Concilier islam et homosexualité, le combat de Ludovic

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Concilier islam et homosexualité, le combat de Ludovic
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Gaëlle Le Roux
2 Avril 2012
France 24.com
Concilier islam et homosexualité, le combat de
Ludovic-Mohamed Zahed
Ludovic-Mohamed Zahed (à
droite), premier musulman
français à s’être marié
religieusement à un homme,
vient de sortir un livre, "Le
Coran et la chair". Il y raconte
son difficile parcours et y
dévoile un interprétation
audacieuse du Coran.
Par Gaëlle LE ROUX
"Aujourd’hui, je suis persuadé que si le prophète Mahomet était encore vivant, il
marierait […] des couples d’homosexuels." L’auteur de ces lignes, Ludovic-Mohamed
Zahed, est un fervent musulman, fin connaisseur du Coran, homosexuel et marié depuis
fin février - avec la bénédiction d’un imam français - à Qiyaammudeen, un Sud-Africain
lui aussi musulman.
Dans son ouvrage "Le Coran et la chair" (Editions Max Milo),
sorti jeudi 29 mars en librairie, le jeune homme livre un
témoignage poignant sur le parcours difficile d’un homosexuel
musulman, parsemé de doutes et d’humiliations.
"L’homosexualité […] n’est pas un choix ; et il faudrait être fou
pour choisir d’être homosexuel lorsque l’on vient du milieu
socioculturel d’où je viens", écrit-il.
Intellectuel brillant, écrivain doué et militant intrépide, LudovicMohamed a fait de l’islam et de l’homosexualité la cause de sa
vie. À travers notamment son association d’aide et de défense
des homosexuels musulmans HM2F (Homosexuels musulmans
de France), mais aussi à travers ses recherches universitaires.
Le jeune homme, qui suit un double cursus en anthropologie et
en psychologie dans la prestigieuse École des hautes études en
sciences sociales (EHESS), se consacre depuis plusieurs
années à préparer un doctorat sur le sujet.
Des coups pour "apprendre à être un homme"
Né en Algérie en 1977, Ludovic-Mohamed est le deuxième garçon d’une famille de trois
enfants. Alors qu’il est âgé de trois ans, ses parents quittent Alger pour s’installer en
région parisienne. La famille ne reviendra au pays que pour les vacances, puis le temps
d’une année dans le chaos algérien des années 1990. Ludovic-Mohamed est un enfant
timide, efféminé. "Je suis entre les deux : un peu fille, un peu garçon", réalise-t-il à l’âge
de 8 ans.
Mais ni son père, "un voyou macho", ni son grand frère ne
l’entendent de cette oreille. "J’ai passé mon enfance avec un
père qui me disait que je n’étais qu’une 'femmelette, une
gonzesse, un pleurnichard'", témoigne le jeune homme. Pour
lui apprendre "à être un homme", son frère aîné le passe
régulièrement à tabac, allant jusqu’à lui casser le nez. "Il
avait honte de son frère ‘malade’", affirme Ludovic-Mohamed
dans son livre.
En quête d’identité, l’adolescent se plonge dans la religion.
Pris en charge par un groupe de salafistes en Algérie, il
apprend par cœur - en arabe - une partie du Coran, prie cinq
fois par jour, observe strictement les enseignements de ses
maîtres. Là aussi, ses manières considérées comme trop
efféminées finissent par déranger ses "frères", qui l’écartent
de leur communauté. Nous sommes alors en 1995, l’Algérie
s’embourbe dans la guerre civile. Le 30 janvier, un camion
bourré d’explosifs dévaste le centre d’Alger. Quarante-deux
personnes perdent la vie. L’attentat est revendiqué par le Groupe islamiste armé, le GIA.
Désert spirituel
"Ce jour là, […] je sens remuer jusqu’à mes tripes de savoir que j’ai, ne serait-ce que de
très loin, quelque chose à voir avec ces gens-là", décrit Ludovic-Mohamed. L’attentat et
son exclusion de la confrérie des salafistes algérois signent "le début d’un très long
désert spirituel, […] quinze ans durant lesquels [il] rejettera violemment l’islam". À 21
ans, il avoue son homosexualité à sa famille. Sa mère en reste inconsolable plusieurs
mois, mais son père, celui-là même qui, pendant de longues années, n’avait pas adressé
la parole à un fils qu’il n’estimait pas assez viril, lui répond : "C’est comme ça, je
comprends, il faut accepter". Une main tendue, enfin bienveillante. À cette époque,
Ludovic-Mohamed est séropositif depuis deux ans.
Malgré sa rupture avec les salafistes, la soif de spiritualité couve au fond de son âme. Le
jeune homme se tourne un temps vers le bouddhisme. "Mais je me suis rendu compte
que la misogynie et l’homophobie sont partout les mêmes", commente le jeune homme,
le regard droit derrière ses lunettes cerclées. Petit à petit, l’islam s’impose de nouveau à
lui. "J’ai recommencé peu à peu à prier, puis je suis allée une première fois faire un
pèlerinage à La Mecque, aux sources de l’islam, pour me réapproprier ma religion,
raconte-t-il. J’ai redécouvert une paix intérieure qui m’avait quittée depuis l’enfance".
À son retour en France, il fonde une première association, Les
enfants du Sida, pour laquelle il voyage autour du monde
pendant toute une année. "Ça m’a permis de me rendre compte
que j’étais quelqu’un de bien, assure-t-il aujourd’hui. J’ai réalisé
aussi que je pouvais être homosexuel, et avoir une pratique
religieuse". Il fonde alors une deuxième association : HM2F,
homosexuels musulmans de France. "L’éthique islamique
actuelle condamne cette orientation sexuelle, mais en fait rien
dans l’islam ou le Coran ne l’interdit, assure-t-il. D’ailleurs,
pendant des siècles, les musulmans ne prenaient pas
l’homosexualité comme l’abomination suprême, comme la
débauche ultime, comme c’est le cas aujourd’hui".
L’apaisement
Sur le sujet, Ludovic-Mohamed est intarissable. "L’homosexualité n’a rien de "contrenature" selon une certaine représentation de l’islam, bien au contraire […]", écrit-il ainsi
dans "Le Coran et la chair". Il érige cette conception de l’islam en un combat de tous les
jours. HM2F l’amène à voyager. Notamment jusqu’en Afrique du Sud, où il participe à
une conférence organisée par une association similaire à la sienne – fondée par un
ancien imam qui, se découvrant homosexuel, a divorcé et s’est consacré à son
organisation. Ludovic-Mohamed y rencontre Qiyaammudeen. Ils se marient civilement
en juin 2011 - le mariage gay, légal en Afrique du Sud, n’est pas reconnu dans
l’Hexagone - puis s’installent en France, en banlieue parisienne, en octobre de la même
année. C’est là que, le 18 février, ils célèbrent religieusement leur union. Une première
en France.
Malgré des détours administratifs kafkaïens pour l’obtention de papiers pour
Qiyaammudeen, malgré les mails et les appels téléphoniques de menace, courants
depuis qu’il a décidé de vivre au grand jour sa foi et son homosexualité, LudovicMohamed a enfin trouvé la quiétude. "Je suis apaisé, affirme-t-il, un fin sourire se
dessinant sur ses lèvres. Je pourrais partir demain, je suis enfin serein."