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UNE ESPÈCE ANIMALE À L’ÉPREUVE DE L’IMAGE Essai sur le calmar géant Champs visuels Collection dirigée par Pierre-Jean Benghozi, Raphaëlle Moine, Bruno Péquignot et Guillaume Soulez Une collection d'ouvrages qui traitent de façon interdisciplinaire des images, peinture, photographie, B.D., télévision, cinéma (acteurs, auteurs, marché, metteurs en scène, thèmes, techniques, publics etc.). Cette collection est ouverte à toutes les démarches théoriques et méthodologiques appliquées aux questions spécifiques des usages esthétiques et sociaux des techniques de l'image fixe ou animée, sans craindre la confrontation des idées, mais aussi sans dogmatisme. Dernières parutions Marguerite CHABROL et Pierre-Olivier TOULZA (sous la direction de), Lola Montès, Lectures croisées, 2011. Élodie PERREAU, Le cycle des telenovelas au Brésil. Production et participation du public, 2011. Isabelle Roblin, Harold Pinter adaptateur : la liberté artistique et ses limites, 2011. Florence BERNARD DE COURVILLE, Le double cinématographique. Mimèsis et cinéma, 2011. Vilasnee TAMPOE-HAUTIN, Cinéma et conflits ethniques au Sri Lanka : vers un cinéma cinghalais « indigène » (1928 à nos jours), 2011. Vilasnee TAMPOE-HAUTIN, Cinéma et colonialisme : la génèse du septième art au Sri Lanka (1869-1928), 2011. Joseph BELLETANTE, Séries et politique. Quand la fiction contribue à l’opinion, 2011. Sussan SHAMS, Le cinéma d’Abbas Kiarostami. Un voyage vers l’Orient mystique, 2011. Louis-Albert SERRUT, Jean-Luc Godard, cinéaste acousticien. Des emplois et usages de la matière sonore dans ses œuvres cinématographiques, 2011. Sarah LEPERCHEY, L’Esthétique de la maladresse au cinéma, 2011. Marguerite CHABROL, Alain KLEINBERGER, Le Cercle rouge : lectures croisées, 2011. Frank LAFOND, Cauchemars italiens. Le cinéma fantastique, volume 1, 2011. Frank LAFOND, Cauchemars italiens. Le cinéma horrifique, volume 2, 2011. Laurent DESBOIS, La renaissance du cinéma brésilien (1970-2000), La complainte du phoenix, 2010. Laurent DESBOIS, L’odyssée du cinéma brésilien (1940-1970), Les rêves d’Icare, 2010. Guy GAUTHIER, Géographie sentimentale du documentaire, 2010. Stéphanie VARELA, La peinture animée. Essai sur Emile Reynaud (18441918), 2010. Florent Barrère UNE ESPÈCE ANIMALE À L’ÉPREUVE DE L’IMAGE Essai sur le calmar géant Du même auteur Hayao Miyazaki, L’enfance de l’Art (Eclipses n° 45, 2009), ouvrage collectif. L’imaginaire du poulpe colossal (Kraken n°3, 2011), ouvrage collectif. Les frères Coen, Principes d’incertitude (Eclipses n° 49, 2011), ouvrage collectif. Calmar géant : du mythe à la réalité (Editions de l’Œil de Sphynx, 2012). À paraître. © L’Harmattan, 2012 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com [email protected] [email protected] ISBN : 978-2-296-56909-6 EAN : 9782296569096 REMERCIEMENTS Je tiens à exprimer ma gratitude envers mon directeur de recherche Jean Mottet qui a toujours encouragé cette entreprise, et ceci avec une sollicitude croissante envers un sujet aussi difficile, composite et inédit. Je remercie aussi les professeurs des universités Dominique Chateau, Alain ChareyreMéjean et Léon Brenig pour leurs lectures attentives du manuscrit et les encouragements qui en ont découlé. Je tiens à remercier mes plus grands soutiens dans la tenue esthétique de ce travail : le professeur Bernard Lafargue, qui m’a transmis le goût des philosophes et de l’épreuve ; Jérémy Montheau, Grégory Beaussart et Estelle Bayon, trois amis en recherche (philosophie, folklore, cinéma), pour leurs nombreuses remarques et leurs regards attentifs. Je remercie aussi mes compagnons de route de la zoologie et de l’enquête animale, qui ont été les premiers intéressés par mes travaux et qui ont su m’apporter précision scientifique et goût pour la confrontation des sources : Eric Joye, pour ses nombreuses relectures et la pertinence de ses vues sur le dossier du calmar géant ; Michel Raynal, pour son soutien et sa connaissance hors norme du dossier du poulpe colossal ; Jean Paul Debenat, pour ses dernières remarques méthodologiques sur la dimension fantastique de l’énigme animale ; enfin, Jacqueline Fukuhara pour sa relecture attentive du dernier manuscrit. Merci aussi à toute ma famille qui a su me supporter dans cette épreuve, et en premier lieu à ma femme Marie-Laure Gayon et à ma mère Solange Uroz. Merci enfin à trois amis qui m’ont donné accès à des sources rares, voire personnelles : Philippe Coudray, Georges Dubourg et Christian Le Noël. Sommaire Introduction ........................................................................................ 11 PREMIERE PARTIE L’énigme du poulpe colossal ..........29 Chapitre I Le poulpe dans l’Art ...........................................................31 1. Polype géant et « hybris » grec ...................................................... 33 2. Polype géant et compilations latines .............................................. 40 3. Figures épiscopales de la Renaissance La tentation de l’anthropomorphisme ................................................ 45 Chapitre II Poulpe, pieuvre et calmar au XIX° siècle ...........................57 1. Denis Montfort et le fantasme du poulpe colossal ........................ 60 2. Fièvre romantique et pieuvre géante .............................................. 63 3. L’énigme du « Monstre de Floride » ............................................. 69 Chapitre III Motif du poulpe au cinéma .................................................75 1. L’imagerie kawaii de l’homme-poulpe ......................................... 76 2. L’imagerie érotique du poulpe ....................................................... 78 3. L’homme-poulpe dans le blockbuster hollywoodien ..................... 80 4. District 9 : marginalité extraterrestre du poulpe ............................ 82 DEUXIEME PARTIE L’énigme des abysses ....................89 Chapitre IV Suspicion envers le Monstre antique ..................................91 1. La photographie ou le dessin ? Une classification difficile.................................................................. 95 9 2. Calmar géant et scènes de plage ..........................................106 3. Le calmar géant dans les documentaires français Une absence remarquée................................................................... 110 Chapitre V Un protocole visuel au cœur des abysses..........................117 1. Le cachalot comme auxiliaire à l’identification visuelle de l’Architeuthis dux ............................................................................ 121 2. La caméra comme auxiliaire à l’identification visuelle du Taningia danae................................................................................ 129 3. Une image oubliée : le calmar colossal Mesonychoteuthis Hamiltoni........................................................... 137 4. Au hasard des caméras robotisées .........................................148 Chapitre VI Motif du calmar géant au cinéma......................................153 1. Créatures tentaculaires dans l’œuvre d’Hayao Miyazaki Du mythe à la réalité ..............................................................155 2. Matrix L’approche virale par la figure monstrueuse de l’insecte .............159 3. Le calmar géant au musée : une image-spectacle....................... 163 Conclusion....................................................................................... 171 Erreurs, raccourcis, approximations................................................ 187 Filmographie ................................................................................... 191 Bibliographie sélective .................................................................... 193 10 Introduction Notre sujet d’étude embrassera le cas noueux de la représentation donnée par une découverte zoologique majeure, le calmar géant. L’image que le calmar géant offre au public paraît de prime abord confuse, mais peut aisément se distinguer en deux phases, qui feront l’objet de deux parties dans cette étude : le calmar géant proprement dit, mais aussi l’énigmatique poulpe colossal, une créature qui semble mythique, fantastique, monstrueuse. Si les animaux ont été l’objet de maintes représentations dans l’histoire de l’art, ils ont aussi intéressé le cinéma depuis ses débuts. L’une des premières expériences photographiques, au XIX° siècle, a sollicité les scientifiques Etienne-Jules Marey et Eadweard Muybridge autour du problème du galop du cheval. Dès 1877 avec La machine animale. Locomotion terrestre et aérienne 1, Etienne-Jules Marey se penche sur la mécanique du mouvement animal, et observe un fait bien singulier : au cours de son galop, il arrive régulièrement au cheval de ne poser aucun de ses quatre pieds au sol. Après cette observation visuelle, celle du cheval ne posant pas ses pieds à terre, Etienne-Jules Marey enrichit son approche par une série de croquis reprenant la course du cheval, où la mécanique de répétition des quatre sabots se trouve posée. Mais ces croquis illustrant le galop du cheval ne peuvent servir honnêtement de preuves. Un protocole expérimental reste à trouver, visant à établir la réalité de ce phénomène animal : un cheval qui, au galop, est périodiquement suspendu dans les airs. Pour Eadweard Muybridge, « la tentative de capter la posture des animaux en mouvement est aussi ancienne que l’art lui-même, si elle n’est pas à l’origine de l’art »2. La carrière de photographe de Muybridge est bien assise lorsqu’il reçoit, en 1872, une demande du magnat des chemins de fer Leland Stanford : ce dernier souhaite faire paraître un ouvrage sur la marche du cheval et veut ainsi disposer de photographies précises sur la position des pattes de l’animal. Afin de trancher la question, Eadweard Muybridge fait appel à la photographie, technique qui lui est coutumière depuis plus de dix ans de par ses travaux théoriques3. Les premières photographies diffusées dans la presse en 1878 montrent un mouvement décomposé grâce à une batterie de douze appareils photographiques placés côte à côte ; ils sont déclenchés par un fil tendu placé sur le passage de l’animal. Muybridge améliore son 1 Etienne-Jules Marey, La Machine animale. Locomotion terrestre et aérienne. 1873-1874. Jacques Aumont, Les théories des cinéastes, Editions Nathan, 2002. p. 12. 3 Eadweard Muybridge était déjà un très grand photographe en 1878, s’illustrant notamment dans les photographies de paysages et de guerres, publiées dans la revue Caast and Geadetic Survey. 2 11 dispositif en commandant vingt-quatre appareils photographiques en Angleterre, qu’il dispose le long de la piste équestre de son ami Leland Stanford. Ces appareils se déclenchent instantanément grâce à des fils tendus sur la voie hippique. Une fois le cheval lancé, le déclenchement des appareils photographiques permet alors une succession d’instantanés du cheval dans sa course. Le résultat de ce protocole scientifique se traduit par une série d’instantanés photographiques du galop d’un cheval piégé seize fois par tour de piste. A l’aide du même protocole photographique, Muybridge piège aussi la marche d’un bison dans son élan. Eadweard Muybridge obtient parmi les instantanés photographiques le fameux cliché déjà supposé par l’observation et les dessins d’Etienne-Jules Marey : le cheval en équilibre, dans les airs. La résolution de cette énigme animale démontre une nouvelle fois que l’on peut se laisser abuser par les habitudes de notre vision, et les présupposés mentaux qu’elle engendre. Rien n’est moins habituel à notre vision, tout du moins à celle de la fin du XIX° siècle, qu’ « un cheval suspendu dans les airs ». Et cette mystérieuse opération de la nature, commandée par la force d’un mouvement animal qui s’abolit un bref instant de l’apesanteur terrestre, se trouve révélée par la technique photographique. L’instantané photographique tant recherché, celui du « cheval suspendu dans les airs », n’est pas unique. Il est même assez courant. Il revient à un rythme cadencé, tous les seize clichés. Bis repetita. De plus, la course du bison captée dans les mêmes conditions expérimentales démontre que ce phénomène mécanique n’est pas l’apanage du seul cheval. Un soin tout scientifique est apporté à la démarche animale et à la fixation de son procès sur la pellicule photographique. Etienne-Jules Marey avait simplement esquissé le mouvement au galop de ce cheval sur une feuille blanche, là où Muybridge le rend « tangible » par un véritable protocole photographique. Dessin et photographie sont donc les instruments d’une révolution scientifique, celle d’un principe de répétition, d’une mécanique de la locomotion animale (cheval ou bison). Après la résolution de ce problème scientifique grâce à l’aide d’Eadweard Muybridge en 1878, Etienne-Jules Marey approfondit par la suite la saisie du mouvement animal par un recours systématique au procédé photographique. En perfectionnant le dispositif expérimental d’Eadweard Muybridge, Etienne-Jules Marey réussit vers 1882 à saisir plusieurs mouvements animaux en une seule photographie, et réalise ainsi la chronophotographie du vol d’un pélican. Ensuite, Etienne-Jules Marey s’inspire du pistolet photographique de Jules Janssen, destiné à enregistrer le mouvement des astres, et réalise en 1882 avec le fusil photographique la saisie « sur nature » d’un être en mouvement sur douze poses. Cette machine, qui présente l’avantage d’être légère et mobile, est restée célèbre, bien qu’elle n’ait été utilisée que quelques mois. Toujours passionné par l’articulation du mouvement et sa décomposition en plusieurs phases, 12 Etienne-Jules Marey crée également en 1882 la « Station physiologique du Bois de Boulogne », subventionnée par l’Etat français. Le ministère de la Guerre s’était intéressé de près aux travaux d’Etienne-Jules Marey sur « la méthode de marche » de l’armée allemande, vainqueur en 1870… Après un bref aperçu historique de l’esthétique animale, nous prolongerons notre recherche par l’exemple du calmar géant, qui dans les représentations antiques s’efface bien souvent derrière une créature tentaculaire, immense, effroyable : le poulpe colossal. Cet animal mythique souffrira diverses mutations, dont la plus savante restera l’ « Evêque des mers », un curieux « homme-poulpe » qui séduira bien plus tard la production cinématographique. Autour du XIX° siècle, autour de l’incident de l’Alecton, la vision mythique de la pieuvre géante s’estompe, pour laisser place à une plus grande rigueur scientifique. En 1861, la pêche accidentelle d’un calmar géant par le bateau à vapeur l’Alecton posera les fondements de la problématique de notre travail esthétique : comment l’antique poulpe colossal se mue-t-il en scientifique calmar géant ? Par la première présence véritable du corps d’un calmar géant, qui s’échouera sur les côtes de Terre-Neuve et du Labrador entre 1871 et 1879. S’ouvre alors, de par ces corps exposés sur la grève, une nouvelle ère dans l’étude du calmar géant : celle des naturalistes, des scientifiques, des cinéastes et anthropologues… Celle d’une plus grande précision biologique, d’un plus grand souci du réel. Les calmars géants qui logent au sein du vaste Océan ont marqué par l’importance de leurs dossiers zoologiques le XIX°, le XX° et le XXI° siècle naissant. Le calmar géant, connu par les peuplades les plus cosmopolites depuis des millénaires, n’a fait son entrée officielle dans la zoologie qu’à la fin du XIX° siècle4. Assez discret tout au long du XX° siècle, le calmar géant est l’objet, depuis 2003 et les expéditions sous-marines de Tsunemi Kubodera, d’un intérêt croissant, qu’il soit scientifique, médiatique ou encore artistique. Mais avant d’étudier ces calmars géants qui ont marqué la zoologie moderne, ma première nécessité sera d’exhumer un patrimoine à cette relation entre l’animal et son image. Les espèces animales qui méritent une attention plus soutenue dans cette étude sont des calmars géants, de grands céphalopodes qui hantent les abîmes marins. J’ai choisi à dessein ce domaine, ce continent devrais-je dire, car il est encore bien mal connu des biologistes marins, qui restent humbles quant à l’immensité des espèces restant à découvrir. Le vaste Océan est encore plus mal connu des cinéastes, qui n’ont pu pénétrer que très tardivement les fonds marins, la conquête de cet espace dépendant uniquement des innovations techniques qui permettent de résister à la 4 Le premier spécimen entier naturalisé n’a fait son entrée dans un musée que le 27 Juin 2008 : il s’agit de « Wheke », le calmar géant du genre Architeuthis dux plastiné au Muséum d’histoire naturelle de Paris. 13 pression de l’eau. L’espace maritime, et sa conquête, questionne constamment la notion de « frontière » : limite somatique, l’homme n’étant pas naturellement enclin au milieu marin ; limite cinématographique, les caméras demandant des ajustements techniques face à un milieu hostile, à très haute pression. C’est pourquoi l’image, et par là l’identification de certaines espèces marines, a été si longue à advenir - les moyens techniques pour pallier nos insuffisances humaines ont mis du temps à être adoptés par les biologistes marins. La zoologie est un terme qui vient du grec « zoon » (l’animal) et de « logos » (l’étude). C’est donc « l’étude des animaux », étude qui, historiquement, n’a jamais négligé la recherche du détail. Le zoologue répertorie des animaux dans une systématique, l’arbre phylogénétique5, ordonnancé par divers détails anatomiques. Jean Loup d’Hondt parlera plus volontiers, pour évoquer ces détails, de « caractères discriminatifs »6. Selon lui : « La systématique repose sur la création de groupes d’animaux, les taxons, divisés en catégories hiérarchisées selon un ordre conventionnel. […] La pertinence de l’arbre phylogénétique dépend de la pertinence des caractères discriminatifs retenus »7. L’animal est donc un objet d’étude qui, une fois découvert, sera en attente de sa classification et pourra s’inscrire, si son identité est établie, dans un système fondé sur des caractères précis : végétal, animal ou minéral, à sang chaud ou à sang froid, vivipare ou ovipare, reptile, oiseau, mammifère ou amphibien, etc. Seuls les détails anatomiques - parfois subtils ou trompeurs - permettront à l’animal étudié de rejoindre une classe, un ordre, une famille. Le morcellement est la règle dans la classification zoologique, et le détail anatomique semble être la seule référence possible pour différencier les animaux et ainsi aider à leur classification. La photographie aidera bien à propos cette science, en fixant sur un support glacé les parcelles anatomiques qu’un animal n’aurait pu révéler en fuyant et en se soustrayant ainsi au regard de l’observateur humain. Dans ce lien entre l’animal et les outils d’inscription du réel (dessin, photographie, cinéma), une science encore jeune s’est intéressée à l’image cinématographique comme preuve : la cryptozoologie. Pour reprendre le terme de son père fondateur Bernard Heuvelmans, la cryptozoologie est « la science des animaux cachés (crypto/zoon/logos) »8. Ce terme, dont la priorité revient au naturaliste Ivan T. Sanderson, a été d’abord clarifié par Bernard Heuvelmans dans la première édition de Le grand serpent-de-mer : 5 « L’arbre phylogénétique » est un arbre schématique qui montre les relations de parentés entre des entités supposées avoir un ancêtre commun. 6 Jean Loup d’Hondt, Histoire de la zoologie, Editions Ellipse, Paris, 2007. p.23. 7 Jean Loup d’Hondt, ibid. p. 24. 8 Bernard Heuvelmans, Le grand serpent de mer : le problème zoologique et sa solution, Editions Plon, 1965. 14 le problème zoologique et sa solution 9, mais une définition plus précise n’advient qu’en 1988 : « La cryptozoologie est l’étude scientifique des animaux cachés, c'est-à-dire des formes animales encore inconnues pour lesquelles sont seulement disponibles des preuves testimoniales ou circonstancielles, ou des preuves matérielles considérées comme insuffisantes par d’aucuns »10. Ainsi, pour résumer Bernard Heuvelmans, l’étude des animaux inconnus peut être établie sur la base de preuves testimoniales (témoignages oculaires), circonstancielles (indices physiques) ou encore autoscopiques (que chacun peut voir), cette dernière notion étant argumentée dans l’introduction de L’homme congelé du Minnesota11. Dans le cadre restreint de la cryptozoologie, c'est-à-dire finalement de la recherche animale limitée à une enquête policière, les indices cinématographiques (vidéos, photographies, sons) se réduisent à des pièces à conviction, c'est-àdire à des preuves fondées sur des « empreintes physiques réelles ». Les éléments cinématographiques ne sont donc pas étudiés en soi, mais comme étant des indices circonstanciels concomitants à l’animal inconnu. La démarche initiée par Bernard Heuvelmans, faire passer l’enquête policière comme fondamentale et même constitutive de la cryptozoologie, semble assez conventionnelle. En effet, la lecture analytique n’est pas le propre de la cryptozoologie : cette démarche intuitive est commune à un grand nombre de pratiques scientifiques (sciences naturelles, sciences physiques, mathématiques), mais aussi artistiques : écriture d’un roman, d’un scénario, d’une pièce de théâtre, construction d’un personnage par l’acteur. Bernard Heuvelmans ne prône rien de bien novateur par son goût pour l’enquête policière et la recherche indicielle, et son seul mérite est d’avoir fait acte d’érudit des premiers temps dans sa recherche des sources et son analyse globale de la pratique zoologique. Ce qui est déjà fort louable, sans pour autant s’inscrire dans un véritable travail d’authentification et de validation scientifique. En ce sens, la recherche de l’incognitum12 serait sans doute l’idéal de la cryptozoologie, ce vers quoi elle devrait tendre. William Hunter, Médecin de la Reine et anatomiste distingué a eu l’honneur en 1769 d’authentifier un spécimen de mamouthidé américain provenant du gisement tertiaire de Big Bone Lick (Etats-Unis, Kentucky). Il nomme cette nouvelle espèce l’ « incognitum », et compare sa mâchoire inférieure à celle d’un éléphant. Ces deux mâchoires effectivement se ressemblent, et elles se distinguent aussi nettement pour pouvoir être interprétées comme étant de deux animaux différents, dont l’un est inconnu. 9 Bernard Heuvelmans, ibid. Bernard Heuvelmans, ibid. Edition revue et corrigée de 1988. 11 Bernard Heuvelmans, Boris Porchnev, L’homme congelé du Minnesota, in. L’homme de Néanderthal est toujours vivant, Editions Plon, 1974. 12 Pascal Tassy, L’invention du mastodonte. Aux origines de la paléontologie, Editions Belin, 2009. 10 15 La science cryptozoologique devrait reposer sur un principe analytique aussi rigoureux que la recherche de l’incognitum, mais se cantonne le plus souvent à la science des animaux mystérieux. Mis à part l’excellent Guide des animaux cachés13 de Philippe Coudray, qui rend compte avec soin de la variété animale restant à découvrir sur notre globe, l’intérêt des médias se porte malheureusement uniquement sur le Monstre du Loch Ness et le Yéti, à l’endroit même où la survivance du Thylacine en Tasmanie ou la découverte d’une nouvelle espèce de chimpanzé (le tiers anthropoïde ou singe de Bili) en 2004 n’ont droit qu’à un succès d’estime. L’intérêt de la majeure partie des maisons d’éditions pour la cryptozoologie vient de ce « fantasme de l’inconnu », obole du peuple, et qui se trouve être le toutvenant des sciences occultes (l’ufologie, le satanisme, le paranormal). A ce titre, le terme d’enquête animale, plus sobre, mais pas moins ambitieux, mériterait de remplacer celui trop solennel de « cryptozoologie », où les premiers principes méthodologiques, qui partaient d’un sentiment courageux, s’avèrent en réalité impraticables. En ce sens, la différence fondamentale entre la découverte d’une espèce (témoignages, empreintes, dépouilles) et son authentification (démarche structurelle, nomenclature scientifique) mériterait d’être éclairée par un travail sémiologique qui questionnerait la puissance iconique ou indicielle de ces deux pôles scientifiques de « l’observation » et de « la découverte ». Le plus sûr moyen d’accéder à l’utopie méthodologique de la cryptozoologie sera de suivre les scientifiques qui se sont interrogés sur le lien existant entre l’animal et sa représentation, seul clef du lent cheminement vers l’authentification scientifique. A ce titre, le cas devenu classique du Rhinocéros mériterait un examen plus approfondi. Le Rhinocéros, du grec « rhis » et « kéras », signifie « celui qui a la corne sur le nez ». Ce pachyderme était déjà connu des hommes préhistoriques sous la forme massive et poilue du rhinocéros laineux. Nos ancêtres le chassaient et le peignaient à l’occasion sur les parois des grottes (Lascaux, Rouffignac, Chauvet), le représentant sous son aspect lourd et imposant, mais toujours réaliste. Après une présence iconographique discrète durant toute l’Antiquité, de Pline l’Ancien à Elien le sophiste, le Rhinocéros revient dans les gravures au début de la Renaissance, par la mode des animaux rapportés comme cadeau au Roi par les ambassades à l’étranger. Ainsi, le peintre allemand Albrecht Dürer exécute en 1515 un dessin de « Rhinocerus », d’après le premier spécimen de Rhinocéros vu en Europe depuis l’Antiquité. La gravure sur bois d’Albrecht Dürer est considérée comme le premier regard occidental posé sur le Rhinocéros à la Renaissance. Dans l’exemple du « Rhinocerus » d’Albrecht Dürer, les éléments insolites dont l’animal a été orné proviennent d’une observation indirecte de la réalité. Le peintre 13 Philippe Coudray, Le guide des animaux cachés, Editions du Mont, Octobre 2009. 16 allemand n’a certainement pas vu l’authentique Rhinocéros exposé à Lisbonne en 1514, cadeau du roi Muzaffar II de Cambaye au roi Emmanuel I° du Portugal. Il s’est en revanche inspiré d’un croquis assez fidèle de ce spécimen, document aujourd’hui perdu, qu’il consulta dans la ville de Nuremberg. Les deux organes fantaisistes, la cuirasse et la petite corne sur le dos, sont donc des ajouts personnels qui maintiennent certains présupposés mentaux : le Rhinocéros a du être rapporté à Albrecht Dürer comme « cuirassé », il était alors logique de l’orner d’une côte de mailles et de ses rivets ; et la petite corne sur le dos se référait à l’imagerie symbolique de la licorne, rattachée à tous les animaux cornus et exotiques depuis Histoire naturelle des animaux 14 de Pline l’Ancien, comme la gazelle, le narval ou l’oryx. Les lacunes dans les sources d’observations entraînent souvent, comme le suggère Lucienne Strivay, un glissement des représentations vers la fiction : « La nature fragmentaire des preuves tend à imposer la nécessité de fictions où se glissent, dans les représentations même données par les scientifiques, lieux communs, idées reçues et figures narratives stéréotypées »15. Ainsi, dans une gravure d’Albrecht Herport de 1669, il est curieux qu’une copie conforme du « Rhinocerus » d’Albrecht Dürer ait été choisie pour illustrer le cap de Bonne-Espérance où ne vivent que des rhinocéros à deux cornes (le Rhinocéros gris et le grand Rhinocéros blanc). Pour ma part, les ajouts d’Albrecht Dürer au Rhinocéros de 1514 ne me semblent pas excessifs si la référence prise est celle du Rhinocéros indien, et non du Rhinocéros africain. En effet, le « Rhinocerus » représenté par Albrecht Dürer n’a qu’une corne, et ne peut ainsi pas être confondu avec le grand Rhinocéros blanc d’Afrique qui est orné de deux cornes. En revanche, le grand Rhinocéros indien ne possède qu’une corne, et sa peau grise forme comme une série de plaques : « Le grand Rhinocéros unicorne de l’Inde (Rhinoceros unicornis) a la peau divisée, par de gros plis, en d’énormes boucliers. Elle est couverte, par surcroît, de gros tubercules cornés très saillants »16. Historiquement, le Rhinocéros de Dürer peut être envisagé comme un Rhinocéros unicorne indien (Rhinoceros unicornis). Après la réouverture de la route de la soie par Marco Polo en 1275, les animaux exotiques qui provenaient de l’Inde étaient très prisés en Occident, et le roi Muzaffar II a certainement offert au roi du Portugal un spécimen indien, qui a la particularité de porter une peau cuirassée - un maillage très serré de plaques. Le seul ajout fantaisiste serait cette petite corne de licorne, qui a été reprise par la suite dans un grand nombre de représentations : sur les armes 14 Pline l’Ancien, Histoire naturelle des animaux, Livre VII à XIX. Lucienne Strivay, Enfants sauvages : approches anthropologiques, Editions Gallimard, 2006. p. 27. 16 Bernard Heuvelmans, Sur la piste des bêtes ignorées, Tome I, Editions Plon, 1955. p. 144. 15 17 d’Alexandre de Médicis, duc de Florence, sur la Fontana Pretoria de Palerme en Sicile, et dans les œuvres naturalistes d’Ambroise Paré, Sébastien Munster ou encore Conrad Gessner. « On a pu cependant prouver que cette créature (ndlr : le rhinocéros de Dürer), pour une bonne part inventée a, jusqu'au XVII° siècle, servi de modèle pour tous les dessins de Rhinocéros, même dans les livres d’histoire naturelle »17. Les erreurs et blocages sont donc venus à la Renaissance d’une mauvaise connaissance zoologique de l’animal, qui n’a jamais été remise en cause et a ainsi engendré un nombre impressionnant de copies. « Cette gravure devient une véritable image de référence alors même qu’il existe des représentations plus justes et plus précises, réalisées par l’observation des autres rhinocéros parvenus en Europe : le grand public, comme les cercles artistiques, ne connaît que le rhinocéros de Dürer. Il faut attendre le milieu du XVIII° siècle pour que l’on découvre que Dürer avait exagéré ou déformé certains traits anatomiques de l’animal »18. Le même problème semble présent dans les représentations des animaux africains, où les écarts fantaisistes se maintiennent longtemps après les observations scientifiques. Le deuxième exemple de représentation animale étudiée dans cette introduction est sans doute celui qui dénote, de la part du maître d’œuvre, la plus vive ingéniosité. Il ne s’agit ni de mettre à distance le modèle, ni de le normaliser, mais simplement de le dupliquer - de s’appliquer à la mise en œuvre d’un « eikon », pour reprendre le terme consacré par Platon dans La République 19. D’en faire un double parfait. Le peintre ne comblera plus par des solutions quotidiennes le souvenir d’animaux encore lointains, mais s’appliquera à copier le tableau d’un animal déjà représenté. C’est ce qui s’appelle faire « acte de faussaire ». L’œuvre n’est pas signée, ou alors avec un nom d’emprunt. Elle est « re-produite », sans omettre quelques infimes variations, pour que le plagiat ne soit pas manifeste. Ce procédé, l’auteur de L’art et l’illusion20, E. H. Gombrich, l’a repéré dans deux représentations de baleines : l’original d’Hendrick Goltzius (1598) et la copie d’un faussaire italien (1601). Les baleines, en tant qu’animaux, ne faisaient pas partie des études nobles de la peinture. Les animaux étaient même jusqu’à la Renaissance, comme l’évoque Alain Corbin dans Le territoire du vide21, au plus bas de l’échelle de la représentation. Dans cette hiérarchie, les sujets royaux et bibliques occupaient la première place. Suivaient les personnes nobles et les hauts faits historiques. Ensuite, venaient les personnes du peuple, les représentations 17 E. H. Gombrich, L’art et l’illusion, Editions Gallimard, 1996. p. 71. Valérie Chansigaud, Histoire de l’illustration naturaliste, Editions Niestlé et Delachaux, Paris, 2009. p. 32. 19 Platon, La République, traduction et présentation par Georges Leroux, Editions Flammarion, 1989, Paris. 20 E. H. Gombrich, ibid. Illustration des deux copies de baleines p. 70. 21 Alain Corbin, Le territoire du vide, Editions Flammarion, 1988, Paris. 18 18 des travaux du jour, les animaux. Enfin, tout en bas de l’échelle, se trouvait le minéral : les paysages, les natures mortes. Il arrivait seulement, dans des cas exceptionnels, de peindre dans un grand format des animaux, en rapport très souvent avec le rivage : « Depuis 1602 et, […] un évènement exceptionnel : embarquement d’un prince, retour d’une délégation, échouage d’un cétacé, sert de prétexte à la peinture des rivages sablonneux, bordés de dunes. L’occasion justifie la confusion sociale qui règne au sein de la multitude des badauds. Une gravure de la plage de Scheveningen due à Goltzius constitue un exemple précoce de cet art commémoratif »22. Le faussaire s’exerce à un consciencieux travail de calque23 : le moindre personnage est détaillé, la moindre vague ridant la surface, le moindre chiot courant sur la plage. Le peintre italien a poussé le vice jusqu’à ruser avec l’arrière-plan, modifiant certaines données du rivage par rapport au modèle original. Un cachalot échoué sur la plage est un évènement étonnant, rare, que le peintre Hendrick Goltzius a su rendre avec ampleur : mouvement de foule et perspective, confusion et générosité démocratique des bandes de passants sur la plage ; toute la tradition réaliste des maîtres hollandais est respectée. Un tel modèle ne demandait, aussi généreux en détails picturaux, qu’à être copié. Voilà ce qu’en rapporte E. H. Gombrich : « Il est beaucoup plus difficile qu’on ne l’imagine généralement de dessiner un spectacle inhabituel. Et je suppose que c’est également la raison pour laquelle l’artiste italien (ndlr : le faussaire) a préféré copier sa baleine sur une autre gravure. Pourquoi mettrions-nous en doute la prise d’une baleine à Ancône, telle que la rapporte la légende du dessin ? Mais l’artiste a dû estimer que le dessin d’après nature serait prendre une peine inutile »24. E. H. Gombrich met en lumière, non sans une touche d’humour, un procédé classique de la Renaissance : celui de la copie. Les premiers systèmes de calques, très sommaires, sont apparus au milieu du XVI° siècle, dans le même mouvement que la démocratisation de l’imprimerie. Il n’était donc plus impossible, au tout début du XVIII° siècle, de recourir à des copies en tout genre, abusant le public en leur présentant un modèle inversé. De plus, E. H. Gombrich précise les raisons d’une telle copie artisanale : l’inutilité de se confronter une nouvelle fois à la création originale, alors qu’un modèle est déjà présent. Aucune revendication artistique n’émane de la copie du faussaire italien ; ou peut-être, une simple demande : pourquoi recréer cet échouage, alors que trois années auparavant, une peinture flamande l’a parfaitement restitué ? 22 Alain Corbin, ibid. p. 51. Le terme « calque » vient de l’italien « calco », qui signifie « copier ». Ce terme désignait en premier lieu la technique de représentation, le fait de copier. Après, ce terme n’a désigné qu’un support particulier qui aide à cette copie (le papier calque). 24 E. H. Gombrich, op. cit. p.23. 23 19 Ce rapport à la copie qu’entretenait naturellement le faussaire italien n’a plus le même sens pour nous. A notre époque, marquée par le droit d’auteur et le « copyright », une copie est considérée comme un viol de la propriété intellectuelle - notion sans doute atténuée, il est vrai, par la démocratisation de l’outil Internet et les téléchargements illégaux. Néanmoins, la copie était plus couramment admise au XVII° siècle. Pour ne reprendre qu’un exemple relativement connu dans la littérature espagnole, la Deuxième partie de don Quichotte de Miguel de Cervantès a été devancée pendant une année par sa pâle copie, La deuxième aventure de don Quichotte d’Avalenada. Bien mal lui en a pris, le faussaire espagnol se voyant ridiculiser par la bouche-même des don Quichotte et Sancho Panca, dans une scène de comédie intégrée à la seconde partie de Miguel de Cervantès. Et plusieurs pièces de théâtre composées par Lope de Vegas étaient copiées avant même que ce dernier n’ait pu les jouer sur les tréteaux madrilènes !25 Le problème de cette copie de baleine, s’il peut s’entendre facilement par un raisonnement purement commercial - bonne affaire pour le faussaire cache sans aucun doute un malaise plus ancien, plus profond : à la Renaissance, avait-on une idée précise de ce à quoi ressemblait une baleine ? Pourquoi le faussaire italien a-t-il eu besoin d’en copier une, en s’inspirant d’un modèle préexistant ? Pourquoi n’a-t-il pas pu la représenter « au naturel », avec la même aisance qu’un porc, un cerf ou une vache ? Ce blocage est d’autant plus piquant que le commerce de la baleine existe depuis le XI° siècle dans le golfe de Gascogne, avec la pêche à la Baleine franche de Biscaye. Elle est donc connue depuis fort longtemps sur la côte atlantique européenne. Des peintures rupestres du paléolithique, au bord de la baie d'Ulsan sur la mer du Japon, représentaient déjà ce qui peut être vu comme une chasse à la baleine : quelques harpons, superposés à des silhouettes naïves de cétacés. Ce grand mammifère pacifique représentait depuis longtemps une montagne de nourriture providentielle. Mais cette utilité-là ne s’est jamais confondue avec sa connaissance. Hormis le profit de sa viande et de son huile, les mœurs paisibles de ce grand mammifère ont très longtemps été ignorées par les pêcheurs locaux. Ils allaient même jusqu’à percevoir la baleine comme nocive, ces derniers l’accusant de faire chavirer les navires et de manger les pauvres naufragés. Les pêcheurs appelaient ces monstres carnivores « bellues » marines ou « cetus », ne s’embarrassant aucunement de détails zoologiques et englobant dans cette terminologie tous les mammifères marins de grandes tailles. Après ce bref historique des mœurs agressives prêtées à la baleine, de nos deux premières copies de baleines, si d’aventure il manquait la date et l’auteur, comment arriver à différencier l’original de la copie ? Comment relever le manque de précisions du faussaire, qui ne s’est jamais aventuré sur 25 Exemple relevé par Jean Canavaggio, Don Quichotte, du livre au mythe : quatre siècles d’errance, Edition Fayard, 2005. 20