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O S S I E R
Tolérance digestive des anti-inflammatoires
non stéroïdiens sélectifs ou non de la COX-2.
Quelles conclusions tirer des essais cliniques ?
Gastrointestinal safety of COX-1 and COX-2 inhibitors:
what have we learned from clinical trials?
●
M. Bardou1, E. Rahme 2, P. Guérard 3, A.N. Barkun 4
RÉSUMÉ. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) représentent une classe thérapeutique très fréquemment prescrite, en particulier
chez les personnes âgées de plus de 65 ans. Les AINS sont associés à de nombreux effets indésirables, parmi lesquels les plus courants et les
plus dangereux sont ceux en rapport avec la toxicité digestive.
Cette toxicité digestive est de présentation polymorphe, pouvant aller de la dyspepsie aux ulcères gastriques, avec un risque d’hémorragies et
de perforations potentiellement mortelles.
Souvent, l’apparition d’une complication grave n’est pas précédée de signes d’alerte et l’identification de facteurs de risque pour cette toxicité
digestive permet de reconnaître des patients à haut risque et d’adapter les modalités de prescription. Parmi ces facteurs de risque sont admis
l’âge avancé, la dose d’AINS prescrite, les antécédents de pathologie ulcéreuse, l’infection à Helicobacter Pylori et l’utilisation concomitante
de corticostéroïdes ou d’anticoagulants. L’évaluation du risque ainsi que la prescription d’antisécrétoires (inhibiteurs de la pompe à proton)
ou de protecteurs (analogues de prostaglandines) peuvent limiter cette toxicité.
La cyclo-oxygénase de type 1 (COX-1) est une enzyme clé dans les phénomènes de défense de la muqueuse intestinale et la meilleure façon de
diminuer la toxicité digestive des AINS est d’éviter de bloquer la COX-1.
L’utilisation d’inhibiteurs réputés sélectifs de la COX-2 (coxibs), induite au site de l’inflammation, est une approche théoriquement séduisante
pour préserver l’efficacité anti-inflammatoire tout en diminuant le risque de toxicité digestive. Cet article se propose de faire le point sur les
évidences cliniques de la tolérance digestive des inhibiteurs sélectifs ou non de la COX-2.
Mots-clés : Cyclo-oxygénase-1 - Cyclo-oxygénase-2 - Effets indésirables - Ulcères - Hémorragie digestive - Toxicité digestive - Célécoxib Rofécoxib - Tolérance.
ABSTRACT. Nonsteroidal anti-inflammatory drugs (NSAIDs) are among the most widely used of all drugs particularly by persons aged 65
years or more. NSAIDs have a number of side effects, of which the most prevalent and potentially life threatening is gastrointestinal (GI) toxicity. GI side effects of NSAIDs range from dyspepsia to gastroduodenal ulcers including their serious complications: bleeding and perforation.
Serious GI complications often lack warning signs; knowledge of risk factors for NSAID-related GI toxicity can identify patients at high risk,
allowing for initiation of the appropriate therapeutic intervention. Risk factors include advanced age, NSAID dose, prior GI complications,
infection with Helicobacter pylori, and use of corticosteroids and anticoagulants. Risk assessment and cotherapy with acid suppressors (proton pump inhibitors) or prostaglandin replacement (misoprostol) and H. pylori eradication are beneficial.
Cyclooxygenase-1 (COX-1) is a key enzyme in gastroprotective mucosal defenses, and the best way to prevent GI toxicity is to avoid drugs that
inhibit COX-1. Selective inhibition of COX-2, which is induced at the site of inflammation, is a theoretically satisfying approach to provide effective treatment of pain and inflammation while reducing risk of gastropathy. This paper is aimed at giving an evidence-based review of COX-2
gastrointestinal tolerability.
Keywords: Cyclooxygenase-1 - Cyclooxygenase-2 - Side effects - Peptic ulcer - Gastrointestinal bleeding - Gastrointestinal toxicity - Celecoxib
- Rofecoxib - Tolerance.
es anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) sont parmi
les médicaments les plus prescrits dans le monde. On estime
L
que 1 % à 2 % de la population mondiale prend au moins un com-
1
Unité de pharmacologie clinique, LPPCE, faculté de médecine, 7, boulevard
Jeanne-d’Arc, BP 87900, 21079 Dijon Cedex ; 3Laboratoire de toxicologie, CHU de
Dijon 3, faubourg Raines, 21000 Dijon ; 2Département d’épidémiologie clinique ;
4
Département de gastro-entérologie, McGill University Health Center, Montreal
General Hospital, 1650 Cedar Ave., Montréal, Québec H3G 1A4, Canada.
La Lettre du Pharmacologue - Volume 17 - n° 5 - oct.-nov.-déc. 2003
primé d’aspirine chaque jour, et, aux États-Unis, ce sont 20 à
30 milliards de comprimés qui sont achetés chaque année (1, 2).
Les AINS sont parmi les médicaments les plus fréquemment utilisés chez les patients de plus de 65 ans (3). Leurs indications
principales sont l’arthrose et la polyarthrite rhumatoïde. L’utilisation potentielle des AINS, notamment de l’aspirine, a été étendue à la prévention des maladies cardiovasculaires (4) ainsi qu’à
d’autres maladies comme le cancer colorectal (5) ou la maladie
d’Alzheimer (6).
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L’extension des indications, et donc de la population exposée
à ces médicaments, augmente le risque de voir apparaître des
effets indésirables, en particulier digestifs. Les troubles dyspeptiques interfèrent avec la qualité de vie de plus de 30 % des
patients traités par AINS, et des effets indésirables sévères, principalement digestifs et rénaux, peuvent survenir chez près de
5 % des patients.
L’administration prolongée d’AINS provoque des érosions
muqueuses gastro-duodénales chez 35 % à 60 % des patients, des
ulcérations chez 10 % à 25 % et des complications plus sévères, à
type d’hémorragie ou de perforation, dans près de 1% des cas (7).
Les données épidémiologiques ont montré que, globalement,
les AINS augmentent de 3 à 10 fois le risque de complications
sévères des ulcères, comme les hémorragies, les perforations,
les hospitalisations et les décès (7, 8). La plupart de ces effets
indésirables surviennent chez des patients n’ayant pas de signe
annonciateur. La surveillance endoscopique de patients traités
par AINS a permis une meilleure approche des facteurs de
risque de leur toxicité. Ces facteurs sont rappelés dans le
tableau I. La nature des principaux effets indésirables digestifs est présentée dans le tableau II.
Tableau I. Évaluation du risque pour la toxicité des AINS. (Adapté
de Gastroenterology [25]).
Facteurs devant être pris en compte pour l’évaluation du risque
✓ Âge et sexe (F > H)
✓ Nature de la maladie ayant conduit à la prescription de l’AINS
✓ Sévérité de cette maladie
✓ Pathologies associées
✓ Infections à Helicobacter pylori
✓ Antécédents d’ulcères gastroduodénaux, d’hémorragie
ou de perforation
✓ Antécédents d’utilisation de médicaments antiulcéreux
✓ Posologie, type et durée du traitement par AINS
✓ Prescription associée avec des anticoagulants, des corticoïdes
ou de l’aspirine
✓ Utilisation en période périopératoire
✓ Automédication
Tableau II. Type de sévérité et de localisation des effets indésirables digestifs des AINS.
Type d’effet indésirable
Début et évolution
Effets mineurs
✓ dyspepsie
En quelques heures, souvent régression
✓ érosions (estomac > duodénum) malgré la poursuite du traitement
■
Effets modérés
✓ anémie par carence martiale
✓ ulcérations superficielles
(estomac et duodénum)
■
■ Effets indésirables sévères
✓ hémorragie digestive
(estomac > duodénum
> œsophage > grêle et côlon)
✓ perforation aiguë
(duodénum > côlon)
✓ obstruction gastrique
Rares avant 6 semaines
Rare avant 6 semaines
Augmentation presque linéaire
lors des traitements prolongés
La découverte de l’expression différentielle des cyclo-oxygénases
(COX), la COX-1 étant exprimée de façon constitutive dans
150
presque tous les tissus et les types cellulaires, alors que la COX-2
est faiblement ou non exprimée dans la majorité des cellules alors
qu’elle est induite par l’inflammation (9), a conduit au développement de molécules plus spécifiques de la COX-2 (les coxibs),
dont deux sont actuellement commercialisées en France, le rofécoxib (Vioxx®) et le célécoxib (Celebrex®), et de nombreuses en
développement comme le valdécoxib et le parécoxib, l’objectif à
atteindre pour ces molécules étant de conserver une efficacité antiinflammatoire tout en améliorant la tolérance digestive.
TOLÉRANCE DIGESTIVE DES COXIBS :
ÉTUDES ENDOSCOPIQUES
Les données cliniques actuellement disponibles sont en faveur
d’un effet des coxibs sur la muqueuse gastrique et duodénale,
similaire à celui du placebo.
Une étude randomisée en double aveugle contre placebo a comparé l’incidence endoscopique des ulcères gastro-duodénaux
chez des patients traités pour une arthrose par du rofécoxib (25
ou 50 mg/j, doses deux à quatre fois supérieures à celles recommandées dans cette indication), de l’ibuprofène (1 600 mg/j)
ou du placebo (10). Après 12 semaines de traitement, l’incidence cumulée des ulcérations > 3 mm était inférieure de 85%
et 74%, dans les groupes rofécoxib 25 mg et 50 mg respectivement, à celle observée avec l’ibuprofène. Cette incidence était
équivalente à celle observée avec le placebo.
Une étude incluant la même population de patients a comparé
la tolérance digestive endoscopique du célécoxib (200, 400 et
800 mg/j) à celle du naproxène (1 000 mg/j) et du placebo (11).
Dans cette étude, l’incidence cumulée des ulcérations gastriques
ou duodénales endoscopiques était de 4 % dans le groupe placebo et de 6 %, 4 % et 6 % respectivement pour les trois posologies de célécoxib. Cette incidence cumulée était identique dans
le groupe placebo et dans le groupe célécoxib, mais significativement supérieure (26 %) dans le groupe naproxène. La fréquence globale de survenue d’effets indésirables digestifs et
d’arrêt du traitement dû à ces effets indésirables avec le célécoxib était intermédiaire entre celle du placebo et celle du
naproxène.
TOLÉRANCE DIGESTIVE DES COXIBS : ÉTUDES CLINIQUES
Effets indésirables des coxibs sur le tube digestif supérieur
(œsophage, estomac, duodénum)
Deux grandes études cliniques randomisées ont permis l’analyse
de la tolérance digestive des coxibs, l’étude VIGOR (Vioxx® Gastrointestinal Outcome Research) (12) et l’étude CLASS (Celebrex® Long-Term Arthritis Safety Study) (13). Ces deux études,
en particulier l’étude CLASS, ont fait couler beaucoup d’encre.
Vioxx® Gastrointestinal Outcome Research
Le but principal de cette étude était de comparer la tolérance
digestive du rofécoxib à celle d’un AINS traditionnel, le
naproxène. L’étude VIGOR a inclus plus de 8 000 patients souffrant d’une polyarthrite rhumatoïde parmi lesquels 56 % receLa Lettre du Pharmacologue - Volume 17 - n° 5 - oct.-nov.-déc. 2003
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vaient des corticoïdes. L’âge moyen à l’inclusion était de 58 ans,
il y avait 80 % de femmes et 8 % de patients ayant des antécédents d’hémorragies digestives, de perforations ou d’ulcères
gastriques ou duodénaux symptomatiques.
Les patients ont été randomisés pour être traités soit par 50 mg/j
de rofécoxib, soit par 1 000 mg/j de naproxène. L’utilisation
d’aspirine ou de médicaments anti-ulcéreux était un critère
d’exclusion de cette étude.
La durée médiane de traitement a été de 9 mois, et le critère
principal de jugement était l’incidence d’événements digestifs
hauts confirmés, c’est-à-dire perforation, obstruction gastrique,
ulcères symptomatiques et hémorragies digestives hautes. Le
taux d’événements cliniquement significatifs était plus faible
dans le groupe rofécoxib que dans le groupe naproxène (2,09
et 4,49 événements pour 100 patients-années pour le rofécoxib
et le naproxène respectivement ; p < 0,001). Cette différence
rendait le rofécoxib responsable d’une réduction du risque de
54 % (RR = 0,46). Une autre façon d’exprimer cette différence
est celle du nombre de patients à traiter par le rofécoxib pour
éviter un effet indésirable clinique en un an, qui est dans cette
étude de 41 patients, un nombre assez bas.
Le critère de jugement secondaire de cette étude était la survenue d’événements digestifs compliqués, perforation, obstruction
et hémorragie avec perte d’hémoglobine > 2 g/dl. Sur ce critère
de jugement secondaire, la réduction du risque dans le groupe
de patients traités par rofécoxib était de 57 % (RR = 0,43 ;
p = 0,005). Le nombre de patients à traiter pour éviter un événement digestif haut compliqué en un an était de 125.
Un autre critère de jugement de cette étude était la survenue de
saignements digestifs de toute nature. Ici également l’évaluation était favorable au traitement par rofécoxib par rapport au
naproxène, avec une diminution significative du risque de saignements digestifs de 62 % (RR = 0,38 ; p < 0,001).
De plus, le nombre de patients ayant interrompu le traitement
du fait d’une mauvaise tolérance digestive était plus faible dans
le groupe rofécoxib (7,8 %) que dans le groupe naproxène
(10,6 %, p < 0,05). Cependant, le taux global d’interruption du
traitement par rofécoxib et naproxène, du fait d’un manque d’efficacité ou d’une mauvaise tolérance, n’était pas significativement différent entre les deux groupes.
Une nouvelle étude semble confirmer les conclusion de l’étude
VIGOR et retrouve une bonne tolérance digestive du rofécoxib,
même si ces résultats sont limités par une durée de traitement
assez courte (3 mois) (14).
Celebrex® Long-Term Arthritis Safety Study
Cette étude randomisée contrôlée en double aveugle avait pour
objectif de comparer la tolérance du célécoxib à celle de deux
AINS classiques, l’ibuprofène et le diclofénac.
Là encore, plus de 8 000 patients, d’âge moyen 60 ans, ont été inclus
dans cette étude ; la majorité (72 %) souffrait d’arthrose. À l’inclusion, 60 % des patients prenaient des corticoïdes et environ 10 %
rapportaient des antécédents d’ulcère ou d’hémorragie digestive.
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Les patients ont été randomisés pour être traités soit par du célécoxib (800 mg/j), soit par du diclofénac (150 mg/j), soit, enfin,
par de l’ibuprofène (2 400 mg/j). La différence majeure de cette
étude par rapport à l’étude VIGOR était la possibilité laissée
aux patients de prendre de l’aspirine en prophylaxie cardiovasculaire (jusqu’à 325 mg/j).
Un éditorial paru dans le British Medical Journal a fait grand
bruit en indiquant que les résultats publiés de l’étude CLASS
avaient été tronqués (15). En effet, bien que cette étude ait été
menée sur 13 mois, seule l’analyse intermédiaire à 6 mois a été
publiée, le reste des résultats étant disponible sur Internet. Le
protocole initial spécifiait que l’analyse se ferait en deux
phases : une première analyse comparant des patients traités
par du célécoxib avec ceux traités par AINS (les deux AINS
étant regroupés dans cette analyse), suivie d’une deuxième comparaison individuelle du célécoxib par rapport à chacun des
deux AINS, diclofénac et ibuprofène, étudiés séparément. Le
protocole précisait que le célécoxib ne serait déclaré différent
des AINS conventionnels que si les deux comparaisons lui
étaient favorables. Le critère principal de jugement était la survenue d’une complication de l’ulcère (hémorragie, perforation
et sténose), le critère secondaire étant l’apparition d’un ulcère
compliqué ou d’un ulcère symptomatique.
Dans la publication de l’étude CLASS par Silverstein et al. (13),
la comparaison du célécoxib aux deux AINS étudiés ensemble
montrait que le pourcentage de patients ayant une complication
de l’ulcère n’était pas significativement différent (p = 0,09), alors
qu’une différence significative en faveur du célécoxib (p = 0,02)
était retrouvée pour la survenue d’ulcères compliqués ou symptomatiques. Mais l’analyse préspécifiée par le protocole (13 mois
et deux types de comparaison, cf. supra) montrait que le célécoxib n’était pas différent des AINS étudiés ensemble (p = 0,45),
du diclofénac (p = 0,64) ou de l’ibuprofène (p = 0,414), suggérant même qu’il existait une tendance, non significative, pour une
meilleure tolérance du diclofénac par rapport au célécoxib.
Plusieurs explications ont été proposées pour expliquer cette
absence de différence, la première étant celle d’une censure des
informations, c’est-à-dire que les patients sous diclofénac ayant
plus de symptômes digestifs sortaient de l’étude avant que leurs
ulcères ne se compliquent. Effectivement, le taux de sortie de
l’étude était supérieur dans le groupe diclofénac par rapport au
groupe célécoxib (mais la différence n’était pas significative
entre les groupes ibuprofène et célécoxib). Il est frappant de
voir que les taux de sortie d’étude sont très supérieurs dans cette
étude (globalement proches de 40-45 %) à ceux de l’étude
VIGOR (globalement proches de 6 %). Une analyse réalisée a
posteriori (non prévue dans le protocole) a conduit à la
deuxième explication de cette absence de différence entre le
célécoxib et les AINS conventionnels : l’influence de l’aspirine
utilisée à faible posologie. Dans cette sous-analyse, l’incidence
cumulée de complications de l’ulcère était identique dans le
groupe célécoxib sans aspirine et dans un groupe sans aspirine
et sans AINS. De façon surprenante, l’étude CLASS montrait
que la combinaison AINS et aspirine à faible posologie ne majorait pas le risque d’ulcère compliqué.
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La question de la tolérance digestive des coxibs associés à de l’aspirine à faible posologie est une question difficile. En effet, même
si l’augmentation du risque digestif de cette association est probable comparativement au placebo, la question n’est pas résolue
du meilleur choix de traitement pour les patients nécessitant une
protection cardiovasculaire par aspirine à faible dose et un traitement anti-inflammatoire pour une pathologie ostéo-articulaire.
Une étude réalisée par Chan et al. (17) a comparé, chez des
patients ayant fait une hémorragie d’origine ulcéreuse alors
qu’il prenaient un AINS, la tolérance digestive du célécoxib
(400 mg/j) à celle du diclofénac (150 mg/j) associé à 20 mg
d’oméprazole. Les 287 patients, après guérison de leur ulcère,
étaient randomisés pour recevoir l’un des deux traitements s’ils
étaient négatifs pour H. pylori. Le critère de jugement principal était la récidive d’une hémorragie digestive ulcéreuse. La
différence de probabilité de resaignement durant les 6 mois était
de -1,5 % (IC95 : -6,8 ; +3,8) pour le groupe célécoxib comparé au groupe diclofénac plus oméprazole. Ceci suggère que
le célécoxib seul n’est pas significativement différent de l’association diclofénac + oméprazole pour prévenir la récidive
d’hémorragie digestive d’origine ulcéreuse. De plus, la fréquence d’événements indésirables rénaux n’était pas significativement différente entre les deux groupes.
Ce qui est vrai pour les complications digestives sévères semble
l’être également pour les manifestations moins sévères mais
gênantes comme la dyspepsie non ulcéreuse. En effet, une étude
reprenant des résultats de l’étude CLASS a montré que le célécoxib (800 mg/j) était associé à une meilleure tolérance en rapport avec des symptômes dyspeptiques et une meilleure satisfaction de la part des patients que le diclofénac (150 mg/j) (18).
Effets indésirables digestifs bas
Des données épidémiologiques suggèrent que les AINS sont associés à des effets indésirables digestifs pouvant également atteindre
l’intestin grêle ou le côlon (19). En revanche, les données expérimentales sont peu nombreuses. Laine et al. (20) ont récemment
présenté les résultats d’une étude randomisée, contrôlée en double
aveugle, dans laquelle plus de 8 000 patients arthrosique et ayant
plus de 50 ans (ou plus de 40 ans s’ils prenaient en même temps
des corticoïdes) ont été randomisés pour recevoir soit du
naproxène (1 000 mg/j), soit du rofécoxib (50 mg/j). Le critère
de jugement principal était la survenue d’un événement digestif
bas grave défini par une hémorragie avec perte d’hémoglobine
> 2 g/dl ou hospitalisation, une hospitalisation pour perforation,
occlusion, ulcération ou diverticulite. L’utilisation de rofécoxib
était associée à une diminution significative du risque de survenue d’un effet indésirable sérieux digestif bas (RR = 0,46, IC95
[0,22-0,93] ; p = 0,032). Les effets indésirables digestifs bas
étaient responsables de près de 40 % de la totalité des événements indésirables digestifs sérieux.
Tolérance digestive des coxibs :
que dit la pharmaco-épidémiologie ?
Deux études du même groupe ont été publiées très récemment,
utilisant la même méthodologie. L’identification des prescriptions était réalisée à partir de la base de données de prescription
152
des médecins généralistes de Grande-Bretagne. Ces deux études
ont comparé la fréquence de survenue des événements indésirables digestifs chez les patients recevant soit du rofécoxib (21),
soit du célécoxib (22) (deux inhibiteurs sélectifs de la COX-2)
par rapport à ceux recevant du méloxicam (inhibiteur non sélectif). Comparativement au méloxicam, le rofécoxib diminuait d’un
tiers le taux d’incidence des troubles fonctionnels digestifs, mais
ne modifiait pas le taux d’incidence des complications digestives
(21). En revanche, le célécoxib diminuait ces taux d’un quart et
de près de la moitié respectivement (22). La méthodologie de ces
études peut être discutée, le recueil des données sur les événements digestifs se faisant a posteriori par l’envoi de questionnaires aux médecins généralistes, impliquant que ceux-ci aient
été informés et aient colligé les effets indésirables digestifs.
Une étude actuellement en cours ne peut qu’être évoquée, car
seuls des résultats intermédiaires ont été présentés lors du
congrès de l’American Gastroenterologists Association en
mai 2003. Néanmoins, cette étude cas-contrôle prospective
espagnole conduite par Lanas et al. (16) montre qu’une condition pragmatique de prescription des coxibs n’est pas liée à une
augmentation du risque digestif par rapport au placebo
(RR = 1,3, IC95 [0,6-2,3]) tant qu’ils ne sont pas associés à de
l’aspirine.
CONCLUSION
Les données des études cliniques apportent des informations
parfois contradictoires sur la tolérance digestive des inhibiteurs
sélectifs de la cyclo-oxygénase-2. Cependant, d’après les différentes études cliniques et épidémiologiques, les coxibs semblent
avoir un profil de tolérance digestive meilleur que celui des AINS
conventionnels. La question qui n’est pas encore résolue est celle
de l’évolution de ce risque lors de la prescription simultanée
d’aspirine à faible posologie. Cette question est capitale compte
tenu du risque cardiovasculaire soulevé par l’étude VIGOR (12).
Enfin, une autre question est celle du rapport coût-efficacité de
ces coxibs par rapport aux AINS. Une analyse de coût-efficacité a suggéré que la diminution du risque digestif observée avec
les coxibs ne permet pas de compenser leur surcoût chez des
patients ayant un risque moyen, mais pourrait rendre ces molécules intéressantes dans le sous-groupe de patients ayant des
antécédents d’hémorragie digestive (23). Dans le même temps,
Laine et al. ont récemment remis en question le bénéfice des
coxibs par rapport aux AINS non sélectifs en termes de diminution de l’utilisation des ressources de soin, c’est-à-dire les
actes médicaux, les hospitalisations et l’utilisation de traitements
(24). Qu’en est-il lorsque dans ces populations à haut risque on
associe, sans étude clinique à l’appui, un coxib à un inhibiteur
de la pompe à proton ? En effet, s’il a été montré de façon satisfaisante que le célécoxib n’est pas significativement différent
d’une association de diclofénac et d’oméprazole pour prévenir
la récidive d’hémorragie digestive ulcéreuse, le rapport coûtefficacité d’une association d’un coxib à un IPP reste à démontrer par rapport à une association d’un AINS non sélectif à un
IPP. Les données du suivi post-marketing et les études de pharmaco-épidémiologie permettront sans doute de mieux cerner la
tolérance digestive des coxibs dans une utilisation de médecine
■
courante.
La Lettre du Pharmacologue - Volume 17 - n° 5 - oct.-nov.-déc. 2003
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