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Culture et peau
De l’art du henné (Mehndi) au henné noir
From the art of henna (Mehndi) to black henna
N. Kluger
(Service de dermatologie, hôpital Saint-Éloi, CHU de Montpellier)
Mots-clés : Henné • Tatouage • Paraphénylène diamine •
Eczéma de contact.
Keywords: Henna • tattooing • paraphenylene diamine •
Contact dermatitis.
entre 35 et 45 °C. La plante ne se développe pas en dessous
de 11 °C et meurt à moins de 5 °C. Elle est cultivée dans un
objectif commercial en Inde, au Pakistan, au Maroc, en Iran,
en Afghanistan, en Somalie, au Soudan, en Lybie, en Égypte
et au Bengladesh.
L
e henné est utilisé depuis des siècles
pour l’ornementation corporelle
dans diverses cultures et civilisations,
principalement en Asie du Sud-Ouest
(Inde, Sri Lanka), en Afrique du Nord
(Maghreb), dans la corne de l’Afrique et
au Moyen-Orient. Les motivations sont
diverses, orientées principalement dans
un but d’ornementation corporelle dans
le cadre de célébrations et de fêtes (nuit
du Mehndi), sociales, thérapeutiques et
religieuses (signe de bonne fortune pour
la famille et la vie en général, protection
contre le malheur). Les tatouages temporaires au henné sont devenus une mode
estivale depuis la fin des années 1990
auprès des Occidentaux. Néanmoins,
l’ajout de divers produits chimiques aux
produits traditionnels sont responsables
chaque année de réactions de contact
potentiellement graves.
Préparation de la pâte de henné
Figure 1. Lawsonia inermis
(d’après Adolphus Ypey, Vervolg op
de Afbeeldingen der artseny-gewassen
met dervelver Nederduitsche en
Latynsche beschryvingen, Eerte deel.
1813 Amsterdam, J.C. Sepp en Zoon,
­http://­www.­biolib.­de).
Le lawsone doit avant tout être extrait des
feuilles de henné. Les feuilles fraîchement
cueillies, écrasées et mélangées dans
un milieu modérément acide pourraient
servir pour appliquer le colorant sur la
peau. Cependant, cette méthode d’extrac­
tion quelque peu grossière ne permet
pas d’obtenir une consistance suffisante
pour pouvoir dessiner des motifs fins et
compliqués. C’est pourquoi les feuilles
sont cueillies, séchées et réduites à l’état
de poudre (figure 2). La poudre est ensuite
tamisée et mélangée avec de l’huile, du
citron, du thé et divers autres ingrédients
pour former une pâte. Ainsi, des huiles
essentielles contenant des alcools de
monoterpène, comme l’arbre à thé (Melaleuca alternifolia), l’eucalyptus, le cajeput
(Melaleuca cajeputii) ou la lavande, sont
ajoutées pour modifier les caractéristiques
de la teinture finale et obtenir une couleur
Le terme “henné” correspond au nom arabe (à prononcer
“hinna”) du Lawsonia inermis et Lawsonia alba (famille des
Lythracae), arbuste poussant dans les zones tropicales et
subtropicales semi-arides, en Inde, en Afrique du Nord et sur
les rives orientales de la Méditerranée (figure 1). L. inermis
est un arbuste épineux de 2 à 6 mètres de haut aux feuilles
lancéolées. Il produit une molécule de couleur bordeaux, le
lawsone, qui est concentrée dans les feuilles de la plante
et plus précisément dans ses pétioles. L. inermis est principalement cultivé dans la savane tropicale et dans la zone
aride tropicale entre les latitudes 15° et 25 ° Nord et Sud. La
température optimale pour la production de lawsone se situe
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© Andrey “A.I.” Sitnick
Lawsonia inermis
Figure 2. Poudre de henné.
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plus foncée que le traditionnel orange. Le mélange est laissé
au repos pendant 6 à 12 heures pour permettre à la cellulose
des feuilles de se dissoudre et de récupérer le lawsone.
La pâte ainsi obtenue est appliquée sur la peau en utilisant
un pinceau ou un cône en plastique (figure 3). Il ne s’agit
donc pas d’un “tatouage” au sens propre du terme puisque le
pigment reste appliqué superficiellement. La zone dessinée
est ensuite enveloppée dans un tissu ou un film plastique
(cellophane) pour créer et maintenir un milieu chaud et
humide. L’objectif ultime de cette technique est d’obtenir une
couleur plus intense. L’enveloppement est gardé de plusieurs
heures à toute la nuit et retiré au matin. Le lawsone pénètre
très rapidement dans l’épiderme, mais le temps d’application
est crucial pour conditionner son absorption et l’intensité
finale de la couleur du motif. Pendant l’application, le henné a
tendance à se craqueler et à tomber. Un mélange de sucre et
de citron peut être tamponné sur la pâte sèche, ce qui permet
d’obtenir une couleur plus sombre. Une fois l’enveloppement
et la pâte retirés, le motif apparaît orange, mais ce dernier
vire à l’­auburn ou au rouge/marron dans les 3 jours suivants
(figure 4). Les paumes des mains et les plantes des pieds
ayant une couche d’épiderme plus épaisse, une quantité de
lawsone plus importante est utilisée, si bien que la coloration des extrémités est souvent classiquement plus sombre
et tient plus longtemps. Chauffer la pâte sur la peau ou après
qu’elle a été retirée permet également d’assombrir la couleur
finale. Au contraire, l’eau chlorée et le savon ont une action
délétère sur ce même processus d’assombrissement. Il existe
ainsi de très nombreuses “recettes” mélangeant la poudre
de henné avec différents ingrédients. Le dessin disparaît en
moyenne en 3 à 4 semaines selon le renouvellement de l’épiderme. La qualité du henné, les divers composants de la pâte,
la qualité de peau et le délai d’application de la pâte jouent un
rôle sur la durée de vie du tatouage.
Figure 3. Application de henné avec un cône en plastique.
Le Mehndi : l’art du henné
Le terme Mehndi (qui connaît de grandes variations ortho­
graphiques : Mehandi, Mehendi, etc.) provient du sanskrit (Inde, Pakistan, Bangladesh) et se réfère également
au Lawsonia. Si les deux termes étaient synonymes dans
différentes langues, le terme “henné” est devenu dans le
langage courant la référence à la teinture elle-même, alors
que le terme “Mehndi” se réfère à l’art du henné en général.
On retrouve des traces d’utilisation du henné depuis la
Haute Antiquité comme herbe médicinale en Égypte et en
Syrie, mais également comme teinture capillaire en Inde,
à Rome et en Espagne. Le henné est utilisé pour l’ornementation corporelle depuis la fin de l’âge du bronze
dans la partie orientale de la Méditerranée. Les textes les
plus anciens mentionnant le henné dans le cadre festif du
mariage et de la célébration de la fertilité proviennent de
Figure 4. A. Tatouage au henné du dos des mains. Notez la couleur
orangée caractéristique. B. Tatouage au henné de la paume.
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Syrie. Des peintures murales et des statuettes datant de
500 à 1 500 avant J.C. représentant des femmes avec des
marques sur les ongles, les paumes et les plantes témoignent de cette pratique antique. La Bible fait référence au
henné dans le Cantique des Cantiques, 1:14 “Mon bien-aimé
est pour moi comme une grappe de henné, dans les vignes
d’Enguedi.” Si le terme “camphre” peut encore être retrouvé
dans certaines Bibles, c’est bien au henné que se réfère ce
passage. Par ailleurs, l’utilisation du henné par Mahomet a
assuré sa pérennité et sa popularité dans la religion musulmane.
La nuit du henné, ou Mehndi, est célébrée par les différentes
civilisations méditerranéennes et orientales, qu’elles soient
juives, musulmanes, chrétiennes ou hindoues. La mariée – et
parfois le jeune marié – est célébrée par une ornementation
corporelle au henné. C’est la mariée qui reçoit le plus de
henné, avec des dessins raffinés et complexes afin d’attirer
joie, bonheur et chance (figure 5). Dans certaines traditions
(Yémen), le processus d’application du henné prend jusqu’à
5 jours. Par ailleurs, diverses fêtes religieuses comme l’Aïd,
Mawlid, Pourim, Pâque, Divālā, Norouz, etc., mais également
des événements importants et joyeux de la vie comme une
grossesse, une naissance, des fiançailles, la circoncision, les
anniversaires, et, de tradition plus ancienne, les victoires à la
guerre, sont l’occasion d’utiliser le henné. Le henné est donc
traditionnellement associé à des motifs de réjouissance.
Le henné est utilisé très largement dans les teintures capillaires, les shampooings et les produits cosmétiques, mais
également comme agent conservateur pour le cuir et les
tissus, et comme antifongique et répulsif contre les parasites
et les moisissures. Les fleurs de henné sont également utilisées pour leur parfum.
Une popularité grandissante
La popularité actuelle du tatouage au henné réside dans sa
facilité d’application, son caractère temporaire et totalement
indolore, l’absence de soins après application et son innocuité.
Il n’existe aucun risque infectieux et les réactions allergiques
au henné sont extrêmement rares. Quelques cas de dermatites de contact et de réactions d’hypersensibilité immédiate
au lawsone (urticaire, rhinite, signes respiratoires) ont été
rapportés, dont la composition chimique est 2-hydroxy-1-4naphtoquinone. Le potentiel de sensibilisation du henné est
considéré comme négligeable.
Le tatouage temporaire offre ainsi des avantages indéniables
pour toute personne désireuse d’arborer une ornementation corporelle sans les inconvénients des tatouages permanents (douleur, regret au long cours, refus parental, etc.).
Cela explique également l’attrait des plus jeunes pour cette
pratique. De plus, aucune compétence ou talent n’est requis
par l’artiste pour appliquer ces tatouages.
Figure 5. Nuit du Mehndi en Inde. Tatouages au henné des mains, des jambes et des pieds chez une future mariée.
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Le henné noir
Comment expliquer qu’une telle pratique ancienne et bien
tolérée jusqu’à présent puisse soudain être à l’origine d’un si
grand nombre de cas de dermatites de contact ? Le principal
inconvénient du henné naturel est le long délai d’application
nécessaire pour obtenir le maintien du dessin sur la peau.
De plus, le henné naturel donne une teinte orangée, moins
appréciée qu’une teinte noire corbeau. Les artistes de rue
des stations touristiques utilisent du henné noir (black henna
tattoo), qui n’existe pas naturellement. Pour obtenir cette
teinte, des ingrédients sont ajoutés, dont principalement la
para-phénylènediamine (PPD). Ajoutée au henné, la PPD
présente plusieurs avantages : tatouage plus noir, accélération du processus de séchage (quelques minutes à 2 heures),
et augmentation de la durée de vie du tatouage. Ainsi, les lots
commerciaux de henné noir peuvent contenir de la PPD alors
même que le composé actif du henné naturel est parfois totalement absent. La concentration de PPD atteindrait jusqu’à
16 %, voire plus, bien au-delà des normes autorisées (6 %)
dans les teintures capillaires commercialisées en Europe. En
général, les complications du tatouage ne sont donc pas dues
au henné mais aux divers ingrédients ajoutés, la PPD arrivant en tête, avec d’autres colorants chimiques de la même
famille.
bilisation préalable. Au long cours, des cicatrices hypertrophiques/chéloïdes ou des troubles pigmentaires transitoires
ou permanents (hyper- ou hypopigmentation) dessinant “en
négatif” le tatouage temporaire peuvent persister et induire
des sensibilisations de contact à divers produits (PPD, teintures capillaires, colorants textiles, thiuram, etc.). Les explorations consistent essentiellement en la réalisation de patch
tests (PT) à distance de l’épisode aigu pour évaluer l’état de
sensibilisation. Le PT à la PPD est conseillé uniquement si
La PPD est un puissant sensibilisant, du groupe des paraaminobenzènes, responsable de dermatites de contact
allergiques et plus exceptionnellement de réactions d’hypersensibilité immédiate (urticaire, angio-œdème, choc
anaphylactoïde). Les individus allergiques à la PPD peuvent
également être sensibles à d’autres produits apparentés sur
le plan structurel, comme les colorants textiles et des médicaments. La survenue d’un eczéma de contact est corrélée
au temps de contact et à la concentration de PPD. De plus,
l’ajout fréquent d’autres ingrédients mentionnés précédemment pour améliorer la pénétration de la substance, réduire
le temps d’application et intensifier la couleur, l’utilisation de
solvants organiques pour dissoudre la PPD et la mise sous
occlusion en milieu humide contribueraient à augmenter les
propriétés sensibilisantes de la PPD.
Les complications des tatouages temporaires
au henné noir
La dermatite de contact se caractérise le plus souvent par
une éruption cutanée papulo-vésiculeuse, plus ou moins
prurigineuse, parfois douloureuse et invalidante, strictement localisée au site du tatouage, de sévérité variable
mais pouvant aller jusqu’à une éruption bulleuse (figure 6).
Très rarement, des signes généraux, voire une mise en jeu
du pronostic vital, ont été rapportés. L’éruption survient en
moyenne dans les 7 à 15 jours après la pose, mais la PPD
est un sensibilisant tellement puissant qu’elle peut entraîner
une réaction dans les 48 à 72 heures en l’absence de sensi-
Figure 6. A. Réaction bulleuse avec œdème du membre supérieur
et adénopathie axillaire dans les 24-48 heures après un tatouage
au henné noir. B. Réaction vésiculo-pustuleuse de l’épaule chez
le même patient.
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Une absence de législation
À ce jour, il n’existe aucune régulation de la pratique du
tatouage au henné. Le contrôle du circuit de distribution des
produits et des lieux de réalisation des tatouages est difficile
(plages, marchés…). La PPD est réservée en cosmétique aux
teintures capillaires aux États-Unis et en Europe. Son taux est
limité à 6 % dans les teintures capillaires dans l’Union européenne. La PPD et les autres diaminobenzènes sont proscrits
en application sur la peau, les cils et les sourcils. Les législations américaine et européenne interdisent l’importation de
tatouages temporaires qui ne sont pas conformes (présence
de PPD, absence de composition des ingrédients).
Conclusion
Le tatouage au henné offre une alternative très attractive aux
tatouages permanents, particulièrement prisés par les jeunes
en période estivale, le caractère temporaire donnant une
fausse impression de sécurité. Le consommateur doit être
informé des risques aigus et chroniques encourus par l’application de henné noir sur la peau. En l’absence de législation, la prévention passe essentiellement par une information
régulière annuelle du grand public, notamment des jeunes
adultes et des parents avant la période estivale, à l’image du
communiqué de presse annuel de l’Afssaps. Une affichette
illustrant la mise en garde de l’utilisation des tatouages
éphémères est disponible sur le site Internet de l’Afssaps
(figure 7). Enfin, tout effet indésirable consécutif à l’utilisation
de produits cosmétiques doit être déclaré à l’Afssaps.
II
Figure 7. Affichette de prévention de l’Afssaps avertissant des
dangers du tatouage au henné noir (2008, http://www.afssaps.fr).
Pour en savoir plus
besoin et doit se faire à une dilution plus faible que celle habituellement utilisée (0,01 % au lieu de 1 % dans la vaseline)
afin d’éviter les réactions explosives. En revanche, des PT au
henné (10 mg de poudre dans 100 ml d’eau ou d’alcool) et
au lawsone (1 % dans l’eau, 1, 5 ou 10 % dans la vaseline)
sont en général négatifs. Ces deux derniers produits doivent
être testés car le henné naturel peut être proposé comme une
alternative, notamment pour les teintures capillaires.
▶▶ Kluger N, Raison-Peyron N, Guillot B. Tatouages temporaires au henné :
des effets indésirables parfois graves. Presse Med 2008;37(7-8):1138-42.
▶▶ http://www.hennapage.com/henna/encyclopedia/index.html
▶▶ http://www.hennacaravan.com/shop/terps.html
▶▶ http://www.afssaps.fr
▶▶ http://www.afssaps.fr/Infos-de-securite/Communiques-de-presse/
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