La Réflexion moralisatrice de Mme de Lafayette sur la passion

Transcription

La Réflexion moralisatrice de Mme de Lafayette sur la passion
「프랑스문화연구」 제20집
2010. pp. 305~338
La Réflexion moralisatrice de Mme de
Lafayette sur la passion humaine*
1)KIM
Taek-Mo**
Table des matières
1. Introduction
2. L'endroit et l'envers
3. La réflexion sur la passion
amoureuse
4.
5.
6.
7.
L'incertitude de la lucidité
Connaissance de soi
Libération, retraite, repos
Conclusion - le Dieu caché
1. Introduction
Dans le roman majeur de Mme de Lafayette, La Princesse de
Clèves, l'héroïne, Mme de Clèves veut rester maîtresse de ses actes,
mais sa passion continue à obscurcir son intelligence et à troubler
ses jugements. Mme de Lafayette évoque, dans ses oeuvres la quête
des plaisirs, la satisfaction de l'ambition personnelle, l'intérêt pour
* 이 논문은 2007년 부산외대 교내연구비 지원사업에 의하여 연구되었음
** 부산외국어대 불어과
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KIM Taek-Mo
des attachements amoureux et les rivalités pour le pouvoir qui n'ont
qu'une unique source: le mobile profond qui s'appelle l'amour-propre.
1)
A ce propos, une phrase-clé renvoie aux violents conflits d'intérêt
qui agitent la cour: "L'ambition et la galanterie étaient l'âme de cette
cour, et occupaient également les hommes et les femmes. Il y avait
tant d'intérêts et tant de cabales différentes, et les dames y avaient
tant de part que l'amour était toujours mêlé aux affaires et les
affaires à l'amour. Personne n'était tranquille, ni indifférent; on
songeait à s'élever, à plaire, à servir ou à nuire; on ne connaissait ni
l'ennui, ni l'oisiveté, et on était toujours occupé des plaisirs et des
intrigues (...) Ainsi il y avait une sorte d'agitation sans désordre
dans cette cour, qui la rendait très agréable, mais aussi très
dangereuse pour une jeune personne."2)
Pour la romancière, comme pour Mme de Clèves, la société dans
laquelle elle vit - la Ville et la Cour -, apparaît comme un lieu de
tension et de tumulte; à la cour, l'héroïne est contrainte par ses
obligations mondaines de voir l'homme qu'elle aime et d'être en
butte à ses attaques: "elle ne pouvait s'empêcher d'être troublée de
sa vue, et d'avoir pourtant du plaisir à le voir; mais quand elle ne le
voyait plus et qu'elle pensait que ce charme qu'elle trouvait dans sa
vue était le commencement des passions, il s'en fallait peu qu'elle ne
crût le haïr par la douleur que lui donnait cette pensée".3) Et dans le
mouvement violent de sa passion pour M. de Nemours qui, entre
l'apparence des illusions et la réalité, emporte Mme de Clèves vers la
1) La Rochefoucauld, Maximes, max. 531: "Les passions ne sont que les
divers goûts de l'amour-propre."
2) Mme de Lafayette, Romans et Nouvelles, pp. 252-253.
3) Ibid, p. 277.
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souffrance tragique, elle succombe à plusieurs tentations qui la
plongent dans des ténèbres de plus en plus profondes; ces passions,
qui la "divertissent", font son malheur: "combien se repentit-elle de
n'être pas opiniâtrée à se séparer du commerce du monde, malgré M.
de Clèves, ou de n'avoir pas suivi la pensée qu'elle avait eue de lui
avouer l'inclination qu'elle avait pour M. de Nemours!".4) Sa vie à la
cour excite sa passion, aggrave son amour des plaisirs, mais
exaspère aussi le conflit qui la déchire entre une aspiration au repos
et son attachement mondain. A M. de Clèves, qui ignore le secret du
besoin de Mme de Clèves de se réfugier dans un lieu tranquille, elle
demande, malgré la bienséance qui l'oblige à être à la cour, de
l'autoriser à rester dans la maison de Coulommiers: "Je n'ai rien de
fâcheux dans l'esprit, répondit-elle avec un air embarrassé; mais le
tumulte de la cour est si grand et il y a toujours un si grand monde
chez vous qu'il est impossible que le corps et l'esprit ne se lassent et
que l'on ne cherche du repos."5)
Certes, la princesse de Clèves ne s'était jamais trouvée libérée de
sa vie mondaine. Mais, à la fin de l'oeuvre, l'héroïne mourra dans
une sorte de sainteté. C'est la joie spirituelle "salvatrice" dans
l'amour de Dieu: la libérté, la délivrance des passions terrestres, de
son amour-propre, dont Dieu seul peut la libérer. Bref, nous allons
montrer que la "solitude" de Mme de Clèves ne coïncide pas avec un
choix d'indépendance, une recherche égocentrique du bonheur, mais
qu‘elle répond à un besoin d'épanouissement de sa libérté intérieure.
Avec certains critiques nous allons pouvoir donc désormais aborder
4) Ibid, p. 311.
5) Ibid, p. 332.
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les thèmes du repos, de la retraite face à la pensée augustinienne de
Pascal.
2. L'endroit et l'envers
Ainsi, quand, à plusieurs reprises, elle réussit à se refugier à
Coulommiers, seule, loin de la cour, elle éprouve une joie qui se
manifeste par un oubli du monde et par la paix que lui procure
l'éloignement de la présence de Nemours. Ce bonheur dû à la
tranquillité ne s'accroît que dans la solitude, sans aucun contact
artificiel. A ce moment seulement, elle est en face de l'univers, non
pas dans ses rapports avec ses semblables dans ce milieu. Elle goûte
un instant la paix, loin de Nemours, et jouit de l'harmonie entre son
coeur et son esprit, dans la bonne conscience, dans l'oubli de tout
scrupule et de tout principe mondains qu'impose l'exigence de
bienséance. Mais ces temps de repos sont toujours de courte durée:
son inclination amoureuse vers Nemours et l'exigence mondaine
l'empêchent de rester longtemps à Coulommiers. Ces deux lieux, la
cour et Coulommiers, campagne "déserte", servent ainsi de décor à
l'action; "le récit trouve, remarque B. Pingaud, son rythme dans
l'alternance de deux sortes de moments".6)
D'autre part, on voit le souci de Mme de Chartres, "qui avait eu
tant d'application pour inspirer la vertu à sa fille"; Mme de Chartres
lui donne en effet toute sortes de "soins dans un lieu où ils étaient si
nécessaires et où il y avait tant d'exemples si dangereux."7) Et la
6) Pingaud (B.), Madame de Lafayette par elle-même, p. 95.
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dernière parole avant la mort de Mme de Chartres, est significative:
"ma fille, retirez-vous de la cour, obligez votre mari de vous
emmener; ne craignez point de prendre des partis trop rudes et trop
difficiles, quelque affreux qu'ils vous paraissent d'abord: ils seront
plus doux dans les suites que les malheurs d'une galanterie."8) Ici,
l'intervention de Mme de Chartres dans la vie mondaine de sa fille
nous permet de mieux voir l'intention cachée de Mme de Lafayette.
D'où la notion de "retraite" qui marque essentiellement le courant
religieux des port-royalistes au XVIIe siècle. Ainsi, la vie mondaine
dans ses oeuvres que l'auteur s'attache à démontrer est éclairée par
le contraste que montre la vie retirée hors du "monde" que nous
allons voir dans cet article.
Comme le remarque J. Rousset, "Mme de Lafayette va donc faire
alterner l'endroit et l'envers, en d'autres termes: les situations où la
princesse paraît en société, sous le regard d'autrui, et les moments
de solitude et de réflexion où elle peut se regarder et se reconnaître".
9)
Il continue en disant: "Ce passage du dehors au dedans, qui tourne
toujours davantage au profit du dedans à mesure qu'on avance,
jusqu'à la suppression complète du fond historique dans la dernière
partie, représente chaque fois un passage du factice au vrai, de
l'illusion au réveil, des conduites aveugles à la clairvoyance
consternée d'un être qui se découvre envahi par la passion."10) Dans
un espace sans perspective, où se produit le jeu d'affrontement des
désirs et des amours-propres, une telle évolution implique la nette
7)
8)
9)
10)
Romans et Nouvelles, p. 252.
Ibid, p. 278.
Rousset (J.), Forme et signification, p. 21.
Ibid.
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décision de se détacher des réalités périssables.
La vie dans le monde paraît, pour Mme de Clèves, au moins,
comme un jeu masqué. Elle entrevoit dans ce milieu clos ce qu'elle
devrait faire, mais elle n'est pas encore capable de le faire
définitivement devant la pression tumulteuse de son attachement au
monde: “j'ai hasardé tout mon repos et toute ma vie. Ces tristes
réflexions étaient suivies d'un torrent de larmes."11); "Elle se retira
sur le prétexte de changer d'air, dans une maison religieuse, sans
faire paraître un dessein arrêté de renoncer à la cour".12)
En effet, tout au long du roman, jusqu'aux dernières pages, cette
répétition de l'alternance de l'endroit à l'envers continue. Mais à
l'étape finale de son agitation intérieure, l'héroïne a la force de
résister à l'amour-propre: "Elle jugea que l'absence seule et
l'éloignement pouvaient lui donner quelque force".13)
Certes, aspirant au repos, elle ne peut trouver de plaisir que dans
les chimères de l'illusion de son amour; Mme de Clèves montre
parfaitement, ici, le dualisme intérieur que caractérise l'attachement
paradoxal de l'homme. Elle sent confusément le bonheur, mais elle
connaîtra plus tard, au-delà des apparences, que le bonheur ne se
trouve que dans le repos où il n'y a aucune trace d'agitation. Mme
de Clèves dira finalement à la dernière étape de ses désillusions: "les
autres choses du monde lui avaient paru si indifférentes qu‘elle y
avait renoncé pour jamais; qu’elle ne pensait plus qu‘à celles de
l'autre vie".14)
11)
12)
13)
14)
Romans et Nouvelles, p. 352.
Ibid. pp. 393-4.
Ibid. p. 392.
Ibid. p. 394.
La Réflexion moralisatrice de Mme de Lafayette sur la passion humaine 311
Elle finira ainsi par comprendre que seul l'éloignement définitif,
hors de la cour, peut mettre fin à cette "chute" incessante et lui
permettre de trouver un fondement solide dans un "autre monde".
Entre l'obsession de la chute de céder à son inclination et l'aspiration
au repos, le renoncement est de s'affronter soi-même, d'accepter la
vie sans illusions du divertissement; c'est aussi d'échapper à la
vision déformante que le monde donne de la vie et de se détacher des
vaines choses terrestres. La structure des intrigues du roman se
marque ainsi par les actes "navette" de Mme de Clèves entre "deux
mondes".
3. La réflexion sur la passion amoureuse
Ici on pourrait dégager objectivement "l'image de la condition des
hommes" par la chute incessante, le progrès incessant de l'amour
coupable de Mme de Clèves, et Mme de Lafayette recourt à
l'expérience de son héroïne pour dévoiler cette image. Dans la
réflexion moralisatrice de Mme de Lafayette, la situation romanesque,
qui s'inscrit dans l'évolution des sentiments, est créée par l'intrigue
de cour, et n'a pas l'aspect d'un ornement comme dans la littérature
précieuse. On pourrait dire que sa mise en perspective romanesque
n'a qu'un but, celui de "laïciser" sa vision du monde qui fait écho à
celle de Pascal: "Si notre condition était véritablement heureuse il ne
faudrait pas nous divertir d'y penser"15); "Les hommes n'ayant pu
guérir la mort, la misère, l'ignorance, ils se sont avisés, pour se
15) Pascal, Pensées, éd. L. Lafuma, fg. 70.
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rendre heureux, de n'y point penser".16) Et son optique ne diffère
guère de celle de La Bruyère: "Il y a deux mondes: l'un où l'on
séjourne peu, et dont l'on doit sortir pour n'y plus rentrer; l'autre où
l'on doit bientôt entrer pour n'en jamais sortir. La faveur, l'autorité,
les amis, la haute réputation, les grands biens servent pour le premier
monde; le mépris de toutes ces choses sert pour le second. Il s'agit
de choisir."17)
Pour l'homme, en effet, la puissance de l'illusion de l'amour,
marquée par un caractère inopportun, est tellement forte qu'on ne
peut prévoir la chute inattendue. Ici, le bonheur que lui procure
l'amour est toujours apparent et n'est que le malheur masqué.
Autrement dit, "l'amour n'est pas conçu ici, dit J.-C. Tournand à
propos de la passion de l'amour chez Racine et Mme de Lafayette,
comme une force exaltante qui unifierait l'âme et lui donnerait toute
sa cohésion, mais au contraire (...) comme une sorte de maladie de la
volonté, démission de la raison, par où l'homme découvre et
manifeste à la fois toute l'étendue de son impuissance."18) On sait
que le moteur essentiel qui conduit les intrigues des oeuvres vient du
rôle dominant qu'y tient l'inclination vers la passion, enracinée dans
l'amour-propre. On sait également que Mme de Lafayette montre
unanimement ses héroïnes victimes d'un flux passionnel qui les
submerge. Mmes de Montpensier et de Tende, comme Mme de
Clèves, comprennent enfin qu'elles sont devenues la proie de leur
passion, qu'elles ne la dominent plus, qu'elles sont emportées là où
16) Fg. 133.
17) La Bruyère, Les Caractères, éd. R. Garapon, ch. "Des Esprits forts", no.
31, p. 468.
18) Tournand (J.-C.), Introduction à la vie littéraire du XVIIe siècle,, p. 119.
La Réflexion moralisatrice de Mme de Lafayette sur la passion humaine 313
elles ne veulent pas aller: "ne trouvant rien de ce qu'elle eût souhaité,
elle [Mme de Montpeniser] se trouva la plus malheureuse du monde
d'avoir tout hasardé pour un homme qui l'abandonnait".19) De même,
dans la petite nouvelle de La Comtesse de Tende, l'héroïne, après
avoir trahi son époux, se trouve placée dans une position telle qu'elle
n'a plus d'autre parti à prendre que de lui révéler sa faute, et meurt
accablée de remords après cette révélation.20) Cette conception
pessimiste de la passion se retrouve aussi tout au long de Zaïde.
Quant à La Princesse de Clèves, l'intrigue principale et les épisodes
annexes n'ont servi qu'à dégager le thème de la faiblesse de
l'homme dans le cadre de la société où vit l'héroïne. Les personnages
de digression ainsi que les personnages principaux, pourront enfin
entrer en scène, dans leur rôle respectif, manifestant chacun un des
aspects de l'être humain qui, dans sa diversité, est unique. Pour le
cas de Mme de Clèves, "modèle" par excellence des héroïnes de Mme
de Lafayette, une analyse plus générale peut être formulée de la
façon suivante: elle découvre qu'elle ne se contrôle plus en présence
de Nemours, qu'elle n'est plus arrêtée par sa jalousie des autres
femmes que Nemours a pu aimer et qu'elle n'a aucune défense sauf
la fuite. Cette jeune femme, privée de l'appui et des conseils de sa
mère, pense à se tourner vers son mari. Mais, elle rumine toutes ces
idées, reste incapable de se décider: "Lorsqu'elle revint de cet état,
elle trouva néanmoins que M. de Nemours n'était pas effacé de son
coeur; mais elle appela à son secours, pour se défendre contre lui,
toutes les raisons qu‘elle croyait avoir pour ne l'épouser jamais. Il se
19) Romans et Nouvelles, pp. 32-3.
20) Ibid, pp. 411-12..
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surmonta les restes de cette passion qui était affaiblie par les
sentiments que sa maladie lui avait donnés."21) Mme de Lafayette,
qui analyse la passion amoureuse, cherche ainsi dans sa réflexion
approfondie de l'amour de soi les sources secrètes de toutes les
actions humaines.
Telle impuissance, qui fait écho à la tragédie racinienne, est
marquée manifestement par le terme de "destinée" dans un dialogue
de Mme de Clèves avec M. de Nemours: "Pourquoi faut-il... que je
vous puisse accuser de la mort de M. de Clèves? Que n'ai-je
commencé à vous connaître depuis que je suis libre, ou pourquoi ne
vous ai-je pas connu avant que d'être engagée? Pourquoi la destinée
nous sépare-t-elle par un obstacle si invincible?"22) Une fois M. de
Clèves mort, Mme de Clèves s'aperçoit, sachant combien elle est
faible et soumise à ses chimères, que son amour impossible est
"fatalité" et qu'il est trop tard pour réagir. Cette passion amoureuse,
qui entraîne inexorablement au mal et devient un vertige irrésistible,
la prive ainsi de tout pouvoir sur elle-même.23) Lucidité imparfaite,
illusion constante sur l'amour faussement idéalisé, nourri en fait de
l'amour de soi, cette impuissance de Mme de Clèves devant la
passion rejoint la formule de La Rochefoucauld sur la faiblesse de la
raison humaine: "Si nous résistons à nos passions, c'est plus par leur
faiblesse que par notre force"; "la faiblesse est le seul défaut que l'on
ne saurait corriger"..24)
21) Ibid, p. 393.
22) Ibid, p. 389.
23) Dans cette perspective, on comprendrait la maxime 445: "la faiblesse est
plus opposée à la vertu que le vice."
24) Les max. 122 et 130.
La Réflexion moralisatrice de Mme de Lafayette sur la passion humaine 315
4. L'incertitude de la lucidité
Le sentiment que Mme de Clèves a d'être introduite dans un
vertigineux labyrinthe, c'est le sentiment de la stupeur ou de
l'épouvante devant ce qu'elle a fait sans le savoir, devant ce qui
s'est passé en elle sans qu'elle ne le connût: "Toutes mes résolutions
sont inutiles; je pensais hier tout ce que je pense aujourd'hui et je
fais aujourd'hui tout le contraire de ce que je résolus hier."25) Il en
va de même sitôt l'aveu prononcé: "Lorsque ce prince fut parti, que
Mme de Clèves demeura seule, qu'elle regarda ce qu'elle venait de
faire, elle en fut si épouvantée qu'à peine put-elle s'imaginer que ce
fût une vérité".26) Enfin Mme de Clèves trouve "qu'elle s'était ôté
elle-même le coeur et l'estime de son mari et qu'elle s'était creusé
un abîme dont elle ne sortirait jamais".27) Elle se demande pourquoi
et comment elle y arrivait: "elle avait fait une chose si hasardeuse, et
elle trouvait qu'elle s'y était engagée sans en avoir presque eu le
dessein."28) Certes, ce qu'elle fait n'est presque jamais ce qu'elle a
voulu faire; et par contre, ce qu'elle ne fait pas est souvent ce qu'elle
a voulu faire. Tout au long du roman, cette femme n'a cessé de se
sentir déchirée par la contradiction inhérente à la condition humaine:
elle se sent céder aisement à ce qui lui plaît.
On a vu la vie à la cour qui est toute agitation. La dénonciation
sur ce point, est, répétons-nous, parfaitement mise en valeur par
25)
26)
27)
28)
Romans et Nouvelles, p. 330.
Ibid, p. 336.
Ibid, pp. 336-7.
Ibid, p. 337.
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Mme de Chartres qui dit la "réalité": "Si vous jugez sur les
apparences en ce lieu-ci, vous serez souvent trompée: ce qui paraît
n'est presque jamais la vérité".29) Et la loi de cette société est
l'apparence; dans cette société déterminée, chacun n'est occupé que
de soi-même et de sa propre image. La façade apparente de la
somptuosité cache des personnages esclaves, hantés de ce paraître.
Notre auteur décèle ainsi la faiblesse sous les apparences de la vertu
des honnêtes gens: l'ambition, l'égoïsme et la haine. Dans l'univers
romanesque, l'intrigue se conduit toujours en fonction de la recherche
de la vérité de l'être humain. B. Pingaud a bien remarqué cette faible
lucidité de Mme de Clèves qui ne demeure que dans la constatation
de son impuissance: "la vue des dangers de l'amour, une
connaissance exacte de ses difficultés, des désordres qu'il engendre,
des trahisons et des souffrances qui en sont le cortège, devraient
conduire tout être soucieux de son bonheur à vivre sans attache".30)
La lucidité est à la fois une qualité intellectuelle et une vertu
morale: l'homme doit avoir assez de pénétration pour connaître ses
semblables, assez d'adresse et de courage pour juger et persuader.
Ainsi la lucidité est, comme une notion de "mérite" dans ce monde,
inséparable de l'"art de pénétrer" et de la sincérité envers soi-même
et envers autrui. Mais tant que cette lucidité ne vise qu'à parvenir,
elle ne sera jamais qu'une connaissance de soi imparfaite; l'action
ignore ainsi son mobile profond. La vérité de l'être humain nous
semble donc être hors de notre portée. Ainsi, mêlé dans le double
sentiment de la jalousie fondée sur les fausses apparences et des
29) Romans et Nouvelles, p. 265.
30) Pingaud (B.), op. cit, p. 90.
La Réflexion moralisatrice de Mme de Lafayette sur la passion humaine 317
passions renouvelées et contrariées par les circonstances, le
raisonnement impitoyable de Mme de Clèves échoue sur cette
évidence. Certes, Mme de Clèves se préoccupe de sortir de ce trouble
intérieur, mais l'incertitude triomphe toujours sur la certitude. Dans
les mouvements du coeur, les efforts sont désespérés: "il y a une
fatalité d'ordre tragique; même lorsqu'ils sont exécutés en pleine
lucidité, ils obtiennent un résultat opposé au but visé".31) B. Pinaud
remarque: "Le roman met donc en scène, une lucidité qui s'ignore
encore, qui est fort habile à s'entourer de mensonges honnêtes et de
prétextes bienséants, et qui ne se reconnaîtra elle-même qu'après
être passée par les épreuves successives de l'inquiétude, du remords,
de la honte."32) L'incertitude de notre lucidité traduit donc, chez Mme
de Lafayette, la nécessité de connaître sa faiblesse, la véritable nature
de la condition humaine.
On a vu que le repos est l'absence de tumulte. Mme de Clèves,
hantée par une passion qui la torture, ne parvient à s'apaiser que
lorsqu'elle quitte la cour pour aller à la campagne. Cette mondaine
"hypersensible" s'enfuit par nécessité; elle en arrive à s'attacher à la
tranquillité aussi fortement qu'à son inclination amoureuse. Dans la
solitude, elle se sent purifiée, apaisée. Mais, les moments de solitude
sont aussi ceux de l'obscurité. Ses actions humaines ne sont jamais
absolument désintéressées, et elle retombe inconsciemment dans les
31) Hipp (M.-T.), "Introduction" à la Vie, pp. XLII.
32) Pingaud (B.), op. cit, p. 95. Sous cet angle, il faudrait discuter les
remarques d'A. Couprie: "A l'inverse de ce que l'on constate dans les
romans héroïques et précieux où la beauté reflète celle de l'âme, et la
politesse l'élégance morale, l'esthétique ne renvoie dans La Princesse de
Clèves à aucune éthique." (op. cit,, p. 552)
318
KIM Taek-Mo
pièges de la passion amoureuse: "Mme de Clèves demeura seule, et
sitôt qu'elle ne fut plus soutenue par cette joie que donne la présence
de ce que l'on aime, elle revint comme d'un songe; elle regarda avec
étonnement la prodigieuse différence de l'état où elle était le soir
d'avec celui où elle se trouvait alors".33)
Dans le sentiment mêlé de trouble et de désarroi, Mme de Clèves
se jette dans les replis de soi, et découvre l'espace où elle est.
Toutefois cette domination de soi exige un effort incessant et
surhumain, dont la princesse de Clèves constate avec désespoir
qu'elle n'est pas toujours capable: "Elle trouva qu'elle n'était plus
maîtresse de ses paroles et de son visage."34) Et elle doit bientôt
reconnaître: "Je suis vaincue et surmontée par une inclination qui
m'entraîne malgré moi“.35) Ici, le regard jeté sur sa vie lui fait
percevoir l'aveuglement où elle se trouve à l'égard de ses propres
sentiments. A quel degré d'égarement la passion peut-elle la
conduire? Comment arrive-t-elle à la parfaite connaissance de soi si
elle ignore ses faiblesses?
5. Connaissance de soi
Elle veut échapper à sa propre prise: elle éprouve chaque fois ses
contradictions multiples. Cette dégradation de l'héroïne de plus en
plus déchirée correspond à une évolution profonde de son esprit. D'où
33) Romans et Nouvelles, p. 329.
34) Ibid, p. 303.
35) Ibid, p. 330.
La Réflexion moralisatrice de Mme de Lafayette sur la passion humaine 319
l'image
de
l'homme
"tragique",
celui
de
l'instabilité
et
du
déchirement: "- Je ne sais que vous répondre, lui dit-elle; je meurs
de honte en vous en parlant. Epargnez-moi, je vous en conjure, de si
cruelles conversations; réglez ma conduite; faites que je ne voie
personne. C'est tout ce que je vous demande"36); pourtant, toutes les
fois que cette princesse parlait à son mari, la passion qu'il lui
témoignait, l'honnêteté de son procédé, l'amitié qu'elle avait pour lui
et ce qu'elle lui devait, faisaient des impressions dans son coeur qui
affaiblissaient l'idée de M. de Nemours; mais ce n'était que pour
quelque temps; et cette idée revenait bientôt plus vive et plus
présente qu'auparavant."37) Mme de Clèves se trouve malheureuse
devant cette situation tragique, incapable de faire sa grandeur, au
sens pascalien du terme, et de sortir de ce cercle clos et vicieux.
Mais cette recherche du repos absolu augmente aussi sa misère.
Comment peut-elle remplir le vide qu'elle sent en elle et qui aspire à
être comblé, alors qu'elle est toujours ballottée entre le repos et
l'agitation? Ici, le roman est marqué en fait par une double durée du
temps, celle qui correspond aux deux penchants opposés du sentiment
intérieur de Mme de Clèves: l'état flottant du moi incliné vers le
mouvement et le moi profond à se replier sur soi dans le repos.
Toute l'action tragique consiste ainsi dans la prise de conscience de
la situation malheureuse où elle se trouve et dans ses efforts
pathétiques pour y échapper. Elle en arrive à avoir une conscience
des faiblesses humaines. Alors, pas à pas, elle incline plus au
renoncement qu'à l'attachement mondain. Voilà ce qui donne aux
36) Ibid, p. 339.
37) Ibid, p. 363.
320
KIM Taek-Mo
dernières pages de La Princesse de Clèves, leur vraie dimension, leur
poignante résonance.38)
La mort du prince de Clèves est - devenant le symbole de tous les
désordres de la passion -, l'un des facteurs qui intensifie le
repliement de Mme de Clèves sur elle-même. Ainsi, après cette mort,
"Mme de Clèves demeura dans une affliction si violente qu'elle perdit
quasi l'usage de la raison"39); "quand elle commença d'avoir la force
de l'envisager et qu'elle vit quel mari elle avait perdu, qu'elle
considéra qu'elle était la cause de sa mort, et que c'était par la
passion qu'elle avait eue pour un autre qu'elle en était cause,
l'horreur qu'elle eut pour elle-même et pour M. de Nemours ne se
peut représenter."40) En quel sens devons-nous interpréter cette
mort? Certes, elle croit être, avec Nemours, responsable de la mort de
son mari. La mort de son mari accentue son agitation intérieure et
elle la fait penser, au delà de fait de la responsabilité, à l'inconstance
totale de l'homme, car elle n'avait pas prévu que son aveu
engendrerait la mort. Dans sa vie ravagée par la passion, elle
découvre la méfiance totale à l'égard de tout amour humain: son
amour pour Nemours, mû par son amour-propre, n'est qu'un
penchant d'inclination qui suscite la jalousie et la souffrance. Même
avant le drame de la mort de M. de Clèves, le charme de l'héroïne
38) Pascal pose sans doute le même problème de la conscience tragique :
"Pourquoi ma connaissance est-elle bornée? ma taille? ma durée à cent
ans plutôt qu'à mille? Quelle raison a eu la nature de me la donner telle
et de choisir ce nombre plutôt qu'un autre, dans l'infinité desquels il n'y
a pas plus de raison de choisir l'un que l'autre, rien ne tentant plus que
l'autre?" (Pensées, éd. Lafuma, fg. 194).
39) Romans et Nouvelles, p. 376.
40) Ibid, pp. 376-7.
La Réflexion moralisatrice de Mme de Lafayette sur la passion humaine 321
cachait son vide intérieur et ses angoisses. Désormais, elle se donne
donc les raisons de son refus tant vis-à-vis d'elle-même qu'à
l'égard de Nemours: le refus de son amour-propre dans sa
connaissance de soi et le refus de sa passion pour Nemours. Ces
vues à la fois rétrospectives et éloignées lui permettent en effet de
réfléchir sur la vie humaine dans cette société-théâtre. Il ne s'agirait
plus seulement de la passion qui ravage totalement la vie, mais aussi
de toutes sortes de préoccupations mondaines où l'amour-propre
règne et qu'il conduit, car les plaisirs illusoires et éphémères du
divertissement ne sauraient combler son âme: "elle ne se trouva plus
dans un certain triste repos qu'elle commençait à goûter, elle se
sentit inquiète et agitée".41)
A partir de ce moment, elle, victime de l'amour coupable, perçoit
l'ambiguïté du monde où elle vit. Le thème de connaissance de soi
est ici d'autant plus accentué que Mme de Lafayette nous laisse
remarquer le double visage de l'être et du paraître de ce monde42):
"elle jugea que l'absence seule et l'éloignement pouvaient lui donner
quelque force; elle trouva qu'elle en avait besoin, non seulement pour
soutenir la résolution de ne se pas engager, mais même pour se
défendre de voir M. de Nemours".43) Comme les honnêtes gens de
l'époque, les personnages de l'oeuvre s'efforcent de connaître autrui
sans vouloir se connaître. Tiré hors de soi-même vers la société par
besoin de divertissement, on ne pénètre pas au fond de son propre
coeur. Le caractère paradoxal et ambigu de la société, marquée
41) Ibid, p. 379.
42) Cf. 김택모, 「L'être et le paraître chez Mme de Lafayette: théâtre de
conflits」, 󰡔프랑스문화연구󰡕, pp. 91-107.
43) Romans et Nouvelles, p. 392.
322
KIM Taek-Mo
surtout par le dualisme du paraître et de l'être, aboutit à la confusion.
Ainsi, l'amour, assimilé le plus souvent à divers intérêts personnels,
est pour Mme de Lafayette injustifiable; c'est une passion de
posséder et de régner, qui ressemble presque à la fièvre: "- j'avoue,
répondait-elle [Mme de Clèves], que les passions peuvent me
conduire; mais elles ne sauraient m'aveugler. Rien ne me peut
empêcher de connaître que vous [Nemours] êtes né avec toutes les
dispositions pour la galanterie et toutes les qualités qui sont propres
à y donner des succès heureux. Vous avez déjà eu plusieurs
passions, vous en auriez encore".
44)
Tous les portraits des nobles
amoureux, dont Mme de Lafayette a rempli son roman45), marqués
par les cruelles observations des actions humaines, ne font que
transposer dans l'ordre de la magnificence et de la galanterie les
traits médiocres et bas que lui impose sa vision pessimiste du monde.
On comprendra maintenant plus facilement ce qu'est le monde pour
la "conscience tragique" de Mme de Clèves. Ainsi, la vision du
monde que suggère Mme de Lafayette est-elle teintée d'"une image
très pessimiste de la nature et de la condition humaines."46) Et cette
clairvoyance désabusée s'élargit à toute l'étude psychologique et
morale de l'homme.
L'instabilité est au coeur des hommes, au coeur du monde. Mme
de Clèves arrivera-t-elle à vaincre son trouble? Flottant entre
44) Ibid, p. 387.
45) Tous ces princes et ces princesses sont "d'un mérite extraordinaire". Ils
sont tous "admirablement bien faits": Ibid., p.241; "Tous les princes et
seigneurs ne furent plus occupés que du soin d'ordonner ce qui leur était
nécessaire pour paraître avec éclat": Ibid., p. 305.
46) Francillon (R.), L'oeuvre romanesque de Madame de Lafayette, p. 39.
La Réflexion moralisatrice de Mme de Lafayette sur la passion humaine 323
l'illusion et la réalité, entre le temps et l'éternité, elle doit résoudre le
problème de son identité: "tous ses sentiments étaient pleins de
trouble et de passion. Elle examina encore les raisons de son devoir
qui s'opposaient à son bonheur; elle sentit de la douleur de les
trouver si fortes et elle se repentit de les avoir si bien montrées à M.
de Nemours."47) Ainsi Mme de Clèves cherche-t-elle à expliquer le
processus de sa passion dans les rapports de soi à soi, de soi à
l'autre, et de soi à l'univers. Que peut-elle y trouver? Esclave de
sa passion démesurée pour Nemours, elle a mis cette passion
amoureuse au-dessus de tout. A travers la faiblesse de sa lucidité, la
conscience "tragique" de son imperfection et les monologues des
aveux qu'elle multiplie traduisent sa crainte de la violence de ses
passions dans l'engagement du monde. Cette réflexion dans une
rigoureuse
unité
suppose
une
grande
richesse
d'invention
psychologique, mais aussi une vision profonde et puissamment
pessimiste. L'héroïne Mme de Clèves nous livre avec tant de discrète
émotion les aspirations les plus intimes de son âme: les mouvements
de la sensibilité de Mme de Lafayette proviennent d'abord d'une
réflexion profonde sur sa condition humaine.
Bref, la conception amère, la philosophie pessimiste de l'amour, clé
de toute l'oeuvre de Mme de Lafayette font penser à une inspiration
"augustinienne". Sur ce point de vue, on comprendrait la remarque de
H. Coulet: "un pessimisme antihumaniste ayant remplacé l'hédonisme
humaniste"48); et encore la remarque de Ph. Sellier qui manifeste la
parenté du roman avec les Pensées, que Mme de Lafayette admirait:
47) Romans et Nouvelles, pp. 390-1.
48) Coulet (H.), Le roman jusqu'à la Révolution, p. 261.
324
KIM Taek-Mo
"Mme de Lafayette se trouve donc conduite à choisir le radicalisme
pascalien."49)
"L'homme
sans
lumière
dans
le
monde
trompeur",
c'est
évidemment faire preuve d'un sentiment pessimiste qui s'inscrit
nettement dans la pensée chrétienne de Pascal: “Rien n'est
insupportable à l'homme que d'être dans un plein repos, sans
passions, sans affaire, sans divertissement, sans application. Il sent
alors son néant, son abandon, son insuffisance, sa dépendance, son
impuissance, son vide."50)
Le climat moral, teinté ainsi profondément par Pascal et La
Rochefoucauld rattache étroitement les oeuvres de Mme de Lafayette
à l'"augustinisme littéraire".51) Mme de Lafayette prend ainsi une
nouvelle tonalité sous la perspective littéraire de sa vision. On a vu,
d'après ce que nous avons suivi jusque là, que la passion se conduit
par un mobile profond égoïste et que la vertu humaine est faussée
par les apparences de l'honnêteté. Certes, toutes ces qualités
négatives, "ces faiblesses et ces contradictions - qui sont le sujet
même du roman - font encore partie de leur essence".52) Ainsi,
comme nous avons eu l'occasion de le voir dans les articles cités, les
oeuvres de Mme de Lafayette n'ont pas d'autre sujet que
49) Sellier (Ph.), Port-Royal et la littérature II, Le siècle de saint Augustin,
p. 212.
50) Pascal, Pensées, fg. 622.
51) L'expression est de Ph. Sellier. Cf. son article "La Princesse de Clèves:
Augustinisme et préciosité au paradis des Valois", in Images de La
Rochefoucauld, pp. 217-228. Voir également celui du même auteur: Essai
sur l'imaginaire classique, Pascal, Racine, Précieuses et moralistes,
Fénelon.
52) Pingaud (B.), op. cit, p. 73.
La Réflexion moralisatrice de Mme de Lafayette sur la passion humaine 325
l'approfondissement de la connaissance de l'homme.53)
6. Libération, retraite, repos
Que faire alors dans une telle situation? Certes, c'est le problème
du bonheur. Mais Mme de Clèves a été élevée dans le goût de la
vertu, l'horreur des intrigues amoureuses, et "une extrême défiance
de soi-même".54) Le bonheur ne lui paraît pouvoir être trouvé ni dans
l'attachement mondain, ni dans le remariage, mais dans le repos et
dans la solitude: "ce que je crois devoir à la mémoire de M. de
Clèves serait faible s'il n'était soutenu par l'intérêt de mon repos; et
les raisons de mon repos ont besoin d'être soutenues de celles de
mon devoir".55) L'héroïne exprime finalement un refus total: "elle lui
dit que son dessein était de demeurer dans l'état où elle se trouvait;
qu'elle connaissait que ce dessein était difficile à exécuter; mais
qu'elle espérait d'en avoir la force."56) C'est peut-être dans cette
phrase, la plus personnelle, que se trouve le dernier mot de la morale
de Mme de Lafayette: "Il se passa un assez grand combat en
elle-même."57) C'est en effet la voie qu'a choisie Mme de Clèves, son
héroïne, et c'est au bout de cette voie difficile qu'elle trouve la
"béatitude" à laquelle correspond son désir de bonheur. Finalement,
en se retirant en soi-même, elle en arrive à se décider à prendre un
53)
54)
55)
56)
57)
Voir les articles publiés par Kim Taek-Mo dans la Bibliographie.
Romans et Nouvelles, p. 248.
Ibid, p. 388.
Ibid, p. 391.
Ibid, p. 393.
326
KIM Taek-Mo
autre chemin. "Elle se retira, sur le prétexte de changer d'air, dans
une maison religieuse".58) Certes, la première étape de la "conversion"
consisterait, face à l'univers en solitude, à reconnaître la faiblesse
humaine.
Sa recherche de Dieu semble être marquée par un certain
"agnosticisme", s'il est toujours ambigu et difficile de justifier le
motif fondamental d'une quête de la volonté de Dieu. Le désir de
trouver son salut, la réflexion profonde de Mme de Clèves dans sa
reconnaissance de l'état misérable, qu'elle soit ou non approuvée par
sa foi en Dieu, ce point suffit à énoncer le problème de sa
"conversion".
Se
réconcilier
avec
l'univers,
peut-être
en
lui
échappant? S'agit-il de la liberté qui reste à l'héroïne? S'agit-il du
"triomphe de la personnalité" de Mme de Clèves qu'on a proposé
traditionnellement, et repris encore par O. Virmaux dans une ligne de
lecture "existentielle": "Tout est sacrifié à l'épanouissement personnel
de l'héroïne, à une ascèse individuelle orientée vers le sublime."?59)
Ceci suggère-t-il que Mme de Clèves cherche dans l'autre monde
une possibilité de libération? Oui, mais où a-t-elle voulu trouver un
solide fondement? Pour sauver la vie, le repos doit signifier la
libération de l'homme-esclave, non dans le sens moderne de
libération sociale, mais dans le sens moral de libération des vices. Le
dessein de retraite de Mme de Clèves saurait-il la conduire à Dieu?
Libération, retraite, repos: Mme de Lafayette démontre assurément,
en Mme de Clèves, les conflits qu'entraîne la rencontre de ces trois
58) Ibid.
59) Virmaux (Odette), Les héroïnes romanesques de Madame de Lafayette, p.
113.
La Réflexion moralisatrice de Mme de Lafayette sur la passion humaine 327
notions. La mise en question de la conversion s'effectue donc en
vertu de deux idées éclairées l'une et l'autre sous de multiples faces,
celle de la libération de son esclavage des passions et celle du repos
et de la retraite.
A partir de cette idée directrice du repos, il est possible
d'envisager tous les aspects de la vie humaine et d'y reconnaître
autant de formes que peuvent prendre la notion de "conversion" et la
conscience tragique que ce repos entraîne. La liberté de la personne
dans la libération de l'esclavage des passions se relie à la
reconnaissance totale de Dieu, le Souverain Bien. Cette situation, dont
Mme de Clèves s'efforce de sortir, ne diffère pas de celle de Pascal:
"Mais apprenez au moins que votre impuissance à croire, puisque la
raison vous y porte, et que néanmoins vous le pouvez, vient de vos
passions.
Travaillez
donc
non
pas
vous
convaincre
par
l'augmentation des preuves de Dieu, mais par la diminution de vos
passions".60) Cette impuissance à triompher de la passion n'est pas
sans rappeler les notions pascaliennes de la grandeur de l'homme.
D'autre part, on pourrait voir en elle une soumission à un impératif
moral: son intention de renoncer à l'amour ne serait dès lors plus
animé par le souci de sa dignité, mais par celui du salut dans son
état misérable. Certes, entre la foi absolue et l'attachement secret à
elle-même, - dans le doute tiède qui a gagné par sa raison
"humaine" -, Mme de Clèves avance pas à pas vers la lumière de
Dieu; elle trouve finalement dans la foi en Dieu la réponse à sa
préoccupation constante d'être sauvée.
Se connaître ne signifierait nullement pour Mme de Lafayette se
60) Pensées, éd. Lafuma, fg. 418.
328
KIM Taek-Mo
livrer au culte du moi. C'est se replier sur soi-même et regarder en
face le tragique de l'existence humaine. Bref, tant d'activités
mondaines, tant de divertissements empêchent l'homme de se
connaître, et les hommes ne s'efforcent, par nature, que de connaître
autrui sans se connaître. En effet, au bout de ses expériences
déséspérément répétées, Mme de Clèves reconnaît son oubli de Dieu,
dû à sa faiblesse et à une mauvaise disposition de la volonté. La
prise de conscience de ses propres limites et de son caractère
contradictoire dessine, pour la conscience tragique, le contraste entre
le bonheur éphémère de ce monde et la béatitude éternelle de l'autre
monde. J. Mesnard a bien saisi cette étape significative dans le
roman: "Aussi la décision prise par Mme de Clèves est-elle beaucoup
plus radicale. Elle consiste à prendre acte d'un tragique irrémédiable
et à refuser tout compromis."61)
Renonçant aux illusions du paraître et à la passion troublante,
l'amour de soi se doit d'abord à Dieu. L'élévation de Mme de Clèves
est de voir et de connaître sa misère dans une vérité des plus
rigoureuses et de ne jamais l'accepter. De l'illusion des passions, de
la fausseté de l'imagination de la misère humaine: - c'est une
dimension métaphysique de notre instabilité, de notre faiblesse l'homme sent ainsi d'un côté sa faiblesse, et par conséquent,
découvre de l'autre la grandeur de Dieu. On retrouve ici encore
l'attitude même de Pascal, l'exigence morale de la connaissance de
soi: "Il faut se connaître soi-même. Quand cela ne servirait pas à
trouver le vrai, cela au moins sert à régler sa vie, et il n'y a rien de
plus juste."62) Et cette connaissance de soi ne s'établit qu'en fonction
61) Mesnard (J.), "Introduction" à La Princesse de Clèves., p. 51.
La Réflexion moralisatrice de Mme de Lafayette sur la passion humaine 329
de la foi, en fonction de la révélation chrétienne, bref, en fonction de
l'établissement juste des rapports entre l'homme et Dieu.
Sa connaissance de soi conduit à admettre l'état misérable par la
vie "terrestre" dans l'ignorance totale de Dieu. En se connaissant
soi-même, et en connaissant la cause des affaires humaines, Mme de
Clèves constate finalement qu'elle ne doit pas "jouir" du monde, car
la jouissance est une ivresse, un vertige: cette jouissance entraîne
brutalement l'homme qui se jette sur les biens périssables.63) D'où
un renversement spirituel qui profite d'un penchant inné au repos, à
une paix qui ne tient plus du "monde". Pourtant, son espérance d'être
sauvée, d'être en tranquillité ne se réalise pas tout de suite. Entre la
désespérance intérieure et la souffrance profonde d'un retournement
d'une part et entre la reconnaissance de sa raison d'être et le
reconnaissance de Dieu de l'autre, elle marche vers ce qu'elle a
cherché: "les passions et les engagements du monde lui parurent tels
qu'ils paraissent aux personnes qui ont des vues plus grandes et plus
éloignées".64) C'est le repos biblique, passage clé pour la découverte
de Dieu. "Seule la dimension religieuse donne ainsi, remarque R.
Francillon, tout son sens au concept du repos, qui, sur un plan
purement psychologique et humain, paraît vide et proche du néant."65)
Se connaître soi-même comme une condition nécessaire au salut, quel
62) Pensées, fg. 72.
63) On pourrait dire ici, que sa réflexion profonde sur la béatitude se déploie
justement autour de "deux amours", l'amour de soi et l'amour de Dieu.
Cf. Pascal, Pensées, fg. 545. Voir aussi sa Lettre sur la mort du 17 oct.
1651.
64) Romans et Nouvelles, p. 393.
65) Francillon (R.), op. cit, p. 179.
330
KIM Taek-Mo
que soit le sens que l'on donne à ce mot, est un précepte apprécié
chez les augustiniens. Par le chemin de la connaissance de soi, Mme
de Clèves est amenée à découvrir le caractère spirituel du repos
qu'elle s'impose. Elle reconnaîtra que Dieu seul donne le repos après
les inquiétudes de l'errance. Elle en découvre le sens: ce qui chez
l'homme est succession et peine, se purifie, et devient harmonie en
Dieu. Le vrai repos ne s'arrête pas à la retraite, mais amorce le
chemin sous le regard du Dieu retrouvé: "Elle passait une partie de
l'année dans cette maison religieuse et l'autre chez elle; mais dans
une retraite et dans des occupations plus saintes que celles des
couvents les plus austères".66)
Chez Mme de Lafayette, trois héroïnes, Mmes de Tende, de
Montpensier et de Clèves, font tout pour diminuer leurs passions
amoureuses. Elles constatent que leur raison, leur lucidité, et leur
vertu sont impuissantes et apparentes. A cet égard, Mme de Clèves
se place à l'opposé des deux autres qui sont "meurtries" par de
douloureuses expériences (par exemple, le suicide). En effet, dans le
dilemme de l'incompatibilité entre les aspirations individuelles et les
exigences sociales, on perçoit l'évolution de la réflexion de notre
auteur sur l'homme vis-à-vis de Dieu. Dans le "combat" qu'elles
mènent contre leur passion, Mmes de Tende et de Montpensier ne
trouvent que dans la mort un remède à leurs souffrances, car elles ne
peuvent pas plus échapper à la passion qu'aux exigences de la vie
sociale; tandis que Mme de Clèves, dans la même situation de crise,
trouve son "salut" en se tournant vers Dieu. Ainsi, dans La
Princesse de Clèves, convergent une intrigue amoureuse et une
66) Romans et Nouvelles, p. 395.
La Réflexion moralisatrice de Mme de Lafayette sur la passion humaine 331
conversion où le repos d'une honnête femme a été engagé. La notion
capitale de la retraite se développe alors et prend tout son sens.
7. Conclusion - le Dieu caché
On peut apercevoir ici que la notion de retraite, qui fait partie de
grand mouvement religieux du XVIIe siècle, a fortement hanté la
création romanesque de Mme de Lafayette. La princesse de Clèves,
après le refus, se consacre une vie de "sainteté", se préparent "l'autre
vie",67) voyant dans sa retraite une "mort anticipée",68) une
suppression du moi vivant. Cet engagement de Mme de Clèves dans
la retraite nous rappelle en effet un fragment des Pensées: "notre
nature est dans le mouvement, le repos entier est la mort".69)
La modification qu'entraîne cette ascèse discrète mais solide
consiste en fait dans l'abandon ou la répudiation d'un moi jadis
glorieux: "j'ai hasardé tout mon repos et toute ma vie".70) La notion
de repos englobe ainsi la retraite et cette pensée morale embrasse, en
dernière analyse, le champ plus large de la notion religieuse de
conversion. Et par là, cette idée de la retraite constitue une grande
partie de l'attrait qui permet d'ouvrir une dimension nouvelle sur un
sentiment religieux qui l'a poussé en effet à se retirer du monde pour
mieux répondre à l'appel de Dieu.
67)
68)
69)
70)
Romans et Nouvelles, p. 394.
Cf. Pingaud (B.), op. cit., p. 104.
Fg. 641.
Romans et Nouvelles, p. 352.
332
KIM Taek-Mo
Or, on sait que Pascal nous invite à retrouver par la méditation le
rapport de nous-même à notre Créateur: "L'homme est visiblement
fait pour penser; c'est toute sa dignité et tout son mérite; et tout son
devoir est de penser comme il faut. Or l'ordre de la pensée est de
commencer par soi, et par son auteur et sa fin".71) Quant à Mme de
Lafayette, elle a traité les thèmes de "la misère de l'homme sans
Dieu", elle n'atteste pas, semble-t-il, le cadre des problèmes de la foi
et de la Grâce. Malgré cette impression, dans quelle mesure l'auteur
reflète son sentiment religieux sur la foi et la Grâce? Le repos de
Mme de Clèves, refus de sa passion, et sa retraite à l'écart du
monde, qui donne une image de la mort, depassent le thème de la
misère et suggère, pourrait-on dire, celui du "Dieu caché". Même
quand elle aborde la question de retraite, Mme de Lafayette ne donne
pas une réponse théologique. Elle se tait là-dessus. Peut-être la
polémique théologique l'intéressait-elle moins que la morale qui s'y
déploie. En revanche, elle montre dans sa mise en perspective
littéraire, sans doute sur le plan anthropologique, son accord avec
l'idée pascalienne qui était intimement liée au milieu de Port-Royal:
le renversement "augustinien" du niveau religieux au niveau éthique.
Certes, le genre du roman tel qu'elle le choisit ne fait place à la
préoccupation religieuse de l'auteur que par la mise en perspective
morale. Et cette perspective de l'augustinisme littéraire permet de
saisir secrètement le jaillissement des pensées de Dieu dans l'âme de
Mme de Clèves.
Dans la poursuite du souverain bien et dans la réflexion profonde
de son amour impossible, c'est surtout par le progrès même de la
71) Fg. 620.
La Réflexion moralisatrice de Mme de Lafayette sur la passion humaine 333
raison et par la volonté de trouver dans l'amour de Dieu un amour
de soi qui n'est plus l'amour-propre, qu'elle reconnaîtrait qu'il y a
une infinité de choses qui la surpassent: la transcendance. De toute
apparence, quand on pense au rapport des oeuvres de Mme de
Lafayette et de la théologie catholique, elle n'a pas traité du problème
religieux. le mot même de "Dieu" n'apparaît presque jamais. Or sa
conception cohérente de l'homme et de la société est centrée sur
l'aveuglement puissant de l'amour humain; elle fait ressortir l'image
de l'homme en ténèbres, de la misère de l'homme "sans grâce".
Effectivement "il y aurait trop d'obscurité, si la vérité n'avait pas de
marques visibles".72) C'est ainsi, à travers la souffrance de l'homme
misérable et de sa faiblesse, que le Dieu caché se révèle: vanité des
plaisirs, finitude de cette fièvre; la vie dans ce monde est en effet si
peu de chose devant l'éternité. Il ressort de là que la Princesse de
Clèves est marquée, de façon subreptice, par la présence de Dieu,
mais c'est encore une fois "le Dieu caché".73)
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336
KIM Taek-Mo
《국문초록》
정념에 대한 라파이예트 부인의
모랄리스트적 성찰
김택모
라파이예트 부인이 작품 속에서 보여주는 인간의 사랑은 화려한 궁정
생활을 배경으로 하고 있으면서도 향락적이지 않다. 17세기의 궁정생활과
개인의 사랑이야기를 기본 줄거리로 삼고 있는 그녀의 소설들을 이끄는
중심은 자애심이며, 이 자애심은 소설 속에서 영혼의 안식을 추구하려는
정신적인 갈망과 그럼에도 시대상황의 잣대에 따르는 현세적 행복 사이의
끊임없는 갈등의 원인이 되고 있다. 그러나 작가의 대표작인 󰡔클레브 공
작부인󰡕이 프랑스 심리소설의 효시요, 백미로 인정을 받는 까닭은 작품이
시대의 풍속을 그려내는 것에 그치지 않고, 인간의 사랑이 내포하고 있는
근원적인 문제인 구원의 문제와 결부되어 있기 때문일 것이다. 때문에 인
간에 대한 사랑으로부터 비롯되는 주인공의 고통과 그로 인한 갈등은, 작
가가 자신의 문학적 구상 속에서 연애감정의 묘사를 통해 당시의 시대사
상이었던 염세적 인간관을 표출한 것이라고 볼 수 있다.
작가가 사랑을 통해 드러나는 정념을 인간의 본성과 결부시킴으로서,
여주인공은 어두운 심연속의 고통을 감수할 수밖에 없고, 이는 파스칼이
나 라 로슈푸코가 보여주는 비극적 인간관과 궤를 같이 하고 있는 것이다.
사랑을 묘사하면서 작가는 사랑 자체를 문제 삼고 있기에, 그녀의 작품
La Réflexion moralisatrice de Mme de Lafayette sur la passion humaine 337
속에서 사랑에 눈을 뜨기 시작하는 인간들은 자신의 욕망 앞에서 대항할
힘을 갖추지 못한 나약하고 비참한 인간이라는 자각을 하기에 이르게 된
다.
그러나 라파이예트 부인은 기독교 옹호론적 관점에서 사상적으로 자신
의 생각을 펼쳐낸 당대의 모랄리스트들과는 구별된다. 그녀의 인간성 탐
구는 종교적 맥락에서의 구원문제를 다루면서도 문학적 투영을 통해 더욱
선명하게 농축된 아름다움으로 작품화했기 때문이다.
본 논문에서는 대표작 󰡔클레브 공작부인󰡕을 통해 나타나는 작가의 모
랄리스트적 성찰을 주로 인간의 사랑에 초점을 두어 회화적 서술, 즉 소
설적 특성과 결부시키면서, 당대의 모랄리스트들, 특히 파스칼과 어떤 연
관성이 있는지를 살펴보고자 했다.
󰡔클레브 공작부인󰡕의 주요 배경이 되고 있는 궁정과 거의 “사막”으로
묘사되는 시골 쿨로미에 Coulommiers는 작가의 그러한 갈등의 축으로서
의 상징적인 역할을 하고 있다. 욕망과 안식에의 의지를 공간화하는 이
두 축은 주인공의 갈등을 통해 인간 본성의 근원적인 양면성을 표출하기
에 이른다. 궁정은 더 이상 소설의 구성요소로서의 장식적인 배경이 아니
라 파스칼이 예리하게 파헤쳐 드러내는 속세의 모든 것이 집약되어 있는
인간비극의 근원지이다. 남에게 보여지는 모습, 즉 “외형”(paraître)의 법
칙에 따라 움직여야 하는 인간의 노예적 본성이 적나라하게 펼쳐지는 이
영원한 무대에서 벗어나야 함을 작가는 클레브 공작부인의 어머니를 통해
서 끊임없이 자각시키고 있다. 그녀는 딸에게 겉모습의 위선을 끊임없이
경계시키고, 어머니의 충고에 따라 마음의 평정을 찾기 위해 딸은 수시로
시골집에 기꺼이 은둔한다.
그러나 인간본성의 표리는 이렇게 단순한 공간이동으로 드러나는 것으
로 끝나는 것이 아니라, 은둔처에서조차 주인공의 의식은 자기내면 깊숙
이 침잠하게 되면서 점차 진정한 자유는 사회적 구속에서의 해방으로 이
루어지는 것이 아님을 깨닫게 된다. 이러한 명철한 의식은 지적이면서도
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KIM Taek-Mo
형이상학적으로 전개되어, 궁극적으로 인간의 의식조차도 존재의 불안감
을 해결해 줄 수 없음을, 즉 인간 조건의 불완전함을 깨닫고야마는 막다
른 길에 이르고 만다. 남편의 죽음을 계기로 스스로 고립되어 절대고독에
빠진다는 것은 진정한 안식이 아님을, 또한 이제는 느무르 공에 대한 사
랑조차도 그녀에게는 굴레가 될 뿐이다.
이와 같은 작가의 사랑에 대한 비극적 자기성찰은 결국 파스칼과 라 로
슈푸코와 맥을 같이 하는 장세니스트적 사상의 문학적 전개에 다름 아니
다. 때문에 여주인공의 수도원 은둔으로 소설의 끝을 맺는 것은 단순한
줄거리상의 귀결이 아니라, 인간의 구원문제가 결부된 자기성찰의 필연적
귀결일 수밖에 없다. 그러나 작품에서 직접적으로 ‘신’이라는 표현을 사용
하지 않는 만큼 신학적인 관점에서 이 ‘은둔’의 의미를 분석하기는 어렵
다. 다만 도덕적 성찰의 시각으로 신이 없는 인간의 비참함을 문학적 전
개를 통해 예리하게 드러내고 있고, 작가가 동시대의 포르-루와얄리스트
들의 사상에 동조하고 있었음을 전제할 때에 우리는 그 신이 파스칼이 표
현하는 ‘숨은 신’일 것으로 간주해 볼 수 있는 것이다.
Mots-clés(주제어): Mme de Lafayette(라파이예트 부인), Pascal(파스
칼),
Port-Royal(포르-루와얄),
passion(열정),
réflexion(성찰), Dieu caché(숨은 신), retraite(은둔)
74)
논문투고일 : 2010. 4. 22.
최종심사일 : 2010. 5. 11.
게재확정일 : 2010. 5. 13.
moral(모랄),

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