de Strasbourg à chicago : robert e. Park et l`assimilation des noirs
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de Strasbourg à chicago : robert e. Park et l`assimilation des noirs
Suzie Guth Université Marc Bloch, Strasbourg Laboratoire “Cultures et sociétés en Europe” (UMR du CNRS n° 7043) <[email protected]> De Strasbourg à Chicago : Robert E. Park et l’assimilation des Noirs américains S À Strasbourg, j’ai rencontré G. F. Knapp, l’économiste. Knapp a été le professeur le plus fascinant et le plus formateur que j’ai jamais eu. Ses cours sur le développement de l’agriculture, et particulièrement sa présentation des communautés paysannes allemandes furent les descriptions d’une société les plus éclairantes dont j’ai eu connaissance.1 62 i l’on ouvre à la Bibliothèque Nationale de Strasbourg le registre d’inscription des étudiants de la Kaiser Wilhelm Universität pour l’année 1900, on y trouve mentionné parmi les étudiants étrangers Robert Ezra Park. Il va poursuivre des études pendant trois ans pour finalement soutenir son doctorat à l’université de Heidelberg, car son directeur de recherches, le professeur Windelband, y terminera sa carrière. Il n’achève pas le semestre d’été à Heidelberg puisqu’il part soutenir sa thèse. À partir de là, l’Université de Strasbourg est en grande partie oubliée, et elle en porte partiellement la responsabilité. La première biographe de Robert Park, Winifred Raushenbush2, qui travaillait en étroite collaboration avec la fille du sociologue, Greta Redfield née Park, et avec Everett C. Hughes, avait écrit aux différentes universités que Park avait fréquentées : Minneapolis, Michigan, Harvard, Berlin, Heidelberg, et seule l’Université de Strasbourg n’avait pas répondu à sa demande de renseignements. Toutes les autres universités avaient donné la liste des cours qu’il avait suivis et des semestres d’inscription3. Strasbourg restera donc longtemps l’université cachée du sociologue. De plus, comme elle change d’appartenance nationale, d’appellation et de langue, elle disparaît au sens propre du terme en tant qu’université allemande, alors que l’Université de Heidelberg demeure telle qu’en ellemême. Robert Park donne dans ses autobiographies des renseignements partiels voire erronés, qui prêtent le flanc à une interprétation fallacieuse. N’est-il pas écrit, dans The Crowd and the Public4, ainsi que dans l’ouvrage de Pierre Saint Arnaud, qu’il fit sa thèse avec Georg Simmel ? Son estime pour l’auteur berlinois, le semestre de cours du Privatdozent qu’il avait suivi à Berlin en 1899, la notoriété postérieure du sociologue allemand, ses Suzie Guth autobiographies enfin, contribuent à créer la confusion. Qui connaît encore Wilhelm Windelband, son directeur de thèse, fondateur de l’école de Bade ? C’était pourtant un personnage remarquable, si l’on en croit le doyen Redslob5, jeune étudiant de droit à l’Université Kaiser Wilhelm. Parmi les professeurs qui suscitaient son admiration, celuici cite aussi Georg Friedrich Knapp, professeur d’économie politique dont la fille a rédigé des mémoires sur sa jeunesse À l’ombre de la cathédrale6. Ce sont ces deux enseignants que nous allons le plus souvent citer, en raison de l’influence qu’ils exercèrent sur l’étudiant Robert E. Park. Nous avons déjà commenté la thèse strasbourgeoise de Park7, nous n’y ferons donc que des allusions8, bien que l’ouvrage serve de base pour comprendre l’évolution intellectuelle de l’auteur. On ne peut comprendre sa manière de procéder, ses habitudes mentales, mais aussi sa conceptualisation personnelle, qu’en se référant à cet ouvrage princeps de 1904. Au terme de l’ouvrage, il indique qu’il n’a procédé qu’à l’analyse conceptuelle des deux termes : la foule et le public, mais ce processus va devenir le modus operandi qu’il va enseigner à ses étudiants américains. Pauline Young, dans un mémoire envoyé à Winifred Raushenbush pour enrichir sa connaissance des étudiants de Chicago, va relater le commentaire du professeur Park sur son projet d’étude des Molokhans : d’abord il le trouve excellent, puis le lendemain il lui dit qu’il n’est pas bon du tout, il manque l’analyse conceptuelle autour de laquelle les données vont s’ordonner. Le concept dont elle doit faire usage est celui de compétition9. Robert E. Park acquiert à Strasbourg une culture philosophique européenne qu’il mêle à celle qu’il a acquise à Harvard, qui penche plus vers la psychologie de William James et celle de Münsterberg (ce dernier ayant fait ses études avec Wundt), sans négliger les philosophes Santyana et Royce souvent cités dans sa thèse. Nous allons procéder par ordre chronologique et chercher d’abord dans les travaux de G. F. Knapp les thèmes qui vont inspirer l’auteur dans De Strasbourg à Chicago sa réflexion et ses cours sur les Noirs du sud des États-Unis. C’est lors de sa rencontre avec William I. Thomas qu’il va conceptualiser le mode relationnel des Noirs du Sud, résumé dans l’article de 1913, et qui deviendra plus tard, sous une forme différente, le schème relationnel des migrants tel que le manuel The introduction to the science of sociology10 l’expose en plus de deux cent cinquante pages. Nous arrêterons notre étude de l’influence strasbourgeoise en 1921, elle sort renforcée dans le manuel par les morceaux choisis qui reprennent souvent les sources de la thèse de Park : tous les auteurs cités sont là, mais en même temps de nouveaux viennent renforcer une analyse, un point de vue, sans oublier les choix d’Albion Small. Ainsi la multitude des auteurs cités contribue à la dilution de ce noyau initial. De Windelband restera l’injonction, le devoir conceptuel qu’il va transmettre à tous ses étudiants. Ces drôles de concepts, qu’Everett Hughes évoquera comme « nos concepts » dans son journal de 1948, rédigé lors d’une mission d’enseignement à l’université de Francfort. Il se demandait si les Allemands de Francfort allaient les accepter tels quels, et ils le firent11. Everett Hughes pensait en particulier au concept de caste, dont Robert E. Park faisait usage pour définir la situation des Noirs dans la société américaine. De G. F. Knapp, Park suivra la méthode d’exposition. Il va s’inspirer de la méthode historique pour rédiger le cours traitant de la situation des Noirs américains. Il choisit ses exemples à Saint-Domingue, évoque Toussaint Louverture et les nègres marrons, traite des subdivisions du statut en fonction de la proportion de sang blanc dans la société créole et louisianaise. Il prend ses distances avec son vécu, mais profite de son cours pour raconter les fameuses histoires sur Booker T. Washington, sur la vie dans le Sud, pour évoquer des anecdotes savoureuses que d’aucuns auraient aimé voir publiées, mais il s’est bien gardé de le faire. Le séjour allemand et strasbourgeois de l’auteur va sans doute lui donner les clefs d’une culture savante à l’allemande, lui montrer ce qu’est l’érudition, et l’inciter à rechercher les données dans un corpus en trois langues au moins : l’allemand, le français et l’anglais, nous pourrions presque ajouter le latin, celui de César et de la guerre des Gaules par exemple. Le Mississipi boy, comme il aimait à se présenter lui-même, qui ne lisait dans sa jeunesse que des livres à trois sous, cherche à rattraper le temps perdu dans le domaine culturel. L’influence de Knapp : la libération des paysans n Commencer par l’analyse conceptuelle, quelle que soit la notion envisagée, telle fut la leçon apprise à Strasbourg. Lorsqu’il rédige son cours sur le problème des races et des minorités culturelles, la question apparaît quelquefois sur plusieurs pages dans ses notes manuscrites : What is a race ? (Qu’est-ce qu’une race ?), What is a Negro ? (Qu’est-ce qu’un Noir ?). Il évoque alors le cas d’une esclave alsacienne blanche, qui a le même statut qu’un esclave noir et qui se voit d’ailleurs comme telle12. Noir, conclut-il, n’est pas une couleur, mais un rapport social de possession et de domination, qui a certes trait à une couleur déterminée, mais que nous retrouvons par ailleurs dans nombre de sociétés. Quelques pages plus loin, il s’interroge sur les quarterons de Saint-Domingue. Il choisit un exemple limite : un mulâtre – il songe alors à Booker T. Washington, sa référence de l’homme marginal – n’est ni blanc, ni noir, c’est la raison pour laquelle il avait dit à Park qu’il était libre de faire comme bon lui semblait, il n’avait pas à suivre un modèle social particulier, puisqu’il vivait dans deux mondes à la fois. Le cours sur les Noirs américains fut à l’origine la raison du recrutement de Park comme chargé de cours à l’université de Chicago. Dans les lettres recueillies par la Regenstein Library, sa fille, Greta Redfield, rappelle qu’il avait cette expérience, unique dans la vie d’un Américain, d’avoir vécu à proximité des Noirs et d’avoir voyagé avec Booker T. Washington à travers toute l’Europe et tous les États-Unis. 63 Son approche de la race13 et de la culture est fondée principalement sur les cours de géographie et d’économie politique qu’il a suivis à Strasbourg et à Heidelberg. À Strasbourg, il a fréquenté les cours du professeur Georg Friedrich Knapp, fondateur du Sozial Verein (il commença sa carrière à Leipzig comme statisticien, puis vint à Strasbourg comme spécialiste d’économie politique14). Sa fille, Elly Heuss-Knapp, devait devenir l’épouse du premier président de la République Fédérale allemande. Elle publia les souvenirs de jeunesse de son père et écrivit les Souvenirs d’une Allemande de Strasbourg (1881-1934)15. Les cours du professeur Knapp étaient appréciés par les étudiants en raison de son humour et de l’énergie qu’il dégageait. Robert Park pense avoir compris, grâce à lui, le paysan allemand qu’il avait vu lors de ses promenades en Forêt-Noire et dans le pays de Bade. Il va d’ailleurs, dans un article de 1913 issu très certainement de ses conversations avec William Isaac Thomas, écrire que les paysans d’Europe et les paysans du Sud américain ne sont pas si différents les uns des autres, car ils vivent dans l’isolement et le particularisme. Rappelons que leur libération est récente à l’échelle historique, et que cela avait été d’ailleurs le sujet des travaux de Knapp en économie rurale16. On considère en effet – c’est la thèse de William W. Hagen17 – que Knapp a introduit un changement de paradigme dans l’explication de la libération du paysan allemand. Max Weber fut lui aussi un disciple du professeur Knapp. Ses enquêtes menées pour le Sozial Verein sur la condition du paysan allemand, d’abord à l’Est de l’Elbe18, ensuite de proche en proche dans toute l’Allemagne, et bientôt dans le Reichsland d’Alsace-Lorraine, devaient corroborer les données de Knapp et recevoir son approbation académique. Rappelons brièvement le paradigme élaboré par Knapp, qu’il présente en 1891, lors de son discours de prise de fonction de Recteur, devant ses collègues dans l’aula de l’Université Empereur Guillaume de Strasbourg. Il a rassemblé dans un petit opuscule ses articles sur la montée de l’esclavage dans les colonies et sur la libération des paysans allemands en s’appuyant sur la période Stein-Hardenberg (1800-1825). Il s’autorise donc ce type de comparaison, dans la mesure où il indique qu’il n’y a guère de différence entre l’esclave des colonies à sucre et l’esclave des plantations de coton. Park va suivre lui aussi la même méthode de comparaison en rédigeant son cours. Le système de la plantation est un système en soi, dans la mesure où celle-ci peut devenir une grande entreprise : évoquant l’île de Sao Tomé en 1492, Knapp indique : il y avait ici des plantations de cent cinquante jusqu’à trois mille esclaves noirs : c’étaient aussi de grandes entreprises !19. L’économie de plantation est ainsi posée par comparaisons successives. Il s’appuie sur les travaux d’historiens qui traitent de la Nouvelle Espagne ou de Cuba ou du Nouveau continent (l’Amérique du Nord). Park va reprendre cette présentation historique pour son cours sur le Noir en Amérique. Au fil des années, il va partir dans de nombreuses directions, que ce soit celle des esclaves marrons, des révoltes d’esclaves, des distinctions de couleur entre les Afroaméricains. Le professeur Knapp lui avait donné quelques idées utiles puisées aussi dans l’étude de la libération du paysan allemand de Prusse et de Poméranie. Les travaux de Knapp montrent le nouveau rapport au travail qui se crée dans le monde rural prussien, après la libération des paysans. Le travailleur peut être un de ces Instleute (fermiers de tenure), ayant des terres du domaine à cultiver, ou travailler occasionnellement au domaine comme Eigenkate (les Eigenkate avaient aussi des parcelles de terres qu’ils travaillaient sans être sous un contrat de travail). Le domaine féodal constitue pour Knapp une entreprise capitaliste exemplaire ou paradigmatique, au même titre que la plantation de sucre ou de coton qu’il évoquait plus brièvement en début de son ouvrage. C’est une Grundherrschaft, soumise au lien domanial : il considère que ce type de lien ne change pas la nature de l’entreprise capitaliste. Schumpeter semble lui donner raison sur ce point. Il s’agit en somme, d’un capitalisme 64 Revue des Sciences Sociales, 2008, n° 40, « Strasbourg, carrefour des sociologies » patrimonial, qui va se transformer au XIXe siècle en Prusse sous l’influence des armées napoléoniennes. À partir de la citation de Guillaume Tell du poète Schiller : « et je déclare que tous mes paysans seront libres », Georg Friedrich Knapp commence la démonstration de l’effet de la libération sur l’entreprise féodale, sur son organisation et sur les paysans dans leur ensemble. Tous ne vont pas gagner au change, et la plupart vont devenir une main d’œuvre à la recherche d’une embauche sur le marché du travail. Les anciens travailleurs agricoles, qui avaient eu un contrat avec le propriétaire féodal, vont être moins démunis sur ce nouveau marché que les travailleurs sans contrat. Ces derniers se retrouvent seuls face à des propriétaires (Gutsherrschaft), qui ne gèrent plus leur main d’œuvre de manière patrimoniale, mais cherchent leurs salariés saisonniers sur un marché de l’emploi plus vaste, et les gèrent différemment. L’artisanat et ses organisations vont se trouver en partie détruits et nous assistons à une prolétarisation de la petite paysannerie. La libération du petit paysan prussien, telle qu’elle fut menée à l’époque, l’a renvoyé vers les marges de la société, le transformant en main d’œuvre ne disposant plus que de sa force de travail. Dans un passage éloquent Knapp écrit : « Finalement, il n’est plus fermier (Inste) ; il n’a plus de maison, il n’a plus de terres, il n’a plus de vache. On l’a licencié de son emploi et il va d’un domaine à l’autre. Il vit partout en petits groupes, séparés des villages agricoles par la distance, séparés de la ferme et de ses habitants par un immense écart d’instruction »20. Il est aisé de comprendre que Robert Park ait fait le rapprochement entre la situation du paysan allemand et celle du paysan noir du Sud libéré des liens de l’esclavage, et quelquefois, lui aussi prolétarisé. Le paysan noir va maintenant de plantation en plantation, sans avoir tiré de bénéfices économiques de la libération. L’exemple du paysan prussien qui se retrouve sur le marché du travail dans une situation de concurrence, alors qu’il a vécu toute sa vie antérieure sous l’autorité patrimoniale, montre mieux ce passage de Suzie Guth la Gemeinschaft, la communauté avec toutes ses obligations, à la Gesellschaft, la société ouverte mais solitaire, où la concurrence de chacun envers chacun fait rage. Max Weber arrive à une conclusion identique dans ses travaux menés pour le Verein für Sozialpolitik, il écrit : « C’est pourquoi les Insleute allemands, sûrs d’eux-mêmes, doivent là où ils existent encore s’effacer devant les ouvriers migrants russo-polonais ; les Komorniks polonais ne connaissent pas ce risque grâce à leur niveau de vie inférieur ; en revanche, les travailleurs libres sont chassés du pays par l’immigration provenant de l’Est ; et finalement, comme le montre la comparaison des salaires dans la haute Vallée de la Vistule en 1873 et aujourd’hui, le niveau des salaires s’est tassé. Ce processus se développe également, lentement mais sûrement, là où le système patriarcal existe encore : en haute Poméranie et en Prusse orientale. Le résultat est avant tout un recul constant de la germanité (Deutschtum). À l’Est, le niveau de conscience de l’ordre (Stand) des ouvriers agricoles et leur niveau alimentaire vont tout simplement de pair avec la germanité »21. Plus loin, il montre la destruction de cet ordre social qui avait fait de la Prusse cet État semblable à nul autre. Il ne s’agit pas seulement de la destruction d’une relation de nature féodale, mais aussi de celle d’un ordre qu’il qualifie de patriarcal. L’intérêt communautaire a disparu : il est remplacé d’un côté par un intérêt purement capitaliste du propriétaire foncier et de l’autre par une volonté d’indépendance de tous ces ouvriers agricoles décrits de la manière suivante : « L’indépendance réapparaît sans cesse comme un trait fondamental du changement. Les domestiques qui fuient l’exploitation familiale (Hauswirtschaft) du seigneur, le batteur qui aspire à libérer son exploitation de son intrication dans le domaine, l’ouvrier sous contrat qui renonce à une Instellung plus sûre pour un emploi bien plus misérable de journalier « libre », le petit propriétaire qui meurt de faim plutôt que de chercher du travail chez quelqu’un, les innombrables ouvriers qui acceptent des terres, à n’importe De Strasbourg à Chicago quel prix, des mains d’un dépeceur de domaines, passent leur vie dans la dépendance ignominieuse de taux d’intérêts usuraires, seulement parce que cela leur apporte l’« autonomie » qu’ils désirent, c’est-à-dire l’indépendance par rapport à la relation de domination personnelle contenue dans tout contrat de travail rural, c’est partout le même phénomène. On ne peut rien contre de tels phénomènes. C’est l’enchantement puissant et purement psychologique de la liberté qui s’exprime ici. Il s’agit essentiellement d’une illusion grandiose, mais, on le sait, l’homme « ne vit pas seulement de pain ». Si l’on suit Max Weber, la liberté va en somme les conduire à l’endettement, à la recherche de situations inférieures à celles dont ils disposaient précédemment en ce qui concerne les avantages en nature que Knapp avait énumérés (maison, vache, lopins de terre). En somme, la dissolution des liens féodaux va paupériser les travailleurs agricoles, comme le montre l’enquête de Max Weber, tout en faisant croire à une indépendance possible de propriétaire, mais celle-ci ne serait qu’illusoire, dans la mesure où le paysan s’est mis dans les mains de l’usurier. Formaliser la situation des Noirs du sud des États-Unis n Il existe deux types d’écrits de Park qui ont trait à la situation des Noirs : les premiers sont rédigés sous la signature de Booker T. Washington, les autres en tant que coauteur. Les premiers se veulent témoins de la subjectivité de Booker T. Washington, à laquelle se mêle pourtant ici celle de l’écrivain-fantôme (ghost writer). Les seconds reflètent, sous forme d’articles, la formalisation des relations raciales aux États-Unis, telles qu’il les perçoit d’après son expérience de sept années dans l’Alabama et ses observations au jour le jour. En d’autres termes, le point de départ de la réflexion sur la situation des Noirs se trouve dans ses travaux rédigés à l’intention de son employeur Booker T. Washington, mais les prémisses de la conceptualisation de leur situation dans la société sont liées à sa rencontre avec William Isaac Thomas, qu’il a fait venir à Tuskegee (Alabama) en 1912 pour un colloque dont il est l’organisateur. Les lettres échangées entre eux (elles sont publiées dans l’ouvrage de Winifred Raushenbush) donnent déjà les éléments des trois ou quatre concepts qui vont devenir ultérieurement la structure de sa pensée. Dans une lettre du 16 mai 191222, William Isaac Thomas écrit : « J’avais le terme crise en tête pour couvrir tout le processus de perturbation et de réadaptation, nous pourrions appeler ce chaînon manquant l’accommodation… ». Park a voulu lui répondre mais la lettre datée du 6 octobre 1912 n’a jamais été envoyée : « J’ai Einfälle en ce qui concerne l’isolement, la crise et l’accommodation. Je vais vous montrer les choses qui mijotent dans le think tank quand elles remontent à la surface (nous pourrons voir après ce qu’elles valent), quand nous en arriverons à l’interprétation des données. Isolement. Les caractéristiques mentales de l’isolé sont la naïveté, la primauté des coutumes (habitude sociale), la règle de l’autorité, une disposition à interpréter l’expérience en fonction des règles de la magie (c’est à dire par intuition et en faisant usage des principes ancrés dans le subconscient et qui ne sont pas vraiment explicités.) Crise : caractéristique mentale, conscience de soi exagérée (conscience de groupe), mobilité (suggestibilité), règle du droit abstrait, disposition pour interpréter l’expérience de manière scientifique (par des lois abstraites, scepticisme, esprit critique). Accommodation : caractéristique mentale, capacité de voir les gens et les choses objectivement, tolérance, capacité de voir les conditions d’un point de vue pratique plutôt que sentimental ; les principes abstraits qui s’incarnent dans la coutume et les usages se transforment graduellement en considérations pratiques et personnelles. Capacité de dégager chronologiquement le sens commun plutôt que le point de vue abstrait ». W.I. Thomas est l’auteur d’un article programmatique de comparaisons des paysans de la Mitteleuropa avec les Noirs américains : il s’agit de 65 répondre à l’offre de Madame Culver, une généreuse donatrice, pour l’étude des problèmes sociaux des migrants venant des États centraux de l’Europe. Le questionnaire de William Isaac Thomas est au mieux ethnographique, c’est un protocole d’enquête comme on en disposait à l’époque. Il apporte des nouveautés dans son approche méthodologique du document personnel : sermons, lettres, histoires de vie sont les données recherchées. D’où vient l’intérêt de W.I. Thomas pour les Noirs américains ? Selon Andrew Abbott23, W. I. Thomas aurait vécu dans une ferme disposant de quelques esclaves, il se sentait donc personnellement impliqué dans cette recherche, qu’il va situer dans le domaine psychologique et le monde culturel en empruntant son point de vue à Franz Boas24. La rencontre avec Park fut pour lui un grand moment : il trouva que l’étude des Noirs était plus intéressante que celle des paysans et il entrevit des volumes distincts à rédiger avec Park, des voyages à faire en Afrique et aux Antilles, mais avant il dut aller en Europe25. L’isolement est la cause de l’exclusion, tant des Noirs que des paysans, des habitants de slums (quartiers pauvres) et des femmes blanches, conclut William Isaac Thomas dans son article sur la psychologie des races. Pour lui, le paysan reste jusqu’au milieu du XIXe siècle dans le cercle étroit de son village, de sa ferme : il est indifférent à la rumeur du monde. Il vit dans un monde d’autoconsommation et d’autoproduction, qui sans être totalement hostile aux villages voisins n’est guère cordial envers eux. Tel est, en résumé, le point de vue de von Hupka (Entwicklung der westgalizischen Dörfzustände), cité par Thomas et développé ultérieurement dans Le paysan polonais en Europe et en Amérique. L’auteur y évoque la Galicie de l’Ouest, alors que Thomas semble en faire un point de vue plus général. Mais ce qui isole le plus les Afro-Américains du Sud, ce sont les préjugés raciaux qui sont là pour les maintenir à leur place. En changer devient pour eux un tabou qu’ils ne doivent pas transgresser. W. Du Bois montre qu’on ne leur accorde aucune chance pour grimper dans l’échelle sociale, même lorsqu’ils sont pourvus de diplômes universitaires : il ne saurait y avoir, chez les Noirs du Sud, de Napoléon, dit-il, puisqu’ils ne sont pas admis à porter les armes. Aucun homme, même métis ou mulâtre ne vit pleinement dans le monde des Blancs. Ils ne disposent pas des ressorts permettant de surmonter les préjugés raciaux, alors que d’autres groupes, comme les Juifs de Roumanie ou de Russie, qui ont vécu isolés dans un monde hostile, ont su surmonter les obstacles et devenir à certains égards un modèle à suivre, ou ceux à qui l’on va emprunter des éléments culturels. Pour résumer la pensée de Thomas, deux cercles entourent les paysans européens et américains : le premier, qui leur est commun, est celui de la coutume, des mœurs, des usages et de l’autarcie, le second, plus présent chez les Noirs américains, est celui du préjugé racial qui condamne les Noirs à un type de comportement envers les Blancs, qui en fait un groupe dominé par l’expertise blanche. L’approche de Park en 1913 n L’Afro-Américain n’est pas totalement dans la situation du paysan prussien décrit par Georg Friedrich Knapp, car le Sud des États-Unis dispose de plus de terres qu’il n’a de bras. Néanmoins la recherche d’un sort meilleur a conduit nombre d’entre eux à quitter le Sud pour aller en masse vers le Kansas, par exemple. Le lien qui unissait le paysan au maître, si ce n’est aux Blancs en général, va se distendre et se perdre. Ainsi les Noirs du Sud entrent dans le monde des relations impersonnelles comme les Instleute de Prusse qui quittaient le patrimonialisme en accédant au marché du travail. Park interprète le mouvement des nationalités en Europe comme une recherche de l’indépendance, sur des modèles pris autant chez les Autrichiens que chez eux. Pour lui, l’assimilation est un processus qui déborde l’indépendance acquise : « Les nations comme les races empruntent à ceux qu’elles craignent aussi bien qu’à ceux qu’elles 66 Revue des Sciences Sociales, 2008, n° 40, « Strasbourg, carrefour des sociologies » admirent. Les éléments qui ont été pris portent inévitablement la marque de la nationalité qui les porte. Ces éléments vont contribuer à la dignité, au prestige, au sentiment de solidarité de la nation qui les emprunte, mais ils ne signifient plus la loyauté à l’égard de la nation à laquelle ils ont été empruntés. Une race qui a atteint les traits de la nation ne peut rester loyale à la nation dans laquelle elle est englobée que dans la mesure où cet état incorpore comme un élément intégral de son organisation, les intérêts pratiques, les aspirations de cette nationalité »26. Cette interprétation de l’appartenance nationale n’est pas sans rappeler un paragraphe d’Économie et Société, écrit lui aussi avant la Première Guerre mondiale et intitulé « Nationalité et prestige de la civilisation ». Max Weber fait un raisonnement similaire, mais qui va plus loin que celui de Robert E. Park à propos des Alsaciens allemands. Il y inclut le statut de la nation en évoquant : « la « Grande nation » avait délivré de la servitude féodale, elle était porteuse de la « Civilisation », sa langue était la langue même de la Civilisation »27. Il s’agit bien sûr de la France et de l’appartenance des Alsaciens à cette nation : le statut de ces derniers, pensait-il, suivait celui de cette appartenance antérieure en suscitant chez eux des regrets perceptibles dans les artefacts exposés dans le musée de Colmar, pauvres objets mais reflétant selon Weber le regret de la grandeur passée. Dans l’ouvrage The man farthest down, Booker T. Washington et Robert E. Park arrivent à la même conclusion après leur périple auprès des damnés de la terre européens : la situation des Noirs américains est meilleure que celle de certains peuples ruraux des franges russo-polonaises ou des ouvriers européens des mines de soufre. L’appartenance à la nation américaine leur apparaît porteuse de plus d’espérance et d’espoir. Vue de loin, l’Amérique est une, avec une seule langue et une seule appartenance nationale. Les rivalités européennes, la diversité des langues et des peuples leur semblent autant de causes de conflits et de haines. En résumé, les ressortissants noirs des États du Sud américain vivent leur isolement comme le ferait une natio- Suzie Guth nalité minoritaire au sein de l’Empire austro-hongrois, ils sont une nation dans la nation selon le mot de Booker T. Washington. L’isolement du Noir est cependant relatif dans la mesure où il partage avec les autres Américains la langue, la religion, et nous pourrions presque dire, si nous nous en référons à Booker T. Washington, le credo. C’est un self made man qui croit aux vertus de l’apprentissage, de la formation, de l’éducation. Dès 1904, lors de leur périple américain, les Weber se sont rendus à Tuskegee, et Max Weber note que chacun ici a des opinions différentes à propos de Booker T.Washington : les uns manifestent leur répulsion, disant que l’éducation donnée aux Noirs prive les planteurs de bras, les autres pensent qu’il est le plus grand homme de tous les temps, à côté de Jefferson et de Washington28. Weber pense que les Blancs du Sud se saignent aux quatre veines pour conserver intacte la ségrégation raciale, et que leur haine des Yankees ne conduit à rien. Comme on le voit, la conflictualité dans les autres nations frappe l’observateur étranger : ses raisons et ses objectifs demeurent souvent mystérieux, si ce n’est étrangers à la rationalisation. L’accommodation semble relever, selon Robert Park, d’une manière de s’approprier le sentiment de fierté collective, de devenir une entité valorisée. Il reprend dans une certaine mesure le modèle européen de la montée des nationalités. Il donne dans son article de 1913 deux exemples d’appropriation culturelle. Le premier, porte sur la poupée noire : elle existait déjà, mais c’était une poupée blanche teinte en noir. Une entreprise a commandé une poupée noire en Allemagne avec de nouvelles spécifications : elle était métisse, soignée et bien habillée. Les poupées suivantes furent plus foncées, avec des traits plus africains. Le processus d’identification des petites filles pouvait se mettre en œuvre avec cette belle poupée qu’elles tenaient dans leurs bras. Ainsi un modèle est remplacé par un autre, nous dit Robert E. Park, l’homme noir construit ses propres idéaux ; tel serait le processus d’accommodation. De Strasbourg à Chicago Un deuxième exemple d’accommodation est porté à notre connaissance : il a trait à la poésie noire, non pas celle qui reprend les modèles des Blancs, mais celle qui emprunte la langue des Noirs et qui devient un véritable art oral, comme celui du poète Dunbar. L’accommodation engendre un nouveau mode d’expression lyrique populaire. Bien qu’en 1913 Robert Park ne définisse pas véritablement ce mode de relation, nous pouvons en déduire qu’il s’agit d’une substitution de modèles, par laquelle on s’approprie une fonction culturelle, non par un processus d’imitation, mais par un véritable processus de création faisant usage aussi bien de la culture d’origine que de celle dans laquelle on évolue. C’est ce que l’on nommerait aujourd’hui un processus d’inculturation. En étudiant avec ses étudiants les journaux des immigrants, il arrive à une conclusion identique. Le journal écrit dans leur langue sert d’intermédiaire entre la culture d’origine et les éléments culturels américains. Il s’agit souvent de publicité pour des produits américains, qui sert d’opérateur culturel. Le journal est un lien entre le monde que l’on vient de quitter et celui dans lequel on vit, mais qui reste étranger, dans la mesure où le migrant ne possède pas la langue du pays. Ainsi, ces journaux communautaires, souvent à tirage relativement important, servaient de processus d’accommodation, ils devenaient cet entre-deux dans lequel se trouvaient nombre de travailleurs étrangers ne parlant pas la langue anglaise. L’accommodation reflète donc un processus actif d’appropriation culturelle dans les trois exemples cités. Le migrant n’a pas encore quitté sa culture d’origine, mais il cherche à créer son monde, son oïkos. Les quatre modalités n Les quatre modalités de l’assimilation dans la société composeraient, selon Jean Michel Chapoulie, le cœur même du premier manuel de sociologie, que les étudiants ont appelé la « Bible verte ». Ces quatre concepts donnent au lecteur européen le sentiment de voir une autre sociologie à l’œuvre, issue d’un autre monde que le sien car on ne trouve nulle trace, dans les textes européens de la première partie du XXe siècle, de ces éléments. En effet, compétition, conflit, accommodation et assimilation forment le carré magique des processus, lents ou rapides, des modalités d’intégration dans la société. Ce sont, dans une certaine mesure, les résultantes des forces sociales et elles relèvent en ce sens des dynamiques sociales. Des quatre processus analysés en 1913, il ne reste que l’accommodation et l’assimilation. Il s’agissait bien à l’origine d’une réflexion commune avec W. I. Thomas, ce compagnon d’enquête, ce maître à penser, ce mentor de Robert E. Park qui a exercé en Amérique l’influence la plus profonde. Les étapes de la formalisation des processus d’intégration 1913 : lettres non envoyées à Thomas Article de 1913 republié en 1914 The Introduction to the Science of Sociology Isolement Isolement Compétition Crise Assimilation Conflit Accommodation (Weltanschauung et analyse de la situation) Accommodation (culturelle) Accommodation (domination) Assimilation 67 En 1921, l’influence de Simmel sur Park est grande, comme le manuel le laisse voir ; c’est d’ailleurs à partir de là que l’on a déduit que Robert E. Park était simmelien dès l’origine, alors que cela a été un cheminement tardif. Le doyen Small avait demandé à Park d’aider Ernest W. Burgess à composer ce manuel. Il connaissait le philosophe berlinois et avait traduit pour la revue American Journal of Sociology sept de ses articles. Park va les reprendre dans The Introduction to the Science of Sociology, et va y ajouter deux traductions venant probablement de sa plume. Ceci nous permet aussi de mesurer à quel point Park maîtrisait les langues écrites allemande et française dans la mesure où la traduction, tant de Georg Simmel que d’Émile Durkheim, nécessite une bonne connaissance de la langue académique d’origine, et des aptitudes pour la traduction, les textes des deux auteurs offrant de grandes difficultés. Compétition et conflit n Les deux premiers concepts sont issus du domaine de la lutte : compétition appartient au monde économique alors que conflit relève du monde politique selon Park et Burgess. La compétition n’est pas seulement économique, elle peut prendre la forme de la lutte pour la vie, elle peut être écologique en référence à la colonisation du territoire par les plantes, elle induit la colonisation humaine, elle implique aussi la sélection naturelle. Dans les morceaux choisis que Robert E. Park et E. Burgess nous soumettent, ils présentent des extraits d’études démographiques et de compétition économique, ils nous renvoient à Adam Smith, à Frédéric Bastiat, mais aussi au Simmel de la Soziologie. Les auteurs nous invitent à voir un monde en mouvement, en expansion, ils reprennent souvent l’exemple du serf libéré de la servitude et la fin de l’asservissement qui correspond au début de sa mobilité dans l’espace. Le concept de conflit est considéré comme appartenant au domaine du conscient. Park évoque les préjugés et conflits raciaux29, il reconnaît que per- sonne jusqu’à présent n’a rendu ce type de conflit véritablement intelligible et suggère que la réaction à l’autre est celle que nous avons face à l’étranger, mais amplifiée. Le conflit des cultures entre les deux races est quant à lui singulier, car la culture qui se sent supérieure refuse d’entrer en compétition avec la culture considérée comme inférieure. Tout se passe comme si le poète Dunbar, évoqué plus haut, n’avait pas d’homologue dans la littérature des Blancs américains. En somme, nous pourrions presque dire que c’est le refus du conflit culturel qui représente l’offense, comme si la littérature noire était elle aussi isolée, ségrégée. Il est regrettable que Robert E. Park n’exploite pas plus cette idée du refus de la compétition entre groupes nationaux, car cette absence montre précisément que le statut social collectif repose sur une forme de compétition ou de conflit culturel. La reconnaissance passe par la globalisation et la généralisation, or la culture noire ou d’inspiration noire a soulevé la critique et l’adulation, ne fût-ce que pour le jazz ou le rock-and-roll. Son admission en tant qu’élément de la culture mondiale fut teintée de sang et de larmes dans son voyage transatlantique. Le jazz et le rock ont accompagné les troupes américaines venues pour le combat sur le sol européen ou les troupes d’occupation. Alors que certains politistes s’inquiètent aujourd’hui du conflit des cultures, la remarque de Park nous montre que la conflictualité intellectuelle est en somme une nécessité pour adhérer à la « grande société » (society at large). Les conflits de nationalités sont des conflits pour obtenir un statut social. Park évoque le nationalisme irlandais, le sionisme et la prise de conscience des Noirs. La lutte est une compétition pour l’obtention de prestige et d’un statut plus avantageux. W. E. B. Du Bois s’était déjà élevé contre ce refus fait aux Noirs de porter les armes. La participation à la compétition et aux luttes nationales relève donc de l’ordre social : ne pas y faire figure, c’est en être écarté, ne pas appartenir à l’ordre social existant. Il reprend, dans les morceaux choisis deux articles qu’il avait publiés. Le 68 Revue des Sciences Sociales, 2008, n° 40, « Strasbourg, carrefour des sociologies » premier, déjà cité, est celui de 1913, et le second est une introduction à un ouvrage sur les migrations japonaises. Il reprend l’exemple du paysan prussien devenu, suite à la venue des troupes de Napoléon en 1807, un homme libre. Il rappelle que le paysan a fait partie, en quittant le servage, du prolétariat dénué d’éducation, sans moyens politiques et sans capital, ce qui était la thèse de Knapp. Pour Park, l’histoire du XIXe siècle européen est aussi celle de la recherche de meilleures conditions de vie. Il rappelle que ces luttes ont donné lieu dans les marches de l’empire autrichien à un changement de la stratification sociale qu’il explique de la manière suivante : la société était d’abord stratifiée de manière horizontale, dans le sens où les élites étaient d’une nationalité et les plus pauvres d’une autre. Cette organisation fut remplacée par une stratification verticale, où toutes les nationalités sont unies en un même ensemble, mais sont maintenant hiérarchisées verticalement. Dans ce cas de figure, elles sont engagées dans une lutte partisane pour obtenir des droits politiques ou pour maintenir la solidarité entre leurs membres. Accommodation et assimilation n L’accommodation est une adaptation, mais une adaptation acquise ou liée à une forme de socialisation, à une invention culturelle, comme la poupée déjà évoquée ou l’œuvre poétique de Dunbar. En d’autres termes, c’est une innovation culturelle ou une adaptation aux coutumes et aux us du lieu, avec une construction imaginaire, symbolique nouvelle. Elle est le fruit d’un processus de socialisation qui emprunte à la culture dominante. Elle relève d’un apprentissage, voire de la rencontre de plusieurs univers culturels, comme ce fut le cas pour le blues. Cela peut-être un artefact, un chant, une danse. L’accommodation est en ce sens un processus actif, fait à la fois d’emprunt et d’adaptation au marché, comme celui qui avait été décrit dans l’article de 1913. Suzie Guth Elle est aussi liée aux hiérarchies sociales et aux dominations, dans la mesure où elle cherche à les limiter, ou peut-être à les utiliser en sa faveur. Park sollicite à nouveau les textes de Simmel relatifs à la domination. Il s’agit des trois types de domination : par un individu, par un groupe, par un principe30. L’auteur montre dans ces trois cas que le mode de domination, non seulement change de nature, mais change aussi quant aux conséquences. La domination par une personne permet l’unification du groupe, soit sous l’autorité du maître, soit en réaction à celui-ci. Il en va de même, c’est une occurrence possible, de la domination par une pluralité, qui est évoquée dans le contexte du vote (en référence à la digression de Simmel sur le vote dans sa Soziologie), mais le vote à la majorité est aussi un moyen d’écraser les minorités et d’exercer sur elles un pouvoir de coercition. L’autorité sans restriction fut le fait du paterfamilias, elle s’est cependant effacée pour devenir l’autorité d’un principe, celui de la famille représentée par son chef. Ainsi le chef devient, comme les autres, subordonné au spiritus familiaris, il est subordonné à une idée, à un principe dont il est cependant l’incarnation matérielle. Le choix de ces textes montre les variations possibles dans la représentation de l’entité collective, dans l’unité groupale qu’elle représente, dans les relations réciproques qu’elle instaure, dans l’univers de discours qu’elle peut proposer. Dans l’esprit de Park la relation maître-esclave, comme la relation maître-serviteur fait partie de l’univers de l’accommodation, dans la mesure où, non seulement les rôles sociaux, la conception de la personne, mais aussi la morale sont différenciés. Il montre par ces extraits que l’esclavage peut différer d’une société à l’autre, mais qu’il est aussi caractérisé dans le système de la plantation par la relation au maître : c’est la domination par un seul qui unifie. Un morceau choisi d’Émile Durkheim, extrait de La division sociale du travail, vient quelque peu amender le propos de Robert E. Park, en montrant que le développement de la division du travail ne conduit pas De Strasbourg à Chicago nécessairement à la dilution du lien social et à la perte de la solidarité : elle implique un autre type de solidarité entre les hommes et de nouvelles institutions. Il cherche à montrer qu’il existe un rapport entre la composition du groupe, la règle qu’il suit, ainsi que son leadership et le type de groupe qui en découle. Il réalise une typologie simple opposant les groupes d’accommodation et les groupes de conflits. Il reconnaît que l’étude des groupes est un champ de recherches en friche, et pense qu’il existe de profondes différences entre les groupes, certaines doivent être nuancées et d’autres peuvent revêtir une grande subtilité. Les groupes de conflits, tels que les sectes, font partie de l’appareil conceptuel de Robert Park depuis sa thèse sur La foule et le public : il a emprunté l’existence de la secte dans la foule à Scipio Sighele31, et cette interprétation va être reprise pour le lynching mob par exemple. Il classe dans les groupes conflictuels, sans que nous en soyons surpris, les nationalités, les races et, dans le même ordre d’idée, il y ajoute les groupes syndicaux et professionnels ainsi que les gangs. À l’opposé, les groupes d’accommodation comprennent les clubs (qui font à l’époque l’objet de travaux dirigés pour les étudiants), les classes sociales32, les groupes professionnels, les castes et les nations, bien que l’auteur reconnaisse que séparer les nationalités des nations ne va pas de soi. Il pense que les Noirs du Sud sont dans une position de caste, mais pas comme aux Indes, où les Robert E. Park 69 brahmanes se sont séparés des autres. Du fait de la ségrégation, il s’est créé un ensemble de groupes fermés sur euxmêmes, dont l’élite ne peut participer à la circulation des élites. Ainsi en va-t-il pour W. E. B. Du Bois qui ne peut exercer que dans une université noire. L’accommodation, qui semble être son concept le plus ancien, est aussi devenu le plus diffus, dans la mesure où, à l’interprétation initiale d’adaptation par les œuvres de culture, s’ajoutent des interprétations nouvelles liées aux formes de pouvoir, aux solidarités et aux formes sociales qui en sont les récipiendaires. Nous pourrions peutêtre résumer ce propos en évoquant le thème de la définition de la situation propre au sociologue W.I. Thomas : l’accommodation serait une nouvelle donne dans un monde ancien, une forme hybride, symbole du renouveau mais qui ne se manifeste pas encore comme tel. L’assimilation fait l’objet d’un chapitre dans lequel l’auteur écarte d’abord la conception populaire de l’assimilation, celle du melting pot, un processus naturel qui irait de soi. Alors que l’on pourrait confondre assimilation et accommodation, elles relèvent de processus différents. L’accommodation est, comme nous avons pu le constater, un processus d’adaptation ainsi qu’un processus de maîtrise de la situation sociale, de recherche d’une conflictualité moindre, d’une compétition allégée en somme, avec l’établissement d’une forme de sécurité personnelle au sein du groupe ou de la société dans laquelle on vit. Dans une certaine mesure, l’homme n’est plus le jouet de l’harassante lutte pour la vie si bien décrite dans la biographie de Wladeck du Paysan Polonais en Europe et en Amérique. L’assimilation est un processus plus lié à la temporalité du groupe au cœur de la société. S’il s’agit d’être intégré à un ensemble, ce processus nécessite qu’il y ait, entre les in-group et les out-group, une mémoire commune, un partage du temps. Cette histoire partagée est celle des coutumes, des fêtes, des évènements nationaux qui forment pour tous la trame de la mémoire collective. L’assimilation est donc d’abord un rapport au temps de la société et à celui du groupe auquel on appartient. Park se réfère toujours à William James, qui rappelle que de nouvelles expériences transforment les attitudes de l’individu, et choisit un de ses exemples : l’opinion envers le vote féminin relève souvent d’une réponse non réfléchie, mais dès lors que le principe en a été légalisé, les attitudes peuvent changer, l’expérience montrant que l’ordre social ne change pas. L’assimilation serait donc ce processus nécessairement lent, par lequel l’individu immigré change et commence à partager avec la société d’accueil une mémoire commune et des expériences nouvelles. Si l’assimilation se fait au sein d’un groupe « primaire », elle n’en sera que plus efficace et rapide, si elle se fait exclusivement dans un groupe « secondaire », elle sera plus lente. Les mariages mixtes favorisent les processus d’intégration, car ils conduisent nécessairement à des formes composées, hybrides, à un échange culturel quotidien. L’immigrant ne peut faire table rase du passé, c’est la raison pour laquelle le processus est lent : il le sera moins pour les enfants ayant été scolarisés dans le pays d’accueil. Parmi les morceaux choisis qu’il propose, Park présente d’une part des extraits de texte puisés dans la zoologie qui mettent en avant l’instinct grégaire. Il propose d’autre part un texte de l’anthropologue Rivers, qui traite des sociétés européanisées du Pacifique, comme Hawaï, ainsi qu’un texte sur la formation de la langue française, qui évoque la romanisation de la Gaule. À Hawaï, par exemple, les structures de la société ont changé selon Rivers, des missionnaires sont venus christianiser les autochtones et l’occidentalisation s’est poursuivie dans une certaine mesure, mais la famille a résisté à ces changements de structure, de foi, d’idéaux, de mode de gouvernement. C’est la structure sociale qui a le moins changé. La société devient mixte dans une certaine mesure, elle dispose d’institutions secondaires occidentalisées et d’institutions primaires authentiquement hawaïennes. Par contre, la romanisation était déjà développée en Gaule du temps de César, elle s’est accentuée avec le commerce et le développement 70 Revue des Sciences Sociales, 2008, n° 40, « Strasbourg, carrefour des sociologies » des voies de communication. Le latin, la littérature, l’art oratoire, se sont installés dans les villes. Les autochtones ont eux aussi accédé à des postes dans l’empire, certains ont même accédé aux plus hautes fonctions. Les écoles se sont multipliées et il fallait comprendre l’expression « toutes les routes mènent à Rome » au sens matériel, mais aussi au sens figuré. La romanisation est présentée d’une manière un peu idyllique comme un processus allant de soi dans les villes. De nombreux dialectes romains, des parlers populaires, la langue vulgaire sont à l’origine de la langue française. Robert Park veut nous rendre attentif à un processus d’influence puissant, qui se développa rapidement dans les Gaules et en particulier dans la Provincia Romana. Les deux processus sont-ils identiques, celui de l’occidentalisation de certaines îles du Pacifique et celui de la romanisation des Gaules ? On peut en douter, ne fût-ce qu’à l’échelle temporelle. Dans le premier cas, l’influence datait au mieux d’une centaine d’années, mais elle se situait déjà dans la perspective d’un enseignement de masse. Dans le second cas, l’influence fut multiséculaire et les académies ne concernaient qu’une élite de la culture, la société romaine était quant à elle divisée entre citoyens et peuples allochtones, souvent dans la servitude Dans une dernière partie, qui reflète aussi la pensée de Franz Boas, l’auteur récuse Gobineau et sa hiérarchie des races. Il prend Mind of the Primitive Man de Franz Boas33 comme référence, à l’instar de William Isaac Thomas, qui avait déjà mentionné cet auteur dans son Source Book for Social Origins. Il choisit lui aussi la Pologne comme cadre de raisonnement, il rappelle que les premiers colons allemands de Galicie ont été polonisés par la noblesse polonaise. Les Allemands ont voulu germaniser la Posnanie, ce fut un échec. Soit ils étaient isolés au sein d’une population polonaise et retournaient au pays, soit ils s’étaient polonisés et étaient donc perdus pour le processus de germanisation. Pendant huit cent ans, les Siebenbürger de Roumanie ont été de langue et de culture germanique, alors que ces ter- Suzie Guth ritoires sont entourés de populations roumanophones. A contrario, le peuple le plus puissant d’Allemagne, le peuple prussien, issu d’un peuple slave conquis (Borusse), parlait le vieux prussien, dont seuls quelques ouvrages gardent encore la trace linguistique. Ceux qui ont été les sentinelles de la Prusse, puis de l’empire allemand, sont originaires de ces peuples baltes et slaves qu’ils ont si souvent combattus. Nous retrouvons dans ces propos une interrogation commune avec celle de William Isaac Thomas, qui se demandait si la culture dominante s’imposait lorsque le contact culturel existait. Ces différents exemples nous montrent que la culture dominante se perpétue, c’est le cas de la Roumanie (Thomas faisait la remarque inverse à propos de la culture Magyar dans ce même pays), mais c’est aussi celui des Prussiens. Par contre, la Pologne offre deux exemples de polonisation allemande, à Cracovie et en Posnanie. Park reconnaît que la question de la culture des origines est difficile à déterminer : il prend l’exemple du problème de l’origine de l’arc et des flèches. Plusieurs hypothèses peuvent être exprimées, nous supposons qu’il en va de même pour les peuples, d’autant que Franz Boas insiste sur la difficulté de cerner celles-ci. En résumé, deux processus semblent à l’œuvre dans le contact culturel, le conflit d’une part, et la fusion des cultures d’autre part. La région des Siebenbürger serait l’expression de la première et la polonisation l’expression de la seconde. Le lecteur européen peut trouver ces exemples pointillistes et simplistes, dans la mesure où il sait combien le paysage politique européen des marches du royaume polonais et de l’Empire de Marie-Thérèse ont fluctué au fil du temps. Sachant que la Pologne fut partagée trois fois et que la Posnanie devint prussienne, puis à nouveau polonaise, comment définir la part d’influence de l’une ou de l’autre nation ? Bien qu’il ait habité presque trois années à Strasbourg et qu’il ait vécu une expérience directe de changement de nationalité, Park n’a jamais évoqué cet exemple, alors qu’il avait une connaissance du français, qu’il avait certainement en sa demeure du De Strasbourg à Chicago personnel alsacien, et qu’il fréquentait une université allemande. Park conclut, et ceci restera son point de vue ultérieur lors de la direction de l’enquête sur la côte Pacifique des États-Unis et du Canada, en écrivant que les biographies et les autobiographies expriment le mieux les processus personnels d’assimilation. On y repère les éléments suivants : les attentes et les désillusions des premières expériences, la nostalgie de son pays natal, les accommodations successives, la première participation à la vie américaine, pour arriver enfin à la foi dans certains ressorts de la vie sociale américaine, à l’identification à une mémoire américaine commune, ainsi qu’au partage des sentiments et de la croyance dans l’avenir de ce pays. Conclusion n En confrontant les textes de Knapp à ceux de Robert Ezra Park de 1921, on pourrait penser que le lien entre l’un et l’autre est devenu ténu, qu’il s’est dilué dans un corpus plus vaste, qui a tendance à faire disparaître ce point de départ au profit de données nouvelles. L’approfondissement de l’étude de la situation des migrants, mené grâce aux travaux pour la compagnie Carnegie, soit seul, soit en collaboration avec W. I. Thomas à New York, lorsqu’ils étaient installés ensemble au-dessus d’une pizzeria, ont donné à Park une compréhension de la situation psychologique34. Au fil de son expérience, il embrasse des pans de plus en plus vastes des situations de contacts culturels, mais il reste fidèle à sa connaissance de l’Allemagne de 1900. Qui sont les Prussiens ? Telle est la question à laquelle il répond dans plusieurs de ses articles, pour bien montrer que ceux qui sont devenus les gardiens de l’Empire étaient à l’origine des Slaves germanisés. Il veut dire par là que les peuples changent d’identité et appartiennent sur le long terme à des nationalités différentes : l’identité collective n’est jamais définitive, elle n’est qu’un moment dans la vie d’un peuple. Il revient souvent sur le judaïsme, pour évoquer son sta- tut presque par essence minoritaire dans les sociétés européennes, pour montrer aussi ses facultés d’adaptation dans une situation défavorable. Everett Hughes reprendra d’ailleurs en 1948 ce même point de vue lors de sa mission à l’Université de Francfort. Il voulait faire comprendre à ses interlocuteurs qu’ils vivaient alors la situation des Juifs allemands et celle des opposants au nazisme. L’élargissement du propos crée chez Park un éventail de situations exemplaires : l’art lyrique des Noirs se limitait en 1913 au poète Dunbar, il va ajouter plus tard le candomblé de Bahia à ces situations exemplaires d’accommodation. La trame de son analyse va rester fidèle à ses quatre composantes qui reflètent les quatre domaines dans lesquels s’inscrivent les migrants nouveaux venus et les Noirs du Sud. Quitter la plantation ou quitter le domaine patrimonial prussien, c’est entrer dans le monde de la compétition économique, dans celui du conflit. Les paysans prussiens décrits par Max Weber vont chercher pour certains à devenir petit propriétaire à des taux usuraires, le Noir du Sud va aller de plantation en plantation, si ce n’est vers le Nord, vers le pays libre. Certains vont se diriger vers le collège pour Noirs de Tuskegee, où ils seront incités à recevoir une formation pour acquérir des compétences et devenir des professionnels dans un monde marqué cependant par la ségrégation raciale. Le compromis d’Atlanta, dont Booker T. Washington fut l’auteur35 va conduire l’institution de Tuskegee à favoriser l’accommodation et l’assimilation de ses étudiants à partir du travail professionnel agricole, de la mécanique, et des institutions secondaires comme l’école par exemple. À l’inverse du travailleur agricole allemand, le travailleur noir est entouré par une ligne de démarcation qui l’isole de tous ses concitoyens. En 1913, Park évoque le problème noir en tant que problème générique. En 1939, il évoque les classes sociales, comme se plaît à le souligner Pierre Saint Arnaud dans son ouvrage sur L’invention de la sociologie noire aux États Unis d’Amérique36. Il a donc quitté sa vision holistique de départ, où seules les relations interindividuelles entre 71 Noirs et Blancs existaient, pour arriver à un schème de segmentation, celui des classes moyennes assimilées qui forment un monde hybride, et à une vision qui prévaudra pendant la Deuxième Guerre mondiale : celle du conflit entre cultures, mais aussi entre races et classes sociales. L’assimilation suit la même ligne de pensée, elle est individuelle d’abord, puis devient celle d’une catégorie sociale. À travers les conflits professionnels entre autres, elle se transforme en un élément plus universel, si ce n’est mondial. Dans ce cas de figure, l’émancipation ne participe plus du compromis d’Atlanta, mais appartient au domaine de la lutte. Après un long détour, influencé par Franklin Frazier, un homme de gauche radical, Robert E. Park revient aux idées initiales exprimées par Georg Friedrich Knapp en 1891 dans l’aula de l’Université Kaiser Wilhelm de Strasbourg, celles de la prolétarisation du travailleur agricole devenu libre. Bibliographie Archives de Robert E. Park, addenda 1 :3, University of Chicago, Regenstein Library, Department of Special Collections. Archives Everett C. Hughes, Special Collections, Regenstein Library, The University of Chicago Boas Franz, The mind of primitive man, Galt, Ontario, The Mac Millan Company, 1958, 10e édition (1e édition 1911). Chapoulie Jean-Michel, La tradition sociologique de Chicago 1892-1961, Paris, Seuil, 2001, p. 102. Guth Suzie, Modernité de Robert E. Park, Paris, L’Harmattan, 2008. Hagen William W., Ordinary Prussians-Brandenburg Junkers and villagers, 1500-1840, Cambridge, Cambridge University Press, 2002, 712 p. Heuss Knapp Elie, Souvenirs d’une Allemande de Strasbourg 1881-1934, Strasbourg, Librairie Oberlin, 1996 (traduction de Ausblick vom Münstertum par Jean Yves Mariotte). Knapp Georg Friedrich, Aus der Jugend eines deutschen Gelehrten, Tübingen, Rainer Wunderlich Verlag, 1962. Knapp Georg Friedrich, Die Bauern-Befreiung und der Ursprung der Landarbeiter in der älteren Theilen Preussen, Band 1, Band 2, Leipzig, Duncker und Humblot, 1927. Knapp Georg Friedrich, Die Landartbaiter in Knechtschaft und Freiheit, Leipzig, 1891. Knapp Georg Friedrich, Die Landarbeiter in Knechtschaft und Freiheit, Leipzig, 1891 : « Es gab hier Planzer, die bis 150 zu 3000 Negersklaven auf ihren Plantagen hatten : dies sind also ganz grosse Unternehmungen ! » in Der Ursprung der Sklaverei in den Kolonien, p. 14. Park Robert Ezra & Burgess E. W., The introduction to the science of sociology, Chicago, The University of Chicago Press, 1924, 2e édition Park Robert Ezra et Miller Herbert, Old world traits transplanted, New York, Harper and Brothers Publishers, 1921. Park Robert Ezra, La foule et le Public, Lyon, éditions Parangon, 2007 (Traduction René Guth) Park Robert Ezra, Race and Culture. Racial Assimilation in Secondary group, p. 204- 220, London, The Free Press of Glencoe 1964 (1e édition 1950). Raushenbush Winifred, Robert E. Park : Biography of a sociologist, Durham, Duke University Press, 1979. Redslob Robert, Alma Mater, mes souvenirs des universités allemandes, Strasbourg, BergerLevrault, 1958. Saint Arnaud Pierre, L’invention de la sociologie noire aux États-Unis d’Amérique – Essai en sociologie de la connaissance, Paris, Syllepse / Presses de l’université Laval, 2003, p. 115-116. 72 Revue des Sciences Sociales, 2008, n° 40, « Strasbourg, carrefour des sociologies » Schriften des Vereins für Sozialpolitik, tome 55, Leipzig, Duncker et Humbolt, 1892. Sighele Scipio, Psychologie des sectes, Paris, V. Girardet et E. Briene, 1898. Simmel Georg, Sociologie, Paris, PUF, 1999, p. 168-264. Thomas William Isaac, Race psychology: standpoint and questionnaire, with particular reference to the immigrant and the Negro, The American Journal of Sociology, vol XVII, N° 6, 1912, p. 725-639. Weber Marianne, Max Weber – a biography, New Brunswick et Londres, Transaction Books, 3e édition, 2003, traduit de Max Weber, ein Lebensbild, p. 296. Weber Max, Économie et société, Paris, Plon, 1971, p. 424- 425. Weber Max, Enquête sur la situation des ouvriers agricoles à l’Est de l’Elbe. Conclusions prospectives, Actes de la Recherche en Sciences Sociales, 65, novembre 1986, p 65 (traduit par Denis Vidal Naquet). Suzie Guth Notes 1. Archives de Robert E. Park, addenda 1 :3, University of Chicago, Regenstein Library, Department of Special Collections. 2. Winifred Raushenbush, Robert E. Park : Biography of a sociologist, Durham, Duke University Press, 1979, 200 p. 3. Archives de Robert E. Park, Regenstein Library, Department of Special Collections. 4. Robert Park, The Crowd and the public and other essays, Chicago, University of Chicago Press, 1972. 5. Robert Redslob, Alma Mater, mes souvenirs des universités allemandes, Strasbourg, Berger-Levrault, 1958. 6. Elie Heuss Knapp, Souvenirs d’une Allemande de Strasbourg 1881-1934, Strasbourg, Librairie Oberlin, 1996 (traduction de Ausblick vom Münstertum par Jean Yves Mariotte). 7. Robert Ezra Park, La foule et le Public, Lyon, éditions Parangon, 2007 (voir la préface de Suzie Guth). 8. Suzie Guth, Modernité de Robert E. Park, Paris, L’Harmattan, 2007. 9. Relaté également par Jean Michel Chapoulie in La tradition sociologique de Chicago 1892-1961, Paris , Seuil, 2001, p. 102. 10.Robert E. Park & E. W. Burgess, The introduction to the science of sociology, Chicago, The University of Chicago Press, 1924, 2e édition 11.Archives Everett C. Hughes, Special Collections, Regenstein Library, The University of Chicago 12.Robert Ezra Park Papers, Regenstein Library, Departement of Special Collections. Il s’agit de Salomé Miller, une jeune fille allemande de Strasbourg devenue esclave à la Nouvelle-Orléans. Le bateau qui l’a transportée a vendu les passagers restants (la moitié d’entre eux étaient morts). Lorsque ses parents ont voulu la reprendre, elle refusait de croire qu’elle était une Miller. Elle appartenait à une personne. À partir de ce fait divers qui présente il est vrai une certaine confusion, Robert E. Park veut montrer que ce n’est pas la couleur qui fait l’esclave mais l’appartenance. Salomé Miller avait le statut d’esclave noire. 13.Ce terme est polysémique : il faut comprendre sous cette appellation : nationalité, ethnie, origine régionale, couleur de peau, etc. 14.Georg Friedrich Knapp, Aus der Jugend eines deutschen Gelehrten, Tübingen, Rainer Wunderlich Verlag, 1962. 15.Elly Heuss- Knapp, Souvenirs d’une Allemande de Strasbourg (1881-1934), Strasbourg, Oberlin, 1996. De Strasbourg à Chicago 16.Georg Knapp, Die Bauern-Befreiung und der Ursprung der Landarbeiter in der älteren Theilen Preussen, Band 1, Band 2, Leipzig, Duncker und Humblot, 1927. Georg Knapp, Die Landartbaiter in Knechtschaft und Freiheit, Leipzig, 1891. 17.William W. Hagen, Ordinary Prussians-Brandenburg Junkers and villagers, 1500-1840, Cambridge, Cambridge University Press, 2002, 712 p. 18.Schriften des Vereins für Sozialpolitik, tome 55, Leipzig, Duncker et Humbolt, 1892. 19.Georg Friedrich Knapp, Die Landarbeiter in Knechtschaft und Freiheit, Leipzig, 1891 : « Es gab hier Planzer, die bis 150 zu 3000 Negersklaven auf ihren Plantagen hatten : dies sind also ganz grosse Unternehmungen ! » in Der Ursprung der Sklaverei in den Kolonien, p. 14. 20.Georg Friedrich Knapp, op. cit. p. 85 : « Er ist kein eigentlicher Inste mehr ; Haus hat er nicht, Acker hat er nicht, Kuh hat er nicht. Häusig wird ihm die Stellung gekündigt und der rückt von einem Rittergut aus andere ; überall da wohnen sie in kleinen Gruppen, abgetrennt von den Bauerndörfer durch den Raum, vom Gutsdorf und seinen Bewohnern geschieden durch den unermesslischen Abstand der Bildung » 21.Max Weber, Enquête sur la situation des ouvriers agricoles à l’Est de l’Elbe. Conclusions prospectives, Actes de la Recherche en Sciences Sociales, 65, novembre 1986, p. 65 (traduit par Denis Vidal Naquet). 22.Winifred Raushenbush, op.cit. p. 70. 23.Professeur à l’Université de Chicago. 24.William Isaac Thomas, Race psychology: standpoint and questionnaire, with particular reference to the immigrant and the Negro, The American Journal of Sociology, vol. XVII, N° 6, 1912, p. 725-639. 25.Winifred Raushenbush, p. 69. 26.Robert E. Park, Race and Culture. Racial Assimilation in Secondary group, pp. 204220, London, The Free Press of Glencoe 1964 (1e édition 1950) ; l’article a été publié pour la première fois en 1913. 27 Max Weber, Économie et société, Paris, Plon, 1971, p. 424- 425. 28 Marianne Weber, Max Weber – a biography, New Brunswick et Londres, Transaction Books, 3e édition, 2003, traduit de Max Weber, ein Lebensbild, p. 296. 29 Op. cit. p. 578. 30 Georg Simmel, Sociologie, Paris, PUF, 1999, p. 168-264. 31 Scipio Sighele, Psychologie des sectes, Paris, V. Girardet et E. Briene, 1898. 32 Marie Fleck, La gestion collective de l’héritage parkien. Les étudiants de Burgess et leurs travaux sur les gangs (1928- 1935) entre continuité et inflexion, in Suzie Guth (dir.), Modernité de Robert Park, Paris, L’Harmattan, 2008. 33 Franz Boas, The mind of primitive man, Galt, Ontario, The Mac Millan Company, 1958, 10° édition (1e édition 1911). 34.Robert Park et Herbert Miller, Old world traits transplanted, New York, Harper and Brothers Publishers , 1921. Cet ouvrage est aujourd’hui publié exclusivement sous le nom de William Isaac Thomas, mais il est certain que Robert E. Park y a travaillé. 35.Atlanta Compromise Speech (1895). Lors de l’Exposition internationale agricole des États cotonniers à Atlanta en 1895, Booker T. Washington, qui est le premier Noir invité à s’exprimer à une exposition internationale, expose à son auditoire que les Noirs du Sud ne sont pas intéressés par l’ascension sociale (uppity), bien au contraire. Il se lance dans une parabole : celle d’un bateau manquant d’eau qui, voyant enfin au large un autre bateau, lui envoie le signe maritime « eau ». Ce dernier, répond en disant : « jetez les seaux là où vous êtes », ce qu’ils font à la longue, et trouvent l’eau douce grâce à l’embouchure de l’Amazone. Cette parabole, à l’instar de la fable de La Fontaine « Le laboureur et ses enfants », veut montrer qu’il faut travailler le sol et trouver dans tous les métiers manuels la subsistance dont on a besoin : le trésor ou l’eau sont là, à portée de main. C’est ce discours qui va lancer Booker T. Washington dans le monde politique national puis, international. Il est invité par tous les souverains d’Europe, dont la reine Victoria. Lorsque Robert E. Park travaille pour Booker T. Washington, le grand homme, c’est lui, et c’est grâce à cette existence à l’ombre du grand leader noir que Robert E. Park va accéder lui aussi à une reconnaissance tardive. 36.Pierre Saint Arnaud, L’invention de la sociologie noire aux États-Unis d’Amérique – Essai en sociologie de la connaissance, Paris, Syllepse / Presses de l’université Laval, 2003, p. 115-116. 73