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LES LICENCES « CREATIVE COMMONS » : ORIGINE,
DÉVELOPPEMENT, LIMITES ET OPPORTUNITÉS
Version 1.0, 13 juillet 2005
Sopinspace, www.sopinspace.com
Auteurs : Philippe Aigrain, avec des contributions de Valérie Peugeot
Étude réalisée avec le soutien de France Télécom R&D, laboratoire
de sociologie des usages
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1. Résumé exécutif
Cette étude consacrée au développement des Creative Commons (CC), cherche à
comprendre en quoi le régime Creative Commons peut jouer un rôle dans l'économie
des biens culturels et tenter de préfigurer quel sera ce rôle à moyen terme.
L'objectif est d'arriver à une connaissance approfondie des CC en esquissant diverses
pistes possibles pour le développement futur de leur usage et de leur utilisation dans
des approches industrielles.
La littérature disponible sur les CC étant très restreinte, les questions auxquelles il est
tenté de répondre sont :
–
L'origine des Creative Commons : qui les a fondées, à partir de quelle philosophie,
avec quels objectifs ?
–
En quoi consistent les Creative Commons : simple dispositif juridique, organisation,
mouvement culturel ?
–
Au delà des déclinaisons juridiques, quelles sont les différents usages et modes de
production attachés au Creative Commons ?
–
De création récente, les Creative Commons se diffusent plus ou moins vite selon
les secteurs de la création et de la connaissance : quels sont aujourd'hui les
usages concrets des Creative Commons dans différents champs (musique, image,
texte...), le cas échéant avec quel modèle économique ?
–
Quels sont les limites (techniques, juridiques...) qui font obstacle aujourd'hui à un
plus grand usage des licences Creative Commons et ce faisant à leur mobilisation
dans un environnement industriel ?
–
Quelles sont les pistes pour lever ces obstacles ?
Les principales conclusions de cette étude sont les suivantes :
•
En ce qui concerne les usages :
✗
L'usage actuel des licences Creative Commons ne couvre à l'heure actuelle
qu'un petite partie des contenus d'auto-production pour lesquels il constituerait
un choix naturel. Ce niveau encore faible d'appropriation s'explique par le
manque d'intégration des licences à des filières complètes de création,
indexation et promotion des contenus et des produits et services dérivés.
✗
En ce qui concerne la pénétration pour différents médias, la moindre pénétration
pour les médias d'image et de son s'explique essentiellement par l'insuffisante
mise en place d'interactions positives entre la diffusion en accès libre et les
modes de valorisation économique des contenus correspondants. La
construction de synergies est seule à même de lever cet obstacle.
2/54
•
En ce qui concerne les opportunités il en existe deux types majeures :
✗
Le soutien aux mécanismes de production, accessibilité et valorisation interne
des contenus sous licences Creative Commons, notamment par l'intégration de
fonctionnalités adaptés aux outils auteurs, services d'indexation et de promotion
et services de monitoring des usages.
✗
La création de synergies entre la diffusion en accès libre non commercial et les
mécanismes de valorisation commerciale dans des approches d'industrie
culturelle. Cette création de synergie peut porter à la fois sur des contenus issus
de l'auto-production et sur des contenus de stocks (par exemple archives).
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Table des matières
1.Résumé exécutif................................................................................................................ 2
2.Que sont les Creative Commons ?.................................................................................... 6
2.1.Rappel ....................................................................................................................... 6
2.2.Les licences ............................................................................................................... 6
3.D'où viennent les Creative Commons ?............................................................................ 8
3.1.Intentions des fondateurs : du passage de la résistance dans le champ du copyright
à la construction d'une alternative.................................................................................... 8
3.2.Portrait des fondateurs............................................................................................... 9
3.3.Contexte technologique et social dans lequel s'inscrivent les fondateurs................ 11
3.3.a)Réduction des coûts de production en série et de distribution / dépassement
des coûts de transaction dans l'évaluation des contenus.......................................... 11
3.3.b)Un nouveau mode de production sociétal pour les créations et innovations.... 12
3.3.c)L'interpénétration entre production de contenus et la communication interpersonnelle................................................................................................................. 13
4. Creative Commons au-delà des licences....................................................................... 13
4.1. Une organisation..................................................................................................... 13
4.2.Un acteur au coeur d'une galaxie de mouvements culturels autour des
« communs » (comme la notion « d'environnement » a fédéré un ensemble
d'associations et de mouvements politiques)................................................................. 14
5.Les modèles de production en Creative Commons......................................................... 16
5.1.Classification par les usages.................................................................................... 16
5.2.Adaptation à la mixité des modes d'exploitation....................................................... 19
5.3.Internationalisation et adaptation juridique............................................................... 20
5.4.Oeuvres non finies et nouveaux types d'œuvres composites.................................. 21
5.5.Positionnement par rapport aux logiciels libres........................................................ 21
6.Utilisateurs et usages actuels (en particulier liés à l'autoproduction).............................. 22
6.1.Publications scientifiques......................................................................................... 23
6.2.Textes : autopublication (blogs et similaires), livres................................................. 25
6.2.a)Mesures des espaces d'autopublication personnelle........................................25
6.2.b)Quelle part pour les Creative Commons ?........................................................ 26
6.2.c)Livres................................................................................................................. 27
6.2.d)Poésie............................................................................................................... 27
6.3.Photographie............................................................................................................ 27
6.4.Musique.................................................................................................................... 30
6.4.a)Les sites de promotion/diffusion des artistes.................................................... 31
6.4.b)L'encouragement au sampling.......................................................................... 33
6.4.c)Les podcasts en Creative Commons................................................................ 33
6.5.Images en mouvement............................................................................................. 34
6.5.a)Contexte : un patrimoine fragile........................................................................ 34
6.5.b)Du film publicitaire aux archives télé, en passant par les oeuvres de Vjs :
l'essaimage des licences CC..................................................................................... 34
6.5.c)Les facteurs de la dissémination des CC dans le monde l'image en
mouvement................................................................................................................ 37
6.6.Nouvelles formes artistiques.................................................................................... 38
6.7.Sites associatifs et médias coopératifs.................................................................... 38
6.7.a) Les associations liées au logiciel libre............................................................. 39
6.7.b)Les associations « technosensibles »............................................................... 40
6.7.c)Les médias-activistes et les médias coopératifs............................................... 41
4/54
6.7.d)Le monde associatif qui travaille en dehors du champs des TIC......................42
6.8.Cartographie coopérative......................................................................................... 43
7.Limites et opportunités résultant des besoins identifiables............................................. 44
7.1.Discrétisation dans les 3 dimensions : temps, espace, types d'usage..................... 44
7.1.a)Discrétisation temporelle .................................................................................. 44
7.1.b)Discrétisation spatiale....................................................................................... 46
7.1.c)Discrétisation par types d'usages et d'acteurs.................................................. 47
7.2.Liens avec les sociétés de gestion collective........................................................... 48
7.3.Recherche et promotion de contenus...................................................................... 48
7.4.Audit trail des modifications, retours d'information aux contributeurs...................... 50
7.5.Systèmes auteur intégrant les modèles et pratiques liées aux licences.................. 51
7.6.Interface avec la gestion des droits pour les usages non autorisés par les licences
52
5/54
2. Que sont les Creative Commons ?
2.1. Rappel 1
« Creative Commons est une organisation dévouée à l'expansion des œuvres qui sont
ouvertes à la réutilisation et/ou la distribution.
C'est dans ce but qu'elle a créé la licence Creative Commons. Cette licence autorise
certains usages librement définis par les auteurs, parmi onze possibilités combinées
autour de quatre pôles :
• Attribution (signature de l’auteur initial)
• Non Commercial (interdiction de tirer profit commercial de l’œuvre)
• No derivative works (possibilité d’intégrer tout ou partie dans une œuvre composite
/ samplage)
• Share alike (obligation de rediffuser selon la même licence).
La licence a pour symbole général « cc ».
Le mouvement Creative Commons propose des contrats-type d’offre de mise à
disposition d’œuvres en ligne. Inspirées par les licences de logiciels libres et le
mouvement open source, ces textes facilitent l’utilisation et la réutilisation d’œuvres
(textes, photos, musique, sites web...). Au lieu de soumettre toute exploitation des
œuvres à l’autorisation préalable des titulaires de droits, les licences Creative
Commons permettent à l’auteur d’autoriser à l’avance certaines utilisations selon des
conditions exprimées par lui, et d’en informer le public.
L’objectif recherché est d’encourager de manière simple et licite la circulation des
œuvres, l’échange et la créativité. Creative Commons s’adresse aux auteurs qui
préfèrent partager, faire évoluer leur œuvre, accroître la diffusion de leur travail et
enrichir le patrimoine commun (les Commons) de la culture et de l'information
accessible librement.
Pour les personnes qui souhaitent autoriser la communication au public de leur œuvre
uniquement contre une rémunération, le système général du droit d’auteur sera plus
adapté que les documents Creative Commons.
Toute personne qui a créé une œuvre (texte, musique, vidéo, site web,
photographie…) et qui a la capacité de signer un contrat portant sur cette œuvre peut
utiliser l’un des contrats Creative Commons. A contrario, Il n’est pas possible d’utiliser
un contrat Creative Commons pour uneœuvre sur laquelle on ne dispose pas de
l’ensemble des droits.
Fin 2004, le CERSA (Centre d'études et de recherches de Science Administrative) a
transposé les licences en langue française et en droit français. »
2.2. Les licences
Nous nous limitons à rappeler certains principes de ces licences qui jouent un rôle clé
dans les modèles de production et échange associés, et ont en conséquence un
impact sur les opportunités de service support.
1
Cette page de rappel reprend la présentation des Creative Commons dans l'encyclopédie en ligne
« Wikipedia » http://fr.wikipedia.org/wiki/Creative_Commons
6/54
Illustration 1 : Les 6 licences Creative Commons de base
Texte 1
La caractéristique fondamentale des licences Creative Commons est leur caractère
modulaire. La modularité porte sur deux dimensions :
•
les droits d'usage
•
les dispositions spécifiques pour des médias
En ce qui concerne les droits d'usage il y a 2 variables :
•
l'autorisation ou non des usages commerciaux
•
le degré auquel il est permis de redistribuer des oeuvres modifiées (interdit,
autorisé, autorisé à condition que l'œuvre dérivée soit soumise à la même licence)
L'attribution (indication d'auteur ou d'origine) n'est plus une option mais une obligation
commune à toutes les licences, en cohérence avec la signature par les États-Unis de
la Convention de Berne, telle qu'amendée en 1948. Il semble qu'elle ne soit
conservée comme “option” que pour des raisons historiques.
Les adaptations des oeuvres à des médias spécifiques ou des situations particulières
se font au cas par cas, et ne participent de l'organisation matricielle de base. Nous les
analysons plus bas dans la discussion de l'adaptation à la mixité des modes
d'exploitation. Le caractère modulaire n'est pas juste un concept : choisir une option
d'un module, c'est choisir un bloc de texte juridique de la licence.
Élément essentiel, les licences existent en 3 versions : une version graphique autoexplicative pour l'usager, une version juridique, et une version lisible par des machines
(RDF).
7/54
3. D'où viennent les Creative Commons ?
L'existence même des Creative Commons et leur portée ne peuvent être comprises
que par :
–
une analyse des intentions des fondateurs
–
une présentation rapide de ces fondateurs dont le parcours professionnel et
intellectuel joue un rôle déterminant dans le positionnement des CC.
–
Un balayage du contexte technologique et juridique dans lequel s'inscrit la pensée
de ces fondateurs.
3.1. Intentions des fondateurs : du passage de la résistance dans le champ du
copyright à la construction d'une alternative
L'approche des Creative Commons ne peut se comprendre sans retracer le
découragement qui monte à la fin du 20ème siècle chez les dénonciateurs de “la
seconde tragédie des enclosures” ou “la tragédie des anti-communs”. Bien qu'ayant
construit une dénonciation critique convaincante des effets nuisibles de l'extension et
du durcissement tous azimuts des brevets, du copyright et de son exécution
technique, ils voient cette extension et ce durcissement continuer sans parvenir à s'y
opposer, avec la montée en puissance des brevets logiciels, le Digital Millenium
Copyright Act (DMCA), une nouvelle extension de la durée du copyright et divers
textes ou développements techniques plus restrictifs encore (Trusted Computing
Platform Alliance, diverses moutures de législation visant à rendre les DRM
obligatoires, dont le « broadcast flag » alors en discussion au sein de la FCC). James
Boyle et Lawrence Lessig réalisent qu'au delà de phénomènes institutionnels, la
faiblesse de la résistance s'explique aussi par le fait qu'elle oppose du “possible
virtuel” à du présent bien réel. Contrairement à ce qui se passe pour les logiciels libres
qui ont fait la preuve concrète de l'efficacité de leur modèle sur le plan de l'innovation
et de la mise en oeuvre de motivations coopératives, l'idée que de tels mécanismes
soient également possibles dans le champ de l'information et des contenus est encore
peu soutenue par les faits. Un immense développement de l'information librement
accessible existe bien sous la forme des pages Web, mais ce développement est
considéré soit comme une anomalie à réduire (“il faut en finir avec l'illusion de la
gratuité”) soit comme un simple instrument permettant la promotion ou la capture de
l'attention de communautés, attention qui est alors vendue à des annonceurs
publicitaires selon un modèle dérivé de celui de la télévision. D'une certaine façon, la
coopération gratuite qui sous-tend le Web paye sa “naturalité”, le fait qu'elle ne soit
pas dotée d'un projet explicite, qu'il s'agisse d'un projet de mutualisation libre sans
médiation économique, ou d'un projet articulant accès libre ou gratuit et activité
commerciale2.
Des développements de coopération informationnelle libre à grande échelle existent
également dans des champs spécialisés notamment scientifiques : mouvement
d'archivage libres des publications scientifiques avec arxiv.org mis en place par le
physicien Paul Ginsparg, séquençage de génome dans le domaine public sous
l'impulsion du Sanger Centre soutenu par le Wellcome Trust, gestion et analyse
2
NB: les deux types de développement méritent l'attention dans le cadre de cette étude car tous 2
donnent naissance à des services support : services d'infrastructure (outils et services de production,
télécommunication, indexation et recherche, évaluation et recommandation) dans le premier cas,
services d'infrastructure et de support à l'activité commerciale dans le second.
8/54
coopérative de grands ensemble de données en astronomie et physique des hautes
énergies. Mais ces projets, malgré leur ampleur apparaissent comme liés à des
secteurs où le financement public (ou par des fondations dans le cas des génomes)
est dominant, et donc peu susceptibles de généralisation.
Les Creative Commons vont à la fois expliciter un projet implicite dans ces
développements antérieurs et en étendre l'ambition, notamment en direction des
médias qui préexistaient au développement d'Internet et du Web : photographie,
musique, vidéo, par exemple. L'idée est d'encourager le « fait accompli volontaire »
de construction d'un nouveau bien commun, et de démontrer ainsi progressivement
que la création sur la base des biens communs est un mode de production supérieur
des artefacts culturels ou plus généralement informationnels.
3.2. Portrait des fondateurs
Même si la renommée de Lawrence Lessig éclipse celle de James Boyle, il est
important de bien saisir le sens de leur démarche commune lorsqu'ils ont créé les
Creative Commons.
Lawrence Lessig
Lawrence Lessig est un juriste, philosophe et innovateur,
formé à l'université de Pennsylvania, à Trinity College,
Cambridge (UK) et à Yale. Son parcours politique, juridique et
philosophique éclaire le projet même des Creative Commons.
Jeune républicain “à principes”, attaché aux libertés
fondamentales des personnes et aux liens entre ces libertés
et un intérêt public supérieur, il développe son approche
propre des révolutions informationnelles en remarquant que
le développement concret d'un nouveau domaine
d'applications et d'activités se déroule au croisement de 4
facteurs : les lois, les normes sociales acceptées pour les
comportements, l'architecture technique, et les marchés, et se
Illustration 2 : Photo
convainc de l'importance d'un équilibre et arbitrage entre ce
licence
CC-By-2.0,
qui relève de chacun de ces domaines. Cette approche
auteur inconnu.
multifactorielle va l'amener à prêter une importance
essentielle aux analyses de Yochai Benkler (voir ci-dessous), analyses qui constituent
le vrai soubassement intellectuel de la pensée de Lessig. Pendant ces années clé de
sa formation intellectuelle (de 1997 à 2000), Lessig travaille au sein du Harvard
Berkman Center for Law and Technology, où il développe une critique de l'extension
de la propriété intellectuelle et une première compréhension de l'importance des biens
communs informationnels (information commons) à travers le cas des logiciels libres.
La création des Creative Commons à partir de 2001 va représenter pour lui le pendant
constructif de ses efforts défensifs. Dans une conférence célèbre à l'Open Source
Convention (organisée par l'éditeur O'Reilly) le 15 août 2002 3, dont le titre “Free
Culture” préfigure celui de son ouvrage de 2004, il appelle les communautés du libre
de reprendre le flambeau de ses combats sur le plan politique et réglementaire. A
partir de là, il tentera de donner une priorité importante à la construction d'une
alternative concrète à la gestion restrictive de la propriété intellectuelle à travers les
Creative Commons, sans pouvoir cependant abandonner le front de la lutte politique
3
http://www.oreillynet.com/pub/a/policy/2002/08/15/lessig.html
9/54
et juridique. Son itinéraire proprement politique résume la recomposition induite par
les enjeux informationnels : il passe des clubs de jeunes républicains au forum social
mondial où il soutient les politiques de préférence étatique pour les logiciels libres
(sans législation les rendant obligatoires), sans pourtant abandonner ses convictions
fondamentales concernant les libertés et le marché.
James Boyle
Juriste d'origine britannique, aujourd'hui professeur à Duke University où il dirige le
Center for Study of the Public Domain, il est en réalité la source fondamentale de
l'école américaine de dénonciation de la tragédie des enclosures du domaine public
de l'information. Dès 1992, il publie un article4 dans lequel il jette les bases de cette
dénonciation, et met en cause ce qu'il appelle “the ideology of authorship”. Par la
suite, James Boyle développe une théorie positive des “domaines publics”, qui est
marquante par plusieurs aspects :
•
la mise au jour du caractère volontaire (et non plus
de rebut où les oeuvres « tombent dans le
domaine public » après extinction des droits) de
grandes parts des domaines publics,
•
la reconnaissance de la pluralité des domaines
publics, avec des distinctions portant sur la nature
des entités informationnelles qui les composent et
la nature de leurs processus de production et
d'usage, distinctions qui justifient (voir plus loin) la
diversité des licences Creative Commons
l'affirmation du caractère pivotal, fondateur d'une
recomposition culturelle du concept de domaine
Photo licence CC-By-SA/2.0,
public (qui se fondra plus tard dans celui de
auteur inconnu.
commons), dont James Boyle affirme qu'il joue
dans le champ de l'information le même rôle que le concept d'environnement dans
la naissance d'une ère écologique.
•
James Boyle est donc la véritable source d'un aspect fondamental des Creative
Commons : la volonté de fédérer dans une approche commune des processus
d'(auto)-production et d'échanges, tout en reconnaissant leur diversité, et le besoin de
considérer leur conditions d'existence. Cette approche “politique” n'aurait cependant
pas eu la portée qui est la sienne si elle ne s'inscrivait pas dans une vision
“architecturale” des échanges d'information que l'on doit principalement à Yochai
Benkler déjà mentionné.
4
James Boyle, A Theory of Law and Information: Spleens, Blackmail and Insider Trading, California Law
Review, 80(1413), accessible en ligne à : http://james-boyle.com/
10/54
Yochai Benkler
Avocat et juriste formé à Tel Aviv et Harvard, il a développé
l'essentiel de ses analyses à la New-York University avant de
rejoindre Yale. Sa contribution majeure est l'analyse en 3
niveaux5 de la société de l'information: niveau physique qui est
celui des infrastructures de télécommunication, niveau logique
qui est celui des logiciels et plus généralement du “code”, niveau
des contenus qui est celui de l'information et des médias. Il
Photo
licence
montre que tout usage traverse ces 3 niveaux, et qu'il y a donc
inconnue
interdépendance entre les degrés d'ouverture et les propriétés
des 3 niveaux. Cette interdépendance n'est pas totale et s'exerce surtout comme
contrainte des niveaux inférieurs sur les niveaux supérieurs : on peut théoriquement
développer une infrastructure logicielle pair à pair ouverte “au-dessus” de réseaux
centralisés fermés, mais la complexité induite rendra souvent l'exercice futile. La
dépendance apparaît particulièrement lorsqu'on considère le troisième niveau, celui
des contenus. Il est impossible de construire une activité d'échanges de contenus
entre sources très nombreuses sur une infrastructure centralisée de type broadcast,
et même une infrastructure de type “réseaux intelligents” présente souvent des
caractéristiques (modèles de prix différentiels par exemple) qui la rendent en pratique
peu adaptée à des échanges pair à pair (au sens originel, c'est à dire dans lesquels
chaque “terminal” est émetteur et transmetteur autant que récepteur). De façon
similaire, des échanges de contenus libres peuvent être réalisés sur la base de
plates-formes logicielles propriétaires, mais il existe une affinité culturelle entre les
logiciels libres et les contenus ouverts qui ont tissé des liens privilégiés.
C'est donc une vision d'ensemble, technique, culturelle et sociétale qui guide les
fondateurs des Creative Commons.
3.3. Contexte technologique et social dans lequel s'inscrivent les fondateurs.
Dès la fin des années 1970 et au début des années 1980, avec la naissance de la
micro-informatique, d'Internet, du traitement de texte, de l'hypertexte, des supports
numériques de la musique et d'usages du courriel chez de premières communautés
encore spécialisées, il apparaît que l'usage des TIC, autrefois confiné au royaume du
calcul et de la gestion, révolutionne production, distribution et échange d'information
et de contenus. Cette révolution est en réalité une collision entre 3 phénomènes
potentiellement distincts.
3.3.a) Réduction des coûts de production en série et de distribution / dépassement
des coûts de transaction dans l'évaluation des contenus
À l'origine, vu par les industriels du contenu, il s'agit avant tout de “nouveaux
supports”, et donc d'une simple substitution (par exemple CD remplaçant le disque
noir ou la cassette) dans la distribution. Le potentiel de transformation de l'ensemble
de la chaîne va se trouver fortement limité par cette approche. En effet, le vrai
blocage dans la distribution des productions culturelles résulte de la difficulté pour les
5
Les ingénieurs de télécommunication y verront une simplification des couches des modèles ISO. En
réalité, l'opposition entre ces modélisations est profonde. Pour une analyse d'en quoi les modèles à
nombre excessif de couches interdisent de comprendre la réalité des contraintes et possibilités
d'Internet, voir les travaux de David Clark et Jeremy Saltzer.
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acheteurs potentiels de ces productions d'en évaluer la valeur sans y accéder
pleinement. Ce n'est souvent que par des contenus en accès libre qu'une évaluation
(individuelle et collective) par un grand nombre d'acheteurs potentiels peut avoir lieu.
Deux approches sont donc possibles :
•
pour les titres “phares”, la promotion – par exemple radiophonique ou clip pour la
musique – réalise l'équivalent d'un accès libre massif autant que coûteux pour le
producteur (mais amortissable sur le nombre),
•
pour l'immense diversité des autres titres, l'absence de diffusion libre entraîne une
réduction du marché global des biens culturels par perte d'acheteurs potentiels.
Seule la diminution des coûts de production et l'apparition progressive de la vente
en lignes des contenus ont limité l'effet de concentration sur un petit nombre de
titres de la distribution numérique conçue comme un simple support (ce que l'on
appelle « l'économie de la longue traîne »)6.
Lorsque les technologies d'accès en ligne aux contenus numérique sont devenues
mûres (bande passante des réseaux, stockage de grande capacité chez les usagers
et diffusion de méthodes de compression), l'industrie des contenus maintiendra son
approche “ce n'est qu'un média de distribution de plus”, et n'explorera le potentiel de
réduction des coûts de transaction dans l'évaluation qu'à travers des fonctionnalités
comme les extraits partiels ou de qualité réduite. Des logiques d'abonnement et de
forfait sont développées fréquemment par les opérateurs pour contourner les limites
d'une approche d'accès réduit, mais elles ont d'autres limitations qui les rendent peu
applicables hors de marchés spécialisés comme ceux liés au téléphone mobile (offre
segmentée, négociations avec les ayant-droits). On verra que les licences Creative
Commons de type “pas de modification” (NoDerivs) apportent une solution beaucoup
plus radicale à ce problème.
3.3.b) Un nouveau mode de production sociétal pour les créations et innovations
C'est d'abord sur le plan du texte et de l'hypertexte (avec le project Xanadu de Ted
Nelson) qu'apparaît une toute autre dimension de l'impact des TIC : la transformation
des mécanismes de production des oeuvres de toutes sortes et de la nature de cette
dernière. Au-delà de l'existence de technologies rendant possible une baisse de coût
considérable de la création et de l'échange de contenus, deux aspects
complémentaires caractérisent la nouvelle situation dont la portée n'apparaîtra
pleinement qu'avec la naissance du Web :
•
l'interdépendance entre documents à un instant donné, chacun d'entre eux ne
prenant son sens et sa valeur qu'au sein de l'ensemble,
•
une dynamique de production des documents faisant appel à un niveau important
de réutilisation de documents existants, dans une sorte de mutation perpétuelle.
Contrairement à ce que pensait ou souhaitait Ted Nelson, on n'aboutit pas à une
dissolution de la notion d'auteur, mais au tissage d'un réseau d'auteurs aux oeuvres
interdépendantes et interconnectées.
En parallèle, à partir de 1983 se développe un modèle de production distribuée et
coopérative de réalisations techniques avec les logiciels libres, la cartographie et le
séquençage de divers génomes, les catalogues d'objets astronomiques, etc. C'est
6
http://en.wikipedia.org/wiki/Long_tail
12/54
dans le domaine des logiciels qu'apparaîtront les licences d'usage qui vont devenir
essentielles pour toutes ces pratiques. La raison pour laquelle l'explicitation juridique
apparaît dans le domaine des logiciels, alors que dans d'autres domaines la
coopération se développe de façon plus informelle, tient à la fois
•
à une approche immédiatement située comme résistance critique à l'appropriation
(Cf. les textes fondateurs de la FSF par R. Stallman),
•
au fait que le niveau d'interdépendance pratique des logiciels les uns par rapport
aux autres est beaucoup plus élevé que celui des documents de divers médias.
•
Au caractère en permanence évolutif et renouvelé du logiciel
Les licences Creative Commons autorisant les modifications (sans l'option NoDerivs)
se situent dans la descendance des licences de logiciels libres, avec certaines
différences sur lesquelles on reviendra dans la section 5.5.
3.3.c)
L'interpénétration entre production de contenus et la communication interpersonnelle
L'interpénétration croissante entre auto-production de contenus et communication
inter-personnelle constitue un troisième élément plus récent. Il se manifeste à la fois :
•
dans les dispositifs matériels (intégration de dispositifs de capture photographique
dans les téléphones portables, ou de dispositifs de communication dans les
appareils photographiques par exemple),
•
dans les usages, avec une intégration croissante des images fixes dans le courriel,
l'apparition de formes mixtes autour des blogs et de leur syndication, du
développement de sites de mutualisation de contenus personnels et des échanges
sur les réseaux pair à pair, et la réutilisation croissante de productions émanant
d'autres individus ou de médias dans les productions personnelles.
Une des conséquences de cette mutation est l'érosion de la distinction entre sphère
privée et publication, à laquelle les industries d'édition centralisée répondent par la
demande de durcissement juridique et de surveillance ou contrôle technique.
Les licences Creative Commons s'efforcent de répondre par la définition de droits
d'usage adaptés aux diverses situations (Cf. infra partie 5.1)
Cette compréhension des intentions des auteurs explique que Creative Commons ne
soit pas qu'un dispositif juridique.
4. Creative Commons au-delà des licences
4.1. Une organisation
Pour la plupart des commentateurs, les Creative Commons sont constitués d'un
ensemble de licences et des contenus auxquelles elles s'appliquent. Mais Creative
Commons, c'est aussi une organisation à statut de fondation (que l'on notera CC dans
la suite de ce rapport), qui dépasse la simple conception de licences et joue déjà un
rôle d'intermédiaire dans le domaine du contenu. Si l'on compare les missions que
s'est assignées CC par rapport à celles de la Free Software Foundation, on constate
13/54
d'importantes différences :
La FSF est conceptrice et gardienne des licences GNU General Public Licence et
Gnu Free Documentation License : il s'agit là d'un rôle similaire à celui que joue CC
pour ses licences.
La FSF organise et soutient à travers le projet GNU et Savannah la production d'un
ensemble cohérent de logiciels libres dont elle considère qu'ils constituent une
infrastructure nécessaire pour un écosystème d'ensemble du libre. On ne trouve pas
à l'heure actuel un rôle similaire pour CC : quelques productions isolées sont
effectuées dans un but de relations publiques (ex : CD avec Gilberto Gil), mais d'une
façon générale CC se positionne plutôt en incitateur et intermédiaire vis à vis de
producteurs de contenus extérieurs, dont elle reconnaît et valorise l'activité.
Enfin, CC met l'accent sur la lisibilité automatique des licences qui rend possible des
services de recherche de contenus visant la réutilisation, alors que ce point qui
pourrait être également utile dans le champ des logiciels n'a que peu retenu l'attention
de la FSF jusqu'à présent7.
On reviendra plus loin sur une comparaison détaillée entre les approches des logiciels
libres et celle des Creative Commons, mais on peut déjà porter attention à
l'importance des rôles d'intermédiation, qu'ils soient assurés directement par CC ou
par des tiers (voir section ). Jusqu'où va exactement ce rôle d'intermédiaire dans la
vision de CC ? L'approche semble être de garder la question ouverte tout en
n'écartant pas une activité technique. Ainsi siège au comité de conseil technique
Barbara Fox, spécialiste majeure des DRM pour Microsoft (voir ci-dessous), non pas
que CC envisage de déployer des DRM, mais parce que certaines des activités
d'intermédiation font appel à des techniques similaires à celles utilisées dans les DRM
en matière d'authentification par exemple.
Barbara Fox
Barbara Fox is a Senior Software Architect, Cryptography and Digital Rights Management for Microsoft
Corporation. She is also currently a Senior Fellow at the Kennedy School of Government at Harvard.
She serves on the National Academies of Science Committee on "Authentication Technologies and
Their Implications for Privacy," the Technical Advisory Board of "The Creative Commons," and the
Board of Directors of the International Financial Cryptography Association. Ms. Fox joined Microsoft in
1993 as Director of Advanced Product Development and led the company's electronic commerce
technology development group. She has co-authored Internet standards in the areas of Public Key
Infrastructure and XML security. Her research at Harvard focuses on digital copyright law, public policy,
and privacy.
Immediately prior to Microsoft, Ms. Fox was President of SystemSoft America, a Macintosh software
development company in Palo Alto, California, and in addition she was a consultant to Visa International.
Between 1981 and 1984, she was Engineering Development Manager for AppleTalk at Apple Computer.
4.2. Un acteur au coeur d'une galaxie de mouvements culturels autour des
« communs » (comme la notion « d'environnement » a fédéré un ensemble
d'associations et de mouvements politiques)
Les bonnes idées étant rarement solitaires, au moment où les fondateurs de Creative
Commons préparent son lancement, de nombreuses autres initiatives travaillent à des
objectifs similaires sur des domaines particuliers :
•
7
On a déjà mentionné le fait que la Free Software Foundation a produit la Free
Des projets de recherche comme AMOS (projet européen) ont tenté de s'y atteler pour compléter
l'activité d'intermédiaire fournie par des services comme Freshmeat.
14/54
Documentation License, conçue à l'origine pour la documentation des logiciels et
de leur usage, mais qui très vite se retrouve utilisée pour d'autres types de
contenus textuels.
•
Opencontent.org a produit depuis plusieurs années deux licences de publication en
accès libres, l'une pour les textes de revues (Open Publication License) et l'autre
plus orientée vers le contenu des sites Web (Open Content License).
•
Une organisation qui joue un rôle clé dans la défense des libertés liées à Internet,
l'Electronic Frontier Foundation (EFF), a comme animateur clé John Perry Barlow,
ancien parolier des Grateful Dead, et auteur dès 1992-1993 d'un célèbre article sur
l'évolution des droits intellectuels à l'ère de l'information : The economy of ideas:
Selling Wine Without Bottles on the Global Net8. L'EFF a entrepris de développer
des projets de créations de biens communs volontaires dans deux champs qui sont
au centre du lobbying pour l'extension des mécanismes d'appropriation restreignant
les usages : la musique et la vidéo. Pour le domaine musical, elle a lancé l'EFF
Audio License au tournant du siècle. L'EFF audio license n'est qu'un exemple
parmi une dizaine de licences de partage plus ou moins poussé de la musique
numérique. Sur le plan de la vidéo, l'EFF lance la Campaign for Audiovisual Free
Expression (CAFE) qui n'est pas exactement un projet d'autoproduction de biens
communs, mais plutôt un projet de promotion et affirmation des droits d'usage liés
au fair use comme le droit de citation ou le droit de présentation pour les besoins
de l'information, de la critique et de la parodie.
•
On a déjà mentionné l'activité entourant les publications scientifiques libres. Depuis
octobre 2000, elle donne naissance à une coalition de scientifiques, fondatrice de
la Public Library of Science9. La Public Library of Science va au départ créer sa
propre licence d'accès libre, avant de se rallier à l'usage des Creative Commons
tout en laissant également ouvertes des options de simple « mise dans le domaine
public ».
•
En France, le mouvement de l'art copyleft animé par Antoine Moreau crée dès
1998 la licence Art Libre, qui vise spécifiquement la création de nouveaux types
d'oeuvres ou de réseaux d'oeuvres non achevées et coopératives.
C'est dans ce contexte que les fondateurs de CC visent à fédérer toute cette galaxie
d'approches, à leur donner un cadre commun tout en reconnaissant leurs besoins
spécifiques. Cette idée fédératrice est au coeur de l'approche de James Boyle des
“domaines publics” comme pluralité unifiée d'approches fédérées, capable de
construire un mouvement bien plus fort que la somme de ses parties. Il s'inspire en
cela du concept d'environnement, qui a pu fédérer défenseurs de la nature,
promoteurs d'une pensée écologique, et opposants au pillage des ressources
communes, constituant un “domaine” qui sera le seul à échapper au primat de
l'économisme dans l'ère néo-libérale (1970-2000). Plus largement, cette notion rejoint
la théorie économique des « biens publics » et des « biens communs »
8
9
http://homes.eff.org/~barlow/EconomyOfIdeas.html
http://www.plos.org
15/54
5. Les modèles de production en Creative
Commons
Nous avons pour l'instant décrit le principe des licences, les intentions des fondateurs
et le mouvement dans lequel l'initiative s'inscrit. Passons maintenant aux différentes
catégories d'usages.
5.1. Classification par les usages
Les schémas qui suivent illustrent quelques uns des grands modèles de production et
d'échanges qui correspondent à différentes licences de base et à la licence
“Sampling” (licence spécifique autorisant des usages de type remix avec exclusion de
l'usage publicitaire). Intentionnellement, ils ne détaillent que les aspects propres à la
mise en oeuvre des licences Creative Commons et à l'articulation entre leur usage et
les modèles classiques.
Diffusion
Web sous
licence By-NC-ND
Texte ou
enregistrement
musical
Réutilisation
hors licence
?
Diffusion sur
support physique,
spectacle vivant
diffusion Internet
recommandations
achats
Illustration 3 : Diffusion sous licence non commerciale n'autorisant pas la distribution
d'oeuvres dérivées et synergie avec la distribution sur support physique. La diffusion
Internet permet des phénomènes de recommandation à d'autres usagers. Dans certains
cas (par exemple livres ou autres médias pour lesquels le support physique présente
une valeur ajoutée par rapport aux versions purement numériques, spectacles vivants
comme les concerts) elle contribue directement à des achats par les usagers des
versions numériques. Les usagers des versions sur support physique peuvent
également devenir usagers des versions numériques (pour archivages, recherche,
citation), mais la réutilisation hors exceptions aux droits d'auteur est interdite par la
licence : elle devra passer par des accords avec les détenteurs de droits (éventuellement
dans le cadre de licences légales ou collectives). On notera que la partie du cycle
d'ensemble directement liée à la licence Creative Commons ne concerne pratiquement
que la distribution, et ne touche qu'indirectement la production (à travers le potentiel
ouvert pour des contenus plus divers ou non standard de trouver leur public). Ce modèle
s'applique également à la valorisation des archives telle que mise en place par exemple
par la BBC pour ses archives de télévision.
16/54
Toute oeuvre est
dérivée d'autres
oeuvres
Oeuvre
Oeuvre dérivée
(adaptation, traduction;
parodie, réutilisation
partielle de contenu
ou de structure)
Diffusion
avec droits plus
restrictifs
Diffusion
numérique sous
licence By
?
Diffusion sur
support physique,
spectacle vivant
diffusion Internet
recommandations
achats
Illustration 4 : Diffusion sous licence ne requièrant que l'attribution et autorisant donc les oeuvres dérivées et
leur redistribution sous toute licence, que ce soit dans le cadre d'activités commerciales ou non. Le coeur de
l'usage porte sur la création d'oeuvres à partir d'autres oeuvres, mais celles-ci continuent à bénéficier des
effets de synergie possibles avec la distribution sur support physique, et peuvent s'insérer dans des contextes
propriétaires. Le choix de cette licence est particulièrement adapté pour des composants génériques
d'oeuvres, lorsque l'on ne vise pas particulièrement à créer une communauté visant la création d'un ensemble
d'oeuvres partagées et que l'on ne redoute pas la concurrence de distributeurs propriétaires (qui peuvent
utiliser les contenus sans y contribuer).
17/54
Création de nouvelles
oeuvres par remix
Enregistrement
musicaux ou
vidéo
Extraction d'échantillons
(qui peuvent être une
proportion importante de
l'oeuvre initiale)
Protection du modèle par
exclusion de l'usage
publicitaire (sauf
négociation de droits
hors licence)
Diffusion
numérique sous
licence Sampling
?
Diffusion sur
support physique,
spectacle vivant
diffusion Internet
recommandations
achats
Illustration 5 : Diffusion sous licence Sampling. Le coeur de l'activité est la création d'oeuvres à partir
d'oeuvres, avec un rôle important de création en direct (Djs) et des outils spécifiques. Les diffusions sur
supports commerciaux viennent reconnaître la valeur identifiée par le public. Le remix peut porter sur des
échantillons brefs mais aussi des extraits importants ou la totalité d'oeuvres, à condition de “transformer
grandement” l'oeuvre source. L'usage d'échantillons pour des jingles publicitaires est un détournement du
modèle, et prohibé comme tel.
18/54
Toute oeuvre est
dérivée d'autres
oeuvres
Oeuvre,
article scientifique,
document pédagogique
Oeuvre dérivée
(commentaire, traduction;
adaptation, réutilisation
partielle de contenu
ou de structure)
Diffusion sous
une autre licence
prohibée
Diffusion
numérique sous
licence By-SA
?
Diffusion sur support
physique, en particulier
collections d'oeuvres du
domaine public
diffusion Internet
recommandations
achats
Illustration 6 : Création d'un pool d'oeuvres ou documents du domaine public dérivés les uns des
autres. Le bien commun est protégé contre la réappropriation par une clause de copyleft. En
théorie, une utilisation propriétaire serait possible par négociation de droits hors licence, mais en
pratique, elle est difficile compte tenu de la complexité des dépendances de droits. La possibilité de
diffuser des supports physiques de collections d'oeuvres existe (pas de prohibition de l'usage
commercial).
5.2. Adaptation à la mixité des modes d'exploitation
La raison profonde des limitations de droits d'usage associées à la plupart des
licences Creative Commons apparaît clairement lorsqu'on considère la synergie
qu'elle permettent avec l'édition sur support physique ou d'autres formes de
distribution commerciale à valeur ajoutée. L'idée fondamentale est que la plupart des
créations, des connaissances, des informations n'intéressent qu'un public
relativement limité en proportion de la population, ce qui ne l'empêche pas d'être
potentiellement important. Deux conditions vont donc être essentielles pour que ce
public soit effectivement atteint : une diffusion large et accessible, une possibilité
réelle d'éprouver la qualité de ces oeuvres ou informations en les utilisant dans des
conditions réelles. Lorsque ces deux conditions sont réunies, des cercles vertueux de
propagation de l'intérêt et de constitution d'une réputation peuvent se mettre en place.
Les Creative Commons, même dans leurs versions les plus restrictives (pas de
modifications, pas d'utilisation commerciale), rendent possibles ces mécanismes. D'un
point de vue économique, la question qui se posera est celle de savoir si une
demande solvable peut être générée à partir de la réputation, et de quelle nature.
Dans le cas de types d'oeuvres qui donnent lieu à une diffusion sur support physique
(livres, CD, DVD), la réponse est évidemment oui : la diffusion libre numérique conduit
à une croissance considérable du marché potentiel des oeuvres hors best-sellers, et
les études récentes montrent que c'est même le cas pour les best-sellers 10. Les
10 Felix Oberholzer et Koleman Strumpf, “The effect of file sharing on record sales : An empirical analysis”,
mars 2004, http://www.unc.edu/cigar pour ce qui concerne les enregistrements musicaux, et Guilhem
19/54
licences Creative Commons de type « pas d'utilisation commerciale » constituent une
sorte de contractualisation du modèle économique général qui se développe
également à travers le partage non autorisé sur les réseaux à pair ou les groupes de
news. En effet, l'édition des supports a des propriétés économiques (investissements,
commandes minimales, contraintes de distribution physiques et réseaux de
détaillants, etc) qui sont complètement différentes de la diffusion numérique. Si un
éditeur de livres fait le choix de la diffusion libre numérique du texte d'un livre, il ne
peut bien sûr accepter qu'un concurrent reprenne la maquette d'un livre et se contente
de le réimprimer en exploitant un réseau mieux établi sur un marché donné ou
simplement en profitant de ne pas avoir eu à payer auteur et maquette.
Mais qu'en est-il des oeuvres dont la diffusion est de façon primordiale numérique ?
On verra (section 7) que les opportunités principales d'activités économiques liées
portent sur les services liés à leur création et leur circulation. Cependant des activités
dérivées à nature commerciale sont également possibles (et déjà documentées) :
services d'évaluation, édition dérivée de répertoires du domaine public ou édition
commerciale sur support d'oeuvres déjà distribuées numériquement et évaluées par
des communautés de spécialistes (ex : revues de poésie, édition scientifique de
« milestone papers »). On reviendra sur la nature de ces services, leur chaîne de
valeur ajoutée, leur potentiel de développement et leurs limites dans la section 7. Un
point reste très incertain : est-il possible de créer des services économiques de
valorisation de la réputation directement dans l'espace numérique ? L'exemple des
services commerciaux qui rediffusent les encyclopédies libres peut servir de cas
d'étude, mais comme tous les services reposant sur le financement publicitaire, il
parait intrinsèquement limité, et sa nature “parasitaire” semble peu propice à un
développement à terme. L'édition de revues scientifiques à sélection par les pairs du
type de la Public Library of Science sera sans doute plus adéquat pour étudier ces
mécanismes.
5.3. Internationalisation et adaptation juridique
Une ambition essentielle de CC est de donner aux licences une portée internationale
en les traduisant et et les adaptant au cadre juridique de chaque pays, tout en
cherchant à préserver autant que faire se peut une essence universelle. Les créations
culturelles ont un statut géographique et linguistique complexe : leur portée immédiate
est souvent réduite à une ère linguistique, qui ne coïncide pas forcément avec une
aire juridique, mais pour laquelle (histoire de l'édition aidant) des correspondances ont
déjà été trouvées. Par ailleurs, elles peuvent exister à travers les traductions en
plusieurs versions linguistiques, et enfin certaines d'entre elles (musique, publications
scientifiques, informations d'actualité) ont une portée globale potentielle ou réalisée.
Cette situation imposait pour les licences d'être adaptables d'une façon qui
maintienne la cohérence des droits d'usages dans les différentes versions
linguistiques. Le socle de la convention de Berne a réalisé une partie de cette
cohérence, mais la réaliser totalement demande un travail non trivial de la part des
adaptateurs, travail réalisé par exemple pour la France par Mélanie Dulong De
Rosnay, Danièle Bourcier, et Jean-Baptiste Soufron (au début). Le livre « International
Commons and the Digital Age : la création en partage 11 » édité par Danièle Bourcier
et Mélanie Dulong De Rosnay (et lui même sous licence Creative Commons) fournit
Fabre, “Rapport sur la contrefaçon”, mai 2005, non publié, 158 pages, communication personnelle, pour
ce qui concerne les logiciels et les films.
11 Editions
Romillat,
ISBN
:
2-87894-081-4,
licence
By-NC-SA
2.0,
http://fr.creativecommons.org/iCommons_book.htm
20/54
un panoroma des efforts d'internationalisation dans de nombreux pays et des
difficultés qu'ils ont eu à résoudre.
Ces dernières sont généralement d'ordre juridique :
•
introduction ou non du droit moral, absent de la Creative Commons d'origine et
introduit dans les versions 2.0 pour ce qui concerne le droit d'attribution (France,
Pays-bas, Australie, Canada... On soulignera des choix différents selon les pays et
un revirement de la part de l'Australie qui a finalement opté pour un abandon partiel
du droit moral, s'alignant sur le choix canadien)
•
nécessité d'ajouter une référence explicite aux droits voisins et aux bases de
données (Pays-Bas...)
•
incompatibilité de la CC « domaine public » avec le caractère irrévocable du droit
moral (idem)
•
absence d'automaticité de la valeur légale du contrat (Pays-bas)
Mais elles peuvent également toucher à des dimensions fiscales et économiques :
•
obligation de paiement de droits de reproduction forfaitaires (Pays-bas, France)
•
risque de soumission à la TVA pour les échanges sous CC (Australie, Royaume
Uni, Irlande).
•
Incertitude juridique sur les limites du commercial/non commercial (ex : l'utilisation
d'une œuvre CC par une chaîne de télévision de service public) (Suède)
Une difficulté commune à la plupart des pays semble être l'incompatibilité pour un
même créateur entre la gestion de ses droits pas une société de gestion collective et
le régime des CC (ce point sera traité plus amplement en section 7.2).
L'internationalisation des licences est réalisée (au 30 mai 2005) ou en cours pour 31
pays, couvrant notamment pratiquement tous les pays de l'OCDE.
5.4. Oeuvres non finies et nouveaux types d'œuvres composites
L'aboutissement véritable du modèle Creative Commons est de rendre possible de
nouveaux types d'oeuvres non finies, en élaboration permanente. Il rejoint sur ce point
des licences préexistantes comme la licence ArtLibre (proche de la licence Creative
Commons By-SA).
Certaines licences Creative Commons (celles qui n'ont pas l'option partage à
l'identique) sont également partiellement adaptées à des situations d'oeuvres
composites dans lesquelles une oeuvre à diffusion et modification libre se retrouve
partie d'un contenu plus général propriétaire dont les droits d'accès et de réutilisation
n'obéissent pas à une licence Creative Commons. Cette situation soulève des
problèmes complexes, notamment en ce qui concerne les droits des contributeurs des
parties sous licence Creative Commons, ainsi que les modes de gestion technique qui
sont souvent de nature différente voir contradictoire. Notre seconde étude étudiera
plus particulièrement cette situation.
5.5. Positionnement par rapport aux logiciels libres
La comparaison entre les licences Creative Commons et celles du libre a donné lieu à
21/54
beaucoup de confusion et de polémiques (notamment en France). La plupart de ces
polémiques sont dues à des incompréhensions de ce qui motive la définition du “libre”
par ses 4 libertés fondamentales (utiliser, copier, modifier, redistribuer) dans le cas du
logiciel, et la prohibition de toute restrictions additionnelle à l'exception de celle du
copyleft qui protège contre la réappropriation. Les licences Creative Commons, à
l'exception de la licence Paternité-Redistribution à l'Identique (By-SA), ne respectent
pas ces conditions, et elles ne sont donc pas libres dans le sens du logiciel. Ce point
est rendu visible par le logo associé aux licences qui précise “Some rights reserved'.
On notera qu'il existe (avec le plein accord de la Free Software Foundation au Conseil
d'administration de laquelle siège Lawrence Lessig) des versions Creative Commons
des licences de logiciel GNU GPL et GNU lGPL, permettant de faire profiter les
usagers de ces licences du caractère lisible informatiquement des licences.
Les logiciels se caractérisent par une interdépendance (à un instant donné et dans
leur évolution) entre composants, ainsi que par un processus de création par
innovation incrémentale et transport d'une idée ou méthode d'un domaine à un autre
qui justifient pleinement (du point de vue du processus de production et d'innovation)
le choix des 4 libertés. Par ailleurs, le fait que les logiciels soient des outils
fondamentaux permettant touts sortes d'activités justifie une approché éthique de ces
questions de libertés et de processus coopératif. La situation est en réalité très
différente pour toutes sortes d'oeuvres et de documents pour lesquels le niveau de
réutilisation ou d'interdépendance est nettement plus réduit. Le fait que les licences
Creative Commons autorisent toute une gamme de niveau de droits d'usages vont
permettre une concurrence entre des modèles de création, depuis des modèles dans
lesquels la définition des oeuvres reste assez classique avec une oeuvre achevée et
une simple liberté de diffusion numérique, jusqu'à des “communs informationnels”
dans lesquels les oeuvres sont interdépendantes et générées en permanence les
unes par rapport aux autres, et qui vont obéir à des licences assez proches de celles
des logiciels libres. On notera que l'attribution joue un rôle plus important pour les
créations artistiques que pour les logiciels, même si les deux relèvent de la
Convention de Berne qui depuis sa version de 1948 la requiert.
Un dernier point important qui différencie les licences Creative Commons (à
l'exception de By-SA) des licences libres de logiciels est que, puisqu'il y a réservation
de droits, la licence constitue nécessairement un contrat, ce dont les adaptateurs
français ont tenu compte en leur donnant ce nom. Le caractère extrêmement souple
de la notion de contrat dans le droit français fait que cette différence a pour l'instant
peu d'impact, mais il est probable qu'à travers la jurisprudence elle vienne à en
acquérir (par exemple lorsque des auteurs d'oeuvres diffusées sous licences Créative
Commons poursuivront les auteurs d'usages non autorisés par la licence).
6. Utilisateurs et usages actuels (en particulier
liés à l'autoproduction)
Ce tour d'horizon ne prétend en aucune façon à l'exhaustivité mais cherche à illustrer
de façon concrète les appropriations actuelles de la Creative Communs dans
différents champs de la création et de la connaissance. Pour chaque secteur, des
exemples emblématiques ont été retenus.
22/54
6.1. Publications scientifiques
L'édition de revues scientifiques a connu dans les années 1970 à 2000 l'évolution des
industries informationnelles : concentration rapide de l'édition culminant avec la
domination mondiale du groupe Reed-Elsevier, élévation liée des prix d'abonnement
aux revues majeures atteignant des niveaux dissuasifs non seulement pour les pays
en développement mais même pour les bibliothèques universitaires mal financées des
pays développés, développement de services d'accès numérique sur abonnement en
particulier dans le domaine médical, échec des tentatives de constituer des services
d'accès payant à la page aux publications avec gestion de droits numériques comme
les ATT Pages.
Cependant des caractéristiques spécifiques des publications scientifiques vont en
faire un domaine privilégié pour le développement de stratégies alternatives d'édition
avec accès libre. En effet, les scientifiques sont à la fois auteurs, éditeurs dans le
double sens du mot (sélectionneurs des articles méritant publication et metteurs en
forme de ces mêmes articles ), principaux lecteurs des articles scientifiques et
prescripteurs à destination des étudiants et de leurs confrères. Le rôle des entreprises
d'édition se réduit à l'organisation de la notoriété des revues (y compris en attirant les
meilleurs scientifiques dans leur comité éditorial), leur promotion, et, de façon
secondaire, l'organisation de leur fabrication. Les scientifiques sont donc en quasisituation d'auto-production et les publications scientifiques ne constituent pas une
source de revenus directs (même si elles sont très importantes pour leur carrière).
Cette situation va déboucher sur une véritable révolte du monde scientifique à l'égard
d'une édition considérée de façon croissante comme parasitaire et dont les modèles
de prix sont perçus comme contraires à l'éthique du partage des connaissances. La
révolte se développe d'abord dans des domaines qui peuvent s'abstraire
momentanément de la course à la réputation (ou organiser une contre-réputation
indépendante des revues) comme la physique des hautes énergies et l'astronomie.
Elle mettra assez longtemps à atteindre les domaines où règne la compétition la plus
acharnée en liaison avec des intérêts économiques externes, comme la médecine et
la biologie qui resteront longtemps dépendantes de Nature, The Lancet et The New
England Journal of Medecine.
Concrètement, la mise en accès libre début par les archives de pre-prints (articles mis
à disposition avant leur publication papier) qui deviennent rapidement des archives
d'articles en accès libre (cf. par exemple arxiv.org). Mais ces archives centralisées ou
en réseau ne constituent que la partie émergée de la mise en disposition libre des
publications scientifiques. On peut considérer que, environ 400,000 des 2,5 millions
d'articles scientifiques annuels12 dans le monde occidental, sont en accès libre sur les
sites Web personnels des chercheurs scientifiques et ingénieurs de recherche, les
sites d'archives spécialisées ou les revues en accès libre.
A partir de 2000, la mouvement des publications scientifiques en accès libre va se
structurer à l'échelle internationale, se doter de diverses organisations, exercer un
effet en retour sur les revues scientifiques, bénéficier d'un soutien de diverses
fondations, puis devenir une composante des politiques publiques de recherche. On a
déjà mentionné plus haut l'appel de 38,000 scientifiques en 2000 puis la création de
la Public Library of Science (PloS). En 2002, à l'initiative de la Fondation Soros, est
12 Source Stevan Harnad, http://citebase.eprints.org/isi_study/, http://www.crsc.uqam.ca/lab/chawki/ch.htm,
transmis par Jean-Claude Guédon.
23/54
lancé l'appel de Budapest pour l'accès ouvert13. Dans la suite de cette section, on
présente les activités de la PloS, car elle est porteuse de modèles économiques et de
mécanismes associés dont certains ont une portée générale. Mais le lecteur est invité
à se souvenir que la PloS ne représente qu'une petite partie du mouvement des
publications en accès libres : au-delà de la mise en ligne par chaque chercheur des
publications, coexistent des revues en ligne comme First Monday14 (« first peerreviewed journal on the Internet » consacré à l'économie et à la sociologie d'Internet),
de nombreuses revues comme par exemple Astronomy and Astrophysics qui
acceptent la publication libre par les auteurs de leurs articles. Certaines revues de
sciences sociales ont fait le choix de licences Creative Commons, mais elles restent
des exceptions.
Le modèle de la PloS est basé sur :
•
Des journaux en ligne avec comité de sélection scientifique selon le modèle
classique (peer reviewing),
•
Des revues papier à abonnement à prix coûtant de l'impression. Pour l'instant 2 de
ces revues existent: Biology et Medecine, choisies à dessein dans des domaines
qui étaient encore dominés par l'édition commerciale propriétaire.
•
Un modèle économique fondé sur le paiement par les auteurs des articles
sélectionnés (soumission gratuite, accès libre). En général, l'institution à laquelle
est rattaché l'auteur (centre de recherche, université) s'acquitte de ce paiement.
•
Des financements (reposant à l'heure actuelle sur le soutien de fondations
notamment l'OSI de Soros) pour assurer que les auteurs de pays en
développement ou d'organismes ne disposant pas de ressources suffisantes ne
sont pas privées d'accès à la publication du fait du modèle « paiement par
l'auteur ».
•
L'usage principal de licences Creative Commons (la licence dominante étant la
simple « Paternité »), avec également un usage de la licence « Domaine Public ».
Le modèle de la PloS soulève différentes incertitudes de nature économique et
sociologique. La principale porte sur la possibilité de le porter à une échelle tout à fait
différente. Passer de 2 revues couvrant chacune un champ disciplinaire gigantesque
à quelques dizaines de revues couvrant chacune un champ correspondant aux
« espaces de réputation » qui existent dans l'organisation sociologique de la science,
des carrières et des financements va soulever des difficultés. Le caractère
« exceptionnel » des soutiens de fondations pour corriger les possibles inégalités
sociales ou géographiques du modèle « paiement par les auteurs d'articles
sélectionnés » paraît difficilement généralisable à plus grande échelle. Une solution
sera peut-être trouvée à travers l'intégration progressive du principe de la publication
libre dans les financements de recherche (explorée par le Wellcome Trust, divers
programmes de recherche britanniques et discutée au C.N.R.S). Mais ces
programmes accepteront-ils que le coût des publications soit mutualisé entre pays
riches et pauvres (concrètement que l'on fasse payer plus cher les scientifiques
financés des pays riches pour couvrir les publications de ceux des pays pauvres) ?
Quel futur existera-t-il pour la publication papier dans un monde dominé par l'accès
libre ?
13 http://www.soros.org/openaccess/fr/read.shtml
14 http://www.firstmonday.org
24/54
Des éditeurs commerciaux, y compris Reed-Elsevier mènent des réflexions
stratégiques sur l'avenir de leur modèle dans une situation de généralisation de
l'accès libre. Voir par exemple les travaux de Joost Kircz15.
6.2. Textes : autopublication (blogs et similaires), livres
6.2.a) Mesures des espaces d'autopublication personnelle
C'est dans le champ du texte et de l'hypertexte que l'usage des Creative Commons
est le plus développé ne serait-ce que parce que l'autoproduction y atteint une échelle
gigantesque. Les estimations du nombre de pages Web personnelles et de blogs sont
très divergentes. En ce qui concerne les pages personnelles, il est devenu aujourd'hui
très difficile d'en estimer le nombre, la vogue des blogs ayant fait passer au second
plan les efforts statistiques concernant les pages personnelles, mais il en existe sans
nul doute plusieurs dizaines de millions dans le monde. En ce qui concerne les blogs,
il est certain qu'il y a plus de 10 millions de blogs personnels actifs dans le monde et
des estimations récentes crédibles indiquent qu'il y en aurait plus de 50 millions. Ces
estimations (voir encadré page 26) incluent un grand nombre de blogs abandonnés
ou liés au spam, mais ignorent également de nombreux blogs réels, puisque par
exemple le chiffre indiqué pour l'Europe est presque atteint pour la seule France.
En ce qui concerne l'audience des blogs, les études les plus sérieuses (comme celle
du site Perseus, www.perseus.com) affichent des chiffres moyens de 20 à 25 lecteurs
par blog, qui paraissent en réalité exagérés. Mon analyse personnelle est que dans
une situation de développement abouti de la blogosphère (où par exemple 25% de la
population aurait un blog), il est peu probable que le nombre moyen de lecteurs par
blog soit supérieur à 5, et il se peut même qu'il soit de l'ordre de 3. Mais cela
donnerait néanmoins une audience supérieure pour les blogs par rapport à toute la
presse (quelle que soit sa périodicité). Les commentaires méprisants dénonçant les
blogs comme un exercice narcissique vain, puisque que presque personne ne les lit
ignorent tout simplement la réalité mathématique : dans un monde où tout le monde
s'exprime, l'audience de chacun chute bien sûr mécaniquement. Enfin, les chiffres
d'audience ont bien sûr une répartition très inégale, puisque certains blogs atteignent
une audience de plusieurs dizaines milliers de lecteurs quotidiens. Les analystes ont
été conduits à distinguer différents types de blogs :
•
Blogs « filtres » : ces blogs sont les premiers à être apparus. Ils sont des sortes de
services d'indexation spécialisés offrant à leur lecteur un certain nombre de liens
commentés sur un sujet ou l'actualité. Leur intérêt dépend grandement de la
fréquence et de la qualité de leur mise à jour. L'usage indiscriminé de la
syndication (fils RSS) dans ces blogs les a fréquemment rendus confus.
•
Blogs « journaux » : conçus sur le modèle d'un journal intime à ciel ouvert, ces
blogs constituent aujourd'hui la forme dominante, notamment chez les usagers très
jeunes. Il en existe également à visée quasi-littéraire.
•
Blogs éditoriaux spécialisés : permettant de suivre la pensée de leur auteur ou ses
réactions à l'événement, ces blogs sont sans doute la forme la plus achevée,
aujourd'hui reprise dans de nombreux médias professionnels. Ces blogs
d'expression personnelle sont ceux qui visent le plus explicitement un public
externe, et ils constituent fréquemment un outil de construction ou de fidélisation de
15 http://www.kra.nl/
25/54
communautés ou de cercles d'influence.
•
Blogs institutionnels : pour mémoire, la forme blog a été très largement reprise par
les institutions, les sociétés ou les partis.
•
Blogs collectifs : en particulier pour ce qui concerne les « filtres », le blog peut faire
l'objet d'une production collective.
L'immense majorité de ces blogs est textuelle, même si les blogs photo, audio et
vidéo ont connu un important développement récent.
Multinational Blogging Services
Google: 8 million
MSN Spaces: 5 million
Six Apart Live Journal/ TypePad/ MT: 8.2 million
Other hosted (US): 9 million
WordPress: 250,000
Other DIY: 100,000
By Region/ Country
Europe: 2 million
China: 2 million
Japan: 1 million
Korea: 15 million
Rest of Asia, the Sub-Continent and Middle East: 1 million
South America: 1 million
Africa: n/a
insignificant numbers, although there are a growing number of bloggers in
South Africa.
Australia: (120,000)
TOTAL: 50.75 million worldwide
Illustration 7 : Nombre de blogs d'après le Blog Herald du 14 avril 2005,
http://www.blogherald.com/2005/04/14/number-of-blogs-now-exceeds-50-million-worldwide/
6.2.b) Quelle part pour les Creative Commons ?
Des recoupements effectués par l'auteur de ce rapport en utilisant les moteurs de
recherche généralistes et ceux spécialisés dans les Creative Commons donnent à
penser que 3 à 5% des blogs sont sous licence Creative Commons. Cette proportion
est supérieure à celles pour tout autre média ou forme d'expression et confirme
l'affinité entre les Creative Commons et l'auto-production. La proportion élevée de
blogs sous Creative Commons s'explique également par l'intégration du choix de
licence Creative Commons à des sites comme Blogger. Elle reste cependant faible en
regard de ce qui devrait être atteignable.
26/54
6.2.c)
Livres
L'édition de livres est – avec les archives de télévision – un des domaines dans
lesquels les licences Creative Commons ont pénétré, de façon encore très minime,
l'univers de l'édition et de la distribution professionnelle, hors du champ scientifique et
technique. Cette pénétration s'est faite sur deux types de livres :
•
De façon naturelle, les essais consacrés aux régimes de droits dans la sphère
intellectuelle, avec les ouvrages de Lawrence Lessig en anglais, et une série
d'ouvrages en français : livres de Florent Latrive, Mélanie Dulong de Rosnay et
Danièle Bourcier, puis de l'auteur de ce rapport.
•
Dans le domaine des romans de science-fiction avec notamment le livre de Cory
Doctorow, "Down and Out in the Magic Kingdom" . Ce livre illustre également le
besoin d'un suivi commercial actif pour réaliser les ventes induites par les
téléchargements. Le tirage initial du livre papier (10000 exemplaires) a été épuisé
et une vague de téléchargements importante (500.000 au total) a eu lieu. Il serait
intéressant d'étudier plus en détail la chronologie de ces 2 modes de diffusion pour
estimer si l'éditeur a bien exploité les ventes potentielles issues de la diffusion libre.
6.2.d) Poésie
La poésie se prête particulièrement à la lecture en ligne, et il n'est pas surprenant
qu'elle ait été un domaine privilégié pour la mise en accès libre des contenus textuels.
On pourra avoir un petit échantillon des usages existants en consultant le catalogue
(très partiel) de Common Content16. Un des points à remarquer est qu'il s'agit (au-delà
des Creative Commons) d'un domaine dans lequel l'auto-production a remodelé les
activités éditoriales : revues et éditeurs de poésie sélectionnent de plus en plus sur le
Web les poèmes et poètes qu'ils éditent. Les forums de poésie jouent un rôle de lieux
d'échanges et d'évaluation notamment dans le monde anglo-saxon.
6.3. Photographie
Le développement de régime Creative Commons dans le champs de la photo s'inscrit
sur une toile de fond bien particulière :
•
Contrairement à des écrits par exemple, il est possible de mettre en ligne une
version dégradée d'une photo, permettant ainsi une diffusion gratuite et/où libre de
droits, tout en conservant une diffusion protégée de la version originale de qualité.
Ceci suscite un double régime de l'oeuvre photographique.
•
Nombreux sont les photographes, amateurs généralement, qui mettent leurs
oeuvres en circulation sans en préciser le régime. Juridiquement le droit d'auteur
s'y applique par défaut ; dans la pratique, ces créateurs sont peu soucieux de voir
leur oeuvre protégée et sont heureux de la laisser circuler librement.
•
Plusieurs sites se sont ouverts qui offrent des photos « libres de droits » (ex : Getty
Images17, Comstock, DigitalVision...). Le terme « libres de droits » s'oppose au
régime général intitulé « droits gérés » : en droits gérés, une image est vendue
pour un usage unique, dans un environnement spécifique. En régime « libres de
droits », l'acheteur paye une somme forfaitaire, généralement basée sur la taille de
16 http://www.commoncontent.org/catalog/text/poetry/
17 Régime de cession de droits consultable à http://creative.gettyimages.com/source/home/license.aspx
27/54
l'image, qui va lui permettre d'utiliser la photo, de façon non exclusive, autant de
fois qu'il le désire. Mais il ne peut en aucun cas la transférer : une photo incluse
dans une publicité ne pourra être réutilisée par l'entreprise pour laquelle a été
réalisée l'annonce, séparément de cette dernière.
En réalité le terme « libre de droits » est ambigu. Il s'agit effectivement d'un
renoncement de la part du photographe à une partie essentielle de son droit
d'auteur (il ne pourra plus contrôler chaque usage de son oeuvre) mais non à son
droit moral ni à sa rémunération : c'est avant tout un régime de droits forfaitaire
pensé pour être « fast, efficient and hassle-free » comme l'indique le site de
Comstock18. Il ne peut en aucun cas être assimilé au domaine public ni à la
gratuité.
La multiplication de ces sites est perçue comme une concurrence déloyale par les
photographes professionnels. La récente intégration par Adobe dans ses différents
logiciels, en particulier Photoshop, d'un lien direct vers ces banques d'images, n'a
pu que renforcer les craintes de ces derniers19.
C'est dans ce contexte que se développent les sites de photos en Creative
commons :
•
Initiative la plus importante quantitativement, Flickr20 : site personnel de gestion de
ses images (stockage, partage en groupe fermé ou ouvert, diffusion, recherche...),
il propose aux contributeurs de choisir leur régime de droits. Par défaut, la
protection classique est attribuée, mais à tout moment les auteurs peuvent modifier
le régime et choisir entre les différents contrats CC. Ce dont ils ne se privent pas
d'ailleurs : sur 6,5 millions environ de photos disponibles, plus de 2,6 millions ont
choisi un régime CC (cf. répartition dans schéma 1). Un chiffre qui semble
particulièrement élevé dans la mesure où il demande un acte volontaire en aval de
la mise en ligne d'image. Il est également proposé à l'utilisateur de choisir un
régime par défaut pour toutes ses photos ce qui peut simplifier et amplifier le
phénomène.
A noter par ailleurs que ce site s'inscrit dans le courant de la folksonomy21, en
proposant aux utilisateurs de « tagger » leurs images.
18
19
20
21
http://www.comstock.com
http://www.liberation.fr/page.php?Article=301824
http://www.flickr.com/
http://en.wikipedia.org/wiki/Folksonomy
28/54
Répartition CC dans Flickr
Attribution License
Attribution-NoDerivs
License
Attribution-NonCommercial-NoDerivs
License
Attribution-NonCommercial License
Attribution-NonCommercial-ShareAlike License
Attribution-ShareAlike
License
22
23
24
25
•
Beaucoup plus modeste (2559 images) le site Open images22 poursuit l'objectif
suivant : donner de la visibilité aux photographies et faciliter leur libre circulation en
s'appuyant sur une licence Creative Commons. (On notera avec amusement que
les textes du wiki de la communauté sont placés non pas en CC mais en Gnu Free
Docs Licence.) A la différence de Flickr, Open images ne se positionne pas
d'entrée de jeu comme une plate forme de services, n'offre pas de version
professionnelle payante et place la CC au coeur de son projet. La publicité semble
être son unique mode de rémunération.
•
Buzznet23 (site en dérangement au moment de la rédaction de cette étude), axe sa
promotion à l'intérieur du site CC sur la simplicité d'attribution d'une licence libre de
droits24.
•
Le blog Fotolia a un positionnement différent : destiné à un public de
professionnels, il se veut à la fois centre-ressource (derniers appareils...), site
d'actualité (parutions papiers, expositions...), lieu d'échanges entre photographes et
lieu de diffusion. Le régime juridique est ad hoc : le photographe répond à une
série de questions pour choisir le régime auquel il veut soumettre ses photos25 :
✗
1 - Souhaitez-vous donnez à Fotolia l’exclusivité sur la vente de cette photo ?
✗
2 - Souhaitez-vous proposer aux acheteurs la licence exclusive-commerciale de
votre photo en plus des licences classiques ?
✗
3 - Souhaitez-vous que les particuliers (personne privée) puissent utiliser votre
photo pour des utilisations non professionnelles et non commerciales à titre
gratuit ou à titre onéreux ?
✗
4 - Souhaitez-vous que vos clients puissent éventuellement modifier votre photo
pour l’intégrer dans un travail dérivé ?
http://openphoto.net/
http://www.buzznet.com/
http://creativecommons.org/image/publish-buzznet
http://blog.fotolia.com/france/astuce/licence/licence-vente.html
29/54
En fonction des réponses données, l'oeuvre photographique se trouvera dans l'un
des 3 cas de figure suivant : Licence Privée Gratuite ; Licence professionnelle ;
Licence commerciale à laquelle est attachée l'exclusivité.
Ces trois licences se combinent avec deux autres critères : usage web / usage print
(seule la licence commerciale inclue d'office les deux) et la possibilité ou non de
modification.
Point particulièrement intéressant pour ce qui est des CC : les licences Fotolia se
veulent compatibles avec les licences CC, tout en précisant bien les différences
juridiques associées au terme « commercial » dans les deux systèmes. Une page
entière est dédiée à cette question26 et précise : « La licence de Fotolia est compatible
avec la licence non commerciale de Creative Commons dans le sens où vous pouvez
proposer vos photos sur votre site Internet gratuitement pour une utilisation non
commerciale sous licence Creative Commons.
J'ai déposé une photo sur Fotolia, est-ce que je peux la proposer autre part pour une
utilisation non commerciale ? Votre photo est alors liée à deux contrats, l'un pour une
utilisation non-commerciale (Creative Commons), l'autre pour une utilisation
commerciale (Contrat Fotolia). »
En dehors de ces sites communautaires, de plus en plus d'individus choisissent de
placer leurs images sous CC. A titre indicatif une recherche dans Yahoo! Creative
Commons (toutes licences) avec les termes «photos paris » donne un résultat de 138
000 entrées. Si un certain nombre de ces entrées se croisent avec celles de site
comme Flickr (83000 photos avec le tag de « Paris », proportion en CC inconnue), il
n'en demeure pas moins que le chiffre demeure impressionnant.
La démarche croise parfois celle du blog photos. Ainsi Jérémie Zimmermann en
France offre-t-il sur son site Tofz27 ses photos personnelles (10700 actuellement),
placées sous le double régime de la licence art libre et de la CC By – SA.
En guise de clin d'oeil, on citera aussi le blog certes auto-produit, mais surtout autocentré de « Jean-Michel »28, qui chaque jour prend une photo de sa personne à 9h09
et a choisit le régime de la simple paternité (probablement amplement suffisant dans
ce cas précis !). Ce site illustre les oeuvres non finies, rendues pas les CC.
Au final, la licence Creative Commons trouve tout son sens dans l'univers de la photo
numérique, où elle vient remplir un vide juridique pour les photographes amateurs,
désireux de diffuser leurs oeuvres aussi largement que possible, tout en se
protégeant de certaines dérives (réutilisation de l'image dans un site à caractère
violent, pornographique...), ou usages considérés comme intempestifs par l'auteur
(caractère commercial).
6.4. Musique
Creative Commons s'est vite implanté dans le champs de la création musicale, dans
lequel il a d'ailleurs puisé une partie de l'inspiration de son approche. La numérisation
et le partage de fichiers par le biais des réseaux pair à pair ainsi que par le contexte
de tension et de bataille judiciaire qui en découle peuvent expliquer en partie cette
pénétration.
26 http://blog.fotolia.com/france/faq/photographe/creative_commons.html
27 http://www.tofz.org/index.php
28 http://www.09h09.com/
30/54
Aux yeux des créateurs musicaux qui ont fait le choix de ces contrats, Creative
Commons présente les avantages suivants :
•
Favoriser la circulation des oeuvres, y compris sur les réseaux P2P tout en restant
dans un cadre légal
•
Préserver les possibilités de générer un jour un revenu à partir de sa création (cas
des CC Non commercial).
•
Diffuser des oeuvres qui ont peu chance d'être retenues pas les directeurs
artistiques des majors et échapper ainsi à l'homogénéisation culturelle encouragée
par le mariage des majors et des médias grands publics. Les CC servent alors à
construire de la notoriété.
On classera les exemples liés à l'univers musical en CC en 3 catégories détaillées
plus bas :
•
les sites individuels et collectifs de promotion/diffusion d'artistes
•
les oeuvres de sampling
•
les podcasts et blog musicaux.
Enfin, on notera qu'il existe déjà aujourd'hui une activité de services économiques liée
au monitoring des échanges libres sur les réseaux pair à pair (dont une partie utilisent
les licences Creative Commons), dont un exemple est fourni par generationmp3.com.
Cette activité consiste une part d'intermédiation (financée par la publicité sur les
matériels) et une part de vente d'analyse de tendances aux éditeurs musicaux.
6.4.a) Les sites de promotion/diffusion des artistes
Les quatre exemples ci-dessous ont été choisis pour la diversité de leur
positionnement et de leur modèle économique (le cas échéant).
•
Magnatune29 est l'un des sites musicaux les plus connus : il se définit comme un
label à part entière, défendant l'approche « essayer avant d'acheter » inspirée des
shareware. 373 CD sont proposés à l'écoute gratuite et intégrale (un choix
volontairement limité dans un souci d'exigence). Les oeuvres sont placées d'office
en CC attribution, non commericale, share alike. Dans un second temps,
l'utilisateur peut au choix :
•
télécharger le morceau pour son usage personnel à un prix dont il déterminera
lui-même le montant
•
acheter le CD
•
choisir un contrat pour une utilisation commerciale (contrat dont le montant est
calculé en ligne selon le type et la taille du public, la durée...).
Magnatune revendique un « modèle économique du 21ème siècle », qui est décrit
clairement dans son site30 et à travers l'interview donnée en janvier dernier par son
fondateur John Buckman au site CC31. Il repose sur un modèle mixte gratuit/payant.
Sont générateurs d'ARPU : le téléchargement de disques dont le prix est établi sur
29 http://www.magnatune.com/
30 http://magnatune.com/info/model
31 http://creativecommons.org/audio/magnatune
31/54
une base volontaire (entre 5 et 18$) ; la gestion des droits pour les usages
commerciaux à titre d'agent (entre 150 et 5000$) ; le marchandising.
Les gains vont pour moitié à l'artiste, pour moitié à Magnatune.
J. Buckman affirme que les ventes de ses meilleurs disques équivalent à celles de
labels indépendants et qu'il signe en moyenne un contrat d'agent par jour. La
formule « usage gratuit non commercial » semble séduire le cinéma indépendant.
Ces producteurs ont recours à la musique sous CC Non commercial tant qu'ils
n'ont pas trouvé de diffuseur pour leurs films, puis signent un contrat avec
Magnatune, lorsque leurs propres revenus sont assurés.
•
Site francophone travaillant également à la promotion, la diffusion et la
rémunération des artistes, Jamendo32 (« ouvrez grand vos oreilles ») propose un
modèle différent de celui de Magnatune. Toutes les oeuvres sont en CC, mais
Jamendo ne se positionne pas comme agent. Il s'agit plutôt d'une plate-forme de
dons. Jamendo incite au téléchargement et appelle les utilisateurs à rétribuer les
auteurs sur une base volontaire. La une du site affiche les derniers dons et les
oeuvres auxquelles ils correspondent.
•
Opsound s'inscrit dans une démarche très différente, d'essence artistique.
L'interface du site, parfaitement épurée, en annonce la philosophie : son auteur
explore les architectures sociales comme formes artistiques.
Se définissant comme un micro label de disque expérimental et un « bassin de
sons ouvert », ce site est d'abord un espace de partage, accueillant
majoritairement des artistes de musique très actuelles (électro, expérimentale,
ambiant, dance, post-pop, techno...). Au coeur du site se trouve l'« Opstream »,
une radio en streaming (m3u) qui diffuse en continu et de façon aléatoire les
oeuvres des artistes hébergés.
Proche du laboratoire, Opsound explore les possibilités d'une économie du don
entre musiciens, en s'inspirant ouvertement du modèle des logiciels libres.
L'ensemble des morceaux sont placés d'emblée sous une licence CC (AttributionShareAlike license). L'option Non commercial n'a pas été retenue, mais le site
recommande vivement une prise de contact avec l'artiste en cas d'usage
commercial pour trouver un mode de rétribution. Opsound annonce un partage à
50/50 des éventuelles rentrées avec les artistes.
•
Musique-libre33 est un site associatif français, dont le positionnement est
clairement politique. Ses statuts affirment que « L'association dite musique-libre.org
a pour objet de : Soutenir & promouvoir la création & l’exploitation musicale
indépendante dans le cadre des licences libres. Militer pour la gestion individuelle
des droits d’auteur auprès des sociétés civiles, organisateurs de spectacle, labels &
diffuseurs. Informer les artistes & le public sur les modes émergents de diffusion &
d’exploitation des œuvres musicales à l’ère numérique & sur l’économie qui en
découle. » Ce site comprend un tableau récapitulatif34 de toutes les licences libres
disponibles pour la musique !
Après moins de 6 mois d'existence, il revendique les statistiques suivantes « 1699
titres de 214 groupes sous 13 licences ont été écoutés et téléchargés 330972 fois
en 163 jours, cela en toute quiétude et en toute légalité. »
32 http://www.jamendo.com/
33 http://musique-libre.org/index.php?op=edito
34 http://musique-libre.org/static.php?op=copyleftLicence.html&npds=-1
32/54
6.4.b) L'encouragement au sampling
Partant du constat que les artistes se nourrissent en permanence des oeuvres de
leurs prédécesseurs, certains créateurs et collectifs veulent encourager la réutilisation
de leurs oeuvres.
•
CC Mixter35 : Le site est dédié au sampling et au mashing ainsi qu'au partage.
Comme son nom l'indique, ce site place la CC au coeur de son existence. Tous les
morceaux de musique disponibles (548 originaux et 415 remix réalisés sur le site)
sont en CC. Les morceaux originaux sont pour l'essentiel placés sous 2 des 3
licences spécifiques Sampling (Sampling plus, Non commercial Sampling plus)36.
Alors que les remix empruntent à différents régimes : sampling plus/ non
commercial Sampling plus/ Attribution Non-Commercial Share-Alike. Au total la
licence « Sampling plus » l'emporte sur la « non commercial sampling plus » avec
589 contre 449 morceaux. La sampling simple n'est jamais utilisée dans ce site.
•
Acte politique et promotionnel, le célèbre magasine américain Wired a sorti en
Novembre 2004 un disque composé de 16 morceaux. Ce disque a été distribué aux
abonnés du support papier et les morceaux sont disponibles au téléchargement sur
le site du magasine37. Wired revendique cette démarche avec l'accroche suivante :
« Rip, mix, burn. Swap till you drop. The music cops can't do a thing - it's 100
percent legal, licensed by the bands. The Wired CD, copyrighted for the 21st
century. » 16 artistes dont certains très connus (Beastie boys, Gilberto Gil, David
Byrne, Zap mama...) ont participé au projet, 13 ont choisi la licence Sampling plus,
3 la NonCommercial Sampling Plus.
6.4.c)
Les podcasts38 en Creative Commons
Plutôt qu'une catégorie, il s'agit là d'un phénomène qui vient amplifier et propager la
diffusion des CC dans le monde de la création musicale.
Nombreux sont les sites de diffusion d'oeuvres musicales en CC qui ont ajouté un ou
plusieurs fil(s) RSS2.0 à leurs services (Random et /ou dernières oeuvres) permettant
ainsi une diffusion en continue dans leur lecteur de fichiers audios.
C'est le cas par exemple de musique-libre, dont l'offre de podcast est particulièrement
modulable : l'utilisateur choisit l'ordre, le nombre de titres ainsi que leur format (OGG
ou MP3).
Plusieurs radios francophones offrent une fonctionnalité de podcasting (Radio
Canada39, Nostalgie Belgique40). Seule Arte radio a choisi clairement un régime de
CC41.
35 http://ccmixter.org/
36 Pour plus de détail sur ces trois licences : http://creativecommons.org/license/sampling. On notera
qu'elles n'ont pas été traduites dans la version française des contrats. Le sampling pose des problèmes
de compatibilité avec le droit moral.
37 http://wired-vig.wired.com/wired/archive/12.11/sample
38 Pour une définition du podcasting consulter http://fr.wikipedia.org/wiki/Podcasting
39 http://www.radio-canada.ca/rss/baladodiffusion/
40 http://www.nostalgie.be/online/home/home.php?p=30
41 http://www.arteradio.com/home.html#
33/54
6.5. Images en mouvement
Par images en mouvement nous désignons ici les oeuvres cinématographiques stricto
sensu, les films conçus pour la télévision, les vidéos amateurs ou professionnelles,
les oeuvres composites telles les remixes de vidéos, et ceci quel qu'en soit le support
(numérique ou non).
6.5.a) Contexte : un patrimoine fragile
Le cinéma est certainement l'un des champs culturels ou la question de la
numérisation et de la mise en libre circulation des oeuvres avant leur entrée dans le
domaine public fait particulièrement sens.
En effet de nombreuses oeuvres cinématographiques n'ont pas encore atteint le délai
fatidique leur permettant d'être libres de droits, sont dépourvues de toute valeur
commerciale et en conséquence ne représentent plus aucune source de revenus pour
les ayant droits et dans un même temps, créées sur support analogique, elles risquent
tout simplement la destruction physique (menace inexistante pour les oeuvres écrites
qui sont déjà dans le domaine public quand elles atteignent ce degré de fragilité).
Pour éviter leur disparition, un investissement financier lourd est nécessaire : au coût
de la restauration et de la numérisation s'ajoute un sur-coût juridique lié à
l'identification des ayant-droits et la négociation d'une autorisation d'utilisation. Inutile
de dire que pour la plupart des oeuvres (courts métrages, films publicitaires, films de
seconde catégorie...) un tel investissement est inenvisageable, quand il n'est pas
purement et simplement impossible (incapacité à retrouver les ayant-droits).
Plusieurs collectifs se sont mobilisés, notamment aux États-Unis, pour obtenir du
Congrès américain une législation permettant de sauver ces oeuvres dites orphelines.
Ainsi en 2003, après le succès de la pétition « Reclaim the public domain »42, un
groupe d'archivistes, bibliothécaires, juristes... a rédigé une proposition de Loi, le
« Public Domain Enhancement Act » qui propose une technique pour faire rentrer
dans le domaine public des contenus qui ne sont plus exploités commercialement,
tout en continuant à protéger les contenus qui disposent d'une valeur commerciale
(paiement d'un $ symbolique à échéance régulière par les ayant droits pour maintenir
leurs droits).
Cette proposition de loi n'ayant aucune chance d'aboutir dans le climat politique
actuel, des initiatives se multiplient pour faciliter la sauvegarde et la circulation des
oeuvres cinématographiques.
6.5.b) Du film publicitaire aux archives télé, en passant par les oeuvres de Vjs :
l'essaimage des licences CC.
Nous verrons à travers la présentation de quelques exemples que le régime Creative
Commons (ou équivalent) peut intervenir pour trois types d'oeuvres :
•
les documents anciens qui ne sont pas encore dans le domaine public
•
l'autoproduction récente.
42 http://www.petitiononline.com/eldred/petition.html
34/54
•
La production publique (à l'initiative de chaînes de services publics, d'universités,
d'organismes de gestion des archives...)
•
Les « archives Prelinger » se situent dans la première catégorie :
De 1982 à 2002, Rick Prelinger a rassemblé un fonds d'environ 48 000 films dits
« éphémères » (publicités, films à caractère éducatif, films d'entreprises,
d'associations, films amateurs...). Afin d'assurer sa sauvegarde dans des
conditions de qualité, ce fonds a été transféré en 2002 à la Bibliothèque du
Congrès. Depuis les archives Prelinger ont reconstitué un nouveau fond composé
aujourd'hui de 4000 titres (vidéos ou films). Le fonds vise à encourager la collecte,
la protection, et la diffusion de films de signification historique orphelins, au sens ou
ils n'ont pas été collectés par ailleurs. Les oeuvres collectées courent de 1929 à
1987 et le fonds revendique avoir rassemblé 10% des oeuvres éphémères de cette
période.
Les archives Prelinger sont placées sous licence Creative Commons public
domain43 ce qui signifie qu'il s'agit pour l'essentiel de films/vidéos dont R. Prelinger
a acquis les droits et qu'il choisit délibérément de placer dans le domaine public par
anticipation.
•
La « Creative Archive license » est à l'intersection entre les trois catégories
évoquées précédemment.
En avril 2005, la BBC44, en partenariat avec Channel 4, Open University et le British
Film Institute, lance la « Creative Archive licence », qui permet de faire circuler
sous certaines conditions, aussi bien de la jeune création vidéo que des archives
anciennes. Directement inspirée de la Creative Commons, elle permet à ces
organismes de nourrir un fonds d'archives communs aussi bien dans le domaine
cinématographique qu'audio. Elle n'autorise pas les usages commerciaux, exige
l'attribution de la paternité et le partage des conditions initiales à l'identique. A ces 3
critères déjà existants dans une des licences CC, viennent s'ajouter deux critères
spécifiques :
•
No Endorsement and No derogatory use : The Creative Archive
content is provided to allow you to get creative with content, not for
campaigning, soapboxing or to defame others! So don't use it to
promote political, charitable, or other campaigning purposes and
remember to treat others and their work in the way that you'd expect
them to treat you and your work...with respect!
•
UK : The Creative Archive content is made available to broadband
users within the UK for use [primarily] within the UK. Ce critère
géographique s'explique par le mode de financement de la démarche
: dans la mesure ou ce sont les contribuables britanniques qui
financent par le biais de leurs impôts, seuls ces derniers peuvent en
bénéficier en retour. (Cf. la discussion de la discrétisation
géographique et de ses limites en section 7.1.b).
Si 3 mois après le lancement du Fonds, la BBC n'a pas encore mis ses premiers
43 http://creativecommons.org/licenses/publicdomain/
44 http://www.bbc.co.uk/pressoffice/pressreleases/stories/2005/04_april/13/archive.shtml
35/54
clips en ligne, en revanche les 3 autres partenaires ont commencé à l'irriguer : le
British Film Institute a mis a disposition 5 court métrages du début du siècle et
compte poursuivre dans les prochains mois autour de la thématique de la ville
anglaise du début du 20ème siècle ; Channel 4 veut d'une part s'appuyer sur la
mise à disposition d'oeuvres partielles de documentaristes pour faciliter leur mise
en relation avec des diffuseurs professionnels ; et d'autre part fournir des
contenus répondant aux besoins spécifiques des VJs45 ; Open University veut
donner accès à des oeuvres difficiles à se procurer du type expériences de
chimie, vues intérieures de bâtiments publics compliquées à filmer, des prises de
vue aériennes (volcans, glaciers...) etc.
En plaçant des créations récentes directement sous le régime CC, ces acteurs
anticipent sur la question de la gestion des archives, une fois leur temps de vie
commerciale expirée : aucune recherche des ayant-droits ne sera alors plus
nécessaire.
45
46
47
48
49
•
Le site « Ourmedia46 » (the global home for grassroot media) est quant à lui
clairement tourné vers l'autoproduction. Il offre un espace de stockage et de bande
passante gratuite pour les vidéos, photos, fichiers audios, textes et logiciels. Cette
question du stockage, dont nous avons peu traité dans les autres chapitres
d'illustrations, est ici essentielle. En effet, peu d'individus disposant d'un serveur en
propre ou d'un hébergement à grande capacité et l'ouverture de leur ordinateur sur
des logiques de partage d'oeuvres vidéos posent vite des questions de saturation
de la bande passante.
Dans Ourmedia, si le régime des contenus publiés sur le site est laissé sous la
responsabilité de ceux qui les y ont placé, le site invite ses contributeurs a choisi un
régime libre pour leurs oeuvres. 7 régimes leurs sont proposés 47 : CC dans ses
différentes variantes commerciale ou non, CC sampling, GNU GPL, Mozilla Public
License, Netscape Public license, Public Domain, Traditional copyright. Mais le
contributeur est fortement incité à choisir l'une des CC.
•
« Open source movies » est un sous ensemble du projet de bibliothèque globale
« Internet Archives » auquel on doit entre autres, l'archivage de anciens sites web
aujourd'hui disparus de la toile (avec la Way Back Machine48). Leur fonds de vidéo
et films contient aujourd'hui près de 600 documents. Comme dans « Ourmedia »,
les contributeurs ont le choix du régime mais sont fortement incités à choisir une
CC. La majeur partie du fond est en CC.
Toujours à l'intérieur du site « internet archives », dans leur section « moving
images », on trouve une vingtaine de fonds plus spécifiques, comme « The Media
Burn Independent Video Archive », une collection de 3000 heures de cassettes
vidéo réalisées par des producteurs indépendants entre 1972 et 2003, ou encore
« Shaping San Francisco », une collection de 80 documentaires sur l'histoire de
cette ville ...
•
Le site Pix-n-Mix49 est fait par des VJs pour des VJs (et hébergé par Channel 4).
On y trouve, outre des conseils pour devenir VJs et des retransmissions en
streaming d'évènement de clubbing VJs, une « boite à bonbons » qui contient
actuellement 274 clips vidéos destinées à inspirer les nouveaux VJs pour leurs
premières créations et dans laquelle ils peuvent impunément puiser. L'intégralité de
VJs : video jockeys (par analogie avec les DJs – disc Jockeys)
http://ourmedia.org/
http://ourmedia.org/publish/licensing
http://www.archive.org/web/web.php
http://www.channel4.com/learning/microsites/I/ideasfactory/pixnmix/candy_jar.html
36/54
ces clips sont placés en licence CC « Attribution, Share Alike, Non Commercial ».
•
Particulièrement nombreux sont les sites de vidéos politiques ayant recours aux
licences libres. Le projet P2P-Politics50 a été créé pour collecter les documents
politiques de tous médias accessibles sous licence Creative Commons. Il s'agit
pour la plus grande part de documents vidéo (par exemple spots de la campagne
présidentielle américaine 2004). Par ailleurs, une source particulière réside dans
les documents qui mettent en accord fond et forme, en traitant sous forme de
vidéos (recourant parfois au détournement) les questions liées à la propriété
intellectuelle, pour en dénoncer les abus.
•
En dehors de ces initiatives collectives, de plus en plus nombreux sont les
créateurs de films/vidéos qui mettent leur création sur un site autonome en
Creative Commons (ou équivalent) ou qui ouvre un vidéo-blog en CC. On citera à
titre d'exemple :
✗
Geoff Meyer qui met à disposition l'intégralité de sa filmographie en CC51
(Paternité - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 2.0)
✗
David Cirone dans son site « CrookBack films » (même licence)52
✗
l'ensemble des vidéos ayant participé au concours « Moving images » organisé
par CC en Février 2004.53
6.5.c)
Les facteurs de la dissémination des CC dans le monde l'image en
mouvement.
Outre le contexte spécifique de ce secteur présenté en introduction à cette partie, cinq
facteurs majeurs peuvent permettre de prédire une accélération à court terme de la
dissémination de la CC dans le monde de l'image en mouvement.
Du côté de la production de contenus, on identifie :
•
l'explosion de l'autoproduction vidéo liée à la baisse des prix de vente des caméras
numériques et des téléphones 3G, combinées avec la diffusion du haut débit.
•
la multiplication de télévisions ouvertes à la contributions de téléspectateurs, qui
doivent imaginer des régimes de droits ad hoc pour ces apports (Télé Nantes et M6
en France, Current TV aux États Unis...).
Du côté de la diffusion de ces mêmes contenus, on notera :
50
51
52
53
•
Le succès incontestable de logiciels de P2P dédiés à la vidéo comme Bit Torrent,
qui, en découpant les fichiers images en minuscules fractions, en facilitent la
circulation et l'échange.
•
L'apparition de logiciels facilitant la réception de ces nouvelles productions :
http://p2p-politics.org/
http://www.geoffmyers.net/
http://www.crookback.com/web/page1.htm
http://creativecommons.org/getcontent/features/movingimagecontest
37/54
✗
le logiciel libre « Ant 54» (Ant is not TV) fonctionne très exactement comme
un logiciel de podcasting dans le domaine musical (cf. supra 6.4 page 30) :
l'utilisateur identifie le lien RSS associé à un site de diffusion libre de vidéos
et le copie dans Ant. A l'ouverture de ce dernier, les dernières vidéos
proposées sur les sites sélectionnés viendront automatiquement s'afficher
dans le lecteur, charge à l'utilisateur de télécharger les films qui
l'intéressent.
✗
Une équipe de l'université d'Austin (Texas) a lancé un logiciel intitulé
Alluvium55 qui permet de transformer n'importe quel ordinateur en récepteur
de TVIP (en mode streaming). Cet outil est pensé comme le complément
indispensable de la multiplication des sites d'autoproduction vidéo. On parle
désormais de « swarmcasting »56.
✗
la « fondation de la culture participative » vient de lancer en Mai dernier la
« broadcast machine » qui s'appuie sur la technologie Bit torrent pour
permettre la diffusion de chaînes vidéos et qui déclare explicitement être
compatible avec les CC.57
Du côté de la gestion de ces contenus (stockage, recherche...), le lancement par des
grands acteurs du monde de l'internet d'outils liés au monde de la vidéo devrait
conduire à moyen terme à une clarification du statut légal de ces contenus. On
constate cependant que le programme d'upload de Google58 ne permet pas de choisir
un régime de type CC. Ce qui signifie que le régime de copyright s'applique par
défaut, « ce qui laisse présumer qu'il est illégal de télécharger des vidéos depuis
Google et de les partager, les retransmettre vers un autre site »59
6.6. Nouvelles formes artistiques
Une des idées sous-jacentes des Creative Commons est de rendre possibles de
nouvelles formes de créations reposant sur des oeuvres inachevées en perpétuelle
réinvention ou des oeuvres en réseaux se renvoyant les unes aux autres dans un
cercle croissant. En pratique, l'apparition de nouvelles formes artistiques et plus
encore de nouveaux médias est un processus lent, opérant par essais et erreurs. Les
nouvelles formes apparaissent jusqu'à présent comme genre particulier dans un
média plus que comme forme radicalement nouvelles. Il en est ainsi de certains
formes d'expression poétique, de différents genres musicaux (remix, hip-hop, musique
électro réutilisant des patch des logiciel Max et JMax) et vidéos, de la narration
interactive à plusieurs mains. Si ces genres nous ont donné quelques chefs d'oeuvre
comme le remix de « Birth of a Nation » par Paul D. Miller aka DJ Spooky60 ou ses
remixes musicaux, ils n'ont pas débouché à l'heure actuelle à grande échelle.
6.7. Sites associatifs et médias coopératifs
La pénétration de la licence Creative Commons dans le monde associatif est
relativement lente. Cette lenteur peut surprendre dans la mesure où il y a affinité de
fait entre les valeurs de biens communs défendues par le mouvement des CC et
54
55
56
57
58
59
60
http://www.antisnottv.net/
http://actlab.tv/technology.htm
http://chronicle.com/free/2005/06/2005062401t.htm
http://participatoryculture.org/bm/
https://upload.video.google.com/
http://www.darknet.com/2005/04/google_lets_you.html
http://www.npr.org/templates/story/story.php?storyId=4112682
38/54
celles du monde associatif pris dans son ensemble.
Pour mieux comprendre cette évolution, on distinguera dans le processus
d'appropriation des CC, 4 catégories d'acteurs :
–
les associations liées au logiciel libre
–
les associations « technosensibles »
–
les médias-activistes et les médias coopératifs
–
les associations sans affinité avec les TIC
6.7.a)
Les associations liées au logiciel libre.
La convivance entre le mouvement du logiciel libre et celui des CC n'est pas toujours
des plus facile (cf. supra 5.5. Certains promoteurs français du logiciel libre défendent
la GNU Free Documentation License61 (équivalent de la licence By-SA), qui s'inscrit
dans la parfaite continuité de la GPL et vivent les autres licences Creative Commons
comme une « trahison » de l'esprit du libre, en particulier du fait de la restriction
possible « non commerciale ».
Cependant, de nombreuses associations liées au logiciel libre, ou plus généralement
au mouvement du FLOSS (Free / Libre / Open Source Software) ont arbitré en faveur
d'un soutien aux Creative Commons, jugeant de la convergence de fond autour d'un
même projet de société et ont placé leurs sites en Creative commons. On citera à titre
d'exemples :
–
le site anglo-saxon Pinguinday.org62 qui cherche à promouvoir les logiciels libres et
open source pour le secteur à but non lucratif.
–
NOSI – Non profit open source initiative63 qui mène une démarche équivalente.
–
Freegeek64 qui est une association basée à Portland (États-Unis) qui recycle du
vieux matériel au bénéfice d'associations et les ré-équipe entièrement en OS et
logiciels libres.
On notera pour ces 3 exemples le choix de la licence « attribution, partage des
conditions initiales à l'identique» qui est la plus proche de la licence GPL.
En France, les associations du monde du logiciel libre ont adopté des attitudes
variables :
61
62
63
64
65
•
Le site d'APRIL65 (association pour la promotion et la recherche en informatique
libre) comporte la mention suivante « Sauf mention contraire indiquée plus haut, le
présent document est soumis aux conditions d'exploitation suivantes : copyright
2005 APRIL. Ce document peut être reproduit par n'importe quel moyen que ce
soit, pourvu qu'aucune modification ne soit effectuée et que cette notice soit
préservée»
•
l'Adullact – Association des Développeurs et des Utilisateurs de Logiciels Libres
http://www.gnu.org/copyleft/fdl.html
http://www.penguinday.org/
http://www.nosi.net/
http://www.freegeek.org/
http://www.april.org/
39/54
pour les Administrations et les Collectivités Territoriales ne précise pas sur son site
le statut de ses contenus, laissant entendre que le droit d'auteur s'applique.
•
L'AFUL – Association francophone des utilisateurs de Linux et des logiciels libres a
choisi de placer son site en CC By-SA tout comme le site très fréquenté Framasoft.
•
Il en va de même pour la branche française de la FFII66 (Association pour une
infrastructure de l’information libre) engagée dans la lutte contre les brevets
logiciels
•
Coagul67, Association Générale des Utilisateurs de logiciels libres en Côte-d’Or est
également en CC.
6.7.b) Les associations « technosensibles »
Par associations « technosensibles », nous entendons des structures qui traitent/
promeuvent/ interrogent/ critiquent/ contestent/ fabriquent la société de l'information.
En tout état de cause qui se sentent partie prenante de la manière dont cette société
informationnelle s'élabore.
En France la première présentation de la licence Creative Commons auprès du
monde associatif « technosensible » s'est tenue à paris en Octobre 2003, dans le
cadre d'une rencontre sur les enjeux de propriété intellectuelle et le SMSI, organisée
par le réseau I3C – internet créatif, coopératif et citoyen68. À l'époque la version
française des licences n'étaient pas encore disponibles ce qui n'a pas empêché un
certain nombre d'associations de placer empiriquement leur site sous contrat Creative
Commons américain.
Depuis, plusieurs associations technosensibles ont fait le choix des Creative
Commons. En prenant appui sur le wiki69 de repérage de sites francophones sous
Creative Commons effectué à l'initiative de Michel Briand, adjoint au maire de la ville
de Brest, on citera notamment :
66
67
68
69
70
71
72
73
74
•
Medias-cité70 : Centre de ressources sur les cultures numériques. L’espace de
travail commun outils numériques et pratiques artistiques, présenté sous la forme
d’un wiki participatif avec un fil d’info RSS.
•
Creatif71 : Accès public et appropriation citoyenne des technologies de l’information.
•
Ecrit Public72 : Un réseau francophone des initiatives autour de la publication
ouverte sur internet.
•
Internet actu73 : Publié par la Fing et l’Inist/Cnrs, InternetActu.net est un site
d’actualité consacré aux enjeux de l’internet, aux usages innovants qu’il permet et
aux recherches qui en découlent.
•
Vecam74 : Association qui veut donner aux citoyens les moyens de faciliter le
http://www.ffii.fr/
http://www.coagul.org/
http://www.i3c-asso.org/article.php3?id_article=384
http://www.sites-cc.infini.fr/index.php/Accueil
http://www.medias-cite.org/
http://www.medias-cite.org/
http://www.ecrit-public.net
http://www.internetactu.net
http://www.vecam.org/ et http://www.espacemetis.org
40/54
décryptage politique de la société de l'information et promouvoir l'appropriation
sociale des TIC.
•
Droits d'auteur75 : un site réalisé par 9 associations représentant plus de 15 000
archivistes, bibliothécaires et documentalistes pour que la loi garantisse un juste
équilibre entre - les droits légitimes des auteurs et producteurs - l’intérêt public et
les droits des usagers.
Hors de France, peu des grosses ONG travaillant autour de la dissémination des TIC,
de leur appropriation sociale, ont adopté les licences Crative Commons. Ainsi :
•
l'APC76 – Association for Progressive Communication, ONG anglosaxonne,
historique dans le monde des TIC (95) a choisi la GNU FDL.
•
Au Québec, l'Espace associatif77 se veut un point de rencontre et d’échanges pour
tous les groupes communautaires du Québec et de la Francophonie intéressés à
partager leurs expériences en matière de technologies de l’information et de la
communication. Leur site est sous Creative Commons.
•
En Amérique Latine, nombreuses sont les ONG actives dans le domaine des TIC :
RITS, réseau pour l'information du tiers secteur (Brésil) ; Accesso (Costa Rica) ;
Funredes (Saint Domingue) ; ALAI, agence latino-américaine d'information (basée
en Équateur) ; Somostelecentros, réseau des points d'accès publics en Amérique
Latine... Aucune d'entre elles n'a à notre connaissance adopté les licences Creative
Commons.
•
En Asie, « bytes for all », issue du sous-continent indien, et qui représente la
communauté la plus active en faveur d'une dissémination égalitaire des TIC n'est
pas en Creative Commons, alors même qu'il défendent activement le logiciel libre
et que ses fondateurs sont sensibles au mouvement de la Creative Commons.
Cette absence d'engagement concret s'explique par la difficulté générale à changer
de système, mais aussi parce que nombre de ces associations estiment que leurs
productions sont « libres ».
6.7.c)
Les médias-activistes et les médias coopératifs
Ces médias sont plus perméables à la problématique du copyleft. Ceci s'explique
aisément par leur positionnement plus politique dans la société de l'information.
Contestant l'appropriation de la représentation du monde par une concentration de
medias liés aux grands intérêts économiques, militaires et politiques, ils se veulent les
promoteurs d'une libération de l'information.
Parmi les médias coopératifs alternatifs qui ont choisi un régime copyleft ou similaire :
•
75
76
77
78
Indymedia78, acteur historique des médias autoproduits et contestataires, affiche
sur son site un copyleft personnalisé : « Les informations sont librement copiables
et diffusables et, sauf indication contraire, la propriété de leur auteur ; et non
diffusables à des fins commerciales, capitalistes, racistes ou fascistes. Pour toute
copie et diffusion, l'auteur (si auteur il y a) doit être précisé. »
http://droitauteur.levillage.org/spip
http://www.apc.org/
http://espace-associatif.org
Indymedia international : http://www.indymedia.org/en/index.shtml
http://paris.indymedia.org/
et
Indymedia
paris
:
41/54
•
Samizdat en France affiche une page79 entière de son site dédiée aux questions du
copyright/copyleft et autorise une diversité de régimes à l'intérieur de son site. A
noter que parmi les régimes proposés, la CC n'est pas citée.
•
Rekombinant/media-activism80 qui promeut une « strategie per la comunicazione
indipendente e il dominio pubblico dei media » basée en Italie est en Copyleft non
commercial.
•
Monbled.tv81 : Une web-tv locale sur le pays de Saint-Brieuc, avec une émission de
quelques minutes diffusée tous les jours à 18h18 et le samedi l'émission "Ca s'est
passé près de chez vous" ainsi qu'une rubrique "Archives » pour consulter les
émissions.
•
Gironde TV82 : WeB TV à Bordeaux sous forme associative qui se présente comme
un Média Libre alternatif et dégagé. Les émissions en streaming Windows Media
(*.wmv) et en téléchargement.
6.7.d) Le monde associatif qui travaille en dehors du champs des TIC
Cette partie majoritaire du monde associatif reste pour l'instant étranger à la
problématique du régime des contenus de leurs sites, quel que soit leur domaine
d'action (environnement, coopération internationale, aide aux plus démunis...). A titre
d'exemple, en France, ni La ligue de l'enseignement, pilier de l'éducation populaire
depuis la fin du 19ème siècle, ni ATTAC, qui se revendique comme le nouveau
mouvement de l'éducation populaire n'ont adopté un régime CC ou proche. Si dans le
cas de La Ligue ceci est cohérent puisque leur site est encore statique, cela est plus
surprenant pour le site contributif et engagé d'Attac.
Au final, la progression de la Creative commons ou équivalents dans le monde non
marchand et non public est lié à trois facteurs :
79
80
81
82
83
84
✔
La progression des sites contributifs (CMS) : en France on doit certainement au
logiciel Spip83 la prise de contact entre le monde associatif non technophile et les
sites contributifs en CC. Certains vont jusqu'à systématiser le mariage entre SPIP
et Creative commons en proposant aux contributeurs de choisir leur régime de
droits, choix binaire entre Creative Commons (généralement 2.0) et droit d'auteur
classique (ex : les sites www.a-brest.net ou www.vecam.org) ou en imposant aux
auteurs une publication en CC dans leur site.
✔
La progression du logiciel libre : à la différence de l'open source, le logiciel libre est
profondément politique, et sa dissémination entraîne une prise de conscience plus
globale sur la relation entre pouvoir, économie et information. On constate que la
quasi totalité des sites en régime Creative Commons ou sous d'autres licences
liées au copyleft sont développés en logiciel libres.
✔
Plus globalement, la prise de conscience de la centralité sociétale des questions
d'accès aux savoirs et de propriété intellectuelle.84 Progressivement les acteurs
http://infos.samizdat.net/article82.html
http://www.rekombinant.org/media-activism/
http://www.monbled.tv/
http://www.girondeweb.com
http://www.spip.net/
La tenue à Paris le 1er avril 2005 d'une rencontre autour des enjeux de développement et de propriété
intellectuelle dans laquelle se mêlaient associations de malades, de paysans, de chercheurs... est un
indicateur de cette prise de conscience.
42/54
associatifs s'emparent de cette problématique et font le lien avec les questions
spécifiques de leur champ d'action (ex : lutte contre le sida et promotion des
médicaments génériques, protection des savoirs traditionnels, droits des
paysans...)
6.8. Cartographie coopérative
Les fonds cartographiques font également l'objet d'un affrontement à l'heure où se
multiplie dans les politiques publiques l'usage des SIG (systèmes d'information
cartographiques). Nouveaux outils de pilotage essentiels des politiques publiques,
notamment pour les collectivités territoriales, elles reposent sur l'acquisition parfois
extrêmement coûteuse de fonds cartographiques.
En effet, alors qu'aux États-Unis les données cartographiques collectées par les
pouvoirs publics fédéraux sont automatiquement dans le domaine public et libres de
droits autres que d'éventuels coûts de reproduction, en Europe, les géo-données
collectées par les institutions étatiques doivent être rendues disponibles à un prix qui
ne doit pas dépasser « le coût de collecte, de production, de reproduction, et de
dissémination, ainsi qu'un retour sur investissement raisonnable ». Autant dire que la
marge d'appréciation est large.
En France, l'IGN détient le monopole sur les fonds cartographiques et pratique des
tarifs inaccessibles pour des acteurs non institutionnels. La situation est encore plus
complexes dans les pays autrefois colonisés dont le fond cartographique a été établi
par les anciennes puissances coloniales et ne sont pas toujours mis à jour. Dès lors
les acteurs publics locaux ne disposent plus des outils les plus élémentaires de
l'aménagement du territoire et ne sont a fortiori pas en mesure de les diffuser à leurs
populations. Un simple regard au site de l'IGN témoigne du rôle que celui-ci joue
encore dans les pays d'Afrique francophone85.
Face à cela plusieurs initiatives visent à «rendre au public» l'espace public, ou du
moins sa représentation cartographique numérique.
On distinguera des initiatives encore rares, qui se réfèrent explicitement à la CC, de
celles qui instaurent des régimes d'inspiration métissée entre logiciel libre et Creative
Commons. Toutes s'appuient sur une infrastructure logicielle libre. Dans tous les cas,
il s'agit d'une coproduction avérée de connaissances par les usagers.
Concrètement ces derniers constituent eux mêmes les fonds cartographiques en
déposant des « traces », une série de points sur un serveur par le biais d'un GSM.
Tout individu peut en se promenant télécharger vers le serveur les points
correspondants à son parcours puis les documenter : histoire d'un monument, niveau
d'eau d'un puit, qualité d'une route dans une zone isolée, photographies
correspondantes... Le résultat ainsi produit reflète la réalité des usages et des besoins
en connaissances cartographiques des producteurs de l'information.
On citera les exemples suivants :
•
En Grande-Bretagne, différents acteurs convergent dans un mouvement intulé
« Open Street Map Licence86 » qui se réfère explicitement à la CC 2.087
85 http://www.ign.fr/affiche_rubrique.asp?rbr_id=1013&lng_id=FR
86 http://www.openstreetmap.org/wiki/index.php/Main_Page
87 http://www.openstreetmap.org/wiki/index.php/OpenStreetMapLicense
43/54
•
Ainsi, la « carte libre de Londres88 », l'un des projets impliqués dans le Open Street
Map Licence » revendique clairement le partage comme valeur fondatrice : « Give
Everything Away » est son slogan. Les utilisateurs sont autorisés à reprendre le
logiciel qui est en GPL mais aussi les fonds cartographiques générés et les
documentations attachées.
•
En Inde, la « carte libre de Mumbay89 » est portée par un collectif CRIT90
comprenant des architectes, artistes, étudiants, urbanistes, anthropologues...
agissant en partenariat avec des développeurs d'outils cartographiques (GIS) en
logiciel libre. L'ensemble des contenus est déclaré copyleft.
•
En France, « un point c'est tout » (UPCT91) est une initiative associative, portée à
l'origine par un instituteur, qui séduit les acteurs africains francophones mais peine
à trouver une communauté à même de nourrir son fonds cartographique de façon
substantielle.
Usages artistiques et créatifs, usages scientifiques, usages associatifs, usages
cartographiques : à l'issu de ce panorama dans lequel les industries culturelles et de
communication sont pour l'instant peu ou pas concernées, nous nous penchons sur
les limites actuelles des Creative Commons qui sont autant d'obstacles à lever pour
envisager leur utilisation par des acteurs économiques majeurs.
7. Limites et opportunités résultant des besoins
identifiables
7.1. Discrétisation dans les 3 dimensions : temps, espace, types d'usage
Comme expliqué dans les schémas de la section 5, une grande part de l'intérêt des
licences Creative Commons réside dans leur capacité à servir de support pour des
processus de production et leur adaptation à des modes d'exploitations mixte entre le
numérique en réseau et les autres modes d'exploitation : support physique,
événementiels, médias, services. C'est aussi sur ces plans que l'on peut identifier des
limites de la définition actuelle des licences, ainsi que des opportunités de services
pour assurer la réalisation de leur potentiel ou dépasser leurs limites. Jusqu'à quels
points faut-il distinguer entre différents cycles de vie dans le temps, différentes
localisations de production ou d'usage, différents types d'usage ? Comment mettre en
oeuvre pratiquement ces distinctions si elles sont effectuées ?
7.1.a) Discrétisation temporelle
Les divers médias et types de contenus à l'intérieur d'un média se caractérisent par
des cycles de vie très différents pour leur exploitation, différences qui sont parfois
dues à la nature même de leur contenu (ex : information d'actualité) et parfois
artificiellement organisées pour les besoins d'un modèle commercial particulier (ex :
chronologie des médias pour les documents cinématographiques de fiction). Les
licences Creative Commons offrent-elles suffisamment de souplesse et de précision
pour s'adapter à ces situations ?
88
89
90
91
http://uo.space.frot.org/?node=LondonFreeMap
http://freemap.crit.org.in/
http://crit.org.in/projects/gis
http://upct.org
44/54
Un premier point doit être clarifié : toute forme d'exploitation qui repose sur une
disponibilité pendant une période limitée sans droit d'usage irrévocable est contraire à
l'esprit même des Creative Commons, puisqu'il n'y a pas création de bien commun
(fut-il limité à certains usages) : aucun usager ne pourra investir dans la création ou
même la diffusion de l'oeuvre ainsi rendue disponible temporairement. L'exemple
typique est celui de la pratique actuelle de journaux de laisser en libre accès leurs
articles pendant quelques jours avant d'en rendre ensuite la consultation payante.
Cette pratique contraint sévèrement les usagers même en ce qui concerne la simple
mise en place de liens vers ces contenus, puisque ces liens deviennent nonopérationnels très rapidement. Pour des raisons profondes, la discrétisation basée sur
les Créative Commons ne peut exister que dans le sens d'une liberté croissante avec
le temps. Cela ne veut pas dire bien sûr que les modèles commerciaux associés à la
liberté provisoire d'accès soient absurdes, mais ils relèvent de la sphère hors CC.
Prenons maintenant le cas d'un ouvrage diffusé d'abord sur support physique en
mode « tous droits réservés » puis après un certain temps sous une licence Creative
Commons. C'est par exemple le cas de l'ouvrage « Cause commune » aux Editions
Fayard rédigé par l'auteur de ce rapport, qui est diffusé sous licence By-NC-ND 6
mois après parution papier92. En soi, l'application de ce modèle ne suppose pas de
créer une licence Creative Commons spécifique, puisqu'il suffit de n'appliquer la
licence qu'au moment de la diffusion sous cette licence. Cependant, il pourrait être
intéressant pour certains contenus de faire savoir à l'avance aux usagers qu'ils auront
les droits d'accès et d'usage à un certain moment. Une forme particulière de ce type
d'application est mise en oeuvre par le contrat « Founder's Copyright » de Creative
Commons qui consiste à vendre les droits patrimoniaux à CC qui s'engage à les
placer dans le domaine public à l'issue d'une période de 14 ans ou 28 ans une
oeuvre. La durée de 14 ans a été choisie en référence à la durée originelle du
copyrigth dans le Copyright Act de la Reine Anne. Comme à l'issue de cette période la
licence choisie est la « dédication au domaine public », cette approche est difficile à
mettre en oeuvre dans les pays reconnaissant des droits moraux autres que la
paternité.
Des exemples typiques pourraient concerner :
•
Un modèle commercial inversé pour ceux des médias en ligne qui ne dépendent
pas de façon critique de l'économie de traîne et qui offrent un contenu à haute
valeur ajoutée instantanée (exemple : presse économique et financière) : ce
modèle reposerait sur l'accès payant pendant une période donnée suivi du
passage en Creative Commons.
•
Un modèle modifié pour les radios publiques : au lieu de disparaître après un
certain délai, les émissions passeraient sous une licence autorisant leur archivage
(Cf. BBC).
Ces deux modèles créeraient bien sûr un besoin important d'intermédiaires
d'indexation et validation (vérification au moment de l'insertion d'une référence dans
les serveurs d'indexation).
Des modèles similaires pourraient être développés dans le cas de télévisions
organisant l'auto-production de contenus comme la chaîne cablée CurrentTV créée
92 NB: on peut sérieusement douter de l'intérêt de ce délai, car il est très probable qu'une diffusion
immédiate favoriserait en réalité la vente de l'ouvrage papier.
45/54
par Al Gore et Joel Hyatt93, mais la compatibilité entre une approche de discrétisation
temporelle allant vers une liberté d'accès croissante et le financement publicitaire
paraît très douteuse.
Enfin, une autre forme de discrétisation temporelle peut être envisagée qui ferait jouer
différentes licences Creative Commons en succession, par exemple :
•
Passage au bout d'un certain temps d'une licence « Pas d'utilisation commerciale »
à une licence les autorisant
•
Passage au bout d'un certain temps d'un licence « Pas de modifications » à une
licence les autorisant.
Le caractère modulaire des licences rendrait très simple de constituer une licence
composite à cet effet.
L'intérêt de ce type d'approche serait qu'il permettrait d'organiser une sorte de
chronologie des médias interne aux Creative Commons. Lawrence Lessig a appliqué
une approche de ce type à son livre Code and other laws of Cyberspace : il l'a placé
dès l'abord sous une licence autorisant les modifications, mais ce n'est qu'au bout de
plusieurs années après la parution qu'il a organisé un processus explicite de révision
collective94.
7.1.b) Discrétisation spatiale
Peut-on donner des droits d'usage différents selon la localisation ? A priori, cette idée
heurte l'universalité qui préside aux biens communs informationnels. Il n'est donc pas
étonnant que la publication d'une licence spéciale pour les pays en développement ait
entraîné des polémiques. Cette licence permet d'autoriser des usages libres dans les
pays classés comme à bas revenu tout en les excluant pour les pays à hauts et
moyens revenus. Elle a été fortement critiquée de plusieurs point de vue :
•
En raison de la discrimination à l'égard de catégories d'usagers (plutôt que
d'usages), à laquelle une partie des communautés informationnelles se refuse,
craignant qu'elle n'aboutisse à des dispositions semblables à celles concernant les
biens communs physiques (exclusion des étrangers à une communauté particulière
des droits d'usage de ce qu'elle produit) alors qu'elles ne sont pas justifiées pour
l'information.
•
En raison de la fragilité de la discrétisation introduite, malgré les efforts des
rédacteurs pour la renforcer. On peut craindre que des sociétés de pays
développés ne créent une filiale ou passent des accords de partenariat avec une
société du pays en développement et ne contournent les dispositions de la licence
concernant la non-réexportation, qui sont en pratiques difficiles à exécuter pour
bénéficier des droits d'usage.
Cependant, la plupart de ces difficultés sont dues au fait que la discrétisation « pays
en développement » n'est pas une discrétisation spatiale authentique, ni dans sa
motivation, ni dans son énoncé. Une licence qui se contenterait de « localiser » les
droits d'usage par exemple en affirmant que l'usage de tel document est libre de tel
ou tel point de vue dans un rayon de n km autour d'un point ne souffrirait pas des
93 http://www.usatoday.com/life/people/2005-04-05-gore-tv-channel_x.htm
http://biz.yahoo.com/prnews/050404/lam070.html?.v=5
94 Projet CODE 2, http://codebook.jot.com/WikiHome
et
46/54
mêmes défauts. Mais est-il pertinent de rechercher des services liés à la localisation
de l'information par le biais de la discrétisation des droits. L'auteur de ce rapport en
doute fortement. La potentialité de délivrer des services à valeur ajoutée liée à la
localisation, par exemple des services qui ajoutent de l'information sur la base de la
proximité entre le lieu de consultation et le lieu de production de contenus géoréférencés est infiniment plus prometteuse. Elle contribue notamment à la production
coopérative d'information géographique enrichie (cf. section 6.7)
7.1.c)
Discrétisation par types d'usages et d'acteurs
La principale distinction qui est présente depuis l'origine dans les licences Creative
Commons est celle qui porte sur les types d'usages. Le choix stratégique est de
distinguer entre types d'usages et non entre types d'acteurs (c'est à dire par exemple
qu'une licence « Pas d'Utilisation Commerciale » ne prohibe pas l'usage par une
société commerciale mais l'usage commercial, même s'il émane d'un acteur à but non
lucratif).
Assez rapidement, des difficultés sont apparues qui poussent à une discrétisation
plus détaillée que l'autorisation ou non des utilisations commerciales ou des
modifications (oeuvres dérivées) :
•
En ce qui concerne l'adaptation aux médias ou aux types d'oeuvres, des pratiques
comme le remix (audio, mais maintenant aussi vidéo dans des travaux comme
ceux de Paul Miller aka DJ Spooky95, par exemple) nécessitent des délimitations
particulières.
•
En ce qui concerne la distinction entre usage commercial et non-commercial,
certains cas, comme la publication sur support numérique (DVD) de collections
d'oeuvres en accès libre, sont mal traités. En général ce type de diffusion est
souhaité par les auteurs choisissant une licence « Pas d'utilisation commerciale »,
alors qu'il est prohibé par la licence si l'intention ou la réalité d'un profit existe pour
l'éditeur. Cela n'est pas logique puisque la distribution numérique de l'oeuvre à
travers un réseau opéré par un opérateur qui recherche le profit n'est quant à elle
pas prohibée.
La licence Sampling a apporté des pistes de solution pour ces deux problèmes :
•
En définissant des classes de modification adaptées au remix : la définition des
usages permis en la matière manifeste une excellente compréhension des
pratiques artistiques, puisqu'elle couvre élégamment à la fois les extraits courts et
les recombinaisons de longue durée.
•
En interdisant l'usage publicitaire, sauf pour la publicité de l'oeuvre dérivée produite
par le bénéficiaire de la licence.
On peut prévoir un développement de cette forme de discrétisation, ce qui ouvre
diverses opportunités de services :
•
Comme pour toutes les licences Creative Commons, en ce qui concerne le
monitoring des usages exclus par la licence (pour lesquels on se retrouve dans la
situation générale de la gestion de droits).
95 Voir son remix de Birth of a Nation de Griffith présenté dans un spectacle-performance au Théâtre du
Chatelet le 25 novembre 2004, et plus généralement son livre « Rhythm Science ».
47/54
•
Mais surtout pour le suivi des trajectoires d'oeuvres dérivées, le retour d'information
aux contributeurs, les outils techniques incorporant des audit trails à cette fin, et le
soutien à la formation des communautés de créateurs. Voir les sections 7.4 et 7.5
sur ces points.
7.2. Liens avec les sociétés de gestion collective
L'incompatibilité actuelle entre certains mécanismes de gestion collective et les
licences Creative Commons constitue à l'heure actuelle un frein essentiel au
développement de leur usage, notamment pour certains médias comme la musique.
En effet les compositeurs ou auteurs de paroles sont contraints de choisir
globalement entre un régime type CC et l'adhésion à la SACEM et doivent alors (art. 2
des statuts) lui apporter
à titre exclusif et pour tous pays, le droit d'autoriser ou d'interdire la reproduction mécanique de
leurs oeuvres telles que définies à l'article 1er ci-dessus, par tous moyens connus ou à
découvrir, sous réserve du droit de chaque Membre de la société de retirer l'apport visé au
présent article, à l'expiration de chaque période de dix ans, à partir de la date d'adhésion aux
présents Statuts avec préavis d'un an
Cette contrainte impose une décision très coûteuse aux auteurs qui ne peuvent
choisir d'expérimenter une diffusion en Creative Commons ou sous une autre licence
à accès libre sans abandonner complètement le système de gestion collective. Bien
que sa position soit intenable au fond, il n'est pas certain que la SACEM évolue
rapidement en proposant une solution adaptée (possibilité pour l'auteur d'opter pour
une gestion sous licence Creative Commons pour certains titres par exemple, ou
d'exclure de la gestion collective certains titres) car c'est l'ensemble de son appareil
de collecte systématique et indiscriminé qui serait mis en cause.
Les sociétés représentants les interprètes comme l'ADAMI et la SPEDIDAM sont en
théorie plus ouvertes au principe de l'accès libre (du fait qu'elles sont largement
financées par des redevances ne supposant pas un contrôle fin des usages
individuels), mais si elles ne semblent pas avoir traduit cette ouverture dans leur
activité de gestion de droits proprement dite, mais plutôt dans leur activité dérivée de
soutien à la création.
En conclusion sur ce point, il pourrait être intéressant de tester les réactions à une
proposition supprimant l'incompatibilité entre les licences Creative Commons et la
gestion collective de droits pour les usages non couverts par la licence. L'idée est
qu'en particulier pour la situation d'usage décrite dans l'illustration 3 de la page 16, les
usages autorisés par la licence Creative Commons NC seraient sortis du cadre de la
gestion collective, alors que les usages non autorisés par la licence continueraient à
en relever.
7.3. Recherche et promotion de contenus
Le premier niveau de recherche de contenus est celui de simples catalogues comme
celui de Common Content96 ou celui du site @Brest97. Malgré des mécanismes de
soumission et édition coopérative, ces catalogues peinent à suivre l'expansion de
l'usage. D'où l'importance des moteurs de recherche automatisés.
Deux principaux systèmes de recherche de contenus informationnels existent à
96 http://www.commoncontent.org/
97 http://www.a-brest.net/article1101.html
48/54
l'heure actuelle : les outils de recherche disponibles sur le site de l'organisation CC
elle-même et le moteur de recherche spécialisé mis en place par Yahoo!98. Les outils
de recherche propres à CC doivent plutôt être considérés comme relevant de la
promotion de la démarche de diffusion à accès-libre ou de l'illustration de l'utilité des
licences. La recherche de contenus sous licence Creative Commons, par exemple en
utilisant le moteur de recherche spécialisé de Yahoo!, reste aujourd'hui assez
inefficace (les auteurs de ce rapport en ont fait l'expérience). Cette inefficacité tient
aux facteurs suivants :
•
Bien que les licences aient été conçues pour être automatiquement manipulables
par les moteurs de recherche ou les autres systèmes d'accès sur le Web, peu
d'usagers incluent à l'heure actuelle les champs de métadonnées correspondants
dans les documents eux-mêmes ce qui limite la performance des systèmes de
recherche. L'intégration progressive de l'insertion automatique des informations de
licence dans les logiciels de production de contenus est susceptible de modifier
significativement cette situation (cf section 7.5).
•
Dans beaucoup de cas l'usager est intéressé à trouver non pas un document mais
un ensemble de documents parmi lesquels il choisira ensuite, en fonction de
l'avancement de sa propre activité de réutilisation créatrice (par exemple), celui ou
ceux qu'il va utiliser en tout ou partie. Ce modèle est différent de la situation de
référence présidant à la conception des moteurs de recherche.
En réaction à cette situation, certains acteurs comme par exemple Tariq Krim99 ont
proposé de construire des intermédiaires d'un type nouveau qui soient des portails de
publication de méta-données sur les documents du domaine public et ceux sous
Creative Commons. Ces acteurs assureraient une sorte de certification minimale du
fait que les documents soient effectivement sous les régimes de droits annoncés, et
fourniraient des outils de recherche performants, liés notamment à la possibilité pour
les auteurs de contribuer aux métadonnées, ou pour les lecteurs de les enrichir par le
biais de la folksnomy. L'idée de tels portails paraît bien répondre à la situation qui fait
que l'auteur ou créateur d'un contenu Creative Commons souhaite promouvoir ce
contenu, assurer qu'il touche un public le plus large possible, et qu'il est donc
potentiellement prêt à un certain investissement pour y parvenir. Le modèle
commercial de ces portails reste à explorer, mais différentes pistes existent :
•
Dans la lignée de la PloS, on peut imaginer un modèle de publication avec
paiement par les auteurs. Cependant, ce modèle n'est crédible que si le portail
assure effectivement une réputation (fournie dans le cas de la PloS par la
réputation des titres et la sélection scientifiques) et/ou une promotion dont le degré
d'efficacité dépasse largement celui des mécanismes traditionnels d'autopublication.
•
Un financement publicitaire est peu crédible, car il serait vécu comme un
parasitage contraire à l'esprit même des Creative Commons, même -ou surtout- si
la publicité porte sur des contenus eux-mêmes sous Creative Commons
•
On peut imaginer un modèle fondé sur la vente d'analyses de tendances à l'édition,
qui présenterait un double avantage d'absence de coût d'entrée pour les
contributeurs et de viser des acteurs plus solvables. Mais ce modèle soulève
différentes difficultés concernant la protection des données et risque de ne
98 http://www.yahoo.com/creativecommons/
99 generationmp3.com, à travers son projet de Réseau national d'échanges.
49/54
fonctionner que dans des cas où l'édition est assez concentrée, situation que les
Creative Commons ont en partie pour but de combattre.
•
Enfin on peut s'inspirer du système des radios associatives qui bénéficient d'une
partie des recettes dites « irrépartissables » des sociétés de collecte et de
prélèvements spécifiques sur les recettes des médias commerciaux.
7.4. Audit trail des modifications, retours d'information aux contributeurs
L'autoproducteur de contenu sous licence Creative Commons (qu'il s'agisse d'un
individu, d'un collectif ou d'une organisation) souhaite bien sûr promouvoir ses
contenus, tout comme il a besoin de trouver des contenus réutilisables dans sa propre
production. Mais ces « besoins » ne s'arrêtent pas là.
Pour prendre la mesure d'autres types de services qui pourraient se développer en
synergie avec les pratiques d'auto-production, il faut se plonger dans les motivations
et le système de valeurs des auto-producteurs. De façon informelle, ceux-ci utilisent
aujourd'hui toutes sortes de moyens artisanaux pour tenter de mesurer l'audience et
plus encore l'influence ou la réutilisation de leurs productions. Cette connaissance doit
être considérée dans de nombreux cas comme l'équivalent de la rémunération dans
un contexte de biens commerciaux (et est combinable avec celle-ci).
Lorsqu'on se trouve dans le cas d'oeuvres – nous employons ici ce terme dans le
sens le plus général - en élaboration permanente, d'oeuvres de réseaux, ou encore
d'oeuvres construites les unes à partir des autres ou en synergie, une nécessité
spécifique apparaît : il faut pouvoir suivre en détail qui a contribué à quoi, à quel
moment, et quel est l'intérêt suscité.
Lorsque la production s'effectue au sein d'une communauté utilisant le même
système auteur (outils techniques pour la création des contenus) c'est celui-ci qui peut
maintenir la trace des séquences de contribution et réutilisation, mais dans le cas
général d'objet accessibles sur le Web, un service spécifique devient nécessaire. A
l'heure actuelle, seuls les moteurs de recherche fournissent une approximation de ce
service, de façon peu efficace (restreinte en pratique aux documents textuels ou à
des indicateurs fondés sur les seuls liens et noms de fichiers, à l'exception de Google
Vidéo qui utilise les sous-titres). Le développement d'un service d'information
fournissant à leurs créateurs un retour sur les usages et réutilisations serait
particulièrement intéressant dans les cas suivants :
•
Lorsque le producteur gère une collection importante de documents, par exemple
dans le cas de la valorisation d'un fonds d'archives ou d'une production
institutionnelle.
•
Lorsqu'une synergie peut être établie avec une activité de promotion ou gestion
commerciale, notamment dans le cas de contenus diffusés sous licence Pas
d'utilisation commerciale.
•
Pour l'animation de communautés de créateurs en réseaux. Le modèle commercial
de ce dernier type de service est moins évident, mais il en existe néanmoins des
expérimentations dans le secteur des jeux par exemple.
On notera que le développement de ces services suppose l'utilisation de techniques
innovantes, notamment en ce qui concerne la détection des usages et réutilisations
pour les médias visuels et sonores. Ces techniques (comme par exemple les
50/54
techniques d'extraction de signatures visuelles ou auditives spécifiques d'un
document, l'extraction de scènes et d'objets) sont assez mûres en laboratoire, mais
leur usage est pour l'instant restreint aux systèmes de gestion numériques (voir divers
projets européens comme RAA pour la musique ou des projets concernant le
monitoring automatique des diffusions de documents audiovisuels).
Un point qui mériterait une étude plus poussée est celui de savoir à quel degré les
systèmes d'information sur les usages souffrent du syndrome de rendements
décroissants, qui frappent l'utilisation de techniques similaires dans le cas des DRMs.
En effet, le rendement du monitoring de diffusion (broadcast ou Web) pour la
perception de droits est très rapidement décroissant avec le nombre de diffusions (le
coût d'une détection est plus ou moins constant, donc il n'est intéressant en pratique
que de suivre la diffusion des « hits » qui donneront perception à des droits
compensant le coût de ce suivi). Il est possible, mais pas certain, que le monitoring
d'usage de documents en accès libre souffre des mêmes défauts : en effet
l'originateur peut attacher une grande importance à la connaissance des usages
même lorsque leur nombre est assez réduit (cf. « the long tail economy »).
7.5. Systèmes auteur intégrant les modèles et pratiques liées aux licences
Un des facteurs expliquant l'usage relativement réduit actuellement des licences
Creative Commons par rapport au partage informel sans licence sur le Web est le
manque d'intégration des choix de licences dans les outils d'édition de contenus. Ce
processus d'inclusion dans les outils auteur est enclenché : voir par exemple le plug-in
dc-CC au logiciel DotClear pour ce qui concerne les blogs :
dcCreativeCommons - dcCC
Dernière version : 0.1 (19 février 2005) Plugin permettant de générer des fichiers externes
xml/rdf de licences Creative Commons pour son blog et/ou pour tout type de créations
personnelles (image, vidéo, audio, texte ...)
http://www.dotclear.net/trac/wiki/DotClear/Plugins
Des intégrations analogues existent pour les outils d'édition Web coopérative
(http://www.spip-contrib.net/Filtre-Licence), les logiciels de galerie Web de photos,
etc. Mais ce niveau d'intégration des licences reste très rudimentaire, et il existe un
potentiel pour le développement d'une intégration connectée à une chaîne de service,
par exemple :
•
Intégration entre choix de licence et soumission de métadonnées aux portails de
promotion ou indexation des contenus Creative Commons. C'est l'approche
proposée par l'outil CC Publisher développé par les CC pour l'audio et la vidéo100.
NB : on peut se demander si le modèle de paiement pour publication de la Public
Library of Science est transposable à cette situation. Il est peu probable que ce soit
le cas sans association avec un service d'hébergement du contenu lui-même et
introduction d'un service de sélection de contenus identifiés comme de qualité et
promus comme tels. Même dans ce cas, le paiement individuel est difficile à obtenir
et résulte en des coûts de gestion importants (dans le cas PloS, le prix unitaire est
élevé - 1500 $ par article – et le plus souvent acquitté par des institutions, ce qui
simplifie ce problème).
•
Intégration dans une chaîne complète de production et ré-utilisation. Cela paraît
être un scénario beaucoup plus intéressant. Les systèmes auteur correspondants
100 http://creativecommons.org/tools/ccpublisher
51/54
doivent prendre garde au respect des clauses de compatibilité entre licences
(notamment pour les licences appliquant l'option Modifications Partage à
l'identique).
7.6. Interface avec la gestion des droits pour les usages non autorisés par les
licences
Il s'agit principalement ici de combiner les modes de diffusion en accès libre sous
licence NC avec le soutien à l'exploitation commerciale des mêmes contenus.
L'intégration entre les chaînes de production / diffusion et l'exploitation commerciale
(notamment pour l'édition sur support physique et pour l'intégration dans des services
commerciaux à valeur ajoutée) est prometteuse. Examinons ses bénéfices et les
problèmes auxquelles elle risque de se heurter, en commençant par les bénéfices:
•
A l'heure actuelle, il existe une déperdition considérable dans les interactions
vertueuses entre diffusion libre et achat de supports ou de services à valeur
ajoutée. Un meilleur suivi des usages libres permettrait de réaliser bien mieux la
valeur potentielle de l'intérêt suscité par la diffusion libre, et faciliterait donc
l'adhésion des acteurs commerciaux.
•
L'interaction entre accès libre à une représentation numérique et ventes de
supports (livres, disques, DVDs) est particulièrement positive pour des contenus qui
ne sont pas des best-sellers. Or ces contenus sont généralement très peu
accessibles chez les détaillants. Les sites de vente en ligne jouent actuellement un
rôle essentiel pour la réalisation de la synergie entre accès libre (à travers les
Creative Commons ou non) et vente de supports. Cette synergie pourrait être
organisée de façon beaucoup plus systématique, couplée à des systèmes
d'impression à la demande.
•
Au delà de la vente de supports qui présente des limites, notamment pour la
musique, l'activité commerciale la plus porteuse qui peut être associée à la
diffusion en accès libre consiste dans des services dérivés. Cette activité est celle
qui organise ce que Michael Goldhaber101 a appelé « l'attention illusoire » des
créateurs pour leur public. La valeur attachée au spectacle vivant (qui est une
forme de service) réside, au delà de la qualité de perception, et de l'expérience du
risque de toute performance en temps réel, dans ce sentiment d'attention en retour
que le créateur donne à son public. L'expression « attention illusoire » est en réalité
trompeuse, car l'attention peut être bien réelle. Cependant, si elle constitue une
véritable opportunités pour les artistes interprètes d'oeuvres musicales en
particulier, elle ne répond pas aux besoins des auteurs compositeurs.
•
Enfin, le monitoring des usages exclus par les licences relève de la gestion de
droits classiques mais peut prendre une importance particulière pour éviter une
dérive de l'accès libre vers une exploitation libre lorsque celle-ci n'est pas permise.
Ce point devrait jouer un rôle important pour tenter de faire évoluer les positions
des sociétés de gestion collective qui ne sont pas par nature mises hors jeu en cas
de développement de l'usage des licences.
Pour réussir à s'imposer, le couplage entre diffusion en accès libre et valorisation
101 Michael H. Goldhaber, The Attention Economy and the Net, First Monday, 1997,
http://www.firstmonday.org/issues/issue2_4/goldhaber/index.html.
Voir également un article en réponse de l'auteur de ce rapport : Philippe Aigrain, « Attention, Media,
Value
and
Economics »,
First
Monday,
1998,
http://www.firstmonday.org/issues/issue2_9/aigrain/index.html
52/54
commerciale dérivée devra surmonter certains écueils possibles :
•
La forme de la valorisation commerciale doit être compatible avec les valeurs
présidant à la diffusion en accès libre pour ne pas être perçue par les usagers de
celles-ci (qui sont aussi les prescripteurs ou les acheteurs des biens et services
commerciaux liés) comme un parasitage.
•
Les mécanismes de suivi permettant la valorisation ne doivent pas être vécus
comme intrusifs du point de vue des données personnelles. Il s'agit de collecter les
usages associés aux oeuvres sans garder trace des utilisateurs.
53/54
Nous remercions l'équipe « Market Intelligence & Stratégy » de Sofrecom pour son
soutien dans cette étude.
SARL Sopinspace
4, passage de la Main d'Or, 75011 Paris
www.sopinspace.com
Tel : 01 55 28 37 60, Fax : 01 55 28 37 69, Portable : 06 85 80 19 31
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