortie, et part, seule d’abord, puis avec l’aide d’une amie titulaire du permis de conduire (Brigitte Roüan) à la recherche d’un lointain passé, du temps de la colonie. Repas de famille anarchique Pendant ce temps, ses enfants s’aperçoivent, les uns après les autres, de la disparition de leur mère. Leur inquiétude provoque une réunion de famille qui fait se croiser tous les chemins qu’ils ont pris, professionnels, familiaux, religieux, géographiques. Il y a beaucoup d’audace de la part de Fejria Deliba à réunir dans un même film le voyage dans le temps de la mère et le pèlerinage géographique des enfants, comme pour dire tout du destin de deux générations. Même s’il reste inabouti, le geste valait la peine d’être tenté. Dans la voiture de son amie, Zayane (Milouda Chaqiq, qui n’est pas comédienne, mais a dit du slam sous le pseudonyme de Tata Milouda) se débat avec ses souvenirs de jeune femme, d’amoureuse, en un temps où elle n’avait pas encore rencontré son mari, où son pays natal était ravagé par la guerre d’indépendance. Son énergie sauve le film, tout en menaçant de le faire exploser à la manière d’un autocuiseur Dans l’appartement, les frères et les sœurs se disputent les secrets de la famille. Les uns voulant les préserver à tout prix, les filles redoutant de découvrir à quel point leur mère leur ressemble. Cette fratrie réunit des acteurs connus et expérimentés (Zinedine Salem, Samir Guesmi), d’autres moins. Leur réunion peut sonner un moment comme une cacophonie qui fait s’entrechoquer des façons et des attitudes a priori incompatibles. Elle devient bientôt un vrai repas de famille, anarchique, instable, spontané, qui éclaire (trop) brièvement le parcours de chacun et chacune. On frôle parfois l’énumération sociologique (de la docteure en médecine au livreur, en passant par le commerçant et l’entrepreneur ; de la belle-sœur convertie à la coquette), mais les interprètes débordent d’enthousiasme. Cette énergie sauve le film, tout en menaçant de le faire exploser, à la manière d’un autocuiseur. Il y a dans les discussions sur la conduite qu’une femme doit tenir en société, sur sa tenue, sur les liens avec le pays d’origine, de quoi remplir au moins une demi-douzaine de scénarios (ou deux saisons d’une série qui ne serait sans doute jamais produite en France), un trop-plein dont parfois la réalisatrice peine à se dépêtrer. Heureusement, il y a l’autre versant du film, le voyage de Zayane, qui tire le récit vers la gravité, vers la colère même, incarnée par le bref et juste accès de fureur qui saisit la vieille dame face à une autre femme, qui elle aussi a quitté le pays de son enfance. Il aurait fallu un peu de temps (de projection sûrement, de tournage aussi sans doute) pour que le film déploie toutes ses possibilités. Leur seule énumération suffit à donner envie de mieux connaître ces personnages, de découvrir d’autres secrets de famille. p thomas sotinel Film français de Fejria Deliba. Avec Milouda Chaqiq, Zinedine Soualem, Samir Guesmi, Brigitte Roüan, Linda Prévot Chaïb (1 h 23). “UN PORTRAIT MALICIEUX DE LA FRANCE” OUEST FRANCE “COCASSE ET DRÔLE” LA PROVENCE ★★★★ ★★★ STUDIO CINÉ LIVE L’OBS Musique originale Alexandre Desplat RÉALISATION ET IMAGE : RAYMOND DEPARDON, PRODUCTION ET SON : CLAUDINE NOUGARET, MONTAGE : PAULINE GAILLARD, MIXAGE : EMMANUEL CROSET, UNE COPRODUCTION : PALMERAIE ET DÉSERT – FRANCE 2 CINÉMA AVEC LA PARTICIPATION DE FRANCE TÉLÉVISIONS, DE CINÉ+ ET AVEC LE SOUTIEN DE LA RÉGION ILE-DE-FRANCE. ©PALMERAIE ET DÉSERT ET FRANCE 2 CINÉMA VISA N° 141760 AU CINÉMA LE 27 AVRIL CONCEPTION GRAPHIQUE: ATALANTE-PARIS Raymond Depardon 18 | télévisions 0123 MERCREDI 20 AVRIL 2016 Très chère diplomatie VOTRE SOIRÉE TÉLÉ Le Quai d’Orsay entretient une certaine opacité quant au coût de la représentation française à l’étranger FRANCE 3 MERCREDI 20 – 23 H 25 MAGAZINE U ne ambassadrice chargée de la piraterie maritime dans le monde ? Pourquoi pas… Encore faudrait-il qu’elle soit capable de donner ne serait-ce qu’un chiffre sur l’ampleur de ce phénomène. Lorsqu’une journaliste du magazine « Pièces à conviction » lui demande le nombre d’actes de ce genre dans le golfe de Guinée, à la veille d’une réunion en Côte d’Ivoire sur le sujet, elle est incapable de répondre ! Quand on la retrouve un peu plus tard, cette même ambassadrice semble plus préoccupée par l’horaire trop matinal d’un avion qu’elle devra prendre pour un prochain rendezvous que du sujet qu’elle est censée traiter… Elle ne sera pas toujours en mesure de communiquer un chiffre quand la journaliste lui pose une question sur la criminalité en mer. Troisième réseau au monde L’équipe de « Pièces à conviction » s’est penchée sur les coûts de fonctionnement de notre représentation à l’étranger. Un travail difficile quand on apprend que même le rapporteur du budget du Quai d’Orsay à l’Assemblée nationale ne parvient pas à obtenir le détail de certains frais. En France, il y a 25 ambassadeurs thématiques chargés de suivre des dossiers aussi variés que les pôles, le développement de la cohésion sociale ou encore la mobilité externe des cadres supérieurs… Leurs missions sont floues pour un montant également opaque. Car la diplomatie française mène grand train, même si, officiellement, l’heure est aux économies. La France dispose du troisième réseau d’ambassades à travers le monde, derrière celui des EtatsUnis et de la Chine. Dans la République populaire, une nouvelle ambassade vient d’être érigée en plein Pékin. Le Quai d’Orsay a accepté d’entrouvrir les portes de ce bâtiment flambant neuf qui est présenté comme un modèle. Ici, on fait attention à l’argent du contribuable. L’ambassadeur veille à ce que chaque centime soit bien dépensé, et que les entreprises françaises puissent s’appuyer sur ses services. L’activité des visas (un million par an) est un centre de profit. Cependant, dans le reste du réseau des 161 ambassades, les deniers publics ne sont pas toujours M E RCR E D I 20 AVR IL TF1 20.55 Grey’s Anatomy Série créée par Shonda Rhimes. Avec Chandra Wilson, Ellen Pompeo (EU, saison 11, ép. 15 et 16/24). 22.40 Night Shift Série créée par Gabe Sachs et Jeff Judah. Avec Eoin Macken, Brendan Fehr (EU, S1, ép. 7 à 8/8). France 2 20.55 Rose et le soldat Téléfilm de Jean-Claude Flamand Barny. Avec Zita Hanrot, Fred Testot, Pascal Légitimus (Fr., 2014, 95 min). 22.35 Folie passagère Animé par Frédéric Lopez. Discours du président Hollande à La Semaine des ambassadeurs, à Paris, en 2015. FRANCE 3 utilisés de la même façon. L’enquête menée par les journalistes de « Pièces à conviction » montre d’abord que le Quai d’Orsay vit dans une certaine opacité. Il est vrai qu’il faut faire preuve de discrétion pour défendre les intérêts de la France à travers le monde. Pourtant, l’opacité est souvent un prétexte pour que perdurent des situations difficilement compréhensibles alors que l’Etat doit se serrer la ceinture. Ainsi, dans le documentaire, un représentant du ministère juge normal de ne existeraient pour diminuer les dépenses et les rendre plus efficaces. Pourtant, leur mise en place tarde. La diffusion de cette enquête sera suivie d’un débat animé par Patricia Loison, qui recevra JeanChristophe Rufin, ancien ambassadeur au Sénégal de 2007 à 2010, et Alexandra Jousset, journaliste, auteure de ce documentaire. p pas détailler les indemnités de résidence aux diplomates expatriés (qui peuvent atteindre plusieurs dizaines de milliers d’euros par mois) pour des raisons « stratégiques ». D’une manière générale, les primes et les salaires exceptionnels versés aux diplomates ne se font pas dans la plus grande transparence. Fermeture de certains consulats, rééquilibrage de la présence française ou encore suppression de certains services proposés aux Français expatriés, des solutions joël morio Nos très chères ambassades, d’Alexandra Jousset (France, 2016, 70 min). En 1942, à la Martinique, une jeune institutrice tente de rejoindre le camp des dissidents I nstitutrice dans un village de pêcheurs martiniquais, Rose se voit contrainte, en mars 1942, d’abandonner son emploi pour obéir aux lois de Vichy qui souhaitent renvoyer les femmes dans leur foyer. Pour gagner sa vie – sous la coupe de l’amiral Robert, haut-commissaire aux Antilles, l’île est alors affamée par le blocus britannique –, Rose accepte de faire le ménage chez un jeune officier allemand gravement blessé et assigné à résidence. Elle espère ainsi pouvoir l’espionner et le livrer aux jeunes rebelles qui tentent de fuir en bateau pour rejoindre la Résistance et contribuer à libérer la France. Dans le même temps, infiltrant les rangs d’officiers pétainistes, Rose va rencontrer le capitaine Jacques Meyer (Fred Testot) dont elle tombe amoureuse. L’histoire ne sera évidemment pas simple mais ne parviendra pas à ébranler les convictions politiques de la jeune femme. Après la série sur l’histoire de l’esclavage aux Antilles françaises « Tropiques amers » (diffusée en 2007 sur France 3), le réalisateur Jean-Claude Barny et la productrice Elizabeth Arnac (Lizland production) reviennent avec ce téléfilm dont l’ambition est d’apporter une reconnaissance aux 4 000 Antillais qui se sont opposés au régime dictatorial et collaborationniste de l’amiral Robert et n’ont pas bénéficié des honneurs accordés aux héros de la métropole. Ecrit par Philippe Bernard, avec l’aide des deux his- Canal+ 21.00 La Collection papillon « Ils changent le monde : les sorciers du portable » Présenté par Daphné Roulier. 22.30 Enfant 44 Thriller de Daniel Espinosa. Avec Tom Hardy, Noomi Rapace, Joel Kinnaman, Gary Oldman (EU-GB, 2015, 138 min). France 5 20.45 Le Tombeau perdu de Cléopâtre Documentaire de Paul Olding (All., 2015, 45 min). 22.25 C dans l’air Magazine animé par Yves Calvi. Rose, l’insoumise FRANCE 2 MERCREDI 20 – 20 H 55 TÉLÉFILM France 3 20.55 Le Monde de Jamy « Dans la tête de nos animaux préférés ». Documentaire de François Ducroux, Bruno Bucher, Stéphane Jobert (Fr., 2016, 115 min). 23.25 Pièces à conviction « Nos très chères ambassades », d’Alexandra Jousset (Fr., 2016, 70 min) Magazine animé par Patricia Loison. toriens Gilbert Pago et Eric Jennings, Rose et le soldat fait le choix de s’attacher à quelques personnages emblématiques pour incarner les forces, les tensions et les enjeux en présence : l’engagement des résistants, la soumission des officiers au régime de Vichy qui ranime les vieux réflexes esclavagistes, la dignité des pêcheurs qui tentent de survivre sans courber l’échine face aux vexations et suspicions dont ils sont l’objet. Soucieux de viser un large public, le réalisateur Jean-Claude Barny n’évite pas toujours les facilités (accents mélodramatiques, répliques appuyées, éloquence des bons sentiments…) qui, croit-on a priori, tendent à servir ce but. Il n’en demeure pas moins que Rose et le soldat, essentiellement porté par l’attachante Zita Hanrot, se laisse volontiers regarder. p véronique cauhapé Rose et le soldat, de Jean-Claude Barny. Avec Zita Hanrot, Fred Testot, Pascal Légitimus (Fr., 2014, 95 min). Arte 20.55 Jane Eyre Drame de Cary Joji. Avec Mia Wasikowska, Michael Fassbender (GB-EU, 2011, 120 min). 22.55 Libre et biélorusse Documentaire de Friedemann Hottenbacher (All., 2015, 50 min). M6 20.55 Superkids Divertissement animé par Faustine Bollaert et Stéphane Rotenberg. 23.15 Tout sur Jamel Spectacle enregistré au Zénith de Paris, en décembre 2012 (120 min). 0123 est édité par la Société éditrice HORIZONTALEMENT GRILLE N° 16 - 094 PAR PHILIPPE DUPUIS 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 I II III IV V VI VII VIII IX X SOLUTION DE LA GRILLE N° 16 - 093 HORIZONTALEMENT I. Thésauriseur. II. Rugissant. Ne. III. Arole. Ironie. IV. NL. Oxalide. V. « Sun ». Uns. Onde. VI. Ibères. Clé. VII. Tête. Erra. At. VIII. Ircam. Ie. Gui. IX. Ola. Irapuato. X. Numérisation. VERTICALEMENT 1. Transition. 2. Hurluberlu. 3. Ego. Netcam. 4. Silo. Réa. 5. Asexué. Mir. 6. US. Anse. Ri. 7. Rails. Rias. 8. INRI. Crêpa. 9. Stodola. Ut. 10. Néné. Gai. 11. Uni. Auto. 12. Réélection. I. Fait ressortir de vieux souvenirs. II. Augmente le stress et les larmes. Epreuve pour le jeune loup. III. Evite d’arrêter le travail en bout de chaîne. L’air des poètes. IV. Rencontre pleine de risques. Laissé sur place. En ligne. V. Mis en tube au laboratoire. Grecque. Centrale pour le monde enseignant. VI. Un peu de zeste. Gamin lyonnais. Tuyau d’évacuation. VII. Méprisable. Choisir de la fermer. VIII. Encourage le spectacle. Région des Balkans. IX. Crieras comme un duc. Fournisseur pour artiste. X. Sans rire ni plaisanter. du « Monde » SA Durée de la société : 99 ans à compter du 15 décembre 2000. Capital social : 94.610.348,70 ¤. Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS). 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Le premier premier ministre de l’Inde indépendante. 7. Au cœur de l’atrium. Détestas au plus haut point. 8. Coup sur le tatami. Mis à plat. 9. Prend son repas à la source. Met in à un cycle. 10. Finement galbé. 11. Suive idèlement. La in d’un quatrain. 12. Firent preuve d’un grand mépris. La reproduction de tout article est interdite sans l’accord de l’administration. Commission paritaire des publications et agences de presse n° 0717 C 81975 ISSN 0395-2037 “Elles viennent du fond des temps et de tous les continents nous raconter leur histoire.” Un hors-série CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX Présidente : Corinne Mrejen PRINTED IN FRANCE 80, bd Auguste-Blanqui, 75707 PARIS CEDEX 13 Tél : 01-57-28-39-00 Fax : 01-57-28-39-26 L’Imprimerie, 79 rue de Roissy, 93290 Tremblay-en-France Toulouse (Occitane Imprimerie) Montpellier (« Midi Libre ») disparitions & carnet | 19 0123 MERCREDI 20 AVRIL 2016 Troyes. Rolande Trempé Ng Ectpgv Xqu itcpfu fixfipgogpvu Historienne Pckuucpegu. dcrv‒ogu. octkcigu Cxku fg ffieflu. tgogtekgogpvu. oguugu cppkxgtucktgu Eqnnqswgu. eqphfitgpegu. rqtvgu/qwxgtvgu. ukipcvwtgu Uqwvgpcpegu fg ofioqktg. vjflugu ont l’immense joie d’annoncer la naissance du petit Marius, le 24 mars 2016, à 22 h 44, aux Lilas, Paris, A quelques jours de ses 100 ans, l’historienne Rolande Trempé, spécialiste du monde des mineurs et des luttes ouvrières, est morte à Paris le 12 avril. Quand elle naît à Fontenailles (Seine-et-Marne) le 31 mai 1916, second enfant d’un ouvrier boulanger et d’une jeune repasseuse, son père est au front. Il y disparaît dans une offensive à Verdun le 19 juillet, à l’âge de 27 ans. La fillette, qui vouera une vénération sans faille à ce père inconnu, est confiée à ses grands-parents maternels, en Brie, où son aïeule, orpheline elle-même de la guerre franco-prussienne, lui transmet son antimilitarisme comme son anticléricalisme. Les bourses que reçoit la jeune pupille de la Nation l’orientent, brevet supérieur en poche, vers l’Ecole normale d’institutrices (1936), puis le concours de professeur des écoles primaires supérieures. Reçue, elle demande son affectation en Algérie. Nommée à Constantine, elle doit renoncer au départ, la déclaration de guerre en septembre 1939 la dissuadant de s’éloigner de sa mère. Elle débarque ainsi, au volant de sa Ford – éprise de vitesse, cette sportive se rêvait aviatrice – à Charleville-Mézières, où son énergie et ses talents oratoires font sensation. C’est bientôt la défaite, et l’exode. Evacuée vers l’Ouest, elle assiste, à Nantes, à un défilé allemand et décide d’entrer en résistance. En esprit pour l’instant. De retour à Charleville en 1942, elle opte pour l’activisme, adhère au Parti communiste français, rejoint en tant qu’agent de liaison les francstireurs et partisans, sillonnant la région à vélo. A la Libération, tandis qu’elle participe à la fondation de l’Union des femmes françaises qui milite pour la défense des droits des femmes, Rolande Trempé se présente aux élections municipales, le premier scrutin ouvert aux femmes, mais le PCF qui se sert de sa popularité se méfie toutefois de son irréductible insoumission, la dénigre et l’écarte finalement. Furieuse, elle quitte toutes ses responsabilités, jusqu’à la région où elle a tant œuvré. « La vieille pétroleuse » de 1968 Arrivée à Toulouse en 1947 pour y enseigner la pédagogie, elle y renoue avec l’histoire, sous la direction de Jacques Godechot, qu’elle rencontre en 1952. Un choc humain, doublé par la découverte de Jean Jaurès, qui va marquer son engagement intellectuel. Un fonds d’archives sur les mineurs de Carmaux, surabondant, décide Elise LHOMEAU, Nicolas GIULIANI. Niki, 31 MAI 1916 Naissance à Fontenailles (Seine-et-Marne) 1969 Soutenance de sa thèse « Les Mineurs de Carmaux 1848-1914 » 1970 À 1983 Professeure à Toulouse-Le Mirail 2005 Sortie du film « Résistantes, de l’ombre à la lumière » 12 AVRIL 2016 Mort à Paris du sujet de sa thèse d’histoire sociale. Le domaine comme la discipline sont encore peu explorés, et Rolande Trempé y rejoint d’autres pionnières : Madeleine Rebérioux, Annie Kriegel ou Michelle Perrot. Elle est encore de la partie quand naît en 1960 la revue Le Mouvement social sous la houlette de Jean Maitron, qui fit entrer l’histoire ouvrière à l’université. Assistante à la faculté des lettres de Toulouse dès 1964, elle s’apprête à soutenir sa thèse quand le mouvement étudiant au printemps 1968 retarde l’échéance. Si elle porte « un regard sans illusions » sur une contestation trop peu politique à son goût, celle que les étudiants baptisent « la vieille pétroleuse » rejoint finalement leurs rangs. En juin 1969, elle est recrutée par Jacques Godechot et Philippe Wolff pour enseigner à l’université Toulouse-Le Mirail, où elle renouvelle avec Rémy Pech, jeune assistant qui partage ses vues, les pratiques pédagogiques, associant les étudiants à la construction des cours, dialoguant et débattant, proposant des visites de sites industriels pour donner aux étudiants un aperçu des réalités de la condition ouvrière. Dans la même optique, elle est l’une des premières à préconiser l’utilisation de la vidéo et du témoignage filmé à des fins historiques, préservant ainsi et diffusant la mémoire des humbles. Si elle se défend d’être féministe, Rolande Trempé s’attache à faire reconnaître la place des femmes, choisissant l’ampleur des enjeux sociaux contre les querelles de chapelle ou de clans. De cafés-histoire en cours d’éducation populaire, la nouvelle retraitée croise les perspectives pour évoquer le monde du travail ou la Résistance au féminin. La rigueur de sa démarche, la constance de ses options, un goût pour l’insoumission et une liberté frondeuse ont fait de cette femme généreuse un modèle d’énergie et d’indépendance pour celles et ceux qui l’approchèrent. p philippe-jean catinchi Mme Titia Houplain, son épouse, Ses enfants Et toute sa famille, ont l’immense chagrin de faire part du décès de M. Bernard DUBOIS, chevalier de la Légion d’honneur, ancien délégué général de la Fondation Hôpitaux de Paris-Hôpitaux de France, Une cérémonie d’hommage civil aura lieu le jeudi 21 avril, à 10 heures, en la Maison funéraire de Montreuil, 32, avenue Jean-Moulin, où l’on se réunira. Elle sera suivie de l’inhumation au cimetière Ancien de Romainville, rue Paul-de-Kock. Famille Dubois, 60, rue Saint-Germain, 93230 Romainville. David VRANKEN et Louise LABIB Nina, chez survenu le 7 avril 2016, à l’âge de quatre-vingt-quinze ans. survenu le samedi 16 avril 2016, à l’âge de soixante-dix-huit ans. Jean LABIB et Catherine LAMOUR ont la très grande joie d’annoncer les naissances de et de ENS de Fontenay-aux-Roses, 1943-1946, professeure retraitée de l’université de Reims, Cet avis tient lieu de faire-part et de remerciements. GIULIANI, HOPPSTOCK, LHOMEAU, les grands-parents, chez Mme Andrée DENIS, ectpgvBorwdnkekvg0ht Naissances PATRICK DUMAS/LABEX SMS font part du décès de Rqwt vqwvg kphqtocvkqp < AU CARNET DU «MONDE» En novembre 2012. Les familles Nunes et Thierry Les obsèques ont eu lieu dans l’intimité familiale, le mercredi 13 avril. 23 79 4: 4: 4: 23 79 4: 43 58 ils de La Fondation Entraide Hostater Paolo SARNO et Jeanne LABIB. Décès Mme Valentina Badiali, son épouse, Nadya Hristova, sa belle-ille, Jean-Paul et Bernard Barjot, ses frères Ainsi que tous ses amis, ont la douleur de faire part du décès de M. Jean-Pierre BADIALI, directeur de recherche au CNRS, survenu le 15 avril 2016, dans sa soixante-quinzième année. La cérémonie civile se tiendra ce mardi 19 avril, à 16 heures, au cimetière de Montmartre, Paris 18e. [email protected] 35, avenue du Général-de-Gaulle, Résidence Clos d’Alençon, D6, 91140 Villebon-sur-Yvette. Gérard Cahn, son mari, Jean-Yves Cahn, son ils et sa belle-ille Brigitte, Thierry Cahn, son ils et sa belle-ille Christine, Julien et Polina, Simon et Marie, Juliette, Fanny, Nathan, Sacha et Cosmo, ses petits et arrière-petits-enfants, Alain et Jean-Marc, ses frères, Colette et Chantal Cahn, Marion Wormser, ses belles-sœurs Ainsi que toute la famille, ont la tristesse de faire part du décès de Mme Gérard CAHN, née Annie WORMSER. L’enterrement aura lieu au cimetière israélite, rue du Ladhof, à Colmar, ce mardi 19 avril 2016, à 14 heures. Ni leurs ni couronnes. 19, rue du Premier-Cuirassiers, 68000 Colmar. M. Jacques Chirac, ancien président de la République Française Et Mme Jacques Chirac, M. et Mme Frédéric Salat-Baroux, M. Martin Rey Chirac, ont la grande douleur de faire part du décès de Laurence CHIRAC, survenu à Paris, le jeudi 14 avril 2016. La cérémonie religieuse a eu lieu en la chapelle de Jésus Enfant, de la basilique de Sainte-Clotilde, Paris 7 e, dans l’intimité familiale. (Le Monde du 16 avril.) Francis Cimier, Maurice et Christiane ChancelFribourg, Jean-Serge Valla et ses enfants et petits-enfants, Bernard et Monique Fribourg et leurs enfants et petits-enfants, Toute sa famille, Ses amis, ont la tristesse d’annoncer le décès, à Paris, le jeudi 14 avril 2016, de Sugeeta-Chantal FRIBOURG, La cérémonie d’adieu aura lieu au crématorium du cimetière du PèreLachaise, Paris 20 e, le jeudi 21 avril, à 14 h 30, suivie de l’incinération. Ils rappellent à votre souvenir sa sœur, Josette. C’est avec une ininie tristesse que nous avons appris le décès de Anne-Marie LUCCIONI, directrice des Programmes Eurodoc, DOC Med, Produire en Région et Eurodoc Executives, une personnalité irremplaçable dans le documentaire en Europe et dans le monde. Pendant des décennies, elle a nourri notre engagement pour le documentaire et a contribué à son épanouissement international. Avec élégance et persévérance, elle nous a incités à faire vivre un cinéma documentaire humaniste, et à partager notre courage pour des ilms inouïs, engagés, humains. Son regard, son esprit, sa douceur et sa force, et son amour pour le documentaire nous manquent déjà. Les produc(teurs)trices indépendants, chargé(e)s de programme des télévisions publiques internationaux qui ont eu la chance de participer à ses programmes et de travailler avec elle, Massimo Arvat (Turin), Erkki Astala (Helsinki), Paolo Benzi (Naples), Matthieu Belghiti, Jacques Bidou, Xavier Carniaux, Juliette Cazanave, Denis Freyd (Paris), Mohammed Belhaj, Jean-Marie Bertineau (Bègles), Alexandre Cornu (Marseille), Melina Chosson (Montpellier), Luis Correa (Lisbonne), Heino Deckert, (Leipzig), Patricia et Thierry Garrel (Vancouver), Alessandro Gropplero, Anita Hugi (Zurich), Doris Hepp, Susanne Mertens, Martin Pieper (Mayence), Serge Lalou (Montpellier), Fleur Knopperts et Denis Vaslin (Rotterdam), Thomas Kufus (Berlin), Anne-Laure Negrin (Strasbourg), Astrid Ohlsen (Stockholm), Carl-Ludwig Rettinger, Sabine Rollberg (Cologne), Isabelle Truc (La Hulpe), Joan Ubeda (Barcelone), Clara Vuillermoz (Nantes), Ralph Wieser (Vienne) Et tous ceux qui se joignent à notre tristesse. a la grande tristesse de faire part du décès de Janine LEVAIN, survenu le 9 avril 2016. Administratrice de la Fondation dès sa création en 1979, jusqu’en 2009, Janine Levain était encore ces derniers temps un membre très actif de la commission des bourses d’études. Mme Pierre Vandevoorde, née Aliette Couder, son épouse, Mathilde et Gilles Courtois, Marie-Adélaïde et Andreas Nielen, ses enfants, Joseph, Léontine, Victoire, Pierre-Eloi, Octavie, Marguerite, Blanche et Jean, ses petits-enfants, Toute la famille, Pierre, Christine, Jean-Pierre, Olivier, Stéphane et Françoise, ses illeuls, Son dynamisme, son intelligence des situations, sa bienveillance vont manquer aux membres de la Fondation, à tous ses amis et aux étudiants qui motivaient son engagement. ont la tristesse de faire part du décès, survenu dans sa quatre-vingt-troisième année, de On se souviendra d’une femme de convictions attentive et généreuse. ancien élève de l’ENS Ulm, agrégé d’histoire, poète, Simone Monestier, née Lacotte, son épouse, Jean Monestier, Le docteur Danièle Monestier Carlus et le docteur Francis Carlus, Michèle Monestier et Roland Matutini (†), Elisabeth Monestier et Jean Paul Cazal, ses enfants, Ses petits-enfants Et ses arrière-petits-enfants, ont la tristesse de faire part du décès de Louis MONESTIER, ancien maire de Prades, survenu le 10 avril 2016, à l’âge de quatre-vingt-dix-sept ans. Les obsèques ont été célébrées le jeudi 14 avril, en l’église Saint-Pierre de Prades (Pyrénées-Orientales). Agrégé d’histoire et de géographie, Louis Monestier fut maire de Prades, pendant trois mandats, à partir de 1959. Ecrivain, il publia son premier roman en 1949. Cinéphile averti, il créa le premier Cinéclub de Prades et fut à l’origine du festival de cinéma qui contribue, depuis bientôt soixante ans, à porter haut les couleurs de la ville. Mélomane, il assura la pérennisation du festival Pablo Casals, quand le maître se retira à Porto Rico. Enin il fut rédacteur en chef de la revue La France, pendant plus de dix ans. [email protected] [email protected] Michelle Roux, son épouse, Christine King, Sylvie et Frédéric Gohl, François Roux et Claire Girard, Jean-Michel et Valérie Roux-Formond, ses enfants et leurs conjoints, Ses petits-enfants Et arrière-petits-enfants, ont la tristesse de faire part du décès, le 16 avril 2016, de Georges ROUX, général de division, grand oficier de la Légion d’honneur. La cérémonie religieuse sera célébrée le jeudi 21 avril, à 10 heures, en l’église de Saint-Eloy-les-Mines (Puy-de-Dôme). Elle sera suivie de l’inhumation au cimetière de cette même commune. La famille sera reconnaissante de don à l’association : Les Amis du Petit Câlin. Marc Desvignes et Delphine Fortier, Sophie et Xavier Roquel, Eric et Anna Delalande, ses enfants et leurs conjoints, Philippe, Claire, Emma, Alessandro et Louis, ses petits-enfants, Martine Sobel, sa sœur, Jean-Louis Sicard et Dominique, son frère et sa belle-sœur, Sa famille Et ses amis, ont la grande tristesse de faire part du décès du docteur Claudine SICARD, survenu à Paris, le 13 avril 2016. La cérémonie religieuse sera célébrée le jeudi 21 avril, à 10 h 30, en l’église Saint-Thomas-d’Aquin, Paris 7e. Cet avis tient lieu de faire-part. 7, rue Sédillot, 75007 Paris. Pierre VANDEVOORDE, ancien maître de conférence à la Faculté des Lettres de Toulouse, inspecteur d’académie honoraire de la Lozère et du Pas-de-Calais, ancien directeur des personnels enseignants du ministère de l’Education nationale, ancien directeur du Livre au ministère de la Culture, ancien président du Centre national des lettres, doyen honoraire de l’Inspection générale établissements et vie scolaire de l’Education nationale, président fondateur de l’AFLEC, président honoraire du CA collège Sévigné, maire honoraire de Saint-Clément-de-Régnat, de 1971 à 2001, ancien combattant d’AFN, oficier de la Légion d’honneur, chevalier de l’ordre national du Mérite, commandeur dans l’ordre des Palmes académiques, commandeur dans l’ordre des Arts et des Lettres, oficier dans l’ordre du Mérite agricole. La cérémonie religieuse aura lieu le lundi 18 avril 2016, à 15 heures, en l’église de Saint-Clément-de-Régnat, suivie de l’inhumation dans le caveau de famille. Aliette Vandevoorde, Le Presbytère, 4, route de Bussières, 63310 Saint-Clément-de-Régnat. Anniversaire de décès Il y a deux ans, le 20 avril 2014, disparaissait Jacques ZAJDERMANN. Sa famille, Ses amis, pensent à lui. « Il est quelque chose plus fort que la mort, c’est la présence des absents dans la mémoire des vivants. » Communications diverses Le Consistoire souhaite de bonnes fêtes de Pessah 5776 à toute la Communauté. Les informations et la liste des produits cacher pour Pessah sont sur www.consistoire.org ou sur l’application Consistoire (Iphone ou Androïd). Institut universitaire Elie Wiesel cycles de cours : 2 mai 2016 à 15 heures, « Réhumaniser l’histoire de la Shoah : un acte de résistance ? », par Fabienne Regard (4 séances) - 3 mai, à 15 h 30, « Le monde de la Bible, l’aventure de la chair », par Jérôme Bénarroch ( 6 séances) - 3 mai, à 17 h 15, « Le monde du Talmud : doctrine de la filiation », par Jérôme Bénarrroch (6 séances) - 4 mai, à 17 heures « L’intellectuel juif, figure ambigüe de la culture occidentale ? », par Carlos Levy (4 séances) - 10 mai, à 18 h 30, « Du terrorisme aux terrorismes », par Alain Bauer (3 séances) - Antenne Val-deMarne, 4 mai, à 19 h 30 « Rois et tyrans de la Bible », par Franklin Rausky (5 séances), - Antenne Ouest-parisien, 2 mai, à 18 h 30 « Histoire du peuple d’Israël - entre mythes, idéologies et certitudes », par Michel Abitbol (4 séances). Inscriptions à l’avance : 119, rue La Fayette, 75010 Paris. Tél. : 01 53 20 52 61. www.instituteliewiesel.com [email protected] # # $ !# $ # #$ $# &. + *2.+ #$ $ #$ $ $# $ # *'$ %&# & #$ # . *&%%* # $ !# ! #! *%& + &/& #$ %# # # " $ #$ ! #! # %&!- &(). % * ** %%#&%. * % # %* # * .* # # ** &.*-& + # % *&% 2#/ .$%% *%. (*$%- * # $ $ %%- &- # (( &.* # 3"&0+" # $# *%" &%%+ # .** % * +- % ++&# #$ $ $ %# $ $ ##+ /% &- #$ $ %# $ $ .# % *&&.*#$ % !# # #! %%- * # % &.1 #$ #!#$ * + (-&&*&. # &#+ $%3 * 3 #$ *%" &. # $ $ -* %  # # * +- % ! !$ % ** * (*+ %- +- % *% & / (*+ %- 20 | décryptage 0123 MERCREDI 20 AVRIL 2016 Le départ mouvementé du philosophe, insulté et pris à partie après avoir assisté à une assemblée générale place de la République, questionne les pratiques démocratiques d’un mouvement fortement médiatisé Nuit debout, le tournant Finkielkraut ? Un incident mineur ne doit pas discréditer ce bel élan politique Ne retombons pas dans les dérives sectaires de Mai 68 ! Même si les insultes sont condamnables, l’hostilité aux idées réactionnaires de l’essayiste est compréhensible. Cette altercation est une aubaine pour tous ceux qui observent avec méfiance ces rassemblements novateurs On ne peut pas vouloir réinventer la démocratie et rejeter toute voix discordante. N’oublions pas nos erreurs passées Par CAROLINE DE HAAS A lain Finkielkraut a assisté ce week-end [le 16 avri] à une assemblée générale de Nuit debout et s’est éloigné du rassemblement après un temps assez long. Il a alors été pris à partie et insulté par des individus. Breaking news. Sortons le bandeau spécial sur BFM-TV, le direct, le duplex et tout le tralala. Alain Finkielkraut se fait enguirlander lorsqu’il marche dans la rue. Ça, c’est une info. Une vraie. Qui mérite, c’est clair, la réaction de non pas un mais de plusieurs membres du gouvernement. Cela mérite au moins un édito de type « Je suis choqué » dans Libération. Et les commentaires, tweets et autres petites phrases d’une foule d’éditorialistes, intellectuels et commentateurs qui choisissent des mots tout à fait adaptés pour décrire la situation : fascisme, pogroms, totalitarisme. Le point Godwin atteint en moins de quarante-cinq secondes. Un record. Quatre ou cinq personnes ont donc insulté Alain Finkielkraut en marge d’une assemblée générale de Nuit debout. Est-ce bien d’insulter des gens ? Certainement pas. L’insulte est l’arme des faibles à court d’arguments. On pourrait d’ailleurs le rappeler au principal intéressé de cette aventure, qui se répand sur les plateaux télé pour déverser sa haine des autres, d’une France diverse et dans laquelle nous essayons, sans forcément y arriver d’ailleurs, de faire avancer l’égalité. Au passage, on notera que lorsque Alain Finkielkraut nous insulte dans les médias, il n’y a pas grand monde pour lui faire remarquer que cela ne se fait pas. Mais que se passe-t-il dans notre société pour que, lorsqu’un polémiste réactionnaire, vulgaire, aux relents xénophobes, se fait insulter dans la rue, nous traitions cela comme une information majeure et déterminante pour la vie politique et citoyenne française ? Peut-être n’y avait-il aucune autre information intéressante ce jour-là. Entre la destitution de Dilma Rousseff, la Syrie, les élections aux Etats-Unis, la situation en Grèce, les débats autour de 2017 en France, les chiffres du chômage, on aurait pourtant eu une foule de choses intéressantes à raconter. UN MOUVEMENT QUI DÉRANGE Ce n’est donc pas cela qui explique l’emballement. Alors je formule une hypothèse. Peut-être qu’au final, cette histoire arrange beaucoup de monde. En tout cas, toutes celles et ceux qui, depuis trois semaines, regardent d’un œil inquiet les rassemblements Nuit debout et n’attendaient que ça. Ils et elles ont – enfin ! – trouvé l’occasion de dire tout le mal qu’ils pensaient de Nuit debout. L’histoire n’est pas vraiment celle qu’ils racontent ? Ce n’est pas grave. Alain Finkielkraut n’a pas été viré de l’AG de Nuit debout sous les huées ? Peu importe. Parce qu’au fond, je ne suis pas certaine que quelqu’un en ait quelque chose à cirer que Finkielkraut échange des noms d’oiseaux avec quatre ou cinq individus sur la place de la République. Par contre, que cela permette de remettre à leur place tous ces idéalistes qui veulent transformer ce monde, ça, c’est intéressant. Nuit debout est insaisissable, dérange, interpelle, sort des codes et des cases habituelles. Et nous n’aimons pas ça. Ce mouvement, qui n’aimerait sans doute pas être qualifié comme cela, nous met le nez dans nos propres contradictions, nos difficultés, notre incapacité collective à construire une alternative au monde qu’on nous impose aujourd’hui. Je suis passée plusieurs fois à Nuit debout. J’ai rencontré de l’envie de faire, de comprendre, de se saisir ensemble de nos vies et de notre avenir. A titre personnel, j’y ai rencontré de la bienveillance, beaucoup. De temps en temps, de la méfiance. Parfois, aussi, des désaccords. Le patron des socialistes lui-même et une ministre ont tous deux raconté leur déambulation place de la République, sans que personne ne les ait invectivés. Les responsables des principales forces politiques de gauche sont venus saluer Nuit debout et n’ont rencontré que des sourires, parfois distants, des questions et, au pire, du désintérêt. Jamais de haine ou d’invective. Finkielkraut, en spécialiste de la provocation et de l’invective, a voulu faire un coup. Et tout le monde s’est engouffré dans la brèche. On peut l’applaudir. La machine a marché à plein régime. Provocation du « philo-réacosophe », montée en mayonnaise immédiate des médias, occupation de l’espace pendant trois jours pour raconter à quel point tous ces jeunes gens sont très méchants et irresponsables. Le plus triste ? C’est que si par malheur ce petit monde réussit sa vaste entreprise de découragement, nous l’entendrons à nouveau se lamenter pendant une décennie de cette jeunesse qui ne s’engage pas, qui ne rêve plus, passe son temps à jouer aux jeux vidéo et vote Front national. En langage Twitter, on dirait : « #fatigue ». Ou alors : « #Onvautmieuxqueça ». p ¶ Caroline De Haas, militante féministe, a été à l’initiative de la pétition « Loi travail, non merci » Par ROMAIN GOUPIL S e découvre sur la place de la République pour une jeune génération le plaisir de se retrouver, de se parler et de s’écouter. Du coup, la façon dont Alain Finkielkraut a été interpellé, chassé, expulsé et insulté est la négation de toutes les aspirations proclamées du mouvement ZAD (« zone à débats »). Lors d’assemblées générales, un vote à la majorité écrasante de 80 % fait et défait la politique. Souhaiter la paix à 100 %… La fin de l’horreur économique, 100 %. La condamnation des violences policières, 99 %. Une meilleure éducation, 107 %… C’est une assemblée qui peut toujours remettre en cause le vote du jour précédent, c’est ouvert, hypradémocratique, non contrôlé et revendiqué comme incontrôlable. Alain Finkielkraut venait observer, écouter, se rendre compte. La façon dont il a été reconnu et repoussé est l’illustration contraire des aspirations du mouvement. Sinon il leur faut installer des caméras à reconnaissance faciale pour éviter tout éventuel contradicteur ou sceptique. Sinon il faut un service d’ordre armé d’autres matraques que les cannes à selfies pour chasser l’ennemi de la classe, ou s’emparer de « Finki », De toutes les couleurs | par serguei lui mettre une pancarte de « Causeur » au cou et le convoquer devant les masses de « merci patron » pour en faire un procès édifiant. Je suis abattu, dégoûté par les insultes adressées, les crachats envoyés… Mais… mais, et c’est le paradoxe qui m’interpelle. Je sais l’ignominie de l’intolérance, des pogroms, de la loi de Lynch, de la foule amoureuse des raccourcis simplistes. Je me souviens de Mai 68, de l’occupation des lycées, des facs et des usines. Je me souviens des bonnets d’âne, des moqueries et des menaces contre les mandarins, les profs et les suppôts de l’ordre moral. Je me souviens des idéaux de mon groupuscule d’extrême gauche (JCR), de mes discours. J’avais pour but comme leader d’éviter toute possibilité d’expression des autres groupuscules, d’éliminer toute parole qui n’émanait pas de notre analyse « juste », de « La Vérité ». Bagarres très violentes contre les maoïstes qui tenaient meeting à la Mutualité sous les portraits de Staline et de Mao. Bagarres sanglantes contre l’AJS, sous-groupe trotskiste aux vues différentes sur l’Amérique latine, Cuba et la IVe Internationale. TÉMOIN ET COUPABLE Interdiction de parole des JC (Jeunesses communistes) dans les bahuts. Cogne systématique aux manifs contre la CGT et les gros bras du PCF. Je ridiculisais les hésitants, les neutres, les mous, les socio-traîtres et surtout les staliniens. Nous étions l’avant-garde, nous détenions l’avenir de l’humanité, il suffisait d’organiser la grève générale pour qu’elle devienne insurrectionnelle et que l’on s’empare du pouvoir pour instaurer la dictature du prolétariat et la victoire de la classe ouvrière. Tout le pouvoir aux Soviets !!! Donc tous ceux qui se mettaient en travers de notre chemin devaient plier. Tous ceux qui émettaient un doute étaient injuriés comme traîtres à la classe ouvrière. Je me souviens des insultes en 1968 contre Jean Vilar = Salazar en Avignon, des hurlements à l’Odéon contre Jean-Louis Barrault « valet du théâtre bourgeois », les crachats contre Aragon devant la Sorbonne. Les menaces contre les chiens de garde du Grand Capital, j’en ai été le témoin et le coupable. Je sais, mais si les jeunes écoutaient les vieux qui ont l’expérience et la raison, alors ça deviendrait des vieux jeunes qui ne hurleraient que pour leurs futures retraites et la protection de leur emploi de fonctionnaires de souche. Un môme, moi en 1968, s’opposait systématiquement et de manière hyperviolente aux vieux (profs, parents, PC, CGT, écrivains…) qui étaient comptables d’un monde que je voulais renverser. Je n’avais pas confiance et j’avais raison. Ils – les vieux – n’avaient pas confiance dans mes diatribes de bolchevik déchaîné pour un Homme nouveau. Mes utopies purificatrices et sanglantes à l’image des gardes rouges et des Khmers rouges. Et… ils avaient raison de me mettre en garde. C’est eux qui ont évité que je me radicalise à l’image du terrorisme des Brigades rouges, de la bande à Baader et de l’Armée rouge japonaise… J’avais raison de les insulter, ils avaient raison d’essayer de me raisonner. Heureusement qu’il y a eu Grimaud (préfet de police), Edgar Morin, Alain Touraine, Georges Pompidou et mon père. C’est une liberté incroyable que d’être en désaccord, de pouvoir opposer nos arguments, nos attitudes, nos écrits, nos pensées, sans redouter la prison, l’expulsion, le bannissement ou la pendaison. Donc, je dis à mes amis les agitateurs de mains : « Invitez Alain, laissez-lui cinq minutes et votez à 100 % contre ce qu’il vous aura exposé… Cela vous rassurera sur votre pureté idéologique. » Allez, c’était une grosse connerie, superdésagréable, de le menacer. Je veux bien continuer à faire semblant qu’il n’y a pas de « direction du mouvement », mais je sais pertinemment par vieille expérience que c’est faux et manipulatoire. La « direction » est contre « toute direction » pour mieux conserver la « bonne » direction. p ¶ Romain Goupil est cinéaste décryptage | 21 0123 MERCREDI 20 AVRIL 2016 Giscard, Chirac, Sarkozy, Hollande et Jean-Louis Debré Le livre L e journal tenu par Jean-Louis Debré, 71 ans, durant les neuf années qu’il a passées à la tête du Conseil constitutionnel entre 2007 et 2016, ne se résume pas à cette période de sa vie. Il raconte aussi la passionnante histoire d’une famille juive qui se mêle intimement à celle de la République française. Quand Anschel Moïse, devenu Anselme Debré en 1808, s’installe en Alsace, il ne peut imaginer le rayonnement intellectuel et spirituel que connaîtra le rabbin Simon Debré, son petit-fils. « En mettant de l’ordre dans mes affaires, j’ai retrouvé les ouvrages de votre arrière-grand-père, je tiens beaucoup à ces livres mais je vais vous les donner », dit un jour un vieil homme à Jean-Louis Debré, qui roulait à vélo rue de Rivoli. Cet anonyme déposa le colis au Conseil constitutionnel. Le rabbin Simon, lui, ne pouvait deviner que son petit-fils Michel écrirait la Constitution française de 1958, dont l’article premier célèbre la République laïque. Mort en 1939, il lui fut épargné de porter l’étoile jaune, de se cacher dans son propre pays. Qu’aurait-il dit de voir son arrière-petit-fils Jean-Louis devenir, en 1978, le chef de cabinet d’un certain Maurice Papon, qui organisa le départ à Auschwitz de plus de 1 600 juifs ? Gageons pourtant qu’il aurait été fier de le voir présider deux institu- tions essentielles de la démocratie, l’Assemblée nationale puis le Conseil constitutionnel, en y gagnant l’estime de ses pairs sans céder sur ce qu’il estimait juste et fondé en droit. La dynastie compte aussi un grand pédiatre, Robert Debré, un homme politique, Bernard Debré, le jumeau de Jean-Louis, qui entretient avec lui des relations aussi gracieuses que celles de Caïn et Abel, et de jeunes générations qui prospèrent. Mais c’est évidemment pour ce que JeanLouis Debré a observé de la vie politique depuis son poste du Palais Royal – le quinquennat de Nicolas Sarkozy et les trois quarts de celui de François Hollande – que son livre sera attentivement lu. Quatre portraits de présidents de la Ve République se dessinent sous sa plume, souvent moqueuse. Jacques Chirac y tient le premier rang, en affection et en proximité. Tant de souvenirs les lient, comme cette campagne de 1995, dont les réminiscences s’effacent chez l’ancien président, qui peine à évoquer Edouard Balladur. Debré en a gardé une mémoire très vive et s’emploie à rafraîchir celle de Chirac, en présence de son mémorialiste, Jean-Luc Barré. A ce moment-là, « retourner à l’abreuvoir » n’est pas sa priorité. Quel amusement, en revanche, d’emmener Jean-Louis à Nikky Beach, à SaintTropez, où virevoltent des serveuses aux seins nus ! S’il n’y avait Bernadette. Au moment de la photo avec les jeunes femmes, celle-ci exige de Debré qu’il se place entre elles et son mari, comme une barrière de sécurité. Le Japon danse sur un volcan atomique Le gouvernement nippon n’a pas décidé d’arrêter le fonctionnement de la centrale nucléaire de Sendai, sise à proximité des zones de failles sismiques. Et réveille ainsi le terrible traumatisme de Fukushima, en 2011 Par CÉCILE ASANUMA-BRICE A Kumamoto (préfecture située dans le sud du Japon), secouée par des séismes importants depuis quelques jours, le gouvernement japonais joue un bras de fer bien risqué avec les éléments naturels et ceux qui le sont moins. Le choix de maintenir en activité la centrale nucléaire de Sendai, à 140 km de là, suscite la colère des Japonais. La centrale nucléaire de Sendai se trouve en effet dans le département de Kagoshima, dans le sud-ouest du département de Kumamoto. Cette centrale, composée de deux réacteurs, est la seule à avoir été redémarrée sur le territoire japonais, en août 2015, depuis le séisme accompagné d’un tsunami qui avait provoqué la fonte des cœurs de trois des six réacteurs de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, en mars 2011. La centrale de Sendai, bien que construite en 1984, aurait été remise aux normes après le drame nucléaire du Tohoku. Cette fois, l’enjeu pour le gouvernement japonais serait de montrer que les nouvelles normes sont viables et permettent de résister aux plus forts séismes, redonnant un élan à la politique de redémarrage des centrales nucléaires, qui rencontre de fortes oppositions dans le pays. ARROGANCE En quatre jours, la préfecture de Kumamoto a subi pas moins de 410 secousses sismiques, dont trois tremblements de terre principaux, les jeudi 14, vendredi 15 et samedi 16 avril. Ces secousses sont d’intensité croissante, leur magnitude allant de 6,5 à 7,3 sur l’échelle de Richter (qui va jusqu’à 12). Elles sont précédées et suivies de nombreuses répliques. Ces poussées tectoniques ont engendré une avancée des terres d’un mètre vers le sud-ouest. La région est sillonnée par d’innombrables failles actives d’où proviennent les séismes actuels, le long de la vallée du rift Beppu-Shimabara. Ces failles sont reliées à la ligne tectonique médiane du Japon, qui traverse le pays dans sa longueur. La centrale nucléaire de Sendai, située à proximité de ces zones de failles, réveille le traumatisme de mars 2011, dont ni les spécialistes japonais ni les nombreux experts internationaux ne savent, cinq ans après, maîtriser les conséquences matérielles, environnemen- tales et humaines. Conséquences incommensurables par leur ampleur. A la suite du séisme de 2011, le magma souterrain s’est rapproché de l’écorce terrestre, provoquant le réveil, si ce n’est l’éruption, de divers volcans. La centrale nucléaire de Sendai, localisée sur une zone extrêmement sensible, entourée de nombreux volcans, avait déjà inquiété, alors que le volcan de l’île de Sakura, à une cinquantaine de kilomètres de là, était entré en éruption le 25 août 2015. L’évacuation de la totalité de la population insulaire avait alors été préconisée. Sur l’île de Kyushu, le volcan Aso, actif depuis un mois, est entré en éruption le 16 avril. Huit personnes du village d’Aso sont portées disparues. Des pans entiers de montagne se sont effondrés, emportant tout sur leur passage : routes, ponts, bâtiments, ainsi que 41 vies (au 17 avril). Plus de 190 000 personnes sont réfugiées dans les écoles, gymnases et autres bâtiments permettant leur accueil. Malgré un risque qui pourrait sembler évident, et à l’encontre des diverses protestations qui se manifestent, le gouvernement japonais a pourtant pris la décision de ne pas arrêter le fonctionnement de la centrale nucléaire de Sendai. La dépendance énergétique du Japon au nucléaire ayant toujours été faible (28 % de l’énergie produite par les 54 réacteurs avant Fukushima), ça n’est pas la nécessité énergétique qui motive une telle décision. Quelques heures après le plus fort des séismes, et alors que les répliques se succèdent par centaines chaque jour, la ministre de l’environnement, Tamayo Marukawa, a déclaré, le 16 avril, qu’après réunion du conseil des normes nucléaires, il ne paraissait pas nécessaire d’arrêter la centrale. Elle a justifié cette décision par le fait que les séismes actuels engendrent des mouvements allant jusqu’à 12,6 gal – le gal est une unité spéciale employée en géodésie et en géophysique pour exprimer l’accélération due à la pesanteur terrestre. Or les réacteurs de la centrale de Sendai sont dotés d’un système d’arrêt automatique pour des mouvements d’intensités allant de 80 à 260 gal, soit un séisme dont la magnitude serait supérieure à 8,1, chiffres en deçà desquels la centrale ne serait pas mise en péril. Ainsi, les motivations militaires à l’origine de la volonté politique farouche de relancer le nucléaire au Japon recherchent dans cette nouvelle « expérience » la preuve de leur infaillibilité. L’arrogance liée au désir de pouvoir atomique coûte pourtant cher et le Japon, qui en a déjà subi maintes fois les frais, devrait être le premier à s’en méfier. Chaque jour nous le prouve un peu plus, la menace de la guerre nucléaire, sous un prétendu intérêt de liberté, crée, dans les faits, une extrême privation de liberté. p ¶ Cécile Asanuma-Brice est chercheuse en sociologie urbaine, rattachée au centre de recherche de la Maison franco-japonaise de Tokyo CE QUE JE NE POUVAIS PAS DIRE, de Jean-Louis Debré, Robert Laffont, 400 pages, 21 euros « Tu as vu le pingouin qui arrive ? » Chirac a oublié son nom ou fait semblant, gratifiant d’un commentaire peu amène le grand couturier parisien, ami de sa femme, qui vient vers eux. Des moments plus tristes, dus à la fatigue et à la maladie, viennent assombrir cette relation faite de confiance et de complicité, tissée au fil des campagnes et des cruautés de la vie politique. Debré ne supporte pas non plus que l’on travestisse la pensée de son aîné : après que ce dernier eut apporté son soutien à François Hollande en 2011, Claude Chirac et son mari ont prétendu qu’il s’agissait d’« humour corrézien » pour tenter d’apaiser la colère de Nicolas Sarkozy à l’Elysée. HOLLANDE, UNE DÉCEPTION Du successeur de Jacques Chirac, nul ne sera surpris que l’ancien président du Conseil constitutionnel pense beaucoup de mal. S’il le remercie, comme il l’a toujours fait, d’avoir permis la création de la question prioritaire de constitutionnalité, qui a profondément renouvelé les missions du Conseil, il l’étrille en revanche sur tout le reste, n’épargnant au lecteur la révélation d’aucun de ses petits calculs, de ses exigences, de ses mesquineries. Et surtout de la profonde soif de revanche qui l’anime. En dépit de ses dénégations, il est persuadé très tôt que l’ancien président, qui n’a pas supporté sa défaite, tentera de retourner à l’Elysée. Valéry Giscard d’Estaing, qui a enduré la sienne et se comporte comme un monarque déchu, ne bénéficie pas d’un portrait plus flatteur. Sans méconnaître les qualités intellectuelles de l’ancien président, Debré rapporte une anecdote hilarante survenue à l’occasion du cinquantième anniversaire du Conseil constitutionnel, en 2009. Comment le célébrer ? Giscard proposa… un bal. « Un grand bal, insista-t-il, comme il y en avait jadis au Palais Royal. On pourrait danser la valse. J’ai appris à danser la valse avec Anne-Aymone à Vienne, nous pourrions ouvrir le bal. » Interloqué, comme la plupart des membres du Conseil, Debré imaginait déjà les titres de la presse du lendemain. Giscard lui rétorqua : « Ne lisez pas les gazettes ! » Divertissantes aussi, les scènes entre Giscard et Chirac, les deux meilleurs ennemis de la Ve République. Quant au président en exercice, François Hollande, c’est l’histoire d’une déception que raconte Debré. Celle d’un homme auquel il attribuait un important capital de sympathie et de confiance pour réparer une société troublée par les excès de son prédécesseur. « Jovial, aimable, chaleureux, il n’impressionne pas outre mesure. (…) Il ne dégage aucun magnétisme. » La fausse bonne idée du président « normal », les déchirements de la majorité, la pression fiscale excessive, le manque de hauteur, la multiplication de lois mal pensées et mal ficelées, autant de défis politiques manqués que Jean-Louis Debré se plaira désormais à regarder de loin. p béatrice gurrey L’« alliance froide » avec Riyad Analyse gilles paris washington - correspondant E SELON BARACK OBAMA, LES SAOUDIENS DOIVENT APPRENDRE À PARTAGER LA RÉGION AVEC LEURS ENNEMIS JURÉS, LEURS PUISSANTS VOISINS IRANIENS n avril 2009, un débat d’importance avait agité Washington. Barack Obama ne s’était-il pas incliné avec trop de déférence lorsqu’il avait rencontré pour la première fois le roi Abdallah, au cours d’un sommet à Londres ? Les contempteurs conservateurs du président démocrate, qui se rend à Riyad les 21 et 22 avril, avaient manifestement oublié les propos définitifs vis-à-vis du pouvoir saoudien prononcés par celui qui n’était encore que sénateur de l’Illinois, lors de son discours historique contre une invasion de l’Irak, en 2002. « Président Bush, vous voulez vous battre ?, avait demandé M. Obama. Alors battons-nous pour nous assurer que nos soi-disant alliés au Moyen-Orient, les Saoudiens et les Egyptiens, cessent d’opprimer leur peuple, de réprimer la dissidence, et tolérer la corruption, les inégalités et la mauvaise gestion de leurs économies, condamnant leurs jeunes à grandir sans éducation, sans perspectives, sans espoir, recrues disponibles pour des cellules terroristes. » M. Obama n’avait certainement pas changé d’avis en entrant à la Maison Blanche, sept ans plus tard, et les mêmes critiques apparaissaient d’ailleurs dans le discours prononcé au Caire, deux mois après la rencontre avec Abdallah, sans que ces régimes soient nommément cités. Les contraintes de la relation particulière entre les Etats-Unis et l’Arabie saoudite ont pu masquer tant bien que mal, pendant sept autres années, cette analyse impitoyable du régime saoudien. Mais le président des Etats-Unis a, de nouveau, parlé sans fard du royaume saoudien dans l’article consacré à sa doctrine en matière de politique étrangère publié par The Atlantic, en mars. Le journaliste Jeffrey Goldberg y a rapporté un échange avec le premier ministre australien, Malcom Turnbull, dans lequel le président imputait à l’influence saoudienne le rigorisme religieux croissant qu’il observait en Indonésie, un pays qui lui est cher. « Les Saoudiens sont-ils vos amis ? », lui avait demandé son interlocuteur. « C’est compliqué », avait répondu le président. Le président a développé, dans cet article, une analyse de nature à provoquer l’hystérie à Riyad. Les Saoudiens, y dit en substance M. Obama, doivent apprendre à partager la région avec leurs ennemis jurés, leurs puissants voisins iraniens, et parvenir à « une paix froide » avec Téhéran de part et d’autre des eaux du Golfe. C’est d’une figure de la famille saoudienne, ancien ambassadeur aux Etats-Unis, Turki AlFayçal, qu’est venue la réplique, virulente, le 14 mars, sous forme de lettre ouverte au président. Le prince, qui n’occupe plus de fonctions officielles, a rappelé la trahison qu’avait constituée pour le royaume la décision américaine de ne pas intervenir en Syrie en 2013 en dépit de la « ligne rouge » tracée par le président luimême, à propos du recours aux armes chimiques par le régime de Bachar Al-Assad. « Avezvous à ce point pivoté vers l’Iran que vous mettez sur le même pied les quatre-vingts années de constante amitié avec le royaume et une direction iranienne qui continue de décrire l’Amérique comme son plus grand ennemi ? », a demandé Turki Al-Fayçal. Nul doute que la dernière formule de M. Obama a été de simplifier la nature de la relation entre le roi au pouvoir depuis un an, Salman, et un président qui quittera la Maison Blanche dans moins d’une année. Le conseiller de M. Obama pour la région, Robert Malley, a pris soin de rappeler, jeudi 14 avril, dans un échange avec la presse en amont du voyage, qu’il ne saurait y avoir d’ambiguïté sur la question de savoir « qui est notre partenaire dans la région et qui ne l’est pas ». Et les formules sacramentelles sur l’intangibilité des liens conclus sur le croiseur Quincy, en mer Rouge, il y a soixante et onze ans, seront certainement prononcées sur le sol saoudien à l’occasion de la visite du président. LA « LIGNE ROUGE » DE 2013 Mais elles ne suffiront pas à donner le change. Les Saoudiens ont passé l’administration Obama par pertes et profits. Ils doivent maintenant se demander si la défiance lui survivra ou si l’alliance « froide », voire glaciale, qui règne entre les deux pays aura une chance de se réchauffer. Les fissures apparues au sein de la famille royale compliquent l’affaire, compte tenu des ambitions à peine dissimulées du fils du roi, Mohammed ben Salman, de ravir la succession à son cousin le ministre de l’intérieur et prince héritier, Mohammed ben Nayef, alors que ce dernier a tissé une relation de confiance avec les Etats-Unis « Si une autre relation pouvait s’installer entre le Conseil de coopération du Golfe [CCG] », qui regroupe les monarchies sunnites et que dirige Riyad, « et l’Iran, une relation moins susceptible d’alimenter des guerres par procuration, notre conviction et certainement la conviction du président est que cela serait bon pour la région, pour le CCG, et bon pour la stabilité générale », a estimé Robert Malley. Confrontée à un Proche-Orient décidément maudit pour les Etats-Unis et enlisé dans une « guerre de Trente Ans » entre puissances sunnites et chiites, la personne qui s’installera à la Maison Blanche le 20 janvier partagera-t-elle cette analyse ? M. Obama emportera avec lui le souvenir cuisant à Riyad de la « ligne rouge » de 2013. Que pourra proposer à son successeur le roi Salman ? Ce dernier avait inauguré son règne, il y a un an, par une entrée en guerre au Yémen, au nom de la lutte contre l’influence de l’Iran, qui l’a détourné aux yeux de Washington de l’ennemi principal constitué par l’organisation Etat islamique (EI). Une illustration parfaite de la divergence d’intérêts qui sape ce qui peut rester de confiance entre Riyad et Washington. p [email protected] 22 | 0123 0123 MERCREDI 20 AVRIL 2016 FRANCE | CHRONIQUE par gé r ar d co urtois La « Star Ac’» présidentielle E clipsé ces dernières semaines par les polémiques sur la déchéance de nationalité ou le code du travail, puis par le décollage de la fusée Macron ou l’échouage du paquebot Hollande, un débat parlementaire est passé au second plan. Il est vrai que l’affaire paraît relever de la cuisine électorale, réservée aux spécialistes et toujours suspecte : elle porte sur la modification de plusieurs règles applicables à l’élection présidentielle et, en particulier, des conditions dans lesquelles les radios et télévisions donnent la parole aux candidats pendant la campagne électorale. Adoptée définitivement le 5 avril, donc applicable en 2017, cette proposition de loi d’apparence technique pose, en réalité, la question de la fonction de l’élection majeure de notre système politique. De quoi s’agit-il ? Légitimement destinées à assurer l’égalité entre les candidats, les règles d’accès aux médias durant la campagne présidentielle sont soigneusement codifiées. Dans la période préliminaire, qui commence quatre à cinq mois avant le scrutin et s’achève lors de la publication de la liste des candidats établie par le Conseil constitutionnel, c’est la règle souple de l’équité qui s’applique. Pendant la campagne officielle, ouverte deux semaines avant le premier tour de scrutin, c’est la règle stricte de l’égalité de temps de parole des candidats et du temps d’antenne qui leur est consacré qui s’impose aux médias audiovisuels. Reste la période « intermédiaire », de l’ordre de trois semaines, entre la validation des candidatures et la campagne officielle. Cet entre-deux n’existe que depuis 2007, du fait que la date limite de dépôt des parrainages des candidats a été avancée et que l’officialisation des candidatures est donc plus précoce. Lors des scrutins de 2007 et 2012, pendant cette période intermédiaire, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a imposé aux médias audiovisuels de respecter une stricte égalité des temps de parole entre les candidats. Cette règle a été vivement critiquée par les responsables de radios et de télévisions en 2012. Excessivement rigide et contraignante, déconnectée de la représentativité électorale de chacun des candidats, obligeant à compenser une minute de Sarkozy (27 % des voix au premier tour) par une minute de Cheminade (0,25 % des voix), elle a eu pour effet pervers de rendre quasiment impossible l’organisation de débats entre candidats et de réduire sensiblement (de moitié pour les chaînes généralistes) la couverture médiatique de la campagne durant les trois semaines-clés précédant campagne officielle. Après l’élection, toutes les instances compétentes – CSA, Conseil constitutionnel, Commission nationale de contrôle de la campagne – se sont penché sur la question. Toutes ont conclu qu’il fallait appliquer, durant la période intermédiaire, la règle plus souple de l’équité du temps de parole, tenant compte de la représentativité des candidats, des résultats obtenus par les partis qui POUR LA PLUPART, PEU IMPORTE LE SCORE, L’ESSENTIEL EST DE PARTICIPER LES RÈGLES D’ACCÈS AUX MÉDIAS DURANT LA CAMPAGNE SONT SOIGNEUSEMENT CODIFIÉES les soutiennent lors des plus récentes élections, des indications des sondages et de la contribution de chaque candidat à l’animation du débat électoral. C’est ce que le Parlement vient de voter. Non sans déclencher la colère de tous les « petits » partis. « Une fois qualifiés pour l’élection, tous les candidats doivent se retrouver à égalité », s’est insurgé Nicolas Dupont-Aignan, président de Debout la France, qui juge cette nouvelle réglementation « honteuse ». Le président de l’UDI, le centriste Jean-Christophe Lagarde, a fustigé cette modification « scandaleuse », ce « coup de force » des grands partis (PS, FN et Républicains) qui « monopolisent le débat public pendant deux cent cinquante-cinq semaines » et ne supportent pas de le partager, tous les cinq ans, pendant cinq semaines. Même écho chez les communistes ou chez les Radicaux de gauche, dont le président à l’Assemblée, Roger-Gérard Schwartzenberg, a déploré que le législateur se plie « aux codes de l’Etat spectacle » et à ses impératifs d’audience, au mépris des mouvements politiques plus modestes ou des courants émergents. « Candidat des chiens battus » C’est là que l’on bute sur l’ambivalence de l’élection présidentielle. Sa fonction dernière est, évidemment, de choisir le futur chef de l’Etat, le projet qu’il porte et incarne, la manière dont il entend diriger le pays. Seuls deux ou trois candidats, rarement plus, peuvent y prétendre et c’est entre eux que les Français arbitrent en définitive. Mais depuis qu’un parfait inconnu et farfelu, Marcel Barbu, « candidat des chiens battus », s’est présenté à la première élection présidentielle en 1965, et y a bénéficié du même traitement que de Gaulle ou Mitterrand, chacun a compris l’extraordinaire caisse de résonance offerte par la campagne à la télévision. Depuis, chacun veut en être. Chaque parti, chaque courant ou sous-courant, presque chaque groupuscule entend saisir l’occasion de faire largement entendre sa voix, ses idées, sa différence. En prime, d’offrir à son porte-voix, comme dans une « Star Academy » présidentielle, quelques semaines de notoriété, ce qui constitue un puissant ressort dans la société du spectacle contemporaine. Pour la plupart, peu importe le score, l’essentiel est de participer. Et ce qui est vrai de la présidentielle elle-même est en train de déteindre sur les épreuves qualificatives, comme le démontre l’avalanche de candidatures – onze à ce jour – à la prochaine primaire de la droite. Chacun sait que le pluralisme des opinions est le fondement de la démocratie. Mais personne ne peut ignorer, depuis un certain 21 avril 2002, que l’effervescence des candidatures, l’égalité mécanique de traitement entre eux et l’aura fugace que cela peut conférer à tel ou telle, risquent de biaiser dangereusement le choix final auquel doit conduire l’élection présidentielle. p [email protected] Tirage du Monde daté mardi 19 avril : 241 203 exemplaires L’IMBROGLIO DES MASTERS UNIVERSITAIRES C’ est une histoire française – trop française ! –, où se mêlent tous les ingrédients de la difficulté de ce pays à avancer, à se réformer dans la clarté et à surmonter quelques solides tabous. Notamment quand cela concerne la jeunesse et que surgit la perspective périlleuse de la sélection à l’université. De quoi s’agit-il ? La France fait partie des membres fondateurs du « processus de Bologne » qui a établi la reconnaissance mutuelle des diplômes entre pays européens avec, à la clef, une très grande mobilité des étudiants dans les pays de l’Union européenne. Depuis 2002, elle se conforme donc officiellement au système dit « LMD » – licence, master, doctorat –, qui définit des cycles d’études de trois, cinq et huit ans. Dans la réalité, elle a surtout changé la façade et conservé ses habitudes anciennes : au lieu d’adopter ces cycles homogènes constitués de semestres, elle a conservé la césure entre la quatrième année universitaire (la maîtrise d’autrefois, le master 1 d’aujourd’hui) et la cinquième année (le DEA ou le DESS de naguère, le master 2 actuel). Sans même parler des concours, notamment ceux de l’enseignement ou des professions juridiques, qui continuent à recruter au niveau de la quatrième année, la première année du master est souvent restée une année généraliste au terme de laquelle les étudiants candidatent pour les masters 2 les plus réputés dans leur domaine, en gestion ou en sciences par exemple. Parer au plus pressé Depuis une décennie, dans les disciplines où la compétition est la plus vive et le nombre de places limité, bon nombre d’universités ont donc mis en place, dans les faits, une sélection sur dossier et jury entre le master 1 et le master 2. Cette pratique n’étant formellement autorisée par aucun texte, il était inévitable qu’elle finisse par provoquer des recours, engagés par des étudiants n’ayant pas été admis en master 2 après leur master 1. Une première décision du tribunal administratif de Bordeaux, en décembre 2013, leur avait donné raison. Depuis, des dizaines d’autres ont été engagés. Et l’affaire a fini par atterrir au Conseil d’Etat qui, le 10 février, a conclu que la sélection en master ne repose sur aucune base légale. Le gouvernement a donc décidé de parer au plus pressé : il a rédigé un décret autorisant de nombreux masters (42 % du total) à pratiquer cette sélection. En dépit de l’avis négatif, mais seulement consultatif, rendu le 18 avril par le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche, ce décret s’appliquera à la prochaine rentrée. Mais le ministère de l’enseignement supérieur, bien conscient qu’il ne s’agit que d’une solution juridiquement bancale et provisoire, a lancé une concertation de quatre mois pour repenser sérieusement l’organisation du cycle des masters. Ce n’est pas un problème de places disponibles : il est pratiquement le même en master 1 (130 000) et en master 2 (120 000). Mais d’orientation des flux d’étudiants. De deux choses l’une, désormais. Soit les différents acteurs (ministère, présidents d’université, responsables de masters et étudiants) trouvent un consensus pragmatique. Soit ce n’est pas le cas, et la question risque d’être tranchée pendant la campagne, à partir de postures plus idéologiques : celles des pro-sélection et celles des anti-sélection, qui se heurteront ensuite à la complexité de la réalité. Ce ne serait pas la première fois, malheureusement. p ENVIRONNEMENT PSYCHIATRIE PORTRAIT ET AU MILIEU NE COULE PAS TOUJOURS UNE RIVIÈRE UNE MOLÉCULE POUR APAISER LES SOUVENIRS TRAUMATIQUES MICHEL CABARET MET LA SCIENCE EN SCÈNE → PAGE 2 → PAGE 3 → PAGE 7 La grippe aviaire sous haute surveillance Pour enrayer l’épizootie qui sévit dans des élevages du sud-ouest de la France, de nouvelles mesures sanitaires sont entrées en vigueur, lundi 18 avril. Les chercheurs, eux, tentent de décrypter le fonctionnement d’un virus, dont les capacités de mutation font redouter qu’il ne s’adapte à l’homme. PAGES 4-5 Des canards élevés en plein air, dans une ferme du sud-ouest de la France. FRANCIS LEROY/HEMIS/CORBIS Carpaccio paléolithique A carte blanche Nicolas Gompel, Benjamin Prud’homme Généticiens, LMU de Munich, Institut de biologie du développement de Marseille-Luminy (CNRS) lors que les végétariens de tous bords poussent les consommateurs de viande dans leurs retranchements d’espèce omnivore, la science s’intéresse à nos origines carnivores. Les paléoanthropologues Katherine Zink et Dan Lieberman, de l’université de Harvard, viennent de publier dans la revue Nature du 24 mars une étude sur la façon dont nos lointains ancêtres ont commencé à consommer de la viande. Un tournant qui a influencé notre évolution anatomique. Nous descendons assurément de singes herbivores, qui passaient le plus clair de leur temps, tout comme les grands singes d’aujourd’hui, à mastiquer des feuilles. Ce régime alimentaire est, entre autres, rendu possible par une puissante mâchoire et de grosses prémolaires. Les menus se diversifient dans le genre Homo il y a environ 2,6 millions d’années avec l’introduction de la viande. Celle-ci apporte certes bien plus de calories que les feuilles, mais elles sont difficiles à extraire. Or paradoxalement, Homo erectus, pourtant consommateur de viande accompli, présentait déjà une réduction sérieuse de l’appareil Cahier du « Monde » No 22165 daté Mercredi 20 avril 2016 - Ne peut être vendu séparément masticateur et de la taille des dents. Comment ces premiers hommes carnivores s’y prenaient-ils pour extraire les calories de la viande avec leurs petites dents ? La découverte du feu et son usage en cuisine pour cuire et attendrir la viande ont certainement aidé. Mais son usage ne s’est généralisé que plus tard, quand la viande était déjà une constante au menu d’Homo erectus. Zink et Lieberman ont voulu savoir si l’utilisation d’outils en pierre, apparus avant le feu, pouvait avoir contribué à rendre la viande crue ingérable, en réduisant les efforts nécessaires à sa mastication. Pour ce faire, ils ont tout d’abord donné à mastiquer à des volontaires de la chèvre crue, dont la chair ferme est proche du type de viande à laquelle nos ancêtres avaient accès. Mais sans traitement préalable, cette viande crue est presque impossible à découper en morceaux ingérables avec nos petites dents. En revanche, en découpant la viande avec des outils, et en l’apprêtant pour l’attendrir, l’effort de mastication nécessaire pour qu’elle devienne ingérable est réduit de 17 %. Et plus encore si cette viande est cuite. Un scénario évolutif se dessine : l’usage d’outils, et plus tard du feu, pour apprêter et consommer la viande aurait permis d’extraire davantage de calories tout en diminuant l’énergie et le temps de mastication nécessaires. En conséquence, les individus dotés de dents plus petites et de mâchoires moins fortes ont survécu tout aussi bien que leurs congénères (résultat de ce que les évolutionnistes appellent le relâchement d’une contrainte sélective). Cette réduction de la taille des mâchoires a modifié la forme de la face, permettant l’apparition de lèvres plus mobiles, essentielles pour former des mots. On perçoit ainsi de quelle manière de nouvelles pratiques culturelles, tel l’usage d’outils, ont permis l’évolution progressive de notre anatomie et la modification en profondeur de notre identité biologique. Comment les développements technologiques que nous vivons vont-ils à leur tour influencer notre évolution future ? Nous en remettre de plus en plus aux machines pour nous déplacer ou penser à notre place n’est sans doute pas sans conséquence sur notre destin biologique. p 2| 0123 Mercredi 20 avril 2016 | SCIENCE & MÉDECINE | AC T UA L I T É Rivières intermittentes: la pêche aux données | Sur la planète, la moitié des cours d’eau s’assèchent une partie de l’année. Pour étudier le rôle dans l’environnement de ces milieux mal connus, deux chercheurs ont lancé un réseau mondial de collectes d’échantillons écologie david larousserie C haque discipline a ses continents d’ignorance. Les physiciens ne connaissent pas la nature de 95 % de l’Univers. Les biologistes se demandent à quoi sert 98 % de l’ADN qui ne code pas pour des protéines. Et les écologues s’interrogent sur le rôle dans l’environnement d’au moins 30 à 50 % de certaines rivières, et jusqu’à 70 % dans certains pays comme l’Australie. Ces inconnues couvrant de si grandes proportions désignent les cours d’eau intermittents, qui, une partie de l’année, cessent de s’écouler ou s’assèchent de manière naturelle, ou parfois en réponse aux pressions humaines. « Les sept plus grands fleuves du monde en font partie, le Nil, le rio Grande, l’Indus… Le Colorado n’atteint plus la mer depuis les années 1970. Le fleuve Jaune, en Chine, est sec 600 kilomètres avant l’embouchure, une partie de l’année », rappelle Thibault Datry, de l’Institut de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (Irstea) à Lyon, devenu l’un des spécialistes de ce sujet méconnu. « Ces rivières ont été complètement négligées jusqu’à récemment », confirme Klement Tockner, autre spécialiste, directeur de l’Institut Leibniz d’écologie aquatique et de la pêche (IGB), à Berlin. Le sujet compte plus de questions que de réponses. Et d’abord, quelle est la véritable proportion de ces rivières intermittentes ? Quels effets a cette inconstance sur la biodiversité aquatique et terrestre et les interactions entre ces écosystèmes ? Quel rôle jouent ces intermittences d’écoulement dans le cycle du carbone, la phase sèche décomposant moins vite a priori la biomasse que la phase humide ? Comment gérer ces cours d’eau, dont la définition échappe en fait aux différents règlements nationaux et européens en la matière ? Pour toutes ces raisons et bien d’autres, Thibault Datry et Klement Tockner ont lancé en 2015 le projet original « 1 000 rivières intermittentes ». « 1 000 rivières et 1 000 mails ! », sourit le Français en se rappelant les efforts pour « Ces rivières sont des écosystèmes de grande valeur et pas des décharges, comme on les considère souvent » klement tockner directeur de l’Institut Leibniz d’écologie aquatique convaincre des collègues et répondre à leurs questions. Pourtant l’idée est simple : collecter un maximum d’échantillons dans les lits de rivière afin d’estimer leur contenu biologique et leur réactivité biogéochimique sur une large échelle dans le monde. En mars, 106 personnes avaient déjà participé, couvrant 27 pays, dont l’Algérie, l’Australie, la Bolivie, les Etats-Unis, la Nouvelle-Zélande, la Suisse… Des dizaines de petites poches plastique contenant soit des feuilles, soit La Clauge, en eau à l’automne, puis sèche au printemps, à Chissey-sur-Loue, dans le Jura. B. LAUNAY des sédiments s’entassent dans des caisses dans le laboratoire lyonnais de l’Irstea, destinataire de ce grand mouvement participatif et bénévole. La première expérience est simple à réaliser. Une pincée de feuilles de chaque échantillon est mise dans un peu d’eau minérale pendant une journée. La disparition de l’oxygène dissous et le dégagement de CO2 sont alors mesurés : c’est un indicateur de l’activité biologique des bactéries et champignons présents, qui consomment cette matière organique. En Allemagne et en Espagne, des mesures complémentaires plus complexes seront effectuées sur le contenu en carbone, mais aussi en azote ou en phosphore. A Grenoble, c’est l’ADN présent dans ces échantillons qui est séquencé. De quoi permettre de premières comparaisons à l’échelle mondiale et estimer le rôle de ces rivières dans le cycle du carbone ou dans l’organisation de la biodiversité, encore mal pris en compte dans les modèles climatiques. « En aucun cas, il ne s’agit de rivières mortes. C’est plein de vie !, assure Klement Tockner. Beaucoup d’espèces dépendent même de cette phase sèche. » Si, pour les rivières en eau, des indicateurs de bonne santé existent, basés sur la présence de certains invertébrés, ce n’est pas encore le cas pour les rivières intermittentes. « Nous ne savons pas ce que deviennent ces communautés lorsque la rivière s’assèche. Nous avons par ailleurs identifié différentes stratégies d’espèces adaptées à l’intermittence. Soit elles résistent à l’assèchement (respiration par la peau, enfouissement dans la vase, mise en dormance), soit elles sont dites résilientes, c’est-à-dire qu’elles reviennent très rapidement en provenance de refuges », indique Thibault Datry. D’autres aspects sont désormais connus. Comme par exemple, des morts subites d’espèces aquatiques à la suite de la remise en eau d’une rivière à sec. Cela est dû à l’arrivée soudaine dans des affluents de biomasse non décomposée lors d’une phase sèche. Ce festin réveille les microscopiques espèces gloutonnes qui consomment l’oxygène aux dépens des poissons, notamment. Marie-George Tournoud, professeure à l’université de Montpellier, a également noté une autre conséquence négative de ces assèchements. « Cela peut créer en aval des chocs de pollution, à cause de rejets surchargés de contaminants. Nous réfléchissons aux moyens de mieux gérer ces chocs ou de les prévenir », complète la chercheuse. L’équipe de Thibault Datry a aussi récemment montré qu’il fallait gérer avec prudence les cours d’eau intermittents. Diminuer de 50 % la durée d’immersion réduit de 43 % la dégradation des feuilles mortes et aussi de moitié la biodiversité aquatique en invertébrés : « Nous sommes régulièrement sollicités par des agences de l’eau ou des pêcheurs pour connaître l’impact de la durée et de la fréquence des assèchements, mais nous n’avons pas encore toutes les réponses. » De son côté, Klement Tockner, dans un article paru en 2012, listait d’innombrables avantages de ces rivières, « biodiversité unique, refuge pour les graines et les œufs, corridor de migration, réservoir de matière organique… ». « Pour nous, ce sont des écosystèmes de grande valeur et pas des décharges, comme on les considère souvent », indique-t-il. « C’est beau, une rivière qui ne coule pas, contrairement à ce qu’on peut dire », confesse Thibault Datry. « Nous manquons d’eau minérale », fait-il mine de tempêter dans son laboratoire, devant l’afflux d’échantillons à tester. Avec son collègue Arnaud Foulquier, de l’université de Grenoble, il envisage de donner une suite au projet : déposer dans ces rivières des bandes en bois ou en coton pour étudier la vitesse de biodégradation. Il s’occupe en même temps de projets européens et de fédérer les recherches en cours. Il alimente aussi une base de données mondiale concernant ces rivières. Et envisage de créer une application pour mobile permettant à tous de signaler des cours d’eau à sec. « Nous construisons un vaste réseau mondial qui devrait faciliter les coopérations et travaux futurs », ajoute Klement Tockner. Petite rivière deviendra grande. p L’aspirine prévient aussi des cancers Des experts américains ont identifié les personnes pour lesquelles la prise quotidienne de ce médicament est le plus bénéfique L’ aspirine peaufine ses métamorphoses. La dernière émane d’un groupe d’experts américain respecté, le US Preventive Services Task Force (USPSTF). Le 12 avril, il a publié ses recommandations sur l’utilisation préventive au long cours de faibles doses d’aspirine (75 à 160 milligrammes par jour) : l’enjeu, ici, est de limiter la survenue d’accidents cardio-vasculaires (infarctus, AVC…), mais aussi de cancer colorectal, chez celles ou ceux qui ne souffrent pas déjà d’une maladie cardio-vasculaire. Cette prévention dite « primaire » s’adresse toutefois aux personnes qui ont un risque accru de faire un accident cardio-vasculaire : elles sont diabétiques ou cumulent plusieurs facteurs de risque (tabac, hypertension, âge…). « Pour la première fois, la prévention du risque de cancer colorectal est reconnue comme un bénéfice secondaire, quoique modeste, d’un traitement par l’aspirine qui vise d’abord à prévenir le risque cardiovasculaire », résume Gabriel Steg, cardiologue à l’hôpital Bichat (Paris). Il souligne aussi la prudence des experts américains : par rapport à 2009, ces recommandations restreignent un peu l’utilisation de l’aspirine en prévention primaire, en raison du risque de saignements liés à ce traitement. « Les patients à faible risque cardiovasculaire ne bénéficient pas d’un tel traitement, commente Gabriel Steg. Leur pronostic peut même être aggravé en raison d’hémorragies, même de gravité modérée. » Les experts de l’USPSTF ont colligé les données de nombreux essais cliniques, en y ajoutant les résultats de cinq études parues depuis 2009. Ils ont aussi pris en compte les données de suivi du risque de cancer colorectal, notamment celles des travaux du Britannique Peter Rothwell. Puis, à l’aide d’un modèle de microsimulation, ils ont chiffré les bénéfices et les risques de ce traitement selon les tranches d’âge et le niveau de risque cardio-vasculaire. Pour les 50-59 ans Résultats : le bénéfice apparaît maximal pour les 50-59 ans. Plus précisément, l’USPSTF recommande l’aspirine à faibles doses chez les 50-59 ans dont le risque cardio-vasculaire à dix ans est supérieur ou égal à 10 %, du moment qu’ils n’ont pas de risque accru de saignements, que leur espérance de vie est d’au moins dix ans et qu’ils sont prêts à suivre ce traitement pendant au moins dix ans. Pour les 60-69 ans dans la même situation, la décision est à prendre au cas par cas. Aucun bénéfice net n’apparaît au-dessous de 50 ans, et les données sont insuffisantes pour les plus de 70 ans. Chez les 50-59 ans, les bénéfices ont été chiffrés : par exemple, pour 10 000 hommes de cette tranche d’âge qui ont un risque cardio-vasculaire de 10 % sur dix ans, l’aspirine évite 225 infarctus, 84 accidents vasculaires cérébraux ischémiques et 139 cancers colorectaux. C’est au prix de 284 saignements digestifs sérieux et de 23 hémorragies cérébrales. Au final, 588 années de « vie de qualité » et 333 années de vie sont ainsi gagnées. « Ces recommandations devraient permettre de mettre en place une prévention primaire plus adaptée au risque. On passerait ainsi d’une prévention “prêt-à-porter” à une prévention “sur mesure” », estime Joseph Emmerich, responsable de l’unité de médecine cardio- vasculaire de l’Hôtel-Dieu (Paris). Mais on sait qu’outre-Atlantique le risque cardio-vasculaire est supérieur au risque français moyen ; et l’utilisation de l’aspirine à titre préventif est bien plus répandue, notamment en raison d’une automédication fréquente. « Près de 40 % des Américains de plus de 50 ans prennent de l’aspirine en prévention cardio-vasculaire », signale l’USPSTF. C’est énorme. En France, la proportion de patients sous aspirine au long cours sans avoir jamais fait d’infarctus ni eu d’angioplastie ou de pontage est très faible, « inférieure à 5 % », estime Gabriel Steg. « C’est intelligent d’avoir réuni les bénéfices de l’aspirine pour la prévention du risque cardio-vasculaire et de cancer colorectal. Dans certains cas, l’intérêt sur la prévention de ce cancer peut faire pencher la balance en faveur de ce traitement », dit Joseph Emmerich. En revanche, l’intérêt de l’aspirine pour prévenir le seul risque de cancer colorectal n’est ici pas reconnu. « Il faudrait disposer des résultats d’essais randomisés prospectifs en population générale », commente Fabien Calvo, directeur scientifique du consortium Cancer Core Europe à Gustave-Roussy (Villejuif). « Ces essais ne viendront sans doute jamais, car trop chers et pas assez rentables pour l’industrie, estime François Chast, chef du service de pharmacie clinique des hôpitaux universitaires Paris-Centre. Pour autant, cette recommandation s’engage positivement : les auteurs indiquent que la prise de 75 mg et plus d’aspirine pendant dix à vingt ans peut diminuer jusqu’à 40 % le risque de cancer colorectal. » Pas au point de la préconiser chez tous, cependant. p florence rosier AC T UA L I T É | SCIENCE & MÉDECINE | Soigner le stress post-traumatique 0123 Mercredi 20 avril 2016 |3 télescope Paludisme La résistance des parasites à un antipaludéen en question | Un traitement canadien innovant, associant psychothérapie et médicament, va être proposé à des victimes des attentats du 13 novembre 2015. Un appel à volontaires est lancé médecine sandrine cabut C’ est une étude de terrain sans précédent sur l’état de stress posttraumatique (ESPT) qui se lance dans une dizaine d’hôpitaux franciliens. Objectif : évaluer une thérapie innovante, associant une psychothérapie et un médicament – le propanolol –, chez des personnes souffrant de stress post-traumatique, principalement à la suite des attentats du 13 novembre 2015. Le professeur Alain Brunet, directeur de recherche en psychotraumatologie à l’université McGill de Montréal (Canada), à l’origine de cette stratégie, et le professeur Bruno Millet (psychiatre à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière), qui coordonne l’essai, espèrent recruter plus de 400 volontaires. Les grandes lignes du projet, baptisé Paris MEM, ont été présentées le 13 avril au Centre culturel canadien, à Paris. Reviviscences répétées de l’événement traumatisant, avec flashback et cauchemars ; stratégies d’évitement des situations et des lieux pouvant rappeler le traumatisme ; perte d’intérêt pour les activités auparavant appréciées ; état de tension permanent avec anxiété, insomnie… L’ESPT est un trouble très handicapant, qui peut se déclarer des mois voire des années après le traumatisme. Il est as- Le propanolol bloque la reconsolidation du souvenir, il ne l’efface pas mais diminue son intensité émotionnelle socié à un risque accru de dépression, suicide, addictions. Si seule une minorité des individus exposés à des événements traumatisants développe ce syndrome, la proportion est plus élevée pour les traumatismes d’origine humaine et en particulier les attentats. Ainsi, 31 % des rescapés des attentats de Paris de 1995 ont souffert d’ESPT dans les trois ans qui ont suivi. Les prises en charge précoces par des cellules d’urgence médico-psychologique (CUMP) – auxquelles ont eu recours des milliers de personnes après les attentats du 13-Novembre – Bonne nouvelle sur le front de la lutte contre le paludisme : les parasites qui développent une résistance à l’atovaquone – utilisé en association avec le proguanil – ne transmettent pas cette propriété à leur descendance. Une équipe australienne a pu suivre, chez la souris, l’apparition de mutations génétiques de l’agent infectieux, permettant à celui-ci de tromper les assauts de l’atovaquone. Mais ils ont découvert que ces mêmes mutations empêchent le parasite de se reproduire au sein du moustique, vecteur unique de transmission de la maladie. Cette découverte pourrait modifier l’usage de la malarone, le médicament qui contient l’atovaquone. (PHOTO : JAMES GATHANY/AP) > Goodman et al., « Science », 15 avril. Médicaments Les inhibiteurs de la pompe à protons incriminés YASMINE GATEAU ont pour but de prévenir ces séquelles psychiques. Le traitement d’un ESPT diagnostiqué fait, lui, appel en première intention à des psychothérapies. Deux techniques sortent du lot : les thérapies cognitivo-comportementales axées sur le traumatisme et l’EMDR (« Eye movement desensitization and reprocessing »). Certains antidépresseurs sont également autorisés. « Ces médicaments sont efficaces, mais un tiers des gens les abandonnent dans les trois mois, du fait d’effets secondaires. Les psychothérapies ont aussi démontré leur efficacité mais le taux de rechute à un an est élevé », relève le professeur Brunet. Depuis les années 2000, son équipe a mis au point et validé un protocole associant une psychothérapie sur six semaines avec réactivation du souvenir traumatique, et du propanolol, un médicament utilisé en cardiologie. « Si l’on ne se souvenait pas de l’événement traumatisant, il n’y aurait pas de stress post-traumatique. C’est un trouble de la mémoire émotionnelle », justifie Alain Brunet. D’où son idée de bloquer la consolidation ou plutôt la reconsolidation des souvenirs traumatisants. « Quand on vit une expérience, elle se transforme en souvenir. La consolidation, avec passage de la mémoire à court terme vers celle à long terme, prend entre deux et cinq heures, et il est possible d’interférer avec ce processus. En revanche, on a longtemps cru qu’un souvenir consolidé était permanent, comme marqué au fer rouge. Mais il y a quinze à vingt ans, on a découvert que lorsqu’on se remémore un souvenir, il doit être consolidé de nouveau », explique le psychologue canadien. Le propanolol agit en bloquant la reconsolidation, il n’efface pas le souvenir mais diminue son intensité émotionnelle. Ce médicament ne fonctionne cependant pas seul, d’où le couplage avec une procédure de remémoration du trauma, souligne Alain Brunet. Efficace dans deux tiers des cas, ce protocole dit « de blocage de la reconsolidation mnésique » est désormais utilisé au Québec. En France, il a été testé avec succès sur une petite série de patients avec un ESPT après l’explosion de l’usine AZF de Toulouse, en 2001. En pratique, le patient prend un comprimé de propanolol avant chacune des six séances de psychothérapie. Lors de la première séance, il écrit le récit de son trauma, récit qu’il lit à l’intervenant lors de chacune des séances ultérieures. A la fin du traitement, le texte ne doit plus correspondre à son ressenti… Le psychologue canadien a eu l’idée d’une collaboration avec les hôpitaux français, peu après le 13Novembre. Il a alors contacté Martin Hirsch, le patron de l’AP-HP, pour lui proposer de former bénévolement des soignants à sa méthode. Une démarche motivée par la solidarité mais aussi par la recherche : c’est l’occasion d’une évaluation sur le terrain, à une échelle inédite, de cette thérapie. Mi-décembre, Alain Brunet a présenté son projet aux soignants parisiens. « C’était un peu houleux », se rappelle-t-il. Si les travaux du psychologue canadien sont internationalement reconnus, son approche ne fait pas l’unanimité, notamment dans les équipes avec des pratiques psychodynamiques (d’inspiration psychanalytique). Séduit, le professeur Bruno Millet – qui, au départ, n’est pas un spécialiste de l’ESPT – s’est porté volontaire pour coordonner un essai. Depuis, Alain Brunet a formé une centaine de médecins et psychologues. Une dizaine d’hôpitaux ont accepté de participer, mais la liste n’est pas définitive. L’étude, qui n’a pas encore toutes les autorisations, devrait démarrer d’ici à fin avril. Le traitement canadien sera comparé aux méthodes habituelles de prise en charge de l’ESPT. Un numéro d’appel unique (01-42-16-15-35) a été ouvert, et un site Internet d’information devrait suivre. p Médicaments très populaires pour traiter les reflux gastro-œsophagiens et les ulcères, et prévenir les effets secondaires digestifs des anti-inflammatoires, les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) sont associés à un risque accru d’insuffisance rénale chronique, conclut une nouvelle étude américaine. La survenue de lésions rénales augmente avec la durée du traitement. D’autres travaux ont déjà pointé une association entre IPP et insuffisance rénale. Ces produits, dont certains peuvent être achetés sans ordonnance, sont aussi accusés de favoriser des infections pulmonaires, l’ostéoporose et des infarctus. > Xie et al., « Journal of the American Society of Nephrology », 14 avril. 75 % Alors que les traitements contre l’hémophilie ont beaucoup progressé depuis soixante ans, trois malades sur quatre (75 %) n’y ont pas accès dans le monde pour des raisons économiques, indique l’Association française des hémophiles (AFH) à l’occasion de la Journée mondiale de cette maladie hémorragique, le 17 avril. Un constat qui concerne surtout les pays les plus pauvres, ceux d’Afrique en particulier. Une souris pour traiter le bégaiement La modification d’un gène sur un rongeur ouvre un champ de recherche I ncroyable souris ! Reine du laboratoire, elle assiste les scientifiques dans presque tous les secteurs de la recherche médicale, de l’allergie au diabète, des maladies infectieuses aux désordres du comportement. Mais un domaine leur semblait interdit : les troubles de la parole. Des chercheurs américains annoncent pourtant, dans la revue Current Biology, être parvenus à modifier génétiquement une souris afin de la faire bégayer. Ce premier modèle animal ouvre la voie à des recherches tant fondamentales que thérapeutiques. Le bégaiement touche environ 1 % de la population, soit 600 000 personnes en France et 3 millions aux Etats-Unis. S’il s’installe dès l’âge de 2 ans, il disparaît après 6 ans dans 75 % des cas. Pourquoi survient-il ? Qui court le risque de le voir persister ? Comment expliquer la variabilité du bégaiement d’un instant à l’autre ? La recherche ne manque pas d’enjeux. Un outil faisait défaut : un animal sur lequel conduire des expériences. Une compétence innée Pour « construire » la précieuse bestiole, les scientifiques se sont appuyés sur les travaux de Dennis Drayna. Ce chercheur du Porter Neuroscience Research Center du NIH à Bethesda (Maryland) a en effet identifié une modification génétique, et, plus précisément, au sein du gène incriminé, le changement d’un acide aminé responsable de plus de 10 % des bégaiements humains. Il a proposé de modifier le gène afin de vérifier si le rongeur allait souffrir d’une pathologie semblable. Car, si elle ne parle pas, la souris vocalise. Une mère privée de son petit, un mâle en présence d’une femelle… « Je n’y croyais pas beaucoup, admet Terra Barnes, chercheuse en neurosciences à l’université Washington de SaintLouis (Missouri), première signataire de l’article. La vocalisation chez les souris diffère tant de celle des humains. Elles naissent avec, c’est donc une compétence innée. Les sourdes vocalisent comme les autres. » La scientifique a ainsi comparé l’organisation et le débit de la parole des souris (modifiées) et des hommes (bègues). « On retrouve les mêmes résultats, explique-t-elle. Je ne dis pas que les souris bégaient. Mais un même mécanisme crée des anomalies similaires. » Si des modèles animaux (souris, canaris) existent déjà pour l’étude des pathologies liées à FOXP2, un gène responsable de graves mais rares handicaps vocaux et cérébraux, la recherche sur le bégaiement manquait d’un tel instrument. « L’étude confirme que l’atteinte est motrice, que c’est le corps qui est touché, pas la fonction langage, réagit Marie-Claude MonfraisPfauwadel, médecin phoniatre. Et elle fournit aux chercheurs un outil précieux. » Terra Barnes le dit avec gourmandise : « On va pouvoir s’amuser. » Au programme : déterminer les parties du cerveau où s’exprime la modification génétique, les protéines engagées, le chemin qui conduit ensuite vers des troubles qui n’affectent que le langage. « Et tester sur le rongeur les différentes thérapies, continue la chercheuse. Mais peut-être pas la rééducation orthophonique ! » p nathaniel herzberg Dans l’ êt de la science mathieu vidard arré la tête au c 14 :00 -15 :00 avec, tous les mardis, la chronique de Pierre Barthélémy 4| 0123 Mercredi 20 avril 2016 | SCIENCE & MÉDECINE | ÉVÉNEMENT Grippe aviaire Les chercheurs contre-attaquent épizootie Plusieurs laboratoires étudient à la loupe ce virus difficile à combattre, qui touche, depuis novembre 2015, des élevages du Sud-Ouest P nathalie picard our les éleveurs du sudouest de la France, le 18 avril restera marqué d’une pierre noire. Un arrêté ministériel du 9 février a fixé de nouvelles mesures sanitaires pour endiguer l’épizootie de grippe aviaire. Dans une zone de restriction qui a été étendue à dixhuit départements, les oies et les canards ne peuvent plus, depuis lundi, être laissés en extérieur et seront maintenus enfermés. Parallèlement, l’interdiction, depuis le 18 janvier, de la mise en production de nouveaux canetons « a permis de dépeupler progressivement les exploitations. Ce vide sanitaire, associé à des mesures de nettoyage et de désinfection, nous permet d’éliminer les palmipèdes porteurs du virus », indique Bruno Ferreira, chef de service à la Direction générale de l’alimentation (DGAL). Seules les salles de gavage peuvent encore accueillir les palmipèdes en cours d’élevage jusqu’au 2 mai. A partir du 16 mai, certains élevages accueilleront à nouveau des canetons de moins d’une semaine. Dans la mesure où les couvoirs autorisés ne pourront fournir toutes les exploitations en même temps, ce repeuplement va se dérouler de manière progressive. L’objectif de cette stratégie établie par le ministère de l’agriculture ? Eradiquer le virus et permettre à la France de recouvrer son statut de pays indemne, afin de relancer les exportations. Le 24 novembre 2015, le premier cas touché par le virus influenza, responsable de la grippe, était détecté dans une basse-cour en Dordogne. Depuis, les autorités sanitaires ont décelé, au total, 76 foyers de grippe aviaire hautement pathogène dans huit départements. « En général, un seul élevage est contaminé par un oiseau migrateur. Une fois détecté, le foyer est éliminé et l’histoire s’arrête là. Mais la crise actuelle est exceptionnelle : des foyers sont infectés simultanément par des souches différentes du virus, s’inquiète Gilles Salvat, directeur du laboratoire de Ploufragan-Plouzané (Côtes-d’Armor) de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Ce qui signifie probablement que le virus circule à bas bruit depuis longtemps dans les élevages. » Une propagation insidieuse qui préoccupe les responsables sanitaires. D’autant que, chez le canard, les souches de virus impliquées causent peu de signes cliniques. Ce qui rend leur diffusion difficilement détectable par la surveillance vétérinaire. Et pour ne rien arranger, leur transmission est facilitée par l’organisation de la filière des pal- « La crise actuelle est exceptionnelle : des foyers sont infectés simultanément par des souches différentes du virus » gilles salvat directeur de laboratoire à l’Anses mipèdes à foie gras, caractérisée par une forte circulation d’animaux vivants. « Contrôler l’épizootie est indispensable, confirme Nicolas Eterradossi, directeur adjoint du laboratoire. Sinon, le virus risquerait de devenir plus pathogène pour les volailles et pourrait à terme s’adapter à l’homme. » Voilà pourquoi la grippe aviaire est placée sous haute surveillance. Lorsqu’un éleveur remarque une mortalité anormale de ses volailles ou une baisse de la ponte, il doit alerter son vétérinaire sanitaire. Lui se rend sur place pour établir un diagnostic et effectuer des prélèvements. D’abord, un laboratoire départemental agréé analyse les échantillons. Un test permet de savoir si l’animal souffre bien de la maladie et si la souche est potentiellement dangereuse. Ensuite, les prélèvements sont transférés au laboratoire national de réfé- rence pour la grippe aviaire à Ploufragan, en Bretagne. L’objectif ? Déterminer le niveau de virulence par des tests complémentaires. Au choix, deux catégories : faiblement ou hautement pathogène. Cette dernière forme, spécifique aux oiseaux, se distingue par sa mortalité élevée et sa rapidité de propagation. H5N1, H5N2, H5N9, plusieurs souches de virus influenza ont été détectées dans les élevages français. Ces différents sous-types sont classés selon les propriétés de deux protéines présentes à leur surface : l’hémagglutinine, dont il existe seize types (H1 à H16), et la neuraminidase (N1 à N9). La première permet au virus de s’arrimer à la cellule puis de « Frankenvirus », bientôt l’épilogue ? L es « Frankenvirus » vont-ils faire leur retour dans les laboratoires ? Depuis dix-huit mois, la légitimité de ces virus mortels et contagieux créés par l’homme alimente le débat lancé par l’instance américaine National Science Advisory Board for Biosecurity (NSABB). En octobre 2014, la Maison Blanche instaurait un moratoire sur les financements qu’elle accorde aux travaux visant à créer des virus mutants dotés de fonctions dangereuses. Le temps d’analyser les impacts potentiels de ces recherches dites gain of function (« acquisition de fonction »). En cause, les risques d’évasion de ces virus dans la nature. Ces craintes sont renforcées par la découverte de failles de sécurité dans certains laboratoires : durant l’été 2014, les éminents National Institutes of Health (NIH) ont, notamment, révélé avoir trouvé au fond d’un congélateur des flacons de variole, un virus mortel et dont la possession est interdite depuis trente ans. Mandaté par le gouvernement américain, le NSABB s’apprête à franchir l’ultime étape d’un processus jalonné de réunions d’experts, de rapports et de colloques scientifiques : il finalisera ses recommandations le 24 mai. A charge ensuite pour le gouvernement de déterminer une nouvelle politique pour encadrer ces recherches. Car le cadre actuel a autorisé des travaux pour le moins controversés. La communauté scientifique en a pris conscience en 2011, lorsque deux équipes ont annoncé avoir réussi à rendre un virus H5N1 aviaire hautement pathogène transmissible par voie aérienne entre furets, un modèle animal proche de l’homme. Cet événement a marqué le début d’une polémique qui n’en finit pas. En France, aucune recherche de type gain of function ne semble actuellement menée sur des virus influenza. Les travaux sont souvent réalisés sur des souches faiblement pathogènes. Sinon, l’objectif est plutôt de diminuer leur capacité. Au niveau de l’Union européenne, les académies des sciences des pays membres – réunies au sein d’un Conseil consultatif européen (EASAC) – ont publié un rapport fin 2015. Dans le cadre de la consulta- tion organisée outre-Atlantique, Volker ter Meulen, membre de l’Académie allemande des sciences Leopoldina, a représenté l’EASAC au colloque organisé par l’Académie des sciences américaine, en mars. Cette avant-dernière réunion du processus visait à débattre du projet de recommandations porté par le NSABB. Parmi les principaux messages de l’EASAC : « Les recherches qui posent problème doivent être gérées et analysées au cas par cas », affirme Volker ter Meulen. Une position en accord avec les propositions du NSABB. Des études à risque élevé Le comité américain a caractérisé les études à risque élevé : celles qui peuvent générer un pathogène hautement transmissible et très virulent dans un modèle animal pertinent pour les mammifères, et résistant aux vaccins et aux médicaments. Leur financement serait conditionné à une évaluation complémentaire. Un refus pourrait être opposé s’il existe une méthode alternative moins risquée, si les bénéfices potentiels ne sont pas suffisants eu égard aux risques encourus ou si l’institution proposant la recherche ne peut la mener en toute sécurité. Reste une interrogation : qui assurerait cette évaluation ? « Le conseil devrait être indépendant de l’organisme de financement et de l’institution proposant les travaux, et devrait avoir une expertise appropriée », écrit Marc Lipsitch, professeur d’épidémiologie à Harvard, avec deux collègues dans une publication de l’Institut national américain d’étude des maladies infectieuses. Une autre option serait de fixer une ligne jaune à ne pas franchir. Et d’interdire d’office certaines recherches. Membre du groupe de travail de l’EASAC, Simon Wain-Hobson, professeur de virologie à l’Institut Pasteur, regrette que ce conseil n’ait pas pris une position plus ferme : « Certaines recherches ne sont pas acceptables : on ne doit pas rendre volontairement un microbe plus dangereux. » Et le scientifique de s’interroger : « Le clonage humain est interdit, les travaux sur les cellules souches strictement encadrés, pourquoi ne ferait-on pas de même avec ces expériences dangereuses pour la santé publique ? » p n. pi pénétrer à l’intérieur. La neuraminidase, elle, favorise la diffusion dans l’organisme des nouvelles particules virales produites dans la cellule infectée. Si l’hémagglutinine est de type H5 ou H7, un séquençage partiel du gène permet de déterminer si le virus est hautement pathogène ou non. Un caractère détecté par la présence d’une suite particulière d’acides aminés, signe d’une hémagglutinine très efficace. Les génomes des virus alimentent une base de données internationale. Des informations scrutées à la loupe par de nombreux scientifiques. Que recherchent-ils parmi ces millions de lettres codées ? « Par exemple, une séquence bien conservée au fil de l’évolution peut capter notre attention. Si elle est importante, y introduire une mutation nous permettra de mieux comprendre le fonctionnement du virus », explique Daniel Marc, virologiste à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) de Nouzilly (Indreet-Loire). Au sein de l’équipe Pathologie et immunologie aviaires, il planche sur la protéine virale non structurale 1 (NS1), dénommée ainsi car elle ne s’exprime que dans la cellule infectée. Son rôle : empêcher la cellule de se défendre en inhibant des molécules chargées de lancer l’alerte. En comparant les milliers de séquences répertoriées, Daniel Marc et ses collègues ont remarqué une mutation dans la région qui relie les deux domaines de NS1 : « Une perte de cinq acides aminés, apparue dans une souche H5N1 en l’an 2000, est devenue prépondérante. » Cette modification lui conférerait-elle un avantage sélectif ? Oui, répondent les chercheurs, qui ont démontré en 2014 qu’elle renforçait la virulence du pathogène. Autrement dit, une meilleure capacité à se multiplier et à provoquer un état pathologique marqué. Aujourd’hui, l’équipe s’intéresse à des parties très stables du gène de la protéine NS1. Des mutations dans ces zones entraveraientelles le fonctionnement de la protéine ? « Pour le savoir, nous construisons des virus mutants grâce à la génétique inverse », explique Daniel Marc. Une méthode qui permet de générer un virus à partir d’un génome dans lequel des mutations sont introduites. Le chercheur compare douze mutants différents à une souche sauvage. Ce vendredi-là, un ÉVÉNEMENT | SCIENCE & MÉDECINE | 0123 Mercredi 20 avril 2016 |5 Structure de la polymérase, enzyme clé du virus de la grippe A. ALEX PFLUG ET STEPHEN CUSACK/EMBL, GRENOBLE Voir l’ennemi en trois dimensions C omment se protéger de la grippe ? Chaque année, l’Organisation mondiale de la santé doit revoir la composition du vaccin contre la grippe saisonnière. L’objectif : l’adapter aux souches de virus les plus représentatives. Et comme six à huit mois sont nécessaires pour produire le vaccin, il s’agit en quelque sorte d’un pari sur l’avenir. C’est pourquoi son efficacité n’est pas toujours optimale. Cela a été le cas en 2014-2015, où son niveau de protection a été moins élevé qu’escompté. Quant à l’émergence d’une souche pandémique – un nouveau virus qui se propagerait à grande échelle au sein d’une population non immunisée –, elle semble impossible à prévoir. D’où l’importance des traitements antiviraux pour soigner la maladie. Aujourd’hui, deux médicaments sont utilisés : ils inhibent l’activité d’une enzyme virale, la neuraminidase. Mais les virus grippaux ont tendance à développer des résistances qui les rendent difficiles à combattre. « Comme ils mutent très rapidement, il faut combiner plusieurs médicaments, qui ciblent différents sites essentiels pour la réplication du virus. Un peu à l’image des thérapies utilisées contre le sida », explique Rob Ruigrok, professeur à l’université de Grenoble. technicien de l’équipe suit un protocole pour compter les virus dans des prélèvements réalisés à partir de cellules infectées. Des expériences menées dans un laboratoire L3, à haut niveau de confinement, ultrasécurisé : sas d’entrée, accès réglementé, dépression de la zone de travail, stérilisation du matériel dans un autoclave… Des dispositifs mis en place pour éviter un risque de contamination accidentelle. Pour pénétrer à l’intérieur, le technicien franchit deux sas de sécurité. Il enfile sa blouse, ses chaussures et ses gants dans le second. Ainsi protégé, l’homme s’installe à son poste de sécurité microbiologique : les manipulations à risque se déroulent dans cet espace de travail protégé par une vitre et un flux laminaire pour purifier le plan de travail. Muni d’une pipette, le technicien dilue les prélèvements dans des tubes, puis les distribue dans de petites boîtes de Petri contenant un tapis de cellules en culture. Enfin, il place les boîtes à l’étuve jusqu’au mardi suivant. Elevage de canards. Depuis novembre 2015, les autorités sanitaires ont décelé 76 foyers de grippe aviaire hautement pathogène dans huit départements. REMY GABALDA/AFP Dans l’adaptation du virus à l’homme, une enzyme, la polymérase virale, joue un rôle-clé La coloration des tapis cellulaires infectés permettra alors de dénombrer les particules virales et de déterminer la vitesse de réplication du virus. « Nous décèlerons peut-être des différences entre des mutants et la souche sauvage, espère le virologiste. Complétés par d’autres expériences, ces résultats nous permettront de préciser l’importance de la protéine dans le cycle de multiplication du virus. » Afin de découvrir des déterminants de virulence et, in fine, explorer de nouvelles pistes de stratégies antivirales chez l’homme. La protéine NS1 intéresse aussi les chercheurs en virologie de l’INRA de Toulouse. Eux explorent les interactions de la protéine virale avec celles de l’hôte, chez le poulet et le canard. Un travail commencé il y a deux ans : « D’abord, nous déterminons une liste de pro- téines aviaires qui interagissent avec NS1. Ensuite, nous allons comparer cette liste à celle des protéines humaines déjà connues pour se lier à NS1. Les différences entre les deux nous permettront d’analyser les mutations de NS1 susceptibles d’induire un changement d’interactions, favorisant un passage du canard à l’homme », prévoit Mariette Ducatez, chercheuse en virologie. Comment le virus s’adapte-t-il à l’homme ? Une question-clé qui appelle de multiples réponses. A l’origine, l’influenza est une maladie aviaire. Pour autant, son potentiel de transmission entre espèces lui permet d’atteindre l’homme. « Les espèces domestiques, comme les volailles ou le porc, jouent souvent le rôle d’intermédiaires entre le réservoir de virus – les oiseaux aquatiques sauvages – et l’homme », note Nadia Naffakh, directrice de recherche au CNRS à l’Institut Pasteur de Paris. L’exceptionnelle plasticité génétique du virus constitue le deuxième moteur de son adaptation. Là, deux mécanismes entrent en jeu. Le premier, le réassortiment, survient lorsque deux virus différents infectent simultanément une cellule. Et donnent naissance à un nouveau virus, fruit de l’assemblage de leur matériel génétique. Ce que craignent les virologistes ? Un réassortiment entre un virus aviaire hautement pathogène et un virus humain. L’accumulation de mutations constitue le deuxième mécanisme. Ici intervient une enzyme-clé, la polymérase virale. Son rôle dans la cellule infectée est de fabriquer les copies du génome qui seront incorporées dans les nouvelles particules virales. Les erreurs qu’elle introduit dans le génome, couplées à une pression de sélection, font évoluer le virus en permanence. Ainsi, « de multiples chemins adaptatifs sont possibles, ce qui rend difficile la prévision du prochain virus pandémique. Celui de 2009, par exemple, détenait une combinaison de déterminants d’adaptation à laquelle nous ne nous attendions pas, compte tenu des observations faites jusqu’alors », souligne Nadia Naffakh. Elle et son équipe concentrent leurs recherches sur la polymérase. Plus spécialement sur ses interactions avec l’environnement cellulaire. Pourquoi cette protéine ? Car des mutations sont impliquées dans l’adaptation du virus à l’homme. Par exemple, des modifications qui lui confèrent une plus grande capacité à passer dans le noyau d’une cellule humaine et augmentent la réplication du virus. Certaines sont justement recherchées par l’Anses dans les virus aviaires circulants. « Lorsque l’on détecte un virus comme H5N1, on peut analyser sa séquence complète grâce à la plate-forme de séquençage à haut débit du laboratoire. Puis, en lien avec le Centre national de référence des virus influenzae de l’Institut Pasteur, on vérifie si certaines mutations sont présentes. Comme celles de la polymérase, connues pour faciliter la réplication du virus chez les mammifères », détaille Nicolas Eterradossi. D’autres marqueurs sont recherchés, comme une adaptation de l’hémagglutinine lui permettant de se fixer aux cellules humaines, ou des mécanismes spécifiques de contrôle de la réponse immunitaire. Dans son avis du 14 décembre 2015, l’Anses conclut à un risque « quasi nul » de transmission à l’homme du virus H5N1 qui sévit dans les élevages français. Quant au risque de transmission interhumaine, elle le considère « encore plus faible ». Pourquoi cette vigilance particulière face au virus H5N1 ? Parce que, depuis son émergence chez l’homme, en 2003, celui-ci a provoqué 449 morts dans seize pays, en Asie du Sud-Est surtout, sur un total de 846 cas confirmés par des analyses de laboratoire, selon les décomptes de l’Organisation mondiale de la santé. Ainsi, un sous-type du virus H5N1 a acquis la capacité de se répliquer chez l’être humain. Pour autant, son adaptation reste partielle puisqu’il ne se transmet pas entre humains. Les autorités sanitaires craignent une telle évolution, d’autant que le virus affiche un taux de létalité supérieur à 50 %. D’où la surveillance dont il fait l’objet à l’échelle mondiale. « Les oiseaux sauvages migrateurs constituent un réservoir gigantesque qui ne connaît pas de frontières », précise Bruno Lina, professeur de virologie et directeur du Centre national de référence des virus influenza pour le sud de la France. Pour l’expert, les mesures prises par le gouvernement sont adaptées. « Mais seul l’avenir nous le confirmera. Face à la menace pandémique, notre devoir est d’abaisser le risque au maximum. Celui qui ne prend pas cette responsabilité met en danger toute l’humanité. » p Comme une vision en 3D Développer un traitement efficace contre la grippe, telle est la finalité des travaux de Rob Ruigrok et Thibaut Crépin, chercheur au CNRS. Tous deux travaillent à l’Institut de biologie structurale de Grenoble. Leur cible : la polymérase virale, une enzyme-clé dans le mécanisme de prolifération du virus. Ils utilisent la cristallographie afin de comprendre, au niveau atomique, le fonctionnement de cette macromolécule. Une méthode qui s’appuie sur l’utilisation des rayons X : lorsqu’ils traversent une molécule, leur diffraction informe sur la manière dont les atomes sont organisés. « Nous obtenons ainsi la position de tous les atomes de la protéine dans l’espace. Ce qui nous permet de visualiser sa forme, ses replis et la manière dont elle peut interagir avec d’autres molécules », détaille Thibaut Crépin. En somme, une vision en trois dimensions. En 2014, en collaboration avec l’équipe de Stephen Cusack, du Laboratoire européen de biologie moléculaire, les chercheurs ont réussi une véritable prouesse : obtenir la structure complète de la polymérase. Une découverte sur laquelle s’appuient des scientifiques comme Nadia Naffakh, de l’Institut Pasteur : « Un verrou important a sauté. Désormais, lorsque nous introduisons une mutation dans la polymérase, nous pouvons visualiser précisément sa position sur la structure tridimensionnelle de la protéine. Ce qui facilite nos travaux sur l’adaptation du virus à l’homme. » C’est aussi une étape-clé dans la mise au point d’antiviraux ciblant la polymérase virale, estiment les chercheurs. « Aujourd’hui, nous pouvons collaborer avec des entreprises pharmaceutiques qui testent des molécules inhibitrices », affirme Thibaut Crépin. Grâce à la cristallographie, l’équipe analyse les interactions potentielles de ces substances avec la polymérase. « Comme pour l’hépatite B ou le sida, connaître la structure de cette protéine devrait accélérer les recherches pharmaceutiques, espère Rob Ruigrok. Et permettre de développer, d’ici dix à quinze ans, une multithérapie efficace. » p n. pi 6| 0123 Mercredi 20 avril 2016 | SCIENCE & MÉDECINE | Des méduses visitent la capitale Comment rendre la Terre invisible aux extraterrestres l’ e x p o s i t i o n L’Aquarium de Paris présente des cnidaires, qui pullulent à présent dans certaines mers hervé morin L a densité que vous voyez là, c’est celle qu’on observe dans la Baltique, la mer Noire ou la mer Rouge ! » Jacqueline Goy, qui a voué toute sa carrière de biologiste aux méduses, désigne les cnidaires qui tournent, en ronde perpétuelle, dans le flux laminaire des bassins de l’aquarium de Paris. Après quatre années de préparation méticuleuse, celui-ci a décidé de présenter une poignée d’espèces de méduses. « Il s’agit du premier médusarium à Paris », se félicite Alexis Powilewicz, président de cet établissement privé, niché sous l’un des tentacules du palais de Chaillot. « Elles sont l’un des marqueurs de la dégradation du milieu marin », enchaîne-t-il, insistant sur le fait que son « institution d’éducation populaire à l’environnement » se devait de familiariser le public avec un animal qui constitue à la fois une menace et une promesse. Une menace, parce que la « gélification des océans » est en marche : le réchauffement climatique, mais aussi la surpêche, favorisent la pullulation des méduses, cercle vicieux qui sera difficile à enrayer. Atteinte à la biodiversité marine, à la pêche, au tourisme, voire à la sécurité de l’approvisionnement nucléaire – des méduses ont obstrué des systèmes de refroidissement d’une centrale en Suède en 2013 –, la liste s’allonge. Source de collagène et antirides Une promesse aussi, énumère Jacqueline Goy, parce qu’elle est source de collagène pour les grands brûlés, « et de crèmes antirides hors de prix ». Parce que ses facultés de régénération pourraient inspirer des recherches sur les cellules souches, tout comme ses gènes de fluorescence sont utilisés en biologie et en médecine. Membre du comité scientifique de l’Aquarium de Paris, la chercheuse a regroupé, pour l’exposition « Méduses et poètes », des textes littéraires qui accompagnent une vingtaine de reproductions du dessinateur naturaliste Charles Alexandre Lesueur (1778-1846). L’Aquarium accueille aussi « Jellyfish », des créations du plasticien israélien Micha Laury, qui évoquent les lampes d’Emile Gallé (1846-1904). Mais revenons aux vraies méduses. En coulisses, le biologiste Etienne Bourgoin les nourrit de crevettes vietnamiennes microscopiques, se garde des piqûres cuisantes, veille à ne jamais mélanger les polypes qui donneront naissance aux différentes espèces de méduses, pour éviter qu’elles se cannibalisent. Ces polypes proviennent de l’aquarium de Kamo à Tsuruoka (Japon), où l’équipe française a fait ses classes. « On veut maîtriser, grâce à leur collaboration, tout le cycle de reproduction », explique Alexis Powilewicz. Dans les cages bleutées, le ballet languide des méduses fascine. Elles peuplaient déjà la mer il y a 600 millions d’années. Quelque chose suggère, dans leurs pulsations têtues, l’étreinte molle de leurs filaments mortels, que leur règne ne fait que commencer. p « Médusarium », aquarium de Paris, 5, avenue Albert-de-Mun, Paris 16e. www.cineaqua.com Agenda Médecine La journée de dépistage du diabète Un dépistage gratuit est organisé le 23 avril, dans 70 villes françaises par l’association Lider Diabète. Accessibles à tous les adultes de plus de 18 ans, les tests seront réalisés anonymement en moins de deux minutes. Les personnes identifiées avec un taux de glycémie élevé pourront s’entretenir avec un médecin. La première journée de dépistage, le 14 novembre 2015, avait permis de tester plus de 20 000 personnes dans 35 villes ; 829 avec une glycémie hors limite avaient été identifiées. > Sur le Web : liderdiabete.org/evenements RENDEZ-VOUS improbablologie Pierre Barthélémy Journaliste et blogueur Passeurdesciences.blog.lemonde.fr A près que Christophe Colomb eut « découvert » l’Amérique, le moins que l’on puisse dire c’est que l’irruption des Européens dans le Nouveau Monde ne bénéficia pas vraiment aux autochtones. Pourquoi ce rappel historique ? Parce que certains, à commencer par le célèbre cosmologiste britannique Stephen Hawking, redoutent que la situation ne se reproduise mais au détriment de l’humanité entière. Notre Terre pourrait bien être un tentant eldorado pour des extraterrestres en avance de plusieurs technologies, qui n’hésiteraient pas à venir jouer les conquistadores et à écraser nos faces d’Indiens mal dégrossis sous leurs pattes gluantes. D’où l’idée de ne pas hurler notre présence sur les toits cosmiques, de nous faire discrets, tout petits. L’ennui, c’est qu’il est difficile de planquer la Terre sous un tapis. Si, depuis une vingtaine d’années, nous avons été capables de détecter plus de 2 000 planètes extrasolaires, de plus en plus modestes en taille, il y a de bonnes chances qu’E.T. soit en mesure d’en faire autant avec notre jolie boule bleue. Et, dans une étude publiée le 30 mars par les Monthly Notices of the Royal Astronomical Society (MNRAS), deux astronomes de l’université Columbia (New York) se sont dit qu’il n’est pas improbable qu’il utilise la méthode qui nous a le plus réussi au cours des dernières années, celle dite du transit. Son principe consiste à observer la lumière d’une étoile, en espérant que nous soyons sur le même plan que les éventuelles planètes qui tournent autour. Au bout d’un moment, celles-ci finissent par passer devant le disque de leur soleil – ce qu’on appelle un transit en astronomie –, provoquant une baisse de luminosité de l’étoile, aisément repérable. Des panzers venus de Zantar Il est ensuite assez facile de calculer la taille des exoplanètes en question, de déterminer si elles se trouvent dans une zone tempérée, propice au maintien de l’eau sous forme liquide. Bref, de dire si elles sont habitables. On peut aussi, par spectroscopie, chercher dans leur atmosphère des molécules trahissant la présence d’organismes vivants, voire des traces de pollution industrielle produite par d’hypothétiques gougnafiers. Si nous ne voulons pas, un de ces beaux matins, voir débarquer des colonnes de panzers spatiaux tout droit issues de la planète Zantar, peut-être faudrait-il songer, non pas à empêcher la Terre de passer devant le Soleil – cela risque d’être un peu compliqué à mettre en place –, mais à lui créer une sorte de cape d’invisibilité, explique, le plus sérieusement du monde, l’étude des MNRAS. Ses auteurs ont donc calculé combien d’énergie il faudrait dépenser pour compenser la baisse de luminosité produite par notre transit annuel devant notre étoile en dirigeant, à ce moment précis, des lasers vers Zantar, de manière à faire croire aux astronomes zantariens que, autour du Soleil, il n’y a rien. Ce qui revient à allumer un immense phare non pas pour être vu, mais pour ne pas l’être ! Résultat de l’estimation : pour une cape d’invisibilité parfaite, il faut compter un réseau de lasers d’une puissance totale de 250 mégawatts, à allumer dix heures par an. Soit un coût énergétique somme toute raisonnable. Autre possibilité moins gourmande (160 kilowatts), masquer uniquement les « biosignatures » de notre atmosphère, pour faire croire que la Terre est privée de vie. Tout cela est très joli. Mais c’est oublier que les Zantariens ont depuis longtemps… détecté nos émissions radio et qu’ils sont déjà en route. En fait, ils arrivent demain. p DAVID R. WEAVER La boussole du monarque modélisée affaire de logique Chaque automne, des millions de papillons monarques quittent l’est des Etats-Unis pour un voyage de 4 000 km vers le centre du Mexique. Une équipe américaine propose dans Cell Reports du 14 avril une modélisation de leur boussole interne. Celle-ci combinerait les signaux provenant d’une horloge comprise dans leurs antennes et de leurs yeux à facettes capables d’estimer la hauteur du Soleil sur l’horizon. Combiner ces impulsions nerveuses permettrait au lépidoptère de recaler son cap au sud-ouest au fil de la journée. Et de faire l’inverse pour le voyage de retour. p RENDEZ-VOUS | SCIENCE & MÉDECINE | Michel Cabaret, au CCSTI de Rennes, en avril 2016. 0123 Mercredi 20 avril 2016 |7 Les chercheurs, des mineurs de fonds RICHARD DUMAS POUR « LE MONDE » vie des labos david larousserie S david larousserie. L es belles histoires de start-up commencent souvent dans un garage. Celle de Michel Cabaret a débuté dans un espace déserté du premier étage d’un centre commercial de Rennes. Trente ans plus tard, c’est le succès : la petite entreprise est devenue la première non parisienne dans son domaine. Le domaine est atypique et Michel Cabaret, 55 ans, n’a rien en fait d’un entrepreneur de la haute technologie. Sa passion, c’est la science, et il a contribué à créer le plus grand Centre de culture scientifique, technique et industrielle (CCSTI) de province. Depuis 2006, le CCSTI, devenu Espace des sciences en 1997, a quitté le centre commercial des débuts pour un lieu dans le centre-ville, à côté du musée de Bretagne et de la médiathèque. Il y a accueilli plus de 200 000 personnes en 2015, un record. « Quand il pleut, les hôteliers conseillent à leurs clients d’y aller », sourit Michel Cabaret, qui en est le directeur depuis 1988. L’envie de ce pionnier est simple, « partager la découverte et le plaisir de la découverte ». Le credo, classique, « promouvoir la pensée rationnelle pour faire reculer l’obscurantisme ». Sans surprise, il avoue, « j’ai eu ma vocation scientifique en visitant le Palais de la découverte à Paris, créé par Jean Perrin, qui est un de mes modèles ». Tout naturellement, son engagement a été célébré par le prix Jean-Perrin de la Société française de physique en 2007. Il a également reçu l’un des grands prix de l’Académie des sciences en 2012. « Lorsque je suis venu visiter ce centre, au milieu des années 2000, les bras m’en sont tombés. C’est une folie, ce truc ! », salue Roland Lehoucq, astrophysicien au Commissariat à l’énergie atomique, très impliqué dans la popularisation des sciences et chroniqueur au Monde. « L’idée est la même que celle de Perrin : mettre la science en culture par des expériences, des démonstrations, des exposés… », ajoute celui qui a aussi contribué avec l’Espace des sciences à réaliser une exposition itinérante en astronomie. Michel Cabaret a rejoint la petite équipe des débuts trois ans après la création de l’association en 1984. Aujourd’hui, le centre compte 50 employés. Les conférences hebdomadaires du mardi soir remplissent facilement les 500 places de l’amphithéâtre Hubert-Curien, nommé en hommage à l’ancien ministre de la recherche (de 1984 à 1986 puis de 1988 à 1993), mentor de Michel Cabaret et très impliqué dans la promotion des CCSTI. La chaîne YouTube de l’Espace des sciences compte plus d’abonnés que celle d’Universcience, le fleuron des CCSTI à Paris, et certaines vidéos dépassent les 200 000 vues. La revue du lieu, Sciences Ouest, compte 12 000 lecteurs. Le centre abrite aussi l’un des plus grands planétariums d’Europe, doté d’une capacité de 100 places. Il a été l’un des premiers à accueillir des séances en « temps réel » : sur la base de scénarios définis à l’avance, celles-ci sont commentées en direct par des animateurs, qui s’adaptent au public et à l’actualité astronomique. « Nous mettons à jour notre ciel presque toutes les semaines. Nous avons ainsi pu tenir compte immédiatement du fait que Pluton n’était plus une planète ». Au rez-de-chaussée, en juin, une des fiertés de Michel Cabaret sera rénovée, le laboratoire de Merlin, un espace pour les 7 à 77 ans où l’on peut expérimenter les phénomènes physiques. Dehors, les passants peuvent même voir l’étonnement des visiteurs devant des vélos à roues carrées ou des balles en lévitation. Au sous-sol, autre particularité du lieu, de vastes réserves contiennent des expositions ambulantes rangées dans des malles ou des caisses. 177 000 personnes en ont profité hors les murs de Rennes l’an dernier, grâce à trois expositions hebdomadaires. Dans les salles d’exposition, de jeunes animateurs contribuent à enrichir les visites. « Parfois ce sont eux qui sauvent une exposition ! », plaide Michel Cabaret. « Je n’ai pas trouvé d’équivalent ailleurs. J’aime bien transférer la connaissance au public et en retour Michel Cabaret ouvre grand les portes du savoir | Ce passionné a contribué à créer l’Espace des sciences, à Rennes, haut lieu de découverte et de partage de la connaissance portrait cela me sert pour ma recherche », souligne l’un de ces animateurs, étudiant en thèse. « Les gens se moquaient un peu de lui au début », se souvient Dominique Bernard, ancien enseignant-chercheur de l’université de Rennes, membre du bureau de l’Espace des sciences. « Même les scientifiques pensaient qu’on n’y arriverait pas. Il a aussi fallu faire bouger auprès des bibliothécaires l’image de la science », rappelle Michel Cabaret, qui a d’abord été directeur de la rédaction du magazine Réseau, devenu Sciences Ouest. Dans les premiers temps, certaines expositions ne voyaient passer qu’une centaine de personnes… « J’ai eu ma vocation scientifique en visitant le Palais de la découverte, à Paris, créé par Jean Perrin, qui est un de mes modèles » michel cabaret Puis la ténacité de ce coureur de marathon (en moins de trois heures) a convaincu les élus locaux de soutenir et développer ce projet ambitieux. « On a même réussi à mettre la culture scientifique dans les priorités de la région », rappelle Paul Tréhen, à l’origine de l’association initiale et aujourd’hui président d’honneur de l’Espace des sciences. C’est lui qui a recruté le jeune Michel, fils d’agriculteurs, en maîtrise à la sortie d’un BTS. Ensemble, ils travaillent sur ce qui ne s’appelait pas encore le développement durable et plus concrètement sur la biologie des sols. Dans la forêt de Paimpont, non loin de Rennes, ils apprécient de partager avec les locaux leurs résultats et connaissances. « Souvent on réalisait qu’on ne leur apprenait rien », s’amuse Michel Cabaret qui faisait là ses premières armes dans la vulgarisation. Après des études complémentaires au Canada, puis un service militaire à Dakar, Paul Tréhen lui propose alors de rejoindre la jeune association de culture scientifique en 1987. « Il a eu le mérite de persister dans l’idée de mettre le grand public au contact des laboratoires », témoigne ce pionnier. « Il n’abandonne jamais, donne de sa personne. C’est un très bon organisateur et gestionnaire », ajoute Paul Tréhen. Le combat pour la culture scientifique n’est jamais gagné. « J’ai enragé lorsque j’ai vu qu’à la “une” des informations locales en novembre 2014, ce n’était pas la comète Tchourioumov-Guerrassimenko qui était en vedette, mais la visite de l’équipe de France de football à Rennes », regrette Michel Cabaret. Il note aussi que des expositions ou des conférences suscitent des controverses, comme celles sur la génétique ou bien un exposé dans une mosquée sur la religion. Il a bien sûr observé aussi des évolutions dans les rapports entre la science et la société. « Avant, la science était sur un piédestal et maintenant de plus en plus de gens interpellent les scientifiques. Il faut éviter d’être arrogant, mais cela reste quand même important d’écouter la parole des spécialistes », estime-t-il. A suivre les grandes enjambées du directeur, d’une salle d’exposition aux fauteuils du planétarium en passant par son bureau ou le studio à fond vert utilisé pour les tournages, on réalise que l’enthousiasme des débuts ne s’est pas éteint. Il faut dire que ce bâtisseur a un grand projet d’extension à Morlaix (Finistère), au cœur de l’ancienne fabrique de tabacs, fermée en 2004. Dans ce bâtiment datant du XVIIIe siècle devrait ouvrir, en 2019, un espace muséographique présentant le passé industriel du lieu, mais aussi une salle de conférences et une copie du laboratoire de Merlin. Son œil pétille en effeuillant la plaquette et les futurs plans. « On a encore un bel avenir devant nous, assure-t-il. La curiosité est sans fin. J’aimerais revenir dans un siècle pour voir ce que nous aurons découvert ! » p i nous attendons, « alors on est mort ! », a lancé Thierry Mandon, secrétaire d’Etat à l’enseignement supérieur et à la recherche, en clôture, le 6 avril, d’un colloque sur la diffusion des savoirs par le numérique. Quelle menace plane donc sur la recherche française ? La crainte d’entraves à sa liberté par des restrictions sur des outils récents : la fouille de textes et de données (FTD). Ces techniques, dont l’essor est lié à la numérisation des documents, permettent d’explorer de vastes corpus afin d’en extraire automatiquement des informations. Par exemple, fouiller une base de données de gènes pour étudier leurs relations. Ou plonger dans un catalogue astronomique pour comparer différents objets… Rien de bien neuf ou de problématique. Mais la FTD est aussi une nouvelle manière de lire la documentation scientifique constituée par les millions d’articles écrits et publiés par les chercheurs. « L’un des buts est de produire de nouvelles connaissances par ces explorations », résume Marin Dacos, directeur du Centre pour l’édition électronique, un éditeur public de ressources en sciences humaines et sociales. « C’est comme passer de la lunette au télescope pour un astronome. Cela permet de voir mieux et plus loin », ajoute Renaud Fabre, directeur de l’Information scientifique et technique du CNRS. Ainsi des chercheurs génèrent automatiquement des « cartes » des collaborations entre scientifiques ou entre pays, détectent des domaines émergents, étudient les liens entre disciplines… En biologie, on repère, dans le texte des articles, des gènes ou des protéines, et des associations inédites entre eux. D’autres encore étudient la progression du « data mining », le nom anglais de la FTD, dans la littérature de recherche… « Nous avons aussi besoin de corpus pour tester nos outils de fouille de données, par exemple pour qualifier automatiquement la “polarité” d’un texte, neutre, positif, négatif… », complète Marin Dacos. Des « fouilles de textes » C’est là que le bât blesse car pour ces « expériences », les chercheurs doivent bien souvent télécharger les documents pour y appliquer leurs algorithmes. Autrement dit, copier des œuvres qui ne leur appartiennent pas, violant ainsi le droit d’auteur et le copyright des éditeurs. « La France et l’Europe sont en retard sur ces questions législatives par rapport aux Etats-Unis, au Japon, au Canada, qui autorisent, pour leurs chercheurs, ces fouilles de textes », note Renaud Fabre. D’où la bataille actuelle autour de l’article 18 bis du projet de loi « République numérique ». Cet amendement, contre l’avis du gouvernement, a été ajouté par les députés le 18 janvier. Il autorise « les copies ou reproductions numériques (…) en vue de l’exploration de textes et de données pour les besoins de la recherche publique, à l’exclusion de toute finalité commerciale ». Mais le gouvernement craint l’incompatibilité avec la révision d’une directive européenne de 2001 sur le droit d’auteur, toujours en débat. Le Sénat a opté, en commission, pour une formulation privilégiant des contrats entre éditeurs et organismes de recherche. De telles solutions existent déjà. L’un des plus grands éditeurs, Elsevier, explique au Monde que l’accord avec la France « inclut une clause permettant aux chercheurs publics de faire du “text and data mining”, sans coût additionnel ». Mais les chercheurs regrettent certaines contraintes du contrat. A l’inverse, « il n’est pas nécessaire d’ajouter une exception ! », proteste François Gèze, président du Cairn, un portail de revues scientifiques, et porte-parole sur cette question du Syndicat national de l’édition. « On pourrait travailler à des solutions techniques répondant aux besoins des chercheurs », ajoute-t-il, en précisant que les demandes sont faibles, selon lui. Une idée serait d’héberger des « copies » techniques chez un tiers et en réserver l’accès aux chercheurs. En même temps, un Livre blanc d’acteurs de la recherche plaide pour autoriser la FTD par une simple modification du code de la recherche, qui réglemente cette activité. Et un rapport est attendu sur le sujet avant le débat au Sénat à partir du 26 avril. Restera à fouiller parmi toutes ces solutions. p 8| 0123 Mercredi 20 avril 2016 | SCIENCE & MÉDECINE | Suivre en temps réel les performances des sportifs Depuis plusieurs années, un petit boîtier a pris place sous les maillots des rugbymen et des footballeurs. Il est bien plus qu’un classique GPS, précis à trois mètres environ. Doté d’une centrale inertielle (gyroscopes, accéléromètres, magnétomètre), il calcule pas à pas les déplacements pour atteindre une précision dix fois meilleure. La start-up française Mac-Lloyd, née en 2013, revendique la meilleure précision face à ses concurrents Catapult, GPSports ou VX Sport, grâce à des traitements mathématiques de la douzaine de paramètres mesurés. Elle innove aussi, à partir de juin, avec une brassière intégrant des mesures de rythmes cardiaques et respiratoires à l’aide d’un tissage breveté qui n’utilise qu’un seul fil d’argent sans jonction. Une vingtaine d’équipes d’élite – Racing Club 92 (rugby), Olympique lyonnais (football), Nanterre (basket), équipes de France olympiques – sont déjà clientes. La batterie d’indicateurs fournis aide les préparateurs physiques à prévoir les séances d’entraînement ou à repérer des baisses de régime, par exemple. Ainsi l’accélération verticale, qui diminue au cours d’un match, trahit la fatigue d’un joueur. L’entreprise voudrait convaincre les chaînes de télévision d’incruster à l’écran la vitesse, le rythme cardiaque des joueurs, ou encore la force d’un choc… p david larousserie Boîtier Brassière Electrode arrière 5 électrodes contre la peau mesurent des différences de potentiels et des résistances électriques afin d’estimer les rythmes cardiaque et respiratoire (les contractions musculaires locales engendrent des potentiels électriques différents) ainsi que la dépense énergétique (notamment par la sudation qui influence le passage du courant). Electrode 40 grammes GPS Connexion sans fil Centrale inertielle Brassière Electrodes avant Boîtier Un accéléromètre, un gyroscope et un magnétomètre fournissent neuf mesures, 1 300 fois par seconde, complétées par trois provenant du GPS. Un traitement mathématique calcule les dix-huit données-clés sur les trois axes pour la position, la vitesse, l’accélération, la rotation. 10 cm Antenne de transmission V Fréquence cardiaque Transpiration Avant Récupération des données Dos Tableau de bord Ω Terrain de rugby Dépense énergétique INFOGRAPHIE : HENRI-OLIVIER Jusqu’à 150 indicateurs par joueur peuvent être recueillis en temps réel. En pratique, une dizaine d’entre eux sont utilisés : vitesse instantanée, distance totale, nombre d’accélérations, de courses rapides, de chocs, déséquilibre jambe droite/gauche… Chaque sport a ses préférences : changements de direction (tennis), distance (rugby, foot), accélérations (basket). SOURCE : MAC-LLOYD Le sexisme se nourrit de préjugés sur des différences « naturelles » entre hommes et femmes. Mais lutter contre en mettant en avant une quasi-identité entre les deux sexes, c’est faire fausse route, met en garde un collectif de chercheurs Les différences sexuelles méritent mieux que des caricatures | L es mythes scientifiques sont toujours néfastes à la connaissance, mais il existe des domaines où le citoyen qui souhaite s’informer aura bien du mal à trouver autre chose que des caricatures. Tel est le cas des différences entre hommes et femmes. Alors que les scientifiques sont arrivés sur les grandes lignes à un réel consensus et discutent surtout de l’interprétation à donner à des faits bien établis, le champ médiatique donne à voir une tout autre histoire… Les scientifiques seraient divisés entre ceux qui affirment une différence biologique radicale et irréductible entre femmes et hommes et ceux qui démontreraient au contraire une absence totale de différence. Les ouvrages de John Gray – Les hommes viennent de Mars, les femmes viennent de Vénus, Mars et Vénus sous la couette, etc. (J’ai lu) – présentent une première caricature : un tableau où hommes et femmes n’ont presque rien de commun, où les hommes sont tous agressifs, directs, ambitieux, et les femmes douces, romantiques et bordéliques. Le spectacle Tale of Two Brains (« L’histoire des deux cerveaux », en DVD) de l’Américain Mark Gungor est du même tonneau : Gungor y présente un cerveau masculin composé de cases bien rangées et sans contact les unes avec les autres, alors que le cerveau féminin serait un entrelacs inextricable de connexions improbables. Le public de Gungor est hilare, et il est difficile de savoir si c’est parce qu’il prend le spectacle au second degré, ou parce qu’il s’y reconnaît. Ce qui est certain, c’est qu’une partie des lecteurs de Gray pensent avoir accès à des résultats scientifiques quand ils ne lisent qu’une fable. Le mythe des hommes et des femmes radicalement différents ne convainc pas dans les milieux universitaires ou « intellectuels ». Mais ces milieux ont développé leur propre mythe, porté par d’autres figures. Et parce que ce mythe est transmis par des personnes qui peuvent influencer les directions que prend la recherche, il est au final plus sournoisement destructeur qu’il n’y paraît. Selon cette autre caricature, toute différence entre hommes et femmes provient nécessairement et entièrement d’une différence de traitement culturel, sauf peut-être la présence, ou non, d’un pénis pour lequel un certain chromosome et quelques hormones pourraient avoir une influence. Chez l’humain, seule exception parmi toutes les espèces animales, l’action des chromosomes et hormones sexuels se limiterait aux caractères primaires et secondaires du même nom. Cette caricature poursuit un objectif louable : contrer le sexisme en prétendant qu’hommes et femmes sont par nature parfaitement identiques au niveau cérébral et psychologique. Mais l’idée même qu’elle est bénéfique repose sur plusieurs erreurs. tribune | D’abord, accepter avec les spécialistes qu’il existe des différences statistiques (parfois modestes et spécifiques) entre hommes et femmes n’est pas dire que chaque homme ou femme correspond à un « type » particulier. Par exemple, il est bien établi que les hommes sont en moyenne plus grands que les femmes, mais cela n’est évidemment pas applicable à chaque homme et chaque femme en particulier. La sourde inquiétude que toute différence soit systématiquement en défaveur des femmes n’est pas justifiée non plus : les garçons sont plus touchés par le retard mental et sont plus agressifs que les filles en moyenne, par exemple. Enfin, la crainte que toute différence de fait entre hommes et femmes pourrait justifier une discrimination sexiste est encore une erreur : ce qui est naturel n’est pas nécessairement bon, et ce qui est biologique n’est pas inexorable. C’est aux citoyens de décider des comportements et des modes d’organisation de la société souhaitables, y compris si cela doit aller à l’encontre de nos prédispositions biologiques. « Certaines maladies ont des manifestations dissemblables selon les sexes et devraient être étudiées et traitées en conséquence » Certains auteurs comme Lise Eliot, Daphna Joel ou, en France, Catherine Vidal, présentent la plasticité cérébrale (le fait que le cerveau se modifie en permanence sous l’effet de l’environnement ou de l’expérience) comme la preuve que rien n’est déterminé. C’est évidemment un paralogisme : la force musculaire est aussi très plastique et extrêmement dépendante de l’entraînement. Il n’en reste pas moins que la championne du monde d’haltérophilie, même si elle soulève des dizaines de kilos de plus que la quasi-totalité de la population mondiale, reste 127 kg en dessous du record masculin. Autre argument irrecevable : les cerveaux des hommes et des femmes seraient de toute manière « indiscernables ». Cette affirmation est vraie si l’on parle de comparer les cerveaux individuellement à l’œil nu. Mais le poids est déjà une indication. Des noyaux que l’on peut voir au microscope, tout comme des analyses sophistiquées à l’IRM, permettent de les différencier un peu mieux. Et au niveau moléculaire, on peut à coup sûr différencier un cerveau féminin d’un cerveau masculin avec les chromosomes sexuels (XY pour le mâle et XX pour la femelle). Dans le même ordre d’idées, on voit des confusions ou des oppositions qui aident à faire passer le message caricatural d’une indifférenciation totale. Confusion entre une différence de traitement (le sexisme qui est condamnable) et des différences statistiques de fait (qui ne sont pas du sexisme – de toute évidence les faits ne peuvent se plier à nos idéaux). Opposition injustifiable entre le génétique (supposé irréductible et fixe) et le culturel (supposé malléable). Opposition absurde entre le corps d’un côté (seul lieu d’une différenciation sexuelle) et l’esprit de l’autre. On aurait donc à choisir d’adhérer soit à l’idée d’une différence radicale entre les sexes, rejoignant la cohorte des conservateurs moisis, soit à celle d’une indifférenciation totale, embrassant la voie de l’éthique et du progrès. La vision véhiculée par John Gray est fausse, et dangereuse pour cette raison. La vision d’une parfaite identité entre hommes et femmes est elle aussi dangereuse. Des médecins et des chercheurs militent depuis des années pour que soient prises en compte les différences entre hommes et femmes, car certaines maladies ont des manifestations dissemblables selon les sexes et devraient être étudiées et traitées en conséquence. Or, les médicaments sont le plus souvent testés majoritairement sur des mâles (humains et nonhumains). En conséquence, la médecine est mieux adaptée aux hommes qu’aux femmes, et cela en partie à cause du présupposé faux d’une parfaite identité. La science montre des différences statistiques cérébrales et psychologiques subtiles et localisées entre hommes et femmes, vraies seulement en moyenne. Les tentatives pour expliquer ces différences par des effets purement sociaux se sont soldées par des semiéchecs : il est prouvé que la culture intervient, mais elle n’arrive pas à expliquer l’ensemble des observations (par exemple, pourquoi certaines différences sont d’autant plus grandes que la culture environnante est égalitaire ?). Il est tout aussi absurde de faire de ces petites disparités des frontières hermétiques en affirmant une absolue séparation des sexes que de les nier ou de prétendre qu’elles s’expliquent parfaitement par l’existence d’une culture sexiste (par ailleurs bien réelle). Ce n’est pas seulement faux : ce mythe de l’indifférenciation est sans doute en partie la cause de la quinzaine d’années de retard que la France accuse par rapport au reste de la communauté médicale européenne eu égard au développement d’une médecine (dont la psychiatrie) adaptée à chacun. Il est temps de comprendre que la recherche de la vérité n’est pas un frein au développement de la morale et aux progrès de la justice, bien au contraire. Il est temps de comprendre que les scientifiques qui trouvent des différences ne justifient en aucun cas la discrimination. p ¶ Peggy Sastre, docteur en philosophie des sciences, auteur et journaliste ; Nicolas Gauvrit, chercheur en psychologie cognitive, agrégé de mathématiques ; Claudine Junien, professeur émérite de génétique, membre de l’Académie de médecine ; Franck Ramus, directeur de recherche au CNRS ; Magali Lavielle-Guida, docteur en psychologie ; Jacques Balthazart, docteur en biologie, professeur émérite, université de Liège, Belgique ; Elena Pasquinelli, chercheuse en sciences cognitives ; Michel Raymond, directeur de recherche au CNRS ; Charlotte Faurie, chargée de recherches, université de Montpellier-II. Le supplément « Science & médecine » publie chaque semaine une tribune libre ouverte au monde de la recherche. Si vous souhaitez soumettre un texte, prière de l’adresser à [email protected] François Hollande face à la montée des périls chez EDF L’Android de Google dans la ligne de mire de l’Europe ▶ Une réunion se tient ▶ Le risque financier ▶ Les syndicats estiment ▶ La direction d’EDF rétor- mercredi à l’Elysée pour examiner le projet de construction de deux réacteurs EPR pour la centrale britannique d’Hinkley Point est important : le coût du chantier est estimé à 24 milliards d’euros, alors qu’EDF est déjà endetté à hauteur de 37 milliards que l’électricien est « au bord de la faillite » et ne peut pas se permettre ce projet. Des administrateurs s’interrogent aussi que que renoncer à Hinkley Point porterait un coup mortel à l’exportation de nouvelles centrales →LIR E PAGE 3 Les guerres de Poutine dopent l’industrie militaire russe ▶ Pour la pre- mière fois depuis la chute de l’URSS, la production des usines d’armement russes est en hausse ▶ Les conflits syrien et ukrainien obligent l’armée russe à se réarmer et favorisent les exportations ▶ Reportage à Toula, au cœur du complexe militaroindustriel russe bruxelles - bureau européen M argrethe Vestager, la très volontaire commissaire européenne à la concurrence, l’a confirmé, lundi 18 avril, lors d’une conférence à Amsterdam : oui, Android est bien dans le collimateur de Bruxelles. Selon nos informations, la commission s’apprêterait même, dans les jours à venir, peut-être dès mercredi 20 avril, à envoyer un acte d’accusation en bonne et due forme (un settlement of objections, « SO » dans le jargon bruxellois) contre le système d’exploitation du géant américain, qui équipe 80 % des smartphones dans le monde. Que reproche Bruxelles à Android, cette couche logicielle utilisée par des milliers de développeurs d’applications ? « Notre préoccupation, c’est qu’en exigeant des constructeurs de smartphones et des opérateurs de précharger une série d’applications Google, plutôt que de les laisser décider seuls quelles applications fournir avec les appareils, Google pourrait avoir empêché des applications de trouver leurs clientèles », a expliqué Mme Vestager. La Commission soupçonne Android d’abus de position dominante. Contactée lundi 18 avril au matin, elle n’a pas confirmé qu’elle s’apprêtait à envoyer un « SO » à Google. cécile ducourtieux → LIR E L A S U IT E PAGE 6 → LIR E PAGE 4 7 Vladimir Poutine en visite dans une entreprise de fabrication d’armes, à Toula, en Russie, en 2014. C’EST, EN MILLIARDS D’EUROS, L’AMENDE À LAQUELLE S’EXPOSE GOOGLE, SELON LES CALCULS DU « FINANCIAL TIMES » ITAR TASS/BESTIMAGE AÉRIEN AIR FRANCE VEUT SA PART DU MARCHÉ IRANIEN → LIR E PAGE 5 MÉDIAS LES PROGRAMMES EN CLAIR DE CANAL+ MENACÉS → LIR E PAGE 8 j CAC 40 | 4 529 PTS + 0,49 % j DOW JONES | 18 004 PTS + 0,60 % j EURO-DOLLAR | 1,1339 j PÉTROLE | 43,44 $ LE BARIL j TAUX FRANÇAIS À 10 ANS | 0,50 % VALEURS AU 19 AVRIL À 9 HEURES PERTES & PROFITS | DETTE ARGENTINE Les lumières de Buenos Aires 0123 hors-série L es blancs et les bleus ont bien travaillé. Deux équipes aux couleurs du drapeau argentin, banquiers et hauts fonctionnaires, ont sillonné le monde de la haute finance, de Washington à Londres, pour vendre le retour de leur pays sur les marchés. Mardi 19 avril, le troisième pays d’Amérique latine devait emprunter près de 15 milliards de dollars (13,2 milliards d’euros) auprès des investisseurs internationaux. Le succès est déjà au rendez-vous. Plus de 50 milliards de dollars auraient été proposés au pays. Cet emprunt, l’un des plus importants jamais émis par un pays émergent, est hautement symbolique, après quinze ans de glaciation. Depuis la faillite de l’Argentine en 2001, les lumières de Buenos Aires se sont éteintes pour la finance internationale. Incapable de rembourser une dette de près de 95 milliards de dollars, le gouvernement de Cristina Kirchner a plongé son pays dans l’isolement. Il a puisé dans les caisses de la banque centrale et a fait tourner la planche à billets pour couvrir ses dépenses, nourrissant une inflation encore estimée à près de 25 % par an. Les capitaux se sont enfuis, plongeant le pays dans les difficultés. Selon l’actuel ministre des finances, Alfonso Prat-Gay, cette fermeture au monde extérieur aurait coûté 120 milliards de dollars à l’économie et empêché la création de près de 2 millions d’emplois. Personne ne pourra jamais valider ces chiffres, mais il est étonnant de voir avec quelle rapidité les investisseurs sont passés de la haine à l’amour pour un pays qui alterne avec cons- Cahier du « Monde » No 22165 daté Mercredi 20 avril 2016 - Ne peut être vendu séparément tance les crises économiques depuis l’aprèsguerre, naviguant, au gré des dictatures populistes ou militaires, entre les solutions radicales pour combattre une inflation qui, aux riches heures de la fin des années 1980, dépassait les 1 000 % par an (4 924 % en 1989 !). Mais les investisseurs oublient vite, pourvu que la promesse soit alléchante. Et, en ces temps de taux d’intérêt négatifs dans les pays développés, des rendements de plus de 7 % ont tout pour séduire. Confiance retrouvée dans les émergents Ils ont aussi été séduits par le changement politique intervenu en décembre 2015 avec l’élection de Mauricio Macri. En trois mois à peine, l’ancien maire de Buenos Aires a supprimé le contrôle des capitaux, levé les barrières à l’importation, coupé dans les dépenses gouvernementales et réformé l’institut national de la statistique. Comme si elles n’attendaient que cela, les agences de notation ont relevé leur note, réduisant le coût de la dette. Enfin, les pouvoirs publics ont trouvé un accord avec les créanciers qui poursuivaient le pays, acceptant de lâcher plus de 10 milliards de dollars pour apurer le passif. L’essentiel de la nouvelle émission permettra de financer ce remboursement. Le succès de l’émission porte un autre message. Au-delà du retour de la confiance pour l’Argentine, c’est celle des marchés envers les pays émergents qui est en jeu. L’alternance politique a joué spectaculairement. Peut-être en sera-t-il de même avec le grand voisin brésilien. p philippe escande Être français Les grands textes de Montesquieu à Edgar Morin Les nouveaux déis 60 auteurs 40 dessins ÊTRE FRANÇAIS Un hors-série du « Monde » 164 pages - 8,50 € Chez votre marchand de journaux et sur Lemonde.fr/boutique 2 | plein cadre 0123 MERCREDI 20 AVRIL 2016 Quentin Sannié, cofondateur de Devialet, avec l’enceinte Phantom, dans la boutique de la marque, à Paris, en 2015. CAPUCINE GRANIER-DEFERRE/ « THE NEW YORK TIMES » Devialet, le petit Frenchy qui monte le son C’ est un rêve de gosses devenu réalité. Quentin Sannié est cofondateur et directeur général de Devialet, une start-up parisienne née en 2007, dont l’enceinte connectée est distribuée dans les Apple Store américains et européens. Dans sa boutique située au cœur de Paris dans un immeuble d’inspiration Art nouveau, il se souvient avec nostalgie de ses débuts. « Mon cousin, Emmanuel Nardin [cofondateur et designer de Devialet], avec qui nous rêvions depuis nos 14 ans de monter une boîte dans le son, m’a dit qu’il avait rencontré un ingénieur absolument incroyable, Pierre-Emmanuel Calmel, qui travaillait sur une technologie révolutionnaire. L’opportunité était là, je ne l’ai pas laissée passer », raconte-t-il. Dix ans plus tard, les trois compères n’ont pas fini de faire du bruit. Après le lancement de la gamme d’amplificateurs haut de gamme Expert, qui s’adresse à un public d’audiophiles prêts à payer cher pour assouvir leur passion, l’arrivée il y a moins d’un an et demi du Phantom, une enceinte sans fil connectée ultra-compacte au design léché et au prix un peu plus accessible (à partir de 1 690 euros), a fait décoller la jeune pousse. En quelques années, son chiffre d’affaires a bondi, passant de 3,5 millions d’euros en 2012 à 33 millions d’euros en 2015. Aujourd’hui, la marque compte six boutiques, dont deux dans l’Hexagone, et plus de 400 revendeurs dans le monde. UN SUCCÈS « MADE IN FRANCE » Coup de maître : depuis mi-décembre, le Phantom, son produit phare, est vendu dans les Apple Store américains. « Nous avons formé des équipes là-bas pour les familiariser au produit. Les retours sont positifs, tous les magasins vendent », se réjouit Quentin Sannié. Depuis le mardi 19 avril, Devialet franchit un nouveau cap. Son enceinte connectée est désormais disponible dans toutes les boutiques de la marque à la pomme en Europe. Une véritable consécration pour la jeune marque. L’entreprise tricolore s’attend à voir son chiffre d’affaires grimper en flèche grâce à ce partenariat, et estime que les pré- La start-up parisienne, qui a conclu un partenariat avec les Apple Store, se rêve leader mondial du son. La clé de son succès ? Une technologie de rupture, des soutiens de poids, le réseau français de la Silicon Valley sentoirs d’Apple pourraient représenter au minimum 20 % de ses ventes. Cette bonne fortune, le petit Français la doit d’abord à sa technologie de rupture dans un domaine qui avait connu très peu d’innovations depuis une vingtaine d’années. Grâce à une technologie hybride mise au point par Pierre-Emmanuel Calmel, qui combine l’amplification analogique avec l’amplification numérique, le son diffusé par les produits reste intact, sans souffle ni distorsion, et ce jusqu’à 3 000 watts et 105 décibels de puissance, soit le volume sonore d’un concert. Pas moins de 88 brevets et presque trois ans de recherche et développement (R&D) auront été nécessaires pour le seul Phantom. Véritable bijou de technologie, ce dernier divise par trente la taille du produit par rapport à une enceinte standard. « Il restitue des sons dans les graves avec un niveau de puissance inégalé par la concurrence, tandis que, par rapport à une solution hi-fi classique, les aigus sont agréables, même à très forte puissance. Il retransmet parfaitement l’ambiance sonore, c’est très immersif », note Raphaël de Labarthe, directeur de l’usine PHL Audio, située en Seine-et-Marne. Rachetée en juin 2015 par Devialet, c’est elle qui produit et assemble les haut-parleurs de la marque, au Châtelet-en-Brie et à Chartrettes, près de Melun, avec une capacité de production pouvant aller jusqu’à 200 000 unités par an, soit un haut-parleur toutes les deux minutes. Pour fabriquer le Phantom, le Parisien tra- « NOUS VOULONS DEVENIR LA PLUS IMPORTANTE ENTREPRISE DE L’AUDIO DE TOUS LES TEMPS » QUENTIN SANNIÉ cofondateur et directeur général de Devialet vaille avec 22 usines à travers la France, qui lui fournissent des pièces originales de haute technicité. Un « made in France » dicté par la raison. « Ce n’est pas un effet de mode mais un choix stratégique. C’est ici que nous avons trouvé les meilleurs industriels pour répondre à nos cahiers des charges extrêmement exigeants », clame le patron du spécialiste audio. Résultat : les châssis viennent de la région lyonnaise, les dômes des haut-parleurs du Jura, les membranes en aluminium peint du Grand Est, les coques en résine de la région de Tours, l’électronique et les flasques en métal de Normandie. La plaque de silicium, qui constitue la puce, est, elle, importée de Malaisie. Dans le showroom au décor volontairement sobre et épuré de la marque, rue Réaumur, les clients venus tester les produits sont sous le charme. « Le son est extraordinaire, ce sont les meilleurs », chuchote l’un d’entre eux à sa compagne, l’œil rivé sur les vibrations du Phantom pendant la diffusion d’un morceau de rock. Et il n’est pas le seul, les adeptes du petit Frenchy ne se comptent plus. Des superstars Jay-Z, Beyonce ou Will.i.am, en passant par le violoniste Renaud Capuçon, le rappeur Joey Starr ou encore l’acteur de Bollywood aux millions de fans, Shahrukh Khan, les célébrités du monde entier ont succombé. Des ambassadeurs de choix, qui boostent la notoriété de la marque aux quatre coins de la planète. Il faut dire que le Français sait s’entourer et n’a pas froid aux yeux. Pour faire connaître ses produits, Quentin Sannié n’a pas hésité à frapper à toutes les portes, quitte à ce qu’on les lui claque au nez. En 2009, alors qu’il ne disposait encore que d’un prototype, il obtient un rendez-vous à Londres avec le rédacteur en chef très en vue d’un magazine spécialisé dans l’audio. Immédiatement séduit, celui-ci décide de les mettre en couverture, déclenchant un effet boule de neige dans le microcosme des mélomanes. Fin 2010, le premier produit de l’entreprise, le D-Premier, était ainsi distribué dans une vingtaine de pays. La jeune entreprise reçoit même une proposition de rachat, qu’elle décline. Mais la R&D coûte cher et la société commence à envisager la nécessité d’une grosse levée de fonds pour accélérer la cadence. « Notre stratégie financière, depuis le début, était de dire qu’on ne voulait travailler et être financés que par des entrepreneurs, et non par des fonds d’investissements », précise M. Sannié. Intrigué par cette petite entreprise, Marc Simoncini, fondateur de Meetic, a rencontré l’équipe il y a quatre ans. « Je suis allé écouter leur son dans leur auditorium et j’ai trouvé ça extraordinaire. Finalement, j’ai appelé Xavier [Niel, patron de Free et actionnaire à titre personnel du groupe Le Monde] et JacquesAntoine [Granjon, PDG de Vente-privee.com] », se remémore Marc Simoncini. Les deux entrepreneurs rappliquent moins d’une heure plus tard dans l’auditorium pour tester à leur tour le produit. La magie opère. « Ça a été un coup de cœur. Le son était tellement évident dans sa limpidité, dans sa fluidité, ciselé. Comme si les musiciens étaient là devant nous », précise Jacques-Antoine Granjon. L’affaire est conclue : les trois hommes d’affaires, auxquels se greffe Bernard Arnault, le PDG de LVMH, vont mettre la main au portefeuille, à hauteur de 15 millions d’euros en novembre 2012, puis de nouveau à hauteur de 25 millions d’euros en juin 2015. Le réseau français de la Silicon Valley « Ils sont en avance sur le challenge technique. Reste maintenant le défi commercial et de distribution », analyse M. Granjon. Pour cela, Devialet mise sur la qualité et le positionnement haut de gamme de ses produits : la marque est distribuée dans des enseignes de luxe telles que Harrod’s ou Colette. Mais son succès outre-Atlantique, l’entreprise le doit surtout au réseau français de la Silicon Valley. « C’est la meilleure campagne marketing que j’ai vue, et ça montre à quel point le réseau peut être efficace », observe Loïc Le Meur, fondateur de Leade.rs et personnalité française incontournable à San Francisco. C’est lui qui, après avoir rencontré Quentin Sannié, décide de lui présenter les grands patrons de la Silicon Valley. « J’avais adoré le produit, alors j’ai voulu les aider. On est allés voir Garrett Camp [cofondateur d’Uber], qui en a d’abord eu un à l’essai puis a fini par en acheter quatre, et Tony Fadell [père de l’iPod et fondateur de Nest]. Tous les entrepreneurs cool de la Silicon Valley ont adoré le produit », se souvient-il. En parallèle, Alex Dayon, un des hauts cadres de Salesforce et autre Frenchy très influent de la région, les présente à Marc Benioff, le PDG de Salesforce qui leur décroche le précieux sésame : un rendez-vous avec la grande prêtresse des Apple Store, Angela Ahrendts. « D’habitude, elle ne reçoit pas les fournisseurs, mais nous avions fait un tel travail de notoriété en Californie qu’elle a été intriguée », remarque M. Sannié. Après une heure et demie d’entretien, le partenariat est finalement acté. Fort de son succès, Devialet ne compte pas s’arrêter là et affiche sans fausse pudeur ses ambitions : « Nous voulons devenir la plus importante entreprise de l’audio de tous les temps », proclame M. Sannié. Le Français vise notamment le marché plus large des amplificateurs, qui représenterait aujourd’hui 2,5 milliards de dollars par an (2,2 milliards d’euros). Ses ingénieurs travaillent actuellement au déploiement de leur technologie dans les voitures et les écrans plats de télévision, dont la qualité du son est souvent pointée du doigt. Un premier contrat dans l’industrie automobile pourrait être annoncé dès cette année. Le petit Français semble avoir trouvé le bon tempo. p zeliha chaffin économie & entreprise | 3 0123 MERCREDI 20 AVRIL 2016 Hinkley Point : les cinq risques qui pèsent sur EDF L’Elysée doit examiner mercredi le projet controversé de construction de deux réacteurs EPR outre-Manche R éunion critique pour EDF, mercredi 20 avril à l’Elysée. François Hollande, Manuel Valls, Jean-Marc Ayrault, Emmanuel Macron, Michel Sapin, sans oublier un conseiller de Ségolène Royal : la liste des participants attendus, exceptionnelle pour un dossier industriel, montre à elle seule l’importance des arbitrages prévus. Il s’agit de décider si l’entreprise doit ou non construire deux coûteux réacteurs EPR au Royaume-Uni, et, le cas échéant, prévoir le plan de financement adéquat. Lancer le projet ferait courir de lourds risques à EDF. Y renoncer pourrait remettre en cause la crédibilité de la France. « Quelle que soit la décision, les dangers sont énormes », reconnaît un administrateur d’EDF. La position de l’Etat ne serait pas arrêtée. Le ministre de l’économie, M. Macron, est un fervent partisan du projet, qui consiste à installer à Hinkley Point, dans le sud-ouest de l’Angleterre, deux réacteurs de nouvelle génération, des EPR (European Pressurized Reactor). La France mènera à son terme ce chantier, a-t-il encore déclaré dimanche 17 avril à la BBC, en précisant son objectif : « Etre en situation de signer » le contrat définitif « dans la semaine à venir ou plus tard ». D’autres, comme la ministre de l’environnement et de l’énergie, Mme Royal, se montrent plus réservés. Seule certitude : l’heure du choix approche. Après la réunion à l’Elysée, EDF a prévu un conseil Les syndicats de l’énergéticien français rejettent unanimement cet investissement jugé pharaonique d’administration vendredi sur le volet financier du projet, puis un autre début mai. Ce sera alors aux administrateurs d’appuyer ou non sur le bouton. En l’état, il n’est pas sûr que la majorité du conseil y soit favorable. Les syndicats d’EDF, qui disposent de 6 postes sur 18, rejettent unanimement cet investissement jugé pharaonique, et plusieurs administrateurs indépendants sont dubitatifs. Le président de la République va donc devoir trancher, mais aussi convaincre toutes les parties prenantes de la validité de son choix. Une décision qui revient à slalomer entre cinq grands risques. Le risque financier Le groupe EDF est-il « au bord de la faillite », comme l’écrivent les syndicats dans une lettre envoyée à M. Hollande le 13 avril ? Sans doute pas. La maison dispose de rentrées régulières d’argent et d’importantes lignes de crédit. Aucune crise de liquidité ne se profile à court terme. La situa- tion est néanmoins tendue. La dette de l’énergéticien dépasse 37 milliards d’euros, et ses bénéfices vont souffrir de la chute des prix de l’électricité en Europe, passés en un an de 40 à 26 euros le mégawatt-heure sur le marché de gros. Cela oblige EDF à baisser ses tarifs pour rester compétitif. Or « la pression sur les prix va durer », assure Juan Camilo Rodriguez, analyste chez AlphaValue. En Bourse, la valeur du géant tricolore a tant baissé que l’entreprise a été exclue du CAC 40 en décembre. Elle ne vaut plus que 22 milliards d’euros, moitié moins qu’il y a un an. Dans ces conditions, lancer Hinkley Point paraît osé. Il faut investir 24 milliards d’euros, sans rien en récupérer avant 2025, date prévue de la mise en fonctionnement des réacteurs. Et malgré l’appui d’un partenaire chinois, EDF devra assumer l’essentiel du risque. Jugeant le dossier trop périlleux alors que d’autres très grosses dépenses sont prévues, le directeur financier d’EDF, Thomas Piquemal, a démissionné en mars. « Du point de vue des finances et des risques, le plus raisonnable serait d’annuler le projet », juge M. Rodriguez. Pour s’y engager malgré tout, EDF va devoir céder des actifs (un plan portant sur 10 milliards d’euros est en préparation), et durcir son plan d’économies, qui prévoit déjà la suppression de 3 500 postes. L’Etat, actionnaire à 85 %, a accepté de son côté de ne plus recevoir son dividende en cash, mais en actions. En revanche, il semble réticent à recapitaliser la société. Le risque technologique Complication supplémentaire : construire un EPR est ardu. Aucun ne fonctionne encore dans le monde. Sur les chantiers en cours en Finlande et à Flamanville (Manche), les délais et les coûts ont explosé. Flamanville pourrait même ne jamais entrer en service, en raison de malfaçons. EDF assure que les deux EPR envisagés en Angleterre profiteront des leçons tirées de ces expériences. Mais « il s’agit à nouveau d’un prototype, avec des différences notables par rapport aux autres EPR », met en garde un cadre. Le délabrement d’Areva, partenaire-clé de l’EPR, donne aussi des sueurs froides chez EDF. L’ancien patron du Commissariat à l’énergie atomique, Yannick d’Escatha, a réalisé une analyse des risques liés au chantier de Hinkley Point, mais le PDG d’EDF a refusé de communiquer le document aux administrateurs. Le risque politique La question de l’EPR est aussi celle de la politique énergétique, et de la répartition des risques. « Faut-il vraiment mobiliser autant d’argent sur une seule filière, le nucléaire, qui ne représente pas forcément l’avenir ? Que se passera-t-il si un accident comme Fukushima remet tout en cause ? », s’interroge un administrateur. Vu de l’Elysée, miser sur l’EPR, c’est aussi tendre un peu plus les relations avec les Verts. Le risque commercial A l’inverse, renoncer à l’EPR anglais pourrait ruiner les espoirs internationaux de la filière nucléaire tricolore. Si la France refuse le premier contrat qu’elle remporte à l’étranger depuis des années, quels clients, demain, lui feront confiance ? Selon EDF, les contacts noués en Pologne, en Inde ou en Arabie saoudite risquent de tomber à l’eau. Pour M. Macron, c’est une question de « cohérence » et de « crédibilité ». Les syndicats, eux, suggèrent d’attendre deux ou trois ans, et de proposer au Royaume-Uni la version optimisée de l’EPR, moins coûteuse, qui est dans les cartons. Cela permettrait de maintenir les ambitions hors de l’Hexagone. Le plan doit être présenté à M. Macron le 27 avril. Le risque social C’est souvent celui auquel les décideurs politiques sont les plus sensibles. Surtout pas de grève, pas de coupure de courant ! Or, passer en force et lancer Hinkley Point risque de heurter profondément la « collectivité EDF ». La possible cession de 50 % du réseau de transport d’électricité inquiète aussi : « Ce serait attaquer l’ADN de l’entreprise, et vendre un métier qui a une rentabilité modeste mais régulière », dit une élue du personnel. Force ouvrière a déjà déposé un préavis de grève. p denis cosnard LES CHIFFRES 75 MILLIARDS C’est, en euros, le chiffre d’affaires réalisé par EDF en 2015. 1,2 MILLIARD Soit le résultat net, en euros, dégagé par l’électricien en 2015. Il a fondu de 68 % par rapport à 2014. – 50 % Soit la baisse de l’action EDF en un an. 37,4 MILLIARDS C’est, en euros, l’endettement net d’EDF. Il s’est alourdi de 9 % en 2015. 24 MILLIARDS C’est le coût, en euros, du projet de centrale EPR à Hinkley Point (Royaume-Uni), selon l’évaluation initiale. 4 | économie & entreprise 0123 MERCREDI 20 AVRIL 2016 Les guerres de Poutine dopent les armuriers russes A Toula, au sud de Moscou, l’industrie militaire redresse la tête, portée par les conflits en Syrie et en Ukraine REPORTAGE toula (russie) - envoyée spéciale U n flot ininterrompu d’ouvriers pressés de rentrer chez eux sort des usines TOZ et Toulamachzavod. Erigé entre les deux manufactures qui se font face, un imposant dôme, semblable à un ancien casque militaire russe, coiffe le musée d’Etat où sont exposés, au côté d’antiques pièces d’artillerie, des canons antiaériens et des roquettes modernes. Bienvenue à Toula, « capitale des armes » de la Russie, qui connaît un renouveau inattendu. « En 2015, la production du complexe militaro-industriel a augmenté de 11 % à Toula, de 14 % à Briansk [ouest de la Russie] et de 10 % à Mari-El [au nord de la Volga]. C’est une première dans l’histoire post-soviétique », note Natalia Zoubarevitch, spécialiste des régions à l’Institut indépendant des sciences sociales de Moscou. La raison : les guerres de Vladimir Poutine dopent le secteur. Située à 190 kilomètres au sud de Moscou, au cœur d’un bassin houiller, Toula est longtemps restée à l’écart des circuits touristiques, en raison de son statut d’armurerie nationale. Pierre le Grand y fit bâtir la première fabrique d’armes en 1712, la Toulski Oroujeïny Zavod (TOZ), qui a traversé les siècles. Encore aujourd’hui, la cité est communément présentée comme le « bouclier » de la Russie. « Jamais le pied de l’ennemi n’est arrivé jusqu’ici », s’enorgueillit Grigori Lavroukhine, ministre régional du développement économique. Bien sûr, la cité a souffert lorsque, après la chute de l’URSS, le secteur militaro-industriel n’était plus la priorité de Moscou. Toula n’a d’ailleurs eu de cesse d’essayer de se diversifier et d’attirer des entreprises étrangères : le constructeur automobile chinois Great Wall, notamment, prévoit d’y ouvrir une usine. Mais le retour de la « Grande Russie » chère à Vladimir Poutine dope incontestablement le secteur militaro-indus- triel et, ce faisant, l’économie locale, alors que le reste de la Russie s’enfonce dans la crise. « L’industrie de la défense a reçu plus d’argent. Grâce au réarmement de l’armée, il y a moins de chômage », assure Ilya, 38 ans. Ce juriste de Toula voit la différence avec son secteur d’activité où, dit-il, « les contentieux ont fortement augmenté : nous avons de plus en plus de mal à nous faire payer depuis deux ans ». « Le pouvoir d’achat des gens a beaucoup baissé », approuve sa femme Veronika, gérante d’un petit magasin de mode féminine. Le salaire moyen dans la région, selon M. Lavroukhine, s’élève à 27 500 roubles (environ 365 euros), ni plus ni moins qu’ailleurs, mais au moins le travail ne manque pas. Quelque dix-sept grandes usines liées au complexe militaro-industriel fonctionnent toujours à Toula, comme KBP, spécialisée dans les armes de précision et les missiles. Vladimir Poutine s’y était rendu en janvier 2014, quelques mois avant qu’elle ne soit inscrite, en juillet, sur la liste des entreprises sanctionnées par les Etats-Unis. L’armement russe le plus récent y est assemblé. Notamment les batteries anti-aériennes de défense, de type Pantsir, utilisées en Syrie. « En ce moment, nous avons beaucoup de commandes, beaucoup de travail », s’est réjoui Youri Kouznetsov, chef d’atelier chez KBP, invité, le 14 avril, en duplex de l’émission « Ligne directe », au cours de laquelle le président russe a répondu aux questions du public. « Nous achetons de nouveaux équipements, un grand nombre de jeunes nous ont rejoints », a-t-il poursuivi, ajoutant cependant, non sans une pointe d’inquiétude : « Se pourrait-il qu’un jour nous soyons obligés, comme dans les années 1990, de nous convertir à la production de casseroles, poêles à frire et autres produits ménagers ? » « Penser à la reconversion » La réassurance attendue n’est pas venue. « Le pic des commandes a lieu maintenant mais l’année prochaine ou plus tard, il va baisser, a Assemblage de batteries antiaériennes chez Scheglovsky Val, l’une des 17 usines d’armement de Toula. SERGEY MAMONTOV/RIA NOVOSTI « Nos opérations contre les terroristes en Syrie ont été un sérieux test pour nos nouvelles armes » VLADIMIR POUTINE répondu Vladimir Poutine. Nous devons penser à la reconversion. » Pas sûr, en effet, que l’embellie du complexe militaro-industriel, malgré les 75 milliards d’euros consacrés à la défense dans le budget en 2015, soit de longue durée. En attendant, la modernisation de l’armée russe et les exercices d’entraînement grandeur nature, entrepris en parallèle au conflit ukrainien, et surtout l’intervention militaire en Syrie, stimulent une industrie vieillissante. Faisant le point sur l’équipement de l’armée, le 11 mars, au sein même du QG des opérations en Syrie, dans le ministère de la défense à Moscou, le chef du Kremlin s’était réjoui des résultats enregistrés, malgré les sanctions internationales. « Notre programme de remplacement des importations est en cours depuis environ dix-huit mois maintenant, et nous avons réorganisé la production de la plupart des composants livrés précédemment à l’étranger, avait indiqué M. Pou- Toyota, Honda et Sony ont dû suspendre leur production pendant quelques jours I ndustrie, tourisme, distribution : l’économie du Kyushu (Sud-Ouest) souffre après les puissants séismes des 14 et 16 avril, qui ont des conséquences sur l’ensemble de l’activité au Japon. « Toyota va suspendre par étapes, du 18 au 23 avril, la production de ses chaînes d’assemblage. » Annoncée le 17 avril, la décision du premier constructeur automobile mondial découle des « pénuries en pièces détachées provoquées par les tremblements de terre ». Elle concerne ses usines du Kyushu comme celles de Nagoya et celles de ses filiales Daihatsu et Hino. 56 000 véhicules pourraient être concernés. Toyota a pris cette décision car la catastrophe a fortement affecté l’activité des deux usines d’Aisin Seiki de la ville de Kumamoto, dans le département du même nom, qui était proche des épicentres. Aisin Seiki fabrique des pièces pour Toyota, Daihatsu ou encore Nissan. Honda a par ailleurs arrêté la production de son usine de motos d’Ozu. Dans l’électronique, Sony, qui assemble à Kikuyo – également dans le Kumamoto – des capteurs d’images pour les caméras de smartphones, notamment des iPhone d’Apple, a fait de même. Dans l’attente de la relance de l’activité, le géant de l’électronique pourrait externaliser la production de certains composants dans une usine Fujitsu du département de Mie, dans le centre de la péninsule. Coup d’arrêt pour le tourisme Fuji Film a de son côté dépêché une vingtaine d’ingénieurs à son usine de Kikuyo pour relancer au plus vite la production de films polarisants pour écrans LCD, dont l’établissement assure 40 % de la production mondiale. Si l’impact du drame est réel, l’inquiétude pour l’activité à moyen terme demeure limitée. « Tirant les leçons de la catastrophe de mars 2011, les constructeurs et leurs fournisseurs ont établi des réseaux pouvant être rapidement restaurés en cas de catastrophe », explique dans un rapport du 17 avril la maison de titres Nomura, qui table sur un retour « rapide à la normale ». Selon des calculs de Mitsubishi UFJ Morgan Stanley, Toyota pourrait cependant enregistrer une baisse de 30 milliards de yens (243 millions d’euros) de ses profits opérationnels pour le trimestre entre avril et juin. Outre l’industrie, la vente au détail est affectée, avec des conséquences plus directes pour la population qui souffre d’un manque d’approvisionnement en nourriture et en eau. L’enseigne de magasins de proximité Lawson avait rouvert le 17 avril sept de ses 141 points de ventes en zones sinistrées. Mais certains ne fonctionnent que quelques heures par jour, faute d’approvisionnement ou de personnel. Les services de distribution, interrompus au moment des séismes, reprennent progressivement depuis lundi, hors les zones les plus sinistrées. Plus généralement, les réseaux de transport sont toujours perturbés. Si le trafic à l’aéroport de Kumamoto devait reprendre le 19 avril, celui des trains à grande vitesse Shinkansen reste interrompu, comme celui de plusieurs lignes ferroviaires. Et plusieurs axes routiers importants sont fermés à la circulation en raison des dégâts causés par les séismes. Ces difficultés devraient avoir Preuve de son importance, le secteur est l’objet de toutes les attentions du Kremlin. A Toula, c’est désormais un gouverneur militaire qui a pris la direction par intérim de la région. Nommé par décret présidentiel le 2 février dernier, Alexeï Dioumine serait l’homme qui a organisé l’exfiltration de l’ex-président ukrainien Viktor Ianoukovitch vers la Russie, en février 2014, et qui aurait joué un rôle dans l’annexion de la Crimée. C’est un proche de Viktor Zolotov, le chef de la sécurité personnelle de Vladimir Poutine, promu récemment à la tête d’une nouvelle « Garde nationale » placée directement sous la tutelle du chef de l’Etat. p isabelle mandraud 971 Tremblements de terre du Kyushu : un choc pour l’économie japonaise tokyo - correspondance tine. Environ 4 000 types d’armes dernier modèle, qui vont façonner l’image de nos forces armées, ont été livrés en 2015. Cela comprend 96 avions, 81 hélicoptères, 2 sousmarins polyvalents, 152 systèmes de défense aérienne, 291 stations radar et plus de 400 véhicules blindés et pièces d’artillerie. » « Bien sûr, avait ajouté le président russe, nos opérations contre les terroristes en Syrie ont été un sérieux test pour nos nouvelles armes, en particulier pour notre équipement aérien. » Ce « test », ainsi que M. Poutine a qualifié à plusieurs reprises les opérations en Syrie, a permis à la Russie, selon lui, d’engranger « 15 milliards de dollars l’année dernière » de ventes d’armement. un impact sur l’ensemble de l’économie japonaise, qui devra gérer la reconstruction et répondre aux difficultés des entreprises locales. Selon le ministère de l’économie, le produit intérieur brut du Kyushu, à 431 milliards de dollars (380 milliards d’euros) en 2015, représente environ 10 % de celui du Japon. Les constructeurs nippons assemblent dans cette région 1,3 million de véhicules par an, soit 10 % de la production totale du pays. Le Kyushu assure 20 % de la production agricole nippone. Proche du continent asiatique, la grande île méridionale japonaise attire aussi de plus en plus de touristes. En 2015, 2,83 millions d’étrangers l’ont visitée, un chiffre en hausse de 69 %. 40 % venaient de Corée du Sud. Cette activité devrait connaître un coup d’arrêt, en raison des dégâts subis notamment par les infrastructures hôtelières. Le ministère chinois des affaires étrangères a déconseillé à ses ressortissants de se rendre dans le Kyushu avant le 16 mai, et Hana Tour, la principale agence de voyages sud-coréenne, a annulé le 17 avril l’ensemble des séjours dans la région. p philippe mesmer C’est le nombre d’emplois de Cauval concernés par l’offre de reprise déposée par Steinhoff au tribunal de commerce de Meaux, jeudi 14 avril. Le sud-africain, propriétaire de Conforama, a amélioré son offre pour s’emparer du fabricant de matelas placé en redressement judiciaire le 29 février. Steinhoff s’engage à reprendre cinq des six usines de Cauval, contre quatre auparavant. Le site de Bar-sur-Aube (Aube, 460 salariés) n’est pas concerné. Au total, 971 des 1 800 emplois de Cauval en France pourraient être repris par Steinhoff, contre 771 auparavant. L’industriel promet d’investir 76,2 millions d’euros et de créer 300 emplois. Objectif : 250 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2020. Les juges se prononceront le 17 mai. AC I ER Pas d’accord entre pays producteurs La Chine et les grands pays producteurs d’acier ne sont pas parvenus, lundi 19 avril, à s’entendre sur des mesures pour résoudre la crise liée à la surproduction. A l’issue d’une réunion de plus de 30 pays, organisée par la Belgique et l’OCDE, les Etats-Unis ont demandé à la Chine de réduire sa production, sous peine de sanctions. Un porte-parole chinois a affirmé que son pays avait fait « plus qu’assez » pour réduire les capacités. LUXE Sophie Hallette reprend le dentellier Codentel Le tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer a désigné, lundi 18 avril, la maison Sophie Hallette (groupe Holesco) comme repreneur du dentellier calaisien Codentel, en re- dressement judiciaire. Soutenue financièrement par Chanel, cette offre préservera 36 des 46 emplois et apportera 500 000 euros pour rénover les machines. Elle a été préférée à celle du chinois Yongsheng, qui vient de reprendre un autre fleuron de la dentelle de Calais, Desseilles. PHAR MAC I E Sanofi investit 300 millions d’euros en Belgique Le groupe pharmaceutique français va investir 300 millions d’euros dans l’extension de son usine de Geel, en Belgique, a-t-il annoncé dans un communiqué, mardi 19 avril. L’investissement permettra d’agrandir de 8 000 mètres carrés les installations de cette usine spécialisée dans les produits biologiques et de soutenir son activité dans les anticorps monoclonaux. économie & entreprise | 5 0123 MERCREDI 20 AVRIL 2016 Air France fait son retour sur un marché iranien très disputé Consolidation en vue dans le « crowdfunding » La compagnie espère aussi reprendre l’entretien des appareils d’Iran Air A ir France a fait son grand retour en Iran après huit années d’absence. Un Airbus A330 de la compagnie aérienne s’est posé dimanche 17 avril à Téhéran, pour la première fois depuis 2008. Le potentiel économique du marché iranien, rouvert après des années d’embargo, attire toutes les compagnies aériennes occidentales. La franco-néerlandaise, elle, a décidé de revenir. progressivement dans la République islamique, à raison de trois liaisons par semaine – « le temps d’accrocher le marché », fait-elle savoir –, puis de cinq, son objectif étant de parvenir « à un vol quotidien ». « Au moins un an de discussions » avec les Iraniens a été nécessaire pour permettre ce retour, précise l’entreprise. A l’origine, Air France voulait effectuer la liaison vers Téhéran avec un Airbus A320. In fine, la compagnie a opté pour un long-courrier A330 ou un A340, deux avions de 218 et 275 sièges qui disposent d’une « plus grande cabine de business class », a indiqué Frédéric Gagey, PDG d’Air France. La clientèle des hommes d’affaires est la première visée par ces liaisons La clientèle des hommes d’affaires est en effet la première visée par la compagnie qui proposera au départ « une centaine de sièges business par semaine ». Air France espère rentabiliser cette nouvelle destination « d’ici deux à trois ans ». Le vol inaugural du 17 avril a été l’occasion d’une grande opération de séduction auprès des entreprises françaises qui font des affaires en Iran. Dans l’avion, M. Gagey avait invité des dirigeants d’Aéroports de Paris, d’Alstom, de la SNCF, de Thales, du bureau Veritas, de Vinci, de Voyageurs du monde ou encore d’Aqualand. Avec près de 80 millions d’habitants, dont 16 à Téhéran, l’Iran est un marché stratégique. Pour Air Délicate succession à Air France-KLM Le cabinet de chasseurs de tête, mandaté par le comité des nominations pour trouver un successeur à Alexandre de Juniac à la présidence d’Air France-KLM, n’en a pas terminé. Alain Vidalies, secrétaire d’Etat aux transports, penche pour Fabrice Brégier, l’actuel PDG d’Airbus. Mais ce capitaine d’industrie devrait consentir d’importantes concessions financières : M. de Juniac est l’un des patrons de compagnie aérienne les moins bien payés d’Europe. En 2015, il a touché près de 700 000 euros contre respectivement 2,5 et 9,5 millions d’euros à ses homologues de Lufthansa et de British Airways. Outre M. Brégier, Jean-Marc Janaillac (63 ans), PDG de Transdev, un proche de François Hollande, et Jean-François Cirelli, ancien dirigeant de GDF Suez, aujourd’hui chez le gestionnaire d’actifs BlackRock, seraient sur les rangs. France, toutefois, une certaine prudence est de mise, car elle n’est pas la première compagnie européenne à prendre le chemin de la capitale iranienne. Lufthansa « n’a jamais arrêté ses vols vers Téhéran », pointe M. Gagey. La compagnie allemande opère un vol quotidien vers Téhéran depuis Francfort et trois par semaine depuis Munich. Un mini-pont aérien porté par des enjeux économiques d’importance. Déjà, les flux financiers entre l’Allemagne et l’Iran atteignent 3,5 milliards de dollars (3 milliards d’euros) par an tandis que les échanges avec la France se montent seulement à 700 000 dollars annuels (soit 618 380 euros). Guerre sans merci Outre l’omniprésence de Lufthansa, Air France devra compter avec Alitalia et British Airways. La compagnie britannique a prévu de reprendre ses vols vers la capitale iranienne le 10 juillet. Toutefois, selon M. Gagey, la plus forte concurrence devrait venir des trois compagnies du Golfe (Emirates, Qatar Airways et Etihad) et de Turkish Airlines. Pour se faire une place sur ce marché très disputé, Air France se pense « mieux située géographiquement ». Notamment pour faire venir la clientèle américaine et la forte diaspora iranienne installée aux Etats-Unis, principalement en Californie. Air France veut tirer le meilleur parti de son partenariat sur l’Atlantique Nord avec la compagnie américaine Delta. « Notre vol vers Téhéran est bien calé par rapport à celui qui arrive de Los Angeles », se félicite le PDG d’Air France. Une autre guerre commerciale, menée dans l’ombre, est cruciale pour la compagnie franco-néerlandaise. En reprenant pied en Iran, en effet, Air France veut relancer un partenariat de trente-cinq ans dans la maintenance avec Iran Air. Lundi 18 avril, M. Gagey a signé un « Memorandum of understanding » (une lettre d’intention), la première étape pour reprendre l’entretien des appareils de la compagnie iranienne. Faute de pièces de rechange, la majorité de la flotte d’Iran Air est clouée au sol. Avec la fin de l’embargo, l’Iran a déjà commandé plus d’une centaine d’Airbus A320 ainsi que 16 A350. A terme, « Iran Air devrait compter une flotte de 250 à 300 appareils ». Une véritable manne qu’Air France ne veut pas voir captée par son grand concurrent Lufthansa. La compagnie allemande, leader mondial de la maintenance, et Air France, son challenger, se livrent une guerre sans merci pour gagner des parts de ce juteux marché. Rien que pour assurer la réparation et la logistique d’une dizaine de vieux avions d’Iran Air, Air France a signé des contrats de quatre à cinq ans d’un montant de 4 à 5 millions d’euros annuels. La compagnie franco-néerlandaise a marqué des points vis-à-vis de ses rivales : elle a obtenu une licence auprès de l’Office of Foreign Asset Control (OFAC), une division du département du Trésor américain, pour assurer l’entretien d’avions iraniens avec des pièces de rechange américaines encore frappées d’embargo. Et, assure Air France, d’autres accords de licence sont en préparation. p guy dutheil Lendix, leader des prêts aux entreprises sur Internet, rachète son concurrent Finsquare O livier Goy, le président de Lendix, l’admet. Il n’imaginait pas que la consolidation interviendrait si rapidement dans le secteur naissant du prêt aux entreprises sur Internet. Pourtant, c’est lui qui est à la manœuvre. Sa société, qui se revendique numéro un de ce marché en France, avec 19 millions d’euros de crédits alloués en 2015, a annoncé mardi 19 avril qu’il mettait la main sur son concurrent Finsquare (4 millions d’euros de prêts). « Cela ne faisait pas partie de nos plans, mais l’occasion s’est présentée. Avec sa communauté de 3 500 prêteurs actifs et son positionnement sur les crédits de courte durée, Finsquare complète idéalement notre offre », explique M. Goy. Pour le secteur, cette opération sonne comme le début du retour à la réalité. Depuis que le gouvernement a permis aux particuliers, le 1er octobre 2014, de prêter des fonds à des PME par le biais de sites Internet, une myriade de start-up se sont lancées. Fin 2015, pas moins de 60 plates-formes s’étaient fait immatriculer auprès de l’Organisme pour le registre des intermédiaires en assurance (Orias). Leur promesse ? Permettre aux entreprises de se financer plus rapidement qu’en passant par une banque, grâce aux internautes qui, en retour, perçoivent des intérêts élevés. « En France, les PME bénéficient de 80 milliards d’euros de nouveaux prêts chaque année. A terme, le marché du crédit en ligne peut en représenter 15 % », avance M. Goy. A terme, car, pour le moment, cette activité, bien qu’en vive croissance, reste modeste. En 2015, l’ensemble des sites fran- çais de crowdfunding ont produit 55 millions d’euros de crédits. Or, pour être rentable dans ce métier aux faibles marges, une plateforme doit en réaliser 100 millions par an. En attendant, les sites brûlent du cash, et beaucoup n’ont pas les reins solides. « Les start-up se sont jetées dans la bataille avec des fonds propres très faibles, en sousestimant les coûts technologiques ou marketing. La concentration est inévitable », explique Hubert de Vauplane, associé au cabinet Kramer Levin. « Quatre sociétés ont déjà fermé depuis janvier et l’écrémage va s’accélérer, abonde Grégoire Dupont, secrétaire général de l’Orias. Une vingtaine d’entreprises n’ont toujours pas de sites Internet ou le moindre projet à présenter aux internautes. » Le succès appelle le succès En fait, seule une poignée de sites parvient à générer des volumes, ce qui est logique car, dans ce type d’activité, qui s’apparente à une place de marché, le succès appelle le succès : les PME vont sur les sites les plus actifs, pour être certaines de se faire financer, et les prêteurs se rendent sur les plates-formes où il y a le plus de projets, afin de diversifier leurs investissements. « L’écart s’est creusé très rapidement entre les trois ou quatre leaders et le reste du peloton. Les premiers se développeront, tous les autres fermeront ou vivoteront », estime M. Goy, qui est en train de boucler une nouvelle levée de fonds, de plus de 10 millions d’euros. Objectif : financer son déploiement en Italie et en Espagne, où Lendix veut se lancer d’ici à fin 2016. p frédéric cazenave Maisons du monde souhaite entrer en Bourse avant l’été Sous la houlette de Gilles Petit, son PDG, le spécialiste de l’équipement de la maison veut accélérer son développement à l’international L’ enseigne d’ameublement et de décoration Maisons du monde espère entrer en Bourse en 2016. Lors de la publication de ses résultats, mardi 19 avril, marqués par une hausse de 15,7 % des ventes sur un an, à 699,4 millions d’euros, le groupe LES CHIFFRES 262 C’était le nombre de magasins Maisons du monde fin 2015, installés dans sept pays (France, Italie, Espagne, Belgique, Allemagne, Suisse et Luxembourg). Le groupe vise près de 400 magasins en 2020, avec un rythme d’ouverture de 25 à 30 magasins par an à partir de 2017. 699,4 MILLIONS Ce sont, en euros, les ventes réalisées par Maisons du monde en 2015. Pour l’année 2016, l’enseigne vise entre 800 et 815 millions d’euros de recettes. 17,2 % C’est le pourcentage des ventes que l’enseigne a enregistrées sur sa plateforme en ligne en 2015. Les ventes sur Internet ont progressé de 32,2 % entre 2014 et 2015, représentant 120,6 millions d’euros en 2015. L’objectif est d’atteindre 25 % du chiffre d’affaires en ligne d’ici à 2020. a annoncé l’enregistrement de son document de base auprès de l’Autorité des marchés financiers dans l’espoir de réaliser sa mise sur le marché avant l’été. Les banques chargées de l’opération ont été choisies : en plus de sa banque conseil Rothschild, la Société générale et les américaines Goldman Sachs et Citigroup conduiront l’opération. Le spécialiste de l’équipement de la maison est actuellement détenu à 94 % par le fonds d’investissement américain Bain Capital, qui l’avait racheté en 2013, pour 680 millions d’euros, à deux autres fonds, LBO France et Apax Partners. Et il arrive à la fin de son troisième LBO (leverage buy out, acquisition financée par endettement), en général le dernier avant une sortie en Bourse. A la pointe de la mode Depuis quelques semaines déjà, Gilles Petit, nommé PDG le 15 septembre 2015, rencontre investisseurs et financiers pour sonder le marché. Il leur explique que le rival direct de Pier Import dans les années 1990, avec ses collections de mobilier au style ethnique, est aujourd’hui devenu une enseigne d’ameublement et de décoration à la pointe de la mode, concurrent sans l’être vraiment des Ikea, Alinéa, et autres But et Conforama. « Il y a dix ans, le style ethnique représentait 25 % du chiffre d’affaires de Maisons du monde. Aujourd’hui, il en représente moins de 5 %, explique M. Petit. Nous avons actuellement huit sty- Argument de poids pour les investisseurs : la promesse d’une rentabilité supérieure au marché les, et deux collections de décoration par an. Presque tous les mois, il y a des thèmes qui viennent appuyer ces dernières et nos clients trouvent toujours quelque chose de nouveau. » A en croire son PDG, Maisons du monde se définirait davantage comme un « Inditex [maison mère de la chaîne de prêt-à-porter Zara] du meuble et de la décoration », qui possède un argument de poids pour les investisseurs : la promesse d’une rentabilité assez stable, et supérieure au marché, avec « une croissance moyenne annuelle de 21 % depuis 2001 », indique M. Petit. Pour séduire les investisseurs boursiers, ce patron n’en est pas à son galop d’essai. A la tête d’Elior de 2010 à 2015, il a mené à bien la mise en Bourse en 2014 du spécialiste mondial de la restauration collective, qui avait quitté les marchés huit ans auparavant. En comparaison, l’histoire de Maisons du monde paraît finalement assez simple. A partir d’une petite boutique brestoise connue sous le nom de 1 000 choses, Xavier Marie, son fondateur, encore actionnaire à hauteur de 4 %, a créé il y a vingt ans l’enseigne « La Maison », puis « Maisons du monde », spécialisée dans l’importation de meubles issus de l’artisanat des pays du monde entier (Inde, Asie, Maroc…), avec un premier magasin à Bordeaux en avril 1996. Vingt ans plus tard, le modèle se décline en centre-ville, en centre commercial, et dans les zones d’activités périurbaines qui concentrent les deux tiers des magasins, et il prend « plutôt des parts de marché aux indépendants », estime M. Petit. Son secret : des collections sans cesse renouvelées, 56 % de son chiffre d’affaires en articles de décoration et 44 % en meubles, pas de stock d’invendus – ils sont écoulés en étant réintégrés dans une collection différente – et un processus de fabrication mi-intégré mi-externalisé. « Une équipe de 90 personnes travaille sur les collections, dont 17 designers, basés au siège près de Nantes, et pour la fabrication, nous avons 500 fournisseurs en Asie, dont 300 avec lesquels nous faisons 80 % du chiffre d’affaires, précise M. Petit. Aujourd’hui, avec l’Asie, il y a quatre mois de délais pour être livrés, et cela suppose d’avoir une bonne maîtrise du suivi des ventes. » Vente sur Internet Nommé pour accélérer le développement, l’inventeur du concept et du nom Carrefour City lorsqu’il travaillait dans le groupe de grande distribution, jusqu’en 2010, annonce la couleur : il veut porter le chiffre d’affaires à 1,3 voire 1,4 milliard d’euros fin 2020 avec une croissance comprise entre 12 % et 14 % par an, dont une partie reposera sur l’existant et profitera de l’embellie naissante du marché du meuble. Le développement de la vente sur Internet sera sa seconde source de croissance. Ouverte depuis 2005, elle fournit actuellement un peu plus de 17 % du chiffre d’affaires. « Nous venons d’ouvrir la livraison gratuite en magasin, un créneau assez por- teur pour les petits produits, et nous visons 25 % du chiffre d’affaires sur Internet », explique M. Petit. Le parc de magasins sera développé dans les six pays européens autres que la France où l’enseigne est déjà implantée. L’objectif est de passer de 262 commerces fin 2015, à près de 400 magasins en 2020, et de porter la part du chiffre d’affaires à l’international de 34 % en 2015 à 50 % en 2020. p cécile prudhomme #& '.)$,(!+"& '& -%.)* %* 3*2%6 )* ($2%/$%6 7 ,!#" )($& 462&$2+ 06/$+. 51*/2)36-+$ )* '12%$ avec 6 | économie & entreprise 0123 MERCREDI 20 AVRIL 2016 Android est dans le collimateur de Bruxelles La commissaire à la concurrence, Margrethe Vestager, à Bruxelles, le 15 avril 2015. VIRGINIA MAYO/AP La Commission s’apprêterait à envoyer son acte d’accusation. Google risque une amende élevée suite de la première page Cette étape de la procédure, si elle se vérifie, n’a rien d’anodin. Elle signifie que la Commission est arrivée au bout de son enquête et qu’elle se tient prête à prendre des sanctions. A moins que dans sa réponse, la société incriminée ne LES DATES 2009 La Commission européenne lance les premières investigations sur Google pour abus de position dominante. 2011-2014 Le commissaire à la concurrence, Joaquin Almunia, négocie des mesures correctives par la conciliation. 15 AVRIL 2015 Margrethe Vestager envoie une communication de griefs sur les services de comparaison de prix de Google et ouvre son enquête sur Android. trouve des arguments suffisamment convaincants pour l’en dissuader. Ou qu’elle propose de transiger, ce qui est toujours possible. Google risque une amende très conséquente, pouvant aller jusqu’à 10 % de son chiffre d’affaires pour la partie visée (mobile, applications, système d’exploitation), soit plus de 7 milliards d’euros selon les calculs du Financial Times. Bruxelles a travaillé particulièrement vite : l’enquête formelle n’a été lancée qu’il y a un an, le 15 avril 2015, le jour où Mme Vestager annonçait l’envoi d’un premier acte d’accusation contre Google Shopping, le moteur de shopping de Google. « La Commission a travaillé mal et lentement sur le moteur de recherche Google, elle se rattrape avec Android. Il n’est pas exclu qu’elle sorte sa décision finale concernant le système d’exploitation avant celle sur le shopping », assure Jacques Lafitte, de la société de conseil Avisa, spécialiste à Bruxelles dans les affaires de concurrence. De fait, selon nos informations, la Commission aurait la partie plus difficile avec Shopping qu’avec Android. Dans le cas du moteur de shopping, Google a envoyé, à la fin de l’été 2015, une réponse particulièrement argumen- tée. La Commission, avant de pouvoir passer au stade ultime de la sanction, doit réussir à démontrer que le groupe américain manipule son algorithme de recherche pour handicaper d’autres services de shopping en ligne. Pas simple : ces algorithmes sont secrets, et réputés particulièrement complexes. Une « cible » délicate A en croire une source bruxelloise, l’acte d’accusation contre Android serait prêt depuis la fin janvier, mais la Commission aurait multiplié les avis pour être sûre de son argumentaire. De fait, Google est une « cible » délicate. Car le groupe Internet, qui est dans le collimateur de la Commission depuis 2009, ne prend pas les préoccupations de Bruxelles à la légère. Ses dirigeants ont tiré les leçons du « cas » Microsoft : l’autre géant américain de l’informatique est resté aux prises avec Bruxelles pendant plus de dix ans. Cela lui a coûté énormément d’argent, de temps, et son image en a été durablement flétrie. Le « Brexit » coûterait 5 400 euros à chaque famille britannique Une étude du gouvernement provoque la polémique outre-Manche londres - correspondance L e gouvernement britannique a – littéralement – jeté, lundi 18 avril, un pavé dans la mare du « Brexit » : 202 pages d’analyse économique et de graphiques denses pour mesurer l’impact d’une sortie du RoyaumeUni de l’Union européenne (UE). Conclusion principale : chaque foyer britannique serait plus pauvre de 4 300 livres (5 400 euros) en moyenne à l’horizon 2030. L’étude, réalisée par les fonctionnaires du ministère de l’économie, se veut « sérieuse et sobre », a commenté George Osborne, le chancelier de l’Echiquier. Elle a pourtant immédiatement provoqué la controverse. « La fonction publique est utilisée pour faire de la propagande », accuse Bernard Jenkin, l’un des leaders du oui au « Brexit ». Avant d’ajouter : « le Trésor ne sait pas faire des prévisions six mois à l’avance. Alors, 2030… » Recul du PIB Le travail du gouvernement reprend une méthodologie déjà utilisée par plusieurs grandes banques et think tanks. Le postulat de base est que l’Union européenne bénéficie économiquement au Royaume-Uni à deux niveaux : elle facilite le libre-échange avec ses vingt-sept partenaires européens, et elle attire les investisseurs étrangers, qu’ils soient de l’UE ou du reste du monde. « La fonction publique est utilisée pour faire de la propagande » BERNARD JENKIN parlementaire pro- « Brexit » En cas de « Brexit », la question qui se pose est de savoir quel accès l’économie britannique conserverait au marché unique. Trois modèles sont possibles. Celui de la Norvège, qui fait partie de l’Espace économique européen : le pays paie une contribution annuelle – un peu plus faible que pour un membre à part entière –, accepte les règles du marché unique et la libre circulation des personnes, mais ne peut pas voter à Bruxelles. Le deuxième modèle est celui de la Suisse ou du Canada, qui ont signé des accords bilatéraux avec l’UE, leur accordant un accès partiel au marché unique. La Suisse a ainsi passé 120 accords bilatéraux sur différents secteurs de son économie. Le dernier modèle est celui de simple membre de l’Organisation mondiale du commerce, au même titre que la Russie ou le Brésil. A partir de là, le Trésor a mis en évidence différents scénarios, plus ou moins optimistes. Dans le pire des cas, il en ressort que le PIB britannique serait en baisse de 9,5 points d’ici à 2030 (par rapport à ce qu’il aurait été en restant dans l’UE). Dans le meilleur des cas, la chute n’est que de 3,4 points. Le scénario jugé le plus probable est un recul de 6,2 points, fondé sur le modèle d’un accord bilatéral. C’est ce calcul qui donne le chiffre de 4 300 livres par foyer. Cette croissance affaiblie se traduirait par des recettes fiscales plus faibles. Un « trou noir » de 36 milliards de livres (45 milliards d’euros) est identifié dans le scénario central, soit le tiers du budget de la santé. « Les conclusions sont claires : aucun des cas de figure ne soutient le commerce et ne fournit autant d’influence que le maintien dans l’Union européenne », estime M. Osborne. Les partisans du « Brexit » sont furieux de cette analyse. Selon eux, le rapport ne prend pas en compte les avantages d’un Royaume-Uni « libéré » de l’UE. Des accords de libre-échange pourraient être signés avec des pays comme la Chine, par exemple. Andrea Leadsom, ministre de l’énergie et militante pro - « Brexit », estime que l’économie britannique pourrait tirer parti d’une forte dérégulation et se soustraire aux lourdeurs administratives imposées par Bruxelles. Mais surtout, elle se moque des prévisions à quinze ans : « Même comme diseuse de bonne aventure payée à temps-plein, je ne pourrais pas être aussi précise. » p éric albert En Europe comme aux EtatsUnis, Google s’est donc entouré des meilleurs avocats (le cabinet Cleary Gottlieb, en Belgique) et son bureau de Bruxelles, situé à quelques centaines de mètres de la Commission et du Parlement européen, est quasiment affecté aux enquêtes à son encontre. Entre 2009 et 2014, le groupe américain a espéré s’en sortir en transigeant avec la Commission. Le commissaire à la concurrence de l’époque, Joaquin Almunia, prédécesseur de Margrethe Vestager, était convaincu que le dialogue devait primer. Mais les trois tentatives de conciliation du groupe ont échoué, en raison notamment de la mobilisation des plaignants, en 2014. Et quand elle est arrivée en poste, en novembre 2014, Mme Vestager a décidé de passer à la manière forte. Depuis, Google a aménagé sa stratégie en conséquence : « Il a adopté une démarche très dure, il rejette toutes les accusations de la Commission », relève une source bruxelloise au fait du dossier. « La Commission a mal travaillé sur Google, elle se rattrape avec son système d’exploitation » JACQUES LAFITTE fondateur d’Avisa Si l’acte d’accusation contre Android se confirme, la réaction américaine pourrait être virulente. Cela fait des mois que Washington fait passer des messages sans nuances à la Commission, accusant l’Europe de s’en prendre à des groupes américains pour protéger son marché intérieur. Accusations rejetées, régulièrement et avec fermeté, par Mme Vestager, qui précise n’agir qu’au nom du respect des règles de concurrence de l’Union. Les Etats-Unis sont aussi très inquiets de l’enquête pour aides d’Etat illé- gales de l’Irlande à l’encontre d’Apple : une décision de la Commission, avec à la clé une amende conséquente pour la firme de Cupertino, est redoutée depuis des mois. Un acte d’accusation contre Android renforcerait l’image d’intransigeance et de courage politique de Mme Vestager. La Danoise – qui fut ministre de l’économie et de l’intérieur à Copenhague, et à qui certains prédisent un destin de premier ministre – suscite l’admiration à Bruxelles. C’est une des « pointures » de la Commission Juncker, où elle est aux avant-postes de la croisade contre la fraude et l’évasion fiscale. En plus du cas Apple, elle a déjà fait condamner la Belgique pour aides d’Etat illicites envers des dizaines de multinationales. Fiat et Starbucks ont aussi été condamnés à rembourser respectivement le Luxembourg et les Pays-Bas. Sans compter Amazon et McDonald’s, qui sont aussi dans son viseur, pour leurs arrangements avec le fisc luxembourgeois… p cécile ducourtieux Jean-Michel Aulas, le patron de l’OL, se sépare de Cegid A près trente-trois ans sous les couleurs tricolores, Cegid battra bientôt pavillon étranger. La pépite lyonnaise, qui figure parmi les leaders français de l’édition de logiciels de gestion et de services cloud, pour les entreprises et les organisations du secteur public, opérera d’ici à quelques mois sous la houlette d’un consortium de fonds d’investissement américano-britannique. Le groupe a annoncé, lundi 18 avril, la cession des participations de ses principaux actionnaires, l’assureur Groupama, et JeanMichel Aulas, via sa holding ICMI, qui détiennent respectivement 26,9 % et 10,7 % des parts de la société. « Je suis enchanté de pouvoir offrir à l’ensemble de nos actionnaires ce que je considère être (…) un prix extrêmement attractif », a commenté M. Aulas. Un fleuron français de l’informatique Le consortium à l’origine de ce rachat, qui regroupe les fonds d’investissement américain Silver Lake et britannique AltaOne Capital, lancera prochainement une offre publique d’achat amicale pour concrétiser l’opération. Cette dernière sera libellée au prix de 62,25 euros par action et de 44,25 euros par bon d’acquisition d’action remboursable, valorisant la société à 580 millions d’euros. Si les titres apportés lors de l’offre publique atteignent plus de 95 % du capital de la société, un complément de 1,25 euro par action sera ajouté. Soit une prime de 20 % par rapport au cours du 15 avril et de 44 % sur la moyenne des douze derniers mois. Une belle opération pour l’homme d’affaires rhônalpin et l’assureur Groupama, qui devraient profiter de plus-values substantielles. « Cette annonce n’est pas une surprise, nous nous y attendions plus ou moins du fait de la stratégie d’accélération à l’international affichée par le groupe », commente Gilbert Ferrand, analyste chez Midcap Partners. Déjà implantée aux Etats-Unis et en Afrique, Cegid entend accélérer fortement ces prochaines années sur ces continents et devenir ainsi une référence à l’international. Le patron du club de football l’Olympique lyonnais (OL), aujourd’hui âgé de 67 ans, avait fondé l’entreprise d’édition de logiciels en 1983 en plein cœur de la capitale des Gaules, misant sur l’essor de l’informatique dans les entreprises. Avec succès : la société fut introduite en Bourse à peine trois ans après sa création. Trois décennies plus tard, le groupe est devenu l’un des fleurons français de l’informatique, affichant sa bonne PREUVE santé, ces dernières anDE LA VITALITÉ DU nées, dans un secteur pourtant devenu très conGROUPE, M. AULAS currentiel. Son chiffre d’affaires a atteint 282,1 milRESTERA PRÉSIlions d’euros en 2015, en DENT DU CONSEIL croissance de 5,8 %, pour un résultat net de 23,2 milD’ADMINISTRATION lions d’euros. Originellement tournée vers la fourniture de solutions informatiques aux experts-comptables, la société lyonnaise compte aujourd’hui plus de 120 000 clients et 400 000 utilisateurs, dont plus de 120 000 sont équipés en mode Saas (mise à disposition de logiciels par Internet). C’est sur ce dernier segment, en très forte croissance, que Cegid concentre ses efforts. Preuve de la vitalité du groupe, Jean-Michel Aulas a précisé qu’il conservera sa fonction de président du conseil d’administration, tout comme son bras droit, Patrick Bertrand, qui sera maintenu à la direction générale. Le patron de l’OL a également indiqué qu’il réinvestira dans la société une partie « plus que significative » des sommes tirées de la cession de ses parts. « C’est un signal fort. Cela montre qu’il croit toujours fortement à l’avenir et au potentiel de croissance de Cegid », note M. Ferrand. La vente de la société devrait être finalisée au cours du second semestre. p zeliha chaffin idées | 7 0123 MERCREDI 20 AVRIL 2016 LETTRE DE LA CITY | par ér ic al b ert L’échec d’une décennie de régulation des très hauts salaires V oici venu le mois d’avril, ses cerisiers en fleurs, son soleil printanier… et ses assemblées générales. Et une fois de plus, les actionnaires des grandes multinationales ne sont pas contents. Ils ne supportent plus les salaires démesurés des patrons des multinationales. Cette année, la saison a démarré très fort. Jeudi 14 avril, les actionnaires de BP ont rejeté à 59 % la rémunération du patron de la compagnie pétrolière, Bob Dudley : 17 millions d’euros, soit 20 % d’augmentation, alors que la société affichait les plus grosses pertes de son histoire. Quelques heures plus tard, les actionnaires du groupe d’appareils médicaux Smith & Nephew ont eux aussi rejeté, à 53 %, la rémunération du patron de l’entreprise, le Français Olivier Bohuon. Celui-ci ne touche pourtant « que » 4,8 millions d’euros, en baisse de 20 % par rapport à 2014. Mais cela reste beaucoup trop pour les actionnaires. Le problème est que tout cela ne sert pas à grand-chose. Les votes des actionnaires ne sont que consultatifs. Les patrons empochent quand même les sommes rondelettes que leur « proposent » les comités de rémunération. Surtout, cette révolte n’est pas une première, loin de là. En 2012, les actionnaires avaient exprimé leur colère une première fois. Eux qui d’habitude avalisent les décisions des entreprises avec des scores staliniens – en général au-dessus de 90 % d’approbation – en ont soudain eu marre. Alors que les Bourses dévissaient et qu’ils voyaient leur portefeuille fondre comme neige au soleil, les grands patrons continuaient à se gaver. Le « printemps des actionnaires », comme l’avait surnommé la presse anglo-saxonne, avait remué quelques-uns des établissements les plus prestigieux : le groupe de publicité WPP, les assureurs Aviva et Prudential, le minier Xstrata, le groupe de presse Trinity Mirror… On avait alors entendu les cris du cœur des grandes entreprises, sur le thème « Je vous ai compris ». Promis, juré, on ne les y reprendrait plus. Le gouvernement britannique était lui aussi monté au créneau. Il fallait que ça change. Et pourtant, ça continue… En 1998, les directeurs généraux des entreprises du FTSE 100 gagnaient 47 fois le salaire moyen de leurs propres salariés ; en 2014, c’était 148 fois. Pour 2015, toutes les entreprises n’ont pas encore publié leur rapport annuel, mais la hausse des rémunérations des grands patrons est pour l’instant en hausse de 6 %. L’envolée des très hauts salaires est l’échec d’une décennie de régulation. Conscientes du problème, les autorités britanniques ont instauré en 2003 une nouvelle règle, en introdui- L’ÉCLAIRAGE Mince alors, les jeunes débattent aussi en France ! B ien que très embryonnaire, Nuit debout prend de court les états-majors syndicaux, politiques et patronaux. L’empressement du gouvernement Valls ou de l’Elysée à dresser des rideaux de fumée – légaliser le cannabis, satisfaire l’UNEF, mettre en marche Emmanuel Macron… – tient même de la panique. Il est vrai que les expériences étrangères ont de quoi faire froid dans le dos. Si le mouvement s’étend, on risque un scénario à l’espagnole. S’il s’incruste, comme avec les Occupy Wall Street, une partie importante de la jeunesse peut se retrouver à terme derrière un Sanders. Pourtant, il y a encore quelques semaines, ce n’était pas du côté de la jeunesse française que l’on pouvait craindre une remise en cause de l’ordre social et capitaliste. Son malaise se traduit en effet majoritairement par le repli. Le vote massif des moins de 25 ans pour le Front national dépasse, selon les enquêtes d’opinion, celui pour toutes les gauches réunies. Et lorsque des jeunes manifestaient, c’était contre le mariage de personnes de même sexe. L’explication avancée de ce repli identitaire est la situation « entredeux » de la jeunesse. Ni confrontée aux inégalités stratosphériques américaines ni confrontée au chômage extrême ibérique, elle ne pourrait comprendre qu’elle doit réfléchir collectivement aux mécaniques qui l’écrasent. Et cet écrasement l’empêcherait de penser le progrès et la condamnerait au conservatisme. Cette explication économico-sociale est cependant très fragile. Traversons la Manche. En 2015, selon Eurostat, le Royaume-Uni comptait près de 8,1 millions de 15-24 ans, le plus gros contingent européen, juste ¶ Philippe Askenazy est chercheur au CNRS-EEP-ENS. derrière l’Allemagne, et devant la France et ses 7,8 millions. Le niveau d’éducation est globalement similaire des deux côtés du tunnel, la part des « issus de l’immigration » ou de la minorité musulmane l’est également. Selon les dernières statistiques provisoires d’Eurostat, si le reflux du chômage des jeunes est plus marqué outre-Manche, fin 2015, le RoyaumeUni ployait toujours sous 600 000 chômeurs de moins de 25 ans, contre un peu moins de 680 000 en France. La crise a durement touché cette population avec une précarité accrue : plus d’instabilité en France, des salaires d’embauche en chute outre-Manche. Dans les deux pays, étudiants et jeunes actifs font face à des difficultés aiguës d’accès au logement. La mobilité sociale est en panne. Bref, les Britanniques sont aussi dans un entre-deux. Pourtant, si le Royaume-Uni demeure dans l’Union européenne en juin, ce sera grâce aux jeunes, qui voteraient à 70 % contre le « Brexit », selon des sondages convergents. De même, dans la lignée de la victoire de Corbyn pour le leadership du Labour, la jeunesse risque de lancer un message fort le mois prochain : son vote pourrait bien porter à la tête du Grand Londres (plus de 8,5 millions d’habitants) Sadiq Khan, un avocat des droits de l’homme de 45 ans, anti-blairiste, fils d’immigrés pakistanais, musulman et pro-mariage gay ! IL NE MANQUE QU’UNE ÉTINCELLE Si l’explication économique est insuffisante, pourquoi les jeunes Français seraient-ils si différents ? A moins qu’ils ne soient tout simplement comme les autres : il ne manque qu’une étincelle pour qu’ils basculent. D’où l’angoisse qui étreint certains milieux patronaux. La consternation est grande, au point de se demander si l’abandon de la « loi travail » n’est pas nécessaire. Leur pire scénario serait que les « intellectuels déclassés » – pour reprendre le terme condescendant qu’ils aiment utiliser –, militants et jeunes organisent une convergence des débats et des luttes. Même le contrôle des médias classiques, papier ou audiovisuels, ne suffirait pas à les freiner, puisqu’ils utilisent des outils alternatifs. Cauchemar pour les uns, rêve pour les autres ? Pour le moins, probablement, des traces durables, comme à chaque occupation d’une place ou d’un parc depuis 2011 – Tahrir, Taksim, Zuccotti ou Puerta del Sol. p sant un vote consultatif sur la rémunération des dirigeants. L’idée était simple : les patrons n’oseraient jamais aller à l’encontre de leurs actionnaires. La suite a prouvé que c’était faux. En 2013, Londres a durci les règles. Désormais, une fois tous les trois ans, un vote dont l’effet est décisionnaire doit être organisé. Mais ce vote concerne… la politique de rémunération, pas le salaire perçu effectivement par le patron. 9 000 EUROS DE L’HEURE Résultat, les consultants en rémunération ont pondu de magnifiques rapports qui semblent remplis de bon sens. Désormais, les bonus sont payés essentiellement en actions plutôt qu’en cash, afin d’aligner l’intérêt du patron et celui de l’entreprise. Une bonne partie est différée de plusieurs années, pour éviter le court-termisme. Mieux encore : dans certains cas, cet argent peut théoriquement être repris par l’entreprise si l’établissement rencontre ensuite des difficultés liés à de mauvaises décisions prises en amont. Tout ceci est très savant et intéressant. Mais ça ne change rien au problème initial : le montant total de la rémunération reste exorbitant. L’exemple de BP est en cela révélateur. Le calcul du bonus est basé sur d’intelligents critères « sous-jacents » des performances de l’en- treprise, et son versement est pour l’essentiel différé de trois ans. A l’arrivée pourtant, la compagnie pétrolière perd de l’argent tandis que le salaire de son patron est augmenté. Le cas de Martin Sorrell, directeur général de WPP, est également instructif. Pour 2015, il va toucher… 80 millions d’euros ! Soit 9 000 euros de l’heure. Il assume pleinement. La politique de rémunération a été « votée et approuvée, fait-il valoir. La seule raison pour laquelle cette politique a ce résultat est que l’entreprise va bien ». Ce qui est vrai : l’action a augmenté de 168 % en cinq ans, et de 8 % sur un an, malgré des marchés turbulents. Mais 80 millions d’euros, vraiment ? Même le patronat britannique est mal à l’aise. L’Institute of Directors mène campagne depuis des années pour éviter ces excès. Pour lui, ces quelques salaires démesurés entachent la réputation de l’ensemble des entreprises. Le salaire versé par BP « envoie le mauvais message », estime Simon Walker, son directeur général. Le problème est identifié depuis longtemps. Le débat a dépassé les simples ONG, et même les actionnaires et le patronat protestent. Pourtant, rien ne change : les très hauts salaires continuent leur envolée exponentielle. p Twitter : @IciLondres EN 1998, LES DIRECTEURS GÉNÉRAUX DES ENTREPRISES DU FTSE 100 GAGNAIENT 47 FOIS LE SALAIRE MOYEN DE LEURS SALARIÉS. EN 2014, C’ÉTAIT 148 FOIS Quel programme économique pour la présidentielle de 2017 ? Avec Le Cercle des économistes et « Le Monde », treize think tanks de toutes tendances ont lancé des débats publics. Leur objectif : dégager des clés d’analyse des enjeux économiques et sociaux collectif L a France est à un moment singulier. Le triste record du nombre de chômeurs, les incertitudes économiques mais aussi géopolitiques, énergétiques et financières mondiales freinent la reprise économique. Les radicalisations de tous bords, les bouleversements migratoires, le réchauffement climatique, les opportunités ainsi que les impacts du progrès technique et du numérique rebattent les cartes et les cadres dans lesquels nous avions l’habitude d’analyser le monde. Les réponses inadéquates, le manque de débat véritable et la saturation d’affrontements binaires – et, bien trop souvent, sommaires – ont pour conséquence une perte totale de confiance de nos concitoyens dans les institutions et les politiques. Nous risquons aujourd’hui un point de non-retour. Voilà pourquoi quatorze représentantes et représentants d’institutions de réflexion, d’organisations citoyennes et de think tanks ont lancé en 2015 l’opération – totalement inédite – de se rencontrer régulièrement et de débattre, acceptant et assumant leurs désaccords, autour de questions qu’ils jugent primordiales dans la perspective de l’élection présidentielle de 2017 bien sûr, mais aussi audelà. C’est ainsi qu’Attac, Le Cercle des économistes, Coe-Rexecode, La Fabrique de l’industrie, la Fondapol, l’Institut Montaigne, GenerationLibre, Les Economistes atterrés, l’Institut de MÊME SI LA SITUATION EST DIFFICILE, NOUS REFUSONS L’AFFAIBLISSEMENT DE NOTRE ÉCONOMIE ET L’EFFRITEMENT DE LA COHÉSION DE NOTRE SOCIÉTÉ l’entreprise, la Fondation Concorde, l’OFCE, la Fondation Jean-Jaurès, la Fabrique Spinoza et Terra Nova ont engagé un cycle de débats publics afin de faire progresser la réflexion sur l’économie française et les voies à emprunter pour en améliorer le fonctionnement, l’efficacité et la place dans le monde. Nos premiers échanges ont permis une confrontation des points de vue autour de trois sujets : les incertitudes de la trajectoire de l’économie mondiale, le rôle des banques centrales, notamment en Europe, et l’ouverture du marché du travail à la jeunesse. QUATRE THÉMATIQUES DÉCISIVES Car, même si la situation est difficile, nous refusons le renoncement, l’affaiblissement de notre économie et l’effritement de la cohésion de notre société. Nous refusons que notre pays compte durablement plus de 6 millions de chômeurs, que notre système éducatif produise autant d’échecs et d’inégalités, que l’Europe ne survive que grâce aux crises. Par nos travaux, par nos réflexions, par nos échanges en France et ailleurs, nous savons que d’autres solutions existent. Il est de notre responsabilité de les partager, de les discuter le plus largement possible afin que la campagne qui s’ouvrira bientôt soit porteuse d’espoir et d’un nouveau souffle. Notre objectif est ainsi de pouvoir donner au plus grand nombre, sans logique partisane, les clés et les outils d’analyse permettant la compréhension des enjeux économiques et sociétaux afin de pouvoir agir et voter en conscience. Nous avons ainsi décidé de poursuivre notre cycle de débats lors des prochains mois autour de quatre thématiques qui seront déterminantes pour l’avenir de tous. Premièrement, la refondation de l’Europe. Il existe en Europe des divergences, nous devons les reconnaître et proposer des pistes pour sortir de l’impasse dans laquelle nous sommes. Comment les économistes peuvent-ils répondre aux défis que pose l’Union européenne et aux crises qu’elle traverse actuellement ? Deuxièmement, le logement. La préoccupation qu’il représente pour notre jeunesse, ses liens étroits avec le marché du travail, son impact sur la croissance comme sur l’organisation des territoires, notamment des périphéries délaissées que sont les banlieues et le monde rural, sont autant d’entrées pour cette question primordiale. Troisièmement, les politiques publiques. L’efficacité et la pertinence des politiques économiques, notamment pour favoriser l’emploi, sont aujourd’hui clairement en débat. Quelles innovations institutionnelles et politiques sont ici nécessaires pour que l’action publique retrouve efficacité et légitimité ? Quatrièmement, le système de production de soins. Cette institution majeure de la société française est aujourd’hui sous forte tension. Quels sont les voies et les débats, y compris en termes de modes de financement, permettant de conforter un ensemble de garanties et de protections auquel le peuple français est fortement attaché et de développer l’écosystème indispensable à l’innovation en matière de santé ? Dans un contexte de crise politique particulièrement aiguë, qui voit les Français se défier des principales forces politiques et sociales, nous nous donnons pour mission commune que nos échanges apportent des réponses concrètes et alternatives aux défis que la France doit relever, qu’ils soient, pour les citoyens comme pour ceux qui aspirent à les représenter, un foyer d’idées et d’inspirations dans lesquelles ils pourront puiser pour conduire leur action. p ¶ Laurent Bigorgne (Institut Montaigne), Benjamin Coriat (Les Economistes atterrés), Denis Ferrand (Coe-Rexecode), Gilles Finchelstein (Fondation JeanJaurès), Alexandre Jost (Fabrique Spinoza), Gaspard Koenig (GenerationLibre), Jean-Hervé Lorenzi (Le Cercle des économistes), Frédéric Monlouis-Félicité (Institut de l’entreprise), Thierry Pech (Terra Nova), Dominique Plihon (Attac), Xavier Ragot (Observatoire français des conjonctures économiques, OFCE), Dominique Reynié (Fondation pour l’innovation politique, Fondapol), Michel Rousseau (Fondation Concorde), Thierry Weil (La Fabrique de l’industrie). 8 | MÉDIAS&PIXELS 0123 MERCREDI 20 AVRIL 2016 Tensions autour des émissions en clair de Canal+ La direction de Vivendi serait tentée de réduire leur nombre pour miser davantage sur les programmes cryptés L e « clair » de Canal+ est-il menacé et avec lui, son fleuron actuel, « Le Petit Journal » ? La question se pose en interne, à l’approche de la fin de la saison pour les émissions gratuites. « Les décisions ne sont pas encore prises », assure la direction de la chaîne cryptée, qui ne souhaite pas commenter davantage, à la veille de l’assemblée générale de Vivendi, jeudi 21 avril. Selon une source proche du dossier, l’actionnaire tient pourtant auprès de ses équipes un discours demandant une réduction des coûts et de la durée totale des émissions en clair. « Ce sont des sujets sur lesquels réfléchissent tous les producteurs d’émissions gratuites en ce moment », explique un bon connaisseur de la chaîne. Cette réflexion est menée avec en tête le souvenir de la reprise en main de la chaîne et du « Grand Journal » par le nouveau patron, Vincent Bolloré, à l’été 2015, ainsi que le passage des « Guignols » en crypté. Les spéculations autour du « Petit Journal » de Yann Barthès et de son producteur Laurent Bon sont d’autant plus fortes que des contacts ont cette année été établis avec d’autres chaînes. Bangumi, la boîte de production née pour fa- briquer ce JT décalé, vient de s’accorder avec France Télévisions pour créer une émission culturelle et artistique hebdomadaire, baptisée « Stupéfiant ». Celle-ci prendrait le créneau horaire, le vendredi, de « Ce Soir ou Jamais » de Frédéric Taddéï – appelée à disparaître en fin de saison – ou serait diffusée le mercredi. Changement de philosophie Faut-il pour autant imaginer que « Le Petit Journal » va migrer sur TF1 ou France 2 ? La chose n’est pas évidente : d’abord, Canal+ peut conserver la marque, car la chaîne coproduit l’émission avec Bangumi. Tenter une greffe ailleurs est aussi toujours un risque. Vivendi n’a pas jusqu’ici donné de signe qu’il voulait se séparer de la bande des Catherine et Liliane et autres Eric et Quentin, ni exercé de pressions sur les contenus cette saison, assure une source. Mais l’absence de certitudes sur l’avenir, ainsi que la perspective de devoir comprimer les budgets, ne sont pas rassurants pour la centaine de membres de l’équipe. « Dans le secteur, il y a un traumatisme : le cas de KM, la société de Renaud Le Van Kim, qui produisait depuis des années le Grand Journal et qui a été décimée du Reprise des tournages étrangers en Ile-de-France jour au lendemain », raconte un membre du « Petit Journal ». Le talk-show de fin de journée a été confié à Maïtena Biraben et à la société de production interne à Canal+, Flab. Un schéma intégré qu’affectionne M. Bolloré. « Le Petit Journal », lui, est fier d’avoir conquis son indépendance économique en s’autonomisant du « Grand Journal » et en gérant sa production. « Il y a une inquiétude en interne à Canal+, nous n’avons pas assez d’information », regrette un représentant du personnel, tout en acceptant une réforme du clair. « Nous ne savons pas trop ce qui va se passer », ajoute un employé des émissions gratuites du week-end, « Le Tube » et « Le Supplément ». Il faut bien sûr voir dans ces spéculations le jeu habituel des renégociations de fin de saison, qui implique souvent des fuites dans la presse pour obtenir des baisses de prix ou une reconduction. Mais il y a aussi un vrai change- ment de philosophie, insufflé par M. Bolloré : priorité à l’abonné, martèle-t-il. « Je me fous des recettes et des audiences. Ce que je veux, c’est que pour 40 euros l’abonné en ait pour son argent », avait-il résumé à des proches, selon Les Inrocks. Une rupture avec l’histoire de Canal+, seule chaîne payante du monde à proposer plusieurs heures de gratuit par jour. A l’origine, c’était une condition posée par l’Etat, soucieux de ne pas privatiser un canal pour une chaîne 100 % cryptée. Mais le clair s’est mué en avantage : il véhicule une « image aspirationnelle » pour que les abonnés se sentent valorisés de regarder Canal+, grâce à des programmes sophistiqués. De plus, c’est une publicité massive gratuite, qu’il faudrait sinon financer, argumente un vétéran de la chaîne. Surtout, pointe-t-il, c’est un créneau rentable, grâce à la publicité : en 2014, le clair a rapporté 150 millions d’euros envi- Les spéculations autour du « Petit Journal » sont d’autant plus fortes que des contacts ont été établis avec d’autres chaînes ron, pour un coût de 110 millions environ, soit environ 40 millions d’euros d’excédent. Mais le marché publicitaire est aujourd’hui dégradé et les recettes de la chaîne souffrent de la baisse d’audience des émissions en clair. « Le Grand Journal » oscille entre 500 000 et 600 000 téléspectateurs, contre 1,3 million un an plus tôt. Cela n’est pas forcément un problème si le coût des émissions en clair, jugé élevé par la direction, baisse… Toutefois, la facture de l’émission de Maïtena Biraben n’aurait reculé que de 25 à 23 millions d’euros par an, selon Le Parisien, cité par BFMBusiness. « Tout est une question de curseurs », reconnaît une source interne. Selon cette dernière, une suppression totale du clair n’est pas à l’ordre du jour : une émission gratuite comme « Canal Football Club » crée, par exemple, une envie de s’abonner, en proposant des débats autour des matches de football cryptés, pointet-on. Pour trancher, il s’agit de sonder les motivations parfois complexes des abonnés, dont le nombre recule en France. Reste un dernier élément de l’équation : D17 et D8, dont la locomotive incontestée est « Touche pas à mon poste » de Cyril Hanouna, prolongé pour cinq ans. Certains veulent en interne que ces chaînes « en clair » jouent à l’avenir un rôle plus important dans le groupe. p alexandre piquard HORS-SÉRIE UNE VIE, UNE ŒUVRE L’amélioration du crédit d’impôt cinéma en janvier a eu des effets bénéfiques immédiats B ollywood tourne à Paris, et c’est une excellente nouvelle. Befikre, du producteur, réalisateur et scénariste indien Aditya Chopra, qui raconte une romance amoureuse dans Paris – « city of love » comme il désigne la capitale – vient de débuter son tournage pour une durée de cinquante-deux jours. C’est une des conséquences directes de l’amélioration, en janvier, du crédit d’impôt international. Ce dispositif, qui concerne les films d’initiative étrangère dont tout ou partie de la fabrication a lieu en France, est accordé par le Centre national du cinéma (CNC). Il permet de déduire 30 % des dépenses de tels films en France et peut atteindre 30 millions d’euros. En 2014, The Moon and the Sun, une superproduction de Sean McNamara à destination des publics américain et chinois avec Pierce Brosnan dans le rôle de Louis XIV et la star chinoise Fan Bingbing, avait bien été tournée à Versailles, mais toutes les scènes réalisées en studio l’avaient été à Melbourne en raison du crédit d’impôt australien, plus compétitif. La donne a complètement changé. « Tous les studios parisiens sont occupés jusqu’au mois d’août », note Olivier-René Veillon, directeur général de la commission du film d’Ile-deFrance qui a rendu public, mardi 19 avril, le rapport réalisé avec le groupe de protection sociale Audiens sur les chiffres de l’emploi dans la production cinématographique et audiovisuelle en Ilede-France. Celle-ci demeure un très gros pourvoyeur de travail dans la région, avec plus de 4 000 emplois permanents et 23 000 emplois intermittents nets créés sur les dix dernières années. Une belle performance. Pourtant, les années récentes ont été périlleuses. De 2011 à 2014, selon les chiffres du CNC, les investissements dans le cinéma français ont baissé en moyenne de 20 % chaque année, avec un phénomène inquiétant de délocalisation des productions françaises pour les films à gros budgets comme Les Visiteurs 3 de Jean-Marie Poiré. Malgré cela, la production internationale est venue à la rescousse du secteur grâce aux arguments artistiques que la France peut faire valoir. Le travail de la commission est pour l’essentiel de dénicher des lieux publics ou privés en Ile-de-France et de les rendre accessibles au tournage. Il y en a au total plus de 2 000. Trois studios de référence La cote d’alerte a été atteinte en 2015, avec la moitié des jours de tournage du cinéma français organisés à l’étranger. Les pouvoirs publics ont alors décidé de porter à 30 % les crédits d’impôt national et international. L’impact de ces deux mesures est immédiat. La production cinématographique devrait connaître en 2016 « une croissance à deux chiffres pour l’emploi et l’activité », prédit M. Veillon. A cela s’ajoute la reconnaissance internationale des studios français dans le domaine de l’animation et de la 3D. L’Ile-de-France possède trois studios de référence pour Hollywood. Universal a doublé ses commandes auprès d’Illumination Mac Guff, qui a actuellement quatre longs-métrages en développement et a conçu Les Minions, le film le plus rentable de l’histoire de la major. Dreamworks a renforcé son partenariat avec Mikros image. Quant à Disney, il utilise les services du studio indépendant d’animation TeamTO. Paris, toutefois, est loin de faire jeu égal avec Londres, dont l’agence Film London dispose d’un budget quatre fois supérieur à celui de la commission du film francilien, ce qui lui a notamment permis d’attirer les tournages de dix blockbusters en 2015 et rapporté 2 milliards de livres (2,5 milliards d’euros). p alain beuve-méry Jean Genet Un écrivain sous haute surveillance Avec Georges Bataille, André Malraux, Jeanne Moreau, Étienne Daho, Leïla Shahid… JEAN GENET Un hors-série du « Monde » 122 pages - 8,50 € Chez votre marchand de journaux et sur Lemonde.fr/boutique Comment un enfant abandonné, petit délinquant multirécidiviste dont les premiers livres furent publiés sous le manteau, est-il devenu l’un des dramaturges les plus joués et l’un des auteurs français les plus respectés au monde ? Dans ce nouveau volume de la collection « Une vie une œuvre », Le Monde explore l’itinéraire de Jean Genet, homme engagé et écrivain de la transgression, salué par Cocteau et Sartre.