O D É O N THÉÂTRE DE L`EUROPE eines d`amour perdues
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O D É O N THÉÂTRE DE L`EUROPE eines d`amour perdues
O D É O N THÉÂTRE DE L'EUROPE eines d'amour perdues WILLIAM SHAKESPEARE IA O ■ * » O (A < (A Odéon théâtre de l'Europe, direction Lluîs Pasqual, 1 place de l'Odéon 75006 Paris, 44 41 36 36 Rédaction, entretiens et textes réunis par Jean Torrent • Iconographie: Agathe Mélinand • Photographies de l'agence Magnum: René Burri, Henri Cartier-Bresson, Raymond Depardon, Bruce Davidson, Martine Franck, Inge Morath, Wayne Miller, P. Zachmann, Graphisme: Thierry Depagne • Impression: Jourdan Ivry-sur-seine d'am our mise en scene WILLIAM SHAKESPEARE texte français conseiller artistique scénographie lumières costumes son création musicale musique additionnelle coiffeur et perruquier collaboration aux costumes création maquillage staqiaire à la mise en scène V AVEC Gilles Arbona Nathalie Bensard Pierre Berriau Charlotte Clamens Eric Elmosnino Pascal Elso Hervé Falloux Rémi Gibier Réginald Huguenin Claude Lévêque Magali Magne Catherine Morlot Guy Perrot Halim Rahmouni Nathalie Richard Jean-François Sivadier Don Adriano de Armado Maria Longueville Rosaline Puce, page d'Armado Le roi Ferdinand de Navarre Dumaine Courge, rustre Boyet Holopherne, maître d'école Jacquinette, paysanne Catherine Messire Nathaliel, curé Balourd, garde champêtre La Princesse de France Berowne décor réalisé par sculpture peinture réalisation des costumes régie de production régie lumière régie et montage son habilleuses machinistes > coproduction : Odéon-Théâtre de l'Europe • Le Cargo - Centre Dramatique National des Alpes - Grenoble avec le soutien du British Council > Représentations à l'Odéon-Théâtre de l'Europe du 16 mai au 24 juin 1995 Représentations au Cargo de Grenoble du 9 au 21 octobre 1995 électriciens i Le texte de la pièce, dans la traduction de Jean-Michel Déprats, a paru aux Editions Comp'act. > Les hôtesses d'accueil sont habillées par Hanae Mon. i Le bar de l'Odéon-Théâtre de l'Europe et la librairie (Foyer du public) sont ouverts 1 h30 avant le début du spectacle. Télérama LAURENT PELLY France mter JEAN-MICHEL DÉPRATS AGATHE MÊLINAND CHANTAL THOMAS JOËL ADAM LAURENT PELLY JEAN-LOUIS IMBERT ANDRÉ LITOLFF MAURIZIO KAGEL ERIC GAILLARD - perruques : Atelier Marie-Ange DONATE MARCHAND MARIE LUSET BARBARA NICOLIER les ateliers du Cargo-CDNA-Grenoble, et les ateliers de l'Odéon-Théâtre de l'Europe véronique Genet et Frédérique Abillama, Alexandre Diaz, Laure Dufour, Caroline Ginet, Julien Pillet Remerciements à B2M et à Isabelle Donnat-Marchand Nicolas Diaz, Bernard Legoux, Wieslawa Lipska Donate Marchand, Véronique Simon, Pauline Collin, Anne-Emmanuelle Pradier, Véronique Visdominé, Jean-Claude Lloancy, avec les concours des stagiaires du Lycée de la Source (classe DMA) Marc Jacquemond, Michel Pons Pierre-Michel Marié, Jean Garcia Jean-Louis imbert, Dominique Ehret, Julie Cornes, Jean-Philippe François Isaura Cavé, Carmina Muriedas, Christine Rockstedt, Line Rouvier, Laetitia Herbette, Florence Tedeschi Pascal Alforchin, Yannick Camart, Jean-Pierre Collin, Emidio de Miranda, Jaime de Miranda, Christian Delaruelle, Lakdhar Djoulane, Joao dos Santos, Roger Gardrat, Serge Gorrochatégui, Jérémy Hastings, Siegfried July, Alain le Pape, Dominique Louise, Sophie Martignon, Rénald Martin, Daniel Moinereau, Karim Taoui, Christian Thiery, Patrice Tont, Jacques Venturini Djilali Benmennad, Jean-Luc Duhamel, Frédéric Mollet, Céline Pageneau, Florence Salino, LucTramier PEINES D'AMOUR PERDUES Dans sa Navarre éloignée, un roi Ferdinand, et trois de ses seigneurs font vœu de consacrer leurs jours, leurs nuits, leur ardeur juvénile à l'étude. Bannis les jeunes femmes et l'amour, forclos les plaisirs et les danses. «Nécessité nous rendra tous parjures», annonçait pourtant un des gentilhommes en signant le contrat. Et lorsque paraissent en ambassade la Princesse de France et trois dames de sa suite, nécessité n'aurait su revêtir plus séduisante apparence. Dans le secret des coeurs, les vœux sont rompus sans retard. Les jeux du langage et de l'esprit, les mas- Une histoire invraisemblable n'est pas facile à croire. carades et les déguisements commandés Aucune de ses histoires n'est vraisemblable. par Eros tiennent lieu de péripéties et Aucune de ses histoires n'est facile à croire. d'actions dramatiques. Ils sont les tours et Lewis Carroll, Logique sans peine détours d'une parade amoureuse dont les femmes semblent bien être les maîtresses du jeu. Et sans doute Shakespeare s'appliquait-il à tendre le ressort qu'un précepte de Baldassar Castiglione offrait à son invention : « La manière de se comporter dans les propos d'amour dont je veux que ma dame de palais se serve, sera de refuser de croire toujours que celui qui lui parle d'amour l'aime pour autant. » (Le Livre du Courtisan) AU ROYAUME DES MOTS 1 Peines d'amour perdues enferme et ouvre un monde fantastique, un royaume de conventions, un royaume presque de conte de fées où les mots sont rois. C'est un pays protégé où on ne meurt pas et où la poésie s'élève en rempart contre la barbarie d'un ailleurs repoussé, celui de l'âge adulte, celui de la mort. Dans ce pays de Navarre on s'éclaire au langage. Les mots brillent et chauffent des enfants insolents, surexcités, saouls enfin, grisés par les jeux de leurs langues, par les jeux de la langue. Mais si leurs mots sont lumière, ils sont aussi le bouclier des sentiments, un voile, un refuge, un refus, une erreur. Et le vertige du langage rend ces enfants qui jouent terribles, tristes et paradoxalement incapables de communiquer. Il était donc une fois un monde sur un coin du globe, un royaume de cartes où les rois et les reines marchent peut-être la tête en bas. Un monde comme tous les mondes, notre monde. Un refuge et une prison, vain et intensément grave, grotesque et mélancolique, sombre et flamboyant, énigmatique et lumineux et où la parodie de la forme poétique amène à la plus haute célébration des mots. Peines d'amour perdues comme un grand banquet de mots où chacun trouve sa place, où même les rustres raisonneurs parlent poésie et où le sergent sous-chef de son Altesse s'inquiète de la lune, prenant pour modèle Armado qui déroule ses mots valises, qui ouvre ses valises de mots. Rêver Peines d'amour perdues dans un pré fantastique et mouvant de théâtre, rêver le réel amour, rêver de voir l'autre et non de se le cacher. Laurent Pelly - Agathe Mélinand 1 30 Les yeux de ma maîtresse au soleil comparables? Non pas ! Ni l'éclat de ses lèvres au corail. La neige est blanche, alors certes ses seins sont bruns, Les cheveux, des fils d'or ? Les siens sont des fils noirs. POSTULATS J'ai vu des roses incarnates, rouges, blanches, Mais sur ses joues je ne vois point de telles roses, Il est aussi de plus délicieux parfums Que l'haleine qui de ma maîtresse s'exhale. J'aime entendre sa voix, et pourtant je sais bien Que le son de la musique est beaucoup plus doux : Comment s'avance une déesse, je l'ignore, Ma maîtresse en marchant met ses pieds sur le sol. Et je jure pourtant mon amour aussi rare Qu'aucune autre pour qui trichent les métaphores. William Shakespeare, Sonnets Editions Le temps qu'il fait, 1995 (traduction de Henri Thomas) I Entre deux points d'un discours quelconque peut s'étendre n'importe quelle digression. Un résonnement fini (c'est-à-dire passé, dépassé) peut toujours être repris, en tout ou en partie, au cours d'un débat ultérieur. Une controverse peut éclater à tout propos et hors de propos. Lewis Carrol, Dynamique d'un(e) parti-cule PIÈCE DE CŒUR La poésie en tant qu'expression verbale du jeu, toujours répété, de séduction et de dérobades des jeunes gens et des jeunes filles, et consistant en une compétition de virtuosité dans la repartie railleuse est, à coup sûr, aussi primitif en soi que la pure fonction sacrée de la poésie. Johan Huizinga, Homo ludens 1 Puis-je déposer mon coeur à vos pieds. 2 Si vous ne salissez pas le plancher. 1 Mon coeur est propre. 2 C'est ce que nous verrons. 1 Je n'arrive pas à le sortir. 2 Voulez-vous que je vous aide. 1 Si ça ne vous ennuie pas. 2 C'est un plaisir pour moi. Moi non plus je n'arrive pas à le sortir. 1 pleurniche. 2 Je m'en vais procéder à l'extraction. Sinon pourquoi aurais-je un canif. Il n'y en a pas pour longtemps. Travailler et ne pas désespérer. Bon, eh bien le voilà. Mais C'est une brique. Votre coeur C'est une brique. 1 Oui, mais il ne bat que pour vous. Heiner Millier POÉSIE AU TEMPS La Navarre de Peines d'amour perdues a les aspects et les tours insouciants d'un territoire mental, une utopie préservée du fracas et de la violence du monde réel. Au dernier acte, l'irruption de la mort tranche irrémédiablement le fil d'une fantaisie grisée de sa propre alacrité : deux répliques dans la bouche du messager Mercade, et le Temps a surgi soudain, «vorace cormoran» imprimant sa morsure terrible aux chairs d'un monde où l'écoulement du sablier semblait suspendu. L'annonce du décès du père de la Princesse traîne derrière lui le cortège des afflictions et des malheurs du temps. Un écho retentit, où l'on croit reconnaître le grincement de la charrette des pestiférés, le râle des lentes agonies sour la voûte d'un hospice. Lorsque Shakespeare écrit Peines d'amour perdues en 1594, Londres se relève à peine de deux années de peste. Plus de 50.000 victimes dans une cité qui comptait quelque 500.000 habitants au milieu du XVIIème siècle. Durant l'épidémie, on a fermé les théâtres, suspendu les représentations. Le risque de contagion est trop grand. Dans cette vacance, Shakespeare compose l'essentiel de ces sonnets. La poésie pure, les jeux étincelants du langage constituent peut-être un refuge contre les calamités du temps mauvais. Retour à l'écriture dramatique, Shakespeare est tout irradié encore de son application récente. Dans «l'ironique oeuvre juvénile de Shakespeare» (Thomas Mann), la dénonciation railleuse des afféteries d'une poésie pétrarquisante n'a d'égale que la maîtrise parfaite, le bonheur, avec lesquels Will la pastiche. DE PESTE I I Pour accomplir gracieuse vengeance et punir en un jour bien mille offenses, secrètement Amour reprit son arc comme qui pour frapper attend le jour et l'heure. Ma vertu s'en était au coeur retraite, pour faire là, et dans mes yeux, défense, alors que descendit le coup mortel là où soûlait s'émousser toute flèche. Aussi, troublée dès le premier assaut, elle n'eut point vigueur ni temps assez pour pouvoir en ce besoin s'armer, ou bien, vers le sommet haut et ardu, me retirer prudemment du tourment, dont voudrait aujourd'hui, et ne peut, me défendre. Pétrarque, Dal canzoniere Aubier-Flammarion, édition bilingue, 1969 (traduction de Gérard Genot) UN ROI D'ACADÉMIE Le nom d'académie évoque sans détour le souvenir de l'antiquité classique, le jardin d'Akadêmos où enseignait Platon. En redécouvrant la pensée platonicienne, la Renaissance italienne favorise l'éclosion de sociétés savantes. Humanistes, poètes et philosophes se réunissent pour débattre de questions ressortissant aussi bien à la philosophie naturelle que morale. Ainsi Marcile Ficin fonde-t-il dès 1462 une académie à Florence sous la protection de Laurent le Magnifique. Si certains critiques ont voulu débusquer sous le projet d'académie du roi Ferdinand de Navarre un brocard lancé par Shakespeare contre la toute récente Ecole de la nuit fondée à Londres à l'initiative de sir Walter Raleigh, on peut évoquer aussi Henri III de Navarre et son Académie du Palais fondée en 1 574 et succédant à l'Académie de poésie et de musique établie par de Baïf en 1 570 sous la protection de Charles X. Ronsard décrit ainsi la passion qui inclinait Henri III vers un idéal de connaissance universelle: « Il a voulu sçavoir ce que peult la Nature Et de quel pas marchoit la premiere closture Du Ciel qui, tournoyant se ressuit en son cours, Et du Soleil, qui faict le sien tout au rebours. Il a voulu sçavoir des Planettes les dances, Tours, aspects et vertus, demeures et distances : Il a voulu sçavoir les cornes du Croissant, Comme d'un feu bastard il se va remplissant : Second Endymion amoureux de la Lune. Il a voulu sçavoir que c'estoit que Fortune,. Que c'estoit que Destin, et si les actions Des Astres commandoient à nos complexions. Puis, descendant plus bas, sous le second estage Il a cognu du Feu la nature volage, Il a pratiqué l'Air, combien il est subtil, Comme il est nourrissier de ce monde fertil, Comme il est imprimé de formes différentes. Il a cognu la Foudre et ses fléchés errantes D'un grand bruit par le vague, et si le Soleil peint L'arc au ciel en substance ou s'il apparoist feint. Puis il a fait passer son esprit sous les ondes, A cognu de Thetis les abysmes profondes, Et du vieillard Protée a conté les troupeaux : Il a cognu le Flot et le reflot des eaux : Si la lune a crédit sur l'element humide, Ou si l'ame de l'Eau d'elle mesme se guide, Eslançant son esprit des terres à l'entour Pour ne viure en paresse et croupir en séjour. Puis venant sur la terre a visité les villes, Les hommes et leurs meurs et leurs reigles ciuilles Pour sçavoir à son peuple un soleil esclairer, Pour luy lascher la bride ou pour la luy serrer, Cognoissant, par effect, toutes vertus morales. » VALEUR DES CAPRICES CHAQUE MOT, UN BON Parmi les facéties promptes et courtes, qui consistent dans un « mot » bref, celles-là sont fort subtiles qui naissent de l'ambiguïté, bien qu'elles n'incitent pas toujours à rire, car on les loue plutôt pour leur caractère spirituel que parce qu'elles font rire. Voici, par exemple, ce qu'il y a quelques temps notre ami messire Annibal Paleotto a dit à quelqu'un qui lui proposait un maître pour enseigner la grammaire à ses enfants. Cet homme, après avoir fait l'éloge du maître qui était très savant, en vint au salaire et dit qu'il voulait, outre l'argent de ses gages, une chambre garnie pour y habiter et dormir, parce qu'il n'avait point de lit (letto). Alors messire Annibal répondit aussitôt : « Et comment peut-on être savant si l'on n'a pas lu (letto) ?» (...) Il y a encore une autre sorte de bons mots, que nous appelons bischizzi, qui consiste à changer, ajouter ou enlever une lettre ou une syllabe, comme fait celui qui dit : «Tu dois être plus savant dans la langue «latrine» que dans la langue grecque.» Qui sait si les lois propres ou les manières essentielles de la pensée ne sont pas visibles à l'état le plus pur - le plus simple dans les moments - les phases - où semble exister la plus grande liberté (de substitutions, de bonds, de fantaisie, etc.) ? Etats qui seraient analogues aux mouvements des corps célestes sans frottements et aux réactions chimiques dans les hautes températures. Par là serait donné un sens très profond aux caprices d'artistes, et d'enfants. Ces bagatelles auraient leur valeur. Remarque aussi que ces jeux ont une apparence bien connue de gratuité, de réversibilité, de facilité et demandent une vitesse très grande. Paul Valéry, Poi'étique (in Cahiers II, La Pléiade, Gallimard, 1974) Baldassar Castiglione, Le Livre du Courtisan Editions Gérard Lebovici, 1987 (traduit de l'italien par Alain Pons) MOT PERDUES? ÉLOGE DU JEU Que serait la vie et mériterait-elle son nom si le plaisir manquait ? Erasme, Eloge de la folle L'infaillible exclamation que provoque une chapelle de Churriguera ou de l'Aleijadinho, une strophe de Gongora ou de Lezama, ou n'importe quel acte baroque, qu'il appartienne à la peinture ou à la pâtisserie : «Que de travail ! », cette exclamation enveloppe un adjectif à peine voilé : Que de travail perdu I Quel jeu et quel gâchis, que d'efforts privés de fonctionnalité ! C'est le surmoi de l'homo faber, l'être-pour-le-travail, qui intervient ici, pour s'en prendre à la délectation, à la volupté de l'or, au faste, à la démesure, au plaisir. Jeu, perte, gaspillage, jouissance: érotisme en tant qu'activité purement ludique, qui parodie la fonction de reproduction dans une transgression de l'utile et du dialogue «naturel» des corps. Severo Sarduy, Barroco Jeux de jeunes chiens, joies - Est-ce mécanique ? Faut-il y voir de l'énergie qui se dégrade ? - Ils feignent un combat. Ils ont l'intelligence des limites entre le vrai et le feint. Ils ont l'intelligence de choses qui ne comptent pas, d'actes sans conséquences - de l'ennui, du temps à amuser. Et c'est là le signe du commencement de l'esprit - lequel n'est qu'une propriété d'être sans être, de faire sans faire, d'animer et d'inanimer, -d'animer même ce qu'il y a de plus inanimé : le temps - I Nourri de hasards qui lui servent de matière, d'éveils, de parole, d'adversaire. Ainsi ces jeunes chiens me mènent loin. Paul Valéry, Psychologie (in Cahiers I, La Pléiade, Gallimard, 1973) La poièsis est une fonction ludique. Elle se situe dans un espace ludique de l'esprit, dans un univers propre que l'esprit se crée, où les choses revêtent un autre aspect que dans la "vie courante", et sont reliées entre elles par des liens différents de ceux de la logique. Si l'on conçoit le sérieux comme ce qui s'exprime exclusivement dans les termes de la vie lucide, alors la poésie n'est jamais tout à fait sérieuse. Elle réside au-delà du sérieux, dans ce domaine originel propre à l'enfant, à l'animal, au sauvage et au visionnaire, dans le champ du rêve, de l'extase, de l'ivresse et du rire. Pour comprendre la poésie, il faut pouvoir s'assimiler l'âme de l'enfant, comme on endosserait un vêtement magique, et admettre la supériorité de la sagesse enfantine sur celle de l'homme. Rien n'est plus proche de la pure notion du jeu que cette prime essence de la poésie, comprise et exprimée par Vico, voici déjà deux siècles. Johan Huizinga, Homo ludens, Tel, Gallimard, 1951 (traduit du néerlandais par Cécile Seresia) MAUVAIS SUJET « Il est réservé et discret. Vous êtes tranquille avec lui; il n'abuse de rien. Il a, par-dessus tout, une qualité bien rare: il est sobre.» Qu'est ceci ? Une recommandation pour un domestique ? Non. C'est un éloge pour un écrivain. Une certaine école, dite «sérieuse», a arboré de J'ai la courbature d'avoir lu nos jours ce programme de poésie: Shakespeare, disait Monsieur Auger. sobriété. Il semble que toute la question soit de préserver la littérature des indigestions. Autrefois on disait: fécondité et puissance; aujourd'hui l'on dit : tisane. (...) Le bon goût est une précaution prise par le bon ordre. Les écrivains sobres sont le pendant des électeurs sages. L'inspiration est suspecte de liberté; la poésie est un peu extra-légale. (...) Si jamais un homme a peu mérité la bonne note: il est sobre, c'est, à coup sûr, William Shakespeare. Shakespeare est un des plus mauvais sujets que l'esthétique « sérieuse » ait eu à régenter. Shakespeare, c'est la fertilité, la force, l'exubérance, la mamelle gonflée, la coupe écumante, la cuve à plein bord, la sève par excès, la lave en torrent, les germes en tourbillons, la vaste pluie de vie, tout par milliers, tout par millions, nulle réticence, nulle ligature, nulle économie, la prodigalité insensée et tranquille du créateur. A ceux qui tâtent le fond de leur poche, l'inépuisable semble en démence. A-t-il bientôt fini? Jamais. Shakespeare est le semeur d'éblouissements. A chaque mot, l'image; à chaque mot, le contraste; à chaque mot, le jour et la nuit. Victor Hugo, William Shakespeare L'AMOUR DÉMON Si nous vous avons paru ridicules, C'est que l'amour est plein de dispositions inconvenantes. Espiègle comme un enfant, frivole et sautillant; Conçu par l'oeil, il est comme l'œil. Plein d'images étranges, d'apparences et de formes. Changeant de sujet, comme l'œil promène Sur chaque objet son regard. William Shakespeare, Peines d'amour perdues J'ai entendu jadis un discours sur l'Amour de la bouche d'une femme de Mantinée, Diotime, savante en cette matière comme en nombre d'autres; c'est elle qui, grâce à un sacrifice qu'elle prescrivit aux Athéniens, contre la peste, avait retardé de dix ans l'épidémie, et c'est d'elle que je tiens tout ce que je sais de l'amour; et ce discours, j'aimerais maintenant vous le répéter de mon mieux, bien que livré à mes seules ressources, en partant de ce que nous avons convenu, Agathon et moi. Comme tu l'as dit toi-même, Agathon, il faut d'abord montrer qui est l'Amour, quelle est sa nature, et ensuite seulement faire l'exposé de ses oeuvres. Le plus simple me paraît de suivre le même ordre que l'Etrangère quand elle m'interrogea. Mes réponses, en effet, ressemblaient fort à celles que vient de me faire Agathaon : je lui disais que l'Amour était un grand dieu, qu'il aimait le beau... et elle, dans les mêmes termes que moi tout à l'heure, me convainquit à l'aide de mes propres paroles qu'il n'était ni beau ni bon. — Que dis-tu là, Diotime, lui dis-je alors. L'Amour seraitil laid et mauvais ? — Ne blasphème pas ! répliqua-t-elle. T'imagines-tu que ce qui est beau est forcément laid ? — Sans doute ! — Et qu'on soit ignorant quand on n'est pas savant ? Ne sens-tu pas qu'entre la science et l'ignorance il existe un moyen terme ? — Et lequel ? — L'opinion juste dont on ne peut rendre raison : ce n'est pas la science, en effet (puisqu'on ne peut appeler science une connaissance non fondée en raison), et ce n'est pas l'ignorance (pas moyen de baptiser ignorance une connaissance qui parfois, ne fût-ce que par hasard, atteint l'être). L'opinion juste est donc une sorte de moyen terme entre l'intelligence et l'ignorance d'une chose. — C'est ma foi vrai I — Renonce donc à vouloir que ce qui n'est pas beau soit forcément laid, et réciproquement. Ainsi de l'Amour: ne pense pas, pour avoir convenu toi-même qu'il n'est ni beau ni bon, qu'il soit nécessairement laid et mauvais, mais considère-le plutôt comme quelque chose d'intermédiaire entre les deux. — N'empêche que tout le monde convient que c'est un grand dieu. — Qui est-ce, tout le monde ? Les gens qui s'y connaissent, ou ceux qui ne s'y connaissent pas ? — Les uns comme les autres, sans doute. Elle se mit à rire. — Comment veux-tu, Socrate, que des gens qui mettent en doute sa divinité conviennent qu'il est un grand dieu ? — Et de qui donc veux-tu parler ? — Tu en vois deux ici même : toi et moi I — Explique-toi, de grâce I m'écriai-je. — C'est bien simple. Allons ! n'affirmes-tu pas que tous les dieux sont heureux et beaux ? Ou oserais-tu dénier la beauté ou le bonheur au moindre d'entre eux ? — Pardieu non ! — Mais qu'est-ce que le bonheur selon toi, sinon la possession du bien et du beau ? — Sans doute. — Or tu as convenu que l'Amour, par la privation où il est du bien et du beau, les désire. — Oui, d'accord. — Comment donc celui qui n'a pas reçu sa part de bien et de beau pourrait-il être dieu ? — C'est apparemment impossible, en effet. — Ainsi, tu vois bien que toi non plus ne considères pas l'Amour comme un dieu. — Qu'est-ce donc que l'Amour ? Un mortel ? — Pas du tout. — Mais alors ? — De nouveau, un moyen terme entre mortel et immortel. — C'est-à-dire, Diotime ? — Un grand démon, Socrate; car c'est le monde des démons qui s'étend entre celui des dieux et celui des hommes. Platon, Le banquet (traduction de Philippe Jaccottet) *~3iw<xi dmiiSSSS^iàti^, 1 53 Cupidon, son flambeau près de lui, s'endormit : L'une des nymphes de Diane le surprit Et son tison d'amour bien vite elle plongea Dans une froide source en ce même vallon; Laquelle, du divin flambeau d'Amour, reçut Une vivante ardeur à jamais persistante, Et devint, bouillonnant, ce bain où l'on s'en vient Chercher remède souverain aux maux étranges. Mais la torche d'Amour aux yeux de ma maîtresse Rallumée, sur mon coeur il l'essaya d'abord; Lors, malade, cherchant le salutaire bain. Ici je vins en hâte, hôte triste et défait, Mais de remède, point; le seul bain qui me sauve Est dans ces yeux aimés, où l'Amour reprit feu. William Shakespeare, Sonnets Editions Le temps qu'il fait, 1995 (traduction de Henri Thomas) L'ENTRETIEN On dit communément de Peines d'amour perdues que c'est une «comédie de jeunesse» de Shakespeare, une caractérisation peut-être hâtive et qui masque à peine une approche un peu condescendante de la pièce. Pourriez-vous situer plus précisément cette comédie dans le corpus shakespearien ? Jean-Michel Déprats - Peines d'amour est chronologiquement la neuvième des trente-huit pièces de Shakespeare. Elle date probablement de 1595, elle vient donc après les trois Henry VI, Richard III, Titus Andronicus et c'est la quatrième comédie après La Comédie des erreurs, Les deux Gentilhommes de Vérone et La Mégère apprivoisée. Ce n'est donc pas une toute première pièce. Le discours critique a longtemps considéré Peines d'amour perdues comme une sorte d'essai, d'expérimentation. L'approche était trop tributaire de considérations assez conjecturales sur de possibles analogies avec l'histoire de France et l'histoire de Navarre, « l'escadron volant » de Marguerite de Valois ou l'idée, peu éclairante et problématique, que le roi Ferdinand puisse figurer Henri IV. On s'est également beaucoup attardé sur la recherche de clés liées à la vie littéraire de Londres, Shakespeare visant peutêtre le grammairien John Florio, traducteur de Montaigne, à travers le DU PASSEUR personnage d'Holopherne, ou le pamphlétaire Thomas Nashe à travers Puce. Il est inexact de prétendre que pendant le premier tiers de son activité créatrice Shakespeare ferait ses armes. D'emblée, il y a une force de la proposition dramatique - même si l'on peut voir mûrir certaines intrigues, certains thèmes ou certains personnages au fil de l'œuvre. Il n'y a guère que de la première à la deuxième partie d'Henry VI qu'on voit Shakespeare passer d'une chronique dramatisée encore foisonnante de personnages et d'intrigues parfois mal agencées à une proposition dramatique plus structurée. Pour ce qui est de Peines d'amour perdues, il faut faire pleine justice au charme particulier et à la spécificité de cette oeuvre. Dans l'expression «comédies de jeunesse», c'est le mot jeunesse que je voudrais retenir. Les premières comédies sont traversées par une sorte d'élan comique au sens le plus fondamental, non seulement dans la direction du rire ou de la satire, mais dans la direction d'une certaine joie de vivre, d'un certain enthousiasme, une qualité de jeunesse entendue non au sens proprement biographique, mais au sens d'un ton, d'une gaieté, d'une certaine confiance dans la vie. Peines d'amour perdues a été redécouvert par le théâtre, par le jeu. C'est la mise en scène de Peter Brook en 1946-1947 au Mémorial Theater de Stratford (aujourd'hui Théâtre de la Royal Shakespeare Company) qui a ranimé l'intérêt pour la pièce. Par la suite, Peines d'amour perdues a été régulièrement monté en Angleterre. En France, la pièce fut présentée au Théâtre de l'Odéon en 1946. Elle disparaît ensuite jusqu'au moment où Jean-Pierre Vincent, cherchant un texte pour la promotion 1980 de l'école du TNS, pressent l'adéquation du texte à la situation donnée : tous les personnages sont jeunes, il y a la fable de quatre jeunes princes faisant serment de s'enfermer pour trois années d'étude. Depuis 1980 en France, la pièce a été montée au moins quatre fois à ma connaissance (par Dominique Pitoiser, Patrice Chéreau, Daniel Pouthieret Françoise Coupât, et par Andrzej Seweryn). Quel est le charme spécifique de cette comédie ? C'est le charme propre à un univers de fantaisie, d'artifice, ce parc de Navarre où l'on s'adonne avec le même enthousiasme militant à la recherche du savoir puis à la recherche de l'amour. Il y a un ton particulier, un peu suranné peutêtre, qui fait penser à des tapisseriers médiévales ou à des tableaux de Watteau. Brook avait d'ailleurs mis en scène ce texte dans l'univers pictural des Fêtes Galantes. Chez Watteau, il y a toujours une figure en noir dans un coin du tableau, à la fois dedans et dehors, une ombre de la mort - on pense au messager Mercade - qui apporte un contrepoint ironique et grave à l'univers de la comédie. Peines d'amour perdues est la plus élisabéthaine des pièces de Shakespeare, par son culte des jeux de mots, de la rhétorique comme arsenal de figures, d'images, de métaphores, de procédés stylistiques. Le jeu de mots, toujours présent dans l'oeuvre shakespearienne, est ici tout puissant, on a le sentiment d'un feu d'artifice, d'un embrasement continuel, souvent sur un mode polysémique qui pose des problèmes de traduction ardus. C'est aussi, bien sûr, une comédie d'amour, une comédie romanesque comme le sont la plupart des comédies de Shakespeare. Comment entendre le titre de la pièce ? Tout d'abord, c'est un beau titre. On perçoit une sorte de vibration symphonique entre ces trois termes, peine, amour, perte. Il y a un rayonnement qui va au-delà du sens explicite, de la signification immédiate se rapportant à l'intrigue - les peines d'amour éprouvées par les personnages qui, après avoir eu le projet de s'adonner exclusivement à la recherche théorique du savoir, se précipitent avec la même fougue vers l'amour et ses jeux courtois, ne sont pas couronnées par un mariage comme dans toutes les autres comédies romanesques. Cela aussi, c'est une spécificité étonnante de la pièce. C'est presque un coup de génie que cette comédie ne se termine pas, selon le mot de Berowne, « comme dans les vieilles pièces ». La résolution est rapportée hors fable, une façon de positionner le théâtre dans ses limites, dans son artificialité. L'artifice est posé, mais en même temps il est mis à distance par une référence à la réalité située hors de l'univers de Navarre. Etonnante aussi l'arrivée du messager Mercade, qui est au fond le seul vrai coup de théâtre de la pièce. La pièce est articulée selon une double opposition entre hommes et femmes d'une part, personnages aristocratiques et bouffons d'autre part. La pièce est effectivement structurée de façon assez claire, certaines symétries relèvent même de l'artifice, d'une élaboration formaliste. On ne peut cependant pas dire que la pièce soit réellement clivée, parce qu'il y a une fusion harmonieuse de tous ces éléments disparates. L'opposition entre personnages aristocratiques et personnages bouffons s'élabore à partir de sources littéraires spécifiques: pour les premiers, les comédies aristocratiques de John Lyly, très artificielles dans leur ton et leurs personnages, pour les seconds l'influence discrète mais réelle de la commedia dell'arte. Les personnages bouffons sont désignés, dans les indications scéniques du Quarto, par leur appellation archétypique : le Pédant, le Matamore, le Parasite, le Zanni ou le Page viennent directement de la commedia dell'arte, quoique leur traitement ne soit pas réellement codé et n'appelle pas un jeu masqué. La fracture entre seigneurs et bouffons n'est pas aussi tranchée qu'il semble au premier abord, il y a des circulations permanentes entre les deux univers. L'ironie est également présente dans l'univers aristocratique et l'anti-monde carnavalesque. Comme toujours chez Shakespeare, le monde des bouffons offre un prisme déformant, sur le mode de la caricature, de la satire, du grossissement, de travers qui sont présents dans l'intrigue amoureuse. Ici, ce sont essentiellement des travers linguistiques, dans la veine pétrarquéenne, extravagances, excès, hyperboles «à trois poils» et «phrases de taffetas», comme les appelle Berowne. Quant à l'articulation hommes / femmes, il y a presque une inversion des images communément attendues de l'un et l'autre sexe. Les hommes sont passionnés, emportés, fougueux, irraisonnés, irresponsables. Les femmes sont froides, raisonnées, réalistes, dominatrices. Elles opposent à la rhétorique creuse des beaux parleurs une exigence de vérité et de courage. Moins directement mues par des désirs propres, les personnages féminins se singularisent par une position réactive. Leur exigence d'authenticité se manifeste essentiellement sur trois plans. Par rapport au langage d'abord : les femmes le veulent en prise directe sur la réalité. C'est le sens de la première réplique de la Princesse reprochant à Boyet la monnaie de singe de ses fioritures verbales. D'entrée de jeu, les femmes prennent le contre-pied des conventions propres à une certaine forme de rhétorique amoureuse, elles refusent le langage hyperbolique -tout en le pratiquant d'ailleurs avec une égale virtuosité. Souvent l'arme dont elles font usage est la littéralité, le geste de prendre au pied de la lettre des énoncés hyperboliques ou simplement métaphoriques. Leur exigence se manifeste d'autre part dans le rapport au temps, à la germination, à la croissance, à la maturation : c'est là tout le sens de l'intrigue, renvoyer les hommes qui se sont complu dans une série de masques à une expérience réelle du temps, à une épreuve par le temps de l'amour et de la vérité de leurs sentiments. Exigence enfin se rapportant à l'image que les hommes se font d'elles. Elles demandent à être considérées dans leur humanité complexe et non à travers certaines représentations imaginaires, qu'il s'agisse de l'image initiale de l'Eve tentatrice, inclinant aux plaisirs et obstacle à l'étude, figure démoniaque dans la tradition médiévale, ou, à l'inverse, de l'image de la femme idéalisée, présentée comme un être céleste, dans la tradition pétrarquéenne. A l'articulation des univers aristocratique et bouffon, il y a le personnage d'Armado. Shakespeare semble l'avoir lesté d'une humanité singulière. Armado fait partie des grotesques, il en complète la galerie, mais il est aussi enté sur le monde aristocratique, puisqu'il est le cinquième prestataire de serment et le premier à tomber amoureux, sur un mode parodique évidemment. Il se distingue peut-être aussi des autres bouffons par la plus grande tendresse que l'on est enclin à éprouver pour lui, à cause de ce que l'on pressent de sa vulnérabilité, de sa sensibilité, à la fin de la pièce surtout, lorsque le masque tombe à nu dans la Parade des Neuf Preux. C'est une figure quichottesque, une âme nue qui ne peut survivre sans interposer un mur de fauxsemblants entre les choses et lui. Loin d'être seulement un faux monnayeur de vocables grotesques, il est un type humain, l'éternel représentant de ceux qui se cognent à la dureté de la vie et doivent ériger un rempart pour s'en préserver. Un texte de pure jubilation langagière comme Peines d'amour perdues génère évidemment de grandes difficultés de traduction. Et de jeu. Il est certain que c'est une pièce dont l'intrigue, contrairement à ce qui se passe habituellement chez Shakespeare où elle est en général foisonnante, est ici réduite au minimum. Elle se raconte en deux phrases : il y a le premier mouvement de la recherche du savoir, mis en déroute par l'arrivée des femmes, et le deuxième mouvement où les jeunes gens s'adonnent à l'amour. Pour répondre aux besoins de la symétrie, certains personnages sont plus esquissés que réellement développés. Parmi les quatre hommes et les quatre femmes, les deux couples de la princesse, du roi, de Rosaline et de Berowne ont un relief, une existence affirmée. Mais Catherine, Maria, Dumaine et Longueville complètent ce pas de huit sans avoir vraiment de vie propre. Où le comédien trouve-t-il dès lors son point d'appui ? Pour les grotesques, malgré l'influence de la commedia dell'arte, il n'y a pas véritablement de codification théâtrale. Les comédiens se trouvent ainsi confrontés à une pièce dont l'énergie première est vraiment une énergie langagière. Le théâtre est le lieu du déploiement du verbe, de la pure jouissance des mots, de l'excitation à trouver la plaisanterie la plus raffinée ou la plus obscène, de la jubilation à tordre le langage, ses structures logiques, ses images conventionnelles. C'est une énergie de jeu, ludique, elle irradie en jeux de mots, mots étrangers, mots tronqués, créations verbales, formes poétiques, infinis tours et détours de la rhétorique. Certains de ces aspects se traduisent, d'autres sont à la limite de l'intraduisible. On sait que traditionnellement ce sont la poésie et les jeux de mots qui résistent le plus à la traduction, parce qu'ils sont intimement liés à la physique propre d'une langue, à ses configurations particulières de polysémie ou d'homophonie. Lorsqu'il y a trois ou quatre épaisseurs de sens, comme dans les jeux de mots autour du nom du per- sonnage de Longueville, ou les jeux de mots portant sur les voyelles - / qui est à la fois le pronom personnel de la première personne, l'œil (eye) et l'affirmation (Ay) s'opposant à No (dans le jeu de mot I /No qu'on retrouve dans Richard II ou dans Roméo et Juliette), U qui est à la fois le pronom personnel de la deuxième personne (you) et la brebis (ewe) - , on se heurte vraiment en traduction à des impossibilités linguistiques. Il faut faire preuve d'ingéniosité pour recréer le jeu, le transposer, en proposer une version équivalente, sinon exactement symétrique. Le texte original anglais de Peines d'amour perdues est un texte difficile, non seulement difficile à traduire, mais difficile en soi, difficile à élucider, à comprendre. Beaucoup d'allusions demeurent obscures aujourd'hui, elles font plus l'objet de conjectures que de certitudes de la part des critiques. Sans doute étaient-elles perçues par les contemporains de Shakespeare comme des références précises à tel ou tel personnage ou à tel ou tel style contemporains. Il s'agit donc, par-delà le problème de la polysémie, d'un texte très feuilleté, qui devient paradoxalement plus clair et, ipso facto, plus dynamique dans sa traduction française. La traduction impose des choix qui sont inévitablement moins riches, moins complexes que le texte d'origine. C'est la première pièce que j'ai traduite et j'ai le souvenir d'un grand plaisir, peut-être dans l'inconscience d'une première tentative. Je me souviens avec bonheur de séances de travail avec Jean-Pierre Vincent où une ivresse contagieuse du langage nous emportait à l'image des personnages de la pièce. Malgré toutes ces difficultés, malgré d'autres difficultés qui ressortissent plus spécifiquement aux contraintes de la prosodie ou de la métrique, je crois qu'on peut aller dans le sens de l'énergie propre de la pièce, en abordant cette langue comme une langue physique de théâtre. Pardelà les pertes inévitables, on peut, dès lors qu'on essaie de retrouver l'énergie fondatrice d'une langue physique, d'une langue gestuelle, espérer atteindre le projet d'écriture premier : sa dimension spécifique de plaisir du jeu, qui est également celle à laquelle doivent tendre les comédiens. La pièce s'anime dès qu'on la met en répétition. Elle recèle une dynamique proprement verbale. Peines d'amour perdues est, vous l'avez dit, la première pièce de Shakespeare que vous avez traduite, il y a quinze ans. Faisant retour sur cette première traduction, la longue fréquentation des textes vous inciterait-elle aujourd'hui à la modifier? J'aurais tendance à inverser les termes du problème. Contrairement au sentiment que j'ai pu éprouver, en 1980, d'avoir contribué, par un certain dynamisme de la traduction, à la redécouverte de la pièce, j'ai plutôt eu chaque fois l'inquiétude, par la suite, de ne pas retrouver l'état de grâce de la première tentative. Peutêtre une certaine forme de naïveté est-elle au fond très précieuse. Parcourant ensuite presque les deux-tiers de l'oeuvre dramatique de Shakespeare, j'ai été amené, bien sûr, à affermir ma connaissance de la langue, ma familiarité avec l'univers shakespearien. Mais chaque pièce est une étoile singulière dans la constellation, des problèmes nouveaux surgissent chaque fois. Malgré certaines analogies, certains échos, c'est chaque fois la première fois. Pour répondre à votre question, on n'a pas toujours le désir de revenir sur ce qui a été fait (sauf pour effectuer de menues corrections). Il y a, je crois, une certaine intimité, en grande partie illusoire sans doute, qui se crée entre l'univers spécifique, le climat, l'atmosphère de telle pièce et le moment où l'on s'y plonge, où l'on se perd en elle, avec rigueur sans doute, mais en s'y immergeant vraiment pour tenter de retrouver l'énergie première, le secret premier de l'écriture. J'ai peur de détruire, en les retravaillant, certaines choses qui ont jailli dans une immédiateté, un bonheur de l'instant. On ne sait jamais, on avance, mais il n'est pas sûr qu'on progresse. LAURENT PELLY HORSE'S Laurent Pelly est né en 1962. Après une expérience de comédien à la Comédie de Saint Etienne dirigée par Daniel Benoin, il suit les cours de Jean-Louis Martin Barbaz, dont il deviendra l'assistant. En 1980, il crée la compagnie Le Pélican avec laquelle il met en scène Si jamais j'te pince de Labiche (Théâtre Daniel Sorano, Vincennes), Le dîner bourgeois de Henri Monnier (Théâtre Daniel Sorano, Théâtre de la Plaine), En cas de pluie de Philippe Béglia (Comédie de Saint Etienne), Chambres calmes, vue sur la mer de Michel Jourdheuil (Théâtre de la Plaine). Au C.D.N. Nord Pas-de-Calais, il met en scène Chat en poche de Feydeau (1 986) et Le Tartuffe de Molière. Depuis 1989 Laurent Pelly codirige la compagnie Le Pélican et collabore artistiquement avec Agathe Mélinand. En 1989, Laurent Pelly met en scène avec la compagnie Le Pélican, Heureuse !, Petit drame banal et confortable en trois volets de Henri Becque, Georges Ancey et d'après la Baronne Staffe (Palais Galliera - juin 1989) et Dernière conquête - Itinéraire harmonique d'un trio las (Salle Cortot - Le Cargo - Bruxelles). Toujours en 1989, Laurent Pelly met en scène dans le cadre du bicentenaire de la révolution, une première version de Madame Angot de Maillot. Dernière conquête - Itinéraire harmonique d'un trio las, a été repris en décembre 1990 à l'Opéra Comique. Une deuxième version de Madame Angot a été reprise en avrilmai 1991 au Théâtre National de Chai Ilot - Salle Gémier. En décembre 1991, Laurent Pelly met en scène au Théâtre National de Chaillot, dans le cadre des années Rimbaud : Un cœur sous une soutane - Tentative de commémoration. Ce spectacle a été repris en mars - avril 1992, toujours au Théâtre National de Chaillot. Dans le cadre d'Enfantillages, en mai 1992 au Théâtre Gérard Philipe de Saint Denis, Laurent Pelly a monté une adaptation de Quel amour d'enfant ! de la Comtesse de Ségur, spectacle repris au T.J.S. de Montreuil, T.J.A. de Lyon et au Cargo de Grenoble. TAVERN 16, CARREFOUR DE L'ODÉON - 75006 PARIS 43 54 96 91 VOUS PROPOSE Au mois d'août 1992, Le Pélican participe au Festival de poésie du Haut Allier avec: Comment ça va ? Au secours !, scénario inédit de Vladimir Maïakovski, mis en image par Laurent Pelly, spectacle repris en mars 1994 au Théâtre de la Cité Internationale. En mai-juin 1993 au Théâtre National de Chaillot, Laurent Pelly a mis en scène Eva Peron de Copi et, à nouveau, au Festival de poésie du Haut Allier réalisé une mise en image de Comment j'ai écrit certains de mes livres de Raymond Roussel en août 1993. Dernièrement, Laurent Pelly a mis en scène La famille Fenouillard d'après Christophe au Théâtre des Jeunes Spectateurs de Montreuil en novembre - décembre 1993. Ce spectacle a été joué en mai 1994 dans le cadre de Enfantillages (TGP Saint Denis, Le Cargo de Grenoble, Théâtre d'AIbi) et est en tournée pendant toute la saison 94-95. En janvier 1994 Laurent Pelly a mis en scène Talking heads d'Alan Bennett au Théâtre Paris-Villette - Tournée en 1995. Depuis juillet 1994, Laurent Pelly est metteur en scène associé au Centre Dramatique National des Alpes Grenoble. En février 1995, création de L'heureux stratagème de Marivaux au Cargo de Grenoble. Au rez-de-chaussée UN CHOIX DE 250 BIERES BOUTEILLES • • • • l 2 bières pressions 40 whiskies rares Moules, moules frites Plats internationaux Au premier étage SON RESTAURANT dans un cadre intime. • Repas de 100 F à l 50F OUVERT JUSQU'À 2H 00 DU MATIN DU LUNDI AU JEUDI ET JUSQU'À 4H 00 DU MATIN LES VENDREDI ET SAMEDI CHEQUE - CARTE BLEUE - AMÉRICAN EXPRESS - TICKETS RESTAURANTS - DIVERS DERNIERS SPECTACLES 6 juillet. 16 juillet Création 17 mai. 18 juin création EN DE LA SAISON 94 L'ILE DES ESCLAVES Marivaux/Giorgio Strehler GRANDE SALLE TROIS NOS IRLANDAIS W. Butler Yeats/ Claudine Hunault PETIT 0 D £ 0 » AVANT-PREMIERE... SAISON SPLENDID'S Jean Genet / Klaus Michael Gruber - 95 95-96 en allemand surtitré LE TARTUFFE Molière / Benno Besson DANS LA SOLITUDE DES CHAMPS DE COTON Bernard-Marie Koltès / Patrice Chéreau FRANZISKA Frank Wedekind / Stéphane Braunschweig LE ROI LEAR William Shakespeare/Georges Lavaudant THE ABBEY THEATRE, DUBLIN OBSERVE THE SONS OF ULSTER MARCHING TOWARD THE SOMME Frank McGuinnes / Patrick Mason en anglais surtitré THE WELLS OF THE SAINTS John Millington Synge / Patrick Mason NOCES DE SANG Federico Garcia Lorca / Lluîs Pasqual en anglais surtitré en espagnol surtitré A partir du mois de juin, sur simple appel au 44 41 36 36, nous vous ferons parvenir notre brochure de la saison 95.96 Les Foulards, la Verrerie, les Accessoires de beauté et la Maroquinerie des Suites de Guerlain sont en vente exclusive DANS NOS BOUTIQUES: 68, Avenue des Champs-Élysées Paris 8ème. 2, Place Vendôme Paris 1er. 93, rue de Passy Paris I6ème. 29, rue de Sèvres Paris 6ème. 35, rue Tronchet Paris 8ème. 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