Nerja et son Parador
Transcription
Nerja et son Parador
Fleur Blanche De Pierre Mauresque NERJA “Étendu que j’étais sur des tapis aux magiques couleurs, tandis que le doux sommeil alourdissait mes paupières, Naricha, ma Naricha surgissant parmi les fleurs, par toutes ses beautés récréait ma vue. » (Ibn Saadi)” Ibn Saadi Et son Parador L a sierra d’Almijara déploie ses versants sur la Costa del Sol. Là le littoral de Malaga se tortille. Toute la côte est un graphique de fièvre, une série hautaine de falaises battues par les brisants. L’entourage est un Parage naturel caillouteux, ardu et secret. Nerja fait le passage entre les provinces de Malaga et de Grenade. En plein XXe siècle cette ville se croyait sans prétention née au temps des Romains, lorsqu’en 1959 cinq aventuriers se risquèrent dans ce que l’on croyait être une mine, et qui devint aussitôt le plus grand trésor du lieu : ses grottes. Cette trouvaille creusa une galerie dans l’histoire locale en découvrant des couches et encore des couches de préhistoire ignorée. Les plus anciens restes situent les premiers habitants à l’Aurignacien du Paléolithique supérieur. Ces hommes primitifs furent suivis de centaines de générations, pendant 25.000 ans. Le patrimoine rupestre est époustouflant. Des plus anciens racloirs et burins trouvés aux niveaux inférieurs aux nombreux vases campaniformes, restes ultimes de la colonisation humaine datés de la fin du IIe millénaire av. J.C., il y a tout un monumental patrimoine, objet d’études incessantes, qui traverse les horizons culturels solutréen, magdalénien et les divers néolithiques. C'étaient les chasseurs, les pêcheurs et les cueilleurs de Nerja, amateurs de viande de cerf et d’animaux marins qu’ils harponnaient depuis le rivage. Ils avaient pour lot des temps froids et humides. La grotte où ils trouvaient refuge hébergeait leurs craintes, leurs triomphes, leurs festins et les premiers hurlements liturgiques. Au cours des siècles leur régime s’enrichit à l’aube d’un climat moins extrême, dans un paysage varié, et en leur qualité d’hommes déjà décidés à apprivoiser la nature. Pignons, olives, glands, légumineuses font déjà partie du garde-manger préhistorique, ainsi que les petits mammifères domestiques venus remplacer les canards et autres palmipèdes qu'ils devaient auparavant capturer dans l'eau. Ces racines profondes de la civilisation de Nerja se trouvent à 750 m de la côte, sur un mamelon à 200 m au-dessus du niveau de la mer et sur la face de la Sierra de Almijara qui baigne dans la petite Mer d’Alborán. C’est ainsi et là que se forme l’imposante série de falaises du Parc naturel. Un cataclysme plutonien bétique commencé il y a 500 millions d’années, pendant l’orogénie alpine, conséquence de la confrontation des plaques euro asiatique et africaine. Une fois que l’Homo sapiens quitte la caverne et se met en marche sur le terrain, sans doute à la recherche d’une colline où poser les premières pierres du village, la trace se perd. L’irrésistible alluvion mythologique pré hellénistique inonde tout. D’entre les boues légendaires ont survécu avec tout leur éclat le nom de la ville de Nar-issa, qui dans la langue de Mycènes veut dire « le lieu de l’eau », et la légende de Zalia. Ce conte millénaire reprend le célèbre épisode où Ulysse cède, envoûté par les NERJA ET SON PARADOR 1 charmes de la nymphe Calypso, en situant les faits sur le haut plateau connu comme la Mesa de Zalia, près de Nerja. À part les échos de la ville odysséenne, les preuves des établissements commerciaux phéniciens (et des colonies grecques) se limitent à la côte, remontant tout au plus jusqu’à Malaka, première enclave culturelle au-dessus de la démarcation de la capitale actuelle dont on ait des références historiques. La certitude romaine la plus proche se trouve à Maro, où avait ses fondations la villa Detunda. On y trouve encore dans la poussière les restes de l’Item Castulo-Malaca, à côté d’une ancienne fabrique de sucre, à Tragalamocha, au carrefour de la voie romaine qui reliait Sexi (Almuñécar) et Clavicum (Torrox). Le premier siècle avant notre ère venait à peine de commencer. Les Romains mirent à profit, comme un précédent, les infrastructures d’une manufacture phénicienne pour y monter un castrum duquel surveiller leurs domaines. Les Bons Temps De La Soie L es références sur Narixa, Naricha ou Narija – trois dénominations utilisées par les Arabes – prennent du corps à partir du IXe siècle. Ils en parlent comme d’une ferme aux allures de village, parmi les habitants de laquelle se distinguent les femmes par leur merveilleux travail de la soie, très apprécié et demandé par les commerçants de la Méditerranée. L’Andalousie, joyau du monde, encore plus belle, parfumée et animée que Damas, aussi brillante que Bagdad, égale en fertilité à Boukhara et solide comme Le Caire, comptait trente millions d’habitants au IXe siècle, sous le gouvernement d’Al Rahman II. Son industrie textile emploie 13.000 travailleurs qui produisent du coton, du lin, de la laine et la précieuse soie. Tandis qu’à Cordoue le savoir se propage à travers ses 3.000 mosquées, que le commerce se multiplie dans sa trentaine de banlieues et que les maisons de la sagesse et de la science foisonnent, produisant des traductions occidentales et orientales, Almeria, Malaga et Murcie fleurissent par leur riche travail textile ainsi que par l'art apprécié du verre et de la porcelaine dorée. Nerja possède son souk, de femmes probablement. La plupart parlent l’arabe, qui est la langue prédominante. Les femmes voilées sont une minorité, et le voile est d’autant plus épais que leur rang social est plus élevé. La femme andalousienne travailleuse parcourt les rues de la médina en prenant part aux criées, en vendant çà et là des épices. Contrairement aux lieux communs qui enferment les femmes chez leurs parents ou leurs maris, celles-ci exercent des métiers aussi variés que la coiffure, la logique, l’architecture, le chant, la calligraphie, l’astrologie, elles sont nourrices, prostituées, épileuses, pleureuses de morts. Elles ont leurs droits, une fois adultes, sur leurs biens immobiliers, en totale indépendance parentale ou conjugale. Le droit califal et taifal andalousien est le premier au monde autorisant les femmes à témoigner en justice. Cachés dans les fourrés, observons Nerja au printemps : les papillons quittent leurs cocons. Les mûriers poussent à foison : c’est l’espèce autochtone méditerranéenne. Les femmes viennent récolter leurs feuilles fraîches dans les fossés des murailles, au bord des canaux et aux portes de la ville. Après la conquête de la Perse, au milieu du VIIe siècle, le marché de la soie est contrôlé par les Musulmans. Théophane attribue à un Persan au nom oublié le transport des cocons de Serrès à Byzance. Mais d’après une autre tradition, ce serait avant cela, vers 550, que l’empereur Justinien aurait reçu personnellement en audience deux moines nestoriens qui, ayant séjourné trois ans en Asie, lui auraient remis, ainsi que les secrets pour l'élevage, des vers qu’ils avaient cachés dans leurs cannes et qui auraient servi de souche. Quoi qu’il en soit, la soie est déjà à Valence et à Nerja une industrie fort productive. Le travail que les femmes de Nerja font patiemment chez elles est lent. Le filage se fait à la main, au rouet, et le tissage sur de petits métiers à ros court. Mais le résultat est splendide. Des coiffes pour se couvrir la tête, des batilles utilisées pour quelques ouvrages en soie et en filoselle, en fils d'or et d'argent. De fins ouvrages aussi de passementerie, mélanges de soie et de coton. « On chante les louanges de la soie dorée et enfilée » à Nerja, s’enflamme un chroniqueur du XIe siècle. NERJA ET SON PARADOR 2 Comme restes encore visibles de ce temps long et profitable, précédant la reconquête chrétienne, nous avons la forteresse aux pieds de laquelle s’étendit la ville, à l’endroit encore appelé Castillo Alto (château élevé), et le drapeau andalou où subsiste le vert, couleur emblématique de la dynastie Omeyyade, alors garni d’argent et d’or avec au centre un yatagan et un verset du Coran. C’est ainsi que le décrit le poète Ahou As bag Ibn al Arqam : « Un vert drapeau Qui s’est fait de la blanche aurore une ceinture Déploie sur toi une aile délicieuse. Qu’elle t’assure le bonheur En t’accordant un esprit triomphant. » Drapeau Vert, Drapeau Noir L e moment venu, Nerja ne se bat pas contre l’empire chrétien, mais se rend sans livrer bataille aux troupes de Ferdinand le Catholique. En échange, comme récompense à leur loyauté, ses citoyens conservent leurs propriétés, leurs terres, les maisons qui ont vu naître leurs aïeux, leurs commerces. Mais les temps sont mauvais ; l’expulsion des Maures, jointe aux assauts réitérés des corsaires qui hantent toute la côte, ravagent Nerja. Doña Juana invite les Chrétiens à occuper les demeures abandonnées et à s’y installer, et leur accorde en plus l’exonération des tributs et de tout autre « service, accise ou imposition » algarabie. La butte héberge sept mille Morisques, vivant avec leurs familles, jusqu’à ce qu’ils furent passés au couteau en 1569. Pas un homme ne survécut. Les femmes et les enfants furent vendus comme esclaves. Viennent ensuite des temps calmes, des siècles de paix. Le christianisme érige ses temples : Nuestra Señora de las Angustias consacré à la patronne du village et, plus tard, à la fin du XVIIe, la paroisse de San Salvador. Les habitants sont environ 500, disséminés par les rues Corralón Granada, El Tajillo, Puerta del Mar et sur la Plaza de Cavana. Pendant un siècle seulement, la Torre de los Guardas (Tour des Gardes) veille sur la population. La guerre d’indépendance éclate ; cette tour et trois autres dressées sur la côte tombent devant l’armée française, non sans résistance. L’Andalousie fait face aux troupes de Napoléon et refuse l’autorité du roi qu’on lui impose. L’affrontement prend des allures d’épopée dans la Serranía de Ronda, où la guérilla et des membres de l'armée, menés entre autres par le contre-amiral Serrano Valdenegro, illustre marin, et par Ortiz de Zárate, soutenus par le gouverneur anglais de Gibraltar, font plusieurs incursions en terrain ennemi, toutes sans succès. Voici ce que nous dit de la situation des rebelles dans leur refuge de Ronda le Français Rocca, témoin et partie : « Nous mangions de notre propre chair et buvions de notre sang, dans cette guerre sans gloire, pour expier les injustices de la cause pour laquelle nous nous battions. » L’indépendance municipale arrive au début du XIXe, après l'obtention d'un échevinat formé de deux maires, trois députés et un syndic fondé de pouvoirs. Des hommes et des femmes d’autres pays arrivèrent aussi pour repeupler l’Espagne nouveau-née, des hommes et des femmes arrachés de leurs terres de l'Hindoustan, où ils servaient le roi de Perse avide de musique et de chants pour animer le peuple. De ce total de 12 000 Zotl dont parle l’historien Hazma d'Ispahan, quelques-uns atteignirent Al-Andalus après un pèlerinage de parias à travers l’Arménie jusqu’aux côtes des Dardanelles et du Bosphore, d’où ils fuirent ensuite devant l’invasion turque jusqu’en Anatolie occidentale, puis au nord du Danube jusqu’aux terres roumaines de Valachie et de Moldavie. En effet, c’est au dernier tiers du XVe siècle que les tziganes émigrèrent de l’Adriatique en Espagne et en Italie, où ils enrichirent grandement les cultures dominantes. Des liens qu’ils nouent avec l’algarabía, cette culture chrétienne andalouse teintée d’arabe, naît le cante qui, dès le XVIIe siècle, acquiert la forme reconnaissable du flamenco. Ressurgissant de ses cendres encore rougeoyantes, la petite ville de Nerja se dote de défenses contre la piraterie, de main d’oeuvre pour le labour, de femmes et d’hommes qui enfantent de nouvelles générations. Nous parlons d’un hameau qui au temps des Rois Catholiques dépasse à peine cent habitants, entassés autour des défenses qui, plusieurs fois abattues, amènent le peuplement de la localité voisine d'Irigiliana. Là, sur un tertre hiératique, la diaspora morisque se montre sanguinaire, d’une cruauté impossible à déguiser. Les Morisques échappés des Alpujarras et d’autres points d’Andalousie (Maures baptisés) viennent se réfugier sur ce tertre, qu’ils transforment en bastion, en foyer de guérilla contre une autorité qui leur interdit de parler leur langue NERJA ET SON PARADOR 3 Promenades Dans Nerja N erja se trouve dans la région la plus orientale de Malaga, appelée l’Axarquia, entourée de côtes et de sierras, frontalière de Grenade. Dans ses raidillons et ses ravins, l’histoire situe mille péripéties de banditisme, d’attaques aux chariots de marchandises chargés dans la ville de l’Alhambra. C’est aussi entre ses falaises que guérilléros et maquisards firent face aux troupes franquistes, et furent cernés par celles-ci, pendant la guerre civile de 1936. Le Parador, suspendu à une falaise, voit son horizon et la verte futaie de ses jardins caressés par l’air fauve de la mer. La Costa del Sol offre au voyageur ici hébergé ses meilleures plages. La vue de la corniche latérale tombe droit sur Nerja sans qu'une pierre ne dépasse l'autre ; blanche, collée à la côte, semée de palmiers, comme envoyée nager par sa mère, la sierra, vigilante cependant et prête à la secourir. Une fois dans le village, le voyageur trouvera facilement ses charmes sans en rater aucun. La coutume est, et la logique urbaine le conseille, de se placer sur la Plaza de Cavana où bat le c?ur de Nerja puis d’aller de l’avant. Le visiteur reviendra certainement à ce lieu pour se rafraîchir sur ses terrasses. Autour de la place se répand la Nerja originelle, la plus ancienne dont il reste le tracé et des maisons, celle des rues Lima, Filigrana, San Miguel et Castilla Pérez. Cette promenade simple par les ruelles étroites, sans aucun volume monumental interrompant l’errance, sans autre distraction qu’une fleur sur un balcon, un enfant dans un square ou la ribambelle d’ombres sur les façades blanchies. Quel plaisir que cette première promenade ! Tout de suite, l’étranger tombera sur l’église d’El Salvador, temple majeur de la localité, datant du XVIIe siècle. Une église qui, malgré de nombreuses rénovations, garde sa force mudéjare sous les revers baroques qui suivirent. Juste en face, une salle de l’hôtel de ville nous propose la contemplation des oeuvres de peintres locaux (et d’artistes de passage capturés par le paysage). Rues, marines, couchers de soleil suspendus aux toiles comme des souvenirs, comme les éclats d’émotions d’un lieu qui marque profondément le nouveau venu. L’artiste de Malaga le plus prodigue de ces derniers temps a peut-être été, en parlant de peinture lyrique, Moreno Villa, poète à l’occasion, et fils de l’exil mexicain. Il écrivait ainsi : « Je déteste la musique mais ce cante jondo... ces couplets qui sont miens depuis le fond des temps, ces couplets qui sanglotent en chantant, qui gémissent ils sont ce qu'est mon sang : ils s’appellent solitude. » De ce point, combien de bateaux corsaires à l'affût furent aperçus, combien d'autres, marchands et chargés de tissus aux temps de la splendeur de la soie, ou transportant du sucre, partant à la pêche ou en revenant, et combien d’états d’âme de la mer, tant de fois sereine, tant de fois saisie de fureurs. La plage la plus demandée, la plus vaste et la plus fine, est aussi la plus accessible et la plus proche : la Playa Burriana. Après une trempette, si le voyageur veut bien nous suivre, qu’il soit prévenu : nous allons subir tant le soleil de la sierra que l’humidité spectrale des sombres cavernes, car c’est bien vers la célèbre grotte que nous allons, non sans un regard sur ce qui se présente en route, la localité voisine de Maro. Ce ne sont que trois kilomètres, en sortant par la N 340. Mais... que voyons-nous ? Si nos yeux ne nous trompent pas, on dirait bien un aqueduc... En effet, c’est le pont d’Águila, plus qu’un ouvrage d’art un tour de force qui enjambe le Barranco de la Cordillera. Cet aqueduc fut construit vers 1880 par Francisco Cantarero Martín, issu d'une famille bien connue à Nerja, d'après les dessins de Rafael Claves. Il se dresse sur quatre niveaux d’arches de plein cintre surhaussées, en briques de tuilerie liées au mortier. Par le canal supérieur coule un cours d’eau d’environ 65 cm de fond, avec un débit d’une centaine de litres par seconde. La girouette, un aigle bicéphale dans le style de Charles V, indique, en haut d'un pinacle qui couronne le tout, le vent du levant venu s'échouer contre les murs de roc. Son nom d’Águila n’a cependant rien à voir avec l’aigle de la girouette mais bien, et les plus vieux s’en souviennent, avec les nids d’aigles pattus qui étaient fourrés, avant la construction de l’aqueduc, dans les creux du ravin. Le voyageur est pris de doutes, peut-être même qu’un tel déploiement en pareil lieu lui semble absurde. Le hameau de Mar, auquel appartiennent ces terres incultes, est une ferme village très ancienne, avec des preuves de la présence phénicienne et romaine et dotée, c’est là l’explication, d’une industrie sucrière remontant au XVIe siècle. La production s’accrut, la canne, originaire de l’Inde et de la Chine et apportée par les Arabes aux alentours du Xe siècle, était exportée vers l'Europe depuis la douane de la Playa Burrianas ; c’est la raison d’être de l’aqueduc, qui fournissait l’eau devenue nécessaire à côté d’ « une fabrique de sucre, de bâtiments divers et de plusieurs canaux. » Le paysage qui entoure cette chaîne principale de Tejada étend des falaises desséchées, des failles, des crêtes, soudainement traversées de ruisseaux, aux cours légers, imprédictibles, qui apportent à ces volumes montagneux un zeste de fraîcheur et de vitalité. Depuis la localité de Maro (qui fait partie de Nerja), et dans ses hauteurs, près de l’autoroute de la Méditerranée, se trouve la visite étoile, le grand temple, la chapelle principale et caverne des cavernes : la grotte de Nerja. La ville mène naturellement le promeneur à se pencher sur la mer, à s'émerveiller de la Méditerranée, qui s'offre devant le Balcón de Europa, au bout du Paseo du même nom. Nom qui fut, dit-on, suggéré par Alphonse XII en admirant là le nord pressenti, lors d’une visite en décembre 1884, quand un tremblement de terre abattit la moitié de la ville. NERJA ET SON PARADOR 4 L’information que nous apporte ce musée vivant (quelque vingt-cinq mille ans de préhistoire), sous forme de patrimoine rupestre, est immense. Nous recommandons donc au visiteur, avant de se lancer dans le parcours des grottes, de prendre note mentalement de ce qu'il va visiter en s'adressant, sur place, au centre d'interprétation des grottes. Nous n’insisterons que sur la saisissante beauté naturelle de l’ensemble, avec des voûtes atteignant 60 m de hauteur, des eaux qui se parlent dans le noir, et des grappes de stalactites formées par l’eau s’infiltrant goutte à goutte. Toutes ses salles, et elles sont nombreuses (sur environ un kilomètre), sont empreintes d'un magnétisme mystérieux, capricieux, exaltant l’imagination. Voyageurs, ne ratez surtout pas, si c’est la saison, les spectacles du festival de musique et de danse organisés chaque année dans la Salle de la Cascade. La curieuse climatologie de l’endroit, que le visiteur aura déjà ressentie, résulte de l’efficace action adoucissante et humidifiante de la mer d’Alboran sur l'inclément cagnard, le plus chaud et le plus sec de toute la province. Bien que dans le spectacle de ce paysage les premiers rôles reviennent à la muraille de roc, à son relief bouleversé par le quaternaire et à l’action fracassante de la mer et de l’homme, il y a toutefois ici une gamme faunistique et florale au chromatisme et aux arômes vigoureux, adaptés aux talus de la sierra, au cordon de rochers sous-marins, aux abris de pierre enfermant les plages, aux élévations qui frisent les 2 000 mètres, aux ravins, aux lits que creusent les torrents et les ruisseaux, Loin de la mer : caroubiers, chênes verts, épineux et buissons odorants comme la lavande courante et stéchas et le thym abritent et nourrissent caméléons, aigles, martinets, faucons pèlerins ainsi que les oiseaux marins venus jusque là. Au bord de l’eau, des immortelles, du romarin blanc, du thym et du persil de mer... Dans l’eau, des algues rouges, vertes et brunes, des anémones dorées, des peupliers noirs, des sars, des poissons arc-enciel, des calmars et des pieuvres parcourant les prairies de plantes phanérogames. Un paradis sous-marin, pour connaître lequel le voyageur amateur de plongée devra demander une autorisation, sans quoi cela lui sera interdit. Excursion : Des Sommets Aux Entrailles De La Terre 'itinéraire le plus plaisant à emprunter du point où nous sommes, au bord de la Méditerranée, consiste à suivre la Costa del Sol dans un sens ou dans l’autre. Mettons donc les serviettes de bain dans le coffre (et une bonne paire de bottes au cas où nous songerions à aller dans la sierra et à grimper sur les rochers, ce dont nous parlerons également). L Le parage naturel des Falaises de Maro est ce que nous avons de plus proche. La voiture servira de peu, par contre pour vous faufiler entre les failles et les nervures il vous faudra une bonne résistance à la chaleur et des jambes alertes. Ce parage est situé à la frontière des provinces de Malaga et de Grenade. Il s’étend sur une longueur de 12 km, parallèlement à la côte, et limite au nord avec la route N-340. C’est cellelà même qui nous y mène, en la prenant dans la direction d’Almuñécar. Les falaises et les fonds rocheux constituant le paysage sont les derniers contreforts de la Sierra Almijara, formées au sud de la Cordillère Bétique il y a quelque 500 millions d'années. L’ensemble vers lequel le voyageur approche est une succession de couleurs et de ruptures rocheuses hérissées sur les eaux limpides de la côte. La singularité de ses couches tectoniques fait que les matériaux plus anciens, métamorphisés, soient les plus visibles par-dessus d'autres plus jeunes. Ce qui par contre est à la portée de tous, ce sont les plages de la Costa del Sol, que nous invitons à présent à visiter en sens contraire, vers Malaga. Leurs points d'intérêt principaux sont : Torre del Mar, après la pointe de Torrox, et le Rincón (coin) de la Victoria. Torre, c’est inscrit dans son nom, est une joaillerie de donjons, de tours de guet malmenées, ruines d’un temps où la piraterie faisait ravage. Tout près, vers l’arrière-pays, le voyageur ne devrait pas rater l’occasion d’une promenade dans la très historique ville de Vélez-Málaga, dont Torre est un district. Son passé remonte aux Phéniciens, on y trouve des restes romains et aussi des traces de la présence arabe. Depuis ses origines elle a joué, successivement, des rôles importants dans l’histoire, parfois truculents. Pourtant, la ville est aujourd’hui joyeuse, et très bien pourvue de services touristiques. Revenus sur la grand-route, vers le sud, une plage après l’autre de sable soyeux, et nous atteignons le très renommé Rincón de la Victoria. Là se concentre un tourisme national, aimant les chiringuitos (guinguettes, souvent sur la plage même), la placidité de la brise, les clovisses grillées et les anchois frais de Victoria. Pour en visiter la côte, qui est son bien le plus précieux, le voyageur doit guetter l’indication qui lui indique où quitter la route, après la Cala del Moral. Arrivés à Rincón de la Victoria, nous trouvons la mystérieuse Cueva del Tesoro (caverne au trésor), qui tient ce nom d'une ancienne légende soutenant qu'au XIIe siècle l'empereur des Almoravides, Tsoufine ibn Ali, y fit cacher un important trésor. Depuis lors, de nombreuses recherches ont été faites, de nombreux mythes et bien des légendes sont nés sur le seuil de sa sombre enceinte, mais jusqu’à présent, malgré l’inépuisable quête de son dernier propriétaire et chroniqueur, Cristóbal Medina, le trésor n’a pas encore livré son secret.. Il y a encore une poignée de grottes à retenir, réparties dans la province de Malaga : celle de Belda, celle de los Murciélagos (des chauve-souris) ou celle de Doña Trinidad, toutes faisant l’objet de nombreuses histoires, NERJA ET SON PARADOR 5 Mais passons aux poissons, spécialité des chiringuitos situés sur la plage, la sardine grillée au feu sur brochette et les anchois frais, les salmonetes (rougets), les calmars, les puntillas (petits calmars), les soles et les chanquetes (minuscules alevins d’anchois) en friture. Un autre plat de mer remarquable est le pimentón con pescado y almejas (poivron au poisson et aux praires), qui a la curiosité d’être cuit dans un potiron. Les légumes frais et sains sont une constante sur la table à Nerja, en salade, cuits, sautés, en garniture pour les viandes, etc. Le plus curieux dans cette tradition horticole presque millénaire est peut-être la présence de fruits exotiques sous tropicaux, à savoir : les avocats et la chirimoya (anone). Très typique de cette ville côtière : la salade d’avocats aux gambas (crevettes), oignons, oeuf, "sauce rose" (mélange mayonnaise-ketchup) et caviar. Quant aux anones, Malaga est le plus grand producteur mondial. aucune d’elles n’étant toutefois aussi intéressante par sa spéléologie que celle « au trésor ». La journée touche à sa fin, mais des dizaines d’excursions pourraient se greffer sur celle-ci. On pourrait se lancer sur la route del Aguacate (des avocats, il s'agit des fruits) vers Iznate et Benamargosa, route bordée de plantations de fruits tropicaux. Mais ce sera pour un autre jour. C’est le moment de rentrer à la maison, c’est à dire au Parador. De se mettre à table, de jouir de sa cuisine et de rendre justice à notre corps en lui offrant un bon repos. Claire Comme Le Raisin, Rêche Comme L’olive L a cuisine andalouse, appréciée et gourmande, baigne dans cette mer épaisse qu’est l’huile d’olive. Certes, une huile magnifique, aussi éminente que celle de Jaén mais totalement différente. La particularité de cet or liquide où viennent se baigner tant les poisson que les légumes a pour origine celle des olives. L’alchimie qui prévaut ici et dans les villages environnants est le mélange des olives hojiblanca et verdial de VélezMálaga, qui produit une huile fruitée, dépourvue de toute amertume, dont la composition en acides gras est très équilibrée. Un hors d’oeuvre toujours apprécié : le gazpacho. Mais attention : un gazpacho tout différent de celui de la Manche. Le gazpacho andalou est un plat succulent, riche en petits ajouts : tomate, poivron, oignon, ?uf dur, croûtons, jambon... le tout découpé en petits dés. Il y a également la variété chaude, appelée gazpachuelo, et ce délice blanc qu’est l’ajoblanco (ail blanc) et qu’on a coutume, à Nerja, de garnir de raisins. À propos des raisins, et du muscat dont c’est ici l’empire, il est bon de signaler, au cas où le voyageur voudrait commencer par un apéritif, que Nerja et sa contrée sont le centre de production du vin doux de Malaga. Un vin prodigieux, parfait en son genre, obtenu par un processus qui utilise quatre kilos de raisin pour chaque bouteille de cru et qui, une fois pressé, passe des années dans des tonneaux de chêne français. Certains prennent le Malaga doux avec un pescaíto (petit poisson) frit, où alors au goûter avec une pâtisserie. Le vin rouge va mieux avec des entrées plus caloriques et hivernales, comme les migas (ingrédients divers, charcuterie et légumes, dorés à la poêle avec du pain émietté ou de la semoule, chaque région ayant sa recette) ou le choto (chevreau) sauté ou cuit dans une sauce aux amandes, celles-ci ne manquant certes pas à Nerja. On les retrouve d’ailleurs dans des recettes telles que la soupe aux amandes, bien du lieu, généreuse en ail, huile et sel. Arrivés aux desserts, avec l’héritage arabe bien présent, les amateurs de douceurs populaires apprécieront particulièrement les batatas (pommes de terres douces) cuites au miel de canne, et la torta sanjuanera (gâteau de Saint Jean) à la farine de froment, huile, sucre et matalauva (grains d’anis vert). LA RECETTA SECRÊTE: MAÏMONS APOCRYPHES On appelle maimón le singe et aussi, ici en Andalousie, la soupe : les « maïmons » recommandés ici n’ont aucun rapport avec le philosophe juif, il s’agit simplement d’un ragoût très apprécié dans la région d’Axarquia. INGRÉDIENTS : 2 oeufs, 5 gousses d’ail (rouge si possible) ; huile d’olive (1 dl), un peu moins d’1/2 kg de pain rassis, des raisins de muscat (a volonté) de l'eau et une pincée de sel. La recette, qui est en quelque sorte une soupe à l’ail sans l’austérité castillane, commence par découper le pain en tranches aussi fines que possible. De même pour les aux, puis faire sauter les unes et les autres sans arriver à les dorer. On ajoute alors l’eau et le sel. Quand cela bouillonne, ajouter les oeufs préalablement battus et attendre qu’ils prennent. Servir dans un plat chaud en terre cuite, accompagné de raisins épluchés et égrainés. Parador de Nerja C/Almuñécar, 8. 29780 Málaga Tel.: 95 252 00 50 - Fax: 95 252 19 97 e-mail: [email protected] Central de Reserves Requena, 3. 28013 Madrid (España) Tel.: 902 54 79 79 - Fax: 902 52 54 32 www.parador.es / e-mail: [email protected] Textos: Miguel García Sánchez Dibujos: Fernando Aznar NERJA ET SON PARADOR 6