Extrait des Mises à jour en Gynécologie et Obstétrique

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Extrait des Mises à jour en Gynécologie et Obstétrique
COLLÈGE NATIONAL
DES GYNÉCOLOGUES ET OBSTÉTRICIENS FRANÇAIS
Président : Professeur J. Lansac
Extrait des
Mises à jour
en Gynécologie
et Obstétrique
–
TOME XXXII
publié le 3.12.2008
TRENTE-DEUXIÈMES JOURNÉES NATIONALES
Paris, 2008
L’IMG : une clinique
de l’indésirable
D. VERNIER *
(Paris)
Le diagnostic anténatal a amené une clinique très particulière,
lourde de responsabilités et très éprouvante émotionnellement ; psychologue clinicienne, je la côtoie au quotidien.
Confrontés à cette médecine, les soignants en obstétrique ont eu
à inventer une prise en charge difficile permettant de mieux soutenir
les patientes dans ces moments douloureux.
L’aspect psychologique de la prise en charge médicale des IMG
me semble reposer sur cette « alchimie » soignant-patiente étroitement
liés. Depuis maintenant une vingtaine d’années, nous savons qu’il est
préférable de ne pas cacher la réalité ; parler de la malformation, la
montrer, avec beaucoup de précautions, va permettre que le couple
supporte au mieux la situation. Aujourd’hui, les mentalités ayant évolué, les médecins sont amenés à davantage de transparence, un véritable dialogue s’instaure avec les parents et les informations sont
données avec précision.
* Psychologue clinicienne - Hôpital Robert Debré - Service de Gynécologie Obstétrique 48 boulevard Sérurier - 75985 Paris cedex 19
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VERNIER
TRAVAIL DE LIAISON
La prise en charge de l’IMG suit un protocole médical précis
ainsi que son accompagnement.
Il est expliqué au couple lors de la consultation de diagnostic
anténatal. J’assiste à cette consultation fréquemment, ce qui permet
une prise de contact et de pouvoir recevoir le couple à la suite de cette
dernière. J’essaie de maintenir un fil conducteur de l’anténatal au postnatal, véritable compagnonnage avec l’équipe et suivi classique avec
le couple.
On voit ici l’importance du travail de liaison nécessaire pour que
les choses dites soient entendues, comprises et reliées à l’équipe qui
devra prendre en charge la patiente ; éviter les redites, pouvoir
répondre aux questions de la patiente afin de ne pas la réinterroger à
plusieurs reprises.
Effrayée par l’imaginaire que provoque une malformation,
l’équipe en salle doit connaître le diagnostic posé afin d’éviter des
représentations négatives ou un jugement concernant le choix des
parents.
PENSER LES PROTOCOLES
Pour le couple amené à vivre l’interruption de grossesse, il s’agit
d’une expérience unique. Les protocoles sont des repères à la fois pour
les équipes et pour les patients pour se sentir en sécurité, mais nous
nous devons de toujours les interroger afin d’être les plus attentifs aux
couples qui vivent là une situation extrême. Pour le couple amené à
vivre l’interruption de grossesse, l’annonce de l’anomalie est un véritable choc qui entraîne une sidération et un véritable arrêt du cours
de la pensée ; et ce, même s’ils ont été avertis au préalable, ils sont
dans un moment de chaos.
La prise en charge psychologique essentielle est de respecter les
différents temps inhérents au diagnostic anténatal et à sa prise en
charge : temps de l’annonce, temps de l’information, temps de la décision, déroulement et organisation personnelle que ce soit du couple ou
de l’équipe, et enfin sa prise en charge.
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L’IMG
:
UNE CLINIQUE DE L’INDÉSIRABLE
URGENCE ?
Il n’y a aucune urgence à hospitaliser la femme, sauf bien sûr
pour des raisons médicales qui risqueraient de la mettre en danger ;
en revanche il y a urgence à les recevoir au moment de l’annonce, à
ne pas les laisser seuls. Il s’agit de leur donner du temps pour cheminer, un temps accompagné et non pas un temps dans le vide qui ne
peut que générer de l’angoisse.
Le psychologue est le gardien de ces temps : ne pas répondre à
l’urgence, être là quand tout vacille, temporiser pour contenir les
affects déstructurants, tenir bon pour laisser venir les angoisses massives, sans se laisser entamer.
TEMPS ET DÉCISION…
Ce temps permet au couple de s’interroger, de reposer des questions, de voir ou de revoir éventuellement un spécialiste. Ce temps en
amont de la décision aide le couple à ne pas ressentir de précipitation
pour décider d’arrêter la vie. Pour les parents, le doute de ne pas avoir
« tout fait » pour leur enfant les hantera toujours. Ils doivent garder le
sentiment d’avoir tout tenté pour leur enfant, même si pour le corps
médical les choses sont plus évidentes.
Ce temps donné leur est nécessaire et doit être manié avec précaution, si nous estimons « a priori » qu’ils vont demander l’arrêt de
la grossesse, nous nous devons de rester prudents, pour eux l’espoir
est encore là et c’est quand ils pourront arriver à leur décision qu’ils
seront à même de se séparer de leur enfant.
Il s’agit du cheminement de la pensée, d’un temps variable pour
chacun : quand une patiente demande « est-ce qu’on peut arrêter la
grossesse à ce terme-là ? », car la femme ignore la réglementation, le
médecin va être tenté de répondre « oui » et d’enchaîner par exemple
en disant « inutile de faire l’écho », or la patiente a besoin de cette
écho pour continuer à cheminer psychiquement. Elle n’est pas encore
à ce moment-là.
Le couple a souvent besoin qu’on lui répète plusieurs fois le diagnostic, ce qui permet qu’il reprenne pied dans la réalité, et qu’à ce
moment-là il accède à la décision qui devient véritablement la sienne.
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VERNIER
Il ne s’agit pas de les laisser seuls porter le poids de cette décision, qui est dictée avant tout par le diagnostic médical, mais de les
soutenir à la prendre. La femme ne peut pas rester dans l’illusion
qu’elle va simplement arrêter la grossesse ; elle doit pouvoir accéder
à la décision radicale d’arrêter la vie de son enfant et pour cela elle
doit passer par différents mouvements psychiques qui sont des étapes
nécessaires pour décider.
L’équipe par son attitude empathique permet de contenir les
affects qui sont parfois violents, les défenses psychiques sont massives :
déni, clivage, grâce à la compréhension de ces défenses par les soignants, elles vont pouvoir s’assouplir.
Les couples comprennent bien qu’il n’y a pas d’urgence même
s’ils ont pu demander « d’aller vite, et de ne pas attendre ». Ce bébé
qui leur faisait peur redevient leur enfant avec une pathologie grave,
pour laquelle ils ont à prendre cette décision.
Les explications données du devenir du corps de leur bébé les
aident à comprendre et à prévoir ce que, eux veulent, et non pas ce
qu’« il faut faire » pour être de bons parents ou mieux « faire son
deuil ».
Ils vont s’organiser psychiquement et concrètement.
LE RÔLE DES SOIGNANTS
C’est avant tout le médecin et la sage-femme qui prennent en
charge la patiente, au moment du diagnostic, en salle d’accouchement,
dans le service, en consultation et avec eux l’équipe infirmière aidesoignante. Le psychologue est auprès d’eux, prêt à intervenir à leur
demande.
Aujourd’hui, la présence des psychologues en maternité est
davantage connue, les couples consultent directement, en particulier
dans leur réflexion au moment de la décision, moment de doute et
d’interrogation profonde.
Pour ma part, faire partie de l’équipe, c’est être disponible auprès
des soignants et auprès du couple dans les bouleversements que chacun traverse.
La sage-femme apporte la reconnaissance de l’enfant, elle met
au monde les enfants et son savoir-faire humanise ce fœtus, bébé en
devenir. Quand elle peut prendre dans ses bras l’enfant mort, elle
permet à la mère de l’accueillir : « la sage-femme l’a pris en disant
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L’IMG
:
UNE CLINIQUE DE L’INDÉSIRABLE
« viens-là mon p’tit bonhomme », et j’ai tendu les bras en criant :
« donnez-le moi », sans elle je ne l’aurais jamais fait ». C’est de cette
alchimie dont je parlais, qui ne s’apprend pas, mais qui s’invente au
cas par cas, si on laisse parler les émotions. « Je n’étais pas sûre de
vouloir le voir, j’ai fait confiance, et de l’avoir vu, ça m’aide à comprendre qu’il n’est plus là… ».
La salle de naissance est le lieu où tout se vit. Accompagnés, les
couples vivent ces situations dramatiques, ils disent en être « sortis
grandis », quand nous avons pu les aider à dépasser leurs peurs.
RITUELS
Au fur et à mesure des années, de nombreux rituels ont été imaginés, en parler aide le couple à faire ce qui va lui convenir dans le
respect de ses convictions, mais il peut aussi ne rien faire ! Un grand
tact et beaucoup de délicatesse sont de mise afin de respecter leur intimité et leur choix.
Cette adaptation au cas par cas demande une grande disponibilité émotionnelle, sans jugement, sans « faire à la place » et sans savoir
pour l’autre, ce qui dans les pratiques médicales est peu habituel.
Les rituels viennent donner du sens à ce bébé mort à l’hôpital,
que personne ou presque n’aura vu et qui risque d’être oublié par
l’entourage. Le devoir de sépulture leur permet de se reconnaître responsables, parents à leur tour, malgré tout.
La déclaration à l’état civil pour tout fœtus sans limite de date de
gestation, décret de ce mois d’août 2008, aura probablement des
répercussions, cela devrait répondre à la demande de quelques-uns
mais là encore la reconnaissance collective n’est pas seulement celle
attendue.
Pour certains, la perte d’un fœtus peut rester quelque chose
d’intime sans besoin d’inscription qui risquerait de donner davantage
de poids à leur désarroi et les laisser désemparés.
La reconnaissance de pertes très précoces paraît davantage du
ressort de la reconnaissance de la perte et de la peine qui est associée
que l’inscription à l’état civil, ici encore raisonnons au cas par cas.
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VERNIER
LA CONSULTATION POST-IMG
Elle est essentielle à la prise en charge globale. Elle est bien sûr
nécessaire au couple pour les résultats d’examens qu’il attend avec
impatience et beaucoup d’anxiété. Pour eux, il s’agit de « clore le dossier », il manque une dernière pièce à l’histoire et ils peuvent passer à
autre chose, sorte de point final au dossier médical et qui ouvre vers
un autre temps, davantage celui du deuil.
Cette consultation se doit d’ouvrir le discours sur les ressentis, le
médecin doit demander comment ils sont après cette épreuve ?...
même si la crainte est au premier plan, longueur de la consultation,
émotions importantes ; c’est en effet le moment où le couple va se
reparler de l’événement, la femme est souvent surprise d’entendre son
compagnon parler d’insomnie, de fuite en avant dans le travail, de
plaintes somatiques, d’évitement de l’hôpital, etc.
LE TEMPS DU DEUIL
Douleur, culpabilité, honte font partie de ce deuil complexe.
Comment faire le deuil d’un enfant qui n’a pas vécu dans la
famille, sorte d’enfant virtuel, attendu par tous et déjà oublié. Pour ne
pas avoir mal, l’entourage préfère ignorer leur chagrin. Les femmes
éprouvent un grand vide corporel, une grande solitude, elles se sentent meurtries tout au fond d’elles-mêmes sans pouvoir partager cette
douleur, se sentant parfois même illégitimes dans leur malheur : ont-elles
le droit de pleurer cet enfant non encore advenu ? Sont-elles mères ?
Leur peine n’est-elle pas trop longue ? Ne faudrait-il pas passer à autre
chose ? Tu y penses encore ?... C’est ce qu’elles entendent de leur
entourage, souvent démuni et impuissant à les consoler.
« Je me sens dure à l’intérieur de moi, mais personne ne s’en rend
compte… de tout façon personne n’en parle plus… quand ils parlent
d’enfants, ils parlent de ceux des autres, ceux qui sont là ou ceux qui
viendront, même ma mère a dit que c’est mon frère qui va lui donner
d’autres petits enfants, à moi elle ne me dit rien, comme si je n’étais
pas là » (IMG 24SA).
Se sentir transparente, comme absente de la scène quand
l’entourage évite le sujet.
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L’IMG
:
UNE CLINIQUE DE L’INDÉSIRABLE
Leur culpabilité est au premier plan, les femmes ne s’autorisent
pas à montrer leur chagrin qu’elles estiment avoir provoqué par leur
décision, elles en oublient la raison médicale grave et demeurent avec
ce reproche incessant qu’elles ont fait mourir leur enfant ou qu’elles
l’ont tué. On voit ici l’importance de rappeler la raison de la mort de
leur enfant lors d’une consultation médicale. Cette culpabilité peut les
ronger et elles peuvent se replier sur elles-mêmes, « sèches », ne montrant rien de leur douleur : « je m’enferme dans ma souffrance, ne dis
rien… je deviens dure et sèche… je m’interdis de pleurer, je n’en ai
pas le droit, ma culpabilité m’étouffe… ». Nous savons combien les
choses non-dites rendent coupables.
Les aider à en parler va permettre une mise à distance, évoquer
ce que disent d’autres femmes les aide à se sentir comprises.
En même temps, elles maintiennent cette douleur de peur
d’oublier leur enfant, la maintenir permet d’y penser encore, ce qui
fait exister cet enfant, douleur nostalgique, compagne du deuil vivant.
Il peut prendre beaucoup d’aspects, se rappeler à d’autres en fonction
de l’histoire de chacune.
Il est difficile de résumer ce deuil complexe, polymorphe, qui
prend du temps comme tout deuil, sait-on s’il se termine un jour ?
LA GROSSESSE D’APRÈS
L’envie de refaire rapidement un autre enfant peut être exprimée,
« j’ai besoin de combler ce vide », c’est aussi être en vie, ne pas rester « arrêtée dans le malheur », c’est restaurer un narcissisme profondément blessé. Avec un temps variable pour chacun dans le couple, le
désir refait surface. Cela ne veut pas dire que ce bébé sera oublié. Le
suivi de la grossesse d’après permettra de les différencier. La grossesse
suivante est envahie de peurs, la femme s’empêche de rêver de son
bébé, de lui acheter des vêtements, comme si l’investir voulait dire :
y croire !, et donc se condamner à être malheureuse en ne réussissant
pas cette nouvelle grossesse.
La dévalorisation est au premier plan, la punition est sous-jacente,
chaque examen est appréhendé comme annonciateur de catastrophes.
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VERNIER
CONCLUSION
La valorisation de ce travail d’accompagnement des IMG est
indispensable et devrait être l’objectif de toute équipe médicale. Ces
événements, quand ils sont reconnus et non pas passés sous silence,
permettent aux parents de se reconstruire et aux équipes de continuer
ces prises en charge délicates, en y trouvant du sens. L’accompagnement humain repose sur ces moments forts qui apportent respect
et dignité, où il ne peut y avoir de faux-fuyants. Il pourrait être le
modèle de toutes les situations difficiles en maternité.
Il s’agit là d’une médecine difficile, à l’antithèse de sa vocation
première puisqu’il s’agit de donner la mort. Pourtant il me semble
qu’elle s’inscrit dans un rôle de prévention et qu’avec précaution et
humanisation, elle doit permettre au couple de reprendre place dans
sa trajectoire de vie.
Il s’agit d’un véritable questionnement qui autorise à penser le
doute et qui peut permettre une réflexion au cas par cas, adaptée à
chaque patient, sans rien imposer.
Résumé
L’aspect psychologique de la prise en charge de l’IMG est aujourd’hui bien encadré. Pourtant, tout repose sur la compétence et la disponibilité émotionnelles des soignants.
La lourdeur des situations ainsi que la charge professionnelle en maternité rendent la prise en charge délicate. Le temps à accorder et la disponibilité ne sont pas toujours reconnus alors qu’ils sont la priorité de tout accompagnement humain.
Pour que cette prise en charge garde sa qualité et son importance, nous apportons
quelques témoignages et interrogations afin de développer ce thème.
Mots clés : temps, élaboration, reconnaissance, deuil
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