Bac blanc - WebLettres

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Bac blanc : avril 2012 - Séries Technologiques
Objet d'étude : la poésie
Regards de poètes sur eux-mêmes au XIXe siècle
Corpus :
• Document A : Victor Hugo, Les Rayons et les ombres, 1840.
• Document B Théophile Gautier, « Le Pin des Landes », Emaux et Camées, 1852.
• Document C Charles Baudelaire, « L'Albatros », Les Fleurs du mal, 1857.
• Document D : Arthur Rimbaud, « Ma Bohème », Poésies, 1870.
Questions (6 points)
1. À travers une étude de ces différents textes, expliquez quelle image leurs auteurs donnent
du poète et de la création poétique. (3 points)
2. Relevez les différentes images (métaphores ou comparaisons) qui désignent la poésie ou le
poète dans ces textes : laquelle vous semble la plus intéressante ? Justifiez votre réponse. (3
points)
Travail d'écriture (14 points)

Ecrit d'invention
En 1884, Victor Hugo, très âgé, publie à la demande de ses admirateurs un recueil de ses
poèmes les plus engagés. En guise de préface, il signe un véritable manifeste dans lequel il
affirme que les poètes doivent s'engager dans les combats de leur temps. Vous rédigerez ce
manifeste.

Commentaire
Rédigez le commentaire du poème de Rimbaud, « Ma Bohème ». Vous pourrez suivre le parcours de lecture suivant :
 Comment, dans l'écriture, le poète évoque-t-il les conditions de sa fugue ? Quelle
impression en retire-t-il ?
 A travers les choix d'écriture, étudiez l'image que ce poème donne de la création
poétique.

Dissertation
« Les plus désespérés sont les chants les plus beaux
« Et j'en sais d'immortels qui sont de purs sanglots »
écrit Alfred de Musset dans sa Nuit de mai. Commentez et discutez cette affirmation : pensezvous que le poète soit condamné à l'incompréhension, et que la source de toute poésie se
trouve nécessairement dans la souffrance ?
Pour répondre à cette question, vous vous appuierez sur les poèmes du corpus, sur ceux que
vous avez lus en cours et sur votre culture personnelle.
Texte A
Le poète en des jours impies
Vient préparer des jours meilleurs.
Il est l'homme des utopies,
Les pieds ici, les yeux ailleurs.
C’est lui qui, sur toutes les têtes,
En tout temps, pareil aux prophètes,
Dans sa main, où tout peut tenir,
Doit, qu'on l'insulte ou qu'on le loue,
Comme une torche qu'il secoue,
Faire flamboyer l'avenir !
[…]
Peuples ! écoutez le poète !
Ecoutez le rêveur sacré !
Dans votre nuit, sans lui complète,
Lui seul a le front éclairé.
Des temps futurs perçant les ombres,
Lui seul distingue en leurs flancs sombres
Le germe qui n'est pas éclos.
Homme, il est doux comme une femme.
Dieu parle à voix basse à son âme
Comme aux forêts et comme aux flots.
C’est lui qui, malgré les épines,
L'envie et la dérision,
Marche, courbé dans vos ruines,
Ramassant la tradition.
De la tradition féconde
Sort tout ce qui couvre le monde,
Tout ce que le ciel peut bénir.
Toute idée, humaine ou divine,
Qui prend la passé pour racine
A pour feuillage l'avenir.
Victor Hugo, Les Rayons et les ombres, 1840.
Texte B
LE PIN DES LANDES
On ne voit, en passant par les Landes désertes,
Vrai Sahara français, poudré de sable blanc,
Surgir de l'herbe sèche et des flaques d'eau vertes
D'autre arbre que le pin avec sa plaie au flanc.
Car pour lui dérober ses larmes de résine,
L'homme, avare bourreau de la création,
Qui ne vit qu'aux dépens de ceux qu'il assassine,
Dans son tronc douloureux ouvre un large sillon !
Sans regretter son sang qui coule goutte à goutte,
Le pin verse son baume et sa sève qui bout,
Et se tient toujours droit sur le bord de la route,
Comme un soldat blessé qui veut mourir debout.
Le poète est ainsi dans les Landes du monde ;
Lorsqu'il est sans blessure, il garde son trésor.
Il faut qu'il ait au cœur une entaille profonde
Pour épancher ses vers, divines larmes d'or !
Théophile Gautier, Emaux et Camées, 1852.
Texte C
Souvent, pour s'amuser, les hommes d'équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.
A peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d'eux.
Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !
Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid !
L'un agace son bec avec un brûle gueule.
L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait !
Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l'archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l'empêchent de marcher.
Baudelaire, « L'Albatros », 'Spleen et Idéal', III, Les Fleurs du Mal (1857)
Texte D
A la fin de l'été 1870, le jeune Rimbaud (il a 16 ans) fugue pour la seconde fois de la maison familiale, à Charleville, passe
la frontière belge et vagabonde pendant plusieurs semaines.
MA BOHÈME1 (Fantaisie)
Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées ;
Mon paletot2 aussi devenait idéal3,
J'allais sous le ciel, Muse ! et j'étais ton féal4 ;
Oh ! là ! là ! que d'amours splendides j'ai rêvées !
Mon unique culotte5 avait un large trou.
- Petit Poucet rêveur, j'égrenais6 dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande Ourse.
- Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou7.
Et je les écoutais, assis au bord des routes,
Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ;
Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,
Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied près de mon cœur !
Rimbaud, Poésies, 1870.
1
Bohème : à l'origine, région d'Europe de l'Est ; le terme est employé pour parler d'une vie sans règle, sans souci de lendemain.
2
Paletot : manteau
3
idéal : (ici) presque inexistant
4
féal : chevalier qui se soumet à son suzerain, dans le système féodal
5
culotte : pantalon
6
égrener : faire passer dans ses mains, un à un, comme des graines
7
frou-frou : bruit léger produit parle froissement d'une étoffe soyeuse, de plumes...
Sujet de dissertation
Première partie : effectivement, toute une partie de la tradition poétique
associe la poésie à l'idée de souffrance
La poésie est le moyen d'expression privilégié des sentiments personnels
du poète : le registre lyrique y est fréquent, notamment pour exprimer la douleur. Les poèmes se font l'écho des 'chagrins d'amour' de leurs auteurs,
comme c'est le cas pour Louise Labé dans le sonnet « Tant que mes yeux
pourront larmes épandre », ou pour Alfred de Musset lui-même (« J'ai dit à
mon cœur, mort faible cœur... »). D'autres poèmes sont restés célèbres parce
que, exprimant une douleur intime du poète, ils touchent le lecteur par le
caractère universel de cette émotion : lorsque Victor Hugo déplore la mort de
sa fille (« Demain, dès l'aube », Les Contemplations), il trouve les mots pour
tous les parents frappés par ce deuil.
D'autre part, la création elle-même est souvent vue comme un acte de
souffrance, même si les textes écrits ne se font pas l'écho de ce thème. Dans
le poème intitulé « Le Pin des Landes », Théophile Gautier propose une métaphore de la douleur du poète dans sa création : d'après lui, « Il faut qu'il [le
poète] ait au coeur une entaille profonde / Pour épancher ses vers », et le
sillon creusé pour recueillir la résine du pin symbolise cette blessure du
poète. Cette image d'une création douloureuse n'est pas réservée qu'à la poésie, et de nombreuses figures d'artistes y souscrivent, angoissés par la page
blanche, tel Mallarmé, ou, parfois, marqués par la folie de la création (le
peintre Van Gogh, la sculptrice Camille Claudel...).
Enfin, si l'image d'un poète souffrant est si répandue dans la littérature,
c'est aussi parce que les rapports du poète avec son public ne sont pas toujours aisés. A l'image du poète-albatros que décrit Baudelaire dans les Fleurs
du mal, le créateur a souvent été en butte à l'incompréhension ou au blâme
des lecteurs, que le poète représente comme ces marins se moquant du
pauvre oiseau inadapté à la réalité terrestre. Perdu dans son inspiration, son
dialogue privilégié avec l'univers ou même sa mission divine (le poète-phare
de Victor Hugo), le créateur est un être rejeté par ses contemporains ; la figure des poètes « maudits » du XIXème siècle (Verlaine, Rimbaud...) a donné à cette conception un écho particulier.
Deuxième partie : cependant, cette association entre poésie et souffrance, et
cette image du génie incompris, n'est pas toujours valable.
En effet, certains poètes ont été reconnus et acclamés, et ont trouvé, de
leur vivant, public et reconnaissance des grands. A la Renaissance, Pierre de
Ronsard est soutenu par le roi Henri III, qui lui commande par exemple des
poèmes pour célébrer sa maitresse défunte. Au siècle suivant, La Fontaine,
poète lié à l'entourage des grands du royaume de Louis XIV, rencontre le
succès en publiant ses Fables. S'il a vécu, pendant sa courte carrière poétique,
une existence de poète « maudit ». Rimbaud en donne pourtant une image
positive dans le sonnet « Ma Bohème », puisqu'il semble au contraire transformer, par la seule magie de son pouvoir poétique, une fugue misérable en
un hommage libre et fantaisiste à sa Muse.
D'autre part, tous les poèmes ne s'inspirent pas de la souffrance de leur
auteur. Il est des textes lyriques parlant d'amours heureux, chantés par
exemple par Philippe Soupault (« Rien que cette lumière que sèment tes
mains »), des poèmes contemplant la nature et ses mystères, comme « Aube
», de Rimbaud. Certains poèmes ne sont pas lyriques, et ont d'autres buts que
l'expression de sentiments, comme les Fables de La Fontaine ou les « Arts
poétiques », comme celui de Nicolas Boileau, poèmes à visée didactique,
dont l'objectif est d'instruire le lecteur, en lui délivrant un message moral ou
des conseils pour sa propre écriture. Tous les poèmes ne sont pas non plus
conçus dans la souffrance, et il existe même des auteurs qui revendiquent la
création poétique comme un jeu, tels Raymond Queneau ou Michel Leiris,
qui s'amusent à créer Cent milliards de poèmes, grâce à des vers interchangeables (Queneau), ou à détourner, dans un but poétique, des définitions de
dictionnaire (Leiris).
Finalement, une conception plus moderne de la poésie, fondée sur le regard neuf que le poète porte sur les choses, exclut cette idée de souffrance,
dans l'inspiration ou dans la création. Lorsque Guillaume Apollinaire, dans «
Zone » (Alcools), décrit les grâces paradoxales d'une rue ouvrière de Paris, il
n'a pas besoin d'exprimer de la douleur pour que son « chant » soit beau
(même si le même Apollinaire est aussi l'auteur de bouleversants Poèmes à
Lou). De son côté, Francis Ponge prend le Parti pris des choses, et la valeur
de sa description du « pain », de « l'huître » ou de « l'alouette » ne réside pas
dans une quelconque souffrance, mais dans l'intérêt d'un regard qui confère à
une réalité banale de nos vies une signification nouvelle.
Ainsi, si la tradition littéraire a souvent associé à la poésie la souffrance
et l'incompréhension, certaines époques de notre histoire culturelle, et notamment les conceptions plus récentes de la poésie, ont relativisé cette image.
Rimbaud, « Ma Bohème » -Proposition de plan, à partir de
l'analyse linéaire
I- L'évocation fantaisiste de la fuite du Jeune homme
Il - Une fugue poétique
Des conditions matérielles éprouvantes
•
Mention de vêtements en mauvais état : « poches crevées », « paletot
[...] idéal », « unique culotte », « souliers . blessés » : dure réalité de sa
fugue,
•
pauvreté, sans doute souffrance...
Vie de vagabondage : « j'allais sous le ciel », « mon auberge était à la grande
ourse », « assis au bord des routes » : le jeune poète n'a pas de toit, vit
comme un clochard
•
Image des « souliers blessés » : le participe passé est choisi pour
évoquer la souffrance physique, la douleur
•
L'assimilation même au « Petit Poucet » le renvoie à l'image du petit
garçon abandonné, perdu.
Cependant, pas de tristesse : ces aspects sont plutôt traités sur le mode humoristique
•
Présence de détails matériels insolites : « souliers », « culotte », «
paletot », qu'on ne voit jamais apparaître en poésie.
•
Interjection v. 4: « Oh 1 là 1 là 1 » : impression d'un poète qui se
moque de lui-même, ne se prend pas très au sérieux ; même impression dans
les vers 2 et 5, où il évoque sans honte son manteau élimé et son pantalon
troué...
•
Allitération v. 5 en [k] : répétition, comme pour s'en amuser, de sons
peu élégants...
Surtout, cette fugue lui apporte un souffle de liberté, de joie
•
Ponctuation très 'libérée', formée de nombreuses exclamations (v. 3,
4, 14), ou de ruptures de rythme (rejet v. 7, enjambements v. 10-11, 13-14)
•
Expressions qui évoquent le mouvement, vers l'avant : « je m'en allais », « j'allais », « ma course » : poésie dynamique, pas d'immobilisme.
•
Cf. sous-titre : « fantaisie », qui place d'emblée le poème sous l'idée
de la liberté, de l'imagination...
Représentation originale, comme désacralisée, de la poésie
•
Termes étonnants, du registre enfantin (« unique culotte », « Petit
Poucet », « frou-frou ») : impression que le poète est un enfant qui s'amuse
avec des mots interdits, comme « culotte », ou simplement jolis (« frou-frou
») ; enfantillages...
•
Métaphore des vers 6et 7 : « J'égrenais dans ma course / Des rimes »
, mise en évidence par le rejet ; cette image donne l'impression que la poésie
est facile, qu'elle lui vient sans effort ; autre interprétation : la poésie n'est pas
quelque chose de précieux (cette image compare la noble rime à une petite
graine...), on la jette au bord des routes...
•
Comparaison des vers 12 et 13 : les lacets dés souliers sont comparés
aux cordes de la lyre, symbole de la poésie, ce qui n'est pas très valorisant
pour cette dernière... caractère un peu trivial, très libre, à la limite de l'irrespect...
Le poète embellit son évasion grâce à la poésie
•
Lexique de l'imagination (« j'ai rêvées », « Petit Poucet rêveur », «
ombres fantastiques ») : perdu dans l'imaginaire, il n'est pas touché par les
aspects désagréables de sa fugue, par les réalités matérielles.
•
Euphémismes (« paletot [ ... ] idéal », « auberge [ ... 1 à la Grande
Ourse ») : ces expressions atténuent les dures réalités ; c'est la force du force
du poète que d'embellir la réalité par les mots.
•
Pouvoir de l'imagination poétique : transformer la réalité (dimension
magique) : les « étoiles » deviennent des figures féminines bienveillantes («
doux frou-frou »), l'eau devient du vin (« rosée » = « vin de vigueur »).
En fait, sa fuite semble être nécessaire à sa création poétique
•
Rythme et ponctuation du vers 3 [5-1/6] : la Muse est ainsi mise en
évidence sous l'accent ; c'est une sorte de cri, comme un « ouf » de soulagement : il peut enfin, sous le ciel, libérer sa muse et se livrer à l'inspiration.
•
Comparaison finale, aux vers 13 et 14 (lyre/élastiques + polysémie
sur le mot « pied », + enjambement entre les deux vers) : impression que la
marche, c'est-à-dire sa fuite, et la poésie, sont indissociables, réunies dans le
même mot (pied). Il est impossible pour le poète de créer si l'on n'est pas
libre.