Anaclase - Opéra national de Lorraine

Transcription

Anaclase - Opéra national de Lorraine
Owen Wingrave | Anaclase
Page 1 sur 2
opéra
concert
da camera
en marge
tombé du nid d'euterpe
pages de chevet
DVD
CD
Owen Wingrave
opéra de Benjamin Britten
par laurent bergnach
Opéra national de Lorraine, Nancy - 7 octobre 2014
opéra (/chroniques/1/2014)
Peu après la création vénitienne de
The turn of the screw (1954) [lire notre
critique
(http://www.anaclase.com/content/benjamin-britten29) du DVD], Benjamin Britten (19131976) souhaite revenir à Henry James
dont la nouvelle Owen Wingrave, parue
dans le magazine The Graphic à Noël
1892,
rejoint
ses
préoccupations
pacifiques. Jadis exilé pour ne pas batailler
(1939-1942), le créateur de l’opérette Paul
Bunyan (1941) – un bûcheron géant du
folklore américain… qui donnerait plus
tard son nom à une opération militaire en
Corée (1976) – a souvent utilisé la guerre
comme cadre délétère de ses ouvrages
lyriques, qu’elle opposât Romains et Grecs
(The rape of Lucretia, 1946) ou
Britanniques et Français (Billy Budd,
1951) ; mais la fin des années soixante
l’autorise à défendre plus franchement ses convictions, sur les traces du War Requiem (1962) – fondé en partie sur des vers du jeune
Wilfred Owen, tué au front en 1916 [lire notre critique (http://www.anaclase.com/content/benjamin-britten-26 ) du DVD].
C’est que les conflits armés n’ont pas pris fin avec la Seconde Guerre mondiale : le sol continue de boire le sang des hommes en
Indochine (1946-1954), en Algérie (1954-1962) et surtout au Viêt Nam (1955-1975) – ce « bourbier » sans fin ayant inspiré Black angels
(1970) à George Crumb [lire notre chronique (http://www.anaclase.com/chroniques/bojan-gori%C5%A1ek-et-le-quatuor-diotima ) du 17 juin 2008] et Zippo
songs (2003) à Phil Kline [lire notre critique (http://www.anaclase.com/content/phil-kline ) du CD]. Sans même parler des hommes sur le terrain,
chacun vit cette folie par images interposées, comme Philip K. Dick qui « se trouva mal au cinéma, durant une séquence d’actualités où
l’on voyait les troupes américaines massacrer au lance-flammes des soldats japonais » [1] ou comme Paul Auster, passant du soutien de la
http://www.anaclase.com/chroniques/owen-wingrave
© opéra national de lorraine
Email
(http://www.addthis.com/book
Imprimer
(#)
10/10/2014
Owen Wingrave | Anaclase
Page 2 sur 2
campagne antinucléaire Ban the Bomb à la brève envie de s’engager dans l’armée israélienne lors de la Guerre des Six Jours (1967), à
force de reportages télévisés [2]. Le 16 mai 1971, c’est aussi la télévision qui porterait l’opinion tranchée de Wingrave sur la guerre : une «
effrayante trinité de haine, à la merci du hasard et de la politique » [lire notre critique (http://www.anaclase.com/content/benjamin-britten-12 ) du
DVD].
Twitter (#)
Facebook (#)
Myspace
Pour un ouvrage rare à la scène, Marie-Ève Signeyrole adopte l’angle économique, refusant autant le fantastique que le réalisme. «
Objet à la fois mental, martial et cinématographique », le manoir ancestral devient une plateforme pétrolière dont les éléments circulent
rapidement autour d’un axe (tours, sols, écrans). Différents espaces sont ainsi créés, favorisant parfois une action parallèle qui détourne
des dialogues (bizutage sous la douche, escalier géant, etc.) ou une redondance indigne (chant, théâtre et cinéma relatent ensemble la
légende familiale). Le public – qu’on pensait, à tort, avoir ferré – finit par perdre le fil, d’autant qu’on l’expose à une sensualité incongrue
(Lechmere dans la salle de bain de Mrs Coyle, le baiser volé d’Owen à son père de substitution) – comme Signeyrole l’avait fait en jetant
Olga dans le lit d’Onéguine [lire notre chronique (http://www.anaclase.com/chroniques/%D0%B5%D0%B2%D0%B3%D0%B5%D0%BD%D0%B8%D0%B9-%
D0%BE%D0%BD%D0%B5%D0%B3%D0%B8%D0%BD-eug%C3%A8ne-on%C3%A9guine-8 ) du 17 janvier 2014] … Or, s’il est un ouvrage dénué
d’homoérotisme, c’est bien celui-ci !
Lorsque prend fin cette histoire confuse racontée avec une foule d’effets spéciaux (neige et pluie, carrousel de miroirs qui éblouit, mer
qui tangue à donner le mal de mer, etc.), la salle applaudit sans conviction, le temps d’un seul rappel. C’est dommage pour le chef Ryan
McAdams, qui fait ce qu’il peut face à un Orchestre symphonique et lyrique de Nancy chiche en ressort et étincelles, mais surtout pour les
chanteurs qui méritaient quelques bravi. On pense notamment à Allen Boxer (Coyle), baryton ferme et impacté, à Chad Shelton
(Lechmere), ténor vaillant, clair et nuancé, et à Mark Le Brocq, efficace et sonore (Sir Philip). Chez leurs consœurs, on est séduit par
Katherine Broderick (Mrs Coyle), soprano ample d’une grande égalité de tessiture, et Kitty Whalely (Kate), mezzo souplement expressif.
Nos réserves concernent uniquement Ashley Riches, baryton trop peu homogène malgré une âcreté qui distingue le rôle-titre, Orla Boylan
(Miss Wingrave) dont l’aigu imposant cohabite avec un grave plus faible, et enfin Judith Howart (Mrs Julian), souvent en retrait.
(http://www.addthis.com/book
v=300&winname=addthis&pub
4d0f20c67562bfdf&source=tbx
300&lng=fr&s=myspace&url=h
3A%2F%
2Fwww.anaclase.com%
2Fchroniques%2Fowenwingrave&title=Owen%
20Wingrave%20%7C%
20Anaclase&ate=AT-xa4d0f20c67562bfdf/-//5437de2497fefd9d/2&fromme
LB
[1] Emmanuel Carrère, Je suis vivant et vous êtes morts (Seuil, 1993)
[2] Paul Auster, Report from the Interior (Henry Holt and Company, 2013) / Excursions dans la zone intérieure (Actes Sud, 2014)
http://www.anaclase.com/chroniques/owen-wingrave
10/10/2014