TURIN, Capitale des Niçois.

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TURIN, Capitale des Niçois.
TURIN, Capitale des Niçois.
L’acte de dédition de 1388 marque l’entrée de Nice dans les Etats de la Maison de Savoie dont
Chambéry est alors la capitale. En 1563, quand il recouvre ses Etats à l’issue d’une longue guerre
contre la France, le duc Emmanuel-Philibert (1528-1553-1580) décide de transférer la capitale à
Turin, plus éloignée que Chambéry de la frontière française et qui a en outre l’avantage d’occuper
une position plus centrale. Dès lors, des liens politiques et culturels très forts vont s’établir, trois
siècles durant, entre Nice et Turin.
ETABLIR LE LIEN
La défense de duché est la principale préoccupation du duc et il est soucieux de protéger au mieux sa capitale
et son seul débouché maritime, à proximité du Var, alors fleuve frontière. Il flanque Turin d’une
impressionnante citadelle (1564-1566). A Nice, les travaux ont pu commencer plus tôt, le comté de Nice
n’étant pas occupé. Or, le fameux siège de 1543 avait mis en lumière les insuffisances de la défense de
l’ensemble niçois. Dès 1557 débute la construction du fort du Montalban et de la citadelle de Villefranche.
C’est durant son séjour de huit mois, en 1560, qu’Emmanuel-Philibert ordonne le début des travaux sur la
colline du Château. Ils vont durer vingt ans et, à ce terme, la forteresse qui couvrira toute la colline sera
considérée comme l’un des meilleurs systèmes défensifs de toute l’Europe. Les mêmes ingénieurs militaires
travaillent
à
Turin
et
à
Nice.
Petite ville de 5 à 6000 habitants au début du XVIe siècle, Turin voit sa population et son importance
économique augmenter fortement en devenant capitale (15000 habitants en 1571, 20000 en 1621, 37000 en
1631). Il faut aussi compter avec les besoins de la Cour qui deviennent très conséquents avec le règne du fils
d’Emmanuel-Philibert, Charles-Emmanuel Ier. Celui-ci est soucieux que le commerce piémontais soit orienté
vers le seul débouché maritime de ses États, Nice et Villefranche. Le problème essentiel est la difficulté de
communication liée au relief montagneux. De plus, le comté de Tende, indépendant, fait payer des droits de
passage importants. Aussi, les commerçants turinois préfèrent envoyer leurs marchandises à Savone ou Gênes.
En achetant le comté de Tende, Charles-Emmanuel Ier s’assure le contrôle total de la route et en 1610, il
ordonne d’importants travaux d’amélioration, commencés par une monumentale inscription toujours visible
dans les gorges de la Roya. Deux ans plus tard, il fait de Nice et Villefranche des ports francs. Mais, dans la
traversée du comté de Nice, la route est seulement accessible aux mulets. Il faudra attendre 1780 pour que la
route soit carrossable, à l’initiative du roi Victor-Amédée III (1725-1773-1796) qui tentera même de percer un
tunnel sous le col de Tende.
AFFIRMER SA PRESENCE
Soucieux de disposer d’un palais digne d’une capitale, fut-elle modeste, Charles-Emmanuel Ier lance un
concours en 1584, mais en fait, c’est sous la régence de Madame Royale (la sœur de Louis XIII) que l’actuel
Palais
royal
de
Turin
est
réalisé,
sa
façade,
d’un
baroque
élégant,
datant
de
1658.
Donnant la priorité aux constructions militaires, Emmanuel-Philibert, qui se contentait du vieux palais
épiscopal à Turin, fit construire une résidence probablement assez modeste à Nice, la ville de son enfance, où
il fit plusieurs longs séjours. Détruit par le feu en 1610, l’édifice est reconstruit et agrandi entre 1610 et 1613
sur ordre de Charles-Emmanuel Ier. Madame Royale embellit le " Palais de Son Altesse ", lui donnant en gros
l’aspect qu’il gardera jusqu’au XIXe siècle (il s’agit de l’actuelle résidence du préfet des Alpes-Maritimes,
placer Pierre-Gautier). Outre la famille ducale puis royale (en 1713, Victor-Amédée II devient roi de Sicile,
échangée contre la Sardaigne en 1720) lors de ses séjours niçois, le palais abrite les gouverneurs et les
intendants
généraux
ainsi
que
différents
services.
Ere du baroque, les XVIIe et XVIIIe siècles sont les " siècles d’or " de l’architecture tant à Turin qu’à Nice.
Palais et églises baroques abondent à Turin où ont travaillé quelques-uns des plus grands architectes de
l’époque.
DES ARCHITECTURES PARTAGEES
Guarino Guarini (1624-1613), nommé ingénieur ducal par Charles-Emmanuel II, est l’auteur de trois chefsd’œuvre dans la capitale, l’église San Lorenzo et la chapelle du Saint-Suaire, toutes deux appendices du Palais
royal. Leurs extraordinaires coupoles sont uniques dans l’art baroque. Il faut y ajouter le palais Carignano
destiné à une branche cadette de la famille de Savoie. Sa façade ondule, véritable manifeste de la ligner
courbe.
Au siècle suivant, Filippo Juvarra (1678-1736) " premier architecte Sa de Majesté ", traduit en architecture la
dimension nouvelle prise par la Maison de Savoie dans le contexte européen. Dominant Turin, il élève la
basilique de la Superga, le panthéon royal. Il orne le vieux Palazzo Madama d’une façade et d’un escalier
monumental d’une prodigieuse élégance. Mais son plus grand chef-d’œuvre est peut-être, à la sortie de la
ville, le palais de Stupinigi, à la saisissante silhouette. Dans le domaine religieux, son œuvre la plus suggestive
est l’église de la Madone du Carmel dont l’architecture intérieure rappelle les talents de scénographe de ce
spécialiste de décors de théâtre. Son élève Bernardo Antonio Vittone (1704-1770), le maître du baroque tardif,
à surtout construit des églises en Piémont, avec une propension au traitement de la lumière. A Turin, il est
l’auteur de Santa Chiara et de Santa Maria in Piazza. Outre ces architecte de génie, de nombreux autres ont
fait
de
Turin
l’une
des
métropoles
européenne
du
baroque.
Il est logique que l’influence de leur capitale ait joué dans l’engouement des Niçois pour le baroque, d’autant
que nombre d’entre eux, tels Pierre Gioffredo, Jules Torrini, Jean-Thomas Borgogno ont des fonctions à la Cour
ou dans la haute administration. Toutefois, notons qu’au XVIIe siècle, les modèle architecturaux proviennent
plutôt de la florissante ville de Gênes, elle aussi grand antre artistique baroque. Ainsi, c’est le Génois Grigho
qui
est
chargé
de
faire
le
portail
du
Palais
communal
(1680),
place
Saint-François.
A l’église du Jésus (1642-1650), la filiation avec les églises turinoises des Santi-Martiri et Santa-Cristina est
manifeste, même si le décor est plutôt génois. L’emploi de la brique pour le clocher est un usage piémontais.
A la cathédrale Sainte-Réparate, l’influence turinoise est limitée. Un antécédent à l’encadrement des niches et
des panneaux des travées latérales peut-être trouvé à l’église du Corpus Domini à Turin. L’important autel du
Corpus-Domini (dans le transept droit de la cathédrale) est très proche des autels des églises San Filippo Neri
et de l’Immacolata, dérivés des retables guarinien de San Lorenzo. Le remarquable retable de la chapelle des
Visitandines (actuellement Centre Culturel de la Providence) est également inspiré par ceux de Guarini. Quand
les Théatins s’installent à Nice, ils font appel à Guarino Guarini, membre de leur ordre pour construire leur
chapelle
mais
le
projet
audacieux
du
grand
architecte
ne
sera
pas
réalisé.
D’assez limitée au XVIIe siècle, l’influence urbanistique et architecturale turinoise devient la règle au XVIIIe
siècle, marquant la mainmise de Turin voulue par la politique centralisatrice de la Maison de Savoie.
UN URBANISME DECALQUE
Jusqu’à la destruction des remparts en 1706, l’espace manquait pour d’ambitieux programmes urbanistiques :
la mer, le Paillon et la colline du Château apparaissent comme des limites naturelles. En 1717, le successeur de
Guarini à Turin, Antonio Bertola (1647-1719), est chargé d’un plan d’extension urbaine de Nice entre l’église
des Dominicains (à l’emplacement de l’actuel Palais de justice) et l’embouchure du Paillon. Dans ce projet,
Bertola se place dans la lignée du grand urbaniste turinois du XVIIe siècle, Castellamonte, qui avait d’ailleurs
créé un projet pour Nice non réalisé. La ville connaît ses premières rues larges et rectilignes. CharlesEmmanuel III décide que Nice doit avoir un véritable port. C’est Antonio Devincenti (1690-1778), auteur de
l’Arsenal Royal à Turin qui est chargé du projet (1749). Puis ce sera l’architecte et ingénieur militaire Philippe
Nicolis di Robilante (1723-1783), , responsable de 1750 à 1780 de toutes les opérations financées par l’Etat, qui
prendra en charge les travaux du port, ainsi que de nombreuses autres opérations. En 1781, il construit la
capitainerie et la maison Liprandi (20, quai Lunel), semblables aux immeubles construits alors à Turin. C’est
aussi le cas de ceux construits autour de la place du Palais et du palais Corvesy (actuelle mairie annexe)
attribué
à
Juvarra.
En 1758, le roi ordonne la construction d’une grande place à l’arrivée de la route Royale ; les travaux débutent
en 1772. La place est l’œuvre d’Antonio Spinelli (1726-1819), déjà auteur de la chapelle Sainte-Croix. Première
place à arcades de Nice, directement inspirée de la place San Carlo à Turin, elle est précédée d’un arc
triomphal à l’arrivée de la route de Turin, au coin des actuelles rue Barla et de la République. Il a été détruit
dès 1848 car il gênait la circulation (la plus grande partie de son inscription est visible sur la rampe d’accès à la
terrasse
Nietzsche,
au
sommet
de
la
colline
du
Château).
Quand le Conseil communal décide de compléter la décor de l’Hôtel de Ville, il doit opter entre deux projets
adressés de Turin. L’architecte Gian-Pietro Tavigliano lui donne un aspect très influencé par Juvarra dont il a
pris la succession. La façade de la chapelle du Saint-Suaire (très remaniée) est l’œuvre de Giovanni-Battista
Borra
(1712-1786)
déjà
auteur
de
l’église
du
même
nom
à
Turin.
Le théâtre Maccarani (1777, à l’emplacement de l’actuel Opéra) par Nicolis de Robilante est conçu sur le
modèle du Théâtre royal de Turin. En face, l’église Saint-François-de-Paule mêle les influences du romain
Borromini, de Juvarra et de Vittone, à qui l’on doit le chef-d’œuvre du baroque niçois, la chapelle des Théatins
(1739), devenue en 1829 la chapelle de la Miséricorde, siège de la confrérie des Pénitents noirs.
UN DEVELOPPEMENT COMPARABLE
Dans les deux villes, des organismes sont créés par le roi pour assurer un développement urbanistique
harmonieux, une unité stylistique. En 1773, à Turin, c’est le Consiglio degli Edili (Conseil des Ediles). En 1832,
à
Nice,
c’est
le
Consiglio
d’Ornato
(Conseil
d’Ornement).
C’est le règne du néo-classicisme. A Turin, entre 1820 et 1860, on construit le quartier du Borgo nuovo, entre
la piazza Vittorio-Veneto et le corso Vittorio-Emmanuele II. Ses bâtiments sont très proches de ceux construits
à Nice, notamment dans les rues Ségurane, Cassini, Masséna, autour de l’église du Vœu. L’immeuble Sue
(1845),
16,
rue
Cassini,
est
même
quasiment
la
réplique
d’un
immeuble
turinois
de
1837.
Les églises Saint-François-de-Sales (1843-1850) et San Massimo (1844-1853) à Turin ont pratiquement la même
architecture (tant externe qu’interne) que l’église du Vœu (1841-1852) et Notre-Dame-du-Port (1849-1853) à)
Nice. Néo-classique aussi le Théâtre Royal (1828) de l’architecte turinois Perotti et l’hôpital Saint-Roch (18531868)
par
Joseph
Vernier.
Dans les deux villes, on crée de grandes places à arcades. Piazza Vittorio-Veneto (1825-1830) et piazza CarloFelice (1822-1850) à Turin, place Ile-de-Beauté (1844-1853) et place Masséna (1844-1860), à Nice, toutes deux
du
turinois
Joseph
Vernier.
De même, à l’exemple des grandes artères turinoises, la future avenue Jean-Médecin est prévue à arcades mais
en 1860, le début seul est construit ; ensuite elle est plantée d’arbres, comme les avenues parisiennes. Car à
partir cette date, si le néo-classique perdure à Nice dans les bâtiments privés jusque vers 1890, désormais les
modèles officiels viennent de Paris pour les bâtiments publiques comme la gare (1864) ou l’église Notre-Dame
(1868).

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