balzac une vie de roman - La critique parisienne

Transcription

balzac une vie de roman - La critique parisienne
LIVRE
BALZAC UNE VIE DE ROMAN
De Gonzague Saint Bris
J
e pensais tout connaître sur Balzac, après des études de lettres qui m'avaient fait rencontrer cet
écrivain hors normes. En lisant récemment le
"Balzac une vie de roman" de Gonzague Saint Bris, j'ai
découvert qu'en réalité je ne savais pas grand chose.
"Voilà cinquante ans qu'il est entré dans ma vie et
trente ans que je travaille à sa biographie", nous
dit le biographe. Alors, on ne peut qu'être fasciné par la multitude d'anecdotes, de lieux fréquentés, de personnalités rencontrées qui foisonnent dans cette biographie. La trame est
simple, vingt-huit chapitres retraçant les étapes
chronologiques de la vie de Balzac, un épilogue
inattendu "et si Balzac n'était pas mort le 18 août
1850, que serait-il devenu ?". Et là, l'auteur nous
entraîne dans des tranches de vie imaginées
mais très plausibles et puis des pages se référant
à un choix de romans balzaciens, vingt
"Pépites" et dix "Incontournables" selon les termes de Gonzague Saint Bris où il dévoile la
quintessence du roman tout en apportant sur
chacun une information originale qui le distingue des autres.
Chaque chapitre de ce livre est suivi de
quelques pages avec, en en-tête, un blason,
apportant un éclairage original et souvent
méconnu au thème traité dans le chapitre.
Pourquoi ce blason ?
C'est, nous dit Saint Bris, celui des Balzac
d'Entragues, originaires du Rouergue comme le
père de Balzac, dont la lignée s'est éteinte rapidement. La Révolution française a détruit les
dossiers concernant les généalogies et le père de
Balzac, né Balssa, fils de paysans, avide de notoriété, lorsqu'il arrive à Paris et est nommé direc-
teur des vivres dans une division militaire, s'approprie ce nom et ce blason. Balzac deviendra
ensuite de Balzac. Honoré portera à son doigt
ces armoiries et les fera peindre sur son attelage.
Le chapitre concernant les parents de Balzac est
donc suivi de quelques pages nous rapportant
une anecdote peu connue : le père de Balzac,
pour immortaliser la campagne d'Egypte, propose à Napoléon Bonaparte de bâtir une pyramide dans la cour du palais du Louvre. Le
projet ne verra pas le jour et Gonzague nous dit
avec humour : "Il faudra attendre les grands travaux de François Mitterrand...."
Le chapitre sur la jeunesse de Balzac en
Touraine, ses années de pensionnat, notamment celles du Collège oratorien à Vendôme,
est suivi, avec toujours en tête ce fameux blason, de quelques pages sur la Touraine avec des
descriptions poétiques, tirées du "Lys dans la
vallée" ou de "La femme de trente ans". Nous
apprenons que Balzac rêvait d'acheter le château de Moncontour près de Vouvray. Il voulait
s'y réfugier avec madame Hanska et y terminer
sa vie. Malheureusement, ses multiples dettes
l'empêcheront de réaliser ce rêve et il devra se
contenter de ses courts séjours au château de
Saché, propriété de l'amant de sa mère,
Monsieur de Margonne. Gonzague Saint Bris
est particulièrement ému de cette peinture par
les mots d'une Touraine qu'il connaît bien pour
en être originaire lui aussi, "cette province chérie
entre toutes". Aussi sait-il, avec le doigté d'un
peintre amoureux de son modèle, mettre en
exergue les plus beaux passages de Balzac sur ce
lieu privilégié.
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LIVRE
La mère de Balzac a trente ans de moins que
son mari. Elle se marie par intérêt financier et
reportera sur ce fils toutes ses désillusions. Elle
lui préférera toujours Henry, être falot et sans
aucun talent, qu'elle a eu avec Monsieur de
Margonne. Honoré souffrira beaucoup d'être le
mal aimé et aura cette phrase terrible dans une
de ses lettres à Madame Hanska, phrase relevée
par Gonzague : "Si vous saviez quelle femme est
ma mère, un monstre et une monstruosité tout
entière". Il dira aussi : "Elle me haïssait avant que
je ne fusse né".
Outre de nombreuses maîtresses, Balzac a eu
deux passions dans sa vie amoureuse : Madame
de Berny et la Comtesse Hanska. Honoré a rencontré la première, sa voisine, lorsqu'il habitait
en région parisienne, à Villeparis. Elle deviendra son amante, sa confidente, sa plus fidèle lectrice et son meilleur critique littéraire. Ce sera la
madame de Mortsauf du "Lys dans la vallée" et
Saint Bris, avec son sens aigu des symboles,
nous présente ce roman comme un premier
roman écologique et un roman du terroir.
Balzac n’a-t-il d'ailleurs pas écrit : "je veux aborder dans ce livre la grande question du paysage en
littérature".
La rencontre avec la baronne Hanska est tout à
fait romanesque. D'abord elle lui écrit et garde
l'anonymat puis se dévoile peu à peu. Il la rencontrera ensuite en Suisse puis dans son domaine de Russie. Il l'épousera en Ukraine, cinq
mois avant sa mort. Lorsque Saint Bris évoque
un des voyages de Balzac en Russie, dans les
pages qui suivent le chapitre, comme il a l'habitude de le faire, il cite la nouvelle peu connue
"Adieu", un "chef-d'oeuvre", inspiré par les
neiges de la retraite de Russie et la tragédie de la
Berezina. C'est le thème de l'amnésie, le choc
psychologique qui fait retrouver la mémoire
pour un court moment. Pour Gonzague, Balzac
émet "une idée nouvelle selon laquelle le psychisme
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prend le pouvoir sur le physique" et nous donne
envie de lire aussitôt ce livre.
Bien d'autres aspects de ce grand écrivain du
dix-neuvième siècle sont évoqués dans cette
biographie :
- C'est le gourmet jamais rassasié qui fait bombance au café Riche de Paris et le premier écrivain à donner le menu des repas de ses
personnages. Saint Bris écrit alors quelques
pages sur la gastronomie de cette époque.
- C'est aussi l'homme de plume qui a une vue
prémonitoire sur le pouvoir destructeur de la
presse et le biographe met en lumière cette
remarque de Balzac, si actuelle aujourd'hui : «le
journalisme sera la folie du monde moderne. Un
journal n'est plus fait pour éclairer mais pour flatter les opinions».
-C'est la passion de la photographie et de
l'image et Gonzague peut alors mentionner
Nadar et Daguerre. «La gastronomie de l'oeil» est
présente et chaque description est une promenade photographique.
Par cette biographie, Gonzague Saint Bris nous
entraîne au cœur de la plupart des cent quarante-deux romans de "La Comédie humaine",
avec une richesse lexicale impressionnante et
une variété fascinante des thèmes abordés.
La synthèse des Pépites et des Incontournables
nous donne l'envie immédiate de retrouver
avec enthousiasme l'univers balzacien. Ce biographe en est l'instigateur et le chef d'orchestre.
La partition se joue sur fond d'une foule de personnages romantiques de ce siècle, pour notre
plus grand bonheur.
Béatrice MAUGET
"BALZAC UNE VIE DE ROMAN"
de Gonzague Saint Bris
Editions TELEMAQUE - 428 pages - 22 €