Lowie Vermeersch

Transcription

Lowie Vermeersch
Lowie Vermeersch
Le jubilé de la Biennale Interieur
/ Biennale Interieur Jubileum
Interview de / by Lise Coirier
2.
TL # 25
1 — Lowie
Vermeersch,
président de la
/ president of the
Biennale Interieur
Kortrijk
2 — OFFICE in
partnership with
visual artist
Richard Venlet and
graphic designer
Joris Kritis, Silver
Lining, vue
intérieure / interior
view, Biennale
Interieur Kortrijk,
2016
En sa qualité de Président de la Biennale Interieur, Lowie Vermeersch s’inscrit
comme visionnaire de la culture contemporaine. Il se penche sur la confluence
des disciplines, permettant ainsi au design d’exprimer sa pureté et son essence
à travers une approche axée sur l’humain. Le recadrage de la Biennale
est d’actualité à l’occasion de cette vingt-cinquième édition, qui s’interrogera
sur l’exploration des frontières entre les objets, les intérieurs, l’art, l’architecture
et les villes.
As President of the Biennale Interieur, Lowie Vermeersch is positioning himself
as a contemporary culture visionary. He looks at the crossover between disciplines,
allowing design to express its purity and essence through a human-driven
approach. Reframing the Biennale is a hot topic at the Biennale’s 25th edition:
exploring the boundaries between objects, interiors, art, architecture and cities.
Appetizers
S p e ci al G u e s ts / Low i e Ver m e ers c h
TLmag : En tant que président de la
biennale, quelle est votre vision du
design d’aujourd’hui et de demain ? Pour
cette 25 e édition, comment allez-vous
dépasser la conception de produit et
d’intérieur ?
Lowie Vermeersch : À mes yeux, le
design constitue un outil que l’on peut
utiliser pour forger une signification
positive centrée sur l’être humain et
assortie d’une valeur ajoutée. Si cette
vision ne peut pas être pleinement exprimée dans le cadre de tous les projets, il
me semble malgré tout essentiel qu’elle
guide au moins nos initiatives. Je pense
qu’à l’avenir, le véritable défi consistera
à poursuivre la dimension humaine et
le plaisir, nous permettant ainsi d’envisager le design comme un moyen d’atteindre nos objectifs et de dépasser les
frontières de différentes disciplines rattachées au design. Pour Interieur 2016,
ma vision ne se limite pas au mobilier,
aux objets ni au design d’intérieur, mais
englobe véritablement tout ce qui entre
en jeu pour définir ce que l’intérieur
représente pour nous.
TLmag : OFFICE Kersten Geers & David
Van Severen a rénové le hall de Kortrijk
Xpo, créé en 1968, en ajoutant au complexe une élégante galerie blanche
recouverte d’un toit en acier. Ce bureau
d’architecture a été choisi par Interieur
pour repenser le cadre et l’approche
culturelle de la biennale. Ce choix
reflète-t-il le besoin d’envisager le design
comme un outil social et novateur ?
Témoigne-t-il de la relation existant
entre le design et la société, les espaces
privés et publics, l’architecture et la
quête d’une meilleure qualité de vie ?
L. V. : Plutôt que de contacter OFFICE
avec un besoin bien précis en tête, nous
avons exprimé notre souhait d’aborder le programme culturel depuis une
plus large perspective et de continuer
à explorer l’« intérieur » en dépassant
les frontières du design d’objet et de
produit. En tant qu’architectes, Kersten
Geers et David Van Severen possèdent
une solide connaissance des intérieurs
comme des espaces, mais aussi du rôle
des objets au sein de ces espaces. De
plus, en concevant la scénographie de
cette Biennale, ils peuvent en esquisser l’expression physique. On pourrait
presque dire qu’ils vont littéralement
recadrer la Biennale.
tités ; elles ont plus de points en commun
que ce qui apparaît de prime abord. La
principale différence réside dans le fait
que l’automobile constitue principalement un marché de masse, tandis que
le design d’intérieur est une activité à
petite échelle, à l’exception d’Ikea. Il est
toutefois intéressant de constater que
ces deux sphères sont en train de se
rapprocher : de nouvelles techniques
de production permettent de réduire les
volumes de production automobile, tandis que la pression économique pousse
de plus en plus l’univers du design à
poursuivre l’efficacité de la production
et de la distribution de masse.
s’agit de la 25e édition de la Biennale (les
noces d’argent), même si notre idée n’est
pas de nous tourner vers le passé, mais
bien vers l’avenir. Une paroi (« lining »)
évoque une frontière, le cadre dont nous
avons parlé. Il s’agit du cadre qui définira
littéralement l’espace de la Biennale.
TLmag : Vers où se dirige l’industrie
automobile au niveau international et
national, en particulier en Italie, un pays
caractérisé par sa culture de la vitesse
et de la collection automobile ?
L. V. : Au niveau international, on constate
un évident rejet d’une industrie polluante
en faveur d’une industrie durable de la
mobilité, des services et de différentes
activités. Des technologies telles que
les batteries, la conduite automatique
et les communications mobiles constituent des leviers, dans la mesure où elles
permettent l’émergence de nouveaux
joueurs à plus petite échelle. Si les frontières entre les disciplines sont en train
de s’évanouir, je pense malgré tout que,
dans nos sociétés et nos modes de vies
de plus en plus numériques, nous ressentons un besoin croissant d’équilibrer ces
phénomènes avec des expériences physiques, analogiques, exclusives et liées à
la terre. La culture et les produits italiens,
en particulier l’alimentation, me sensibilisent à cet aspect de la vie, qui constitue
la meilleure partie de l’avenir.
TLmag : Vous évoluez dans l’univers
hautement concurrentiel de l’industrie
automobile. Vous avez travaillé en tant
que design manager chez Pininfarina et
dirigez désormais Granstudio à Turin, un
studio de design trans-disciplinaire axé
sur l’avenir de la mobilité. Quel lien établissez-vous entre votre profession et
votre position au sein de la biennale ?
L. V. : Ces deux activités font partie de
ma vision du design et sont liées par
la priorité accordée à ce que le design
représente pour le public par rapport
à la discipline elle-même. Notre façon
de nous mouvoir et notre mode de vie
constituent par ailleurs des composantes centrales de nos existences et de
la façon dont nous définissons nos iden-
TLmag : Pourriez-vous nous parler des
véhicules-concepts que vous avez
récemment conçus et qui comprennent
des composantes sur mesure ou personnalisés ? L’Europe constitue-t-elle toujours le principal marché des véhiculesconcepts, où l’Asie est-elle également en
plein essor ?
L. V. : Je vais citer deux cas extrêmes.
N o u s avo n s d ’u n c ô t é l e m o d è l e
SCG003, une voiture de sport que nous
avons conçue pour Jim Glickenhaus.
J’aime répondre au besoin d’efficacité
aérodynamique extrême en poussant le
design vers une forme de pureté complexe. On retrouve le même type de
pureté dans la nature. Nous avons d’un
autre côté le PubliPod, qui est né des
TLmag : Qu’évoque pour vous le thème
central du Silver Lining ?
L. V. : Il revêt tout d’abord des connotations positives : il faut le célébrer. Il est
particulièrement bien adapté au fait qu’il
« J ’a i m e r é p o n d r e
a u b e s o i n d ’ e f f i cac i t é
a é r o dy n a m i q u e
e x t r ê m e e n p o u s sa n t
le design vers
u n e fo r m e d e p u r e t é
complexe. »
3.
4.
TL # 25
TLmag : Richard Venlet et Joris Kritis
collaboreront étroitement avec OFFICE
sur ce projet. Quel est l’impact de leur
participation sur le rôle de l’art et du
design graphique ?
L. V. : Nous avons sélectionné de façon
indépendante la proposition de design
graphique de Joris Kritis et celle
d’OFFICE comme commissaire d’exposition. Ce n’est qu’après coup que j’ai pris
connaissance de leur étroite collaboration, dont je me réjouis. Il me semble
important en effet qu’il y ait un lien et
une cohérence entre les différentes
expressions créatives de la Biennale.
L’art fait partie de leur approche, ce qui
influence également la sélection des
invités. Plusieurs d’entre eux travaillent
à la croisée de l’art et du design.
78
3 — Glickenhaus, GranStudio, Paolo Garella, voiture de route et de course / Road and race car SCG003S (Stradale), 2015
4 — GranStudio, étude, sculpture, structure interne en stéréolithographie / Concept study, sculpture, inner structure in stereolithography, Le Labo des
Héritiers, CID – Grand-Hornu Images, BE, 2015
Appetizers
S p e ci al G u e s ts / Low i e Ver m e ers c h
Appetizers
80
S p e c ia l G u e sts / Lowie Verme ers c h
space. Furthermore, by designing the
scenography, they can lend a physical expression to this understanding at the Biennale. They will almost literally reframe
the Biennale.
TLmag: Richard Venlet and Joris Kritis
will both be collaborating very closely with
OFFICE on this project. How does their
involvement impact the role of art and
graphic design?
LV: We selected Joris Kritis’ graphic design
proposal independently of our selection of
OFFICE as curators. I only discovered that
they work closely together afterwards,
which is great. I really like having a certain
coherence and connection between the
different creative expressions of the Biennale. Art is part of their approach and
it also impacts the selection of the guests.
Several of them work within the intersection of art and design.
TLmag: What does the Silver Lining
theme bring to mind for you?
LV: First of all, it has positive connotations.
It’s something to celebrate. It’s very much
suited to the fact that this is the 25th edition of the Biennale, even though we do
not intend to focus on the past, but rather
on what’s to come. A lining evokes a border, the framework that we talked about.
This is the framework that will literally define the Biennale space.
5.
efforts de recherche sur des véhicules
sans conducteurs pour les centres villes
du futur. Si ces deux automobiles ne se
ressemblent absolument pas, elles sont
toutes deux adaptées à leur contexte
propre et également efficaces. Nous utilisons la même philosophie pour concevoir des véhicules expressément pensés
pour le marché asiatique, qui évolue à un
rythme extrêmement rapide.
TLmag : Où en sont actuellement vos
recherches sur le design spatial ? Comment les incorporez-vous aux nouveaux
projets de véhicules-concepts et de
mobilité urbaine axés sur l’être humain ?
L. V. : Nous avons créé MMKM, une cellule de recherche qui explore les chevauchements entre le design destiné
à l’espace public et celui destiné à la
mobilité. Je suis convaincu que nous
devons aborder ce problème depuis
une perspective multi-disciplinaire.
Nous ne trouverons de nouvelles solutions quand de tels chevauchements
se produiront. Une fois de plus, bien sûr,
les besoins et les fins des êtres humains
sont la clé.
TLmag: As President of Interieur, what
is your vision of design, both now and in
the future? For Interieur’s 25th Edition,
how will you go beyond product and interior design?
Lowie Vermeersch: For me, design is a
tool you can use to create positive and
human-centred meaning with an added
value. Not every project allows for the
full expression of this vision but I think
it’s very important for our actions to be
guided by it at the very least. In the future,
I think that the human-centred dimension
and pleasure should increasingly become
the true challenges, allowing us to see design as a way to reach our goals and go
beyond the boundaries of different design
disciplines. For Interieur 2016, my vision
is not just about furniture or objects or
interior design. It’s about everything that
comes together to define what interiors
mean to us.
TLmag: Architecture firm OFFICE Kersten Geers David Van Severen renovated
the Kortrijk Xpo Halls, which were created
in 1968, by adding a refined, white, steelcovered walkway to the complex. has
been chosen by Interieur to rethink the
Biennale’s framework as well as its cultural approach. Does this choice reflect
the need to view design as a social, innovative tool? Does it speak to design’s relationship with society, private and public
spaces, architecture and the quest for
better living?
LV: Rather than contacting OFFICE with
a specific need, we expressed our desire to approach the cultural programme
from a broader perspective and to continue exploring the ‘interior’ beyond the
boundaries of object and product design.
As architects, they have a fundamental
understanding of both interiors as spaces and of the role of objects within that
TL # 25
TLmag : Quelles sont selon vous les différences et points communs entre les
cultures automobiles suisse et italienne ? Les Italiens accordent-ils la prio-
rité aux belles lignes et aux voitures de
sport, tandis que les Suisses privilégient
l’endurance et les performances des
véhicules ?
L. V. : Pour être honnête, je n’ai pas
connaissance d’une culture automobile
suisse spécifique. On a vu d’intéressantes initiatives et une start-up récente
partageant tous une approche très
durable des véhicules électriques. Les
Italiens accordent clairement la priorité à la beauté, bien que cette valeur ait
désormais été exportée dans tous les
centres de design du globe. Je suis malgré tout d’avis que l’approche italienne se
distingue par sa forte relation avec l’artisanat et les objets physiques. Il existe en
Italie une culture de la confection que je
n’ai encore vue nulle part ailleurs.
TLmag: You operate in the highly competitive world of the automotive industry. You
previously worked as the design manager
at Pininfarina. Now you run Granstudio in
Turin, which is a cross-disciplinary design
studio working on the future of mobility.
How do you see the connection between
what you do and your position at Interieur?
LV: Both are part of my vision of design.
They are connected by a fundamental
focus on what design means to people,
rather than on the discipline itself. Furthermore, both the way we move and the way
we live are central to our lives and to how
we define our identities. They have more
things in common than it may seem at
first. The main difference is that vehicles
are predominantly a mass-market business whereas interior design is a smallscale business, with the exception of Ikea.
Interestingly enough, the two worlds are
moving closer together. New production
techniques allow for lower volumes in vehicle production and economic pressure
is causing the interior design world to increasingly pursue the efficiency of mass
production and mass distribution.
TLmag: Where do you see the car industry headed both internationally and specifically with regards to Italy, a country with a
culture of speed and car collectors? LV: Internationally, there is the obvious
shift away from a polluting industry of
objects and possessions toward a sustainable industry of mobility, services
and different usages. Technologies like
batteries, automated driving and mobile
communications are enablers. They also
allow for the emergence of new, smaller
players. The boundaries between disciplines are falling away. Yet I strongly
believe that within our increasingly digital lifestyles and societies, we will feel
a growing need to balance those things
with physical, analogical, exclusive, earthbound experiences. Italian culture and
Italian products, especially food, connect
me to that, which is the very best part of
the future. “ I d o f i n d t h at
t h e I ta l i a n a p p r oac h
d i st i n g u i s h e s i ts e l f
t h a n ks to i ts st r o n g
c o n n e ct i o n
to c r a f ts m a n s h i p
a n d p h ys i ca l o b j e cts .
T h e r e ’ s a c u lt u r a l
o f d o i n g i n I ta ly
t h at I h av e y e t to f i n d
i n ot h e r pa r ts o f
t h e w o r l d.”
81
TLmag: What is the current status of
your research on space design? How do
you incorporate it into your new humancentred concept cars and urban mobility
projects?
LV: We created MMKM, a research cell
that explores the overlap between public
space design and mobility design. I’m convinced that we must approach the problem with this multidisciplinary approach.
We will only find new solutions where they
overlap. Of course, once again human
needs and meaning are key.
TLmag: What do you feel are the similarities and differences between the Swiss
and the Italian automotive cultures? Do
the Italians prioritise beautiful lines and
race cars whereas the Swiss prioritise
endurance and vehicle performance?
LV: To be honest, I’m not aware of a specific Swiss automotive culture. There have
been some interesting initiatives and a
recent start-up that all share a very sustainable approach to electric vehicles.
Italians definitely prioritise beauty. However, by now that value has been exported
to every design centre around the world.
I do find that the Italian approach distinguishes itself thanks to its strong connection to craftsmanship and physical
objects. There’s a culture of doing in Italy
that I have yet to find in other parts of the
world.
interieur.be
granstudio.eu
Read more at: mmkm.it
TLmag: Can you tell us about some of the
recent concept cars you have developed
that have bespoke or customised components? Is Europe still the most important
market for concept cars or is Asia also on
the rise?
LV: Let me mention two extremes. One
car is the SCG003 we designed for Jim
Glickenhaus. It’s a race car. I like to meet
the need for extreme aerodynamic efficiency by pushing the design toward a
form of complex purity. You can find the
same kind of purity in nature. Another car
is the PubliPod, the fruit of research on autonomous pods for the city centres of the
future. The two cars look very different but
they are each well adapted to their specific context and are equally efficient. We
use that same philosophy to design cars
specifically for the Asian market, which is
evolving extremely fast.
5 — GranStudio, projet / project PubliPod
Driverless Car, 2012