epilogue
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LA 2E DB – Général Leclerc- EN France combats et combattants EPILOGUE BERCHTESGADEN L 'ALLEMAGNE ! Depuis Koufra, tendus vers la France et Strasbourg, nous battions l'Allemand. Nous le battions sur nos objectifs français, qui mobilisaient tant de notre pensée que, derrière eux, l'informe Germanie s'estompait. Strasbourg atteint, la Division fut un instant dans le vide. Ce vide devait vite être envahi par une nouvelle et exigeante déter-mination. De l'observatoire Rouvillois, sur un coin de la grande bâtisse des Moulins, derrière le petit Rhin, on découvrait les trois ponts de Kehl, encore intacts. Sous le feu qui restait vif, le paysage était désert : le fleuve, grossi par la crue, y mettait seul une puissante artère de vie. Derrière, près à toucher, les immobiles villages allemands semblaient se ramasser sous la menace. Il fallait maintenant forcer ce repaire. Près de cinq mois allaient cependant s'écouler avant que nous ayons droit à cette conquête. D'abord, tandis qu'une brume persistante recouvrait l'objectif un instant entrevu, la Division remontait la rive gauche du Rhin et les vapeurs de l'hiver pour les combats de Haute-Alsace. En mars, la tâche aux frontières achevée, elle se regroupait dans le centre, puis préparait sa participation à l'opération de Royan : celle-ci, qui devait ne durer que trois jours, du 15 au 17 avril, nécessitait sous les ordres du général de Larminat une longue mise en place. Elle se déroulait alors au rythme prévu, libérait l'estuaire de la Gironde. Avant même qu'elle fût terminée, et dès que le général de Larminat eût estimé pouvoir poursuivre sans leur concours, les éléments que la Division y avait engagés et ceux qui restaient disponibles à Châteauroux se mettaient en route pour rejoindre la VIIe Armée américaine. Celle-ci avait entre temps franchi le Rhin, traversé le Wurtemberg ; elle arrivait par le nord en Bavière. Après avoir regroupé leurs moyens, forcé dans la région de Wùrtzbourg les résistances du Main, les Américains viennent de repartir. Le général Haislip avec le XVe Corps, après cinq jours de combat, a occupé Nuremberg, poussé vers le Danube où nos premiers officiers le rejoignent : à Donauworth, ils assistent au franchissement du fleuve, aux dernières réactions organisées de ce qui reste d'armée allemande. Ce n'est cependant pas avec « notre » XVe Corps que nous serons engagés, mais avec son voisin de droite, le XXIe, aux ordres duquel nous avions terminé la campagne d'Alsace : le général Millburn a franchi le Danube un peu en amont, à Dillingen. De l'Atlantique au Danube, notre marche forcée, je vous laisse le soin de l'imaginer. Les premières colonnes, parties le 23 au matin par la route, sont le 27 au cœur de la Souabe, après avoir franchi le Rhin à Mannheim : elles y retrouvent leurs chars, embarqués sur chemin de fer jusqu'à Brumath et qui sont ensuite passés par Kehl. Le 29, le groupement Guillebon, à peu près recollé, passe à son tour le Danube à Dillingen. Les trois autres groupements étalent leurs éléments sur 1.200 kilomètres. Jusqu'au 2 mai, date à laquelle la Division sera regroupée, et afin d'être jeté immédiatement dans l'action, Guillebon passe aux ordres de la 12e Division blindée américaine. Avec elle il franchit la Lech au sud d'Augsbourg, contourne l'Ammersee, continue plein sud, dans les rafales de neige, face aux Alpes et à Garmisch. Arrivé au pied des montagnes, il porte son effort à l'est, arrive sur l'Isar à Bad Tolz. L'escadron Da, qui a rejoint dans l'après-midi après une étape de 400 kilomètres, traverse immédiatement la rivière : suivi du sous-groupement Sarrazac, il part en tête vers l'Inn qu'il franchit le premier, le 3 au matin, à Nussdorf. L'ennemi ne semble plus réagir que par la destruction de ses ponts : et encore celleci est-elle de moins en moins systématique. Aux coupures, et à quelques barrages dressés sur les routes, un canon automoteur entouré de quelques fanatiques fait parfois le coup de feu. Delpierre, dont la mission est de pousser au plus près de la montagne, refuge naturel des dernières unités organisées, réussit encore quelques combats en règle. Aux abords du Tegernsee, il démolit sept canons, désarme près d'un millier d'Allemands : faits prisonniers dans l'action, ceux-ci iront se fondre au troupeau qui depuis hier surgit de tous les coins, encombre les itinéraires de ses interminables colonnes, reflue à pied et presque sans escorte à l'arrière. Le 3 mai la 12e blindée américaine, qui est restée derrière l'Isar et qui a couvert dans les derniers jours des distances considérables, s'arrête à son tour. Le Général reprend le commandement. Derrière Guillebon qui continue à pousser en tête sans répit, il a fait suivre un deuxième bataillon d'infanterie, celui de Fausse, et les spahis. Le nouvel objectif est Berchtesgaden. L'affaissement général s'accentue. Les civils, depuis longtemps sans réaction et qui pavoisent leurs villages de drapeaux blancs, sont maintenant noyés dans la migration de leur armée. Celle-ci capitule sur place par paquets; ou bien, incroyable mesure d'une administration qui croit au papier et aux tampons, se démobilise ellemême, renvoie ses hommes chez eux, un certificat dans leur poche. La fameuse « Alpenstellung » est abordée sans résistance : on cueille un nombre croissant de personnages importants, généraux, ministres, certains du proche entourage de Goering qui au cours d'interrogatoires désabusés lèvent un coin du voile sur l'avant-dernier acte de la tragédie de Berchtesgaden. Le 22 avril s'y est tenu le dernier grand conseil des nazis, celui qui a décidé et annoncé au monde qu'Hitler subirait le sort de Berlin. Le grand premier rôle de ce scénario avait-il eu l'initiative de cette décision ? Ou s'était-il cabré devant l'ultime échéance qu'un cercle de figures fermées lui signifiait maintenant comme inexorable ? On nous apprend seulement qu'après la séance plénière Hitler s'est retiré avec Himmler, Goebbels, Keitel, Jodl et Dœnitz. Il leur a demandé de partager son sort. Goebbels, seul, a accepté sans murmure (il a même renchéri, y ajoutant sa femme et ses enfants). Keitel et Jodl se sont retirés avec hauteur. Himmler s'est défilé. Dœnitz s'en est tiré par une longue poignée de main suivie d'un regard pathétique. Puis les acteurs ont vidé la scène. Sur leurs talons arrive Gœring, à point pour le bombardement du 24 qui bouleverse le décor, et qu'il subit stoïquement dans ses souterrains. Il vient brandir le fameux testament, celui dont quelques jours plus tard nous trouverons sur sa table l'enveloppe rageusement ouverte, celui qui l'a autrefois institué dauphin. Un coup de téléphone de Berlin lui enlève, hélas! ses illusions, bientôt suivi par l'arrivée des séides d'Himmler dont ses propres fidèles doivent le dégager. Il s'est alors enfui vers l'Autriche, où nous essayons de suivre sa piste. Pour mettre la dernière note à cette confusion, toutes les nations se sont mises sur les routes : prisonniers des commandos ou des camps en uniformes français, russes, yougoslaves, polonais, un accent de triomphe dans le regard; travailleurs des villes; déportés des camps de concentration au cheveu ras, presque toujours gris même si le visage est jeune : au milieu d'un peuple vaincu qui joue l'innocence, leurs silhouettes décharnées portent de loin en loin leur témoignage; leurs yeux fiévreux reflètent qu'avant de songer à l'exhubérance ils refont intérieurement un implacable bilan de souffrances. L'escadron Da, qui à peine arrivé à Nussdorf a reçu l'ordre de repartir en avant, fait à toute allure sur l'autostrade encore 40 kilomètres. A Siegsdorf, il bifurque sur la route directe de Berchtesgaden, où il en abat encore 15. Vers 16 heures, il aborde derrière Inzell le premier défilé : le pont est coupé, la gorge étroite et profonde est battue par le feu. A tout ce que l'Allemagne au ressort cassé livrait sans réaction sur nos itinéraires, il manquait en effet un dernier spécimen : le S. S. On le trouverait, ou jamais, dans le repaire des repaires : Berchtesgaden. Regardez une carte : la Bavière pose son ventre sur les Alpes. A son extrême pointe, au sud-est, comme une hernie, un cirque étranglé et fermé de montagnes d'un diamètre d'environ 30 kilomètres protrude sur l'Autriche. L'écoulement des eaux, qui se décantent un moment dans le beau Konigssee, se fait par une gorge profonde vers Salzburg, mais les deux routes principales, par l'étranglement, viennent d'Allemagne. Elles traversent chacune de leur côté un torrent, le Saalach, qui noue la hernie, puis un col d'inégale difficulté. Venant d'Inzell, l'« Alpenstrasse » est la plus dure, en outre elle n'aborde la Saalach qu'au prix d'un défilé préliminaire : celui où est arrêté Da. Le 4 au matin, les spahis cèdent momentanément la place aux coloniaux de Sarrazac. « Boulot pour montagnards... » disent-ils en jaugeant les raides escarpements où ils doivent déloger un ennemi invi-sible qui tire à coup sûr. Sur l'autre versant, il faut conquérir un village : deux compagnies ennemies y sont installées, avec des 88 sous rondins. Notre artillerie, le 64e, qui rejoint à marches forcées, arrive à temps pour appuyer l'attaque. Le soir, le génie peut amener son pont. Le 5, toute la journée, la 9e Compagnie du Tchad, avec un peloton de spahis qui lui aussi a mis pied à terre et un bataillon de la 101ème Division parachutiste américaine qui les suit, peine dans les défilés, exerce à nouveau ses talents d'alpiniste aux quatre coupures battues par le feu. Vers 15 heures, après trente-six heures de combats exténuants, elle arrive à Berchtesgaden : les spahis de Lamotte sauvaient au dernier moment leur honneur de motorisés en réquisitionnant un camion de la Wehrmacht sur lequel ils faisaient leur entrée. Berchtesgaden était déjà très animé, pavoisé de blanc par ses habitants, rempli de Jeeps et de Sherman. Dès le 4 au soir le village avait été occupé par les Américains de la 3e Division et par notre sous-groupement Barboteux. Guillebon y avait incontinent porté son P.C. La 3e Division américaine, dont l'objectif était Salzburg, avait, parallèlement à nous, roulé à toute allure sur l'autostrade. Celle-ci comporte, on le sait, deux bandes (montante et descendante) séparées par un ruban de gazon; chacun en avait pris une, tous dans le même sens, naturellement. A la Saalach, le pont était sauté. Déviant sur la gauche, donc dans sa zone, la 3e Division avait rétabli un passage, occupé Salzburg, qui n'était qu'à 10 kilomètres. Un de ses régiments la couvrait, à Reichenhall, vers Berchtesgaden. Le général O'Daniell, qui nous avait autre-fois relevés à Strasbourg et avec lequel nous avions combattu à Neuf-Brisach, nous livrait obligeamment son pont, mais aussi son régiment qui partirait avec nous (en fait devant nous, puisqu'il était déjà en place) sur notre objectif. Le col après Reichenhall est relativement aisé : pris de vitesse ou de panique, les S.S. ont renoncé à le défendre. Bien mieux : cette troupe de choc, ce noyau des noyaux, ces apôtres du suicide specta-culaire s'évanouissent complètement. A Berchtesgaden, nous trouvons des casernes pleines de troupes — qui semblent innocentes et régulières, qui ont tout rassemblé pour une reddition non moins régulière — et des civils empressés qui nous accueillent en libérateurs ! Berchtesgaden n'est cependant qu'une petite station de montagne, au creux du cirque, là où ses trois torrents se rencontrent avant de bondir par leur gorge unique vers l'Autriche. Si ce nom est maintenant célèbre, c'est par le contrefort qui le domine, l'Obersalzberg, dont Hitler avait fait son domaine. De Berchtesgaden, regardant vers le sud, et déjà isolé du reste du monde par le Predigtstuhl qui barre votre dos, imaginez en toile de fond-deux hautes montagnes culminant à 2.700 mètres, le Watzmann et le Hagen. Elles enserrent de falaises verticales, 2.000 mètres plus bas, un lac allongé et vert, le romantique Kônigssee. Du Hagen, en proue sur cette toile de fond, ce contrefort qui vient dominer le village, c'est l'Ober-salzberg. Hitler en avait occupé le sommet rocheux, le Kehlstein, à 1.800 mètres, où il avait bâti son « nid d'aigle » : François-Poncet nous en a décrit l'accès, par sa route de montagne, puis l'ascenseur qui vous enlevait pour les derniers 100 mètres. Il en avait davantage occupé le flanc, vers 900 mètres; autour de sa propre villa, le « Berghof », de celles de ses gardes et de ses acolytes Borman et Goering, il y avait fait surgir une petite ville, le Platterhof : caserne des S.S., hôpital, hôtel des invités, poste, garages, dépendances. Il en avait surtout creusé le roc en interminables souterrains, organisés non pas en abris passagers, mais pour y vivre; sous la frêle superstructure des villas, ce monde tributaire d'artificielle lumière et d'artificielle aération était pour ses adeptes le vrai « saint des saints ». Le S.S. s'était évanoui à Berchtesgaden. Que ferait-il au « saint des saints ? » Seul en Jeep, par 3 kilomètres de très raide montée, à la tombée du jour, le capitaine Touyeras fonce sur le Berghof. Il est suivi par la 2e Section de la 12e Compagnie du Tchad (lieutenant Messiah). Aux frontières du domaine, ils confrontent un parfait chaos. Le bombardement aérien du 24 avril a déchiqueté les arbres et retourné les pelouses; les villas, déjà défigurées par l'odieux camouflage vert, sont maintenant des amas de planches et de gravats. La section met pied à terre à la lisière supérieure et descend d'entonnoir en entonnoir en couvrant méthodiquement le terrain. La villa d'Hitler, le Berghof, est en contre-bas. Voici que d'immenses flammes en surgissent. Sous le toit effondré, la grande pièce à baie carrée et l'appartement privé qui la domine avaient été relativement épargnés par les bombes. Les S. S. s'y sont réfugiés, ainsi que dans le souterrain, où nous trouverons demain leurs reliefs. A notre approche, ils s'enfuient. Cet ultime et misérable incendie n'est même pas un sabordage : nous pren-drons intacts les souterrains et tout ce qu'ils contiennent, et tout ce que conservent la villa de Goering et son train garé là-bas dans le fond sur sa voie, et ce que livreront encore les caves, les garages, les dépendances. Nous ne rencontrerons pas un nazi pour nous combattre face à face, au nom de son uniforme et de sa foi. Le 5, Barboteux, nouveau maître de l'Obersalzberg, fait les honneurs de son domaine à de nombreux visiteurs. Il s'excuse de leur imposer une démarche incertaine, dans les gravats croulants et la terre fraîchement remuée, et de n'avoir encore qu'une connaissance incomplète du laby-rinthe souterrain. Mais un immense drapeau tricolore, trouvé sur place, couvre le mur de soutènement, celui qui porte la terrasse du Berghof, au sommet duquel ont plastronné tant de silhouettes prétentieuses. Dès le matin, en outre, une patrouille est partie vers le Kehlstein. Pour atteindre le sommet, il faudra à ces hommes neuf heures de neige, d'éboulis, voire d'escalades; venus des immenses horizons bas, des chaudes buées du Tchad, rien ne les étonne des trajets par lesquels ils font passer les Couleurs. soir, elles flotteront sur ce qui, pour le monde, fut le « nid d'aigle». Entre temps Delpierre, que Guillebon avait lancé sur le troisième et dernier itinéraire, celui qui vient de Salzburg par Grôding et les gorges, était lui aussi arrivé, à peu près en même temps que Sarrazac et que Da. Tous trois vont repartir aussitôt, traverser le cirque, éclater par le sud-est et le sud-ouest vers l'Autriche : Delpierre sur la vallée de la Salzach vers Hallein, les deux autres vers la haute Saalach et Lofer, où Kesselring avait hier encore son P.C. Sur ce dernier itinéraire ils rattrapent une colonne allemande à qui ils prennent cinq cents hommes et deux généraux. L'ennemi avait tenté de réagir; parmi nos manquants, il y a le nom du sous-lieutenant Peters. Ce sera notre dernier combat. Depuis hier, nous avons à plusieurs reprises ouvert nos rangs à des allées et venues de parlementaires. Le 5 au soir, ordre nous arrive d'avoir à nous arrêter sur place à Salzburg, l'émissaire de Kesselring a signé la capitulation du groupe d'armées G, celui qui avait essayé de nous barrer la Lorraine et l'Alsace et dont les débris sont maintenant acculés à l'Autriche, de la Suisse à la Tchécoslovaquie. Le 7 au matin, toujours sur nos positions, un télégramme nous apprend à son tour la capitulation générale de l'Allemagne, signée à Reims aux petites heures de la nuit. De notre guerre, à la fois dans le temps et dans l'espace, Berchtesgaden sera donc le point final. Quelques-uns de nos officiers et de nos hommes entreprennent à leur tour ce matinlà l'ascension de l'ancien « nid d'aigle ». Ils l'abordent par son versant rocheux, coupé de névés, et leur détour les amène d'abord au sommet voisin, face à l'immuable montagne. Du chalet solitaire un peu en contre-bas, désaffecté et intact, un malaise se dégage. Est-ce un relent de présence ? L'immense fausseté de cet esprit parti de là pour étendre son nuage sur le monde, brasser nos vies comme l'ouragan les feuilles mortes ne peut-elle comme ça, sans signe, s'évanouir, ni tout redevenir simplement comme avant ? Ou le malaise vient-il des dix étages de souterrains, inexplorés et inquiétants, qui, làdessous, rayonnent de la fameuse cage d'ascenseur ? Les issues n'ont pu encore en être forcées. Mais l'office en haut est encore abondamment pourvu de Pommery et de Lanson. Et les verres de cristal aux initiales A.H. se remplissent devant chacun de nous sur l'immense table ronde, au centre de la mise en scène des baies de la rotonde. Quelques Américains nous ont rejoints. Voilà comment nous avons terminé la guerre, à Berchtesgaden. Driilingen, Obernai, Bénestroff et Diessen-am-Ammersee, Janvier- Mai 1945