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Projet de thèse « La Question patrimoniale en Ecosse » L’objectif de cette recherche est d’étudier la place du patrimoine dans l’Ecosse contemporaine. Alors que les études patrimoniales se sont développées en Europe dans les années 1970, en lien avec les problématiques identitaires qui ont connu récemment un regain d’intérêt, il me semble intéressant de s’interroger sur l’enjeu patrimonial en Ecosse. I. Genèse du projet : patrimoine écossais, identité écossaise Mon projet de thèse s’inscrit dans le prolongement de mon travail de DEA, consacré à la gestion du patrimoine en Ecosse par deux organismes majeurs, Historic Scotland et The National Trust for Scotland. Mon approche du patrimoine écossais s’inspire des travaux récents sur les questions patrimoniales, et notamment sur le lien entre patrimoine et identité1 ; ces travaux, surtout le fait d’historiens de formation, mettent en lumière le lien entre histoire et mémoire (lien d’autant plus révélateur dans le cas de l’Ecosse que le passé écossais, et la façon dont il est présenté, oscille toujours entre attitude historienne objective et attitude mémorielle subjective et émotionnelle). Ils postulent également que l’émergence du fait patrimonial, une des caractéristiques majeures des sociétés occidentales contemporaines, est à rapprocher de la recherche, parfois frénétique, d’une identité en voie de perdition, menacée par l’uniformisation culturelle, fruit de la mondialisation. Or, la problématique identitaire qui est le point central de mon mémoire de DEA et qui est indissociable des questions patrimoniales, est d’autant plus significative pour l’Ecosse que l’on a souvent évoqué, au cours de la deuxième moitié du XXe siècle, l’éclatement du Royaume-Uni et de l’identité britannique2 ; tandis que la « britannicité » devenait de plus en plus difficile à définir, on a assisté à la renaissance du nationalisme écossais. En même temps, le patrimoine est devenu un enjeu majeur, dans tous les pays européens mais surtout en Ecosse, où de plus en plus de mesures sont prises pour protéger les monuments et en faire autant d’atouts pour le développement touristique du pays. L’idée que je défends dans mon DEA est que l’implication des Ecossais dans la sauvegarde de leur patrimoine architectural montre leur volonté d’affirmer la spécificité de l’identité écossaise, même si des ambiguïtés demeurent sur la nature exacte de cette spécificité. Les acteurs principaux de cette relation si particulière, Historic Scotland et The National Trust for Scotland, sont de véritables médiateurs entre les monuments historiques et le public, assurant de manière différente deux missions essentielles, conservation et mise en valeur de ce patrimoine architectural. Ma recherche de DEA m’a permis de me familiariser avec le système patrimonial écossais, juridiquement beaucoup plus souple que le système français puisque il opère une synthèse entre volontarisme étatique (Historic Scotland agit pour le compte du gouvernement écossais), et initiatives privées (The National Trust for Scotland est un organisme associatif de droit privé). En me fondant sur l’étude de ces deux organismes, j’ai pu mesurer le rôle que joue le patrimoine dans la constitution, ou plutôt la renaissance, d’un sentiment national, et me rendre compte de l’extraordinaire conscience patrimoniale des Ecossais, c’est-à-dire leur attachement aux éléments constitutifs de leur patrimoine et leur volonté de les préserver pour les générations futures. 1 Jacques Le Goff (dir.), Patrimoine et passions identitaires. Paris : éditions du patrimoine, 1998. Tom Nairn, The Break-Up of Britain : Crisis and Neonationalism. 2nd expanded edition. London :Verso Editions, 1981. 2 1 II. De la conscience patrimoniale à la patrimonialisation : enjeux pour une Ecosse moderne En partant de la recherche effectuée pour mon DEA, je souhaite approfondir les questions patrimoniales en Ecosse, au-delà de la problématique identitaire, et m’interroger sur la signification de ce qui, pour moi, constitue un passage de la conscience patrimoniale à la patrimonialisation de l’Ecosse et de la société écossaise au début du XXIe siècle. On peut en effet s’interroger sur les effets de la conscience patrimoniale des Ecossais : la volonté de préserver et de continuer de protéger des monuments historiques, qui sont des lieux d’histoire et de mémoire, pour reprendre la célèbre expression de Pierre Nora3, a eu pour conséquence, paradoxalement, une certaine instrumentalisation du patrimoine écossais dans sa globalité. Il a en effet été mis au service d’une certaine image de l’Ecosse, d’une image patrimoniale et culturelle dont nombre d’Ecossais dénoncent le côté artificiel. Cette image, bien connue des touristes, associe tous les éléments du patrimoine culturel écossais ( avec entre autres les tartans, le whisky, des abbayes en ruines et des châteaux hantés, sur fond d’une image romantique de l’Ecosse, façonnée par deux monuments de la culture écossaise, Robert Burns et Sir Walter Scott). Qu’il s’agisse d’une véritable identité ou d’une représentation, ou d’une représentation dont les Ecossais ont fait une identité, faute de pouvoir définir la « scotticité » autrement, il apparaît que le patrimoine n’a plus seulement une valeur en soi, et que sa préservation n’est plus une fin mais un moyen, par lequel les Ecossais espèrent acquérir une forme de reconnaissance, au sein du Royaume-Uni et de l’Europe. Dès lors on peut s’interroger sur les ambiguïtés de la conscience patrimoniale en Ecosse : s’agit-il de préserver des monuments afin de garantir rigueur et objectivité à la démarche historique, ou est-il question de re mythifier un passé déjà lourd de symboles à travers la sacralisation des monuments qui en sont le signe visible, à des fins identitaires ? De même, cette image patrimoniale doit-elle susciter le rejet, en raison de son caractère construit et artificiel, ou doitelle au contraire emporter l’adhésion des Ecossais, dans la mesure où elle permet de fonder une identité écossaise autrement bien difficile à définir ? De la conscience patrimoniale à la patrimonialisation: la gestion originale du patrimoine en Ecosse, et particulièrement des monuments historiques, qui associe étroitement le public et cherche à le sensibiliser à sa valeur, a permis aux Ecossais de se réapproprier leur héritage, puisque le patrimoine n’est autre chose qu’un héritage commun. Or, à travers cette instrumentalisation du patrimoine, les Ecossais ne cessent de faire fructifier cet héritage du passé, pour le mettre au service de leur industrie touristique tant décriée, mais qui a du moins permis de faire connaître l’Ecosse dans le monde. Toutefois, son incidence sur la société écossaise est tout autre, puisqu’elle a conduit à la patrimonialisation de la société écossaise. En effet, si l’on peut parler de conscience patrimoniale dans la gestion et la sauvegarde du patrimoine de l’Ecosse, peut-on encore employer cette expression devant l’instrumentalisation dont le patrimoine écossais a fait l’objet, devant cette hypertrophie de symboles venus du passé, censés représenter l’Ecosse moderne du XXIe siècle. Cette patrimonialisation, c’est-àdire la référence à et la réutilisation constante des monuments, des héros, des hauts lieux de l’histoire écossaise dans le quotidien, pour illustrer le rôle et la place de l’Ecosse dans la Grande-Bretagne et l’Europe, suscite bien des interrogations sur le devenir de l’Ecosse en ce début du XXIe siècle, et sur l’image qu’elle souhaite donner d’elle-même. Il convient donc d’analyser ce que cache cette patrimonialisation de l’Ecosse : simple calcul économique, qui joue sur l’engouement récent des sociétés occidentales pour les questions patrimoniales, associé à un regain d’intérêt pour les identités régionales et les particularismes culturels autrefois décriés, pour développer une industrie touristique, ou nostalgie passéiste d’un pays qui s’accroche à son passé pour échapper à un constat 3 Pierre Nora (dir.) Les Lieux de mémoire. Paris : Gallimard, 1986. 2 d’impuissance politique, ou conviction que c’est en valorisant son histoire que l’Ecosse de demain pourra s’affirmer dans le concert britannique et européen. Clairement, l’Ecosse a aujourd’hui une chance historique d’émerger sur la scène européenne, non seulement parce que l’Europe offre aux « petites » nations une légitimité, mais aussi parce que depuis la fin de la seconde guerre mondiale, la Grande-Bretagne traverse une crise, en doutant d’elle-même et de sa réussite. La question se pose donc de savoir ce que la patrimonialisation de la société écossaise, son engouement pour les questions patrimoniales et l’instrumentalisation qui en résulte peut apporter à un pays moderne, fort de son autonomie passée, de son indépendance économique retrouvée après le déclin industriel avec l’exploitation du pétrole en mer du nord, et de son envie d’Europe clairement affichée, qui contraste avec le peu d’enthousiasme général de la Grande-Bretagne pour le projet européen. En d’autres termes, il s’agit de savoir quelle Ecosse les Ecossais veulent construire : les ambiguïtés de la conscience patrimoniale écossaise, aussi bien que les hésitations actuelles sur l’efficacité du nouveau Parlement écossais, permettent de s’interroger sur les perspectives d’avenir de l’Ecosse. Si la dimension identitaire de cette conscience patrimoniale apparaît clairement, elle n’est pas sans poser de véritables questions auxquelles les Ecossais devront faire face. III. Méthodologie de la recherche Pour apporter des éléments de réponse à ces questions, je propose d’approcher au plus près la réalité écossaise contemporaine, en me fondant d’abord sur l’étude de sources primaires permettant d’analyser comment s’est constituée cette image patrimoniale de l’Ecosse, et en particulier comment les organismes et associations de sauvegarde du patrimoine écossais y ont contribué, afin d’en cerner les conséquences sur le discours politique et culturel en Ecosse. A l’origine de cette omniprésence du patrimoine sur la scène écossaise, il y a le système de protection du patrimoine, système complexe car multiforme. Les organismes responsables de la sauvegarde du patrimoine sont très nombreux et influents: le système de protection repose en effet sur diverses associations dont Historic Scotland et The National Trust for Scotland ne sont que les plus importantes. Une analyse complète et détaillé des mécanismes de protection et de promotion du patrimoine doit prendre en compte des associations moins importantes en termes de nombre d’adhérents mais également présentes dans le débat patrimonial : la coopération et l’interaction entre Historic Scotland, The National Trust for Scotland et d’autres associations, comme la Society for the Protection of Ancient Buildings in Scotland (SPAB in Scotland), entre autres, a permis à un système original d’émerger, calqué sur le modèle anglais mais défendant une spécificité écossaise. L’étude du travail accompli par ces différents organismes et associations portera deux aspects principaux : d’une part, il faudra s’intéresser à la perception qu’a le public de leur actions en faveur de la sauvegarde du patrimoine, en analysant leurs méthodes de communication avec le public (site web, guides, publications, brochures, etc.), et les effets de cette stratégie, en termes d’image, à travers les articles de presse, les sondages d’opinion et les chiffres propres à chaque organisme. D’autre part, elle portera sur l’organisation interne de ces organismes, leurs relations avec le gouvernement écossais, à travers notamment les nombreuses études, souvent critiques, dont il font l’objet en Ecosse, parfois à leur demande. En outre, il faudra s’intéresser à leurs méthodes de promotion et de mise en valeur du patrimoine, d’un point de vue touristique mais aussi et surtout d’un point de vue éducatif :dans cette perspective leur coopération avec les écoles sera d’intérêt primordial. Cette partie de mon travail de recherche visera à montrer l’interaction entre ces organismes et les pouvoirs publics, afin de comprendre comment s’est opérée cette patrimonialisation du discours écossais. Là encore, l’étude de la presse, écossaise et britannique, de ces dix 3 dernières années me semble essentielle pour non seulement voir l’évolution du phénomène, mais aussi pour avoir un panorama complet des différentes sensibilités politiques et culturelles. En même temps, une diversification des sources offrira un double regard sur la réalité écossaise, celui des Ecossais et celui des Britanniques dans leur ensemble. Les travaux récents sur la situation politique et sociale de l’Ecosse de l’autonomie retrouvée permettront de mettre en perspective le débat patrimonial et d’analyser quelles en seront les conséquences pour l’Ecosse de demain. Il sera bien sûr difficile d’avoir le recul nécessaire pour pouvoir porter un regard objectif sur la situation actuelle de l’Ecosse, tandis que ces questions continuent d’agiter la société écossaise. Toutefois, cette étude me permettra, je l’espère, de montrer que le patrimoine, clef de voûte de la culture et de l’identité écossaise, offre aussi un angle d’approche nouveau de la question écossaise, et que « l’inflation patrimoniale » souvent dénoncée n’est pas préjudiciable à une nation qui sait puiser dans son histoire pour mieux gérer son avenir. Bibliographie indicative Andrieux, Jean-Yves (dir.), Patrimoine et société. Rennes : Presses Universitaires de Rennes, 1998. Bromley, Catherine (ed.), Devolution : Scottish Answers to Scottish Questions ? Edinburgh : Edinburgh University Press, 2003. Breeze, David, Historic Scotland : People and Places. London : Batsford, 2002. Choay, Françoise, L’Allégorie du patrimoine. Paris : Seuil, 1996. Dixon, Keith (éd.), L’Autonomie écossaise: essais critiques sur une nation britannique. Grenoble : Ellug, 2001. Leicester, Graham and James Mitchell, Scotland, Britain and Europe : Diplomacy and Devolution. Edinburgh : Scottish Council Foundation, 1999. Le Goff, Jacques (dir.), Patrimoine et passions identitaires. Paris : Editions du Patrimoine, 1998. Les Monuments historiques: un nouvel enjeu? Actes du colloque [international de Limoges des 29 et 30 octobre 2003]. Volume I. Paris: l’Harmattan, 2004. Nora, Pierre (dir.), Les Lieux de mémoire. Paris: Gallimard, 1986. Patin, Valéry, Tourisme et patrimoine en France et en Europe. Paris : La Documentation française, 1997. Scottish Arts Council, Scottish Tourist Board, Culture & Tourism in Scotland : Case Studies. Edinburgh : Scottish Arts Council : Scottish Tourist Board, c2000. 4