heureusement, ily a eu le dieselgate
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heureusement, ily a eu le dieselgate
analyse entretien FERDINAND DUDENHÖFFER, PROFESSEUR À L’UNIVERSITÉ DE DUISBURG-ESSEN (CENTER AUTOMOTIVE RESEARCH) « HEUREUSEMENT, ILY A EU LE DIESELGATE » Grand expert de l’industrie automobile, Ferdinand Dudenhöffer prédit un bouleversement sans précédent de la voiture dans les 10 prochaines années. Boosté par le «dieselgate», qui dope l’intérêt pour la voiture électrique autonome. Souci: l’industrie européenne va-t-elle louper le tournant? PROPOS RECUEILLIS PAR ROBERT VAN APELDOORN / PHOTOS REPORTERS L es universités allemandes comptent des départements plus besoin de volant avec l’arrivée de la conduite automatisée. spécialisés dans l’automobile et quelques gourous. Or, en termes d’image et de marketing, le volant revêt une symFerdinand Dudenhöffer est l’un d’eux. Il sonne le toc- bolique forte. Regardez les publicités de BMW, Mercedes sin dans un livre sur le futur proche de l’automobile, ou Porsche: le conducteur est le héros. Nous allons vers un nouWer kriegt die Kurve? (1), qui décrit la révolution qui veau monde. Trois, vous n’aurez plus besoin de moteurs à comva frapper le secteur dans la décennie à venir. Les bustion. Un élément qui représente, avec la transmission, 35% à industries allemande et européenne vont-elles per- 40% de la valeur d’une voiture. Ces trois innovations arrivent en dre, au passage, leur leadership technologique historique? même temps, les constructeurs de voitures doivent songer à un Trends-Tendances a rencontré l’expert à son bureau, à l’Uni- nouveau business model. Dans quel délai ces changements vont-ils se mettre en place? versité de Duisburg-Essen. TRENDS-TENDANCES. Dans votre ouvrage, vous parlez Dix ans. d’une révolution «sans précédent» de l’automobile, cela Ces derniers mois, Volkswagen et Mercedes semblent rattraper le temps perdu et multiplient les annonces de lanvous enthousiasme ou vous inquiète? FERDINAND DUDENHÖFFER. Cela m’intéresse comme cement de voitures électriques. Qu’est-ce qui a changé? scientifique. Dans le livre, je m’interroge: est-ce que l’Allemagne, Le dieselgate. Sans le dieselgate, ce changement rapide n’aurait premier pays producteur européen d’automobiles (2), suivra ou pas eu lieu. Heureusement («thanks god», sic), il y a eu le dieselgate! Tout le monde savait, y compris les politoute la production va-t-elle partir en Chine tiques, que les émissions des moteurs diesels ou ailleurs? Si vous regardez les innovations étaient nettement plus élevées en réalité que qui apparaissent ces derniers temps, elles ne Les constructeurs ce que les tests mesuraient. Mais personne proviennent pas d’Allemagne, alors que l’inde voitures n’imaginait qu’il y avait de la tricherie lors de novation était une force historique de notre doivent songer ces tests. Or lorsqu’il y a tricherie avérée, tout industrie. En Chine, le développement des voià un nouveau le monde se réveille, car cela relève de la justures électriques est soutenu. En Allemagne, tice. Les politiques se réveillent, les construcnous sommes très lents: au début de l’année, « business model ». teurs sont harcelés de questions. Il n’y a plus il y avait 5.000 points de recharge pour voide raison de ne pas passer à la motorisation tures électriques contre 6.500 aux Pays-Bas. électrique. Qu’est-ce que vous appelez une révolution Cela vous paraît vraiment impossible de l’automobile? La voiture existe depuis 100 ans environ, elle a démarré avec de parvenir à des moteurs diesels bien dépollués? Henry Ford, qui a mis en place la production en série, à la chaîne, Non. Si vous examinez la question des émissions de NOx (oxyde rationalisée, l’optimisation de la supply chain. Nous arrivons main- d’azote, substance nocive), des tests réalisés notamment par la tenant dans un nouveau monde: la voiture ne sera plus un pro- revue Auto Motor & Sport montrent que des voitures produites duit isolé. Je vois trois grands changements simultanés, sources par des constructeurs qui investissent lourdement dans la dépolde ruptures. Tout d’abord, l’économie partagée. La voiture souf- lution, comme la BMW X5, ont encore des niveaux trop élevés. frira de cette évolution. Les constructeurs devront suivre ou se Si l’on veut que les villes soient débarrassés de ces polluants, limiter à devenir de simples fournisseurs. Deux, nous n’aurons il faut régler le problème du diesel. Pour qui l’émission d’oxyde 24 13 OCTOBRE 2016 WWW.TRENDS.BE DocRoom PROFIL Né en 1951. 1983: Diplômé en économie politique de l’Université de Mannheim, où il devient assistant. 1985: Analyste business plan chez Adam Opel 1987: Chief marketing, strategy & research chez Por- d’azote est un gros problème. En Allemagne, plusieurs dizaines de villes ont des sche AG niveaux de NOx plus élevés 1994: Directeur que les normes de l’UE. du réseau Les villes ne peuvent-elles de distribution pas écarter les voitures les de Citroën plus polluantes avec un sysDeutschland. tème de vignettes, comme 2008: Fondateur il en existe en Allemagne et directeur du et bientôt à Paris? département CAR Ces dispositifs sont basés sur (Center Automoles émissions théoriques tive Research) mesurées lors des tests offide l’Université de ciels, lesquels, en Europe, sont Duisburg-Essen. très artificiels. Si vous conduisez normalement, vous polluez beaucoup plus. Ces tests vont changer peut-être en 2018 ou 2019, les constructeurs devront réduire drastiquement la pollution des moteurs. Ils n’y arriveront pas de manière économique, donc ils doivent arriver rapidement avec des voitures électriques. Cela explique pourquoi le Handelsblatt écrivait récemment que BMW ne se contenterait pas de faire des modèles i3 et i8 en fibres de carbone, mais sortira aussi des voitures plus traditionnelles, en métal. Il serait bien trop cher et trop long de multiplier des BMW électriques en fibre de carbone. BMW doit changer sa stratégie. Quels sont les constructeurs allemands à la pointe pour la voiture électrique? Pour être honnête, le constructeur à la pointe est Tesla. Juste Tesla. Tout le monde cherche à concurrencer et imiter Tesla. C’est le début de la course, il est difficile de dire si, en Allemagne, qui de BMW, Porsche ou le groupe VW sont en tête. Le grand changement récent provient du groupe VW. Sous l’ère Winterkorn (le précédent CEO, qui a démissionné suite au dieselgate Ndlr), le groupe était centré sur les moteurs à combustion, c’était une question de génération. Lorsque l’on parlait de voitures électriques, je me souviens d’une présentation de VW qui expliquait qu’une voiture avec 70kg de batterie lithium-ion avait autant d’énergie que 85g de chocolat. Si vous faites ce genre de comparaison, cela montre que vous ne voulez pas de l’électrique. ≤ WWW.TRENDS.BE 13 OCTOBRE 2016 25 DocRoom analyse entretien Tesla est le modèle, mais ce constructeur perd beaucoup d’argent alors que BMW ou Mercedes font de jolis profits! On va voir comment les choses se passeront dans les trois ou quatre années à venir, avec la sortie du Model 3, à 35.000 dollars. C’est une étape clé: si Tesla parvient à sortir ce modèle comme promis, ce constructeur arrivera à une stabilité à long terme. Tesla est dirigé par un patron un peu fou, Elon Musk, qui est aussi actif dans l’aéronautique. Il a eu le cran de sortir une voiture avec une autonomie de 400 ou 500km (le Model S) alors que les plug-in hybrides n’en proposent que 50 à 60km (en conduite électrique), et les voitures électriques, 150 à 160km, ce qui est trop peu. Il a répondu au manque de stations de recharge en construisant lui-même un réseau. Ce qu’aucun autre constructeur n’a fait. Daimler (Mercedes) a été actionnaire de Tesla et a préféré revendre. N’aurait-il pas été plus judicieux de mieux collaborer? Toyota a aussi été actionnaire. Le souci, je pense, est le fossé entre ces entreprises. Daimler ou Toyota sont de grandes bureaucraties, avec des tas de réunions, les décisions prennent du temps. Chez Tesla, ça va beaucoup plus vite. Les constructeurs n’aiment pas les risques, Tesla va de l’avant sans songer 24 heures sur 24 à tous les risques. L’alliance Renault Nissan vend deux fois plus de voitures électriques que Tesla, pourquoi n’est-elle pas le modèle pour vous? Il y a effectivement les Nissan Leaf ou les Renault Zoe. Mais leur autonomie atteint les 150 ou 160km, ce qui est beaucoup trop peu. Les constructeurs ne comprennent pas toujours bien les clients. Quand pensez-vous que l’on verra arriver des voitures autonomes? On assiste à une véritable course ces derniers mois. BMW a annoncé y arriver en 2021. Ford a suivi en parlant de 2020. Des équipementiers comme MobilEye ou Delphi ont promis de fournir des modules pour modifier des voitures en self-driving cars en 2019. Donc la technologie sera prête en 2020. La question est de voir si les légis- lations et les clients suivront. Cette course n’est pas seulement une affaire de constructeurs, mais de concurrence entre pays, continents. Si l’Europe ne peut pas arriver vite à la voiture autonome et électrique, que la Chine y arrive plus vite, cette dernière aura un avantage compétitif. Il est important que l’Europe reste dans peloton de tête en développant ces technologies, pas en se contentant d’en parler. Pensez-vous que BMW ou Porsche parviendront à vendre des voitures sans volant, alors qu’ils misent sur le plaisir de la conduite? A long terme, oui. Que gagnez-vous à conduire une voiture? J’ai travaillé chez Porsche, au marketing. Nous vendions beaucoup de Porsche 911 Turbo. Nous nous sommes demandé s’il ne fallait pas en améliorer le confort de la voiture pour en vendre plus. Les ingénieurs nous disaient qu’il ne fallait surtout pas faire ça, que les performances de conduite allaient être dégradées. En sondant les clients, nous avons eu une autre réponse: ils voulaient plus de confort. Et ce n’était pas tant la conduite UN MONDIAL DE L’AUTOMOBILE TRÈS ÉLECTRIQUE tive aura le format et le tarif d’une Golf de puissance similaire (170 CV tout de même) et sera autonome. Mais il faudra attendre: Volkswagen annonce 30 modèles électriques d’ici 2025. D’ici 10 ans, le groupe VW promet de vendre 3 millions de voitures à batteries par an, soit une voiture sur quatre: des Volkswagen, mais aussi d’autres marques du groupe, comme Audi, dont un SUV électrique sera assemblé à Bruxelles. Mercedes, de son côté, crée une nouvelle marque, EQ, qui comptera 10 modèles électriques d’ici 2025. Dont un SUV annoncé pour 2019, au même tarif que le modèle à carburant GLC (vendu à partir de 46.585 euros) et offrant une autonomie de 500km. Un concurrent direct, mais tardif, à la Tesla Model X qui commence à être distribuée en Belgique, à partir de 78.800 euros. La stratégie EQ vise à ne pas laisser l’américain Tesla seul sur le nouveau marché de la premium électrique. Les deux initiatives misent sur des plateformes nouvelles, très connectées. Ce ne sont plus des modèles à carburant «électrifiés», dont la structure est PG/ DAIMLER AG A l’occasion du Mondial de l’Automobile 2016, qui se tient jusqu’au 16 octobre à Paris, les constructeurs allemands – notamment – ont présenté de nouveaux modèles électriques et font enfin mine de se réveiller face aux projets de Tesla et des Chinois. Ce ne sont plus des modèles isolés et marginaux mais des gammes entières qui ont été dévoilées, affichant de jolies performances et des prix concurrentiels face aux voitures à carburant. Volkswagen, qui doit faire oublier le dieselgate, a détaillé son projet en présentant à Paris un concept car, l’ID, dont l’autonomie promise sera doublée par rapport à celle de la Tesla Model 3 annoncée au printemps dernier. L’allemande promet une autonomie de 600km au lieu de 300km pour l’américaine. La VW ID défini- conçue pour des moteurs à combustion. L’approche nécessite de plus gros investissements, imposant de plus grands volumes de ventes, mais permettant de meilleurs aménagements. La voiture peut alors être conçue pour y intégrer les batteries sous le plancher et dégager l’espace. Ainsi l’ID de VW sera plus courte que la Golf mais son intérieur sera aussi vaste que celui d’une Passat. A court terme, pour le consommateur de 2016, les nouveautés répondent en partie à la critique de Ferdinand Dudenhöffer sur l’autonomie insuffisante des voitures électriques européennes actuelles. Renault et BMW ont présenté des versions améliorées de leurs modèles existants. La Renault Zoé va doubler son autonomie en roulant jusqu’à 400km. La BMW i3, la voiture électrique allemande actuelle la plus innovante, avec sa structure en fibre de carbone, ira jusqu’à 300km, il en va de même pour la VW e-Golf. Pour l’heure les voitures électriques sont surtout achetées par les entreprises, les particuliers étant refroidis par leur prix et leur autonomie réduite. 26 13 OCTOBRE 2016 WWW.TRENDS.BE DocRoom qui leur importait, mais le plaisir d’être vu au volant d’une Porsche. Je suis le héros, je paie pour ça. Dans le futur, on acceptera de ne plus conduire la voiture, ce sera un peu comme voyager en business class dans une compagnie aérienne, avec tout le confort. Qu’est-ce qui sera important, dans le futur, pour une voiture autonome? L’intérieur. Ce sera le plus important. BMW y réfléchit beaucoup. Dans le passé, le volant et le moteur importaient beaucoup, mais demain la priorité ira à la décoration et l’équipement intérieur, avec de grands écrans tactiles. Un peu comme on le voit avec les smartphones: les gens marchent en regardant leur écran. Demain, ils rouleront de la même manière. Vous n’aurez pas besoin de la réalité. Pensez-vous qu’Apple ou Google pourraient entrer dans le marché automobile? Oui. Apple, en tout cas, est à la recherche d’autres produits que les iPhone et les tablettes. Il a beaucoup d’argent et une capacité à bien comprendre le hardware. Il n’a pas besoin de produire lui-même les voitures, et peut sous-traiter cela à Foxconn ou Magna (le «Financial Times» a fait état de négociations avec McLaren en Grande-Bretagne, Ndlr). En Chine, un grand Il est important que l’Europe reste dans le peloton de tête en développant ces technologies, pas en se contentant d’en parler. nombre de start-up naissent, financées par des milliardaires, et beaucoup portent sur la mobilité. Ce sont aussi des nouveaux acteurs potentiels. Que pensez-vous de Google qui teste des voitures autonomes? Google vend surtout du software et des services. Il est intéressé par les données générées par les voitures pour les monétiser à travers la publicité plus que par la production de voitures. Pourrait-il y avoir des accords entre Google et des constructeurs pour que ces dernières accélèrent leur arrivée dans la voiture autonome? Difficilement, car Google va vouloir collecter les données des voitures. Les constructeurs ne sont pas très chauds pour ce genre de partenariat. Ils ne veulent pas être réduits au rôle de fournisseur ano- nyme. Seuls les constructeurs faibles pourraient être intéressés. Il y a ainsi un accord pour des tests avec Fiat Chrysler Automobile, qui n’a pas l’argent pour investir massivement dans la voiture autonome. Dans votre livre, vous comparez la rentabilité d’Apple à celle de BMW, qui est un constructeur très profitable. Apple s’avère trois fois plus rentable. Pourquoi cet écart? Le business est différent. Dans la technologie, vous investissez énormément dans le développement d’un logiciel, et chaque unité supplémentaire vendue ne vous coûte presque rien. Dans l’automobile, la conception de la voiture est chère, sa production aussi, la distribution également. Le coût marginal est tel que cela freine la rentabilité. La distribution, par exemple, coûte 10% de la valeur d’une voiture: 4.000 euros rien que pour payer le concessionnaire et ses frais, ces coûteux show-rooms imposés par les constructeurs. Une distribution basée sur Internet ne coûterait que 2% à 3%. Le patron de Fiat Chrysler, Sergio Marchionne, estime que la taille pourrait améliorer la rentabilité, qu’il faudrait des mégafusions. A-t-il raison? J’ai un problème avec cette théorie de la taille. Les économies d’échelle ne sont qu’un élément de l’équation. Regardez Ferrari: c’est l’un des constructeurs les plus rentables avec quelques milliers de voitures vendues, sans aucun effet d’échelle... Mais Ferrari n’est pas un constructeur représentatif, il occupe une niche! D’accord, mais regardez alors BMW, qui produit moins que la marque Volkswagen et est plus rentable. L’échelle est un élément, mais si vous êtes un géant, vous devez alors investir dans des robots, des machines, et vos usines doivent tourner à 100% pour être profitable. La flexibilité a plus d’importance que la taille. Regardez General Motors, qui a été 30 ans numéro un mondial: il a tout de même fait faillite en 2009. Non, je crois plutôt à un système de production flexible et à une réduction des coûts de distribution. z (1) Ferdinand Dudenhöffer, «Wer kriegt die Kurve ? Zeitenwende in der Autoindustrie», édition Campus, septembre 2016. Uniquement en allemand. (2) L’Allemagne produisait 6 millions de véhicules en 2015, contre 2,7 millions pour l’Espagne et 2 millions pour la France. WWW.TRENDS.BE 13 OCTOBRE 2016 27 DocRoom