Belgique - Association Henri Capitant
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Successions et sociétés en Belgique Prof. Dr. Annelies Wylleman Institut de droit civil Université de Gand (Belgique) Les sociétés On dit souvent que les enterprises familiales sont le moteur de l’économie belge. La plupart de ces entreprises s’organisent juridiquement dans le cadre d’une société à forme commerciale. Les entrepreneurs peuvent choisir entre des sociétés à responsabilité limitée ou illimitée, et entre des sociétés de personnes ou des sociétés de capitaux. Responsabilité illimitée ou limitée Pour les sociétés qui entraînent la responsabilité illimitée des associés, comme la société en nom collectif, la société coopérative à responsabilité limité et la société en commandite simple, les obligations formelles et comptables sont très légères : elles sont constituées par acte sous seing privé; les exigences en ce qui concerne les apports des associés et la comptabilité sont minimales ou même inexistantes. Cette souplesse s’explique par l’absense de la nécessité de proteger les tiers parce que ces derniers peuvent récupérer leurs créances sur le patrimoine de la société ainsi que sur celui de chacun des associés. Les sociétés à responsabilité limitée, comme la société privée à responsabilité limitée, la société anonyme et la société coopérative à responsabilité limitée, ont un cadre juridique beaucoup plus strict, parce que les créanciers de la société n’auront en principe pas de recours que sur les biens sociaux, sans qu’ils puissent saisir le patrimoine propre de chacun des associés. Un apport et capital minimal, la 1 constitution et la modification des statuts de la société par acte notarié et des règles stricts de publicité des statuts et des bilans caractérisent ces sociétés. Sociétés de personnes ou sociétés de capitaux Dans les sociétés dite de personnes (p.ex. la société privée à responsabilité limitée) l’identité des associés qui s’engagent pour le même but, est primordiale. Les parts ne sont pas librement cessibles; les autres associés doivent donner leur consentement pour la plupart des cessions et, s’ils ne peuvent pas accepter le nouvel associé proposé, ils ont la possibilité de chercher eux-mêmes un autre candidat à acheter les parts de celui qui veut quitter la société. Dans les sociétés dite de capitaux, (p.ex. la société anonyme) c’est l’apport de chaque actionnaire qui est le plus important. L’élément personnel ne joue pas de rôle ou passe au second plan 1 . Les actions que les actionnaires reçoivent pour leur apport, sont des titres en principe librement négotiables qui établissent en premier lieu l’existance d’une créance vis-à-vis de la société. Critère de choix entre ces sociétés Le choix entre une société à responsabilité illimitée ou limité se fait tenant compte du risque que l’activité de l’entreprise entraîne pour ceux qui engagent leur argent. Si le risque est minime ou inexistant, une société à responsabilité illimité aura la préférence. Une société à responsabilité limitée est préférable lorsque le business peut aboutir aussi bien à un succès qu’à un désastre. Nous verrons ci-après que le choix entre une société de capitaux et une société de personnes dans notre pays belge est influencé en quelque sorte par la transmission successorale de l’entreprise. 1 Il est possible, en respectant les limites imposées par la loi, de limiter la cessibilité des titres dans la société anonyme dans des clauses contractuelles et même dans les statuts de la société (art. 506 et suivant du Code des sociétés) 2 Les successions La dévolution légale La succession légale 2 est le transfer du patrimoine d’une personne qui s’opère en application des articles 718 à 813 du Code civil. Elle est supplétive de volonté : elle joue lorsque le défunt n’a pas dérogé à la dévolution légale par un testament. Le principe est que la volonté du défunt, exprimée dans son testament, doit être respectée. La loi y apporte une exception : le défunt ne peut pas priver certains de ses successibles d’une partie de sa succession. Ces successibles particuliers sont les héritiers réservataires que la loi protège à ce point. Le législateur belge ne confère de droits successoraux qu’aux personnes liées au défunt par un lien de parenté ou d’alliance. Il y a quatres ordres de successibles par le sang : 1° les descendants du défunt. Dans cet ordre, aucune distinction est faite suivant le mode d’établissement de leur filiation : tous les enfants, issus de mariage ou non, adoptifs ou non, ont les mêmes droits successoraux 3 . 2° ses frères et soeurs et leurs descendants, ainsi que son père et sa mère (ascendants priviligiés) 3° les ascendants du défunt (à defaut de frères et soeurs) 4° les autres parents collatéraux jusqu’au 4e degré Les ordres sont appellés hiérarchiquement à la succession, en sorte que le premier ordre élimine les suivants, et ainsi de suite. Dans chaque ordre, les successibles du premier dégré éliminent ceux du second degré, et ainsi de suite. Le Code civil appelle celui ou ceux dont le degré de parenté avec le défunt est le plus proche. 2 Qu’on appelle aussi “la succession ab intestat” ; P. DELNOY, Successions, donations et testaments, Répertoire Notarial, tome III, Bruxelles, Larcier (Encyclopédie juridique permanente) 3 En Belgique la distinction entre les successibles légitimes et les successibles naturels n’est plus faite depuis la loi du 31 mars 1987 modifiant diverses dispositions légales relatives à la filiation. 3 Lorsque dans certaines lignes de parenté - notamment celle des descendants du défunt, celle de ses frères et soeurs et de leurs descendants, et celle de ses oncles et tantes et de leurs descendants – un successible est prédécédé, ses descendants peuvent le représenter : ils viennent à la succession non pas à leur degré, mais au degré du prédécédé. Lorsque le défunt est marié ou a fait une déclaration de cohabitation légale, le conjoint survivant ou le cohabitant légal survivant est également appelé à la succession. En vertu de la loi 4 , le cohabitant légal survivant recueille l’usufruit de l’immeuble affecté durant la vie commune à la résidence commune de la famille, ainsi que des meubles qui le garnissent. Le part héréditaire de l’époux survivant ou de l’épouse survivante dépend des successibles avec lesquels il ou elle vient à la succession. Lorsque le défunt laisse des descendants, le conjoint survivant recueille l’usufruit de toute la succession. Lorsque le défunt laisse d’autres successibles, le conjoint survivant recueille la pleine propriété de la part du prémourant dans le patrimoine commun et l’usufruit du patrimoine propre du défunt 5 . Lorsque le défunt ne laisse aucun successible, le conjoint survivant recueille la pleine propriété de toute la succession. Dérogations à la dévolution légale et la réserve des héritiers réservataires En faisant des donations pendant sa vie, ou par testament pour le temps qu’elle ne sera plus parmis nous, une personne peut déroger à la dévolution légale. En absence d’héritiers réservataires, elle est tout à fait libre de disposer de tout son patrimoine comme elle le veut. Lorsque des héritiers réservataires viennent à la succession, les donations et/ou le testament garderont et/ou auront leur effet dans la mesure où leur réserve est respectée. Les héritiers réservataires ont le droit de demander la réduction des dispositions entre vifs et/ou des legs, dans le cas où celles-ci excèdent la portion disponible de la succession. 4 5 Donc sans qu’un testament ait été fait et cela depuis la loi du 28 mars 2007. Le régime matrimonial des époux joue donc un rôle à ce point. 4 Afin de définir les réserves des héritiers et la quotité disponible de la succession, il faut, conformément à l’article 922 du Code civil, composer la masse fictive. C’est la masse de tous les biens existants au décès du défunt, dont il faut déduire toutes ses dettes et à laquelle il faut ajouter toutes les donations qu’il a consenties de son vivant, d’après leur état à l’époque de la donation et leur valeur au jour du décès du donateur. Nous verrons ci-après que le législateur belge a modifié l’article 922 pour déroger à cette règle de valorisation lorsque la masse comprend certains biens donnés en application de l’article 140bis du Code des droits d’enregistrement. Il s’agît entre autres d’effects d’une société. La loi belge prescrit que la réduction est en principe effectuée en nature. Sauf accord amiable des héritiers, les biens donnés ou légués reviennent effectivement dans la masse et son soumis aux aléas du partage en nature, et si ce partage en nature n’est pas possible, ils devront être vendus. La réserve des héritiers réservataires est assez lourde. Sont des héritiers réservataires : les descendants (en quelque degré que ce soit, mais ils ne sont comptés que pour l’enfant qu’ils représentent dans la succession du disposant); les ascendants du défunt; le conjoint survivant. La réserve des enfants s’élève à la moitié (1/2) de la masse fictive si le défunt ne laisse qu’un enfant à son décès. Elle s’élève à deux tiers (2/3) s’il en laisse deux; et à trois quarts (3/4) s’il en laisse trois ou un plus grand nombre. Si, à défaut de descendants, le défunt laisse un ou plusieurs ascendants dans chacune des lignes paternelle et maternelle, chaque ligne aura droit à un quart de la masse fictive. S’il ne laisse d’ascendants que dans une ligne, la resérve sera d’un quart pour cette ligne, et la quotité disponible s’élève alors à trois quarts. Le conjoint survivant 6 a droit, en sa qualité d’héritier réservatairs, à l’usufruit de la moitié des biens de la succession. Mais en plus, les libéralités par acte entre vifs ou par testament ne peuvent avoir pour effet de priver le conjoint survivant de 6 Le cohabitant légal survivant n’a pas la qualité d’héritier réservataire. 5 l’usufruit de l’immeuble affecté au jour de l’ouverture de la succession au logement principal de la famille et des meubles meublants qui le garnissent. En matière des successions, non seulement le droit civil, et surtout le droit impératif de la réserve et du partage et de la réduction en nature, entraine des soucis pour un entrepreneur, mais aussi le droit fiscal. C’est ce droit fiscal qui a, jusqu’à une évolution juridique récente, influencé le choix entre une société de capitaux et une société de personnes. Les sociétés et les successions a/ Les aspects fiscaux : les droits de donation et les droits de succession Les titres d’une société (e.a. les parts, les actions) sont des biens meubles, qu’ils soient au porteur ou qu’ils sont nominatifs. Les titres nominatifs de la société sont des biens meubles incorporels qui ne sont pas cessibles par moyen d’un don manuel. Les titres au porteur néanmoins, qui sont des biens meubles corporels, peuvent être l’object d’un don manuel. En principe, parce que le caractère définitif d’une donation incite à la prudence, en droit belge le recours à un notaire est obligatoire pour qu’une donation de biens meubles ou immeubles soit valable. Sauf le coût de cet acte notarié de donation, les parties ont également à payer les droits de donation au receveur des droits d’enregistrement. Le don manuel, qui consiste à donner de la main à la main un bien meuble corporel, sans autre formalité ni intermédiaire, fait exception au principe qu’un acte notarié est nécessaire pour la validité de la donation. Les droits de donation ne sont pas redevables dans ce cas. Mais si le donateur meurt dans les trois années qui suivent le don manuel, les droits de succession sont dus sur cette donation. Pour la plupart des entreprises familiales, la société privée à responsabilité limitée est la société la plus appropriée. Dans ce contexte il est important de s’assurer d’un 6 gérant qui est accepté par la famille, et de connaître et de choisir ses associés. Il en suit que les associés doivent être facilement connaissables, et surtout que les autres associés doivent avoir voix au cession des parts de la société. Dans la société privée à responsabilité limitée, les parts sont obligatoirement nominatifs et sont inscrits dans un régistre de parts qui est tenu au siège social de la société. En vertu de l’article 249 du Code des sociétés, sauf dispositions plus restrictives des statuts, les parts d'un associé ne peuvent en principe 7 , à peine de nullité, être cédées entre vifs ou transmises pour cause de mort qu'avec l'agrément de la moitié au moins des associés, possédant les trois quarts au moins du capital, déduction faite des droits dont la cession est proposée. Dans la société privée à responsabilité limitée, il est possible de nommer pour la durée de la société dans l’acte de la société un ou plusieurs gérants, dits statutaires, dont les pouvoirs ne sont révocables en tout ou en partie que pour des motifs graves. Ceci n’est pas le cas dans la société anonyme. Le terme du mandat des administrateurs, dont le nombre doit être de trois au moins 8 , ne peut excéder six ans. Ils sont toujours révocables par l’assemblée générale des actionnaires. Instaurer une administration stable dans une société anonyme est donc très difficile. En ce qui concerne les actions de la société anonyme, les actionnaires ont le choix entre des actions nominatifs, (jusqu’au 1 janvier 2008 9 ) des actions au porteur et (depuis le 1 janvier 2008) des actions dématérialisées. Mais la cessibilité libre est la règle dans ces sociétés anonymes. La loi est claire en ce qui concerne les exceptions: “ Les statuts, les actes authentiques d'émission d'obligations convertibles ou de droits de souscription et toutes autres conventions peuvent limiter la cessibilité entre vifs ou la transmissibilité à cause de mort des actions 7 Toutefois, sauf disposition contraire des statuts, cet agrément n'est pas requis lorsque les parts sont cédées ou transmises à un associé, au conjoint du cédant ou du défunt, à des ascendents ou descendants en ligne directe et à d’autres personnes agréées dans les statuts de la société. 8 Sauf s’il n’y a que deux actionnaires. Dans ce cas, il suffit d’avoir deux administrateurs (art. 518 Code des sociétés) 9 Depuis le 1 janvier 2008 il n’est plus possible de créer des sociétés avec des titres au porteur. Les sociétés existantes, ayant leurs actions en forme d’actions au porteur, sont obligées de transformers ces actions en actions nominatifs ou dématerialisés, au plus tard le 31 décembre 2013 7 nominatives ou au porteur ou des actions dématérialisées, des droits de souscription ou de tous autres titres donnant droit à l'acquisition d'actions, en ce compris les obligations convertibles, les obligations avec droit de souscription ou les obligations remboursables en actions. Les clauses d'inaliénabilité doivent être limitées dans le temps et être justifiées par l'intérêt social à tout moment. Toutefois, lorsque la limitation résulte d'une clause d'agrément ou d'une clause prévoyant un droit de préemption, l'application de ces clauses ne peut aboutir à ce que l'incessibilité soit prolongée plus de six mois à dater de la demande d'agrément ou de l'invitation à exercer le droit de préemption.” Ce terme de six mois est impératif, et est, comme on le voit dans la pratique, tellement court qu’il n’est presque pas réalisable de rédiger des clauses d’agrément ou prévoyant un droit de préemption qui peuvent être respecter à ce point. Bien que la société privée à responsabilité limitée soit plus adéquate pour créer un cadre juridique stable pour une entreprise familiale, il faut constater qu’en Belgique à peu près la moitié des entrepreneurs préféraient la société anonyme. Il faut également constater que cela commence à changer et que plusieurs sociétés anonymes se sont déjà transformées dans une société privée à responsabilité limitée. Pourquoi le choix dans beaucoup d’entreprises familiales pour la société anonyme, et pourquoi ce changement ? Dans la réponse, les sociétés et les successions se rencontrent. En organisant leur activité dans le cadre d’une société anonyme, beaucoup de belges cherchaient l’anonymat des actions au porteur et une cessibilité de ces actions moins couteuse au point fiscal. Les actions au porteur peuvent être cessés par moyen d’un don manuel. Si l’actionnaire n’a pas envie de se défaire de ses actions avant sa mort mais ne veut pas que ses héritiers devraient payer beaucoup de droits de successions, il les fait disparaître, en ne comparant qu’avec quelques actions à l’assemblée générale. 8 Pourquoi le changement ? Parce que les législateurs wallon, bruxellois et flamand – comme les régions sont entretemps les autorités compétentes pour la matière des droits de donation et des droits de successions, tandis que le droit civil et le droit des sociétés sont restés matière fédérale – ont pris des mesures afin de diminuer les droits de donation d’actions et de parts (et d’autres titres) de société. En certaines régions et en certains cas, le taux est même réduit à 0 %. Les conditions pour obtenir et garder les taux avantageux sont différentes dans chaque région. Dans plusieurs cas, l’emploi dans l’entreprise joue un rôle à ce point. Par ces mesures législatives, la cession des actions et parts est devenue beaucoup moins coûteuse. Il en suit que la tendance de préférer des actions au porteur aux actions nominatifs soit beaucoup moins présente. Tenant compte de la possibilité de régler convenablement la cession des parts et la gérance dans la société privée à responsabilité limitée, le choix evolue en faveur de la société privée à responsabilité limitée. Le législateur fédéral a accéléré ce processus par une loi du 14 décembre 2005, modifiée par la loi du 25 avril 2007, en vertu de laquelle tous titres au porteur devront avoir un titulaire connu au plus tard le 31 décembre 2013. Cette loi oblige les sociétés de capitaux de transformer leur actions au porteur en actions nominatives ou en actions dématérialisées (sur un compte). C’est donc la fin de l’anonymat, avantage de la société anonyme. Ces évolutions dans le Code des droits d’enregistrement et dans le Code des sociétés ont pour effet que les sociétés de personnes sont, plus qu’avant, choisies pour donner un cadre juridique à une entreprise familiale, tandis que les sociétés de capitaux sont utilisées dans le contexte ou l’apport de capital dans la société et la cessibilité facile des actions sont de plus grande importance que la personne des actionnaires. 9 b/ Le droit civil : nécessité d’une réforme afin de favoriser la continuité des entreprises Les héritiers qui retrouvent dans le patrimoine du défunt des actions ou des parts d’une société, ou même des certificats, héritent tous les droits et tous les devoirs liés à ces titres. Ils ont à respecter les statuts de la société. Lorsque ces statuts imposent par exemple que le droit de vote des parts qui sont en indivision entre plusieurs personnes, doit être exercé par un des propriétaires ou est suspendu jusqu’à ce que les parts ont fait l’objet d’un partage, les héritiers n’auront pas de recours contre ce règlement dans les statuts. En ce qui concerne la société privée à responsabilité limitée, l’article 252 du Code des sociétés prévoit que les héritiers et légataires de parts qui ne peuvent devenir associés, parce qu’ils n’ont pas été agrées comme tels, ont droit à la valeur des parts transmises. Ils peuvent en demander le rachat. A défaut d’accord entre les parties ou de dispositions statutaires, les prix et conditions de rachat seront fixés par le tribunal. Si le rachat n’a pas été effectué endéans les trois mois, les héritiers ou légataires ont le droit d’exiger la dissolution anticipée de la société. Le droit successoral civil belge pose l’entrepreneur qui veut laisser son entreprise à un de ces enfants, devant un vrai dilemme : s’il a plusieurs enfants, l’occasion qu’un entre eux sera capable et intéressé de continuer l’entreprise, sera plus grande, mais le risque que les règles de droit concernant la réserve hériditaire rendent la succession très difficile, le sera également; s’il n’a qu’un enfant, celui-ci n’aura pas de concurrents hériditaires, mais l’occasion qu’il soit apte à continuer l’activité de ses parents, est peut-étre plus petite. Les difficultés émanent du principe, dans notre droit successoral civil belge (art. 922 Code civil), de la réduction en nature de legs ou de donations faites hors part. En principe, pour reconstituer la masse fictive qui détermine le montant de la réserve des héritiers réservataires et du disponible, il faut tenir compte des donations pour leur état au jour de la donation et leur valeur au jour du décès. Si la 10 quotité disponible est excédée, la réduction se fait en nature. Le législateur a pensé de résoudre le problème par l’introduction en 1998 d’une exception au principe de l’article 922 en ajoutant une alinéa afin de dire que la valeur au moment de la donation est prise en considération quand il s’agit de biens qui ont été donnés en application de l’article 140bis du Code des droits d’enregistrement. Ces biens sont précisement les parts, actions et autres droits dans des entreprises familiales 10 . Le légataire ou le donataire des biens visés à l’article 140bis du Code des droits d’enregistrement, risque - autant qu’avant l’introduction de cet article 140bis - de devoir partager, après réduction en nature, ceux-ci avec les autres héritiers réservataires, si la valeur des actions ou parts légués ou donnés estimée au jour de la donation excède la quotité disponible. Autres pistes préventives ? En principe, il n’est pas admis par la loi belge de conclure un acte portant sur la transmission d’une succession non encore ouverte. C’est le principe de la prohibition des pactes sur succession future énoncé à l’article 1130, alinéa 2 du Code civil. Néanmoins on retrouve une exception à ce principe dans l’article 918 du Code civil. Cette exception permet de régler la transmission des actions ou parts de la société dans les conditions prévues dans l’article 918 du Code civil. Lorsqu’une personne fait donation ou vente avec réserve d’usufruit, à charge de vente viagère ou à fonds perdu, à un successible en ligne direct, les héritiers réservataires qui ont consenti à cette aliénation, ne pourront plus demander ni la réduction de la donation ni son imputation sur la portion disponible ni le rapport à la masse. Ainsi, une donation d’actions ou de parts de la sociétés peut être faite sans discussions ultérieures, si elle est faite avec réserve d’usufruit, à charge de vente viagère ou à fonds perdu de la part du donateur et que tous les héritiers réservataires y ont consenti. S’il n’était pas possible de faire consentir tous les héritiers réservataires, le recours contre le donataire sera pourtant moins important, parce que seulement 10 P. DE PAGE et I. DE STEFANI, “Le statut des biens professionnels en droit des régimes matrimoniaux et en droit successoral civil”, La transmission du patrimoine professionnel, Louvainla-Neuve, Anthemis, 2007, 195-249 11 celui ou ceux qui n’ont pas consenti, pourront encore demander la réduction et le rapport de la donation. Conclusions Le législateur civil belge n’a nullement résolu le problème de la continuité des sociétés pour les familles qui ne peuvent trouver un accord dans le cadre de l’article 918 du Code civil. La seule solution me paraît de réduire ou même de supprimer la réserve héréditaire. Si nos citoyens belges ne sont pas prêts à l’abolition de la réserve hériditaire des descendants, on pourrait isoler ces parts de sociétés dans une masse séparée pour laquelle les règles de la réservé hériditaire ne seront pas appliquées. Aller moins loin et remplacer la réduction en nature par une réduction par équivalent (en valeur) ne fait que surgir d’autres problèmes : si le successeur dans l’entreprise n’a pas de moyens liquides ou d’autres biens dans la masse ou dans son propre patrimoine afin de payer les autres héritiers, les parts de la société devront être vendus. La continuité de la société reste en péril. Le débat est ouvert… 12