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Épidémiologie
de la polyarthrite rhumatoïde
en France et dans le monde
● A.
Saraux, C. Guedes, J. Allain, V. Devauchelle, P. Le Goff*
Points forts
■ La prévalence minimale de la polyarthrite rhumatoïde
est de l’ordre de 0,2 à 0,5 % en France.
■ L’incidence de la polyarthrite rhumatoïde, qui a été
évaluée seulement en Lorraine, est estimée à 9/100 000.
■ La comparaison entre les pays est difficile du fait des
différences méthodologiques, mais les chiffres français
sont plutôt plus faibles que ceux des autres pays.
■ Une comparaison de différentes populations ou même
de différentes régions d’un même pays, avec une même
méthodologie, pourrait réorienter la recherche fondamentale portant sur l’étiopathogénie de la maladie.
Mots-clés : Épidémiologie - Polyarthrite rhumatoïde.
C
onnaître la prévalence (nombre de cas d’une maladie dans
une population donnée à un moment précis) et l’incidence
(nombre de nouveaux cas d’une maladie dans une population donnée pendant une période d’observation) de la polyarthrite rhumatoïde peut paraître secondaire pour le rhumatologue. Pourtant, de nombreuses raisons peuvent pousser les
rhumatologues épidémiologistes à déterminer avec une grande
précision ces paramètres :
– Estimer l’incidence et la prévalence des rhumatismes inflammatoires chroniques dans plusieurs régions ou populations, à
la même époque ou à des époques différentes, peut permettre
une approche étiologique des maladies et réorienter les
* Service de rhumatologie, CHU de la Cavale-Blanche, Brest.
18
recherches fondamentales à partir de l’observation de facteurs
de risque environnementaux ou génétiques.
– Une connaissance plus exacte de la situation permettrait de
mieux argumenter les besoins en soins curatifs, en matière de
prise en charge extrahospitalière et sociale, voire de fournir
des arguments pour d’éventuels efforts de prévention secondaire ou tertiaire.
– Définir l’incidence et la prévalence des rhumatismes inflammatoires chroniques dans une région donnée peut permettre
la vérification de la représentativité des populations de patients
inclus dans des études prospectives de rhumatismes inflammatoires débutants, ce qui est indispensable pour l’étude de la
valeur diagnostique des tests biologiques à l’échelon des populations, et non d’un contexte particulier.
Il est donc utile pour le praticien de connaître l’incidence et
la prévalence actuelles de la polyarthrite rhumatoïde en France.
Il est tout aussi intéressant de disposer des données actuelles
dans les autres régions du monde et en France au fil du temps
pour pouvoir réaliser des comparaisons génératrices d’hypothèses de recherches nouvelles.
FLUCTUATION DE LA PRÉVALENCE
ET DE L’INCIDENCE DANS L’ESPACE
Prévalence (tableau I)
En France, quatre études régionales ont déjà été réalisées pour
déterminer la prévalence de la polyarthrite rhumatoïde.
Tout d’abord, Bregeon et coll. (1) ont essayé de déterminer la
prévalence de la polyarthrite rhumatoïde définie par la présence des deux premiers critères de New York (2) dans l’arrondissement d’Angers. Ils trouvent une prévalence n’atteignant que 0,17 %, mais plusieurs biais sont retenus par les
auteurs eux-mêmes, le principal étant un biais de recrutement,
dans la mesure où seuls les patients suivis par un rhumatologue ont été sélectionnés.
À Lille, l’équipe de Louvot et coll. (3), avec une méthodologie qui repose aussi sur l’interrogatoire des praticiens (généralistes et rhumatologues), confirme ce chiffre.
La Lettre du Rhumatologue - n° 253 - juin 1999
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Tableau I. Prévalence de la polyarthrite rhumatoïde à travers le
monde : population cible et prévalence (17).
(Les valeurs sont indicatives et ne permettent pas une réelle comparaison, car la répartition
par tranche d’âge de la population cible n’est pas standardisée dans ces études et les différences méthodologiques sont importantes).
Groupe étudié
France
Angers
Loire-Atlantique
Lille
Bretagne (minimum)
Population
cible
240 000
–
851 685
2 873 000
Prévalence
(%)
0,17
0,22
0,17
0,53
Europe
Grande-Bretagne
Suède
Danemark
Finlande
Norvège
Yougoslavie
Grèce
Amérique
Rochester, USA
Sudbury, USA
Eskimo, Alaska
Inupiat, Alaska
Yupik, Alaska
Nuu-Chah, Alaska
Inuit, Canada
Indiens Yakima
Indiens Pima
Indiens Pima
Afrique
Nigeria
Lesotho, Afrique du Sud
Venda, Afrique du Sud
Asie
Indonésie
Chine
Hong Kong
Chine
Philippines
Inde
Pakistan
Irak
1 350 femmes
–
200 800
–
–
–
356 486
–
287 109
1,2
0,5
0,55
0,51
0,9
1,9
0,44
0,18
0,34
–
5 976
1 443
4 600
13 230
2 300
4 000
1 731
2 006
2 000
1
0,35
0,8
1
0,9
1
1,8
3,4
5,9
5,3
–
1 752
559
0
0,3
0
–
60 000
–
–
77 051
44 551
–
–
0,2
0,3
0,35
0,34
0,17
0,75
0,14
1,02
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En Europe, peu d’auteurs ont pu définir avec précision la prévalence de la polyarthrite rhumatoïde dans leur pays. Méthodologiquement, un des meilleurs travaux est celui de Spector
et coll. (6) en Grande-Bretagne ; ils ont contacté 11 000 femmes
âgées de 45 à 64 ans et proposé à celles qui présentaient des
signes rhumatologiques un examen clinique, biologique et
radiologique, pour vérifier si elles présentaient ou non les critères de la polyarthrite rhumatoïde classique ou définie selon
les critères de l’ARA de 1958. Mille trois femmes ont été examinées et la prévalence de la polyarthrite rhumatoïde a pu être
estimée à 1,2 % dans cette population. Il est très difficile de
savoir s’il existe des différences de prévalence d’un pays à
l’autre, notamment un gradient nord-sud, puisque les études
conduites dans diverses régions de l’Europe n’ont pas une
méthodologie comparable. C’est donc avec beaucoup de prudence que l’on note qu’une prévalence de l’ordre de 0,5 % est
retrouvée dans les travaux les plus récents, qui s’appuient sur
les critères de l’ACR, en Norvège, en Suède, en France et en
Grèce (tableau I).
Plusieurs études de population sur échantillons représentatifs,
avec interrogatoire systématique complété par des examens
radiologiques et biologiques en cas de suspicion clinique de
rhumatisme inflammatoire, ont été réalisées en Asie, en Amérique et en Afrique (tableau I). De la même façon, plusieurs
travaux effectués dans des populations fermées, où il est possible d’examiner tous les patients (tribus d’Indiens) ou de
reprendre les fichiers de consultation de tous les patients
(population Inupiat en Alaska), ont permis d’obtenir une prévalence précise au sein de certaines ethnies.
Les extrêmes vont de l’absence de cas dans une population
(en Afrique notamment) à une présence de près de 6 % de cas,
ce qui permet d’affirmer qu’il existe des disparités entre les
populations, même si les différences méthodologiques entre
les différents travaux ne sont pas négligeables (tableau I).
Incidence de la polyarthrite rhumatoïde
En Loire-Atlantique, à l’occasion d’une étude de prévalence
de la maladie de Horton et de la pseudopolyarthrite rhizomélique dans un réseau de recherche en médecine générale, Barrier et coll. (4) retrouvent une prévalence de la polyarthrite
rhumatoïde de 0,22 %, mais de nombreux patients, notamment
ceux qui ne sont suivis que par des rhumatologues, n’ont pas
été pris en compte.
Enfin, en 1997, nous avons conduit une étude téléphonique de
prévalence en population qui permet de retenir une prévalence
minimale de l’ordre de 0,5 % sur l’ensemble de la Bretagne (5).
La Lettre du Rhumatologue - n° 253 - juin 1999
En Lorraine, Guillemin et coll. (8) ont étudié l’incidence de
la polyarthrite rhumatoïde en utilisant les critères de l’ACR
de 1987 et ceux de l’ARA de 1958. Il s’agit, méthodologiquement, d’une étude rigoureuse, mais il est difficile de vérifier que tous les patients ayant présenté un rhumatisme inflammatoire débutant ont été identifiés (par consultation auprès
d’un des médecins généralistes ou rhumatologues de la région
étudiée, par un suivi à l’hopital, ou par une réponse aux appels
suggérés par les médias). L’incidence apparaît donc faible, de
l’ordre de 9/100 000 (sex-ratio femmes/hommes : 2,65).
De nombreux travaux ont été effectués de manière à dépister
l’incidence de la polyarthrite rhumatoïde dans les autres pays,
et une revue des principaux travaux a été réalisée par Dugowson et coll. (9).
En fait, tout le problème des études d’incidence réside dans le
fait que le diagnostic de polyarthrite rhumatoïde est particulièrement difficile dans les formes débutantes. En effet, au
cours de la première année, de nombreux patients ne remplissent pas les critères de l’ACR 1987, qui sont plus des cri19
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tères de classification que des critères de diagnostic. Aussi, à
ce stade, leur sensibilité est probablement beaucoup plus faible
que celle qui leur a été reconnue. À l’opposé, certains patients
qui remplissent les critères de l’ACR après quelques mois
d’évolution peuvent être inclus, alors qu’il sont indemnes de
tout rhumatisme après quelques années de recul, ce qui fait
mettre en doute l’authenticité de la polyarthrite rhumatoïde.
Aussi l’étude de l’incidence n’est-elle possible qu’avec un
suivi à long terme des patients, et les résultats des études d’incidence portent plus sur des rhumatismes inflammatoires
symétriques évoluant depuis moins d’un an que sur ce que l’on
peut appeler avec une quasi-certitude polyarthrite rhumatoïde
après quelques années de recul.
FLUCTUATION DE L’INCIDENCE
ET DE LA PRÉVALENCE DANS LE TEMPS
L’évolution de la fréquence de la polyarthrite rhumatoïde dans
la deuxième moitié de notre siècle a suscité l’intérêt des épidémiologistes, notamment aux États-Unis et en Grande-Bretagne. L’évolution de la polyarthrite rhumatoïde de l’Antiquité
à nos jours a sans doute un intérêt plus grand encore, mais elle
relève plus de l’histoire, de l’archéologie ou de la lecture de
peintures anciennes que de l’épidémiologie (9).
Linos et coll. (10) ont observé une diminution de l’incidence
de la polyarthrite rhumatoïde dans le Minnesota entre 1950 et
1974. En 1991, Dugowson et coll.
(8) ont confirmé ces résultats en
évaluant l’incidence de la polyarthrite rhumatoïde dans la même
région que celle étudiée par Linos.
Chan et coll. (11), en 1993, ont à
leur tour utilisé la même méthodologie que les études précédentes
pour comparer l’incidence de la
polyarthrite rhumatoïde retrouvée
dans le Massachusetts entre 1987
et 1990 à celle observée dans le
Minnesota entre 1950 et 1974, et
ne retrouvent en revanche pas de
diminution de l’incidence de la
maladie dans le temps. Jacobson et coll. (12), enfin, ont étudié
l’incidence de la polyarthrite rhumatoïde chez les Indiens Pima,
en Arizona, sur la période 1965-1990, avec des critères
constants, et notent une diminution de plus de 50 %.
En Grande-Bretagne, Hochberg (13) a comparé l’incidence de
la polyarthrite rhumatoïde rapportée par des médecins volontaires participant à deux études épidémiologiques, l’une entre
1970 et 1972, l’autre entre 1981 et 1982. Il observe une diminution de l’incidence entre les deux périodes, mais le diagnostic
repose seulement sur la conviction du clinicien, et celle-ci a pu
être modifiée avec les avancées technologiques.
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Dans le domaine de la prévalence, et non de l’incidence, les
études qui ont essayé de confirmer les variations dans le temps
n’ont pas permis d’observer de différences indiscutables. Spector et coll. (6) décrivent une prévalence de seulement 1,2 %
de polyarthrite rhumatoïde chez les femmes âgées de 45 à
64 ans en 1992, contre 4,5 % dans le travail de Hochberg, avec
une même méthodologie. À l’opposé, en comparant la prévalence rapportée dans les articles référencés sur Medline (1965
à 1995), Jacobson et coll. (14) n’observent pas de variation
systématique de la prévalence de la polyarthrite rhumatoïde
dans le temps, alors qu’il semble exister une augmentation de
prévalence pour les autres maladies auto-immunes, peut-être
parce qu’elles sont mieux connues.
En fait, les fluctuations d’incidence ou de prévalence dans le
temps peuvent varier :
– dans le sens de la diminution si les diagnostics différentiels
sont mieux connus, ou si les critères de classification appliqués, après exclusion de ces diagnostics différentiels, changent ;
– dans le sens de l’augmentation si la maladie est mieux
connue, si les examens complémentaires qui en permettent le
diagnostic sont plus performants, ou si les critères de classification changent.
Ces modifications sont d’autant plus sensibles qu’il s’agit
d’études d’incidence, puisque l’on étudie alors des nouveaux
cas de rhumatismes inflammatoires dont on sait que le diagnostic précoce est rarement formel et demande le plus souvent quelques années de recul avant d’être confirmé. Aussi, la
lecture des articles précités doit être critique, notamment face
aux biais qui peuvent faire
varier l’incidence dans le
temps, plus particulièrement
dans le sens de la diminution.
Fluctuation de l’incidence
et de la prévalence
selon le terrain
Pour comprendre la responsabilité de l’environnement dans
la genèse de la polyarthrite
rhumatoïde, il pourrait être
utile d’étudier sa prévalence
dans des populations très particulières du fait de leur environnement, à terrain génétique
égal. Cela a déjà pu être envisagé chez les jumeaux et dans
des populations de migrants, mais la rareté relative de la polyarthrite rhumatoïde rend l’interprétation délicate dans la
mesure où les populations étudiées sont de petite taille, alors
que les différences d’environnement sont variées. Néanmoins,
ces travaux ont au moins eu le mérite de démontrer que le terrain génétique n’explique qu’une partie de la physiopathogénie de la maladie.
Dans l’idéal, il faudrait étudier de grandes populations très
spécifiquement ciblées pour une caractéristique environneLa Lettre du Rhumatologue - n° 253 - juin 1999
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mentale. Des populations de religieux, de femmes nullipares,
de grandes multipares, de patients souffrant d’infections chroniques pourraient par exemple être sélectionnées de façon à
appréhender la responsabilité des différents facteurs environnementaux.
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4. Barrier J., Billaud E., Magadur G. Prévalence et fréquences respectives de la
maladie de Horton et de la pseudopolyarthrite rhizomélique. Étude épidémiologique dans le département de Loire-Atlantique avec utilisation d’un réseau de
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CONCLUSION
7. Guillemin F., Briancon S., Klein J., Sauleau E., Pourel J. Low incidence of
Les connaissances épidémiologiques portant sur la polyarthrite
rhumatoïde sont encore parcellaires, mais non négligeables,
et des avancées importantes dans le domaine de la physiopathologie et de la santé publique pourraient peut-être naître
d’une meilleure perception de ces données.
■
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