Fête de Pourim ou jour de Mardochée

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Fête de Pourim ou jour de Mardochée
Fête de Pourim ou jour de Mardochée ?
Quelles sont les vraies origines de cette célébration extra biblique (comme
Hanoukka et Tisha be-av) qui a si fortement conquis la sensibilité juive au point
que personne ne se pose même plus la question ? Pourim (ou le jour de
Mardochée pour parler comme les Evangiles) ne figure pas dans les calendriers
liturgiques prévus par le chapitre 23 du Lévitique, et en dépit de cela, même la
tradition talmudique, généralement incarnée par des sages à l’esprit rassis, affirme
qu’à l’époque messianique, tous les textes de la Torah auront perdu leur valeur
prescriptive, à l’exception du Pentateuque et du rouleau d’Esther ! Bien plus tard,
après la clôture de la littérature talmudique, le fondateur du mouvement hassidique
HaBaD, Shnéour Zalman de Liadi (ob. 1812) a jugé qu’à l’époque messianique,
l’obscurité sera transformée en lumière. En termes plus clairs, il jugeait miraculeux
le basculement du roi Assuérus qui était passé de la haine exterminatrice à
l’attitude la plus favorable et la plus conciliante à l’égard des juifs de son immense
empire. Un peu comme on dit de Dieu qui prouve ainsi à un être humain l’amour
qu’il lui porte : il transforme ses ennemis en amis.
Je pense que c’est là tout le mystère et le message de ce rouleau d’Esther qui
ne laisse pas de nous étonner et dont la canonicité n’allait pas de soi puisque les
Sages du talmud n’ont pas manqué de s’interroger sur son degré de sainteté :
rend-il les mains impures (metammé et ha yadayim) oui ou non ? Un autre détail
qui a, selon moi, toute son importance : pour quelle raison ce rouleau d’Esther estil le seul des vingt-quatre livres à ne pas figurer dans la bibliothèque de
Qoumran ? Nous savons pourtant que le judaïsme hellénistique en a gardé trace
dans deux versions et que les Septante adoptent une version qui ne coïncide pas
mot pour mot avec le texte massorétique que nous déclamons à la synagogue
pour le 14 Adar…
La fête de Pourim ou le jour de Mardochée (qui s’est comporté comme un
véritable exilarque : resh galouta) puisque c’est bien lui qui l’institua (sans même
prendre conseil avec les autorités de Jérusalem ou du Temple) vise un but :
montrer qu’au moment où le sort des juifs de la capitale Suze et de tout l’immense
royaume multiethnique et multilinguistique perse semblait scellé, une opération de
type providentialiste, en d’autres termes, la divine providence peut confier à
d’humaines mains, celles d’une jeune orpheline juive de fort belle prestance, le
soin de déjouer le funeste projet d’un courtisan orgueilleux et anti-juif et de
retourner contre lui et les siens ses noires arrière-pensées.…
L’action est un modèle du genre dramatique que l’auteur domine avec une
maestria de très haut niveau. D’abord, on n’est pas dans l’empire perse
proprement dit. C’est une belle fiction littéraire, même si l’on use de multiples
expédients (faste de la cour perse, literies d’or et d’argent, le vin qui coule à flots,
les banquets qui durent des semaines, emploi récurrent de termes persans, noms
des protagonistes tirés de cette même aire culturelle, etc). Il s’agit d’un esprit
hellénistique, vivant certainement à la fin du IVe siècle ou au début du IIe avant
notre ère à Alexandrie et qui se sert des schémas classiques de l’historiographie
perse (comme l’a montré de manière convaincante Arnoldo Momigliano) pour sa
mise en scène en l’honneur du destin juif . Et bien que le nom du Dieu d’Israël ne
soit pas cité une seule fois, oui, pas une seule et que celui du roi Assuérus le soit
un peu moins de deux cents fois, (sur cent soixante- sept versets que compte le
rouleau) c’est bien le Dieu d’Israël qui est ici à la manœuvre. Il y a cependant un
acte de contrition et d’expression de piété spécifiquement juive qui est mis à
contribution, c’est le jeûne de trois jours que la jeune Esther demande d’observer
afin que son entreprise de sauvetage réussisse et qu’elle puisse trouver grâce aux
yeux du roi. Or, cette humilité, cette soumission n’ont de sens que si elle s’adresse
au Dieu d’Israël qui doit, ainsi, étendre sur son peuple sa main protectrice.
Dès le début, le ton est donné. En quelques phrases bien denses, le
dramaturge campe le décor: après le renvoi de la reine Vasti et l’appel à
rassembler les plus belles jeunes filles du royaume, Esther est juive sélectionnée
et sera l’heureuse élue. Quel chemin parcouru ! Une petite orpheline juive,
adoptée par son oncle, va gravir les plus hautes marches de la société (non juive),
devenir reine, et après une courte hésitation, se muer en libératrice de tout son
peuple, un peu comme Judith qui va, hors les murs de la ville, occire le général
Holopherne qui assiège sa ville… On ne peut pas nier la ressemblance avec ce
livre de Judith ni, surtout avec la belle légende de Joseph en Egypte, telle que la
Genèse en relate l’histoire du chapitre 37 au chapitre 50…
Esther 2 7 : Et ce fut [Mardochée] qui éleva Hadassâh – elle, Esther – , fille de
son oncle, car elle n’avait ni père, ni mère. Et la jeune fille était splendide d’allure
et agréable d’apparence, et à la mort de son père et de sa mère, Mardochée l’avait
prise pour lui pour fille. 8 Et il arriva, quand fut entendue la parole du roi, et sa loi,
et que furent rassemblées des jeunes filles en grand nombre à Suse-la-citadelle
sous la main de Hégaï, Esther fut prise dans la maison du roi, sur la main de
Hégaï, le gardien des femmes. 9 Et la jeune fille fut agréable à ses yeux, et elle
obtint faveur devant lui ; et il se pressa de lui donner soins de beauté et portions,
ainsi que sept suivantes choisies de la maison du roi. Puis il la transféra, avec ses
suivantes, dans le meilleur appartement de la maison des femmes. 10 Esther
n’avait pas déclaré son peuple et sa parenté, car Mardochée lui avait donné ordre
de ne pas le déclarer. (Traduction de Philippe Abadie).
Voici le passage qui résume comment se noue le drame. Haman, l’orgueilleux
décide de faire payer à tout un peuple l’inconduite prétendue d’un seul individu à
son égard. On trouve déjà ici la notion de culpabilité collective : tous les juifs sont
pareils et Mardochée n’est que l’exemplaire individuel de ce qu’ils sont. Si lui
mérite la mort, eh bien tous les autres doivent payer le même prix. Cela me fait
penser à une image du grand spécialiste allemand de la Rome antique, Théodore
Mommsen, au sujet des juifs : Israël, écrivait-il en substance, n’est pas apparu
seul sur la scène de l’histoire mondiale. Il avait à ses côtés, un frère jumeaux…
l’antisémitisme !
Lisez attentivement les versets suivants :
Esther 3 8 Alors Haman dit au roi Ahašwerôš : "Il y a un peuple un, dispersé et
séparé parmi les peuples dans toutes les provinces de ton royaume ; et leurs lois
sont différentes de tout peuple, et les lois du roi, ils ne les observent pas. Mais
pour le roi, il n’est d’aucun profit de les laisser en repos. 9 S’il est bon au roi, qu’l
soit écrit de les anéantir (le’abdâm), et dix mille talents d’argent je pèserai aux
mains de ceux qui font l’ouvrage, pour les verser aux trésors du roi. 10 Alors le roi
ôta sa bague-sceau de sa main, et il la donna à Haman, fils de Hammedata, le
Agaguite, l’oppresseur des Juifs. 11 Puis le roi dit à Haman: L’argent t’es donné, et
le peuple, pour en faire ce qui est bon à tes yeux."
Pou fonder son acte d’accusation anti-juif, Haman argue de la dispersion et de
l’altérité de ses futures victimes : on a l’impression de lire le mécanisme de tout
antisémitisme ancien ou moderne. Les juifs sont chez nous, mais ils ne sont pas
comme nous, quel intérêt avons nous à les maintenir auprès de nous ? Il faut se
souvenir que dans l’Alexandrie antique, les actes ou les manifestations
d’antisémitisme n’étaient pas rares. L’auteur du rouleau d’Esther a peut-être voulu
parler d’une situation contemporaine tout en la transposant, pour des raisons
évidentes, dans une époque reculée, celle de la Perse, alors qu’il vivait dans une
civilisation hellénique.
Je n’aurai pas le temps de parler comme je le devrais de la personnalité
d’Esther, cette jeune fille apparemment frêle et innocente mais qui va se révéler
des plus coriaces et tendre un piège mortel à l’ennemi de son peuple. Ph. Abadie
cite (p 104) C. Méroz qui relève que la reine a deux noms : Esther et Hadassa ; ce
sont les deux faces d’une même personnalité ; or hadas signifie la myrte en
hébreu. Le midrash le dit bien : cette plante aromatique a une bonne odeur mais
un goût amer. Esther est douce pour son parrain Mardochée mais amère pour
Haman qui ne vas pas tarder à l’apprendre à ses dépens.… Certains veulent
même faire dériver son premier prénom ESTHER de la racine hébraïque STR,
cacher, occulter, dissimuler… Je ne partage pas ce point de vue qui relève d’une
étymologie populaire.
Comme je le notais plus haut, la leçon qui se dégage d’Esther, tout comme de
l’histoire de Joseph, c’est le basculement, le changement du tout au tout, ce
mouvement de balancier dont l’histoire juive semble avoir le secret et qui, au
moment où tout semble perdu, provoque une intervention divine que plus
personne n’attendait. Mon père (ZaL) m’avait appris que le salut de Dieu ne prend
guère plus de temps qu’un battement de cils (u-teshgu’at ha-Shem ké-héréf ‘ayin).
Le terme pour lui-même signifie le dé, le tirage au sort. Mais l’intervention divine
surclasse le jeu du hasard.
Le caractère surnaturel, providentiel littéralement, de ce salut est que le même
roi qui a décrété l’extermination décide un peu plus tard d’accorder sa grâce et sa
protection à une minorité religieuse de son royaume qu’il avait songé vendre pour
une poignée d’écus. Il est vrai que les rabbins disent que la bouche qui interdit doit
être aussi celle qui permet (ha-péh ha osser hu ha peh ha mattir…) Mais je doute
que ce roi perse fantasque qui partageait son temps, en bon satrape oriental, entre
beuveries et coucheries, ait eu une quelconque formation juridique… De plus, le
rouleau d’Esther parle de l’irrévocabilité des décisions du roi…
Bien que le nom divin ne soit jamais explicitement cité (parfois on penserait
que derrière le roi se profile Dieu) on sent une présence, comme pour Joseph qui
sombre comme esclave dans les geôles du pharaon mais qui, soudain, alors qu’il
ne s’y attend guère, se voit propulsé dans les plus hautes sphères… La Torah lui
fait même payer une faiblesse très humaine : il a supplié son codétenu enfin élargi,
de plaider sa cause auprès du pharaon. Erreur qu’il paye d’une prolongation de sa
détention. Le grand échanson l’oublie et ne cite Joseph que quand Dieu inspire au
pharaon les songes occultes que l’on sait. C’est encore Dieu qui décide et lui seul.
Pourtant pas une seule mention du mot Torah, pas un mot du temple, alors que le
terme Dat (loi, règle) connaît maintes occurrences.
Et de fait, on ne saura jamais pourquoi le roi Assuérus qui avait accordé sa
confiance et son amitié à Haman, vire de bord ! Peut-être faut-il tirer un second
enseignement, après celui qui met en exergue la providence divine qui veille sur
les enfants d’Israël. Au fond, ce rouleau d’Esther ressemble à une carte postale
que la gola envoie aux juifs de Terre sainte, avec le message suivant : même hors
des frontières de la terre promise, on peut vivre heureux, défendre ses intérêts et
échapper à un pogrom de masse. C’est d’ailleurs, aussi la leçon qui se dégage de
l’épisode de Joseph, lequel, comme Esther, fait preuve d’une loyauté à toute
épreuve tant envers l’Etat qu’envers sa communauté religieuse.
On peut aussi penser au chapitre 29 de Jérémie qui est la charte de l’Israël en
exil. : Plantez des vignes, mariez-vous, ayez des enfants, trouvez leur des filles et
des garçons, enfin prier pour la prospérité du pays où vous résidez car de son
bienêtre dépend votre bienêtre
La seule chose qui fait débat, et dont on parle bien peu, c’est le mariage mixte,
mais si on ne parle pas de descendance dans le cas précis d’Esther (dont les
descendants auraient été juifs de toute façon si la règle de la matrilinéarité
s’appliquait alors…), Joseph, lui, aura deux enfants d’une certaine Assenât, fils
d’un grand prêtre égyptien du dieu Râ… Ce n’est pas un fait anodin si le vieux
patriarche Jacob commence par bénir ses deux petits-fils, revendique clairement
leur appartenance comme ses propres enfants et dit qu’ils ont à ses yeux la même
valeur que Ruben et Simon !! C’est une véritable cachérisation. Mais qui oserait
être plus authentiquement juif que Jacob/ Israël, le fondateur de notre peuple et de
l’identité juive ? ?
Il faut fêter Pourim dans la joie, sans même s’arrêter à tout ce que j’écris sur
ses origines. Dans le cadre de la religion juive, c’est rare, les rabbins ayant
toujours préféré l’austérité à la joie de vivre ; en Israël, pourtant, c’est le jour du
carnaval et toutes les petites filles se déguisent en reine Esther. Quand j’étais
enfant nous recevions un peu d’argent pour acheter des bonbons et ma mère
(ZaL) faisait des gâteaux regroupés autour d’un collier, suspendu à notre lit. Dans
la tradition ashkénaze, il y a les Hamentaschen (petits gâteaux triangulaires
fourrés de raisons de Corinthe) ainsi que les ozné Haman (oreilles de Haman)…
On imite un peu le roi Assuérus en buvant plus que de coutume, mais pas au point
d’applaudir Haman en lieu et place de Mardochée..
Maurice-Ruben HAYOUN

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