De Haguenau au Mans, la vie à la CRS102 Récit

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De Haguenau au Mans, la vie à la CRS102 Récit
De Haguenau au Mans, la vie à la CRS102
Récit de Monsieur LALANDE André de 1945 à 1962
Au début de l'année 1945, le fameux serment de KOUFRA prononcé par LECLERC a été tenu. Le drapeau tricolore
flotte sur la cathédrale de Strasbourg et l'Alsace toute entière donne libre cours à la joie qu'elle éprouve d'être libérée
du système nazi, système dont elle a directement ressenti les effets depuis l'invasion en Mai 1940, non pas en tant
que province occupée mais en tant que province annexée. L'aspect le plus terrible de cette annexion a été sans nul
doute, l'enrôlement forcé dans l'armée allemande des hommes restés sur place et en âge d'être mobilisés. Les deuils
et les déchirements familiaux auront été le plus souvent, la conséquence de cette mobilisation. Ceux qui auront pu s'y
soustraire connaitront, eux aussi, bien des vicissitudes et leurs familles, dont ils auront été si longtemps séparés,
devront subir les tracasseries du régime hitlérien.
Mais les chagrins laissent la place à l'espoir que fait naitre le retour à la paix et la liberté retrouvée. C'est l'allégresse
qui prédomine fort heureusement, les villes et les villages, dans leur quasi-totalité, ont échappé à la destruction et mis
à part quelques cas dramatiques, tel celui de Hatten, village situé au nord est d'Haguenau et totalement détruit,
l'ensemble du parc immobilier alsacien a peu souffert. D'autre part grâce à une agriculture très riche, les problèmes
dé ravitaillement sont moins aigus ici qu'ailleurs et ceci n'est pas négligeable à une époque où les cartes
d'alimentation sont en vigueur et le resteront de nombreuses années encore. Tout cela facilite largement le retour
progressif à des conditions normales de vie.
La paix retrouvée est célébrée partout par de nombreuses cérémonies patriotiques, mais aussi par de grandes fêtes
populaires où le folklore, très vivace ici, reprend ses droits.
C'est dans ce contexte, qu'intervient, en Juin 1945, la mise en place de la C.R.S. 102.
Pourquoi ce numéro ? Tout simplement parce qu'à l'époque les départements du Bas et du Haut-Rhin constituaient la
10eme Région, dont le siège était à Strasbourg. Les deux premiers chiffres sont donc ceux de la région, le dernier
identifiant chaque CRS au sein de cette région : 101 pour Strasbourg; 102 pour Haguenau ; 103 pour Mulhouse.
Sous-préfecture de 20000 habitants, située à 30 kms au Nord de Strasbourg, Haguenau n'a pratiquement pas subi de
dommages. Dans cette ancienne ville de garnison se trouvent de nombreuses casernes. C'est dans l'une de celles-ci,
située rue de la Redoute, que s'installe la CRS 102 où elle demeurera jusqu'en Mars 1948. La rue de la Redoute est
relativement calme bordée d'un côté par des casernes, de l'autre essentiellement par des maisons d'habitation. Seuls
commerces deux cafés qui bien entendu, seront largement fréquentés par le personnel, en particulier celui tenu par la
famille LACROIX où beaucoup, trouveront l'atmosphère familiale dont ils ont besoin.
Cette rue est à la limite de l'agglomération proprement dite, au-delà il y a des villas assez clairsemées où de
nombreux célibataires ont pu louer des chambres. L'un d'eux, le 14 Juillet 1945; connaît une aventure peu banale.
Les propriétaires lui ont demandé l'autorisation de placer le drapeau tricolore sur le balcon de sa chambre donnant
sur la rue. Bien entendu il accepte, mais presqu'aussitôt quelques dizaines de personnes s'attroupent devant la
maison, n'admettant pas qu'elle soit pavoisée et expriment bruyamment, leur hostilité. Surpris par ce tapage, le jeune
locataire, qui n'occupe la chambre que depuis quelques jours, s'informe et apprend que ses propriétaires sont
d'origine allemande, d'où la colère du voisinage. Il lui suffit de se montrer en tenue près du drapeau et d'indiquer qu'il
a lui-même demandé sa mise en place pour que cesse l'incident.
C'est ce même 14 Juillet 1945 que la CRS 102 participe aux cérémonies patriotiques organisées place d'Armes. Bien
préparée, impeccable dans sa tenue et sa présentation, la Compagnie produit une excellente impression sur les
habitants de Haguenau qui découvrent, ce jour là, pour la première fois l'unité fraîchement implantée dans leur ville.
Moins favorisés que les célibataires, les fonctionnaires mariés ont davantage de difficultés à trouver un •logement.
Peu nombreux ils y parviennent, cependant, souvent à proximité du casernement.
Voici donc, rapidement esquissé, le cadre de vie de ceux qui, venant des horizons les plus divers, allaient constituer
le noyau initial de cette CRS 102 dont nul ne pouvait dire, à ce moment là, que l'épisode alsacien de son histoire
serait aussi bref.
Mais qui était ces hommes et quelle était leur vie professionnelle ?
Ces questions amènent à tenter d'évoquer :
-
Les personnels,
La structure de la compagnie,
Ses moyens matériels,
Son emploi du temps à la résidence,
Ses déplacements de 1945 à 1948.
1 – LES PERSONNELS
C'est au Commandant LIPP que revient la tâche de mettre l'unité sur pied et de la rendre opérationnelle, en lui
insufflant l'esprit de corps sans lequel rien d'efficace ne peut être entrepris. Mission ardue car les éléments placés,
progressivement, sous ses ordres, sont de provenance très diverses. En effet, seront successivement affectés à la
CRS les Officiers, Gradés et Gardiens comptant quelques années d'ancienneté dans la Police. Selon l'expression
alsacienne, ils viennent de « l'Intérieur », c'est-à-dire d'au-delà des Vosges. A travers eux, toutes les provinces sont
représentées. Ils ont été affectés en Alsace sur leur demande, par voie normale de mutation. Parmi eux se trouvent
quelques alsaciens qui ont quittés leur région en 1940 et la retrouvent après un long exil. Beaucoup ont déjà exercé
des taches administratives et se voient confier les emplois hors-rang.
Puis viendront les Officiers et Gradés issus de l'armée qui ont bénéficié d'une homologation de grade lors de leur
transfert d'un ministère à l'autre. De part leur formation, ils s'emploieront à faire prévaloir en matière de discipline des
méthodes trop rigoureuses, s'appliquant à une unité relevant de l'autorité civile. Leur influence sera renforcée du fait
que la dotation en armement et la nature des missions assurées, à l'époque, n'auront pas un caractère réellement
policier. Mais, surtout, ce sera l'apport massif d'alsaciens qui viennent tout juste de quitter l'uniforme de la Wehrmacht
qu'ils avaient du endosser de force. Leur affectation en compagnie a été précédée d'un court stage de formation à la
Montagne Verte, près de STRASBOURG.
Voilà donc rapidement énumérés les différentes composantes que le Commandement devra rendre homogène. Dans
les premiers temps, ce n'est pas chose facile et quelques frictions ne peuvent être évitées. Ceux de « l'Intérieur » ne
se montrant pas toujours suffisamment compréhensifs et tolérant, ils éprouvent quelques difficultés à accepter comme
collègues ceux qui, hier encore, portaient l'uniforme ennemi quand bien même c'était contre leur gré. Par ailleurs
quelques alsaciens, heureusement en très petit nombre, manquent de réserve et vont jusqu'à évoquer, ouvertement,
leurs états de service dans la Wehrmacht.
Très rapidement, pourtant, ces obstacles sont aplanis et une camaraderie, sincère et réelle, s'instaure bientôt entre
ces hommes aux origines disparates mais qui disposent d'un puissant dénominateur commun : la jeunesse.
En effet, s'agissant des gardiens, quelques uns seulement ont entre 25 et 30 ans. Pour le plus grand nombre, la
moyenne d'âge se situe entre 20 et 25 ans. En 1945/46 presque tous sont stagiaires, les uns n'ayant pas l'ancienneté
requise, notamment la majeur partie des alsaciens récemment recrutés, les autres comptant plus d'un an
d'ancienneté car ils sont entrés dans la Police dès l'âge de 18 ans, mais qui doivent attendre leur majorité (21 ans)
pour être titularisés. Autre singularité: quelques éléments appartenant à la classe 1946, première classe à être
appelée après une interruption du recrutement remontant à 1940, devront changer d'uniforme pour accomplir leur
service militaire à l'issue duquel ils seront réintégrés.
La moyenne d'âge des gradés est, également, peu élevée. Elle doit se situer autour de la trentaine. Par contre, et
paradoxalement, les deux officiers qui secondent le Commandant sont plus âgés, environ 40 ans, soit quelques
années de plus que le Commandant lui-même.
En 1945, le Commandant LIPP est assisté par les Officiers de Paix TONNOT et KLINGENMEYER, très différents l'un
de l'un de l'autre par la formation, le caractère et l'aspect physique. Le premier est mince et svelte et « plutôt civil », le
deuxième est puissant, massif, sportif et plutôt militaire.
Par la suite, le Commandant LIPP sera remplacé par le Commandant LIBERT, dont le bref passage laissera, surtout,
le souvenir d'un homme passionné par les explosifs et qui fait le vide autour de lui, lorsque installé à l'établi de l'atelier
auto il procède à l'autopsie d'un obus ou d'une mine. Puis ce sera l'arrivée du Commandant BARLESI, assisté des
officiers de Paix GERARD et MARCHAND.
Sur une période assez courte, de nombreux changements interviennent donc au niveau commandement. Par contre,
l'effectif des gradés et gardiens demeure relativement stable durant les années 1945 à 1947.
Les gradés sont les Brigadiers Chef SIMON - HUSSON - GRENIER (ce dernier devait trouver une mort tragique à
LACALLE en octobre 1954, lors du premier déplacement de la CRS 102 en Algérie) ; les brigadiers AGOSTINI,
BAUZANO, BOEHM, FOUCHER, FUCHS, GIRARD, HEBRARD, KOLHER, MALAUZEN, MENARDI ; les Sousbrigadiers CARITEY, DIRSTHEIMJAOUENNE, LEONARD et SOUTHITRE.
A cette époque les Sous-brigadiers sont des gradés, adjoints aux chefs de brigade. Ils portent les galons de
Brigadiers coupés de deux barrettes bleues.
L'unité est placée sous l'autorité du Commandement Régional de Strasbourg, à la tête duquel se trouvent les
Commandants FERE et BRENIERE qui, à certains égards, dépendent eux-mêmes du Commissaire de la République,
à l'époque Monsieur BOLLAERT qui devait être nommé, par la suite, Haut Commissaire en Indochine.
A Strasbourg, également, se trouvent les services techniques désignés par le sigle M.L.T (Matériel -Logements Transports) ancêtres des C.A.T.I puis des S.G.A.P.
2 – LA STRUCTURE DE LA COMPAGNIE
La Compagnie comprend quatre sections et un élément hors rang : la S.H.R qui de brigade allait devenir section.
Les différents services regroupés au sein de la S.H.R sont : le Service Général - le Secrétariat - le Matériel - les
Transports - le Mess - le Foyer et l'Infirmerie. A noter, pour une courte période, la présence à l'unité d'un médecin
auxiliaire responsable de l'état sanitaire du personnel. Figure également à la S.H.R le palefrenier qui a en charge le
cheval en dotation à la compagnie.
Il n'existe aucun moyen de liaison radio- électrique alors que, dans le même temps, l'armée en est largement pourvue.
En conséquence, pas de service de Transmissions.
Absence également d'un élément motocycliste qui n'existera que quelques années plus tard, par le rattachement des
B.R.M aux C.R.S.
3 – LA TENUE
En 1945, la tenue comporte culotte, veste à col celluloïd fermé, ceinturon, baudrier, chaussures montantes, leggins,
képi à galonnage et trèfle argent pour les officiers et brigadiers chefs, or pour les brigadiers, à liseré bleu et rouge
pour les gardiens selon qu'ils sont titulaires ou stagiaires, manteau de drap, casque modèle 1948, pas d'imperméable,
la toile de tente dont chacun est pourvu en tient lieu "le cas échéant. Les galons sont portés sur les manches.
Par la suite, cette tenue sera remplacée par le « battle-dress » en drap bleu assez grossier : blouson à col ouvert,
chemise bleue, cravate, pantalon, guêtres en toile grise lacées sur le côté, bonnet de police, casque avec cimier métal
blanc et bourrelet frontal noir. Au cours du service à l'occasion duquel cette tenue est inaugurée (meeting aérien à
Strasbourg) survient une violente pluie dont les conséquences sont assez cocasses : traitées avec un produit de
mauvaise qualité, les coiffures déteignent sur le visage des fonctionnaires, laissant des sillons bleuâtres guère
compatible avec le sérieux de la fonction.
Enfin, pour en terminer avec la tenue, le treillis porté à l'intérieur du casernement provient des stocks saisis à l'armée
allemande, il est de teinte blanchâtre. Les difficultés financières de l'époque expliquent cet expédiant.
4 - LES MOYENS MATERIELS
41 - Transports
Le transport du personnel est assuré, par brigade, au moyen de camionnettes bâchées équipées de banquettes
latérales, faites de lattes de bois, les camionnettes sont de marque « Citroën » (U23) ou « Renault » (AH53). Ces
dernières sont surélevées car elles ont été conçues pour être utilisées dans le désert Libyen par l'Afrika Korps de
ROMMEL. Elles passent donc, successivement, au M.L.T pour être ramenée à une hauteur convenable. En
attendant, les sensations dans les virages sont très fortes. Le Commandant dispose d'une V.L, probablement une
Peugeot 402. Le parc autos comprend également quelques camions, motocyclettes et side-cars. Il convient d'ajouter,
à ces différents moyens, une cuisinière roulante à bois et un véhicule hippomobile à disposition du palefrenier, qui y
attelle le cheval dont l'unité est dotée, étant ainsi en mesure d'assurer quelques charrois, à l'intérieur du casernement
ou à proximité immédiate. Il arrive parfois, que le cheval las de contempler le même décor, des cours de la caserne,
s'échappe et va directement vers la gare, toute proche, devant laquelle se trouvent des pelouses dont il apprécie
l'herbe tendre. 1 ou 2 gardiens, du poste de garde, sont alors dépêchés pour ramener, au bercail, l'animal épris de
liberté.
42 - Armement
La dotation en armement est surprenante, s'appliquant à une Unité relevant de l'Autorité Civile. Elle illustre bien le fait
que la vocation, spécifiquement policière des C.R.S, n'est pas encore affirmée et quelles ont plutôt, à ce moment là,
les caractéristiques de formations paramilitaires. L'armement individuel est assez conforme aux normes qui allaient
être admises par la suite. Il comprend le pistolet « Walter P 38 » allemand et le fusil M.A.S. 36. Cet armement
individuel aurait donc été raisonnable si le fusil n'avait comporté un accessoire, convenable sans doute en temps de
guerre, mais tout à fait choquant lorsqu'il figure dans la panoplie du policier : il s'agit de la baïonnette quadrangulaire
au maniement de laquelle le personnel est entraîné, au moins en manière de présentation. L'armement collectif, quant
à lui, est tout simplement effarant, exception faite du P.M on y trouve, en effet, le mortier de 80 m/m, la mitrailleuse
Hotchkiss et le fusil mitrailleur. Par contre, les moyens mieux adaptés au maintien de l'ordre font cruellement défaut :
pas de moyens lacrymogènes, pas de bâtons de défense, pas de boucliers.
43 – Autres matériels
A la résidence, le casernement est bien équipé compte tenu des possibilités du moment. Chacun y dispose d'un lit,
d'une armoire, de lavabos et de sanitaires. Les douches font défaut et doivent être prises en ville où existe un
établissement municipal. Les réfectoires et autres parties communes sont bien tenus par un personnel civil nombreux
et dévoué. C'est appréciable car les horaires d'alors absorbent la moitié du temps en services effectifs et
permanence.
Par contre, il n'y a pratiquement pas de matériel conçu pour les déplacements, à part le lit picot qui vient d'être
attribué, sans le matelas pneumatique qui ne viendra qu'un peu plus tard. Fort heureusement, les missions statiques,
assurées par la Compagnie, permettent une installation durable des cantonnements échelonnés sur la frontière au
nord du département. A Strasbourg, l'hébergement des détachements à la caserne Barbade ne pose pas de
problèmes, pas plus qu'à Kehl où un hôtel a été réquisitionné.
Ce n'est que lorsque la « 102 » sera déplacée à Longwy, au cours de l'hiver 1947 - 48, que l'absence de matériels
adaptés se fera cruellement sentir et chacun devra se débrouiller, notamment au moment des repas, avec les
quelques ustensiles dont il dispose : gamelle (marque illisible) et le trop fameux bidon de 2 litres.
5 - EMPLOI A LA RESIDENCE
Par semaine, le temps global de service est d'environ 70 heures. Il y a 4 rassemblements par jour : 08H00 -11H30 13H30 - 17H30. Le matin, la cérémonie des couleurs a lieu devant la Compagnie au complet. La garde du
casernement est assurée par une brigade. Les fonctionnaires sont casqués et portent le fusil, baïonnette au canon. La
relève des fonctionnaires donne lieu à un cérémonial commandé par le chef de poste ou son adjoint. A l'issue d'un
service de 24 heures, la brigade de garde ne dispose plus que d'une demi-journée de repos. Cette rigueur provoque
un jour, un mouvement d'humeur de la part du personnel d'une brigade au grand complet qui, usant du droit de grève
alors reconnu et qui disparaîtra en 1948, s'abstient de se présenter, comme elle devait le faire, au rassemblement de
13H30. Mais les modalités légales n'ont pas été respectées et chacun des grévistes écope de quelques jours de
consignes, soit à l'intérieur du casernement, soit gardé dans une pièce prévue à cet effet, sans préjudice de la
suppression totale, ou partielle, de la prime mensuelle de 333 francs dont l'attribution est décidée par le Commandant
en fonction du rendement.
La formation du personnel porte essentiellement sur la pratique du sport, l'armement, le tir, les missions de police et le
secourisme. La formation générale n'est pas négligée. Par contre, l'aspect judiciaire de la fonction est presque
totalement inconnu. Le sport est pratiqué de façon intensive et, dans ce domaine, le Lieutenant KLINGENMEYER a
pris très fermement les choses en main. Il fait aménager un stade, avec piste et portique, dans l'une des vastes cours
de la caserne. Il veille à ce que l'ardeur des équipes au travail, ne se relâchent pas et si tel est le cas il n'hésite pas à
employer la méthode forte. C'est ainsi qu'on le verra, un jour, poursuivre son propre fils dont il est manifestement
mécontent et lancer sur lui, heureusement sans l'atteindre, tout ce qui lui tombe sous la main : pelles - pioches barres à mine et autres outils.
Au terme de ce travail accompli, comme on vient de le voir, dans une ambiance saine et joyeuse, les différentes
disciplines sportives peuvent être pratiquées dans de meilleures conditions. Le personnel dispose aussi d'une salle de
sport équipée, entre autres, d'un cheval d'arçon. Lorsque l'envoi de cet accessoire a été annoncé, le brigadier du
Service Général a fait préparer une litière, pensant que le cheval déjà en dotation allait recevoir un compagnon. Bien
entendu, cette bévue ne passera pas inaperçue et suscitera des commentaires bien peu charitables. Puisque ce
brigadier est sur la sellette, l'occasion ne peut être manquée d'évoquer une autre de ses mésaventures à laquelle un
animal est encore mêlé. Il s'agit, cette fois, du mouton qui, sans figurer sur les rôles officiels, appartenait pourtant à la
Compagnie et évoluait très librement à l'intérieur des cours.
D'humeur très fantasque, il fonçait parfois brusquement sur un rassemblement dont il bousculait, quelques peu, le bel
alignement. Donc ce brigadier qui soit dit en passant avait conservé intact le savoureux accent de sa corse natale,
venait de percevoir le contingent mensuel de cigarettes et tabac, destiné à être distribué au personnel. Ici il convient
de noter qu'en ce temps là l'administration avait des attentions qui paraissent très condamnables; quarante ans plus
tard, si l'on se réfère aux statistiques relatives aux affections dont les fumeurs sont atteints.
Est-ce son odorat, ou quelque mauvais plaisant qui avait guidé le mouton vers la chambre du brigadier, situé au 3iene
étage, où était entreposé le stock de tabac? Personne ne le saura jamais. Toujours est-il que le représentant de la
race ovine, particulièrement friand de l'herbe à Nicot, en avait avalé une bonne partie avant d'être surpris et
redescendu vers la terre ferme.
Mais après cette trop longue digression, il est temps de revenir à d'autres moutons, c'est-à-dire au programme
d'emploi à la résidence.
Les programmes sont largement influencés par les règlements militaires volontiers appliqués par un encadrement
issu, pour une bonne partie, de l'armée. Les méthodes apparaissent dans de nombreux, domaines et consistent,
notamment, dans l'exécution fréquentes de marches, les séances répétées d'instruction sur l'armement (entretien des
armes, démontage et remontage effectuées parfois les yeux bandés), la discipline en général, les travaux d'entretien
et d'aménagement du casernement et, bien entendu, la garde assurée comme cela a été évoqué ci-dessus, de façon
très militarisée. Les marches se font par section, avec l'armement au complet et portant sur des distances assez
importantes, au minimum une vingtaine de kilomètres. Au départ et au retour le chant est de rigueur (la marche de
l'armée d'Afrique connaît, alors, un grand succès).
La discipline est rigoureuse et les revues détaillées des équipements en dotation sont multipliées. Les lits doivent être
faits « au carré » et, pendant un temps, le raffinement sera poussé jusqu'à cirer le plancher sous le lit dans les limites
d'un rectangle qui représente l'espace dont chacun dispose.
Les travaux d'entretien et d'aménagement du casernement prennent beaucoup de temps. De plus, chaque matin
revient la rituelle « corvée de pluches » qui donne lieu à des passes verbales parfois animées.
Il arrive aussi que certaines tâches doivent être exécutées à l'extérieur. C'est ainsi que des équipes sont envoyées en
forêt pour y procéder à des coupes de bois. Le charbon est contingenté et les précieux stères, ainsi obtenus avec
bien entendu l'accord des responsables forestiers, fournissant un complément de combustible apprécié non
seulement pour le chauffage de la caserne, mais aussi pour celui des familles bénéficiaires d'une distribution.
Enfin, l'évocation du service à la résidence ne serait pas complète s'il n'était pas fait mention de la participation,
systématique, de l'unité aux cérémonies officielles de toutes natures, organisées sur le plan local et qui exigent une
préparation qui se traduit par d'interminables séances de « rangs serrés » et de maniement d'armes.
6 - DEPLACEMENTS
Dès 1945, 2 sections sont employées l'une à Strasbourg, l'autre à Kehl en territoire allemand. Là sévit le Lieutenant
COLLIN qui peut donner libre cours à ces méthodes expéditives de commandement car, à cette époque, les
statuts réglementant la fonction et précisant les droits et devoirs du policier n'était pas encore parus. A Kehl la
mission première du détachement était de participer au contrôle des passages transfrontières à hauteur du pont
provisoire, établi sur le Rhin. En plus de la Douane prenait part, également, à ce contrôle des représentants des
armées alliées. Parmi eux, les américains se distinguaient par une désinvolture surprenante. Affalés sur des fauteuils,
disposés autour d'un brasero, ils assuraient leur service avec une nonchalance inouïe, en fumant des cigares ou en
mâchant un inusable chewing-gum. Exemple déplorable aux yeux de ceux qui, chez nous, tentaient de restaurer des
pratiques militaires dépassées.
Cette mission de contrôle transfrontière était compliquée par le fait que, durant cette période, refluaient d'Allemagne des
ressortissants français qui, d'une façon ou d'une autre, s'étaient compromis avec l'occupant. Pêle-mêle il y avait là des
collaborateurs acquis à l'idéologie nazie : membres de la L.V.T, de la gestapo, miliciens, ou encore de trafiquants et,
enfin, de femmes souvent prostituées ou qui avaient été la compagne d'officiers ou de personnages allemands de hauts
rang. Tous faisaient l'objet d'un premier tri à Kork, à une dizaine de kilomètres à l'Est de Kehl, où était basée une brigade
dépendant du détachement de Kehl. Les personnes étaient ensuite dirigées sur Strasbourg, en un lieu appelé le «
Wacken ». De là, après présentation à un magistrat, elles étaient transférées dans leur ville d'origine où elles étaient
remises à l'administration pénitentiaire, en attendant d'être jugées.
Cette situation allait amener la 102 à accomplir les missions suivantes :
- Garde des personnes refoulées à Kork (1 brigade) Contrôle de la frontière au pont de Kehl (1 section)
- Garde des personnes en provenance de Kork et maintenues dans les locaux de Walken, présentation de
ces personnes aux magistrats (1 section)
- Transfert par voie ferrée de ces personnes dans toute la France (Effectif variable selon le nombre de
transférés.
L'un de ces transferts avait fourni à l'un des gardiens, qui l'assurait, l'occasion de mettre en pratique ses connaissances
en matière de secourisme en procédant, en cours de trajet, à l'accouchement d'une des femmes convoyées.
Indépendamment de ces premières missions, d'autres déplacements eurent lieu à Strasbourg, le plus souvent à l'effectif
d'une section. Cantonnés à la caserne Barbade, au siège de la CRS 101, ces personnels assuraient la sécurité publique
en effectuant, spécialement de nuit, des patrouilles à pied dans le quartier, si pittoresque, de la Petite France et dans la
grande rue où les incidents se multipliaient en raison du nombre des établissements « chauds », concentrés là.
Par ailleurs, l'Unité à effectif total, ou partiel, allait être déplacée également à Sarre à l'occasion du plébiscite organisé
dans cette région qui doit choisir le pays auquel elle souhaite être rattachée et qui optera pour l'Allemagne. Deux autres
déplacements eurent lieu, l'un à Mulhouse, l'autre à Dijon à l'occasion d'une course automobile dont J.P WIMILLE, le «
PROST » de l'époque, était la vedette.
Mais de fin 1945 à début 1948, la mission à laquelle va se consacrer principalement la CRS 102, mobilisant en
permanence la moitié de la Compagnie, est la surveillance de la frontière franco-allemande, au nord de l'Alsace. Sur
plus de 50 kms, dans une région accidentée et couverte de forêts, des postes sont mis en place de part et d'autre de
Wissembourg, P.C du dispositif. A l'ouest Lembach dont dépendent Niedersteinbach et Climbach, à l'est Lauterbourg.
Wissembourg et Lauterbourg sont des points officiels de passage. Ne doivent y transiter que les personnes munies des
documents nécessaires, ce qui suppose un contrôle permanent assuré par plusieurs fonctionnaires. En dehors de ces
points de passage, la surveillance des zones intercalaires est réalisée au moyen de patrouille à pied, composées de 2
gardiens ; les distances à parcourir sur des layons forestiers sont ordinairement d'une vingtaine de kilomètres,
accomplies de jour ou de nuit et en toutes saisons. La consigne est d'interpeller et d'amener au poste tout individu
tentant de franchir clandestinement la frontière. Dans la majeure partie des cas, ceux qui tentent le passage sont des
prisonniers allemands, évadés des camps où ils étaient détenus ou des exploitations où ils étaient employés. Le
système de surveillance fonctionne assez bien et chaque mois une quarantaine de fugitifs sont repris.
Il faut dire que le zèle de chacun est stimulé par l'octroi d'une prime de 1500 francs. Centralisé, le produit de ces primes
est ensuite réparti entre tous les membres de l'unité, qu'ils aient ou non été déplacés.
En dehors d'un épisode dramatique survenu à Climbach, au cours duquel un prisonnier allemand est abattu pour n'avoir
pas obtempéré aux sommations, les captures sont généralement assez faciles. La plupart du temps, elles concernent
des ressortissants de la Wehrmacht, plutôt fatalistes, qui n'opposent pas de résistance. Mais lorsqu'il s'agit de S.S, le
risque est évidemment plus grand et toutes les précautions doivent être prises pour éviter une surprise fâcheuse,
notamment lorsque le trajet de retour au poste est long de plusieurs kilomètres et qu'il doit être accompli, de nuit, en
pleine forêt.
Les arrestations prennent parfois une allure cocasse. Ainsi, une nuit, un gardien qui dormait tranquillement dans la
chambre qu'il occupait dans une maison de village, entend frapper à sa fenêtre. Il ouvre et se trouve en présence d'un
prisonnier évadé qui lui demande le chemin de la frontière. Notre gardien qui parle allemand couramment, lui propose de
le guider lui-même, ce que l'autre accepte sans méfiance. Mais quand le « guide" sort de la maison, il est en tenue,
pistolet au poing et n'a plus qu'à conduire au poste le pauvre malheureux.
Une autre fois, en plein jour, un prisonnier se dirige vers la frontière à terrain découvert. Le malheureux ignore, qu'il s'est
engagé sur une zone truffée de mines (les services de déminages sont à pied d'œuvre, mais leur travail n'est pas
terminé partout). Des appels à la voix et au sifflet lui font dressés les oreilles, sans résultats. Pour mieux attirer son
attention, des coups de feu sont tirés, toujours sans succès. L'homme continu d'avancer imperturbablement, totalement
inconscient du danger. Force est donc de le laisser progresser, le pire étant redouté à chaque seconde. Finalement
intercepté à • l'extrémité de la zone dangereuse qu'il a traversé miraculeusement, il est aussitôt questionné et c'est alors
qu'il apparaît que, atteint de surdité, il na entendu ni les appels ni les coups de feu. Informé de l'exploit qu'il vient de
réaliser, il ne mesure qu'après coup le danger auquel il vient d'échapper.
Il n'est plus tout jeune et n'aspire qu'à revoir sa femme et ses enfants dont il montrera les photos à plusieurs reprises. Il
restera au poste au-delà du temps réglementaire et s'il n'avait tenu qu'à lui, il serait bien resté plus longtemps encore
avec ses « geôliers ».
Se rattachant à la même mission, une autre anecdote mérite d'être rapportée. A Climbach il existe des présomptions sur
l'existence d'un itinéraire conduisant à la frontière, jalonné de maisons hospitalières où les fugitifs trouvent le gîte et le
couvert. Pour vérifier le bien fondé des renseignements recueillis, trois gardiens du poste connaissant l'allemand sont
transformés, pour une nuit, en prisonniers évadés. Vêtus de façon appropriée, pas rasés depuis quelques jours, ils sont
tout à fait dans la peau de leur personnage et se mettent en route lorsque la nuit est suffisamment avancée. Cependant,
avant de partir, ils choisissent de bien se restaurer dans l'incertitude du sort qui leur sera réservé. C'était là, l'erreur qu'il
ne fallait pas commettre et qu'ils regretteront amèrement. En effet l'accueil qu'il reçoive dans les maisons suspectes est
tel qu'ils se voient contraints d'ingurgiter un deuxième, puis un troisième repas et reviendrons, dans la nuit, l'estomac
lourd aux prises avec une digestion difficile. Leur expédition se révélera payante car, pour quelques temps, la
surveillance accrue des habitations repérées permettra de réaliser un nombre appréciable de prises.
La vie dans ses petits postes est appréciée car la discipline y est moins rigoureuse qu'à Haguenau. De bons rapports
s'établissent avec la population et l'intégration s'opère d'autant mieux que, sauf à Wissembourg où le personnel dispose
de chambres dans les hôtels de la ville, le couchage est prévu chez l'habitant. Chacun y trouve son compte, les uns
recevant de l'administration une indemnité suffisamment attrayante, les autres bénéficiant d'un confort et de petites
attentions qu'ils n'auraient pas connues autrement. Les cantonnements sont très dissemblables : caserne à
Wissembourg, hôtel désaffecté à Lauterbourg, baraquements dans les autres postes. En plus du service, chacun
participe aux tâches quotidiennes : propreté du cantonnement -préparation des repas - approvisionnement en bois de
chauffage.
Le cuisinier ou la cuisinière (il s'agit parfois d'une femme de service) voit ainsi sa tâche allégée et dispose de temps pour
préparer des plats plus élaborés. Souvent les prisonniers, en transit, sont « invités » à apporter leur contribution à ces
travaux et ils s'exécutent, sans rechigner, car le menu est le même pour eux.
Les conditions d'existence, quasi familiales, contribuent largement à développer un esprit de franche camaraderie. Les
frictions enregistrées précédemment entre les diverses composantes de l'Unité, s'atténuent et disparaissent du fait que
les unes et les autres se connaissent mieux. Ceux de « l'Intérieur » découvrent par exemple que tel gardien d'origine
alsacienne a d'abord fait son service militaire dans l'armée française, puis la guerre survient et il est enrôlé, de force,
dans la Wehrmacht, combattant sur le front russe, il est fait prisonnier par l'armée soviétique, transféré à travers tout le
territoire de l'URSS jusqu'à Bakou, il est ensuite remis à une unité britannique et terminera la guerre en reprenant
l'uniforme français, celui du début de son épopée militaire, et en servant dans l'armée du Général JUIN.
Le déplacement de Longwy
Cette mission de surveillance de la frontière, à laquelle la CRS 102 se consacrait presque exclusivement depuis sa
création, allait se trouver brusquement interrompue par les mouvements de grève, de grande ampleur qui, fin 1947
paralysent les houillères, les transports ferroviaires et le secteur de la métallurgie. Non sans regrets, il faudra
abandonner les petits postes où l'existence ne manquait pas d'attraits, malgré l'important volume des heures de service
à assurer.
C'est à Longwy où les métallurgistes occupent leur usine de la Chiers, que l'unité est appelée. C'est sa première
intervention en maintien de l'ordre à effectif complet. 'Elle n'est ni préparée, ni équipée pour une mission de cette nature.
C'est ainsi que, pour ne parler que de l'acheminement, certains véhicules mettront près de 24 heures pour couvrir les
300 kms du trajet, tant les pannes sont nombreuses et la circulation difficile sur des routes enneigées ou verglacées.
Inutile de préciser dans quel pitoyable état se trouvent les malheureux passagers lorsque, complètement transis, ils
descendent de leurs camionnettes ouvertes à tous les vents.
Sitôt libérée des ouvriers qui l'occupaient, l'usine est investie par la compagnie qui s'y installe, en contrôle les accès,
assure la surveillance intérieure aux points sensibles. Tous les travailleurs n'ont pas cessé le travail, les activités
essentielles sont maintenues et les convertisseurs Bessemer crachent leurs gerbes d'étincelles, ce qui est
particulièrement spectaculaire la nuit.
L'installation matérielle est sommaire. Gradés et gardiens sont entassés dans une salle de spectacles située dans
l'enceinte de l'usine. Faute de matelas, le lit picot est garni de journaux et les trois couvertures sont bien légères dans un
local non chauffé, les repas préparés à la roulante à bois, sont pris dans les pires conditions puisqu'il n'y a ni tables, ni
tabourets et que chacun ne dispose que de couvert individuel. A la B.H.R. les services tels que l'ordinaire, le garage, le
foyer bar, sont confrontés à d'énormes difficultés dues au manque d'équipement et aggravées par le froid. Il en sera
ainsi pendant les longues semaines que durera le déplacement. Dans la journée des barrages sont mis en place chaque
fois que des défilés sont organisés par les grévistes. Souvent il en résulte des face à face prolongés au cours desquels
pleuvent invectives et projectiles et qui dégénèrent, parfois, en affrontements directs. Il arrive, ainsi, que des barrages
cèdent, tel celui tenu par le Lieutenant MARCHAND vers lequel les manifestants avancent résolument. Très
courageusement l'officier se place en avant, bras et jambes écartés, il tente une ultime manœuvre d'intimidation en
criant «vous ne passerez pas ». A l'instant même, il est bousculé, le barrage est disloqué et les grévistes déferlent. Il n'y
a pas de blessés, mais l'incident met en évidence l'insuffisance des moyens adaptés. A moins de recourir à l'emploi des
armes, ce qui est heureusement exclu, le responsable du dispositif est réduit à l'impuissance, submergé par le nombre.
Dans des situations analogues, la police parisienne n'est pas aussi démunie, la pèlerine convenablement pliée et le
bâton blanc, qui ne sert pas qu'à régler la circulation, sont souvent suffisamment dissuasifs.
Durant la même période, mais en d'autres lieux, l'inadaptation des CRS aura des conséquences dramatiques. C'est ainsi
qu'à Saint Etienne les blessés graves se compteront par dizaine parmi les policiers.
Pourtant, ces journées éprouvantes ne sont pas exemptes d'intermèdes plus souriants. C'est ainsi qu'un soir trois ou
quatre gardiens se trouvent entraînés en Belgique, à bord d'une immense et luxueuse Cadillac, par un Procureur Royal,
son épouse et des amis. Ils sont amenés dans un restaurant de premier ordre où ils sont traités, par leurs hôtes, de
façon exceptionnelle. Ils sont en tenue et l'ambiance dans la salle est telle qu'à un moment donné tous les convives
présents se lèvent et, en leur honneur, entonnent la Marseillaise. Ils répondent par la Brabançonne, heureusement
soutenus par toute l'assistance car, s'ils connaissent bien l'air, ils butent un peu sur les paroles. L'émotion est à son
comble et cet épisode illustre bien avec quelle spontanéité chacun s'extériorisait en cette période d'immédiat après
guerre. Dans la nuit, les protagonistes de cette sortie sont ramenés au cantonnement où, par chance, le service n'a pas
été modifié.
Les épisodes malheureux
Plus simple, mais à coup sur moins objectif, aurait été de passer sous silence les événements qui, de 1945 à 1948 ont,
plus ou moins gravement compromis le bon renom de l'unité. Les événements ont eu lieu, il n'est pas agréable de les
rappeler, mais vouloir les escamoter serait donner à cette tranche d'existence, de la CRS 102, un éclairage complaisant.
C'est dès 1945 que survient une première affaire disciplinaire. Elle met en cause une demi-douzaine de gardiens qui ont
commis des fautes graves lors de l'accomplissement de leur service au Wacken à Strasbourg. Dans les jours qui
suivent, leur sort est réglé dans les formes qui peuvent surprendre à présent. Devant la Compagnie rassemblée tout
entière dans la cour principale, ces gardiens sont appelés un par un. Les faits qui leur sont reprochés sont énoncés et la
sanction tombe : mise à fin de stage immédiate.
La seconde affaire aura un tout autre retentissement puisqu'elle aura des prolongements judiciaires. Pour un motif
passionnel, une querelle éclate entre un brigadier et un sous brigadier. Après une altercation violente qui a pour cadre le
café LACROIX et dont quelques fonctionnaires de l'unité, présent à ce moment là, seront témoins, les deux hommes
sortent du café. Le sous brigadier qui est armé, poursuit le brigadier dans la rue de la Redoute et tire sur lui avec son
pistolet, le touchant mortellement. Par la suite les témoins du drame auront la pénible obligation de venir déposer à la
barre, lorsque le sous brigadier sera jugé en assises. Compte tenu de la nature de cette affaire, le sous brigadier sera
condamné à une peine de quelques années d'emprisonnement, et bien entendu il a été révoqué.
Bien même dramatique et plutôt burlesque, sera la mésaventure du sous brigadier D, alors gérant du mess, que le
Commandant soupçonne de malversations. Après une course poursuite qui se déroule de nuit dans le casernement, le
sous brigadier est « appréhendé » par le Commandant qui le fait enfermer dans la pièce dite « salle de consigne » sous
la surveillance de la brigade de garde. Au bout d'un jour ou deux, le sous brigadier D commence à s'ennuyer et trouve le
moyen de sortir momentanément de sa fâcheuse position en demandant « ce jour là est un dimanche » l'autorisation
d'entendre la messe, sauvegardant ainsi le salut de son être au nom du respect des convictions religieuses, cette
autorisation lui est accordée, mais il doit se rendre à l'église escorté par deux gardiens du poste. En quel endroit le trio
s'est il rendu pour sanctifié le seigneur? Probablement pas seulement à l'église, à en juger par l'état où se trouvent le
prisonnier et ses deux geôliers lorsqu'ils regagnent le casernement, deux ou trois heures plus tard. Chacun d'entre eux
aura besoin d'un jour de repos pour se remettre de cette équipée mémorable.
Naturellement, seules ont été rappelées les affaires les plus marquantes, aux quelles il convient d'ajouter celle qui a déjà
été évoquée, par ailleurs, concernant les graves irrégularités relevées lors du contrôle, du stock de carburant, effectué
au début de 1948.
Hors service
Pour mieux connaître l'état d'esprit qui régnait à la CRS 102 durant les trois premières années de son existence, il n'est
pas sans intérêt d'évoquer, aussi, la manière dont était vécu le temps libre, laquelle se différenciait très sensiblement de
ce qui peut être observé, aujourd'hui, dans ce domaine.
Cette différence s'explique essentiellement par le fait que .la moyenne d'âge, du personnel, était exceptionnellement peu
élevée, d'où un nombre important de célibataires et, par conséquent, des comportements propres à cette condition. A
leur groupe viennent se joindre quelques mariés qui, pour diverses raisons, sont séparés de leurs épouses. C'est-à-dire
que bien peu nombreux sont ceux qui, ayant un foyer, mènent une vie plus calme et rangée.
Pour le plus grand nombre, c'est le casernement qui est le point d'attache. Presque tous ceux qui sont hors service s'y
retrouvent au moment des repas, au foyer bar et au mess. Certains n'ont pas quitté l'uniforme car aussi surprenant que
cela puisse paraître 40 ans plus tard, porter la tenue en dehors du service est une pratique assez répandue. C'est un
moyen de pallier les difficultés qu'il faut surmonter pour se procurer un vêtement, encore introuvable dans les magasins,
même avec des points textiles. Pour être habillé correctement reste la possibilité de s'adresse au tailleur, mais à des prix
exorbitants. C'est ce qui explique que quelques uns de ceux qui se marieront, à cette époque, le feront en uniforme, ce
qui semble tout naturel.
Moins compréhensible est l'habitude prise par quelques uns de sortir, non seulement en tenue, mais aussi avec le
pistolet, ce qui entraine parfois des conséquences fâcheuses. Le père MOUILLERON qui tient l'estaminet face à l'entrée
du casernement verra souvent derrière son comptoir, des scènes dignes de figurer dans les meilleurs westerns et dont
les protagonistes ne sont pas nécessairement des stagiaires.
Sauf, lorsque l'emploi du temps revêtait un caractère vraiment exceptionnel, le casernement était donc quasiment
incontournable les jours de repos. En dehors des moments passés au mess et au foyer bar, les plus paisibles pouvaient
y trouver quelques distractions. Ils avaient notamment la possibilité de pratiquer le pingpong dans une pièce réservée à
cet effet où était installée une table un peu gondolée. Il était convenu que le prix d'achat de cette table serait amorti au
moyen d'une quote-part versée par chacun des joueurs. L'affaire était correctement administrée quoiqu'en aient dit, sur
le moment, certains esprits particulièrement soupçonneux.
Il existait aussi une bibliothèque que des fonds, issus du foyer bar, permettait de constituer progressivement. Parmi les
ouvrages qui y figuraient se trouvait le premier prix Concourt de l'après guerre : « mon village à l'heure allemande » dont
l'auteur J L BORY, professeur à Haguenau, louait une chambre dans une villa où deux gardiens de la 102, avaient euxmêmes élus domicile. Cette cohabitation suscitait les plus vives inquiétudes car l'incertitude régnait quant à la nature des
mœurs de l'écrivain.
Il y avait aussi « cloche merle » de Gabriel CHEVALIER, qui d'une façon inattendue, allait marquer la vie de la
compagnie car nombres de gradés et gardiens portèrent longtemps les noms des personnages de ce roman. Ils en
avaient été affublés par un brigadier dont la marotte était d'appliquer un surnom à ses collègues, spécialité où il
excellerait plus encore par la suite, étant affecté au service général où la mise à jour du fichier d'alerte était assez
surprenante.
Autre passe temps et non des moindres : les cartes. Malheureusement ce n'était pas l'innocente belote qui était
pratiquée, ni le tarot pas très répandu à cette époque, mais des jeux autrement plus répréhensibles, tel le 21 et, surtout,
le poker où certains perdront en quelques heures le traitement du mois.
Mais ces distractions, de bon aloi ou très discutables, n'accaparent pas tout le temps libre consacré pour l'essentiel aux
sorties, soit à HAGUENAU, soit à Strasbourg où il faut se rendre par le train. En effet personne, ou presque, ne dispose
d'un véhicule personnel.
Presque, car ii y a quand même quelques débrouillards qui possèdent une moto, acquise Outre Rhin pour quelques
milliers de marks que le change malheureusement inversé depuis, permettait d'obtenir à des conditions inespérées. La
difficulté est de dénicher, dans la campagne allemande, la machine soigneusement dissimulée durant toute la guerre au
fond de quelque remise et que les sommes proposées en échange énormes mais vite dévalorisées font sortir de leur
cachette.
Les sorties sont coûteuses, mais le taux d'inflation est si vertigineux que même les plus sages hésitent à tenter
d'épargner, ne serait-ce qu'une fraction de leur revenu mensuel, très confortable pour l'époque. Aux 5000 francs de
traitement que perçoit le gardien de début de carrière, viennent s'ajouter les primes : d'alsace-lorraine, à peu près 2000
francs; de rendement, 333 francs; de capture des prisonniers allemands. Enfin, venant grossir le total, les frais de
déplacement dont le rythme moyen est déjà de 6 mois sur 12. Toutes ces sommes sont versées en numéraire par les
soins du secrétariat qui a en charge l'établissement mensuel des états de paiement, y compris ceux du traitement. Avec
les moyens dont il dispose c'est une véritable performance que réalise, chaque mois, le jeune sous brigadier comptable
investi de cette tâche et qui parviendra, plus tard, à l'un des grades les plus élevés de la hiérarchie. Est-il besoin
d'ajouter que la conséquence immédiate de ce système de paiement est une flambée des dépenses.
A quoi sont consacrées les sorties ? Il serait tout à fait exagéré de dire qu'elles avaient pour objet la visite des musées et
autres monuments historiques. Elles visaient plutôt les cafés, restaurants, cinémas et dancing où chacun, avec la paix
retrouvée, pouvait sans contrainte et avec beaucoup d'inconscience, donner libre cours à sa fantaisie.
A Haguenau, l'un des restaurants les plus fréquentés était celui de « l'homme sauvage » où l'accueil était chaleureux, la
table excellente et les serveuses accortes. A Strasbourg le Rohan est réputé pour ses choucroutes pantagruéliques,
mais il y a le Piton et, dans les grandes occasions, le Kammerzell. Coté spectacle ce sont les salles obscures qui
l'emportent. Un film qui a pour titre « les enfants du paradis » est projeté rue du 22 novembre. Il est éblouissant et
deviendra un grand classique du cinéma français.
Revenons à Haguenau où les organisateurs de bals associatifs sont heureux de compter parmi les habitués les hôtes de
la rue de la Redoute, que ce soit à « la Ville de Paris » ou salle de la Douane, les soirées sont endiablées.
Toutes ces distractions constituaient donc des moyens assez efficaces pour se débarrasser très vite d'une monnaie qui
se dépréciait de jour en jour et qu'il aurait été de la dernière imprudence de vouloir épargner. A ceux qui, malgré de
louables efforts, auraient eu des difficultés à résorber un excédent encombrant, s'offrait un dernier recours. En ces temps
lointains, les jeunes femmes vivaient encore dans un état d'asservissement auquel elles ne pourront s'arracher que bien
plus tard, grâce notamment au M.L.F. Elles étaient donc contraintes - ce qui est inconcevable à présent - de laisser à
leur chevalier servant l'égoïste plaisir de supporter seul les frais de restaurant, spectacle et hôtel lorsque l'aventure
prenait une tournure définitives.
Ainsi donc était occupé le temps libre, d'autant plus intensément vécu qu'il était beaucoup plus limité qu'à présent et qu'il
faisait suite à des périodes de service souvent pénibles et contraignants.
Les causes du départ
Pour mieux comprendre le processus au terme duquel sera prononcé le transfert de la CRS 102 d'Haguenau au Mans,
il convient d'analyser sommairement la situation politique du pays au moment où le Commandant BARLESI prend le
commandement de l'Unité.
Le P.C puissamment relayé par la C.G.T. recueille les dividendes de sa participation à la Résistance. Son influence est
telle que le Gai de GAULLE doit faire entrer des ministres communistes dans le gouvernement provisoire qu'il constitue
au lendemain de la libération. Le plus en vue d'entre eux est Maurice THOREZ, vice-président du conseil. L'idéologie
de gauche, recueille donc une large audience dans le pays et, très vite, apparaît que le nouveau commandant la
partage totalement.
Des réunions en salle, de l'ensemble du personnel, sont organisées au cours desquelles les doctrines, dont le
commandant s'inspire, sont développées. Dans la salle des maximes sont affichées, rappelant notamment que la police
est au service du peuple. Cette action psychologique suscite de nombreuses adhésions au P.C et un ralliement à la
C.G.T quasi unanime. Cette situation se maintient jusqu'à l'arrivée à la présidence du conseil de Paul RAMADIER qui
ne tardera pas à se séparer des ministres communistes. Commence alors dans la Fonction Publique une campagne
tendant à réduire l'influence de la gauche, sous quelque forme qu'elle s'exerce. C'est dans ce nouveau contexte que la
CRS est soumise à un rigoureux contrôle qui fait apparaître une tromperie sur les quantités d'essence présentées au
contrôle. Il n'en faudra pas plus pour provoquer le départ du commandant BARLESI.
Dans le même temps, au Mans, des incidents graves se sont produits à l'occasion de manifestations de rues. Les
grilles de la Préfecture ont été enfoncées et les locaux administratifs envahis et saccagés. Les incidents mettent en
relief l'insuffisance des effectifs de police sur le plan local compte tenu, entre autres, de l'implantation des usines
RENAULT où l'agitation est chronique.
Le conseil général de la Sarthe ayant mis à la disposition du Ministère de l'Intérieur la partie de l'asile départemental
donnant rue de Bellevue aux Maillets, le transfert de la CRS 102, d'Haguenau au Mans est ordonné. Le transfert à lieu
en mars 1948. Il exige un énorme travail pour lequel tout le personnel est mobilisé. La totalité des biens mobiliers de
l'unité est embarquée à bord d'un train spécial et acheminée vers la nouvelle résidence. Quelques jours plutôt, ce
convoi spécial a été précédé par un détachement précurseur commandé par l'officier de paix GERARD.
Peu avant le départ, les fonctionnaires mariés ont été invités à exprimés leurs souhaits en matière de logement et, fort
inconsidérément, se sont vu promettre 2-3-4 pièces, selon les desideratas formulés. Quelques mutations à l'intérieur de
la région sont accordées, mais en fin de compte une centaine d'alsaciens, heureusement célibataires pour le plus grand
nombre, vont se trouver éloignés de leur province de plus de 700 kms.
Pour pénible qu'il soit, le trajet par train n'est pas exempt de situation cocasses. C'est ainsi que 2 mécanos ont cru
pouvoir voyager confortablement en s'installant, plus ou moins clandestinement, dans un camion bâché où ils ont
aménagé leur couchage et qui n'a pas été choisi au hasard, puisqu'il renferme le stock du foyer bar. Ils ne goûteront
guère le repos escompté car la bâche du véhicule qui n'a pas été correctement passé au gabarit, frôle la voûte des
tunnels jalonnant le parcours et menace, à chaque fois, d'être arrachée. Nos deux resquilleurs arriveront tout de même
à bon port après avoir connu d'intenses émotions.
L'arrivée, au Mans, ne passe pas inaperçue. Il est en effet nécessaire de traverser la ville pour transporter le matériel,
de la gare aux Maillets, en imposant aux véhicules et à leurs équipages une noria incessante. L'opération se déroule
sous la houlette du Commandant LECOINTRE qui prend l'unité en charge.
Les locaux et la cour du nouveau casernement sont terriblement exigus et cela pose d'énormes problèmes qui ne
seront résolus, que plus tard, grâce à des travaux de cloisonnement qui seront entrepris, essentiellement, dans les
étages et, grâce aussi, à la construction dans la cour d'un baraquement destiné à abriter l'atelier autos. Les
fonctionnaires mariés, revenus des illusions qui avaient été imprudemment entretenues à leur égard en matière de
logement, doivent se débrouillés par leurs propres moyens et se verront contraints de s'installer à 10, 15 voire 20 kms
dans la campagne environnante, car il n'existe en ville aucune possibilité. Il faut se souvenir que l'unique moyen de
déplacement à l'époque est la bicyclette, moyen personnel s'entend, et il est facile de se rendre compte, par la même,
que l'entrainement sportif ne se faisait pas exclusivement pendant les heures de service.
Tant bien que mal, la compagnie devient rapidement opérationnelle et commence alors, pour elle, la partie mancelle de
son existence. Mais il s'agit d'une autre histoire qui, un jour peut-être, sera à son tour racontée.