Le tourisme dans les îles

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Le tourisme dans les îles
Le tourisme dans les îles et rivages tropicaux : enjeux, menaces et persp...
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Études caribéennes
9-10/2008, Le tourisme dans les îles et littoraux tropicaux et
subtropicaux
Le tourisme dans les îles et
rivages tropicaux : enjeux,
menaces et perspectives
Olivier DEHOORNE et Pascal SAFFACHE
PLAN
La finitude des îles et des rivages tropicaux
Limites et fragilité des ressources
Les enjeux de développement autour d’une activité économique incontournable
De la nécessité de promouvoir un tourisme intégré aux territoires et aux sociétés d’accueil
TEXTE INTÉGRAL
La finitude des îles et des rivages tropicaux
1
L’époque de la quête de l’île paradisiaque, sur un archipel oublié, à l’autre bout du monde, est
révolue. Le film « The Beach », tiré du roman de Garland (1996), qui révéla auprès du grand
public, l’archipel thaïlandais des Phi Phi (mer Andaman), incarne ce fantasme qui déplaça tant
de voyageurs (et autres « travellers » contemporains), hors des sentiers battus, à la recherche
de « la plage ». Ces espaces ne peuvent plus accueillir les rêves d’expansion indéfinie qui
animèrent des siècles de découvertes. Désormais le touriste évolue dans un monde fini. Les îles
et rivages tropicaux sont identifiés, recensés. Les ressources y sont mesurées, les usages
réglementés, les valeurs financières établies.
2
La fin du vingtième siècle s’est caractérisée par une accélération des processus. À l’ère du
tourisme de masse sous les tropiques, ce ne sont plus les touristes qui inventent des lieux au gré
de doux vagabondages. Les ressources sont mises en scènes à des fins touristiques, fussent-elles
culturelles comme dans le cas de l’archipel indonésien étudié par C. Cabasset.
3
La soudaineté du phénomène surprend les sociétés d’accueil. Le choix des lieux investis relève
de négociations entre un pouvoir central et des groupes transnationaux. L’explosion du tourisme
de masse produit une uniformisation croissante des caractéristiques des lieux (Knafou, 1992) ;
cette évolution s’explique par le fait que la plupart des nouveaux sites aménagés n’ont « pas la
qualité des premiers sites équipés », ou, du moins, n’ont pas pu obtenir une notoriété suffisante
permettant d’affirmer leur singularité, notamment en raison d’une accessibilité plus difficile.
Les constructions répondent donc aux exigences de « standardisation, condition à une
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commercialisation internationale des produits touristiques ». C’est autour de l’archétype de la
plage tropicale (lagon aux eaux turquoises et plage de sable blanc, bordée de cocotiers) que se
développent d’imposants complexes touristiques conçus comme autant de centres de séjour
autonomes. Ces complexes touristiques, de type instant resorts (Meyer-Arendt et al., 1992,
Pattullo, 1996), sont particulièrement développés dans l’archipel des Maldives, sur les rivages
caribéens, notamment en République dominicaine et à Cuba depuis les années 1980-1990. Les
trajectoires des lieux touristiques se complexifient et s’adaptent aux conditions socioéconomiques et politiques des territoires d’accueil. Le modèle classique du comptoir
touristique fermé qui s’ouvre graduellement pour évoluer vers d’autres formes de lieux en
intégrant les populations locales n’est que l’une des trajectoires possibles ; les perspectives
sont très variables dans les destinations émergentes du Sud où les lieux touristiques s’inscrivent
davantage dans une logique d’insularisation. Le fonctionnement de ces lieux, standardisés et
uniformisés, que nous qualifions de bulles touristiques en milieu tropical (Dehoorne, 2006),
vise à minimiser les contacts entre les touristes et la société locale. L’enclave se referme sur
« sa » plage, dans un « contexte sécuritaire » mis en exergue pour justifier les processus de
privatisation et d’exclusion engagés au profit des usagers de ces lieux réservés. Le
retranchement de ces complexes, construits ex-nihilo, dans ces territoires qui constituent « the
pleasure periphery », n’est pas sans poser la question de la souveraineté des États dans ces
lieux (King, 2001).
4
La concurrence exacerbée entre les destinations émergentes du Sud nourrit les opportunités
financières sur les marchés. Des lieux autrefois réservés aux élites se démocratisent, s’ouvrent
au tourisme de masse. Les élites investissent d’autres archipels « vierges», où les processus de
réservation de lieux s’effectuent à partir de seuils financiers (comme à Saint-Barthélemy, l’île
Moustique, etc.) ou/et avec l’appui d’arguments écologiques qui soulignent la nécessité de
contenir les foules « dans la perspective d’un développement durable ».
Limites et fragilité des ressources
5
La richesse des rivages tropicaux repose sur des ressources immatérielles et matérielles
(notamment biophysique) à forte valeur ajoutée (à l’image des récifs coralliens) comme
analysées dans les travaux de D. Picard (à partir de l’île de la Réunion) et de L.Vacher (avec la
Barrière de corail australienne). S’il est difficile d’établir un seuil critique de charge pour ces
milieux, plusieurs auteurs insistent sur l’importance des pressions enregistrées localement. J.
Domínguez Mujica et R. Díaz Hernández le soulignent dans leurs études consacrées à l’archipel
des Canaries qui reçoit plus de 12 millions de vacanciers (soit un ratio de 6,7 touristes par
habitant). Il convient donc de définir de nouvelles politiques de développement et de gestion
des ressources pour répondre aux logiques de ce tourisme de masse, notamment à travers la
mise en place d’aires protégées (comme l’analyse L.M. Marafa avec le cas de Hong-Kong) ;
des conditions fondamentales garantir la qualité des lieux touristiques (comme l’expliquent R.
Guerra Talavera et T. Pérez Garcia).
6
Sur les littoraux tropicaux, et plus généralement sur les rivages insulaires, les modes de
consommation touristique occasionnent des dégradations qui peuvent renforcer localement
celles provoquées par l’urbanisation et les pressions démographiques (Island Resources
Foundation, 1996 ; Saffache, 2000). Dès lors, une réflexion sur les effets du tourisme de masse
s’impose, qu’il s’agisse de l’impact des croisières, de l’intensification du mouillage des
bateaux de plaisance sur les platures coralliennes, des problèmes de gestion des déchets
(Aruba, la Jamaïque) et des eaux usées non traitées ou partiellement traitées (Aruba, Îles
Cayman, Grenade, République Dominicaine, etc.). Les plages sont également au cœur de ces
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enjeux, entre l’utilisation massive de sable pour la construction de complexes touristiques
(comme à Cuba) tout autant que pour en recouvrir (d’un sable blanc) la frange des îles les plus
touristiques.
7
Ces situations conduisent à la fameuse « spirale de la mort » définie par McElroy et de
Albuquerque (1999). L’urbanisation littorale stimulée par les flux touristiques provoque une
accumulation de pollutions domestiques qui conduit à la dégradation irréversible de certains
lieux très fréquentés comme les plages de Miami Beach depuis le milieu des années 1960 et de
Condado (San Juan) depuis le début des années 1980 ; ce cycle se reproduit implacablement
sur d’autres plages de la région. Il faut bien souvent attendre des situations extrêmes, par
exemple d’ordre sanitaire (comme le 30 juin 1997 lorsque les eaux de la célèbre station de
Long Beach, sur l’île philippine de Boracay, ont été déclarées impropres à la baignade), pour
susciter une vraie prise de conscience globale.
8
Cette fragilité d’origine anthropique est renforcée encore par des facteurs naturels. À titre
d’exemple, les récifs coralliens qui supportent les économies de nombreuses régions
touristiques insulaires ne cessent de régresser. La Caraïbe qui compte 10,3 % des récifs de la
planète a été fortement touchée, puisqu’au cours des cinquante dernières années, 80 % de sa
couverture corallienne s’est amenuisée. Rappelons que le tourisme et les produits de la pêche
liés aux récifs coralliens caribéens génèrent chaque année un volume financier de 4,6 milliards
de dollars. La seule façon de sauvegarder le corail serait de contrôler le réchauffement en
réduisant les émissions de gaz à effet de serre et en limitant les agressions directes comme la
pollution, la pêche ou encore les aménagements côtiers irraisonnés.
9
Les nouvelles dimensions de ce tourisme de masse, avec des pressions fortes sur des espaces
réduits, sont à prendre en considération : l’absence de contrôle des flux, de règlements, la loi du
profit immédiat (Daly, 1990 ; Goodland, 1992) nécessitent des réponses politiques. Cette
volonté de protection est aussi partagée par P. Erfut-Rauchhaupt et M. Cooper qui prennent la
mesure de l’impact d’une forte densité de population sur des milieux fragiles ou fragilisés. Cette
pression est parfois jugulée par le gouvernement comme dans le cas des Iles Canaries à travers
les Orientations Générales du Territoire et du Tourisme (Díaz Hernández).
10
L’exploitation actuelle des ressources touristiques (rythme, volume des consommations, etc.)
compromet sérieusement l’avenir, car l’urbanisation croissante sous-tend une artificialisation
du trait de côte et une pollution des espaces marins les plus proches, ce qui sous-tend une
répulsion pour les milieux côtiers. À Porto Rico et au Venezuela, par exemple, la prolifération
de résidences touristiques « les pieds dans l’eau » constitue une source de pollution majeure,
car leurs effluents domestiques sont rejetés à proximité des mangroves sans traitement
préalable. L’urbanisation des fronts de mer a aussi favorisé l’érosion des plages ; puisque les
transferts sédimentaires qui s’effectuaient jusqu’alors entre les hauts et les bas de plage ne sont
plus assurés, le repli du trait de côte s’accentue à Scotts Head et à Rock-a-way Beach
(Dominique), Bathway, Lower telescope (Grenade), Junks holl, Savannah Bay (Anguilla), etc.
11
L’accès à une eau de qualité est un autre défi qui doit être relevé. Les nappes phréatiques,
soumises à des fortes pressions, avec pour conséquence une salinisation croissante, ne peuvent
que difficilement répondre aux demandes pressantes. Sur les îles plates calcaires, l’eau douce
est une denrée rare et sa désalinisation coûte chère. Enfin, la gestion des déchets pose de graves
problèmes puisque 90 % des eaux usées issues des petits états insulaires en développement sont
déversées dans la nature sans traitement préalable . La situation est encore plus dramatique dans
l’Océan Indien, puisqu’à Madagascar par exemple seuls 6 % des ordures ménagères sont
collectés régulièrement ; les 94 % restants étant dispersés dans la nature et particulièrement en
bordure de mangrove, sur ou à proximité des plages ou immergés dans l’océan, ce qui pose
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d’ailleurs le problème de leur rejet lors des phases climatiques paroxysmiques. Le tourisme
accentue les volumes de consommations et de production de déchets dans des territoires trop
souvent dépourvus de moyens de collecte et de recyclage adaptés qui entraînent une
prolifération des dépôts sauvages avec des lourdes conséquences sur la pollution de la nappe
phréatique, des rivières et des eaux littorales. Bien que de vrais efforts aient été entrepris à l’île
Maurice et aux Seychelles (des campagnes de sensibilisation des populations ont donné des
résultats très encourageants), ces avancées demeurent fragiles, puisque ces États ne disposent
pas des moyens technologiques leur permettant de recycler leurs déchets.
12
En clair, les îles et les rivages tropicaux sont particulièrement vulnérables sur le plan
écologique du fait :
de la dégradation des ressources littorales et marines (pollution des lagons, urbanisation
croissante, développement des infrastructures et du tourisme, etc.) ;
de l’érosion des plages ;
du difficile accès à l’eau douce (rareté, coût, pollution)
de la gestion des déchets solides.
13
Les enjeux de développement autour d’une
activité économique incontournable
14
Le tourisme est un secteur d’activité essentiel pour le développement de ces régions. C’est un
pilier fondamental des économies des Petits États insulaires. Le tourisme, synonyme
d’internationalisation, d’inflation et de privatisation des ressources, crée des emplois, stimule
l’économie et contribue à sa diversification. Ces recettes peuvent facilement couvrir plus de la
moitié du PNB comme à Sainte-Lucie (64%), Antigua et Barbuda (74%), les Îles Vierges
britanniques (82%), et atteignent un résultat record de 91% du PNB dans les îles Turks et
Caïques.
15
Le tourisme vient à la rescousse des économies traditionnelles en difficulté, des économies
insulaires qui portent les stigmates de l’histoire des plantations. Il ouvre une nouvelle phase du
développement de ces îles, mais ses mécanismes s’inscrivent dans le prolongement du cycle des
plantations, d’où le qualificatif de « tourisme de plantation » (Weaver 1988). Ce
développement extraverti se caractérise par une concurrence exacerbée autour d’une
monoproduction destinée à un marché contrôlé par quelques grands groupes transnationaux. Il
faut souligner la jeunesse de ces économies 1, les limites de leur capacité institutionnelle, les
faiblesses de leurs capacités financières et techniques qui redoublent leur dépendance envers le
tourisme et accentuent leur vulnérabilité économique en général (Brigulio et al. 1996, Lockhart
& Drakakis-Smith 1997).
16
Les offres faiblement diversifiées s’appuient sur des stratégies commerciales qui reposent
d’abord sur le coût des prestations. L’avènement du tourisme de masse sous les tropiques ne
peut pas être dissocié de ces réalités commerciales. Comme le souligne A.Magnan à partir de
l’exemple des Maldives, « l’activité touristique conduit le pays à passer d’une économie
traditionnelle vivrière essentiellement fondée sur la pêche à une économie capitaliste à la base
d’une dynamique de consommation ». Se posent alors des questions fondamentales sur l’apport
économique de ce tourisme : son coût réel au regard des infrastructures d’accueil nécessaires,
de ses consommations, des ressources naturelles, des retombées locales et de la place des
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populations locales ? Díaz Hernández insiste sur la nécessité d’une réaction politique face aux
profondes déstabilisations des économies locales, insistant notamment sur les enjeux autour de
l’inflation, les processus de paupérisation des populations insulaires exclues du système.
Rappelons que l’activité touristique se caractérise par le déplacement de consommateurs (les
touristes) vers les lieux de production (les pays d’accueil) et que les consommations sont
attachées à des ressources territorialisées. Et si elles concernent notamment la dimension
immatérielle des ressources du territoire d’accueil (la photographie d’une plage au soleil
couchant), elles reposent largement sur des ressources matérielles essentielles (l’eau, le lagon)
déjà intégrées à des logiques de consommations locales. Le tourisme accentue les pressions
anthropiques sur les ressources du lieu. Si les priorités en matière de consommation des
ressources sont clairement décidées au niveau d’un gouvernement, d’une autorité centrale, en
partenariat avec des investisseurs internationaux, les pressions et le partage de ces biens à
l’échelle de la localité d’accueil sont sources de tension (par exemple sur les rivages de la
Petite Côte étudiés par A.K. Diagne).
17
Les enjeux économiques doivent être analysés au regard des limites de ces territoires. Le
tourisme est un secteur d’activité dont l’assise sur la scène internationale demande d’importants
investissements. Leur faible capacité d’investissement favorise l’emprise des capitaux
étrangers, qui contrôlent plus de 60% des capacités d’accueils dans la Caraïbe (Pattullo, 1996)
et jusqu’à 75% aux Maldives. Les premiers bénéficiaires du tourisme sont d’abord les
investisseurs internationaux qui jouissent de fiscalités séduisantes autorisant une grande
mobilité des profits sans contrepartie de réinvestissements (comme à Sainte Lucie ou encore à
la Dominique). Ces dispositifs profitent également à quelques fortunes locales.
18
Des spécificités insulaires incontournables, notamment en matière de transports, maritimes et
aériens, et incompressibles induisent un coût supplémentaire. En dépit d’une accessibilité
améliorée, la périphérie restera toujours éloignée et distante des marchés émetteurs de touristes.
Il y a donc une problématique particulière dans le domaine des transports et des
communications qui se traduit par des surcoûts. Les capitaux sont également nécessaires pour
construire les infrastructures visant la mise en service des nouveaux complexes touristiques.
Ces infrastructures, tels les ports, les aéroports, les dessertes autoroutières - à usage non
exclusivement touristique mais obligatoire pour le fonctionnement touristique des lieux - coûtent
très chers et sont à la charge des États (Hampton et al., 2007).
19
Le paradoxe de l’ouverture économique de ces territoires vient du fait que la valorisation de
leurs ressources ne peut se faire qu’à travers leur intégration dans l’économie mondiale, or,
n’ayant pas les capacités financières nécessaires, ils deviennent totalement dépendants. Le
poids des investisseurs privés, notamment dans le domaines de l’hôtellerie, n’est pas sans poser
le problème du fonctionnement des lieux et des choix en matière de logistique, tant pour les
équipements que pour l’alimentation. Les approvisionnements sont décidés par les services
spécialisés des grandes firmes, loin des réalités de chaque région d’accueil permettant de
satisfaire ainsi le plus simplement et au meilleur coût d’ensemble leurs unités touristiques
(Wilkinson, 2004). Les apports nets du tourisme doivent donc être envisagés après déduction de
toutes ces importations (notamment alimentaires). Les études conduites à partir de l’île de
Sainte-Lucie laissent apparaître des pertes financières équivalentes à 50% des revenus
touristiques déclarés (Wilkinson, 2004). Ces États sont confrontés à d’importants déficits
commerciaux ; leur coefficient de couverture des importations par les exportations se réduit
dramatiquement 2.
20
Le poids de ces dépendances nécessite de relativiser les revenus réels du tourisme, à l’image
des séjours vendus sous la forme de forfaits incluant toutes les dépenses ; des forfaits achetés
depuis le pays d’origine du consommateur et dont les revenus les plus confortables
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appartiennent à ceux qui contrôlent le marché (comme les grands voyagistes qui assurent la
commercialisation, la distribution des produits, lorsqu’ils ne gèrent pas directement sur place
les complexes touristiques ; sans oublier les transports des clients).
21
L’impact du tourisme doit être reconsidéré au regard des statuts politiques et des niveaux de
développement des territoires pour prendre réellement la mesure des effets d’entraînement sur
les économies. En effet, il convient de distinguer d’une part les îles indépendantes et d’autre
part les îles intégrées dans des espaces nationaux plus vastes. En effet, les territoires insualires
appartenant à des États plus vastes bénéficient de meilleures assises économiques facilitant le
contrôle des investissements. Ce sont des îles côtières associées à un pouvoir central
continental (comme les Îles de la Baie avec le Honduras ; l’île de Haïnan vis-à-vis de la
Chine), des îles appartenant à des Etat-archipels (par exemple Bali en Indonésie, Palawan aux
Philippines), ou encore des îles plus éloignées, mais intégrées à de riches espaces nationaux
comme les îles françaises et britanniques des Antilles. Ces dépendances jouissent d’une
solidarité nationale, mais elles ont une très faible marge de manœuvre dans leur stratégie
touristique dont les décisions relèvent d’échelons politiques supérieurs, sans réelle concertation
avec les populations locales.
22
Les enjeux sont très différents pour les petits États insulaires indépendants, confrontés à la
concurrence mondiale. Pour ces territoires, les enjeux économiques autour du tourisme sont
fondamentaux : ils doivent faire face au chômage et au sous-emploi d’une jeunesse importante et
à la crise des finances publiques. Leur capacité d’investissement est des plus réduite, lorsqu’ils
ne bénéficient pas d’une rente pétrolière. Leur marge de négociation face à des investisseurs
internationaux spécialisés dans le tourisme est très limitée tant les enjeux sont fondamentaux
pour leur développement immédiat. On ne peut ignorer les logiques de la libéralisation des
économies, la multiplication des avantages visant à séduire les investisseurs. Et pour les Petits
États insulaires, comme pour les pays en développement en général, la principale motivation est
d’abord la création de nouveaux emplois pour répondre à des problèmes économiques et
sociaux immédiats (tels que le soulignent B. Maharaj et al. à partir de l’étude de la région
côtière de Durban).
De la nécessité de promouvoir un tourisme
intégré aux territoires et aux sociétés
d’accueil
23
Le tourisme de masse est devenu une réalité qui demande de nouvelles politiques
d’aménagement, favorisant notamment une meilleure diffusion des flux (des rivages vers
l’intérieur des terres) et impliquant davantage les communautés locales afin d’optimiser les
retombées et de mieux intégrer les enjeux environnementaux, pour définir un nouveau modèle de
développement touristique (comme le propose JM. Parreño Castellano à partir du laboratoire
privilégié que constituent les Îles Canaries). Son développement résulte de mécanismes
complexes dont la maîtrise échappe aux populations locales partagées trop souvent entre
rancœur et sentiment d’impuissance. Inflation et dollarisation des économies locales, fermeture
de portions de rivages, les coûts réels du tourisme pour le milieu et les hommes vont au-delà de
la satisfaction de besoins immédiats. Et paradoxalement, dans ces espaces finis, confrontés aux
limites de leurs ressources, à la perte de biodiversité, les stratégies de développement de
nombreuses économies insulaires reposent sur une croissance touristique sans fin.
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À l’avenir, il conviendra de mieux prendre en compte les réalités environnementales, humaines
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et biophysiques des espaces considérés, d’intégrer les représentations territoriales des visiteurs
et des visités, de s’interroger sur le contrôle des terres et les processus de privatisation des
ressources convoitées. Comme le souligne D. Pearce, à partir de sa réflexion consacrée aux îles
Samoa, la recherche d’alternatives impliquant les communautés locales s’impose, tant sur les
formes de consommations touristiques que dans le renouvellement des sources de revenus, dans
le but de s’affranchir d’un développement monolithique extraverti. Il s’agit de poser les bases
d’un développement viable qui tente de s’inscrire dans le temps en intégrant les indispensables
critères sociaux, culturels, économiques et politiques des territoires d’accueil.
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NOTES
1 Depuis 1945, plus de 80 territoires insulaires ont obtenu leur indépendance ou bénéficient d’une autonomie
croissante vis-à-vis de leurs anciennes puissances coloniales (De Albuquerque & Mc Elroy, 1992)
2 Il est inférieur à 50% à la Jamaïque, à Antigua et ne dépasse pas les 25% à la Barbade, dans les Antilles
françaises et néerlandaises, et il atteint à peine 10% à Aruba.
POUR CITER CET ARTICLE
Référence électronique
Olivier D EHOORNE et Pascal SAFFACHE, « Le tourisme dans les îles et rivages tropicaux : enjeux, menaces et
perspectives », Études caribéennes, 9-10/2008, Le tourisme dans les îles et littoraux tropicaux et
subtropicaux, [En ligne], mis en ligne le 8 septembre 2008. URL : http://etudescaribeennes.revues.org
/document1413.html. Consulté le 05 mai 2009.
AUTEURS
Olivier DEHOORNE
Maître de conférences, Université des Antilles et de la Guyane
Articles du même auteur :
Tourisme, écotourisme et stratégies de développement dans la Caraïbe [Texte intégral]
Paru dans Études caribéennes, 6/2007, L'écotourisme dans la Caraïbe
Le tourisme dans les îles et littoraux tropicaux : ressources et enjeux de développement [Texte intégral]
Paru dans Études caribéennes, 9-10/2008, Le tourisme dans les îles et littoraux tropicaux et
subtropicaux
Le tourisme international dans le monde : logiques des flux et confins de la touristicité [Texte intégral]
Paru dans Études caribéennes, 9-10/2008, Le tourisme dans les îles et littoraux tropicaux et
subtropicaux
Tourisme, développement et enjeux politiques : l’exemple de la Petite Côte (Sénégal) [Texte intégral]
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subtropicaux
Pour un tourisme durable dans la Grande Caraïbe [Texte intégral]
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L’avènement du tourisme de masse sous les tropiques. Eléments de réflexion sur les enjeux touristiques
dans l’espace caribéen [Texte intégral]
Paru dans Études caribéennes, 4/2006, Varia
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Paru dans Études caribéennes, 5/2006, Dossier spécial environnement
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Durable [Texte intégral]
Paru dans Études caribéennes, 6/2007, L'écotourisme dans la Caraïbe
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[Texte intégral]
Paru dans Études caribéennes, 7/2007, Les risques naturels majeurs dans la Caraïbe
Autour du paradigme d’écotourisme [Texte intégral]
Paru dans Études caribéennes, 6/2007, L'écotourisme dans la Caraïbe
Pascal SAFFACHE
Maître de conférences, Université des Antilles et de la Guyane
Articles du même auteur :
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subtropicaux
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Paru dans Études caribéennes, 9-10/2008, Le tourisme dans les îles et littoraux tropicaux et
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Les facteurs à l’origine de la mise en place d’un Transport en Commun en Site Propre (TCSP) dans
l’agglomération de Fort-de-France (Martinique) [Texte intégral]
Paru dans Études caribéennes, 8/2007, Migrations, mobilités et constructions identitaires caribéennes
Vers une surexpression des dégradations côtières de l’île de la Dominique [Texte intégral]
Paru dans Études caribéennes, 5/2006, Dossier spécial environnement
Pour un tourisme durable dans la Grande Caraïbe [Texte intégral]
Paru dans Études caribéennes, 3/2005, Varia
The vulnerability of the island of Martinique to the risk of a tsunami [Texte intégral]
Paru dans Études caribéennes, 3/2005, Varia
Greenhouse gas, increasing coastal activity and development: the equation for Martinique’s ecological
pressures at issue [Texte intégral]
Paru dans Études caribéennes, 3/2005, Varia
L’orpaillage en Guyane française : synthèse des connaissances [Texte intégral]
Paru dans Études caribéennes, 4/2006, Varia
Le développement durable : entre espoirs et illusions [Texte intégral]
Paru dans Études caribéennes, 4/2006, Varia
De « l’île absolue » à « l’île barrière » : l’exemple de la Caraïbe [Texte intégral]
Paru dans Études caribéennes, 5/2006, Dossier spécial environnement
Should the Coastal/Inland Model of the Caribbean Island Environment be Re-examined? [Texte intégral]
Paru dans Études caribéennes, 5/2006, Dossier spécial environnement
Dispositifs de Concentration de Poissons (DCP) et mutations sociales en Dominique [Texte intégral]
Paru dans Études caribéennes, 5/2006, Dossier spécial environnement
Coral Reefs: Damage Indicators [Texte intégral]
Paru dans Études caribéennes, 5/2006, Dossier spécial environnement
Le milieu marin haïtien : chronique d’une catastrophe écologique [Texte intégral]
Paru dans Études caribéennes, 5/2006, Dossier spécial environnement
Editorial [Texte intégral]
Paru dans Études caribéennes, 6/2007, L'écotourisme dans la Caraïbe
L’urbanisation caribeenne : effets et contrastes [Texte intégral]
Paru dans Études caribéennes, 7/2007, Les risques naturels majeurs dans la Caraïbe
L’activité aurifère en Guyane : contexte et perspectives [Texte intégral]
Paru dans Études caribéennes, 5/2006, Dossier spécial environnement
Vers une prise de conscience de la dégradation des écosystèmes marins guadeloupéens
[Texte intégral]
Paru dans Études caribéennes, 6/2007, L'écotourisme dans la Caraïbe
Reducing Marine Pollution: fact or fiction? [Texte intégral]
Paru dans Études caribéennes, 6/2007, L'écotourisme dans la Caraïbe
Marie-Galante:une intercommunalité synonyme de dysfonctionnements
environnementaux [Texte intégral]
Paru dans Études caribéennes, 5/2006, Dossier spécial environnement
et
de
problèmes
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