savez-vous langer leon - Cours de theatre Paris

Transcription

savez-vous langer leon - Cours de theatre Paris
SAVEZ-VOUS LANGER LEON ?
d’Anca VISDEI
PERSONNAGES : GABRIELLE et CHARLOTTE
GABRIELLE, journaliste débordée et écrivain de romans de gare.
Scène au téléphone avec CHARLOTTE. -Scéniquement, l’une se place à cour, l’autre côté
jardin-. Gabrielle s’occupe du bébé, Léon. Le téléphone sonne…
GABRIELLE. Allô ?
CHARLOTTE Je ne te dérange pas ? Tu vas bien ? moi aussi. Je vais te raconter un truc qui
va te passionner...
GABRIELLE (sceptique.) Tu crois... ?
CHARLOTTE Écoute : Clémentine, la belle-fille du frère cadet de mon oncle Georges, tu vois
qui c'est ?
GABRIELLE. Ni Clémentine, ni le frère cadet, ni l'oncle. D'ailleurs, excusez-moi, qui êtesvous ?
CHARLOTTE Mais Charlotte ! Si, tu sais bien, la trésorière en chef adjointe de l'Amicale des
Femmes Aspirantes à la licence en sciences sociales de Tolochenaz... PAFALSS !...
Enfin tu plaisantes, tu ne m'as pas oubliée...
GABRIELLE. C'est que ça fait si longtemps... Dix ans, non ?
CHARLOTTE Ah, le temps n'a aucune importance. Dès que j'ai entendu cette histoire, je me
suis dit : Gabrielle est la seule à pouvoir faire quelque chose.
GABRIELLE. Raconte toujours.
CHARLOTTE Toi qui as une position si solide dans la presse parisienne...
GABRIELLE Comme s'il y avait une seule position solide dans la presse parisienne,
propriétaires de journaux compris... On croit au Père-Noël à Tolochenaz...
CHARLOTTE Voilà donc : Clémentine, la belle-fille du frère cadet...
GABRIELLE. Ok, ok, je me rappelle. Passons au fait...
CHARLOTTE Attends. Tu me fais perdre le fil... Vous êtes terriblement pressés à Paris. Ce
n'est pas pour te critiquer mais tu es devenue incapable de prêter une oreille attentive aux
véritables problèmes humains... Enfin,... ce n'est pas pour te gronder que je t'ai téléphoné,
c'est pour Clémentine. Je disais donc : elle tient un petit commerce à côté d'une école.
Maternelle. Elle s'appelle « Aux Trente Oursons ». Parce qu'il y a trente places. Hi hi ! Tu
vois déjà l'esprit des tenanciers de cet établissement...
GABRIELLE (imitant bébé.) Bou hou hou...
CHARLOTTE Donc : sa boutique se trouve à trois maisons de la maternelle. Mais trois
maisons bourgeoises, belles, cossues, aux façades interminables.
GABRIELLE (imitant toujours un bébé qui pleure.) Bouhouhouhou.
CHARLOTTE Autrement dit : entre la porte de la boutique de Clémentine et celle de la
maternelle t'as trois fois le temps de perdre ta vertu et de redevenir pucelle...
GABRIELLE. Bouhouhou... (Pleine de sollicitude.) J'espère que mon bébé ne te dérange
pas. Il faut le comprendre : cela fait une demi-heure qu'il pleure. Il veut son repas et il est tout
mouillé.
CHARLOTTE Penses-tu ! C'est très sain ça ! Laisse-le pleurer... Il faut qu'il fasse ses
poumons.
GABRIELLE. Merci, ce n'est pas la peine. Il m'a été livré avec ses deux... poumons.
CHARLOTTE (sans écouter.) T'en fais pas. La chirurgie peut tout arranger aujourd'hui.
Même chez les tout-petits... Tu veux l'adresse d'un grand chirurgien ? Je te la donne tout de
suite. Mais tu me promets de ne pas oublier de lui dire que tu viens de ma part...
GABRIELLE. Non, non, pas la peine. C'était juste pour te rendre attentive à un problème
humain : un bébé affamé. Et il n'est pas au tiers-monde. Celui-ci, on peut le sauver, Charlotte
CHARLOTTE Tu veux que je te laisse le nourrir ? J'attends.
GABRIELLE (hurlement.) Non !
CHARLOTTE Faut savoir ce que tu veux, ma vieille. Un coup tu veux le nourrir, ensuite tu ne
veux plus. Bon : j'abrège. C'est tout de même fou. Toi, une fille toute simple, c'est fou comme
Paris, la presse, tout cela t'a monté à la tête. Quand je t'ai connue tu étais si gentille. Tu ne
savais pas dire non, tout simplement.
GABRIELLE. Comme tu vois, cela ne s'est pas arrangé. (Essaye
d'attraper sa seconde botte et de l'enfiler. Bébé joue avec des papiers.) Minou, sois sage !
Ne mange pas de papier !
CHARLOTTE Note que quand je t'ai connue, tu n'avais vraiment pas de quoi pavoiser.
Partie de rien, sans relations, physiquement plutôt quelconque. J’ai pas dit « médiocre », j’ai
dit « quelconque »… Tu ne m'en voudras pas de te le dire mais c'est ça la vérité. A quoi
serviraient les amis sinon à vous dire la vérité...
GABRIELLE (essayant toujours sans succès d'enfiler sa botte.) Au fait, au fait... Clémentine !
CHARLOTTE Forcément, Paris, les journaux tout cela a dû te griser. Sans parler de
l'atmosphère de dépravation qui y règne... Enfin. Voilà : les tenanciers des « Trente
Oursons » ont déposé plainte contre Clémentine, la propre belle-fille du propre frère de oncle
Georges.
GABRIELLE. Minou, lâche ce papier !
CHARLOTTE Il paraît que la devanture est immorale pour les enfants. Tu imagines ?
GABRIELLE. C'est quoi, sa boutique ?
CHARLOTTE Un lieu absolument charmant à l'enseigne lumineuse rouge et noir : Chez
Clémentine.
GABRIELLE. Minou. Surtout n'avale pas ! (Essayant de l'en empêcher, elle lâche sa botte.)
Mais encore ? Elle y vend quoi ? (Changeant de ton.)
CHARLOTTE Ben.... de la lingerie... très branchée. Plutôt transparente, tu vois ? Beaucoup
de cuir. Un stylisme d'avant-garde : des fermoirs partout, des trous à des endroits disons...
originaux.
GABRIELLE. Des dessous affriolants, quoi !...
CHARLOTTE Oh, c'est très professionnel, tu sais ! Disons qu'il s'agit en quelque sorte de
vêtements de travail... Elle a une clientèle très fidèle d'ailleurs, qui commande beaucoup et
revient.
GABRIELLE. Elle fournit les filles du Bois !
CHARLOTTE Pas seulement les filles ! Si tu revenais maintenant à Tolochenaz, tu ne le
reconnaîtrais plus. Au Bois, il y a autant de filles que de types. Des beaux baraqués,
moustachus, en porte-jarretelles. Même que je me demandais combien cela doit coûter. Oh,
ce n'est que de la curiosité... Toi qui es journaliste, tu dois savoir...
GABRIELLE. Aucune idée. Et je crains de ne rien pouvoir faire pour ta Clémentine et ses
fouets.
CHARLOTTE Ah, non, tu ne vas pas commencer comme nos ennemis. Elle ne vend pas de
fouets. Juste des martinets. Et encore. Il n'y en a pas toujours. Faut commander.
GABRIELLE. Bon je ne vois toujours pas. Je suis critique dramatique moi,
occasionnellement littéraire... les beaux-arts, c'est pas mon domaine.
CHARLOTTE M'enfin. Tu ne vas pas me dire que tu ne peux pas alerter les journaux. Cela
te fera un scoop, un beau scandale. Les tenanciers d'une maternelle essayent d'étouffer
l'initiative privée. Car, la moralité des enfants, c'est bien joli, mais il ne faut pas oublier que
Clémentine œuvre pour le bonheur des adultes. La civilisation de l'enfant-roi, c'est fini ! Faut
se défendre.
GABRIELLE (changeant de tactique.) Entendu, c'est un scandale. J'alerterai la presse, le
conseil de l'Ordre, la Présidence, la Cour Constitutionnelle. (Consultant une montre qu'elle
n'a toujours pas.) Oh,
tiens, il est dix heures trente. Si j'appelle tout de suite les rédactions, j'ai encore une chance
que ça passe demain en première page. Je te laisse...
CHARLOTTE Mais qu'est-ce que tu racontes ? C'est cinq heures et quart.
GABRIELLE. Justement, c'est ce que je voulais te dire : cinq heures et quart. Je cours, je
vole au secours de ta Clémentine.
CHARLOTTE Je te retrouve : tu es un ange. Et toi, ça va, tes jumeaux ?
GABRIELLE (défaite.) Je n'ai jamais eu de jumeaux !
CHARLOTTE Oui, c'est vrai, les triplés...
GABRIELLE : (A bout) Je t’emmerde grosse connasse !
CHARLOTTE Oui, des jumeau, triplés, quelle importanc.. Qu’est-ce que tu as dis là ? ? ? ? ?
GABRIELLE : Tu as parfaitement entendu. Je te laisse te le répéter pour toi… « Moi,
Charlotte je suis une GROSSE CONNASSE ! ! ! ! ! ! »
(Elle raccroche)
CHARLOTTE : (A elle même) C’est bien ce que je disais, le show biz, les coktails tout ça…
Ca l’ a un peu changé…