Étude des facteurs de réussite et d`échec à l`école

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Étude des facteurs de réussite et d`échec à l`école
Étude des facteurs de réussite et d'échec à l'école
Sabine Kahn
Examen
Examen écrit avec 4 ou 5 questions ouvertes. Il dure 1h à 1h30, on ne peut pas dépasser le cadre. Il
faut avoir compris le cours.
Plan: 3 chapitres
Chapitre 1: La construction historique de la notion d'échec scolaire.
Chapitre 2: Les différentes conceptions des causes sociales et culturelles de l'échec scolaire, selon la
conception qu'on a, on n'intervient pas de la même façon.
Chapitre 3: Quelques mécanismes susceptibles d'engendrer des inégalités scolaires. L'effet classe et
l'effet maître.
Ce cours sera un cours de sociologie de l'éducation vu d'une façon pédagogique tandis que dans
l'autre cours, on regardera l'école de façon anthropologique.
L'échec scolaire comme construit social
Les réalités sociales sont souvent variables historiquement, soit elles n'existent que dans certaines
circonstances historiques: c'est le cas de l'école, soit leurs caractéristiques varient selon les époques,
c'est-à-dire selon le regard que les humains ont collectivement sur elles, l'importance qu'ils leur
accordent, etc.; exemple: l'enfance.
L'échec scolaire comporte les deux aspects, il n'a pas toujours existé et il n'a pas toujours été perçu
comme quelque chose d'important.
L'échec scolaire nous parait une évidence, on connait plein de personnes dans le cas et on pense que
ça ne pourrait pas être autrement. Le cours va interroger cette question, ce n'est pas une donnée
naturelle, c'est un construit social.
Pour qu'il se construise, il a fallu que se construise une école. Il a fallu aussi que le regard qu'on a
sur l'école et sur l'enfance change. L'échec scolaire n'a pas toujours existé, quand les élèves étaient
en difficulté à l'école, ce n'était pas perçu comme quelque chose d'important. Certains enfants avait
des difficultés mais ce n'était pas un échec scolaire.
Chapitre 1: La construction historique de la notion d'échec
scolaire
1. La construction progressive d’un cursus scolaire
2. La mise en place de la correspondance âge-niveau
3. L’émergence du problème de l’échec scolaire au 20ème siècle
La notion d'échec scolaire renvoie à des difficultés dans les apprentissages. Toutefois, pour qu'on
puisse vraiment parler d'échec scolaire, il faut que ces difficultés soient nombreuses, répétées,
qu'elles affectent les matières considérées comme fondamentales, ce qui conduit pratiquement
l'élève à redoubler plusieurs fois durant son cursus scolaire. Un redoublement à l'école primaire est
très mauvais pour l'avenir. Dans les écoles professionnelles, on retrouve des élèves qui ont doublé 2
ou 3 fois. Après, les écoles essaient de les mettre dans des écoles moins bien cotées.
Or la condition essentielle du redoublement, c’est une organisation de l'école en années successives
et une norme d'âge auquel on doit y accéder dans chaque année. Les enfants qui sont au delà de cet
age son repéré comme en échec.
Il y a 10% d'échec en maternelle, cela signifie que dans la tête des enseignants, à une année de
maternelle correspond un certain nombre d'apprentissage à faire.
La construction progressive d’un cursus scolaire
Petites écoles jusqu’aux 17-18ème siècles
Les petites écoles existent depuis le 17ème siècle. L'école n'était pas quelque chose d'important car
elle n'avait pas d'influence sur la vie de l'élève. L'école ne comportait pas d'enjeu. On travaillait à la
ferme des parents ou dans l'entreprise des parents. Le fait de ne pas réussir à l'école ne conduisait
pas à un avenir abominable. Pour qu'il y ait échec, il faut un enjeu social important. À cette époque,
on avait un destin social une fois venu au monde et ce n'était pas l'école qui le changeait.
Au 16ème siècle, l'église catholique est contestée par le protestantisme. Dans la religion catholique, il
y a l'idée que le pratiquant n'a pas accès aux textes religieux, c'est le prêtre qui est médiateur entre le
texte et le croyant. Chez les protestants, il n'y a pas la médiation du prêtre mais un contacte directe
avec Dieu et pour cela, il faut que le croyant ait accès aux textes. Les protestants créent donc des
petites écoles pour que les personnes puissent avoir accès aux textes religieux.
L'église catholique a ouvert des petites écoles aussi pour apprendre à lire aux enfants, le but n'est
pas d'apprendre à pouvoir penser par soi-même mais de permettre à des enfants d'être scolarisé et de
les maintenir dans la religion catholique.
Il n'y a pas de cursus, pas de découpage car il y a peu d'élève et un seul professeur. Les élèves ne
sont pas assidus. L'objectif est de lire un minimum pour lire les textes religieux.
Sur les tableaux de l'époque, on voit deux élèves au bureau du maitre et les autres font la foire, on
n'a pas vraiment un enseignement collectif, le maitre prend les élèves successivement à son bureau,
les parents paient pour que l'enfant apprenne à lire ou écrire ou compter.
Premières universités en Europe 15ème siècle
L'université s'appelle l'école cathédrale car elles sont construites près des cathédrales. Des savants
donnent leurs cours, ce sont parfois des religieux. Ils reçoivent des étudiants comme des disciples,
d'ages très différents, de 10-12 à 25 ans. Les cours sont donnés de façon très anarchique, les
professeurs parlaient des résultats de leurs travaux. Les étudiants ont une grande hétérogénéité d'age
et de niveau. Certains étudiants étaient boursiers, ils recevaient de l'argent des riches pour écouter
les maitres, cela ne suffisait pas pour vivre. Ils louaient une chambre près de l'école et petit à petit,
ils se sont mis à accueillir des étudiants plus jeune pour se faire de l'argent. Il y a eu une législation
pour limiter l'accueil à 5 ou 6 jeunes. Ils faisaient des répétitions, ils racontaient ce qu'avaient dit les
maitres dans les leçons précédentes, on a appelé ça des répétitions. Ils avaient une attention
éducative sur les jeunes alors que le maitre n'avait pas d'attention éducative.
Collèges 16ème siècle
On a donc une nouvelle conception de l'enseignement. Ça s'est formalisé à la fin du 15 ème siècle
avec une école organisée en cursus. Il faut découper et faire répéter les apprentissage pour que ça
marche. On constate un changement de mentalité collective. Il faut découper l'apprentissage,
l'organiser de façon progressive. L'école secondaire se construit au 15ème au Pays-Bas, il y a 5
niveaux différents et une progression de niveau à niveau. Pour passer d'un niveau à l'autre, on est
obligé de faire à chaque fin d'année des évaluations, on contrôle que les élèves ont bien le niveau
pour accéder au niveau suivant. Le redoublement apparait même si ça ne s'appelle pas comme ça.
Le redoublement n'apparait que parce qu'il y a un découpage en niveau avec l'idée d'un cursus.
Le collège est organisé en classe alors qu'il n'y a pas de niveaux dans les petites écoles. Pour que
l'échec scolaire se construise, il a fallu que l'organisation des collèges se répande à toutes les écoles
mais ça n'a pas suffit. Il a fallu aussi une correspondance age-niveau.
La mise en place de la correspondance âge-niveau
Idée d'enfance longue
On change de regard sur l'enfance. Avant que l'école devienne massivement fréquentée, on était
enfant jusque 7 ans puis on avait les mêmes activités que les adultes. Il a fallu qu'on crée une
enfance plus longue
Binet-Simon, début 20ème siècle
Pour mettre en correspondance age et niveau, il a fallu que la psychologie intervienne. À un age
donné, on doit avoir un certain niveau intellectuel (Simon et Binet), si on ne l'a pas, on refait la
classe dans laquelle on était. Pour Simon et Binet, l'intelligence augmentait avec l'age, elle
permettait de classer les enfants entre les enfants normaux et les enfants anormaux. Les enfants à
l'heure au niveau scolaire sont dans la norme, si les enfants ne sont pas à l'heure, il basculait dans
l'anormalité. Le test qu'ils ont construit s'est fort répondu et c'est avec ça qu'on a fait basculer des
enfants dans l'anormalité ou qu'on les a fait redoubler.
Piaget
Selon Piaget, les aptitudes intellectuelles croissent avec l'age. À un age donné, l'enfant a un niveau
donné.
L'émergence du problème de l'échec scolaire au 20 ème siècle
Jusqu'à la moitié du 20ème siècle, l'échec scolaire n'existait pas. Avant, selon l'origine sociale, on
fréquentait une école donnée. Il y avait trois filières en Belgique en fonction du métier des parents.
Une fois entré dans une filière, on ne la quittera jamais.
L'école primaire
L'école primaire est réservée aux enfants d'ouvriers ou de petits paysans. Elle dure 6 ans, de 6 à 12
ans. Les meilleurs peuvent faire 2 ans en plus (le quatrième degré), on ne peut pas en sortir pour
aller dans d'autres filières.
L'école moyenne
L'école moyenne est réservée à la moyenne bourgeoisie, elle dure 9 ans, de 6 à 15 ans. Les filières
sont étanches.
Les humanités
Cette dernière filière est la plus valorisée. Le cursus des humanités s’étend sur 12 années (de 6 à 18
ans); les établissements qui l’offrent se nomment «collèges» lorsqu’ils relèvent du réseau catholique
et «athénées» lorsqu’ils relèvent du réseau officiel. Ce cursus permet d'aller à l'université. Le
programme est complétement différent. En humanité, par exemple, on enseigne le latin et pas
ailleurs, il n'est donc pas pensable de passer d'une filière à l'autre. De plus, les enseignants sont plus
formés dans les humanités que dans le cursus primaire. Les enseignants pour le primaire sortent des
écoles normales, les enseignants en humanité sortent de l'université.
Les filières sont étanches: «Aussi bien les écoles moyennes que les athénées et les collèges
comprennent, dans leurs murs, des sections préparatoires correspondant à l’école primaire mais
donnant à leur public spécifique un programme plus poussé que dans les classes primaires
ordinaires» (Grootaers).
Chacune des trois filières sont spécifiques d'un groupe social: «Aux enfants du peuple, l’école
primaire et son quatrième degré; aux enfants de la petite bourgeoisie (employés, artisans,
commerçants), l’école moyenne offrant le degré inférieur des humanités modernes; aux enfants de
la bourgeoisie et des professions libérales, les collèges et athénées offrant les humanités modernes
complètes et les humanités latines» (Grootaers).
Dans la seconde moitié du 20ème siècle, on a une unification des filières. On veut construire une
autre société et les milieux progressistes s'expriment, on doit permettre aux enfants d'ouvrier de
rentrer dans les humanités, on imagine des passerelles pour les très bons élèves qui leur
permettraient d'accéder à l'école moyenne et au cursus des humanités.
Les passerelles sont rendues possibles par l’homogénéisation progressive des programmes des
années correspondantes entre écoles primaires, écoles moyennes et athénées. De plus, on voit
l’attribution de bourses aux élèves les «mieux doués» d’origine populaire (Fonds des Mieux Doués,
1921). Ces possibilités de passage d’une filière à une autre seront systématisées dans les années
cinquante par l’établissement formel de règles de passage.
Enfin, en 1971, la mise en place de «l’Enseignement Rénové» achève l’unification des filières en
créant un premier degré du secondaire (de deux années, entre l’âge de douze ans et celui de
quatorze) que tous les élèves sont amenés à suivre sans distinction. Cependant il y a plein de
système de contournement. On crée un tronc commun pour les deux premières années du
secondaire.
Ces nombreuses mesures, d'abord ponctuelles puis plus systématiques, visent à permettre à tous
l'accès aux études les plus longues et les plus difficiles, dans le double but de démocratiser l'école et
d'élever le niveau d'études de l'ensemble de la population pour répondre aux exigences des
transformations socio-économiques.
On peut regrouper ces mesures en deux catégories:
1. Les premières consistaient à supprimer les obstacles matériels ou financiers à ce que des
enfants d'origine populaire suivent des études: c'est dans ce sens qu'allait d'abord l'obtention
de la gratuité scolaire, puis l'attribution de dédommagements aux familles pour lesquelles la
poursuite des études d'un adolescent pouvait constituer une charge ou un manque à gagner
(ainsi, les bourses ou encore, en Belgique, le "fonds des mieux doués").
2. Les autres ont consisté à permettre la mobilité au sein du système scolaire. Cela s'est fait
dans un premier temps par un décloisonnement des filières, c'est-à-dire la possibilité pour un
élève qui a commencé des études dans une filière d'accéder à une filière plus favorable si ses
résultats scolaires le justifient. Par exemple dès l'entre-deux guerres, des passerelles s'étaient
établies entre les deux filières.
Ensuite, s'est mise en place une continuité sous la forme d'un tronc commun permettant de placer le
plus tard possible le moment d'une orientation irréversible. Ainsi, en France, la création des collèges
en 1963 rassemble les filières en un système unique: tous les élèves vont à l'école primaire, puis
tous vont au collège.
D’une manière générale, plus les bifurcations irréversibles au sein du système scolaire se situent
tardivement dans le cursus, plus ce système va loin dans cette forme de démocratisation.
Le rénové est bâti sur l'idée géniale de ne pas coter les filières. En effet, on retrouve dans les filières
cotée, les enfants de milieux aisés. On crée deux année de tronc commun avec le même programme
et des options à choisir: latin, danse classique, sport, langue, économie, informatique... Comme cela,
toute le monde est à égalité. Cependant, ce ne sont pas les enfants qui choisissent les options et elles
sont choisies selon les anciennes mentalités. On retrouve en latin-math les enfants de la haute
bourgeoisie et les enfants moins favorisés ailleurs. Après les deux années de tronc commun, on
sélectionne les enfants dans le secondaire supérieur en fonction des options prises. On reproduit
donc la même chose mais avec un système très couteux. Dans les années 90, on a eu des grèves, des
professeurs ont perdu leur boulot parce qu'on a supprimé certaines options peu prisées.
L'idée était de démocratiser l'école. La rendre accessible à tous. Les pays nordiques ont les systèmes
les plus démocratiques d'Europe. À 15 ans, on regarde la position des élèves en fonction de leur
milieu d'origine. Un système démocratique permet aux enfants de milieu défavorisé d'atteindre les
positions scolaires les plus intéressante.
En Belgique, l'orientation se fait très tôt, le système n'est pas du tout démocratique. Dans les Pays
Nordique, l'orientation se fait après 15 ans, le système est démocratique.
Il s’agissait d’une démocratisation basée sur un «principe méritocratique», c'est-à-dire basées sur le
mérite, on fait réussir les meilleures indépendamment de leur origine sociale. Cette idée vient des
pensées progressistes du 19 et du 20ème siècle. Le principe est inspiré de Condorcet, le premier
intellectuel qui a politisé l'école en France avec l'idée qu'on devait poursuivre l'école
indépendamment de son origine sociale pour que les plus doués et les plus courageux puissent
accéder au niveau le plus haut. Pendant la révolution française, il s'est opposé aux tueries et il en est
mort, il a été emprisonné pour ça et s'est "suicidé". Son but était de former des citoyens capables de
penser et de voter, l'école a vécu sur ces idées. Il veut construire une élite qui ne repose pas sur
l'appartenance à une lignée ou à une caste, mais sur le mérite personnel. Alors l'école deviendrait le
principal outil pour briser les fatalités sociales. Il s’agit d’une démocratisation de type élitiste, par
comparaison avec d’autres orientations démocratisantes, notamment celles qui se donnent comme
but de faire accéder tous les élèves à certains savoirs ou certaines compétences.
Conséquence
Tout le monde peut faire des études secondaires dans la même filière. On n'est donc plus dans un
destin tracé, on peut choisir son destin. La réussite à l'école devient essentielle et on a une attente
énorme vis à vis de l'école. Les parents sont plus exigeant et deviennent consommateur de l'école
car elle va forger l'avenir de l'enfant. L'attente, on la retrouve dans toutes les couches de la société.
Les attentes des parents sont aussi importantes pour les milieux défavorisé. L'échec et la réussite à
l'école commande désormais l'avenir social.
Puisque désormais, tous les élèves, dans le cadre de la scolarité obligatoire, suivent un
enseignement secondaire, la sélection de ceux qui se verront ouvrir les études longues et en leur
sein les filières les plus intéressantes par la position sociale à laquelle elles donnent accès, se fait
parmi des élèves tous réunis indistinctement dans le même cursus. Donc c’est l'école qui paraît
responsable de cette partition. C'est la réussite ou l'échec dans les exercices scolaires qui paraît
déterminer en grande partie l'avenir social. L’école devient «classante».
Malgré toutes ces tentatives de démocratisation, on constate que l'échec scolaire perdure et est
socialement marqué. La sociologie critique de la fin des années 60 et des années 70 fait apparaître
que la réussite et l'échec dans les études sont massivement corrélés à l'origine sociale des élèves: les
jeunes venant des milieux populaires sont sous-représentés à l'université et dans les filières
d'excellence. Il apparaît donc que la réussite ou l'échec ne dépendent pas uniquement des qualités
personnelles des individus. Or, en parallèle, la réussite ou l'échec dans les études apparaissent
comme des faits à forts enjeux, puisqu'ils déterminent l'accès ou le non accès aux situations sociales
les plus avantageuses.
Chapitre 2: Les différentes conceptions des causes sociales et
culturelles de l'échec scolaire
Le problème du statut des cultures: trois conceptions différentes
1. Les enfants des milieux populaires seraient des «handicapés sociaux»
2. La culture scolaire serait utilisée comme instrument de domination d’une classe sur l’autre
3. L’échec scolaire naîtrait d’une relation entre deux cultures
L'idée de handicap socio-culturel
Les enfants de milieu populaire auraient des cultures moins intéressantes et donc il faudrait donner
plus à ces enfants pour qu'ils dominent cet handicap. Certaines cultures sont des sous-cultures. On
crée les ZEP en France, la discrimination positive chez nous. Il faut donner plus de moyen aux
enfants handicapé culturellement, l'école maternelle à 2 ans en France ou à 2 ans ½ en Belgique
pour faire sortir les enfants de leur sous-culture.
Cette idée s'appuie sur les conceptions de Basil Bernstein, un socio-linguiste. Pour lui, la langue
montre la façon dont on se représente le monde et la façon dont on se place dans celui-ci. Il va dans
des familles et les écoute parler puis, il transcrit les corpus recueillis et se rend compte qu'il a des
corpus différents: pour certains, un vocabulaire très varié, une façon de se situer dans le monde où
on ne fait pas référence à la situation, on parle de ses idées en tant que locuteur individuel ou
unique. Pour les autres, le lexique est beaucoup plus restreint, il y a plus de référence à ce qui se
passe autour et une connivence. Il fait la différence entre code élaboré et code restreint. Dans le
code élaboré, on a une très grande précision de la parole et un lexique varié. On a une parole
beaucoup plus abstraite et beaucoup plus universelle. Dans le code restreint, on a une uniformité des
paroles, peu de variété lexical et un code qui ne se comprend qu'à l'intérieur d'une communauté
précise, la personne qui parle n'a pas d'importance, c'est la communauté qui est importante.
Dans les milieux populaires, on n'a pas besoin de préciser ce qu'on dit car on est dans la même
communauté. On doit se comprendre.
Pour un enfant qui a un code restreint, la maitresse parle une langue différente qui ne fait pas
référence à la situation, l'enfant est perturbé. Le texte du savoir n'est pas entendu par l'enfant, il ne
rentre pas dedans, c'est comme si on lui parlait une langue étrangère.
Cette langue différente donne des styles de famille différente. Il met en évidence deux types de
famille. Dans une famille à orientation positionnelle, chacun a sa place et les statuts de chacun sont
délimité, quand on est une fille on doit faire la vaisselle, quand on est un garçon, on doit faire ses
devoirs. Le rôle social est fermé et on décourage l'invention. Dans une famille à orientation
personnelle, l'enfant est considéré comme unique, autonome et tout est ouvert pour lui, il peut
négocier.
Bernstein ne rapporte pas directement ces styles familiaux à classes sociales et il ne dévalorise pas
non plus le code restreint, mais fait remarquer que le code restreint et les familles à orientation
positionnelle se rencontrent plus fréquemment dans les classes populaires.
Les deux types de code permettent de vivre dans la société. Avec un code élaboré, on ne fonctionne
pas dans le milieu populaire, il n'y a pas un code mieux que l'autre mais un code correspond mieux
à l'école que l'autre.
Les idées de Bernstein ont été utilisées par les praticiens de la compensation; mais aussi, aux USA,
par des idéologies qui voulaient souligner l’infériorité culturelle des minorités (notamment des
noirs). Les idées de Bernstein ont été utilisées dans ce sens, même si cela n’a jamais été son
intention.
Pour cette raison, William Labov (Le parler ordinaire, 1978) a présenté différentes critiques de la
théorie de Bernstein:
1. L'idée de "code restreint" de Bernstein renvoie bien à une idéologie de la défectologie.
(Bernstein s'en défend en disant que le code restreint est aussi riche et efficace que le code
élaboré).
2. Les différences linguistiques entre les façons de parler de classes différentes sont
superficielles: aux yeux de Labov, elles tiennent à l'usage du lexique argotique et à quelques
différences phonétiques.
3. Mais on s'en sert comme de marqueurs pour produire de la discrimination. C'est la situation
scolaire qui transforme les différences en différenciation.
4. Enfin, aux yeux de Labov, la pauvreté de vocabulaire et de syntaxe constatée chez les
enfants de milieux populaires dans les enquêtes vient des inhibitions produites par le cadre
scolaire ou par la situation créée par l'enquêteur et non pas de prétendues carences
culturelles de ces enfants.
L'idée d'habitus (Bourdieu)
Pour Bourdieu, l'inégalité devant les exigences de l'école provient de visions du monde différentes
«héritées» dans le milieu familial.
L’habitus, c’est un ensemble de schèmes de pensée, d'évaluation, de décision et d'action. C’est la
manière dont un groupe social lit et évalue la réalité.
On n'a aucun contrôle dessus. On n'a pas conscience de cet habitus, donc il est complétement stable,
on n'a pas d'action dessus. On ne peut pas le modifier. C'est fabriqué par nos conditions d'existence,
on envisage notre avenir en fonction de cela. Donc, on a intériorisé l'idée qu'on va se marier comme
papa et maman.
L'habitus est structuré par les conditions objectives d'existence. Les individus apprennent à anticiper
et à désirer leur avenir conformément à leur expérience du présent: donc ne désirent pas ce qui dans
leur groupe social est improbable. L'individu tend à refuser le refusé et à vouloir l'inévitable.
Dans le livre de Bourdieu, la distinction, on voit des photos qui montrent dans quelle réalité
concrète on vit. La petite bourgeoisie moyenne des années 70 boit de l'eau en bouteille, la petite
fille lit à table. Dans les milieux populaires, les enfants ne lisent pas à table, les femmes rient, elles
portent des blouses, ont des positions différentes. On distingue les milieux par la coiffure aussi.
Dans la haute bourgeoisie, on parle au salon. Dans les milieux populaires, les choses sont solides et
pas chères, on porte une blouse pour faciliter le nettoyage du linge. Les activités sont différentes
aussi, on passe d'un concours du plus gros mangeur de fayot à une visite d'un musée.
Ce qui détermine la réussite ou l'échec à l'école, c'est l'identité ou au contraire la distance entre
l'habitus intériorisé dans la famille (habitus primaire) et l'habitus qui est celui des enseignants et de
l'école: l'habitus des classes moyennes et supérieures.
L'école exige l'habitus des classes moyennes et supérieures
Mais l'école présuppose que tout le monde possède l'habitus qu'elle exige (et donc ne le transmet
pas): motivation pour l'école, valorisation du savoir pour le savoir, compétences langagières,
"culture libre": connaissance de la littérature et des arts autres que ceux enseignés par l'école, mais
dont l'école exige la connaissance.
L'exigence de posséder un habitus particulier pour réussir à l'école n'est jamais dite: cela est tout à
fait essentiel. Cette ignorance (ou «conspiration du silence») fait apparaitre la réussite ou l'échec
comme venant des caractéristiques intrinsèques et personnelles des individus. Alors qu’ils sont le
résultat de la possession d'un habitus tenant à l'appartenance à une classe sociale. Du coup,
l'idéologie du mérite personnel (dons et efforts) a toute la place. Elle est destinée à cacher que le
succès ou l'échec scolaire dépendent de l'appartenance de classe. Les inégalités sociales prennent
l'apparence d'inégalités naturelles. C’est pour cela que Bourdieu parle de «conspiration du silence».
L'"évidence" de la culture scolaire: Pour entretenir cette illusion, il est donc essentiel que la
culture transmise à l'école apparaisse comme allant de soi, objective, indiscutable, alors qu'aux yeux
de Bourdieu elle est arbitraire et de nature sociale. Elle est constituée en effet de ce par quoi une
classe se distingue pour se protéger: ensemble de choix sur ce qui a de la valeur, destinés à marquer
sa différence avec le peuple (idée de "distinction").
Objections que l'on pourrait faire à Bourdieu?
1. Comment expliquer l'exception sociologique? Pourquoi un individu vivant dans des
conditions d'existence qui ne le prédisposent pas à posséder l'habitus scolaire va néanmoins
réussir à l'école? De tels individus existent. L'exception est minoritaire mais pas marginale,
elle concerne 23,8% des défavorisés soit 1/4.
2. Peut-on considérer les savoirs scolaires comme arbitraires? Est-ce que tout le savoir de
l'école repose sur un arbitraire social? Si c'était le cas, il n'y aurait aucune légitimité à
l'action de l'école et à l'effort des enseignants pour transmettre un savoir. L'idée que la
culture transmise par l'école se réduit aux choix par lesquels une classe tente continument de
se distinguer du peuple semble vraisemblable pour ce qui est de l'enseignement artistique et
littéraire (modalité du jugement de goût); elle l'est moins concernant les sciences et même
concernant, en littérature, les procédés d'analyse formelle des textes. N'y a-t-il pas dans les
savoirs scolaires des vérités objectives (même si la sociologie de la recherche scientifique
introduit aujourd'hui, avec Bruno Latour, un certain relativisme)?
Les problématiques de la « reproduction » sociale et du « handicap » socio-culturel résolvent mal
les questions de la singularité, du sens et du savoir.
L’échec scolaire naîtrait d’une relation entre deux cultures
Il parait plus intéressant de regarder l’échec scolaire comme une relation, une rencontre entre deux
cultures. Ce sont les recherches les plus porteuses en science de l'éducation actuellement.
La recherche qui va suivre va montrer que l'échec scolaire provient bien d'une relation entre deux
cultures.
L’idée du rapport au savoir et du rapport à l’école
L’idée du rapport au savoir nous vient des années ‘70, elle provient de psychanalystes comme Jacky
Beyrot. Les gens n'ont pas tous les mêmes rapports au savoir mais ils n'ont pas su l'opérationnaliser.
Dans les années 90 apparait l’opérationnalisation entre les livres, l'école et le savoir.
Trois auteurs, Bernard CHARLOT, Élisabeth BAUTIER et Jean Yves ROCHEX ont publié une
étude : « École et savoir dans les banlieues…et ailleurs ». Rochex, sociologue, est conseillé en
orientation puis professeur en science de l'éducation. Leurs méthodologies est assez atypique et
intéressante. En général, quand on veut faire un mémoire, on part de l'idée de ce qui s'est fait avant
et on réagit aux limites. À partir de ces interrogations, on fait notre recherche. Leur intention est de
sortir de l’analyse à partir de « cohortes » déterminées de façon macroscopique (tel que les ont
menée les gens qui ont travaillé avec Bourdieu) par la situation socio-professionnelle des parents,
par le lieu d’habitation, etc. et de partir de la singularité des sujets en tant qu'individus concrets,
acteurs de l'institution pour comprendre leur rapport à l'institution scolaire.
« Quelles que soient leurs différences, réelles et importantes, ces théories ont en commun de
présenter l’école comme un simple opérateur transformant des différences sociales initiales en
différences sociales ultérieures – transmutation qui produit en outre un effet de légitimation des
différences. »
Personne ne rejette les théories de Bourdieu, même si on est conscient de ses limites, c'est un
chercheur important. Les auteurs ici veulent regarder ce qui se passe dans l'école. Pour Bourdieu,
c'est comme si l'école avait juste vu passer les enfants... Ils veulent regarder ce qu'il se passe dans la
boite noir qu'est l'école et travailler sur les questions de sens et de savoir.
Il s’agit de refuser la simple description des rapports sociaux qui s'articulent à l'institution scolaire.
Ce que les chercheurs veulent mettre en lumière, c'est le sens subjectif qui anime ces rapports.
Ainsi le sens du rapport des individus (élèves) aux formes spécifiques du savoir que véhicule
l'école, la représentation qu'ils s'en font.
Ils veulent regarder comment ca se passe dans la boite noire « école » et voir comment ça se passe à
l’école.
Les hypothèses s'articulent autour de trois axes de questionnement : la question de la singularité, la
question du sens et la question du savoir.
Hypothèse 1 : La question de la singularité : personne n’a la même histoire. L’individu se
construit dans le social, mais il s’y construit au cours de son histoire, en tant qu'être singulier. Il est
une synthèse humaine originale construite dans une histoire. Il y a une nécessité de refuser de
projeter sur l’individu des caractéristiques établies par l’analyse d’une catégorie socioprofessionnelle, d’une classe sociale, d’un groupe,… ou par référence au « milieu », à
« l’environnement ».
Hypothèse 2 : La question du sens : Le sens n’est pas donné. Il ne suffit pas d’aller à l’école pour
y trouver du sens ou en tout cas le sens qui permet d’apprendre.
Il y a toute une série de question qui se posent « qu’est ce que ça signifie de travailler à l école,
qu’est ce qui pousse à apprendre, à réussir etc. » Pourquoi un enfant investit-il ou non le champ de
l’école et plus généralement celui du savoir ? Qu’est-ce qui le mobilise (≠ motive) ?
Il y a eu des milliers de recherche sur la motivation (motivation à apprendre : externe ou interne)
mais on s’est rendu compte que c’était une perte de temps, ça ne donne rien. Il est plus intéressant
de parler en terme de mobilisation (mobilisation du sujet, par rapport à son histoire personnelle et ce
qu’il va rencontrer autour) et cela se passe à l’intérieur du sujet.
La question du sens à l’école oblige à poser celle du savoir :
La question du savoir : un constat
Les sociologies de la reproduction ne se sont pas intéressées aux questions du savoir. La fonction
de l’école est de transmettre aux jeunes des savoirs qu’ils ne peuvent acquérir ailleurs qu’à l’école.
La « reproduction » suppose l’inégale appropriation des savoirs.
Lorsque la sociologie traite de la question du savoir, c’est en terme de curriculum. La sociologie du
curriculum traite le savoir en terme de programme, parcours scolaires, de situations
d’apprentissage, elle ne s’occupe pas de la question du sujet face au savoir.
Curriculum formel, curriculum caché. Il y a l’idée que chaque milieu scolaire à un programme,
un horaire précis, des règles écrites, tout ça représente le curriculum formel. Mais les sociologues se
rendent compte qu’il y a un curriculum caché : ce que les enfants apprennent alors qu’il n’est pas
spécifié. Exemple : « Le métier d'élève » : l'auteur montre comment un élève apprend à tricher,
mentir, regarder le maitre pour ne pas être interrogé. Il faut capter ce curriculum caché pour réussir.
La question du savoir peut aussi se poser en terme d’apprentissage : qu’est-ce qui se passe entre
l’école et l’élève ? L’élève peut donner du sens à l’école sans que ça lui permette de lui procurer du
savoir.
Hypothèse 3 : On peut aller vers la réussite sans apprendre à l’école
La question du savoir : L’enfant peut attribuer du sens à l’école sans que cette mobilisation
scolaire entraîne l’appropriation de savoirs ou même l’envie d’apprendre.
C'est un pas vers le chemin de la réussite, mais pas automatiquement un pas vers le savoir ou les
compétences. Pourquoi ? Parce que la mobilisation par rapport à l’école ne s’instrumentalise pas
toujours en effort ou en activité cognitive effective… ou parce que les pratiques pédagogiques des
enseignants ne permettent pas à cet enfant de trouver du sens au savoir.
La mobilisation scolaire peut perdurer, mais la prise de conscience que jamais on n’atteindra le but
peut provoquer une démobilisation mais aussi une rancœur à l’égard de l’école. L’école qui ne fait
plus sens, devient le symbole d’une frustration sociale plus large ou bien elle acquiert un sens autre
(les copains, etc.).
Le rapport à l’école est différent du rapport au savoir tout comme le désir d’école est différent du
désir du savoir et rapport au savoir. Car le désir ne suffit pas, encore faut-il l’opérationnaliser, c'està-dire mettre en œuvre des actions et des opérations qui permettront que les savoirs soient
effectivement acquis.
Quand un élève peut donner du sens à ce qu’il apprend à l’école, on se rend compte que c’est
mobilisateur, ça mobilise quelque chose à l’intérieur de lui. Dans ce cas là, ça va devenir pour eux
identitaire.
Si un enfant, peu mobilisé par rapport à l’école mais mobilisé par rapport au savoir qui y est
enseigné, y découvre des choses qui l’intéressent, y acquiert des compétences, y réussit, il peut
avoir envie de continuer à apprendre, construire de nouveaux projets de vie, restructurer son identité
et son rapport à l’école.
Mais il se peut que les rapports sociaux interdisent à l’enfant de valoriser socialement les
compétences acquises à l’école. On se rend compte que beaucoup d’enfants sont dans une situation
où il n’est pas valorisé, ni valorisable dans le milieu familial, d’apprendre. Les enfants trahissent
leurs parents en réussissant à l’école. C'est une souffrance psychologique. Ici, l’enfant n’est pas
disposé à l’apprentissage. Didier Héribon a sorti en 2010, un livre parlant de ses parents qui
dévalorisaient la culture scolaire, le fait de réussir à l'école, pour lui, ça a été difficile d'écrire ce
livre alors qu'habituellement, il écrit sur les problématiques homosexuelles.
Les enfants peuvent adopter trois attitudes : soit ils trouvent du sens, le savoir fait suffisamment
sens pour que la mobilisation scolaire perdure, soit ils renoncent, soit ils passent entre mobilisation
et démobilisation. Ça va marquer le fait qu’ils soient dans l’une ou l’autre de ces positions.
Il y aussi des enfants qui ne réussissent pas malgré leurs parents.
Les trois auteurs ont cherché des éléments chez Leontiev : rapport entre la singularité, le sens et le
savoir dans l’analyse de l’activité scolaire. Interroger et s’interroger sur l’activité scolaire, permet
de « cerner » la question de la singularité, du sens et du savoir. On doit faire parler le sujjet pour
relier les trois dimensions.
L’activité se développe par la formation de nouveaux mobiles. Un enfant peut d’abord apprendre
ses leçons pour obéir à sa mère, puis par intérêt pour la discipline dont elles relèvent, on n’a plus
besoin de la mère pour apprendre.
L’activité se développe à travers un processus de modularisation de l’action (Bruner),
(routinisation, automatisation). Cela permet d’automatiser des actions qui deviendront
opérationnelles dans des situations plus complexes. Il permet aussi l’émergence de nouveaux
mobiles. Surmonter la complexité pour avoir des nouvelles raisons de se mobiliser. L'enfant doit
être mis face à des situations consistantes.
Dans les vidéos de classe, on observe qu'on fait faire des choses inintéressantes aux enfants, des
choses qui n'ont aucune consistance intellectuelle et qui ne permettent donc pas de se sentir en
situation de réussite.
Il ne suffit pas que l'enfant trouve du sens, il faut qu'il se sente cognitivement efficace pour quelque
chose de consistant. On voit bien que la question du sens n’annule pas celle de l’efficacité.
L'efficacité de l'activité permet d'engendrer de nouveaux mobiles et de poursuivre des buts plus
complexes, donc d’ouvrir de nouvelles perspectives d’activité et rendre possible une restructuration
de l’identité.
Même si on entre dans la question de la réussite et de l’échec scolaire par la question du sens, le
problème de l’efficacité des pratiques quotidiennes en classe, de la construction de savoirs et de
compétences cognitives reste posée. L’activité doit s’opérationnaliser dans l’action parce que
l’action efficace peut faire naître de nouveaux mobiles d’activité, de nouveaux sens, de nouveaux
ressorts de mobilisation scolaire. (dynamique spiraliaire : tout s’entraine).
Cette recherche débouche sur la notion de rapport au savoir :
« Nous dirons donc que le rapport au savoir est une relation de sens, et donc de valeur, entre un
individu et les processus ou produits du savoir. Parallèlement, le rapport à l’école est une relation
de sens entre un individu et l’école comme lieu, ensemble de situations et de personnes ».
Le rapport au savoir est un rapport à des processus (l’acte d’apprendre) et à des produits (les
savoirs). On est dans l’acte d’apprendre pour s’approprier des savoirs.
Le rapport au savoir est une relation de sens et de valeur : l’individu valorise ce qui fait sens pour
lui ou confère du sens à ce qui présente une valeur pour lui. Le rapport au savoir se construit aussi
dès la prime enfance ce qui lui donne une dimension sociale. C’est une représentation dynamique.
Le rapport au savoir n'est pas une représentation car le rapport au savoir est une relation (ce qui est
différent d’une image mentale). Nous entretenons avec le savoir un certain type de relation.
Le rapport au savoir se construit aussi à travers nos projets d’avenir, nos aspirations
professionnelles, sociales, nos réponses à des sollicitations de l’entourage, etc.
Leur recherche se passe entre 1988 et 1991. ils vont dans des écoles à discrimination positive et
favorisée, en primaire et secondaire. Ils vont dans un collège de bonnes classes au centre de Paris et
dans une école de banlieue.
Ils demandent aux élèves de prendre un page blanche et de rédiger un texte en réponse à la consigne
« Comme on fait un bilan auto, un bilan santé, faites votre bilan de savoir (savoir, savoir être) ».
Ils se rendent compte qu’ils ont des données très hétérogènes. Il est donc nécessaire d’expliciter et
« normaliser » la consigne. La nouvelle consigne est : « J’ai ….. ans. J’ai appris des choses chez
moi, dans la cité, à l’école, ailleurs. Qu’est-ce qui est important pour moi dans tout ça ? ».
Les bilans sont complétés par des entretiens en 89-90 auprès d’élèves dont les textes ont
particulièrement attiré l’attention.
Traitement des matériaux :
Analyse qualitative par thèmes. Les thèmes dominants renvoient à : des attentes (ex, le métier),
des représentations (le bon prof), des stratégies, des images de soi, des valeurs, des processus (la
mobilisation scolaire).
Analyse qualitative des pratiques langagières. Ils analysent les formes d’organisation du texte, la
présence ou absence du sujet dans le texte (parle en terme de « je » ou non), etc. Cela permet de
repérer le rapport (à l’école, au savoir, au langage) sur des indices rarement conscients.
Aucun « phénomène » (tout ce qu’ils repèrent dans leurs analyses) ne peut être dit, à lui seul,
« cause » de réussite ou d’échec. Cependant, on retrouve, avec une régularité forte, des liens entre
certains éléments. Il font la construction de « constellations d’éléments » et des interprétations
comme des ensembles de phénomènes dont l’interaction dynamique constitue un processus.
Un idéaltype, c'est quelque chose qui n'existe pas, c'est l'idéal du chercheur.
« On obtient un idéaltype en accentuant unilatéralement un ou plusieurs points de vue et en
enchaînant une multitude de phénomènes donnés isolément, diffus et discrets, que l’on trouve tantôt
en grand nombre, tantôt en petit nombre et par endroits pas du tout, qu’on ordonne selon les
différents points de vue, choisis unilatéralement, pour former un tableau de pensée homogène. On
ne trouvera nulle part un pareil tableau dans sa pensée conceptuelle : il est une utopie » (Weber,
1965). Il ne s’agit pas d’une description ou d’une explication, mais de mise en forme théorique des
données, pour penser les groupes et les individus – sans épuiser leur singularité. L’analyse des
histoires singulières va permettre d’identifier des processus, qui sont décontextualisés et théorisés
afin de permettre d’analyser d’autres histoires singulières.
Analyse quantitative : Quels types d’apprentissages évoquent les différents groupes d’élèves ? Ils
utilisent cela pour décrire des phénomènes significatifs. Par exemple, un apprentissage peut être
évoqué par une minorité de filles, mais jamais par des garçons, cela donne une indication d’un
phénomène probablement significatif.
Quelques Résultats :
Leïla, à qui on demande comment elle explique qu’elle n’ait jamais redoublé :
« Je sais pas. Ça s’explique pas. Je faisais mes devoirs. Ça dépend des années. Y’a des années où
c’était facile. Pour moi, ça me semblait logique, donc c’était pas la peine que j’apprenne, je
réussissais quand même. » (3ième Saint-Denis).
Caroline est orientée vers l'apprentissage, ce qui en logique scolaire est un échec. « L’école ? C’est
pas mon truc, hein, j’aime pas trop quoi (rire) Eh, heu… J’aime pas l’école quoi. Le primaire ? ben
j’y allais parce que… fallait y aller, quoi. Enfin, comme ça. Mais j’ai jamais vraiment aimé. Là
c’est pas que j’aime mais bon, ça passe maintenant (rire). Ça y est. Faut bien passer par là, hein ».
(3SD, orientée vers l’apprentissage en fin de 3e).
On a 2 témoignages complètement différents. Est-ce que finalement ce ne serait pas joué d’avance ?
(Bourdieu aurait raison) Et bien NON ! Leila est obligée de renoncer, elle voulait être médecin et
elle a fini infirmière. Caroline qui « n’aime pas trop travailler » mais « aime bien travailler
calmement », aurait sans doute mieux réussi dans une ambiance de classe plus calme.
Dans le discours des jeunes, on trouve des moments, plus ou moins longs, où leur destin scolaire est
en balance.
Les choses peuvent être plus ou moins déterminées mais pour d’autres élèves, c’est différent. C’est
souvent en fonction du contexte de la classe etc.
Cristina, Portugaise, fille d’un ouvrier jardinier et d’une femme à tout faire, a sauté le CE1. Élève
de 3e, elle entrera en seconde et y redoublera :
« J’ai sauté une classe parce que j’adorais l’école. Je travaillais tout le temps, je faisais tous mes
devoirs. J’étais bonne et rapide en CE1 (…) Alors en 6e , ça allait, j’aimais bien l’école encore.
Après en 5e, j’aimais plus l’école après. Je sais pas pourquoi. Et puis en 5 e, j’ai rien foutu. J’ai
failli redoubler et j’ai eu de la chance parce qu’au 3 e trimestre, j’ai bossé à fond et puis bon, je suis
passée grâce à mon 3e trimestre et puis l’année dernière, ça allait, à part peut-être au dernier
trimestre, j’ai commencé aussi à… Cette année, heu, ça va. Je travaille pas à fond d’après ce
qu’ils disent mais heu, bon … ».
Cristina semble sensible au contexte de la classe et de la famille. Les choses ne sont pas jouées pour
elle.
Edith, française d’origine guadeloupéenne, fille d’un ouvrier spécialisé en usine automobiles et
d’une aide soignante, a redoublé en 5e. Elle est en 3e à SD :
« De toute façon, tout a commencé en 6e… la classe primaire, ça s’est bien passé, j’ai pas eu de
problèmes. J’ai fait plusieurs gaffes quand je suis arrivée en 6 e , 5e … Bon, j’ai eu la bêtise en 6 e
d’aller dans l’établissement et puis avec plusieurs amis, on a été voler… enfin n’importe quoi, des
bricoles… Alors, on s’est fait renvoyer et puis… en 5e j’arrêtais pas de faire des bêtises, de
déconner quoi… Les cours, c’était plus comme avant. J’avais des notes qui montaient, qui
descendaient…J’sais pas, j’étais plus intéressée comme avant… J’pensais qu’au lieu d’aller à
l’école, j’pouvais aller m’amuser, heu comme tous les autres ».
Si elle n'avait pas été dans cette classe avec ces copains là, ça aurait pu continuer à marcher!
On voit bien que le destin scolaire se joue à plusieurs niveaux (ambiance de classe, autres élèves
etc. )
Thèmes retrouvés par les chercheurs dans l’ensemble de ces discours ?
Quatre thèmes principaux :
1. « En primaire, ça allait bien, tout s’est bien passé »
2. « Je n’ai pas travaillé / j’ai travaillé »
3. « Les copains, l’ambiance de la classe qui empêchent de travailler ou incitent à le faire »
4. « Les relations avec les professeurs et avec telle ou telle discipline scolaire »
Pourquoi certains travaillent et d’autres pas ? quand les élèves disent que c’est une question
d’ambiance, on voit bien l’importance des politiques… Les établissements en discrimination
positive reçoivent des élèves nés en dehors de la "culture scolaire", l'ambiance de classe est alors
plus démobilisante, c'est la même chose pour les classes de niveau et ce n'est pas uniquement du à
l'ambiance de la classe.
Quatre grands types de rapports au travail, de mobilisation scolaire (investissement dans le travail
scolaire, mise au travail) :
1. Pour certains, la question ne se pose même pas : travailler est une évidence, un « habitus ».
Ce sont de bons, voire de très bons élèves.
2. Pour d’autres le travail est une habitude, habitude conquise patiemment.
3. Pour d’autres, il est objet de calculs et de stratégies,
4. Pour d’autres encore, la stratégie ne marche pas. Ils bricolent. Parfois ils arrivent à passer
avec des stratégies de secours, parfois ils se laissent couler.
Pour ces jeunes, le travail est un processus opératoire de la réussite et de l’échec scolaire : celui
qui travaille « passe », celui qui ne travaille pas « plonge ».
Pourquoi certains travaillent et d’autres pas ?
Les copains et l’ambiance de la classe. Cela montre l'importance des politiques adoptées pour les
établissements scolaires en matière de regroupements d’élèves et de constitutions de classe. La
question de l’homogénéité et hétérogénéité des classes se pose aussi en terme de rapport au travail
scolaire.
L’école, les professeurs et les matières scolaires. Les thèmes qui reviennent sont la peur, l’ennui,
l'autorité du prof, il « panique » les élèves, il les endort, il parle avec eux, il explique bien, il fait lire
les élèves, il fait aimer le français, il organise des sorties… Tant à St Denis qu’à Massy, tant chez les
bons élèves que chez les autres, il existe une corrélation forte entre aimer le prof et aimer la matière
dans les propos. La note est importante aussi: « J’aime l’école des fois parce que j’ai de bonnes
notes ».
La mobilisation à l’école.
Certains élèves présentent leur échec en se disant « fainéants » (pourtant les mêmes font beaucoup
de choses difficiles et intellectuellement exigeantes en dehors de l’école). Pourquoi aimer/ne pas
aimer l’école ? Pourquoi travailler parce qu’on aime le prof ? Mais aimer le prof ? Apprécier sa
façon d’expliquer entraine une mobilisation volontariste. On retrouve une corrélation forte entre
aimer le prof et aimer la matière. Cela mérite réflexion. Certains profs savent se faire aimer mais ne
savent pas faire apprendre la matière qu'ils enseignent.
C'est complexe car les jeunes « ignorent » le processus cognitif. Il empruntent la logique de
l’institution : « passer » ; « travailler » ; « ne pas se laisser entraîner ».
Trois constellations sont repérées (types d'élèves qui ne mettent pas le même sens sur le mot
apprendre).
Travailler pour passer, résister à la séduction des copains qui « délirent » et « déconnent », aimer
le prof et la matière, apprendre ; éventuellement comprendre, s’intéresser, se sentir encouragé par
ses bonnes notes, rivaliser avec les camarade. C’est le prof qui est porteur des effets cognitifs : fait
des cours intéressants, réexplique patiemment, fait des contrôles, conseille des lectures, est cool,
parle avec les élèves… C’est la constellation du sérieux.
Rôle central du savoir : travailler pour passer, mais aussi pour comprendre, parce qu’on s’intéresse
à ce que l’on apprend, se sentir encouragé par ses bonnes notes et rivaliser avec les camarades.
Résister aux copains qui veulent vous entraîne, mais ils sont moins nombreux dans la classe pour
les élèves de la constellation 1. La personnalité et la compétence du prof importe, mais moins que
dans la constellation 1. C’est la constellation de l’intellectuel.
Non mobilisation scolaire : ne pas aimer l’école, ne pas travailler, ne pas aimer les professeurs et
ce qu’ils enseignent, se laisser entraîner par les copains, ne pas comprendre. Place essentielle du
prof, il s’en fiche, il explique mal, n’a aucune autorité, panique les élèves. Les élèves sont mobilisés
sur leur jeunesse, sur le présent, sur une autre vie, ailleurs… Non mobilisation scolaire : ils ne
travaillent pas donc n’apprennent pas. Aucun intérêt au prof. C’est la constellation de ceux qui
trainent.
Les constellations sont des idéaux-types. Les chercheurs relèvent que la plupart des jeunes de leur
enquête ne sont pas imperméables à l’école, ils ne sont jamais dans une seule constellation mais se
baladent dans ces constellations. Ils sont potentiellement mobilisables, mais l’école n’a pas su les
mobiliser – parfois les a démobilisés.
Les élèves « sérieux » des milieux populaires sont particulièrement intéressants dans la mesure,
précisément, où ils échappent à leur « destin » statistique.
Pour réussir à l’école, il faut travailler. Mais qu’est-ce que « travailler à l’école » ? Et pourquoi
avec les mêmes copains, les mêmes profs, les mêmes contenus d’enseignement, certains travaillentils alors que d’autres, de même origine sociale et de même « milieu », ne travaillent pas ? Il faut
chercher à identifier les processus sociaux, subjectifs et épistémiques qui s’articulent aux processus
scolaires pour produire de la réussite ou de l’échec.
Le sens de l’école n’est pas accessible à tous, certains jeunes doivent le construire. Mais pour
certains jeunes, la construction ne se fait pas… Dans les classes de St Denis, environ 25 % des
jeunes semblent n’attendre rien de précis de l’école ou en tout cas rien de ce que l’école pourrait
leur apporter.
Plusieurs formes de non mobilisation scolaire :
Tous les enfants disent vouloir apprendre à l'école primaire mais ne le déclare plus en secondaire.
Qu'est-ce qui s'est passé ? L'école n'a pas répondu à leurs attentes, elle les a découragé ! Quand les
élèves arrivent en première secondaire, ils arrivent avec une moyenne plus ou moins bonne et plus
en fin d'année. Pour être mobilisé, il faut un sentiment d'efficacité. En primaire, les tâches sont plus
concrètes, il y a moins d’apprentissage consistant cognitivement. Au départ, ils travaillent sur des
procédures, des tâches très simples auxquelles ont peut s’entrainer avec des méthodologies
behavioristes. Ensuite sur des tâches qui font réfléchir et là ça ne va plus. Ils comprennent pas ce
qui leur arrive et ils souffrent donc ils se révoltent.
Les cas familiaux sont très marginaux dans la non-réussite. Les problèmes personnels peuvent les
envahir mais ça ne l'envahit pas tout le temps pendant le temps de classe mais c'est consolant pour
les enseignants.
« Maintenant, j’attends que mon père revienne à ma mère » (SD, 5e, G). Cet élève est submergé par
des problèmes personnels.
En plus, certains textes montrent que les problèmes personnels ne font pas nécessairement tomber
l’envie d’apprendre et de réussir. Comme dans l’exemple : « Et maintenant, j’attends de ma vie que
je devienne quelqu’un pour lui rendre tout le plaisir et la joie qu’il m’aura donnés. » (SD, 5e, G,
élève qui parle de son père décédé).
Les profs investissent beaucoup les excuses psychologiques quand l’enfant rate. Seulement, si les
enseignants savent y faire, ils pourraient se sentir moins envahit par leurs problèmes.
« J’attends que je suis majeur et avoir des enfants, à avoir un métier et tuer des gens qui m’ont fait
souffrir quand j’étais petit. » (SD, 6e, G)
« J’attends de grandir et d’être intelligente » (SD, 6e, F).
Les élèves ici, sont dans un processus qui rend difficile, si pas impossible, un fort investissement
dans les apprentissages scolaires : l’élève s’en remet au temps pour devenir grand et par là même,
automatiquement, avoir un bon métier ou devenir intelligent.
« Pour moi, l’école c’est très instructive (sic) , surtout pour faire des amies de toutes races et
langues. Bon on apprend un peu de savoir-faire de la vie. Mes parents m’ont appris ce qui est mal
et ce qui est bien » (Edith, SD, 3e orientée en BEP).
Edith pense que ce sont ses parents qui lui ont appris ce qui est important. Les chercheurs se rendent
compte que le rapport au savoir ne leur permet pas d'apprendre à l'école et donc pour eux,
l'important c'est ce qui se passe en dehors de l'école.
« Même ma meilleure copine, je l’ai connu à l’école, je l’ai connue en maternelle. C’est ma
meilleure copine, mais ça l’aurait pas été si jamais j’avais pas mis les pieds dans cette école. Je
veux dire on est obligés d’aller à l’école pour avoir heu… c’est comme les parents, des fois ils se
font des amis en allant travailler. Des fois, c’est des collègues de bureau, enfin… De toute façon,
les amis, on se les fait quelque part, soit au boulot, soit en vacances (…) Bon, j’aime pas le collège,
mais heu, ça passe le temps. » (Valérie a redoublé sa 6e et sa 5e et redoublera sa 3e).
Quel sens donne les autres élèves à l'école ? C'est la faille de Bourdieu, il ne s'intéresse pas à la
question du sens. Pour ces élèves, l’école et le savoir n’ont guère de sens. Seule la vie active fait
sens.
« Est-ce qu’il est nécessaire que les élèves soient mobilisés sur l’école pour être mobilisé à
l’école ? »
Chapitre 3 : Quelques mécanismes susceptibles d'engendrer
des inégalités scolaires
Des différences de rapports au savoir
Trois types de « rapport au savoir » sont repéré dans la recherche. Le chercheur est obligé de
construire des réalités pas tout à fait réelles mais qui permettent d'y voir plus clair (typologies).
Le type de rapport au savoir se transforme à travers le temps.
Processus d'objectivation-dénomination
Apprendre, c'est s'approprier un savoir déjà là incarné sous forme de discours (notamment écrit),
prendre du recul vis-à-vis des différentes disciplines pour en repérer les différentes caractéristiques
logiques, les évolutions historiques, les relations inter-disciplinaire.
Très centré sur les contenus intellectuels et scolaires, apprendre, c'est s'approprier des objets
intellectuels. L'objet de l'apprentissage n'est pas la situation, mais un contenu intellectuel spécifique
(le cosinus, la vie de nos ancêtres, les composants de ce qui nous entoure...).
« Depuis que je suis né, j'ai appris à compter jusqu'à 10, 20, 100 000, j'ai appris à tracer une
droite, un triangle, à additionner, à multiplier, à diviser, puis j'ai eu affaire aux fractions, ensuite au
cosinus, aux tangentes, aux équations à deux inconnues » (Ma, 3B, orienté en seconde).
En quoi est-ce important que l'élève soit dans un rapport où le savoir est un objet ? Un objet, il peut
le manipuler, l'ingérer, l'observer, travailler autour. L'élève n'est plus perdu au milieu d'une situation.
Le savoir est considéré comme un objet auquel les élèves peuvent donner un nom. C'est quelque
chose d'extérieur à soi, on peut le manipuler, le regarder de manière critique, l'ingérer, l'apprendre.
Apprendre c'est mettre à l'intérieur de soi un savoir. Pour cela, il faut être conscient qu'il est à
l'extérieur de soi. Ce n'est pas un phénomène d'osmose, il faut le manipuler, voir en quoi on peut
l'accrocher à autre chose. Ces élèves peuvent nommer ce qu'ils ont appris à l'école.
Ma parle très précisément de ce qu'il a appris, ce qui permet de réussir.
Processus d'imbrication du « je » dans la situation
Apprendre est le passage de la non-maîtrise à la maîtrise d'une activité. Le savoir n'est pas pensable
hors de cette activité. Il est dépendant de celle-ci et ne peut être nommé sans référence à elle. Si
l'élève travailler à l'école directement pour avoir le diplôme, un bon métier, les activités scolaires
sont perçues comme une corvée nécessaire, une formalité. Dans ce cas, il n'y a pas secondarisation.
On trouve ce rapport au savoir chez les élèves qui, à la question « Qu'est-ce que tu as appris dans ta
vie ? » répondent par « J'ai appris à faire telle ou telle chose. ». Dans l'attitude, l'élève privilégie les
aspects pratiques aux dépends de la théorie, ils exécutent une tâche sans faire le lien avec le reste du
cours.
Pour l'élève « ouvrier - exécutant », apprendre, c'est travailler, réaliser des tâches, répondre à des
règles collectives. Il y a un code du travail scolaire, sans salaire, sans gratification immédiate ce qui
entraîne le décrochage pour certains. Commentaire d'un parent : « Comment ça se fait que mon fils
redouble ? il n'a jamais été absent ! ». Le savoir doit être utile, travailler dans une matière est
équivalent à bien aimer le professeur.
Les savoirs regroupent aussi les apprentissages faits à la maison comme les tâches de la vie
quotidiennes mais ce sont surtout chez les garçons qu'on voit ce type de relation au savoir.
Tout ce qui est système de récompense maintient l'idée que l'élève est dans un système de salariat.
On trouve beaucoup ça au Québec. Pour les élèves, la récompense suprême est d'aller manger un
hamburger avec le prof. Ils n'ont pas d'autres motivations.
La pratique de drill consiste à remplir des fiches le plus rapidement possible, certaines classes ne
font que ça. On maintient l'idée que l'élève est un petit exécutant.
Les élèves apprennent en passant d'une situation à une autre mais sans mettre un objet extérieur
dans leur propre tête. Ils ont des difficultés à dénommer précisément ce qu'ils ont appris. Ils voient
l'école comme un moyen d'avoir un avenir, c'est une corvée nécessaire. Ils disent ce qu'ils ont appris
à faire sans nommer. Ils privilégient les aspects pratiques de ce qu'ils ont appris. Ce sont des
exécutants et certaines pratiques maintiennent les élèves dans ce rapport au savoir qui ne permet pas
d'apprendre vraiment. L'école primaire peut bien marcher mais ils s'écroulent en secondaire.
Processus de régulation du rapport avec autrui
Le savoir est ce qui permet une relation à soi, à travers la relation aux autres. Apprendre, c'est être
capable de réguler cette relation. Le produit de l'apprentissage ne peut être séparé de la relation en
situation.
On trouve ce rapport au savoir chez les élèves qui, à la question « Qu'est-ce que tu as appris dans ta
vie ? », répondent par : « J'ai appris à respecter les autres, à ne pas faire de bêtises, etc. ». Le sujet
épistémique est le sujet affectif et relationnel. Un exemple d'attitude et d'adopter une stratégie
d'apprentissage selon les attentes de l'enseignant.
Ici, on est dans le savoir-être. L'aspect relationnel est surtout important dans les milieux défavorisés.
Il est important d'avoir des copains, on voit apparaître les phénomènes de groupe, de désordre dans
les classes. Ce phénomène est moins important pour les élèves de milieu favorisé.
L'élève peut travailler pour être aimé du professeur ou ne pas travailler pour ne pas avoir l'air
intello. Ils régulent leur rapport aux autres en travaillant ou pas.
Des différences de rapports à la secondarisation
Secondariser, c'est voir que par delà le but apparent de l'activité, il existe un but second qui est
l'apprentissage. On ne peut pas toujours faire des cours ex cathedra aux élèves. Ce n'est pas une
bonne façon d'apprendre. En primaire, les élèves monteraient sur les tables ! Écouter un discours
pendant 6h ne permet pas d'apprendre. Si on n'est pas interpelé, comme on a déjà quelque chose
dans la tête, la place ne sera pas prise.
Ça vient d'où un savoir ? Ils viennent de la recherche. Dans un labo de recherche, on fait des
expérimentations, des vérifications... Comment le savoir passe de la communauté scientifique vers
l'autre ? Les chercheurs transforment le savoir sous forme de texte, puis il est transformé pour être
accessible aux élèves. Les élèves doivent refaire la démarche du chercheur pour pouvoir manipuler
l'objet savoir et pour pouvoir se l'approprier et l'incorporer. L'élève doit se transformer en chercheur.
Pour cela, dans les classes, on met l'élève en situation de chercheur (tendance constructivisme). Le
professeur peut aussi donner des petits exercices d'application. Les élèves pensent que l'important
c'est l'application et pas le savoir. Il peut y avoir aucun savoir enseigné même si les élèves sont
toujours en activité. Parfois il y a des savoirs enseignés mais par leur culture, ils n'arrivent pas à
savoir que derrière, il y a du savoir utilisable à d'autres situations.
Les élèves qui secondarisent ont beaucoup de chance de se débrouiller dans les écoles secondaires.
Certains élèves ne peuvent pas décoller du sens porté par la langue et n'utilisent la langue que pour
communiquer alors que c'est bien plus que cela. Par exemple, en première primaire, au moment de
l'apprentissage du déchiffrage, il est important de prendre conscience de la chaîne sonore qui
constitue les différentes unités linguistiques pour isoler les sons, les reproduire et les faire
correspondre à des graphies pour apprendre à lire. Certains restent collés à l'usage premier du
langage et à son registre sémantique.
On retrouve les mêmes difficultés dans les niveaux ultérieurs. La rédaction, la dissertation, le
commentaire de texte requièrent objectivation et cohérence de l'ensemble du texte écrit.
Les élèves, les étudiants en difficultés ont tendance à écrire comme ils parlent, c'est-à-dire en se
focalisant sur la communication de leurs pensées immédiates et moins, voire pas, sur la cohérence
de ce qu'ils sont en train d'écrire, à ce qu'ils ont déjà écrit ou vont écrire.
Les élèves en difficulté scolaire résistent au travail de secondarisation qu'exigent de nombreux
exercices scolaires.
« Plus que la réflexivité langagière, c'est plus généralement l'aptitude à prendre ses distances à
l'égard de ses propres pratiques qui est en jeu, qu'elles soient langagières ou non (Bourdieu et
Passeron, 1970)
On demande de la réflexivité de plus en plus tôt aux élèves sans leur expliquer ce qu'on attend.
Ce qu'on trouve beaucoup, c'est un tableau à deux entrées comme on utilise en éducation comparée
en BA2. On met les enfants dès 4 ans devant ce genre de tableau et on se rend compte que les
étudiants de BA2 ne savent pas ce que c'est. C'est donc une dispositif complexe non-expliqué. On
ne peut pas demander que les élèves sachent des choses qu'on ne leur a pas enseignées.
Par sélectionner l'image, quel est le critère ? On doit tenir compte de la forme, la couleur aussi ? On
ne cherche pas à aider les élèves à prendre de la distance par rapport à ce qu'ils ont fait. L'idée de la
maternelle est que, plus on les instruit tôt, plus on lutte contre les inégalités scolaires, le but est de
compenser. À la sortie de la maternelle, on constate que tous les élèves ont progressé mais l'écart
entre les positions sociales est resté ou augmenté.
Des malentendus didactiques
Saisie à grande échelle
Des recherches sont faites sur les évaluation de compétences. La visée de l'enseignement a changé
dans toutes les écoles du monde. Il est demandé non pas de faire de belles leçons mais de rendre
leur élèves compétents. Avant ce qui était important était de faire des belles leçons, maintenant, ça a
changé, les enseignants doivent rendre leurs élèves compétent, les élèves doivent être capable
d'utiliser ce qu'ils ont appris dans de nouvelles situations complexes.
Un exemple d'évaluation en trois phases : phase complexe, phase intermédiaire, phase de procédure.
Phase 1 : situation complexe
On propose d'abord une situation complexe. Une institutrice est malade et les élèves décident de
repeindre les murs de la classe. L'élève doit imaginer qu'il est dans cette classe et qu'il doit s'occuper
de la préparation du chantier. Pour cela, il doit mobiliser beaucoup de procédures. Il doit écrire une
lettre à la directrice, calculer le nombre de pots de peinture, compléter le bon de commande.
On se rend compte que très peu d'élève réussissent la phase 1. On se rend compte que certains
élèves pensent que face à une situation complexe, on fait comme à la maison. Ils ne calculent pas le
nombre de pots de peinture nécessaires mais vont chercher 2 pots et s'il n'y en a pas assez, ils
retournent au magasin. Cela marche dans la vie courante mais pas à l'école. Certains élèves
prennent tous les chiffres de la situation et les multiplient entre eux, ils calculent le volume au lieu
de la surface parce qu'ils ont étudié le volume et appliquent ce qu'ils viennent d'apprendre (cadrage
hyper scolaire), ça ne marche pas. Certains sont dans l'application immédiate.
Dans la phase 2, les élèves répondent à des vrais ou faux. Dans la phase de procédure, les enfants
exécutent ce qu'on leur dit.
Les chercheurs observe une vidéo d'élèves en train de travailler ensemble. Les élèves doivent
comprendre qu'on veut peindre la classe mais pas pour de vrai. Il faut mobiliser les choses qu'on
apprend à l'école pour répondre à la question. Il faut justifier correctement la réponse donnée.
Il y a des élèves qui ne comprennent pas ce qu'ils font à l'école.
On observe la difficulté de nombreux élèves 66% à résoudre des tâches complexes. Il y a une
hiérarchie entre les trois phrases, la réussite passe de 44% à 54% puis 63%. La résolution par
procédure est donc importante. Il est important de cadrer la situation.
Il y a une différence entre le cadrage hyperpragmatique, hyperscolaire et le cadrage instruit qui est
celui requis par l'école.
Le cadrage instruit est celui attendu par l'école. Il nécessite une quadruple activité intellectuelle : se
représenter la situation dans sa réalité, mobiliser systématiquement des instruments appris à l'école,
procéder de manière systématique et exhaustive (c'est-à-dire traiter la totalité des aspects de la tâche
qui lui est présentée) et justifier correctement la réponse donnée.
Or les élèves n'ont pas a priori ce type de cadrage.
Pour illustrer, voyons quelques interactions de classe entre enseignants et élèves.
Les élèves travaillent sur les questions d'échelle, ils vont prendre des mesures dans l'école et
dessiner l'école avec une échelle. L'enseignante demande : « Qu'est-ce qu'on est en train de faire ?
Des élèves : « construire l'école, ... mesurer, calculer, faire l'échelle ».
L'enseignante : « Travailler à l'échelle des dimensions des locaux,..., on va faire un dessin... On doit
faire attention à quoi ? »
Un élève : « ne pas tomber ».
L'enseignante : « Oui, mais à quoi aussi ? »
Des élèves : « à bien mesurer, bien calculer ».
L'enseignante : « Donc on va travailler les grandeurs. (...) On va apprendre à réduire les mesures. »
Saisie pragmatique : « construire l'école ».
Saisie parcellaire, actions limitées (procédures) : « mesurer, calculer, faire l'échelle »
Discours de docilité : « bien mesurer, bien calculer ».
Décalage complet : « ne pas tomber ».
On a différentes interprétations d'un même micro-élément de situation didactique. On constate
qu'une multitude de malentendus peuvent naître d'une séquence didactique dans son entier.
Un autre exemple est trouvé dans un exercice de crack en math : « Quelles indications donner au
copain pour se retrouver au cinéma ? Prix du cinéma, horaire, lieu... Pour se retrouver, il y a des
informations qu'ils doivent se donner comme l'adresse du cinéma. L'enseignante demande : « T'en
pense quoi ? Est-ce qu'il faut donner l'adresse de l'école ? ». L'élève répond : « Non, ce n'est pas
nécessaire comme j'habite à coté du cinéma ». L'institutrice passe sur les items : « Tarif du cinéma,
est-ce qu'il faut garder ? ». Ils disent tous non car dans le tarif, il est marqué que le cinéma ne fait
pas de réduction le samedi. L'enseignant fait comme si on était dans la vraie vie sans s'en rendre
compte !
Le rapport aux pratiques scolaires
Dans les milieux populaires, la lecture est parfois considérée comme un acte de paresse, une
inactivité car quelqu'un qui est en train de lire ne bouge pas, on a l'air de ne rien faire donc c'est mal
vu dans certains milieux.
Celui qui se retranche de la communauté, est mal considéré, soupçonné d'une attitude arrogante.
L'absence de collaboration avec les autres, exigée à l'école, peut être perçue comme un refus
d'entraide, comme de l'égoïsme. Chez certains indiens du Mexique, il est scandaleux de s'afficher
comme meilleur que les autres dans un domaine.
Les activités scolaires peuvent entrainer un sentiment de trahison de sa communauté et de perte de
l'identité personnelle, ethnique ou sexuelle.
Annie Ernaux a en autre écrit « La place » où elle décrit le sentiment de trahison envers sa
communauté, la honte ressentie par l'élève qui adhère à l'école quand il constate que sa culture est
différente de celle de l'école. « .. ces façons de vivre étaient à nous, un bonheur même, mais aussi
les barrières humiliantes de notre condition... à la fois bonheur et aliénation. »
Face à des gens éduqués, son père percevait son infériorité sociale et la cachait du mieux possible.
Dans « La honte », Annie Ernaux nous confie l'événement particulier (le jour où son père voulut
tuer sa mère), une chose de folie et de mort, qui la fait passer dans le monde de l'inavouable, du
mauvais côté de la barrière : « Cela ne pouvais se dire à personne, dans aucun des deux mondes qui
étaient les miens ». Depuis ce jour-là, elle prend conscience d'avoir honte de la condition de ses
parents. C'est que doucement, elle commence à passer de l'autre côté de la barrière, dans le monde
petit-bourgeois. Plus tard encore, son mari sera chic, spirituel et ironique.
En conclusion
Oui l'échec scolaire se construit dans la rencontre entre la culture de l'élève et la culture de l'école.
Certains mécanismes, facteurs d'échecs scolaires, résultant de cette rencontre ont été mis à jour par
les recherches. Il reste à mieux les comprendre et les penser.
Chapitre 4 : traitement de l'hétérogénéité à l'école et
redoublement
Comment sont composés les différentes classes d'un même niveau ? Quels en sont les effets ?
La problématique de l'hétérogénéité
On se réfère à une note de synthèse de Vincent Dupriez sur les classes homogènes et les classes
hétérogènes. Dans cette synthèse se trouvent deux type de recherches : les recherches
expérimentales et les recherche en milieu naturel. Les premières datent des années 30 aux ÉtatsUnis qui tentent d'appréhender l'effet de la composition des classes, les secondes sont plus actuelles,
les chercheurs mesurent ou observent les circonstances et les effets des choix opérés par les acteurs.
Dans les recherches expérimentales, on mesure les compétences initiales, à partir de là on détermine
des élèves forts, des moyens et des faibles. On fait une cohorte de classe rigoureusement mélangée
avec le même nombre de fort, moyen et faible et de l'autre côté, des classes de même niveau
(homogène). Le chercheur intervient sur la constitution des classes.
Les profs de ces classes reçoivent des directives et une formation pour donner le même
enseignement avec les mêmes méthodes dans toute les classes.
Les résultats montrent que les forts ne gagnent pas à être dans des classes fortes. Les faibles ne
perdent pas à être dans des classes faibles. Donc, ça ne change rien pour un élève.
Les études en milieu naturel ont l'avantage de ne pas avoir un caractère artificiel et de pouvoir être
faite sur un grand nombre de classes. On étudie les résultats à des épreuves externes dans des
classes homogènes et hétérogènes dont on repère d'autre part le niveau moyen. On regarde si les
classes en milieu naturel sont homogènes et hétérogènes. On mesure le niveau des élèves dans les
différentes classes. Il n'y a pas de contrôle des professeurs.
Les résultats montrent que les forts gagent à être dans des classes de forts et les faibles perdent à
être dans des classes de faibles. Pour interpréter ces résultats, il convient de faire intervenir le choix
philosophique que l'on fait quant à la mission de l'école.
Les décideurs politiques doivent composer avec ce que veulent les électeurs (être favorisé euxmême). Ils ont donc vision à court terme qui favorise les forts.
Aréna a créé le décret mixité sociale et elle perd son boulot ! En France, Sarkozy a enlevé la carte
scolaire (obligation de mettre son enfant dans une certaine école) qui permettait une certaine mixité
sociale. Une fois qu'on a détruit la carte scolaire, il n'y a pas de retour en arrière.
Si on poursuit cette logique jusqu'au bout, à terme, socialement, le fossé augmentera entre les
différentes classes, la classe moyenne s'émiette, la classe moyenne faible perd son statut de classe
moyenne et on arrive à un scénario à la Brésilienne : des résidences surveillées par des hommes
armés et une population très pauvre, il n'y a plus de classe moyenne. La société est violente et sans
lien sociale entre les gens. La somme des petits égoïsme conduit à cela, les politiques doivent faire
en sorte que ça n'arrive pas. Il n'y a pas que la performance individuelle qui compte dans la société.
Quelle est l'interprétation de la contradiction entre les résultats des études expérimentales et des
études en milieu naturel ? C'est ce que nous apporte les études qualitatives.
On voit sur le terrain ce qui peut expliquer que les classes homogènes faibles désavantagent les
faibles et que les classes homogènes fortes avantagent les forts.
Cette différence provient de l'enseignant puisque les élèves sont les mêmes. Seul face à la classe, il
adapte ses exigences. Il n'utilise pas les mêmes méthodes pédagogiques et enseigne des choses plus
simples aux élèves.
Dans les classes homogènes faible, il y a beaucoup de problèmes de discipline, ce qui implique 10 à
15% de réduction du temps effectif de travail. Les tâches sont plus répétitives. Personne ne veut
aller dans ces classes, on y met les enseignants jeunes et inexpérimentés. On observe une réduction
des exigences, on a une réduction de l'instruction au profit de la socialisation car les enseignants
pensent qu'il faut attendre aux élèves à se tenir tranquille avant de leur enseigner mais c'est une
erreur.
Conclusion
Les études expérimentales sont assez claires en ce qui concerne l'absence d'effet lié au classe de
niveau. Les recherches en milieu naturel font apparaître un effet différencié qui favorise les forts
quand ils sont regroupés au détriment des élèves faibles quand ils sont également regroupés. Mais
ce serait lié aux opportunités d'apprentissages : ce sont les différences au niveau des stimulations
cognitives qui expliquent les différences de performances. L'enseignement est aussi un acte
politique. À ce titre, il est essentiel de lutter contre les « classe de niveau ».
Le redoublement
L'apport de Marcel Crahay : il constate que l'échec scolaire et notamment le redoublement n'est pas
le reflet direct des performances des élèves. Il est parti travailler à Genève !
En Belgique, on atteint des records ! 10% de redoublement en maternelle !
Deux exemples parmi les constats le montrent. Entre les deux grosses communautés linguistiques
belges, le système est le même et le rendement scolaire mesuré par des enquêtes internationales est
le même. Pourtant, le taux de retard observé du côté francophone est près du double de celui
observé de l'autre côté. Ce n'est pas le reflet des performances des élèves ou alors il faudrait qu'on
prouve que les élèves francophones sont plus bêtes que les flamands ! C'est une histoire de système
et pas de performance. De la même façon, il compare les résultats obtenus aux examens organisés
par les enseignants à ceux obtenus à un test externe, dans plusieurs classes de cinquième primaire
en français et il montre qu'un élève qui va doubler parce qu'il est le plus mauvais dans sa classe, ne
doublerait pas s'il se trouvait dans une autre classe (car, dans cette dernière, avec les mêmes
compétences, il ne serait pas le plus mauvais). Donc pour les mêmes performances, certains élèves
vont redoubler et d'autres pas.
Donc l'échec scolaire et le redoublement viennent plutôt de la manière d'évaluer des enseignants.
Toutefois, il n'y a pas lieu d'incriminer les enseignants ni tenter de les culpabiliser car leurs
pratiques éducatives ne dépendent pas entièrement de leur décision consciente. Ils sont pris dans
une « culture de l'échec » ou « idéologie de l'excellence ».
Le rôle que semble avoir l'école dans l'attribution des positions sociales d'une société socialement
hiérarchisée fait que tout le monde (parents, élèves et donc aussi enseignants) pense que l'école doit
être discriminative, qu'elle doit fabriquer de la hiérarchie. Un établissement scolaire pour être réputé
bon doit sélectionner. Un enseignant qui mettrait de bonnes notes à tout le monde risquerait de ne
pas être considéré comme assez exigeant ni comme sérieux.
On est dans un pays où la somme de nos égoïsme individuel pousse à ce qu'on soit dans la culture
de l'échec car si on fait échouer certain, on fait mieux réussir d'autre. Les parents veulent mettre
leurs enfants dans une école qui fait redoubler sinon la réussite ne veut rien dire. L'école fabrique
des inégalité scolaires et distribue les positions sociales de chacun. Pour qu'un enseignant soit
réputé comme bon, il doit mettre des mauvaises notes. Ça pousse les enseignants à avoir une
évaluation normative, la performance de l'élève est évaluée par rapport aux performances du
groupe. Il doit y avoir dans les copies des très mauvaises, quelques très bonnes et centralement
beaucoup de moyenne (logique normative).
On sort avec un diplôme d'instituteur et qu'on fait un remplacement d'un mois dans une classe d'une
bonne école en quatrième primaire. Arrive le moment de l'évaluation, on doit remplir le bulletin en
une semaine, comment on va faire ?
On va voir le niveau des élèves malgré le risque d'étiquetage. On va faire une évaluation la plus
juste possible avec des critères, 1 point pour chaque item réussi. Si on a mal senti le niveau de la
classe, tout le monde a 10/10. On fait alors une deuxième évaluation plus difficile pour qu'il y ait
des forts, des moyens et des faibles et pas trop de décalage avec les autres. La pratique pousse à
faire cela. On est d'accord pour dire que l'évaluation normative est injuste et pourtant dans cette
situation, il n'y a pas moyen de faire autrement.
Conclusion
La question du redoublement mérite, comme d'autres, d'être reposée. Les travaux de Crahay
montrent que le redoublement n'est pas une pratique juste, elle dépend de la culture dans laquelle est
inscrite l'école et ses acteurs. Or certains « pays », comme c'est le cas de la partie francophone de la
Belgique, baignent dans une culture qui implique la nécessité de l'échec. D'autres travaux de Crahay
montrent que le redoublement n'est pas, non plus, une pratique efficace...
Pour aller plus loin, il faut lire son livre !