Conférence internationale OIT-AICESIS - (pdf 93 KB)
Transcription
Conférence internationale OIT-AICESIS - (pdf 93 KB)
Bureau international du Travail Cabinet du Directeur général DISCOURS 2012 Le socle de protection sociale pour une mondialisation juste et inclusive et le rôle du dialogue social Discours d’ouverture de Juan Somavia, Directeur général du BIT, à l’occasion de la Conférence internationale OIT-AICESIS Siège du BIT, Genève 8 mai 2012 Monsieur le président Mohamed Seghir Babes [Président de l’AICESIS], Monsieur le ministre Moreira Franco [Ministre et secrétaire général du CDES du Brésil], Ma chère amie Eveline Herfkens [Membre de la Commission sur le socle de protection sociale], Membres distingués de: L’Association internationale des conseils économiques et sociaux et institutions similaires (AICESIS), du Comité européen économique et social, Représentants des institutions invitées, Collègues du BIT, Chers amis, Soyez les bienvenus à cette conférence organisée conjointement par l’AICESIS et l’OIT sur «Le socle de protection sociale pour une mondialisation juste et inclusive». Les relations de travail entre l’OIT et l’AICESIS sont anciennes et régulières: un partenariat constant lie nos deux organisations depuis la création de l’AICESIS en juillet 1999. La création même de l’AICESIS reposait sur l’idée que la société civile organisée, composée notamment des partenaires sociaux et au-delà, devait se structurer au niveau mondial pour mieux se faire entendre en particulier des organisations internationales, membres de la famille des Nations Unies. J’ai beaucoup soutenu cette démarche. Il y avait un espace indispensable à remplir – vous l’avez fait admirablement. Un des objectifs fondamentaux de l’AICESIS est de développer le dialogue entre les acteurs socioprofessionnels et les responsables socio-économiques: c’est là un point de convergence avec l’OIT, tout comme le soutien à la notion de travail décent. Je crois qu’il serait utile de noter les choses que nous avons faites ensemble. En mai 2004, j’ai eu le plaisir d’inviter ici au BIT à Genève l’AICESIS à l’occasion de la tenue de son assemblée générale. Déjà, je soulignais une philosophie et des objectifs communs: représentation des employeurs et des travailleurs et, pour les CES, d’autres représentants de la société civile, dialogue social comme base du progrès vers une mondialisation plus juste. Page 1 En 2006, le Conseil d’administration du BIT a accordé la possibilité permanente à l’AICESIS de se faire représenter aux réunions de l’OIT qui présenteraient un intérêt pour elle. L’OIT aussi bénéficie depuis de ce statut d’invité permanent aux réunions de l’AICESIS. En juin 2007, j’ai eu le plaisir de m’adresser à vous pour souligner à nouveau l’importance de notre engagement commun en faveur de la dimension humaine de la mondialisation et d’une meilleure régulation du système économique et social multilatéral. En outre, il faut souligner le soutien précurseur et sans faille de l’AICESIS à l’Agenda du travail décent, à l’instar de l’Union interparlementaire (UIP), et aux recommandations de la Commission sur la dimension sociale de la mondialisation, concrétisé par les interventions régulières de l’AICESIS à la CIT. Ces dernières années, le BIT et l’AICESIS ont organisé un nombre croissant d’initiatives communes: à Cotonou, Sénégal, en 2010, à Rome, en République dominicaine en 2011. Tout ça pour signaler que c’est une relation qui marche. Nous faisons des choses ensemble – reflétant le rôle fondamental que vous jouez. Maintenant, on signera un protocole de coopération. C’est une étape décisive dans l’histoire des relations entre l’OIT et l’AICESIS. Il s’agit de mettre en œuvre un partenariat durable fondé sur le partage de valeurs communes pour une coopération mutuellement profitable. (Suite du discours en anglais) Chers amis, La conférence que nous tenons aujourd’hui tombe à point nommé. Elle a lieu juste avant la discussion de la Conférence internationale du Travail sur une recommandation possible concernant les socles de protection sociale. Retraçons l’historique de cette question. En 2009, la Conférence internationale du Travail a approuvé le Pacte mondial pour l’emploi. Ce pacte, qui constitue la réponse de l’OIT à la crise mondiale, a été considéré comme une contribution majeure par les Nations Unies, le G20 et d’autres instances. Il appelait les pays à «envisager, selon les besoins, de mettre en place une protection sociale adéquate universelle fondée sur un socle de protection sociale». En avril 2009, reconnaissant l’importance et la nécessité de systèmes de protection sociale adéquats, le Conseil des chefs de secrétariat des organismes des Nations Unies (CCS) a adopté «l’Initiative pour un socle de protection sociale» – c’est ainsi que ce qui avait commencé au BIT s’est étendu à l’ensemble du monde. L’OIT et l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ont été désignées chefs de file de cette initiative et l’OIT en accueille le secrétariat. Un réel partenariat, au sein et au-delà de la famille des Nations Unies, a vu le jour. Il regroupe plus de 19 organismes des Nations Unies, des institutions financières internationales et plus de 14 partenaires pour le développement. Les socles de protection sociale favorisent l’accès aux transferts et services sociaux. Lors de la Conférence internationale du Travail de 2011, les délégués tripartites des 183 Etats Membres de l’OIT se sont mis d’accord sur l’identité des socles de protection sociale: Page 2 […] un socle de protection sociale comportant des garanties élémentaires de sécurité sociale en vertu desquelles, tout au long de la vie, toutes les personnes qui en ont besoin auront les moyens nécessaires et un accès effectif à des soins de santé essentiels, et une sécurité du revenu se situant au moins à un niveau minimal défini à l’échelon national. Les politiques relatives au socle de protection sociale devraient viser à faciliter un accès effectif aux biens et services essentiels, promouvoir des activités économiques productives et être mises en œuvre en étroite coordination avec d’autres politiques visant à améliorer l’employabilité, à réduire l’informalité et la précarité, à créer des emplois décents et à promouvoir l’esprit d’entreprise. Pour l’OIT, le concept de socle de protection sociale, son fondement politique, découle du fait que 75 à 80 pour cent de la population mondiale n’a pas accès à la sécurité sociale. Il s’agit dès lors de susciter un consensus mondial sur l’idée que le socle de protection sociale est une nécessité pour toute société. Si l’objectif est de venir à bout de la pauvreté, il faut trouver les moyens d’ajuster les politiques macroéconomiques et d’étendre la protection sociale, en fonction des circonstances nationales. En collaboration avec l’OMS et dans le cadre de l’Initiative du CCS en faveur d’un socle de protection sociale, en 2010, l’OIT a réuni le Groupe consultatif sur le socle de protection sociale, présidé par l’ancienne Présidente du Chili, Michelle Bachelet. Ce groupe avait pour mission de renforcer la promotion mondiale de ces socles et de fournir des orientations générales concernant leurs aspects conceptuels, politiques et de mise en œuvre. Le groupe était composé d’éminentes personnalités venues de toutes les régions et disposant d’une expérience à la fois politique et technique. Eveline Herfkens, par exemple, apporte sa vaste connaissance de la vie politique au niveau national et dans le cadre des Nations Unies. Je suis très heureux qu’elle soit parmi nous aujourd’hui. Le rapport final du groupe, rendu public en octobre 2011, marque un tournant dans le domaine de la protection sociale. Il a été notamment reconnu par le Sommet du G20 et le système des Nations Unies. Ce processus très dynamique, initié par l’OIT en 2009 et qui a bénéficié d’un soutien international, fait de nouveau l’objet de la plus grande attention au BIT, où se prépare une discussion sur le contenu d’une possible norme mondiale. Tel est le contexte, notamment institutionnel, dans lequel s’inscrit cette réunion. Permettez-moi de vous rappeler que le système normatif de l’OIT se caractérise par l’adoption de conventions et de recommandations. Tandis que les conventions sont sujettes à ratification par les Etats Membres, les recommandations fournissent un cadre pour l’élaboration des politiques. Par conséquent, si elle est adoptée par notre Conférence, cette recommandation sur les socles de protection sociale contribuera grandement à la concrétisation de ce concept en établissant un cadre commun pour des applications nationales diverses. Je le répète – le concept de socle de protection sociale se traduira de façon distincte en fonction des particularités propres à chaque pays. La coopération interinstitutions se poursuit avec force. A ce sujet, je souhaite souligner le rôle multidimensionnel joué par de tels socles: ils protègent, ils donnent aux travailleurs la possibilité d’évoluer sur le marché du travail, ils servent de stabilisateurs économiques et, comme nous avons pu le constater dans les pays qui ont élargi leurs systèmes de protection sociale en réponse à la crise, ils contribuent à l’augmentation de la demande effective. Améliorer la protection sociale des plus vulnérables a un effet immédiat sur la vie des personnes et sur l’économie. Je suis convaincu que les socles de protection sociale seront indispensables à la mise en place de modèles de croissance inclusifs et justes. Au niveau national, le dialogue social tripartite – qui inclut aussi tous les acteurs de la protection sociale – est essentiel à l’élaboration d’une politique et à sa mise en œuvre. Page 3 Permettez-moi de porter un regard plus large sur des réalités actuelles qui, à mon sens, devront changer si cette initiative pour un socle de protection sociale s’inscrit réellement dans nos politiques et produit tous ses effets. Le sentiment que nous arrivons à la fin d’un cycle n’a jamais été aussi présent que ces dernières années. Nous observons les prémices d’une nouvelle ère, pour ce qui est de la définition des politiques, des modèles de croissance économique, des contours de la mondialisation, du progrès social, des équilibres géopolitiques et jusque dans la montée inouïe des inégalités presque partout. De diverses manières et avec différentes méthodes, partout on cherche des solutions de rechange fondées sur l’équité, la justice sociale, le respect de la dignité humaine et la dignité du travail en société. Je crois que la fin d’un cycle se préparait depuis quelques temps. La crise mondiale n’a fait qu’en précipiter l’avènement. Il y a une accumulation de problèmes de dimension mondiale qui restent sans solution, trop complexes, semble-t-il, pour être réglés par les modalités de gouvernance actuelles, mais touchant chaque foyer, chaque entreprise, chaque pays partout dans le monde. Une opinion répandue veut que de puissantes forces, souvent associées à la mondialisation, façonnent notre avenir, depuis la base jusqu’aux niveaux national, régional et mondial, et que nous n’y pouvons rien. C’est faux! La crise mondiale semble être entrée dans une nouvelle phase. Sous la pression des marchés financiers, certains gouvernements se voient contraints d’adopter, dans la hâte et sans consultation préalable, des plans d’austérité dont le coût social est considérable. L’Amérique latine, dans les années quatre-vingt, et l’Asie, dans les années quatre-vingt-dix, ont connu cette expérience avec le Fonds monétaire international (FMI). C’est aujourd’hui le tour de l’Europe. Nous observons les effets que peuvent avoir certains choix politiques. Des conséquences négatives sur les relations sur le lieu de travail ont déjà pu être constatées: grèves, manifestations, détérioration du climat social, spectre d’un conflit social grandissant. Cette tendance est dangereuse car elle risque d’infléchir, de stopper, voire de renverser la dynamique d’une reprise déjà timide. Elle a un effet tout aussi marqué, et même plus préoccupant, sur la crédibilité des gouvernements et des systèmes politiques et leur capacité à trouver des solutions équilibrées. Les politiques mises en œuvre ont en effet des conséquences directes sur les gouvernements qui en sont à l’origine. Les citoyens n’hésitent pas à réagir politiquement pour rejeter des politiques perçues comme profondément injustes. L’AICESIS est consciente des inquiétudes exprimées par la société. Vous êtes en mesure de les percevoir et de participer à la recherche de solutions constructives. Plus la discordance entre les gouvernements et les populations se creuse, plus la tâche est ardue. Permettez-moi d’attirer votre attention sur certains problèmes à ce jour non réglés: ■ Premièrement, une confiance mal placée dans les avantages d’une libéralisation et d’une déréglementation sans frein des comptes financiers et de capitaux a entraîné une déconnexion, un déséquilibre entre les activités financières et l’économie réelle. Cette situation, improductive et déstabilisante, a débouché directement sur la crise économique et financière. L’absence de structures institutionnelles et réglementaires appropriées entraîne une volatilité financière extrêmement contagieuse et ébranle les fondements des activités et des lieux de travail de l’économie réelle. En voici un chiffre révélateur: les actifs combinés des fonds de placement spéculatif ont dépassé 2 000 milliards de dollars en 2012, niveau que seuls les PIB de huit pays ont pu atteindre. Page 4 ■ Deuxièmement, il existe un déficit d’emplois décents au niveau mondial qui va de pair avec un nombre record de chômeurs: 200 millions, et 400 millions de nouveaux arrivants sur le marché du travail prévus d’ici à 2020. ■ Troisièmement, les signes de pressions sur l’environnement se multiplient et des événements climatiques extrêmes, liés en grande partie au réchauffement de la planète, sont à l’origine de dommages économiques et de tensions sociales. ■ Quatrièmement, on constate une perte de confiance et des frustrations grandissantes parmi les citoyens, en particulier les jeunes, vis-à-vis de la classe politique et économique. La démocratie représentative est perçue comme un concept vide de sens par ceux qui, un peu partout, défilent dans les rues. Ces manifestants se saisissent de la démocratie participative dans l’espoir d’arriver à s’insérer. Des enquêtes mondiales montrent que, dans 17 pays sur 22, la majorité de la population estime qu’avantages et charges économiques sont injustement répartis dans le pays 1. La demande de justice sociale se fait de plus en plus criante. ■ Cinquièmement, les instances internationales et les dirigeants mondiaux semblent incapables ou peu disposés, dans l’ensemble, à s’attaquer aux problèmes «trop lourds pour être réglés». Depuis quelques temps déjà, aucun accord international n’a été conclu dans les domaines de la finance, du commerce ou du changement climatique. La capacité de direction fait défaut, ce qui est ressenti par les populations à des degrés multiples. Je reviens vers vous pour insister sur la dimension à la fois nationale et mondiale de ces problèmes. Nous nous trouvons à la charnière de deux cycles et dans une période marquée par l’incertitude. Un équilibre nouveau doit être trouvé. Vous êtes en mesure de jouer ce rôle stabilisateur. Vous avez la capacité d’évaluer l’évolution actuelle: les tensions aboutiront-elles à une explosion, les mécontentements peuvent-ils être apaisés, peut-on trouver un espace institutionnel propice à un dialogue constructif? Voilà le rôle historique que l’AICESIS est appelée à jouer. A mon sens, deux défis majeurs doivent être relevés. Le premier consiste à mieux intégrer certains domaines des politiques sectorielles, en particulier les politiques macroéconomiques, les politiques financières, commerciales, sociales et du travail, ainsi que les politiques environnementales. Il y a des arbitrages à faire entre ces domaines, mais il existe aussi de nombreuses complémentarités et des synergies qui se renforcent mutuellement. Afin de tirer le meilleur parti possible de ces points de convergence et de minimiser les divergences, tout en élargissant la marge de manœuvre politique aux niveaux national et régional, il est urgent de renforcer la coopération et la cohérence entre les institutions internationales et entre les domaines de compétence ministériels à l’échelle nationale. Il s’agit d’un chantier en cours, mais qui a pris du retard. Nous devons être capables de penser de manière intégrée et non de simplement empiler les politiques sectorielles les unes sur les autres. Nous devons considérer six à huit domaines politiques clés et les articuler entre eux afin d’obtenir de meilleurs résultats. Et vous avez un rôle à jouer dans cette opération. Les grands défis mondiaux sont transfrontaliers. Ils touchent tous les peuples et tous les pays, et constituent, de bien des manières, le second grand défi. Je pense aux biens publics mondiaux: un système de commerce mondial respectueux de l’environnement, une architecture financière qui favorise la stabilité et soit au service de l’économie réelle, mais aussi la pureté de l’air, la préservation de l’environnement, les risques sanitaires ou encore les océans, le climat, la sécurité et la paix. 1 GlobeScan et BBC World Service: «Economic System Seen as Unfair», enquête nationale, (25 avril 2012). Page 5 Je pense également à l’effet de contagion d’un pays aux autres, nos économies étant aujourd’hui mondialisées et hautement interdépendantes. J’évoque ces corrélations car la Constitution de l’OIT énonce que «la pauvreté, où qu’elle existe, constitue un danger pour la prospérité de tous». Il en est de même pour le travail décent, ou le manque de travail décent, qui contribue, notamment par l’application des normes internationales du travail, à la stabilité, ou à l’instabilité, mondiale. Le processus de décision démocratique international concernant les défis mondiaux, qui touchent l’ensemble de la planète, n’en est qu’à ses premiers balbutiements. Les dispositifs et les procédures institutionnels actuels, principalement liés aux Nations Unies, mais aussi au groupe de pays du G20 et à des initiatives privées, ne répondent pas pleinement à l’ampleur des enjeux. Il existe un consensus sur la nécessité d’envisager de nouveaux moyens d’action. Un certain nombre de propositions, à différents niveaux, ont été faites dans ce sens. Une fois encore, c’est un chantier qui avance, mais à un rythme insuffisant. Si j’insiste tant sur ces difficultés, c’est qu’aucun progrès ne peut se faire sans dialogue, sans unité de vues, sans approches communes: le consensus est la base de tout progrès. Et c’est, par essence, ce que vous représentez. Le dialogue préalable à l’action à tous les niveaux, le dialogue social, le dialogue politique, le dialogue local et le dialogue international, de l’échelle sous-régionale à l’échelle mondiale, seront essentiels. Comme nous le savons, le dialogue se construit sur des relations de confiance et de stabilité, or ces conditions sont toutes deux menacées. La rupture grandissante entre citoyens et gouvernements en est une illustration. Les conseils économiques et sociaux jouent un rôle clé dans ce dialogue: un rôle de prévention et d’orientation. L’AICESIS, les conseils économiques et sociaux nationaux et d’autres organismes tripartites nationaux ont un rôle clé à jouer en cette période d’incertitude et de malaise social. Ils doivent proposer une nouvelle voie dans laquelle les objectifs de politique économique ne contredisent pas les objectifs de politique sociale. Sur la scène internationale, les rapports de force et d’influence évoluent. A l’heure qu’il est, aucun pays ou groupe de pays n’est à même d’assumer le rôle de chef de file. La crise n’a pas été vécue partout de la même manière: les pays émergents en ont moins souffert que les pays développés; ils ont pris leurs responsabilités pour y faire face, ce qui est une attitude nouvelle. En cette période complexe, il faut trouver un nouvel équilibre. Pour conclure, permettez-moi de réaffirmer à quel point le dialogue social est précieux pour favoriser la stabilité sociale. Je vous remercie. *** Texte original en anglais. Page 6