Les nombreuses variantes de l`emploi du futur proche et du futur

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Les nombreuses variantes de l`emploi du futur proche et du futur
LE
F U T U R «PROCHE» ET L E F U T U R SIMPLE
DANS LA LANGUE LITTÉRAIRE
CONTEMPORAINE
Z D E N K A
S T A V I N O H O V A
Les nombreuses variantes de l'emploi du futur proche et du futur simple
qu'on découvre dans la langue littéraire invitent à examiner les raisons de
ces différenciations. Selon A. Sauvageot, on ne fait pas suffisamment la
différence dans la langue parlée, entre le futur périphrastique et le futur
simple et le futur périphrastique n'y joue pas le rôle de futur d'imminence,
comme on l'enseigne surtout à l'étranger. A. Sauvageot ajoute encore que le
présent convient mieux que le futur proche pour exprimer un fait d'imminence. G. Mauger, tout en constatant aussi que dans le français parlé on
emploie le futur périphrastique même quand i l ne s'agit pas de faits proches, affirme que la distinction entre ces deux futurs n'a pas disparu, et i l
exprime le désir qu'on la maintienne.
Nous avons examiné quelques œuvres littéraires pour en tirer des constatations à propos de la différenciation entre ces deux formes dans la
langue littéraire. La fréquence de ces formes y est la suivante:
1
2
futur proche 1
futur proche 2
futur simple
futur proche 1
futur proche 2
futur simple
futur proche 1
futur proche 2
futur simple
Anouilh, Jean :
L'Hurluberlu
58
2
214
Camus, Albert: Giraudoux, Jean:
Caligula
Electre
77
26
3
97
147
Salacrou, Armand: Thomas, Robert: Jouglet, René:
L'archipel Lenoir
Huit femmes
Le grand
carnaval
54
68
32
3
5
15
105
71
119
Nimier, Roger:
Les enfants
tristes
63
12
380
Vailland, Roger:
325.000 francs
36
10
153
Roy, Jules:
Les cyclones
24
9
124
Monod,
Martine :
Le nuage
9
7
42
Vercors :
Le silence
de la mer
6
7
36
1
Sauvageot, p. 95, 96.
Mauger, p. 235.
Comme « futur proche 1 >• nous désignons la forme où le verbe aller est au présent,
comme •« futur proche 2 >• celle où le verbe aller est à l'imparfait.
2
3
ETUDES ROMANES DE BRNO, Volume IX (Brno 1977)
116
En ce qui concerne les types d'emploi du futur proche et du futur simple,
nous les avons examinés dans six pièces dramatiques et dans cinq œuvres
en prose.
Quant à la fréquence de ces deux formes, on voit que sauf dans la pièce
de Thomas qui est une comédie policière, c'est le futur simple qui domine.
Malgré des oscillations de la fréquence résultant du caractère de la pièce
et du récit, la fréquence du futur simple est, en général, beaucoup plus
haute que celle du futur proche. C'est seulement dans la pièce de Thomas,
où l'atmosphère est excitée et où la plupart des faits futurs doivent se passer très tôt, que le nombre de futurs proches atteint presque la fréquence
du futur simple.
En examinant l'emploi de ces deux formes, nous avons tenu compte aussi
de l'emploi du présent exprimant un fait futur, pour le comparer avec celui
du futur proche. Mais dans les oeuvres examinées sa fréquence est la plus
basse des trois formes temporelles, surtout si nous laissons de côté l'emploi
du présent pour un fait futur après «si» hypothétique qu'on peut envisager
comme une servitude grammaticale. Également comme pour le futur proche
et pour le futur simple, on y peut relever un emploi du présent pour un
fait futur non seulement temporel, mais dans certains cas aussi modal. En
employant le présent pour un fait futur on envisage sa réalisation comme
sûre. Dans les exemples suivants, on peut attribuer au présent la fonction
temporelle. Le moment de la réalisation du fait est indiqué, ou bien i l
résulte du contexte :
Beaufort: . . . Il m'a dit: «Je suis prêt. Je pars tout de suite.» . . .il a remonté dans l'avion. R. 165.
Aglaé: Nous répétons dans une demi-heure. Vous m'avez mise hors de
moi. Je ne vais plus être à mon rôle . . . Je reviens. An. 28.
Le général: Au point où nous en sommes, il ne nous reste plus à espérer
autre chose, ou nous sombrons tous dans le ridicule. An. 26.
Dans le cas suivant en se servant du présent pour les faits futurs on
insiste sur ces faits comme sur une réalité dont on ne connaît seulement
pas le moment de la réalisation :
Le mendiant: .. . elle va commencer à mordre . .. Il doit la (40) tuer raide
avant qu'elle se déclare ... Quand se déclare-t-elle? ... Quel jour, à quelle
heure se déclare-t-elle? Quel jour devient-elle louve? Quel jour devientelle Electre? Gir. 41.
Les nuances de l'emploi modal du présent varient selon le contexte et le
ton. Ainsi on s'en sert pour exprimer une simple invitation, mais aussi une
demande ou un ordre. L'intensité varie aussi avec la personne qui parlé et
celle à qui on parle :
Victor: . . . Je peux encore arriver à l'heure. Je t'emmène, Marie-Blanche.
On bavardera tous les deux. Sal. 97.
Dans les extraits suivants le présent est employé dans une menace:
Le président: Tu vas enfin me connaître! Quels qu'ils soient tes amants,
le premier que je vais rencontrer ici, je le tue.
4
i
J. Anouilh: L'Hurluberlu, A. Camus: Caligula, J. Giraudoux, Electre, J. Roy:
Les cyclones, A. Salacrou: L'archipel Lenoir, R. Thomas: Huit femmes.
R. Jouglet: Le grand carnaval, M. Monod: Le nuage, Vercors: Le silence de la mer,
R. Nimier: Les enfants tristes, R. Vailland: 325.000 francs.
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Agathe: Le premier que tu rencontres ici? Tu choisis mal tes endroits.
Tu ne pourras même pas le regarder en face.
Le président: Je l'oblige à s'agenouiller . . . Je lui fais baiser et lécher le
marbre.
Agathe: Tu vas voir comment il le baise et le lèche, le marbre, tout
à l'heure, quand il entrera dans cette cour et viendra s'asseoir sur ce trône
Gir. 133.
Les faits futurs exprimés au présent sont envisagés comme sûrs. Le fait
au futur proche contient une nuance d'admonition, tandis que les faits au
futur simple sont objectivement envisagés comme futurs.
Je veux bien le jurer, dit Finley, mais après, je te casse la gueule pour
m'avoir posé une question pareille. Mo. 59.
Le général: . . . Ne me faites pas rire, Lebelluc, ou je vous gifle et nous
nous batterons à cause de ça .. . An. 17.
Le futur simple exprime dans le cas précédent un fait pour ainsi dire
objectif, c'est-à-dire les conséquences de la menace.
Selon P. Imbs, les faits futurs exprimés au présent, sont envisagés comme
s'ils étaient déjà en cours, ils donnent l'impression de la continuité du fait
futur avec le présent.
Du point de vue de la fréquence et de la richesse des variantes d'emploi,
c'est le futur simple qui domine nettement dans les œuvres examinées. Le
fait exprimé au futur simple est détaché du présent. Son emploi temporel
paraît prévaloir sur l'emploi modal, quoique celui-ci apparaisse aussi assez
souvent et dans nombreuses variantes.
Le futur simple dans sa fonction temporelle exprime le plus souvent un
fait futur dont l'éloignement n'est pas précisé. Souvent i l s'agit d'un fait
éloigné :
La princesse: . . . Un souvenir, au moment de sa naissance, c'est comme
un enfant, il a l'avenir devant lui on ne sait jamais ce qu'il deviendra.
Sal. 26.
Catherine: T'en fait pas pour moi. Les complexes, c'est pas mon rayon!
Augustine: Attends! Ça viendra! Moi ça a commencé au bal. Th. 19.
Dans d'autres cas l'éloignement du fait futur est indiqué :
B'eaufort: On me donne trois mois pour expérimenter dix avions qui
n'ont pas satisfait aux règles normales du contrôle et des essais . . . (18)
J'en rendrai combien? . . . Le constructeur en sortira d'autres. Mais les
pilotes ne se fabriquent pas comme des voitures. Tout cela parce qu'il faut
aller vite. On ira peut-être plus vite qu'on n'imaginait . . . R. 19.
Les cas où le futur simple exprime un fait proche ne sont pas rares. Mais,
en général, l'éloignement d'un tel fait est indiqué par une expression temporelle (bientôt, ce soir, tout de suite, etc.) :
Egisthe: ...Mais ce mariage est la seule façon de rejeter un peu de
vérité dans le mensonge passé, et il est la sauvegarde d'Argos. Il aura lieu
dans l'heure même. Gir. 145.
La proximité du fait peut aussi résulter du contexte:
Le vicomte: — J'exige, monsieur, une explication.
Hortense: — Elle est indispensable.
5
5
Imbs, p. 36.
118
Victor: — Elle sera brève; j'avais été chargé par le conseil de famille de
faire l'enquête sur vos antécédents, vos dettes et vos instincts. Sal. 28.
Dans l'exemple suivant tout une série de faits futurs est exprimée au
futur simple :
Le Grand-Père....
Mais c'est vous qui avez le revolver à la main. Et
quand le coup sera tiré, moi, je n'existerai plus, et vous, vous gigoterez
encore dans la vie ...
Adolphe: Mais vous resterez toujours vivant dans notre mémoire.
Le Grand-Père: Oui, quand je serai mort, pour vous je serai un peu
vivant, mais pour moi, je serai tout à fait mort. Sal. 54.
Dans le cas suivant le futur simple est employé pour exprimer des faits
futurs par rapport au présent de narration :
Barnabe serre Dagobert sur con cœur, sous son manteau, et le manteau sera
bientôt trempé comme une éponge; alors il introduira Dagobert sous sa
veste; il ira, si le Dieu le veut, jusqu'à la peau. Le feutre lui mouille le
crâne, les chaussures avalent la boue. Sïlveri, à part le chien, n'est pas
mieux loti. . . Jou. 147.
Quant aux faits répétés ou habituels nous les avons trouvés, en général,
au futur simple :
Matz: Comment savoir qu'il n'aura jamais de panne, tant qu'il n'aura
pas été utilisé dans les formations? R. 22.
Madame Chanel, seule: Cette fiUe-là, on n'en fera jamais rien. Th. 11.
On retrouve le futur simple aussi dans les communications de caractère
administratif. Dans l'exemple siuvant on trouve le futur simple dans un
rapport militaire :
Voix de la Tour: Ordre transmis. Cyclone trois sera à la verticale de la
base dans trois minutes. R. 170.
Voix de la Tour: Cyclone trois sera à la verticale de Ici base dans trois
secondes. R. 175.
Le futur simple est employé dans certaines tournures qui pourraient
être envisagées comme des tournures caractéristiques :
Hortense, au prince: Vous ne direz pas que votre mariage avec Lolotte
fut désintéressé. Sal. 47.
Gaby: . .. Vous direz ce que vous voudrez: je ne trouve pas ça normal.
Th. 25.
Gaby: . . . Quand la police arrivera, je ne vous épargnerai pas madame
Chanel.
Madame Chanel: Comme vous voudrez, Madame. Je n'ai rien à cacher,
moi. Th. 29.
Le général: .. . Nous verrons bien, Monsieur. An. 24.
Également comme le présent, dans son emploi modal, le futur simple
peut être utilisé pour exprimer avant tout différentes nuances de la volonté.
Par exemple un simple souhait, une invitation ou un ordre. Dans l'exemple
suivant i l est employé pour exprimer un souhait:
. .. Patricia aimait s'habiller en blanc et détestait les bijoux. — Tu les
donneras tous à Sophie, maman, elle sera contente. Mo. 11.
Pour juger de l'intensité de l'ordre ou de la défense, i l faut considérer
aussi qui parle et à qui on parle:
119
Clytemnestre: Ose parler de ce jardin! Tout y est sec, je l'ai vu de la
route: un crâne pelé. Tu n'auras pas Electre. Gir. 57.
La reine parle dans ce cas au jardinier.
Caligula frappant: Et toi, Caesoniai tu m'obéiras. Tu m'aideras toujours.
Ce sera merveilleux. Jure de m'aider, Caesonia . . . Tu feras tout ce que je
te dirai... Tu seras cruelle .. . C. 125.
Catherine, brandissant la clef : Je la donnerai au commissaire. Aucun de
vous ne rentrera dans cette chambre. Th. 14.
Marie-Blanche : Vous préparerez mes valises, Joseph ...
Le Grand-Père: Joseph!... Vous me ferez un perdreau pour midi. Sal. 71.
Dans ces deux exemples tirés de la pièce de Salacrou, les membres de la
famille donnent des ordres à leur maître d'hôtel.
Dans l'exemple suivant, l'ordre est donné par le militaire à sa secrétaire:
La secrétaire apparaît avec un bloc de sténographie dans les mains.
Beaufort, à la secrétaire :' Asseyez-vous. Vous tiendrez le procès-verbal
de la conférence. R. 38.
On peut trouver le futur simple aussi là où on exprime une indignation ou
une menace. Leur intensité dépend du contexte et du ton:
C'est un domaine très nouveau de la médicine, dit prudemment le Docteur
Maxwell.
Le Docteur Tom renifla avec mépris. Tous des crétins! Je t'en ficherai,
moi, des domaines nouveaux. Quand on n'est pas capable de soigner les
gens, on se fait écipier. Mo. 77.
Clytemnestre: Ah, tu veux le savoir?
Electre: Mais tu n'oseras pas. Gir. 166.
Augustine : Vous me le paierez.
Pierrette: Des menaces? Th. 21.
L'affirmation exprimée au futur simple peut être soit énergique, soit
atténuée, cela dépend du contexte. Dans l'exemple suivant c'est une affirmation, sur laquelle le locuteur insiste :
— Ils éteindront la flamme tout à fait, cria-t-ïl. L'Europe ne sera plus
éclairée par cette lumière. Ve. 70.
Parfois, en exprimant un fait au futur simple, on cherche ainsi l'atténuer.
P. Imbs caractérise ces atténuations à l'aide de l'emploi du futur simple
comme des transpositions stylistiques. Parmi les transpositions stylistiques
il mentionne aussi le futur de politesse et le futur de probabilité. En exprimant un fait présent dans le futur, on lui donne un caractère plus
éloigné. Ainsi on exprime un fait au futur simple pour lui donner une
marque de politesse :
Marie-Blanche, au vicomte: Vous direz à mon frère que je refuse de le
voir. Sal. 60.
Le vicomte: Excusez-moi, je ne dessererai plus les dents. Vous me pardonnerez, je l'espère, de ne pas pouvoir boucher mes oreilles. Sal. 21.
. . . Asseyons-nous. J'ai besoin de prendre quelque chose. Un café au lait
par exemple. Vous me permettrez d'en commander deux. Jou. 40.
«Monsieur, vous voudrez bien passer chez moi à cinq heures.» Jou. 44.
6
6
Imbs, p. 52.
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En exprimant un fait au futur an peut lui donner aussi une nuance d'incertitude. Ainsi on se sert du futur simple pour exprimer une probabilité:
. . . Je me nomme Lucien Archibard et précisément j'habite Paris. Il
m'arrivera de vous y rencontrer tous les deux. Jou. 40.
Le mendiant: .. . Ils traversent les routes la nuit, par dizaines, hérissons
et hérissonnes qu'ils sont, et ils se font écraser . .. Vous me direz qu'Us sont
idiots qu'ils pouvaient trouver leur mâle ou leur femelle de ce côté-ci de
l'accotement. Gir. 33.
Ledadu: Vous me direz, Ledadu devrait être content. Il est vendeur.
Excuses. Ledadu n'est pas content. Le chiffre d'affaires, ce n'est pas tout.
An. 21.
Dans l'emploi temporel, le futur proche exprime en général un fait qui
aura lieu dans un moment très proche, parfois immédiatement après le
moment présent:
— On devrait, dit Muriel, s'en aller à la recherche d'une voix qui n'ait
pas rapport avec la voix. Ça constituerait un ensemble.
— Génial, dit Barnabe. Nous allons y penser séparément et tous ensemble . .. Pardon. Dagobert me réclame. Bonsoir.
Il pirouetta et s'en alla. Jou. 82.
Caligula: Aujourd'hui^ et pour tout le temps qui va venir, ma liberté n'a
plus de frontières. C. 119.
Le général: .. . Mais je n'ai pas beaucoup travaillé depuis lundi. J'ai eu
des ennuis avec mon thème.
Le curé: Nous allons voir ça ... Il s'agit de faire un sérieux effort, général, ou je vous tape sur les doigts .. . An. 72.
.. . Tout ce qui précède est de bonne nature. Ce qui va suivre relèvera
de ce que m'ont conté Silveri et Barnabe et aussi une troisième personne
dont il est tout de suite question. Jou. 107.
Dans cet exemple i l y a une parfaite distinction temporelle, le présent
exprimant un fait qui va suivre immédiatement, ce qui est indiqué par
l'expression temporelle, le futur proche annonçant le récit qui va commencer et le futur simple les faits du récit qui sont envisagés en ce moment
simplement comme faits futurs.
Dans l'exemple suivant trois sortes de futurs illustrent la différence qu'on
peut faire dans la manière d'envisager des faits futurs:
Matz: Je ne suis pas fatigué. Je suis prêt à recommencer.
Richard: Ah! non. Pas tout de suite. Tu ne rentres peut-être pas à l'hôtel
ce soir? Tu vas peut-être coucher dans ta carlingue?
Matz, doucement: Mais non. Tu auras ta part, toi aussi. Vous aurez tou
la vôtre. Je n'ai pas tout pris . .. Les avions t'attendent. R. 188.
Caligula: Maintenant, nous allons cesser le jeu de sincérité et recommencer à vivre comme par le passé. Il faut encore que tu essaies de com
prendre ce que je vais te dire, que tu subisses mes offenses et mon humour ... C. 181.
L'adverbe «maintenant» dans le cas précédent souligne que le fait suit
immédiatement la situation présente.
Electre :... Je les hais d'une haine qui n'est pas à moi.
Oreste : Je suis là. Elle va cesser. Gir. 74.
«Oh! il m'a piquée sur le menton! Sale petite bête, vilain petit moustique!
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... Oh! regardez, je vais le punir: je lui arrache — les pattes — l'une — après
l'autre . . . » et elle le faisait. . . Ve. 50.
Dans le cas où le futur proche exprime un fait éloigné, i l est accompagné
d'une indication temporelle:
D. E. Mendigalès: . . . Et puis, un jour, elle se fixera, comme nous tous.
Moi-même, je vais bien me marier dans quelques mois. An. 33.
Quelquefois le fait exprimé au futur proche n'est pas tout proche du
point de vue temporel, mais le locuteur l'envisage comme tel:
Caligula: . . . Tu restes le dernier témoin. Et je ne peux me défendre
d'une sorte de tendresse honteuse pour la vieille femme que tu vas être ..
C. 207.
. . . ZI était très enthousiaste. Il disait: «Il va nous unir, comme mari et
femme. » Il pensait que le soleil allait enfin se lever sur l'Europe. Ve. 34.
Dans le cas suivant, le futur proche exprime une série de faits. Leur
proximité est encore soulignée par des expressions temporelles:
L'étranger: .. . Tout à l'heure, tu vas me prendre de toi-même dans tes
bras ... Dans une minute tu vas m'embrasser ... (65) . . . Je vais te dire un
mot et tu vas revenir vers moi, toute douce . .. Un seul mot et tu vas sangloter dans mes bras . . . Gir. 65.
Dans le cas suivant le futur proche exprime un fait habituel:
Le général: Quand tu sens que tu vas avoir peur, tu en croque un tout
petit peu.
Toto: et je l'avale? . .. Maman dira que c'est sale. An. 12.
On pourrait ajouter: -«Chaque fois quand ...»• La proximité du fait
exprimé au futur proche et l'insistence sur l'autre exprimé au présent contrastent avec le futur simple qui exprime les conséquences de celui au
présent.
Quelquefois le futur proche est employé dans certaines tournures caractéristiques :
Bélazor: Je vais te dire . . . Tu vas me prendre pour une crapule certainement . .. An. 35.
Nous trouvons le futur proche dans la même tournure aussi dans le cas
suivant:
Le général: Je vais vous dire, Docteur, c'est une morale de vers. An. 40.
Quant à l'emploi modal du futur proche, on peut le relever dans différentes variantes de la volonté. Les degrés de leur intensité dépendent du
contexte et du ton.
Dans les extraits suivants le futur proche est employé pour exprimer
une demande, une instruction et un ordre:
Le général le toise. Après tout, c'est peut-être moi qui ne comprends pas
très bien. Je vais vous donc demander de m'expliquer un mythe qui je
l'avoue, me dépasse. Je prends un exemple concret. An. 22.
— Je prends tes fleurs, dit-il brusquement, je te prends tout ton panier.
Mais tu ne vas pas me le donner. Porte-le à la clinique avec ça. Mo. 106.
Caligula: . . . Je t'aime beaucoup Mereia. C'est pourquoi tu seras condamné pour ton second crime et non pour les autres. Tu vas mourir virilement, pour t'être révolté. C. 147.
Dans cet exemple où Caligula exprime ses ordres, le futur proche ex-
122
prime un fait qui sera postérieur à celui aiu futur simple. Mais Caligula
insiste sur ce fait.
Caligula: Bon, écoutez-moi bien. Vous allez quitter vos rangs. Je sifflerai.
Le premier commencera sa lecture. C. 200.
L'ordre étant exprimé au futur proche,, les faits au futur simple lui sont
postérieurs et le futur «commencera»- implique une instruction.
Nous trouvons le futur proche souvent aussi dans une situation ou dans
une communication exprimant une émotion ou une excitation. Les raisons
émotives de l'emploi du futur proche peuvent être très variées. On le
trouve par exemple dans l'expression d'un étonnement, d'une admonition,
d'une indignation ou d'une menace. Ainsi dans le cas suivant il est employé
pour exprimer un étonnement. Le locuteur insiste sur ce fait :
Le curé : ... Le Bon Dieu vous a donné la plus belle maison du pays, général. Vous n'allez tout de même pas refuser de la lui prêter? An. 23.
Dans cet exemple l'intensité du fait est augmentée par l'expression «tout
de même ».
Matz: Pensez-vous que nous allons mettre encore beaucoup de pilotes
à votre disposition?
Vuillaume: Vous les mettez à la disposition de l'état major.
Matz, attaquant: Que risquez-vous, le constructeur et vous? R. 97.
Dans ce cas, l'officier, qui est en colère contre l'ingénieur, insiste sur le
fait au futur proche et lié avec le présent.
Dans l'extrait suivant, le patricien se sert du futur proche pour exprimer
son indignation et poursuit dans son indignation même avec une constation
exprimée au futur simple, accompagné d'un adverbe :
Premier patricien: . . . la vertu nous appelle à son secours, allons-nous
refuser de l'entendre? Conjurés, accepterez-vous enfin que les patriciens
soient contraints chaque soir de courir autour de la litière de César? C. 132.
Egisthe: Electre . . . ne t'obstine pas!.. . Ecoute-toi. La ville va périr.
Electre: Qu'elle périsse. Gir. 165.
Dans cet extrait le futur proche se trouve dans une admonition.
Dans les exemples suivants on relève le futur proche dans une menace:
Caligula: . . . Le Trésor est d'un intérêt puissant . .. Tout est sur le même
pied: la grandeur de Rome et tes crises d'arthritisme. Ah! je vais m'occuper
de tout cela. Ecoute-moi un peu, intendant. C. 116.
Caligula: .. . Au demeurant, moi, j'ai décidé d'être logique et puisque j'ai
le pouvoir, vous allez voir ce que la logique va vous coûter. J'exterminerai
les contradicteurs et les contradictions. S'il le faut', je commencerai par toi.
C. 118.
Le fils du laitier: . . . Je vais te l'apprendre, moi, à voler les femmes des
blancs, sale raciste! An. 11.
Dans ce cas l'enfant, dans le cours du jeu, se sert du futur proche pour
exprimer une menace feinte, simulant une colère.
Le général: . .. Crénom, je vais vous montrer qui je suis! Vous croyez
que je vais vivre et avaler votre pilule? An. 28.
Dans tous ces cas, évidemment, le contexte joue un rôle important, car il
permet de comprendre la variante respective de l'émotion.
Souvent on se sert du futur proche aussi pour appuyer sur un fait :
123
La question était: Patricia va-t-elle mourir? Dans son cas ce n'était pas
du tout naturel. Mo. 31.
Dans l'exemple suivant, le futur proche est employé dans une affirmation énergique:
. .. Si tu ne peignais pas avec ta brosse à dents, tu serais tenue pour
préhistorique. L'art ne va pas avouer qu'il a bouclé sa boucle, c'est vrai,
puisqu'on copie aujourd'hui Lascaux. Jou. 79.
Dans la traduction tchèque on serait obligé, dans un tel cas, d'ajouter
encore une expression pour insister sur le fait exprimé au futur proche.
En ce qui concerne la transposition du futur proche à l'imparfait, elle
est plus fréquente dans les récits que dans le dialogues, mais sa fréquence
est basse. Dans certains cas cette transposition résulte de la concordance
des temps, ailleurs cette forme exprime un fait futur proche par rapport
à des faits passés avec lesquels il est en rapport.
Dans l'exemple suivant la transposition de futur proche à l'imparfait
se trouve dans les phrases compléments directs après le verbe à l'imparfait
dans la principale :
. . . Je pensais que la pesanteur de notre silence ne pourrait être secouée.
Que l'homme allait nous saluer et partir. Ve. 33.
. . . Je me mis donc à brosser un portrait de Silveri . . . Les médecins,
disais-je, oui, ils (41) exercent un métier insensé: . . . Oh, Luigi tirerait
l'autre du dernier péril qu'on affronte, il en savait long . . . Heureusement
aussi qu'à Paris, Luigi allait se mettre à la musique;
Jou. 42.
Dans cet extrait, la transposition du futur présent à l'imparfait est exigée
par le style indirect libre.
Là où la transposition du futur proche à l'imparfait est exigée par les
rapports avec les faits passés, les variantes de son emploi sont analogues
à celles du futur proche, mais comme cet emploi a une fréquence très basse,
elles sont loin d'être aussi nombreuses que celles du futur proche.
On trouve l'emploi temporel de cette forme dans la relative de l'exemple
suivant:
Sur la façade de la dernière maison du bourg pendait un drapeau qui
allait demeurer en berne jusqu'à la saison des primevères . . . Jou. 152.
... Il neigeait toujours. On était transformés en bonshommes de neige,
mais on allait manger. Il (151) ne restait que de rencontrer une grange,
.. . pour y dresser le couvert. Jou. 152.
Dans certains contextes, ou grâce au contenu sémantique du verbe, le
futur proche transposé à l'imparfait permet d'exprimer aussi différentes
nuances aspectuelles :
Cherea: . . . Et d'ailleurs, il n'est pas sûr que Caligula nous en laissera
le temps.
Caesonia: . . . II est vrai. (Elle s'assied.) Et j'allais oublier les recommandations de Caligula. Vous savez qu'aujourd'hui est un jour consacré à l'art.
C. 197.
Dans cet exemple le futur proche transposé à l'imparfait pourrait être
remplacé par exemple par l'expression «j'ai failli oublier».
Ailleurs le futur proche transposé à l'imparfait pourrait être remplacé
par l'expression «j'étais sur le point de» ou une expression analogue:
. . . Un quidam mal rasé, . .. tendit sa main ouverte. J'allais le houspiller.
124
— Non, dit Silveri. Pas d'histoire. Jou. 15.
Le prince à Adolphe: Nous venions prendre congé et j'allais demander
à Victor de me conduire près de votre corps pour le bénir avant de partir.
Adolphe, sec: Je suis seulement blessé, monsieur. Sal. 88.
Dans les exemples suivants nous trouvons le futur proche transposé
à l'imparfait exprimant des faits sur lesquels on insiste :
Le général: Et vous ne m'avez rien dit? ...
Aglaé: . . . Je n'allais pas vous ennuyer pour si peu . .. An. 16.
Dans le cas suivant, le locuteur donne au fait encore plus d'intensité en
ajoutant l'expression «tout de même»:
Le général: ... Tant que j'ai eu des filles, cela a été. Mais voilà que ma
femme me pond un fils, au moment où je m'y attendais le moins. Je n'allais
tout de même pas l'affubler d'un père qui ne serait pas fichu de l'aider
à faire ses devoirs? An. 12.
Dans l'extrait suivant la transposition du futur proche au passé se trouve
dans une hypothétique incomplète exclamative :
Adolphe: Bouchon lui a menti et lui a promis qu'il finirait centenaire.
Marie-Thérèse: ... Pauvre papa! Et s'il allait mourir ce soir. Nous ne
pourrions pas lui en vouloir! Ce n'est tout de même pas en dix minutes
d'égarement qu'on dénature toute une vie! Sal. 34.
Pourtant, dans la transposition à l'imparfait l'effet évoqué par le futur
proche paraît moins fort que celui évoqué par cette forme non transposée.
Les exemples cités d'emploi des trois formes temporelles: présent, futur
proche et futur simple, montrent, à côté de certaines analogies dans les
types d'emploi, les aspects spécifiques de chacune d'elles. Ainsi par exemple
par l'emploi du présent pour un fait futur, on exprime une nuance de
certitude quant à la réalisation de ce fait, on l'envisage d'avance comme une
réalité. La notion du futur est indiquée par une expression temporelle ou
bien elle résulte du contexte. En général i l s'agit d'un fait dont la réalisation
devrait être immédiate, mais quelquefois i l exprime aussi des faits plus
éloignés. Dans son emploi modal le présent employé pour un fait futur
donne au fait exprimé (invitation, demande, ordre, admonition, menace,
etc.) une nuance d'actualité suggestive et augmente ainsi son expressivité.
L'intensité de différentes variantes dépend, bien sûr, du contexte. Pourtant
la fréquence de l'emploi du présent pour un fait futur est relativement
basse.
Quant au futur simple, on s'en sert, en général, pour exprimer un fait
détaché du présent et plus ou moins éloigné, cet éloignement étant le plus
souvent imprécis. Pourtant, i l y a aussi des cas où i l est précisé. Si le futur
simple exprime un fait qui n'est pas éloigné, c'est indiqué soit par le contexte, soit par une expression temporelle. Mais cet emploi est beaucoup
moins courant que les précédents. Quant aux communications ou instructions de caractère administratif nous les avons trouvées toujours au futur
simple. Également dans le récit c'est le futur simple qui domine, le futur
proche y étant beaucoup moins fréquent. Quant aux tournures caractéristiques exprimées au futur simple, dans les exemples que nous avons trouvés, le verbe au futur simple est toujours soit à la deuxième soit à la troisième personne. Là où on le trouve à la première personne du pluriel, ce
«nous» équivaut à «on».
125
En se servant du futur proche on insiste en général soit sur la réalisation
immédiate du fait soit sur sa proximité. Parfois cette proximité est encore
soulignée par une expression temporelle. Quelquefois on exprime un fait
au futur proche parce qu'on désire qu'il se réalise le plus tôt possible. Si
le futur proche exprime un fait relativement éloigné, cet éloigneraient est
toujours indiqué par une expression temporelle ou résulte du contexte.
Quant aux tournures caractéristiques au futur proche, nous les avons trouvées employées à la première personne.
En ce qui concerne l'emploi du futur proche transposé à l'imparfait, i l est
analogue à celui du futur proche. Mais sa fréquence est basse Ainsi les
variantes de son emploi sont aussi beaucoup moins nombreuses. Son emploi
résulte de la réalisation de la concordance des temps ou du rapport des faits
futurs avec le récit au passé. Étant "transposé au passé, son efficacité dans
les emplois modaux paraît moins intense.
Si nous comparons certaines analogies de l'emploi du futur simple et du
futur proche, nous trouvons que les faits au futur simple gardent souvent
un caractère impersonnel (par exemple dans les communications administratives, dans un récit, dans le choix de la 2e et de la 3e personne dans lès
tournures caractéristiques, etc.). Dans l'expression de la volonté, i l n'est pas
sans importance qui parle et à qui on parle. A u contraire dans l'emploi du
futur proche nous trouvons une nuance plus personnelle. Le futur proche
est fréquent surtout dans les dialogues où i l apporte une note familière ou
affective et souvent une expressivité efficace.
Ayant limité nos recherches à quelques œuvres littéraires, nous ne pouvons donner, bien entendu, que des constatations partielles. Par ailleurs
d'autres aspects de l'emploi de ces deux formes mériteraient certainement
encore d'être examinés. Mais nous avons essayé de montrer que dans les
œuvres littéraires la distinction entre l'emploi du futur proche et du futur
simple paraît toujours avoir ses raisons, qu'il s'agisse de raisons temporelles,
aspectuelles, affectives ou stylistiques, et que les deux formes y tiennent
chacune une place qui est bien à elles.
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