Communication du professeur MELEDJE PDF
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COUR DE JUSTICE de 1 L’UNION ECONOMIQUE ET MONETAIRE OUEST AFRICAINE (UEMOA) ----- TROISIEME RENCONTRE INTER-JURIDICTIONNELLE DES COURSCOMMUNAUTAIRES DE « l’UEMOA, LA CEMAC, LA CEDEAO ET DE l’OHADA » DAKAR 4, 5, 6 MAI 2010 L'APPROPRIATION DES NORMES COMMUNAUTAIRES PAR LES MILIEUX UNIVERSITAIRES ET LE MONDE JUDICIAIRE Propos liminaire Dans le courrier qui m’avait été adressé en février 2010 par Monsieur le Président de la Cour de Justice de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) m’invitant à proposer un thème général pour la rencontre inter juridictionnelle pour l’année en cours, des Termes de références ont été ainsi formulés : A l’occasion des rencontres de Cotonou (mai 2008) et Bamako (février 2009) où des thèmes importants ont été présentés, plusieurs recommandations ont été faites parmi lesquelles : -L’adoption par les Etats de mesures destinées à favoriser l’exécution des décisions rendues par les juridictions communautaires, notamment dans la désignation de l’autorité chargée d’apposer la formule exécutoire, et le respect de la jurisprudence communautaire par les juridictions nationales; -L’appropriation des normes communautaires par les acteurs du monde judiciaire (avocats, magistrats…) par le biais des séminaires de sensibilisation au droit communautaire. C’est pourquoi dans le cadre du travail déjà entrepris, il est apparu nécessaire de mettre l’accent sur les conditions de mise en œuvre effective des recommandations. Je me suis permis, en suivant alors les indications de proposer le thème ainsi formulé : L'APPRIOPRIATION DES NORMES COMMUNAUTAIRES PAR LES MILIEUX UNIVERSITAIRES ET LE MONDE JUDICIAIRE. Dans un courrier du 19 mars 2010, Monsieur le Président de la Cour de Justice de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) m’a fait l’honneur de me demander de présenter une communication selon le thème que j’ai proposé. 2 INTRODUCTION GENERALE Jusqu’à présent, les questions se rapportant au droit communautaire ont été examinées exclusivement sous un angle strictement formel mettant en avant le contenu des normes, les procédures d’application des normes, l’articulation entre les institutions et entre les normes. Un accent particulier est alors mis sur le phénomène de judiciarisation du droit communautaire, un droit pourtant si jeune, et peut-être précoce. Dans le droit international général des principes existent qui sont destinés à renforcer l’application des obligations coutumières et conventionnelles auxquelles ont souscrit les Etats : Pacta sunt servanda, estoppel, bonne foi, etc. Dans le droit commun, on invoque le principe Nemo censetur ignorare legem. Et pourtant de réelles résistances au droit communautaire se manifestent, y compris de la part de gouvernements d’Etats signataires des traités constitutifs, les juges nationaux, et les milieux d’affaires qui peuvent trouver certaines règles trop contraignantes ou inadaptées au contexte local. Comment alors faire se réaliser ce droit dans les ordres (espaces) juridiques concernés et sans que cela n’apparaisse comme une contrainte vécue, une obligation subie. Une approche de sociologie juridique peut nous aider à renforcer les processus d’adhésion des acteurs sociaux et des institutions au droit communautaire, à consolider le chemin vers l’intégration régionale. C’est sous cet angle que le concept d’appropriation du droit apparaît justement indiqué pour tenir compte des processus par lesquels les acteurs sociaux font siens les normes juridiques. La sociologie politique explique que face à la norme juridique, il y a deux attitudes possibles : soit le refus de s’incliner devant la norme juridique (qui peut prendre la forme d’un comportement de fuite ou alors d’une rébellion), soit la soumission à la norme. Quand on choisit la seconde alternative, précise Philippe BRAUD, « la meilleure manière de s’incliner, tout en réduisant le coût psychologique de l’atteinte portée à l’autonomie du sujet, c’est encore d’opérer un véritable travail d’appropriation de la règle extérieure. Au terme du processus, l’individu faisant siennes des injonctions sociales incontournables, en arrive à les vivre comme émanant de sa volonté personnelle, de sa conscience intime. Il légitime son obéissance (forcée) soit moralement au nom du civisme ou de normes éthiques, soit rationnellement au nom des nécessaires disciplines de la vie en société.1» Le sens ainsi donné au concept d’appropriation de la règle n’est pas nouveau en droit, même si cette expression n’est pas encore rentrée dans le Vocabulaire juridique2 et dans le Lexique des termes juridiques. Depuis quelques années, de plus 1 2 Philippe BRAUD, Sociologie politique. Paris, Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence, 2004. Gérard CORNU, Vocabulaire juridique. Presses Universitaires de France, 2007. 3 en plus de réflexions et d’études lui sont consacrées3. Les recommandations des rencontres inter-juridictionnelles de Cotonou et de Bamako ont eu recours à cette expression, certainement pour mieux souligner la nécessité de développer les moyens permettant de faire entrer le droit communautaire dans les mœurs, de permettre aux acteurs sociaux, y compris les particuliers de connaitre les normes communautaires, de « se les approprier pour en revendiquer l’application directe à leur situation.4» L’intégration sous régionale ou régionale apparaît depuis quelques décennies et plus encore aujourd’hui pour les peuples d’Afrique, comme le meilleur moyen pour relever le défi du développement dans ce monde entièrement globalisé. Ainsi divers regroupements sous régionaux d’Etats (Etats africains francophones en général (Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires), Etats anglophones, francophones et lusophones d’Afrique de l’Ouest (Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest), Etats francophones et lusophones d’Afrique de l’Ouest (Union Economique et Monétaire Ouest Africaine), Etats francophones d’Afrique centrale (CEMAC)) ont, par la signature de divers traités, donné naissance à des institutions à vocation sous-régionales à caractère économique et monétaire dans la partie ouest africaine et au centre. Ce sont la CEDEAO créée en 1975, l’UEMOA existante depuis 1994, la CEMAC et enfin au niveau de toute l’Afrique francophone, l’OHADA créée le 17 octobre 1993. Convaincu que pour réussir l’intégration économique, il faut de prime abord s’employer à la réalisation de l’intégration juridique, l’existence de ces institutions a permis l’élaboration d’un droit primaire (les dispositions du traité constitutif) et d’un droit dérivé (composé de règlement, de directives) qui constitue le droit communautaire. Analyser la question de l’appropriation des normes communautaires revient donc à s’interroger non seulement sur l’incorporation des normes communautaires, leur intégration, leur ‘’incrustation’’ dans l’ordonnancement juridique interne des Etats membres de ces organisations mais également l’insertion de ces normes dans les mœurs. C’est une sorte de « nationalisation », d’adaptation de normes internationales à la charge des Etats membres de ces organisations et de toutes leurs autorités : autorités législatives, administratives, judiciaire et de toute la société civile d’une façon générale. Avant tout, il faut en effet que les textes nationaux soient 3 Voir les travaux de l’Institut Fédératif de Recherche (IFR) de l’Université des Sciences sociales de Toulouse. Mutations des normes juridiques – No. 5 – 2005. 4 Philippe RAIMBAULT, Petite histoire d’une appropriation du droit par les citoyens : la subjectivisation des "lois du service public". in, Jacques KRYNEN et Maryvonne HECQUARD-THERON (Sous la direction de), Regards critiques sur quelques (r)évolutions récentes du droit. Toulouse, Presses de l’Université des Sciences sociales de Toulouse, 2005. pp. 523 et s. 4 conformes aux normes communautaires ; l’expression « transposition des textes communautaires » est trouvée pour traduire le processus d’appropriation du droit5. Les historiens du droit explique que la diffusion du droit romain au XIIème et XIIIème siècles, en Italie et dans le sud de la France s’est opérée à travers l’activité des marchands ainsi que la pénétration des droits savants dans la pratique6. Le monde des affaires est en effet aujourd’hui comme hier, en général porté vers une logique d’extension de ses activités et par conséquent de soumission –certes pas toujours loyale- à la lex mercatoria. Ce monde continue donc à sa manière, de diffuser le droit communautaire. Cet aspect de la diffusion du droit communautaire, de son appropriation est à analyser. Mais c’est surtout l’influence des juristes qui permet le développement du droit7. L’appropriation des normes communautaires dans leur pureté -et non sous l’influence des pratiques commerciales- est effectuée à travers le droit savant ; elle devrait être renforcée par ce droit savant. On constate ainsi que l’appropriation du droit communautaire procède aussi bien de la judiciarisation de ce droit (I) que son enseignement et sa diffusion (II). IL’APPROPRIATION DU DROIT COMMUNAUTAIRE PAR LA JUDICIARISATION La judiciarisation apparait comme le mode principal ou privilégié d’appropriation du droit communautaire. Les règles étant formées, on peut dire qu’il ne reste plus qu’à les traduire en forme juridictionnelle lorsque les conflits s’élèvent. Le droit « sur pied de guerre », ainsi qu’on peut le dire, (par opposition au droit « au repos ») est ainsi l’occasion de donner plus d’amplitude au droit, de la même manière qu’on peut dire que « l’observation des cas cliniques contribue au progrès de la biologie.8» Cette opération est d’abord l’affaire du juge communautaire qui doit veiller au respect du droit dont il a la charge et à sa bonne application pour laquelle il est justement institué (A) ; viennent ensuite les juges nationaux qui par certaines décisions vouent une révérence au droit communautaire (B). 5 En Côte d’Ivoire, les textes relatifs aux Nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) ne sont pas alignés sur ceux de la CEDEAO et de l’UEMOA en la matière ; une situation que les autorités ivoiriennes veulent corriger. Ainsi il s’est ouvert le mercredi 7 avril 2010 à Grand-Bassam, un atelier sur la transposition des textes communautaires de la CEDEAO et de l’UEMOA dans la législation nationale, dans lesdits domaines. 6 Jean-Marie CARBASSE, Introduction historique au droit. Paris, PUF, Collection Droit fondamental, 3è édition, 2001. pp. 138 et s. Jean-Louis THIREAU, Introduction historique au droit. Paris, Flammarion, Collection ChampsUniversité, Deuxième édition, 2003. pp. 145 et s. 7 Jacques ELLUL, Histoire des institutions. Le Moyen Âge. Paris, Presses Universitaires de France, Collection Quadrige, 1999. pp. 347 et s. 8 Jean CARBONNIER, Sociologie juridique. Paris, Librairie Armand Colin, Collection U, 1972. p. 120. 5 A/ L’appropriation des normes par le juge communautaire Le juge communautaire rend des décisions qui traduisent sa volonté de voir ce droit s’imposer dans l’ordre communautaire (1) ; il s’efforce par ailleurs de faire connaitre davantage ce droit par la publication des décisions et avis (2) 1/ La teneur des actes juridictionnels Les traités d’intégration de la CEDEAO et de l’UEMOA prévoient chacun l’institution d’organe de contrôle juridictionnel composés d’une Cour de justice et d’une Cour des comptes dont la mission est de veiller au respect du droit communautaire quant à son interprétation et à son application. La démarche du juge communautaire dans l’interprétation des engagements internationaux des Etats membres peut, en raison de la perspective non seulement juridictionnelle mais aussi pédagogique, constituer un facteur extrêmement important d’appropriation du droit en vigueur entre les Etats membres. L’Avis N° 001/2003 du 18 mars 2003 de la Cour de Justice de l’UEMOA portant Demande d’avis de la Commission de l’UEMOA relative à la création d’une Cour des Comptes au Mali, est un modèle du genre. C’est en vertu de cette disposition [l’article 68 du traité de l’Union] que fut prise la Directive n°02/2000/CM/UEMOA du 29 juin 2000 qui demande à chaque Etat membre de créer une Cour des Comptes autonome au plus tard le 31 décembre 2002. Pour ce faire, le Mali avait décidé de réviser sa Constitution notamment en ses articles 81 et suivants sur l’organisation judiciaire. En droit positif malien, les conditions d’applicabilité en droit interne des normes internationales et au sein de celles-ci des normes communautaires ainsi que leur autorité vis-à-vis des normes nationales sont définies par la Constitution. La primauté du Traité de l’UEMOA et des normes dérivées trouve sa consécration expresse non seulement en son article 6, mais aussi dans l’article 116 de la Constitution de la République du Mali qui dispose : « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve pour chaque traité ou accord de son application par l’autre partie ». Aux termes de cet article, les conditions d’introduction des normes internationales en droit interne malien sont au nombre de trois. Ainsi, une convention doit avoir été régulièrement ratifiée ou approuvée et avoir fait l’objet d’une publication au journal officiel de la République ; enfin, elle ne sera applicable en droit interne que dans la mesure où elle est appliquée par l’autre partie. En outre, l’Etat du Mali a adhéré en 1994 à l’UEMOA dont le Traité a défini les rapports entre le droit communautaire et les droits nationaux des Etats membres, en disposant en son article 43 : «Les règlements ont une portée générale. Ils sont obligatoires dans tous leurs éléments et sont directement applicables dans tout Etat membre. Les directives lient tout Etat membre quant aux résultats à atteindre. 6 Les décisions sont obligatoires dans tous leurs éléments pour les destinataires qu’elles désignent. Les recommandations et les avis n’ont pas de force exécutoire ». La primauté bénéficie à toutes les normes communautaires, primaires comme dérivées, immédiatement applicables ou non, et s’exerce à l’encontre de toutes les normes nationales administratives, législatives, juridictionnelles et, même constitutionnelles parce que l’ordre juridique communautaire l’emporte dans son intégralité sur les ordres juridiques nationaux. Les Etats ont le devoir de veiller à ce qu’une norme de droit national incompatible avec une norme de droit communautaire qui répond aux engagements qu’ils ont pris, ne puisse pas être valablement opposée à celle-ci. Cette obligation est le corollaire de la supériorité de la norme communautaire sur la norme interne. Ainsi le juge national, en présence d’une contrariété entre le droit communautaire et une règle de droit interne, devra faire prévaloir le premier sur la seconde en appliquant l’un et en écartant l’autre. EN CONCLUSION La Cour est d’avis que : - le Traité de l’UEMOA consacre la primauté de la législation communautaire sur celle des Etats membres ; - à ce titre la Directive n°02/2000/CM/UEMOA du 29 juin 2000 portant adoption du Code de transparence dans la gestion des finances publiques au sein de l’UEMOA, doit, dès son entrée en vigueur, être pleinement appliquée en République du Mali ; - il appartient donc à l’Etat malien de prendre toutes les dispositions nécessaires à l’application de cette directive en la transposant immédiatement dans son droit positif interne, le délai de transposition prévu étant épuisé, au risque d’encourir un recours en manquement. La Cour de Justice déroule ainsi patiemment et progressivement son argumentation relativement à la supériorité du droit de l’UEMOA sur le droit national du Mali. Tel que présentée par la Cour de justice, la primauté du droit communautaire ne devrait souffrir d’aucune contestation. Dans l’UEMOA, en matière de concurrence l’appropriation des normes communautaires se traduirait par l’effectivité du contrôle juridictionnel dévolu à la Cour de justice sur les organes indépendants notamment sur la commission, organe décisionnel en matière de concurrence chargé sous le contrôle de la Cour de justice de l’application des règles de concurrence prescrites par les articles 88 et 89 du traité. Dans le cadre de cette mission, elle dispose du pouvoir de prendre des décisions. La Cour est en effet compétente pour assurer le contrôle de la légalité des décisions prises par la commission dans l’exercice de ses pouvoirs. Elle peut à cette fin être saisie par les Etats ou par le Conseil de l’Union et, le cas échéant par une personne physique ou morale lésée par l’acte. lorsque la commission exerce un pouvoir de sanction, la Cour a une compétence de pleine juridiction, puisqu’elle peut « modifier ou annuler les décisions, réduire ou augmenter le montant des amendes 7 ou des astreintes, ou imposer des obligations particulières » (art.31 du règlement 03/2002). Le juge communautaire de l’UEMOA peut aussi contrôler l’action des instances nationales de la concurrence à travers le recours en manquement dont elle peut être saisie par la Commission. Le Traité OHADA prévoit lui aussi une Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) chargée d’assurer dans les Etats parties l’interprétation et l’application du traité, des règlements pris pour son application et des actes uniformes. S’agissant de la CEMAC, il existe une Cour de justice qui comprend une chambre des comptes et une chambre judiciaire et la Commission Bancaire des Etats d’Afrique Centrale (COBAC), organe communautaire à fonction semi-juridictionnel investi d’un pouvoir de contrôle important en matière de contrôle de la profession bancaire et des activités s’y rattachant. La Cour de justice de la CEDEAO, en situation quasi inertie a aujourd’hui fini par se trouver une nouvelle énergie avec l’adoption, en décembre 2001, du Protocole A/SP1/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance, et surtout l’adoption, le 19 janvier 2005, du Protocole additionnel (A/SP.1/01/05) portant Amendement du Protocole (A/P.1/7/91) Relatif à la Cour de justice de la Communauté donnant à la Cour de justice, « compétence pour connaître des cas de violation des droits de l’Homme dans tout Etat membre.» Sur la base de ces changements, la Cour de justice de la Communauté s’est trouvée une vitalité en s’appropriant la protection des droits de l’homme dans la sous région ; l’arrêt No. ECW/CCJ/JUD/06/08 rendu le 27 octobre 2008 dans l’affaire Dame Hadjidatou MANI KORAOU à l’occasion de laquelle elle condamne le gouvernement du Niger pour pratique d’esclavage, est à cet effet suffisamment éloquent. Ces juridictions communautaires s’approprient le droit communautaire à travers l’interprétation qu’elles font des normes communautaires, des avis qu’elles rendent ainsi que des décisions qu’elles rendent. A travers ces trois éléments, les juridictions communautaires non seulement s’approprient ce droit mais orientent les autorités judiciaires nationales et les amène à s’approprier ces normes car les juridictions nationales se doivent de les suivre pour faire appliquer les normes communautaires au plan national. 2/ La publication des décisions et avis La recherche juridique, source d’appropriation du droit doit elle-même être alimentée par l’information et la documentation juridiques9. Les organisations 9 Jean-Luc AUBERT, Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil. Paris, Armand Colin, 8è édition, 2000. pp. 57-58. Jean-Louis BERGEL, Théorie générale du droit. Paris, Dalloz, Deuxième édition, 1989. pp. 62 et s. Jacques GHESTIN et Gilles GOUBEAUX, avec le concours de Muriel FABRE-MAGNAN, Traité de Droit civil. Introduction générale. Paris, Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence, 1994, 4è édition. pp. 48 et s. Philippe MALAURIE et Laurent AYNES, Droit civil, Introduction générale. Paris, Editions Cujas, 2ème édition, 1994. 8 communautaires africaines s’efforcent de faire connaitre leurs actes et surtout ceux à caractère juridictionnel. Plusieurs A titre d’illustration, on peut citer quelques avis et décisions rendus par les juges communautaires : L’UEMOA a publié, à selon les informations à notre disposition, deux numéros d’un recueil de jurisprudence de la Cour de l’UEMOA en 2002 et en 200410.. -Pour la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) : il existe un recueil de jurisprudences de la CCJA, de publication régulière (tel nombre à ce jour) qui témoigne de l’appropriation des normes communautaires OHADA non seulement par cette juridiction elle-même mais par les juges nationaux puisque la CCJA est à la différence des autres juridictions susvisée, juridiction de cassation, compétente pour connaître des recours contre les décisions rendues par les juridictions nationales de 1er et 2nd degré. Le nombre de recours portés à la connaissance de la CCJA est en constante augmentation. Le nombre d'arrêts rendus par la Cour se chiffre à plus d’une centaine. La tendance à la hausse semble se confirmer chaque année. Par conséquent, il est possible qu'à un moment ou à un autre, une restructuration ou une augmentation des effectifs de la CCJA devienne nécessaire afin de faire face à la demande. -Il existe également un recueil de jurisprudences nationales OHADA (OHADA jurisprudences nationales, agence intergouvernementale de la francophonie, n°1Décembre 2004.). L’objectif du recueil est de fournir aux étudiants, avocats, professeurs et autres groupes une sélection des arrêts rendus par les juridictions des Etats membres. Il ambitionne de rendre compte de l’interprétation faite par les juridictions nationales des actes uniformes. Etant donné qu’à peine 5 % de leurs contentieux sont pour le moment déférés devant la CCJA. La compilation proposée n’est pas exhaustive. Quant à la Cour de Justice de la CEDEAO, elle s’apprête à faire publier un recueil de ses décisions. En marge des recueils des organismes communautaires, des auteurs, le plus souvent des universitaires, ont investi le champ de la publication dans ce domaine11. 10 UEMOA, Recueil de jurisprudence de la Cour de justice, N°1-2002, 172 pages, N° 01-2004, 191 pages. Ouagadougou, Burkina Faso. Ces recueils comprennent plus d’une douzaine d’arrêts, une dizaine d’avis, deux ordonnances. Voir Demba SY, L’activité de la Cour de justice de l’UEMOA. Nouvelles Annales Africaines, Revue de la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques. N° 1 – 2007. pp. 231 et s. 11 La publicité faite au droit communautaire est particulièrement prononcée en ce qui concerne l’OHADA. Voir notamment en ce qui concerne le Traité OHADA, Joseph ISSA-SAYEGH, Paul-Gérard POUGOUE et Filiga Michel SAWADOGO (Sous la direction de), OHADA. Traité et Actes uniformes commentés et annotés. Juriscope, 2002. Félix ONANA ETOUNDI et Jean Michel MBOCK BIUMLA (avec la participation de : Marie Joseph DE BOIDEFFRE et Claire Moore DICKERSON), Cinq ans de jurisprudence commentée de la Cour de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA (CCJA) (1999-2004). Yaoundé, Presses de l’AMA, 1ère édition, 2005. 9 Tout ceci contribue sans aucun doute à la diffusion du droit communautaire, à une meilleure connaissance de ce droit et enfin de compte à son appropriation. B/ La révérence du juge national au droit communautaire Si le juge communautaire peut revendiquer le statut privilégié qu’il a dans la mise en œuvre du droit communautaire, il est évident que c’est surtout le juge national qui, en raison des liens institutionnels et psychologiques qu’il a avec les autorités du pays, apparait comme ayant la position la plus déterminante pour œuvrer à l’appropriation du droit communautaire. On peut distinguer deux moments dans l’intervention du juge national auquel il est confronté au droit communautaire ; pour schématiser, on distinguera donc deux catégories de décisions : d’une part, les décisions de constitutionnalité se rapportant aux normes initiales ; d’autre part, les actes juridictionnels (qui peuvent être des décisions du juge constitutionnel ou des actes rendus par les juridictions administratives ou judiciaires) concernant le droit communautaire dérivé. Dans les deux situations, la position du juge national est particulièrement déterminante pour obliger les autorités nationales à appliquer le droit communautaire ; c’est surtout à travers la tonalité de la décision rendue, en d’autres termes, le discours du juge, que les autorités politiques et administratives – et à condition que la culture de l’Etat de droit, de la soumission au droit soit présenteprennent davantage conscience de la nécessité de se soumettre au droit supra national. Non seulement la primauté du droit communautaire mais aussi surtout l’adhésion psychosociale aux normes communautaires relèvent ainsi d’une construction jurisprudentielle. Les juridictions constitutionnelles sont capables de jouer un rôle important dans la construction de l’intégration communautaire12. Elles tiennent en effet une place de premier plan, en raison de leur statut constitutionnel, et si on se réfère au schéma de David EASTON relativement au traitement des exigences, en raison de la position de « gate keaper » qui est dans cette posture la leur. Relativement au droit communautaire initial, la décision du Conseil constitutionnel du Sénégal est un exemple d’appropriation par voie juridictionnelle du droit communautaire ; là où le juge constitutionnel de Côte d’Ivoire s’était contenté de dire, de manière expéditive, que « le Traité OHADA est conforme à la Constitution », le juge sénégalais argumentait fortement pour arriver à la conclusion que 9/- « même si les articles [14, 15 et 16 du Traité de l’OHADA] soumis à l’examen du Conseil constitutionnel avaient prescrit un véritable abandon de souveraineté, ils ne seraient pas inconstitutionnels ; que s’il y avait un doute à ce sujet, il serait levé par les dispositions du paragraphe 3 du Préambule de la Constitution aux termes duquel : 12 Olivier DUTHEILLET DE LAMOTHE, Le Conseil constitutionnel et le processus d’intégration communautaire. in, Mélanges en l’honneur de J.-P. PUISSOCHET. L’Etat souverain dans le monde d’aujourd’hui. Paris, Editions A. Pedone, 2008. pp. 85 et s. 10 « Le Peuple sénégalais « Soucieux de préparer l’unité des Etats de l’Afrique et d’assurer les perspectives que comporte cette unité ; « Conscient de la nécessité d’une unité politique, culturelle, économique et sociale, indispensable à l’affirmation de la personnalité ; « Conscient des impératifs historiques, moraux et matériels qui unissent les Etats de l’Ouest africain, « Décide : « Que la République du Sénégal ne ménagera aucun effort pour la réalisation de l’unité africaine » ; 10/- Considérant, en effet, que la réalisation de l’Unité Africaine impliquant nécessairement un abandon de souveraineté de la part des Etats qui y participent, le Peuple sénégalais, par cette « décision constitutionnelle », accepte d’accomplir un tel « effort » qu’il s’ensuit qu’un engagement international par lequel le Sénégal consentirait à abandonner sa souveraineté dans ce but, serait conforme à la Constitution, à la condition que cet abandon de souveraineté se fasse sous réserve de réciprocité et dans le respect des Droits de l’Homme et des Peuples, ainsi que les libertés fondamentales, garantis par les dispositions de valeur constitutionnelle ; 11/- Considérant qu’il en est ainsi, a fortiori, du Traité de Port-Louis du 17 octobre 1993 relatif à l’Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique, dont les articles 14, 15 et 16 ne prescrivent qu’une limitation de compétences, dans le but, selon les termes mêmes du Préambule dudit Traité, « d’accomplir de nouveaux progrès sur la voie de l’unité africaine » ; que ces articles ne sont pas contraires à la Constitution. » Un collègue sénégalais avait noté à juste titre à propos de cette décision qu’elle est la marque de l’idée moderne que le Conseil constitutionnel se fait de la souveraineté, de sorte qu’on se retrouve ainsi dans une perspective constructive de la souveraineté. Au total, concluait brillamment le Professeur Alioune SALL, « En vérité, il y a là comme l’esquisse d’une « politique jurisprudentielle » où –puisqu’il n’est pas certain que d’autres décisions suivront- un « coup de pouce » donné à une intégration africaine tant espérée. 13» C’est à propos du droit communautaire dérivé que le juge national est le plus souvent sollicité pour donner, au quotidien, vie au droit communautaire. 13 Alioune SALL, Note sous Décision 12/93 – Affaire N° 3/C/93. 16 décembre 1993. Traité OHADA. in, Ismaïla Madior FALL (Rassemblés et commentés sous la direction de), Les décisions et avis du Conseil constitutionnel du Sénégal. Dakar, CREDILA, Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Faculté des Sciences Juridiques et Politiques, 2008. pp. 97 et s. 11 L’applicabilité immédiate, l’effet direct et la primauté du droit communautaire sont des principes qui fondent la compétence du juge national et l’obligent à s’approprier les normes communautaires. A cela s’ajoute le fait que le juge national occupe une position technique indiscutable dans le processus d’intégration du droit communautaire dans les ordres juridiques nationaux. Il est un artisan essentiel de l’incorporation du droit communautaire dans l’ordre juridique interne. Il est juge des conflits entre le droit communautaire et le droit national. Au cours d’un litige, il appartient aux juges nationaux de garantir les deux caractéristiques qui gouvernent le droit communautaire, à savoir d’une part l’applicabilité directe du droit communautaire (le droit communautaire est intégré de plein droit dans l’ordre interne des Etats sans nécessiter aucune formule spéciale d’introduction) et d’autre part, sa primauté sur les dispositions législatives internes. De manière pratique, cela revient pour les juges, par exemple, à vérifier la conformité des actes administratifs et des actes de droit privé aux normes juridiques communautaires. Il doit veiller à ce que les contrats passés par les particuliers aussi bien entre eux qu’entre entre eux et l’administration soient respectueux du droit communautaire. Pour y parvenir, le juge national devrait s’assurer que les clauses du contrat sont conformes aux normes communautaires. En matière de concurrence, il peut s’agir d’apprécier une entente entre opérateurs économiques, qualifiée d’illicite, ou apprécier la validité d’une convention d’interdiction d’exportation au regard des règles de la concurrence dans l’espace CEMAC. A partir de l’exemple de l’intégration européenne dans ses rapports avec l’ordre juridique français, le souci d’appropriation a conduit au constat suivant par les auteurs que « le fonctionnement durable de la Communauté exigeait que les règles communautaires soient indépendantes des vicissitudes affectant les diverses Constitutions des Etats membres » et ils concluent que « Le principe de la primauté de la norme communautaire sur la norme interne est aujourd’hui fermement établi devant les juridictions administratives et judiciaires.14» IIL’APPROPRIATION DU DROIT COMMUNAUTAIRE PAR L’ENSEIGNEMENT ET LA DIFFUSION L’appropriation des normes communautaires se fait autant à travers les programmes d’enseignement supérieur et les formations continues adressées aux praticiens du droit (A) que dans les colloques et séminaires (B). A/ L’appropriation du droit communautaire à travers les programmes d’enseignement supérieur et les formations continues adressées aux praticiens du droit 14 Jacques GHESTIN et Gilles GOUBEAUX, avec le concours de Muriel FABRE-MAGNAN, Traité de Droit civil. Introduction générale. Paris, Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence, 1994, 4è édition. pp. 288 et s. 12 L’appropriation du droit communautaire par la formation continue des élites s’effectue dans le cadre l’Ecole Supérieure de la Magistrature (1) ainsi que par l’enseignement dans les universités (2). 1- L’enseignement à l’Ecole Supérieure de la Magistrature (ERSUMA) Elle est rattachée au Secrétariat permanent de l’OHADA. Son siège est à Porto Novo, au Bénin, où elle jouit de privilèges et immunités diplomatiques. L’ERSUMA reçoit actuellement des subventions importantes de l’Union Européenne, et fonctionne grâce aux ressources qui lui sont allouées par le Conseil des ministres. L’école dispose d’un conseil d’administration chargée de sa gestion, d’un conseil académique, qui s’assure du respect des normes académiques, et d’une équipe de gestion dirigée par un directeur général nommé par le Conseil des ministres. Sa fonction principale est d’améliorer le contexte juridique dans les Etats membres, notamment en assurant la formation continue des magistrats et auxiliaires de justice (avocats, notaires, experts, greffiers et huissiers) au droit OHADA. Elle peut également organisée des stages de formation destinés aux opérateurs économiques, aux universitaires et aux formateurs eux-mêmes. Le nombre de personnes ayant bénéficié d’une formation sur la période de trois ans allant de 2000 à 2002 est estimé à plus de cinq mille. L’ERSUMA joue un rôle essentiel dans la formation des professionnels du droit. Grâce à la formation de haut niveau dispensé par l’Ecole, les professionnels devraient pouvoir apprendre à appliquer correctement et de manière efficace le droit OHADA (ce qui n’est pas toujours le cas aujourd’hui, étant donné le volume des textes adoptés par l’OHADA sur une période relativement courte), et contribuer par la même occasion à l’amélioration de la connaissance du droit OHADA dans les Etas membres dont ils sont ressortissants. 2- L’enseignement dans les Universités Les informations que nous avons récoltées sur la question ne permettent certainement pas de faire une appréciation globale et objective du degré d’appropriation de la situation ; nous n’avons retenu que les exemples de quelques programmes d’enseignement en droit communautaire dans des Universités d’Afrique de l’Ouest15. Nous pouvons malgré tout en avoir les grandes lignes de l’état des lieux (a), et faire une analyse de la situation (b). a) État des lieux Plusieurs universités africaines ont intégré le droit communautaire dans leur programme de formation dans les Facultés de Droit. Le temps relativement court que 15 Nous adressons nos sincères remerciements à nos collègues et amis des universités d’Abomey Calavi, de Cheikh Anta Diop et de Ouagadougou qui ont accepté de nous communiquer les données. 13 nous avons eu pour récolter les informations nécessaires sur le terrain ne nous a pas permis de faire le tour d’un nombre plus important d’universités. Et même avec les établissements que nous avons ciblés, les informations ne sont pas complètes. Université d’Abomey Calavi (Bénin) Le cours de Droit commercial est comme ailleurs axé sur le droit OHADA. En outre, le Droit communautaire fait l’objet d’un enseignement spécifique en 4ème Année. Ce cours est orienté vers le Droit communautaire ouest africain, avec un accent particulier sur l’UEMOA et l’OHADA. Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Sénégal) Conformément aux programmes dans les Facultés de Droit, le droit communautaire OHADA est bien présent dans l’enseignement du Droit commercial. De façon spécifique, le droit communautaire est dispensé de façon approfondie au 3ème cycle en Master d’intégration. Le programme de ce Master, d’ailleurs relativement jeune, tourne autour des thèmes suivants : -les systèmes institutionnels et normatifs (des organisations d’intégration africaines) ; cet enseignement porte sur les institutions, le processus décisionnel, les normes de l'Intégration en Afrique, à travers les différentes organisations mises en place à cette fin - intégration européenne au titre des systèmes d’intégrations comparées), -l’harmonisation du droit des affaires (OHADA), -les politiques environnementales ou alors une autre matière spécifique telle que les Finances communautaires. Université de Cocody Abidjan (Côte d’Ivoire) L’enseignement du droit communautaire est intégré dans les programmes de Deuxième année, de Licence et de Maîtrise option Droit privé. Depuis la rentrée académique 2004-2005, la Faculté de droit d’Abidjan a institué un cours semestriel et optionnel de Droit communautaire (les étudiants ont le choix entre le Droit communautaire et l’Introduction à la Science politique). Cet enseignement, dispensé en deuxième année, porte essentiellement sur les organisations communautaires que sont l’UEMOA, la CEDEAO, l’OHADA. Pour cette année 20092010, le cours n’est consacré qu’à l’étude de l’UEMOA. L’enseignement du droit communautaire (UEMOA et OHADA uniquement) est intégré dans les programmes des années de Licence et de Maîtrise option Droit privé. En Licence de Droit privé (Option Professions des Affaires et Option Professions Judiciaires), l’OHADA et ses actes uniformes sont enseignés à travers le cours de Droit commercial. 14 En Maîtrise de Droit privé (Option Professions des Affaires et Option Professions Judiciaires), plusieurs enseignements sont articulés autour du droit communautaire africain. Le cours de Droit commercial portant sur les instruments de paiement et de crédit utilise comme texte applicable, le règlement UEMOA relatif aux instruments de paiement et de crédit (sans véritablement étudier l’institution qu’est l’UEMOA). La 2ème Partie du cours relative aux entreprises en difficulté s’appuie sur l’Acte uniforme de l’OHADA relatif aux procédures collectives d’apurement du passif. Quant au cours de Voies d’exécution, il utilise l’acte uniforme de l’OHADA relatif aux procédures de recouvrement de créances et voies d’exécution. En Maîtrise de Droit privé (Option Professions des Affaires), le cours de Droit des Assurances qui est un cours semestriel et optionnel est dispensé à partir du Code CIMA (Conférence Interafricaine des Marchés d’Assurance) qui est le texte de référence en la matière. Les enseignements au DEA de Droit privé, notamment en Droit commercial portent essentiellement sur l’OHADA. Université de Ouagadougou (Burkina Faso) -En 1ère année, les sources communautaires sont enseignées dans le cadre du cours d’Introduction au Droit et en Institutions internationales, quelques aspects du droit institutionnel sont enseignés. -En 3ème année, le droit OHADA est enseigné à travers le cours de Droit commercial -En 4ème année, il existe un enseignement à part entière de Droit communautaire en tronc commun (option Droit des affaires, Droit judiciaire et Droit public) d’un volume de 40 heures. Cet enseignement traite à la fois du droit institutionnel et du droit matériel de la CEDEAO et de l’UEMOA. Il ya également un cours de Droit de la concurrence pour les options Droit des Affaires et Droit judiciaire. -Les étudiants du 3ème cycle bénéficient également d’un programme d’enseignement en droit communautaire. -En DEA de Droit public fondamental, figure au programme un cours de Droit communautaire approfondi (25h) -En DEA de Droit privé fondamental, le droit communautaire est dispensé à travers les cours de structures des entreprises et de droit des biens et des sûretés (25h) -En DESS Droit des Affaires, un cours de droit communautaire (30h) axé sur le droit matériel est dispensé. 15 Au vu des informations ainsi recueillies, quelle analyse peut-on faire et quels enseignements peut-on tirer? b) Analyse de la situation Il faut avant tout noter que l’enseignement du droit communautaire en tant que discipline autonome est très récent dans nos universités aussi publiques que privées. De l’état de l’enseignement du droit communautaire tel que sus-indiqué, il ressort que le droit communautaire n’est pas encore véritablement intégré dans les programmes d’enseignement au titre de discipline autonome. Cela se perçoit surtout pour le 1er cycle (1ère Année et 2ème Année). Et lorsque le droit communautaire est programmé comme discipline autonome, il est non seulement optionnel (c’est à dire laissé à l’appréciation et au choix des étudiants ; la matière ne leur est pas imposé) mais également semestriel ce qui implique, soit on lui consacre peu d’heures (25 à 30h) relativement insuffisant pour une connaissance approfondie des organisations communautaires et de leurs normes ; c’est le cas à la Faculté de Droit d’Abidjan. Le faible degré d’appropriation du droit communautaire par le monde universitaire dans un pays est incontestablement préjudiciable à la connaissance de ce droit par l’élite de la population ; ce qui est susceptible d’avoir des répercussions sur l’ensemble de la population. Les règlementations communautaires étaient déjà connues dans les universités, mais seulement sous l’angle de textes régissant tel ou tel domaine du droit. Aujourd’hui la presque totalité des universités africaines -publiques et privées, anciennes et nouvelles- mettent en place progressivement des programmes d’enseignement du droit communautaire. On doit reconnaitre que certaines universités telles que celles de Ouagadougou et de Dakar ont pris une large avance dans ce domaine notamment avec le processus de « masterisation » des filières, programme soutenu et encouragé par l’UEMOA. L’institution d’un 3ème cycle spécialisé en matière d’intégration (au-delà des slogans et publicités visibles dans la propagande que font les universités privées) est le signe éloquent de la prise en compte de l’environnement communautaire par les milieux universitaires concernés. La connaissance du droit communautaire dans les universités me semble être parcellaire. J’ai en effet le sentiment que, s’agissant des organismes communautaires de l’Afrique de l’Ouest, l’UEMOA et l’OHADA reviennent assez souvent dans les programmes d’enseignement universitaires, notamment lorsqu’il s’agit d’évoquer le Droit commercial ou le Droit des Affaires ou des disciplines connexes. Et que de mon point de vue de publiciste, la CEDEAO est mise en avant quand les questions de libre circulation des personnes et les problèmes tenant au règlement des conflits politiques sont soulevés. On recourt aux normes communautaires comme sources à telle ou telle discipline sans pour autant consacrer une étude ou en consacrant parfois quelques éléments sommaires dans l’introduction évoquant les sources de la matière faisant l’objet du 16 cours. Exemple, dans l’introduction du cours de droit commercial, on examine brièvement l’OHADA et ses actes uniformes parce qu’étant la source principale du cours sans consacrer de développement à l’organisation proprement dite. B/ Les colloques et les séminaires Des séminaires de formation, des colloques et autres rencontres scientifiques, y compris les rencontres inter-juridictionnelles des cours communautaires, sont organisés sur des termes aussi variés que divers16. Ces rencontres qui réunissent des experts universitaires et/ou des personnalités du monde judiciaire (magistrats et avocats) sont des espaces de sensibilisation, de formation continue aux normes communautaires mais aussi des lieux de réflexions approfondies. Les colloques et les rencontres scientifiques, comme celles organisées dans le cadre de ces rencontres inter juridictionnelles, sont pour les enseignants des occasions d’approfondissement et de confrontation des réflexions. On sait que depuis toujours l’enseignement d’une discipline, en stimulant la réflexion des maitres et les publications de cours peut favoriser un développement de la doctrine en la matière17. Le droit communautaire africain devrait connaitre un développement si les milieux universitaires se l’approprient à travers les enseignements dispensés, et qui euxmêmes sont enrichis par les rencontres scientifiques18; ces dernières finissent par donner naissance à une doctrine juridique en la matière. L’aboutissement est que la doctrine puisse elle aussi être partie prenante dans l’opération de production 16 Pour ne donner que quelques exemples de ces rencontres de ces deux dernières années, on citera : -Séminaire ‘’Les applications bancaires des actes dérivés de l’OHADA’’, Kinshasa (République Démocratique du Congo) du 3 au 7 août 2009. -Forum sur ‘’l’intégration économique régionale’’, 23 au 28 novembre 1999, Yaoundé (Cameroun) à l’occasion des Journées CEMAC. -Colloque international sur l’OHADA et les perspectives d’arbitrage en Afrique, 13 et 14 décembre 1999, Yaoundé (Cameroun), organisé par le Centre René Jean DUPUY pour le Droit et le Développement de l’Université SENGHOR. -Séminaire sur la modernisation de deux Actes uniformes et sur le plan stratégique et les normes techniques pour l’informatisation du Registre du Commerce et du crédit mobilier (RCCM), Kinshasa (République Démocratique du Congo), 9-12 février 2010. -Rencontre inter juridictionnelle UEMOA - CEDEAO - CEMAC – OHADA, Cotonou (Bénin), mai 2008. -Rencontre inter juridictionnelle des Cours communautaires de l’UEMOA, de la CEDEAO, de la CCJAOHADA, et de la CEMAC, Bamako (Mali) février 2009. 17 Jean-Marie CARBASSE, Introduction historique au droit. op. cit p. 238 et s. 18 Je voudrais particulièrement noter le colloque sur « Les droits communautaires africains » organisé par l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, les 27 et 28 avril 2006. Voir Nouvelles Annales Africaines. Revue de la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques. N° 1 – 2007. Pour moi qui suis peu coutumier du droit communautaire africain, les communications de ce colloque m’ont été d’une utilité certaine pour comprendre certains mécanismes en la matière. 17 normative du droit communautaire19 en même temps qu’elle contribue à répandre le savoir sur ce droit. Mais à partir de là peut se déclencher -si ce processus n’est pas déjà en marcheune (autre) forme d’appropriation ayant pour objet, non des normes communautaires, mais plutôt le discours savant sur ce droit ; avec ce que ce phénomène comporte de lutte entre les experts qui vont tisser le filet d’une communauté de communautaristes seuls habilités à parler légitimement de droit communautaire20. Djedjro Francisco MELEDJE Agrégé des Facultés de Droit Professeur titulaire de Droit public et de Science politique Doyen de la Faculté de Droit Université de Cocody Abidjan 19 Sur les logiques d’antagonisme et de coopération dans la production des normes, voir Céline CASTETSRENARD, La mutation de la production de la norme en droit privé : d’une concurrence à une collaboration des producteurs de la norme. in, in, Jacques KRYNEN et Maryvonne HECQUARD-THERON (Sous la direction de), Regards critiques sur quelques (r)évolutions récentes du droit. op. cit. pp. 11 et s. 20 A propos de la lutte dans l’occupation de l’espace scientifique, voir Yves DEZALAY, La production doctrinale comme objet et terrain de luttes politiques et professionnelles. in, Centre Universitaire de Recherches Administratives et Politiques de Picardie (C.U.R.A.P.P.) et Centre d’Histoire du Droit et de Recherche Internormatives de Picardie (C.H.D.R.I.P.), La doctrine juridique. Paris, Presses Universitaires de France, 1993. pp. 230 et s.