Fièvre chez la femme enceinte
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Fièvre chez la femme enceinte
FOCUS 16 Par Caroline Charlier,1 Delphine Le Mercier2 Fièvre chez la femme enceinte Distinguer les viroses ORL sans gravité des pathologies à risque maternel, obstétrical ou fœtal. L a survenue d’une fièvre (température corporelle > 38 °C) pendant la grossesse, bien que fréquente, impose toujours une évaluation médicale. Les médecins généralistes et les sages-femmes de ville sont souvent en première ligne. ■ Signes d’alerte Tout d’abord, on recherche des signes de gravité maternels ou fœtaux nécessitant une hospitalisation immédiate, en obstétrique et/ou réanimation (tableau). Les situations cliniques à risque pour la femme enceinte sont : sepsis sévère (souvent d’origine urinaire, plus rarement biliaire ou respiratoire), maladie thromboembolique ; urgence chirurgicale (appendicite, de diagnostic difficile) ou méningite bactérienne en raison de leur gravité ; déshydratation compliquant un tableau digestif, grippe ou varicelle (risque accru de pneumopathie virale sévère),1 paludisme (accès pernicieux plus fréquents), hépatite E au troisième trimestre (formes fulminantes). La tolérance respiratoire des pneumopathies est réduite à cause des modifications physiologiques au cours de la grossesse telles que l’augmentation de la volémie et la limitation de l’ampliation thoracique. Certaines infections mettent également en jeu le pronostic obstétrical : chorio-amniotites (infection ascendante de la cavité ovulaire favorisée en général par 1. Université Sorbonne Paris-Descartes, Sorbonne Paris-Cité ; service des maladies infectieuses et tropicales, hôpital Necker-Enfants malades, AP-HP, 75743 Paris Cedex 15. [email protected] 2. Université Sorbonne Paris-Descartes, Sorbonne Paris-Cité, service d’obstétrique, hôpital Necker-Enfants malades, AP-HP, 75743 Paris Cedex 15. une rupture de la poche des eaux) et menaces d’accouchement prématuré liées à l’infection, par exemple lors d’un sepsis sévère, d’une pyélonéphrite, d’une listériose, d’une grippe. Ainsi, selon un travail rétrospectif français récent, les bactériémies se compliquent de perte fœtale dans 24 % des cas.2, 3 Chez l’enfant, certaines infections ayant une transmission maternofœtale sont responsables de malformations (primo-infection de rubéole, toxoplasmose, syphilis ou varicelle survenant dans les 20 premières semaines de gestation) ou d’anémie fœtale (parvovirus B19 au deuxième trimestre).4-6 ■ Évaluation On vérifie d’abord le statut vaccinal : coqueluche (protection si vaccination < 5 ans), rougeole et varicelle (si 2 doses administrées des vaccins respectifs ou si antécédents d’infection notés dans le carnet de santé), grippe en période épidémique. Le vaccin antigripal est administrable à tout terme de la grossesse. Le statut sérologique vis à vis de certaines infections doit être vérifié : toxoplasmose, rubéole, syphilis, VIH et, en l’absence de notion d’infection ou de vaccination dans le carnet de santé, rougeole et varicelle. On recherche également la notion de contage et les conduites à risque ou expositions particulières (encadré). Les signes cliniques maternels peuvent être ORL (palpation des sinus, examen de la gorge, recherche de foyer dentaire, de signe de Koplik), respiratoires (foyer pulmonaire), urinaires (fosses lombaires et bandelette urinaire), digestifs (diarrhée, douleur abdominale, biliaire ou appendiculaire ; toujours évoquer une urgence chirurgicale), articulaires. On palpe les territoires ganglionnaires, on inspecte la peau (éruptions/vésicules). L’examen obstétrical est crucial : leucorrhées, écoulement de liquide amniotique (très évocateur de chorio-amniotite), sang, contractions, évaluation des mouvements fœtaux. On recherche un syndrome méningé, un signe neurologique focal, une pathologie thrombo-embolique (palpation des mollets/douleur thoracique). En dehors d’un tableau ORL viral typique et modéré, deux hémocultures et un ECBU sont à réaliser systématiquement. Examen au spéculum ± test de dépistage de liquide amniotique (Amnicator, Actim Prom test pour détecter une rupture prématurée des membranes) et prélèvement vaginal sont faits en obstétrique si la patiente est orientée vers la maternité après l’évaluation initiale ; l’enregistrement cardiaque fœtal évalue la tolérance de l’enfant à partir de 25 semaines environ ; la tocométrie mesure les contractions. TABLEAU SIGNES DE GRAVITÉ Maternels Hypotension : PA systolique < 80 mmHg Tachycardie > 120/min Fréquence respiratoire > 25 min Troubles de conscience Signes de localisation neurologique Convulsions Marbrures Purpura Syndrome hémorragique Oligo-anurie Obstétricaux Perte de liquide Perte de sang Baisse des mouvements fœtaux Contractions régulières/fréquentes Modifications du col utérin LA REVUE DU PRATICIEN MÉDECINE GÉNÉRALE l TOME 30 l N° 953 l JANVIER 2016 TOUS DROITS RESERVES - LA REVUE DU PRATICIEN MEDECINE GENERALE !016!_MG953_FOC_Charlier.indd 16 07/01/2016 12:14 FOCUS 17 L’ESSENTIEL ➜ L’évaluation repose sur un interrogatoire (antécédents, statut sérologique, notion de contage et symptômes) et un examen physique exhaustif. ➜ Viroses ORL et infections urinaires sont fréquentes. ➜ Une fièvre « nue », sans signes associés, évoque une listériose et impose la réalisation d’hémocultures. Les autres tests sont guidés par les signes cliniques : radio thoracique (si symptômes fonctionnels respiratoires), frottis sanguin au retour de zone impaludée, ionogramme sanguin, urée, créatinine, bilan hépatique, prélèvement d’une vésicule cutanée pour PCR, sérologies VIH, rubéole, syphilis, CMV, HBV, hépatites, parvovirus B19. ■ Prise en charge Celle de la fièvre repose sur l’administration de paracétamol, sans dépasser 1 g x 4/j. Les AINS sont interdits chez la femme enceinte. Le traitement spécifique dépend de l’étiologie de l’infection. En cas de pyélonéphrites, les céphalosporines de troisième génération par voie intraveineuse sont la référence (ex. céfotaxime, 1 g x 3/j IVL ou ceftriaxone, 1 g/j IVL). Les tétracyclines sont contre-indiquées, les fluoroquinolones sont déconseillées en première ligne en raison d’une tératogénicité musculosquelettique démontrée chez l’animal. Pyélonéphrite et pneumopathies nécessitent souvent une hospitalisation initiale. La listériose fait l’objet de recommandations spécifiques : sa prise en charge est complexe en raison de sa rareté (30 à 50 cas/an en France) et de sa gravité (2530 % de pertes fœtales, 40-50 % de prématurités induites).7 Listeria monocytogenes est résistante aux céphalosporines de troisième génération, largement utilisées dans d’autres infections notamment urinaires. Elle se manifeste souvent par des fièvres « nues », sans signes ORL, respiratoires ou cutanés. Les symptômes digestifs (diarrhée) sont très inconstants et parfois absents. En cas de suspicion élevée de listériose, il est recommandé de réaliser des hémocultures et de prescrire un traitement empirique par amoxicilline (au moins 1 g x 4/j, pendant 10 jours au minimum).8, 9 La négativité de ces tests ne fait pas exclure Rechercher une exposition à risque Notion de contage ? • Tuberculeux. • Avec un proche ayant une symptomatologie respiratoire ou ORL ? Cutanée ? Digestive ? • Si respiratoire/ORL : évoquer virose ORL, grippe, rougeole ou varicelle (contage à partir de 3 jours avant le début de l’éruption). • Cutanés : rougeole, varicelle, parvovirus B19, rubéole, coxsackie. • Digestifs : gastro-entérite aiguë. Geste obstétrical invasif dans les 30 jours précédents ? • Risque de chorio-amniotite. le diagnostic, et l’antibiothérapie doit être poursuivie si la cause n’est pas identifiée. S’ils sont positifs, une prise en charge hospitalière est indispensable, avec évaluation obstétricale. En cas de syndrome grippal clinique en période épidémique, l’oséltamivir (Tamiflu, 75 mg x 2/j pendant 5 jours) est prescrit dans les 48 premières heures suivant le début des symptômes. Un isolement au domicile est recommandé pendant les 72 premières heures de traitement. En l’absence d’amélioration dans les 48 heures ou en cas d’apparition de signes de gravité, une évaluation hospitalière est recommandée. L’identification d’anomalies à l’examen obstétrical impose une prise en charge en urgence en maternité. Enfin, toute femme enceinte ayant un tableau respiratoire, ORL ou une éruption cutanée adressée aux urgences obstétricales devrait porter un masque chirurgical dès son entrée à l’hôpital, afin d’éviter la transmission d’agents pathogènes aux autres femmes gravides (au mieux, il devrait être fourni à la patiente par le médecin généraliste). ● Consommation de certains aliments ? • Charcuterie artisanale, produits au lait cru ou traiteur non recuits (au cours du mois précédent) : évoquer une listériose. Voyage récent ? • Où ? Quand ? Durée ? • Prophylaxies adaptées en cas de séjour en zone impaludée ? • Bains en eau douce ? Piqûres de moustique ? De tiques ? Autres ? • Gestion du péril fécal ? Rapports non protégés à risque d’IST ? RÉFÉRENCES 1. Gabas T, Leruez-Ville M, Le Mercier D, Lortholary O, Lecuit M, Charlier C. [Influenza and pregnancy]. Presse Med 2015 44(6 Pt 1):639-46. 2. 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